La lettre juridique n°367 du 15 octobre 2009 : Fiscalité financière

[Jurisprudence] La quote-part de dividendes inscrite à un compte courant d'associé, abandonnée à une société qui ne rencontre pas de difficulté de trésorerie, est un acte de disposition d'un revenu

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r, 31 juillet 2009, n° 301191, M. Salas, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A1269EK9)

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par un arrêt en date du 31 juillet 2009, juge que le dirigeant et associé titulaire d'un compte courant sur lequel est inscrit un montant de dividendes dont il abandonne une quote-part à la société, doit être regardé comme en ayant eu la disposition, au sens de l'article 12 du CGI (N° Lexbase : L1047HLD), la trésorerie de la société permettant le prélèvement de ce dividende à la date à laquelle est consenti l'abandon de créance. Ce dividende est donc imposable dans la catégorie des RCM entre les mains du dirigeant sans que cet abandon puisse être regardé comme une charge déductible, au sens de l'article 13 du CGI (N° Lexbase : L1050HLH), du RCM. Les faits dans cette affaire sont les suivants : M. et Mme S. ont été imposés à l'impôt sur le revenu et à la contribution sociale généralisée, au titre de l'année 1994, sur la base des revenus qu'ils avaient déclarés et comprenant des dividendes distribués à M. S. par la société Sogefi, dont il était directeur général et associé, pour un montant de 933 984 francs (soit 142 384 euros) et enregistrés au crédit du compte courant dans cette société le 1er juillet 1994. M. S. avait pu prélever la somme de 450 000 francs (68 602 euros) sur son compte entre le 10 juin 1994 et le 19 décembre 1994. Le 31 décembre 1994, M. S. a consenti à la société Sogefi l'abandon de 500 000 francs (76 224 euros) de son compte courant. Le solde de son compte courant s'élevait à la somme de 71 169 francs (10 850 euros) au 31 décembre 1994, alors que la trésorerie de la société atteignait la somme de 170 163,16 francs (25 941 euros) à la même date. M. S. a présenté une réclamation le 22 décembre 1997, et a demandé que les dividendes imposés soient réduits à une somme de 393 820,84 francs (60 037 euros) au motif qu'il n'avait pas eu la disposition de l'excédent, en raison de la situation de trésorerie de la société Sogefi.

Le Conseil d'Etat juge que le contribuable a fait acte de disposition de la somme abandonnée en compte courant dès lors qu'il pouvait prélever le solde de sa créance sur la société. L'arrêt du Conseil d'Etat du 31 juillet 2009 confirme la doctrine administrative (QE n° 54042 de M. Massot, réponse publiée au JOAN du 4 mai 1992, p. 2041 N° Lexbase : L8545IE9) et se place dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d'Etat en date du 3 mai 1993 (CE Contentieux, 3 mai 1993, n° 81447, M. Villemagne N° Lexbase : A9447AMT), les règles de l'article 12 du CGI s'appliquant à toutes les catégories de revenu constituant le revenu global.

1. L'inscription des dividendes sur le compte courant rend ce revenu disponible si la somme peut être prélevée

Un dirigeant et associé à 47 % d'une société a la disponibilité d'un dividende dès l'inscription de celui-ci en compte courant, sauf impossibilité financière ou juridique de le prélever.

1.1. Le revenu est disponible dès l'inscription au compte courant d'associé

L'arrêt du Conseil d'Etat, en date du 31 juillet 2009, applique la solution retenue par la Haute juridiction pour des traitements en salaires, à un dividende inscrit en compte courant d'associé. Le revenu imposable est le revenu annuel, net global et disponible du contribuable. Aux termes des dispositions combinées des articles 12 et 156 (N° Lexbase : L1139IEW) du CGI, les sommes à retenir, au titre d'une année déterminée, pour l'assiette de l'impôt sur le revenu, sont celles qui, au cours de ladite année, ont été mises à la disposition du contribuable, soit par voie de paiement, soit par voie d'inscription à un compte courant sur lequel l'intéressé a opéré ou aurait pu, en droit ou en fait, opérer un prélèvement au plus tard le 31 décembre. En l'espèce, M. S., directeur général et associé de la Sogefi postérieurement à une décision de l'assemblée générale réunie le 9 juin 1994, voyait son compte courant d'associé crédité de la somme de 933 984 francs (142 384 euros), le 1er juillet 1994.

La condition de disposition du revenu est appréciée selon la logique d'une comptabilité de caisse. Un revenu faisant l'objet d'une saisie attribution n'en demeure pas moins un revenu disponible, dès lors qu'il a permis le règlement de dettes exigibles (CAA Bordeaux, 7 décembre 2006, 4ème ch., n° 04BX01262, M. et Mme Canon N° Lexbase : A6584DTZ). Ainsi, les rémunérations inscrites au crédit du compte courant d'un associé dirigeant constituent un revenu disponible (CAA Douai, 3ème ch., 2 novembre 2004, n° 02DA00105, M. Vialardi N° Lexbase : A9724DEU). De même, le Conseil d'Etat juge que le montant revenant à un contribuable au titre de sa participation dans les bénéfices d'une société est un revenu de l'année au cours de laquelle ce montant a été porté au crédit du compte du contribuable ouvert dans les écritures de la société, même si la créance de l'intéressé est née au cours d'une année antérieure. La circonstance que le redevable, qui ne peut justifier à cet égard d'aucun empêchement quelconque, n'ait effectué que progressivement le retrait de cette somme ne fait pas obstacle à ce que la totalité de ladite somme soit regardée comme ayant été mise à sa disposition dans l'année même où son compte a été crédité (CE 7° s-s., 26 octobre 1959 n° 41939 : Dupont, 1959, p. 520).

Plus largement, l'inscription d'un revenu au crédit d'un compte non bloqué d'un contribuable ouvre une présomption de disponibilité qui vaut en principe paiement et disponibilité de la somme. Le Conseil d'Etat a jugé, pour un gérant de SARL (CE, 23 janvier 1970, n° 78855, Dupont, 1970), que l'inscription en compte courant le 31 décembre de l'année est une mise à disposition quand il s'agit de l'un des dirigeants de la société, qui ne peut, en raison de ses fonctions, ignorer l'inscription au compte courant. Cette solution a été reprise pour un président-directeur général de société anonyme dans un arrêt du 26 janvier 1977 (CE, 26 janvier 1977, n° 99770).

1.2. L'inscription d'une somme à un compte courant d'associé est une mise à disposition sauf impossibilité financière ou juridique de prélèvement de la somme

Le revenu est réputé disponible lorsque sa perception ne dépend que de la seule volonté du bénéficiaire. La jurisprudence apprécie strictement le principe de l'acte volontaire. Le Conseil d'Etat juge que les personnes qui ont la qualité de dirigeant, et jouent, de ce fait, un rôle déterminant dans la décision d'inscrire les revenus en charges à payer, doivent être regardées comme ayant eu la disposition des sommes inscrites à leur profit sur un compte, sauf lorsqu'ils sont en mesure de justifier que des circonstances indépendantes de leur volonté rendent impossible le prélèvement des sommes en cause. Ainsi, un dirigeant d'une société de capitaux qui accepte de ne pas percevoir immédiatement une fraction de sa rémunération pour ne pas gêner la trésorerie sociale opère, en principe, un acte de libre disposition le rendant imposable à raison de cette fraction. Il en est de même dans le cas où les sommes ne sont pas versées sur le compte courant du dirigeant, mais inscrites sur un compte de charges à payer (CE, 22 février 1989, n° 76942 N° Lexbase : A0959AQL), ou sur un compte courant bloqué par décision de la société pour garantir un emprunt (CE, 22 février 1989, n° 89081, Girault N° Lexbase : A0973AQ4).

La présomption de disponibilité est conçue de manière large. Elle s'applique même lorsqu'il existe une clause de restitution éventuelle du revenu, ou lorsque le contribuable a volontairement différé le retrait des sommes portées en compte courant. La preuve contraire peut résulter, soit d'une clause d'indisponibilité, soit du blocage d'un compte courant. Cette présomption peut, ainsi, être détruite s'il résulte des circonstances de fait que l'intéressé n'a pas été en mesure de disposer des sommes portées en compte, notamment, compte tenu de la trésorerie de la société. Cette situation peut naître du fait de la situation de trésorerie de la société qui rend tout prélèvement financier impossible (CE, 3 juillet 1985, n° 47921, Labonde N° Lexbase : A3014AML ; CE 9° et 10° s-s-r., 15 juin 2001, n° 204999, M. Amoretti N° Lexbase : A7658ATS et CAA Paris, 5ème ch., sect. B, 21 mai 2007, n° 04PA04065, M. et Mme Lequen N° Lexbase : A7777DWX).

Le juge distingue de fait trois situations. Le dirigeant peut être empêché de retirer les sommes parce qu'elles sont bloquées. Encore faut-il, dans ce cas, que le dirigeant n'ait pas concouru à la décision de blocage, car, si tel est le cas, il accomplit un acte de disposition (CE, 24 novembre 1986, n° 49853, Lagnel N° Lexbase : A4543AM9). Un deuxième cas concerne la situation du dirigeant qui n'a pas retiré les sommes pour ne pas aggraver les difficultés financières de la société. Dans ce cas, le dirigeant effectue un acte de libre disposition et les sommes sont imposables (CE, 12 janvier 1987, n° 48825, M. Candau N° Lexbase : A2591APN). Enfin, et c'eût pu être le cas en l'espèce, le dirigeant s'essaie à retirer les sommes mais ne peut y parvenir car il en est empêché par la trésorerie de la société qui le prive de tout prélèvement ; dans ce cas, il n'y a pas d'acte de libre disposition volontaire et les sommes indisponibles ne sont pas imposables (CE, 12 janvier 1987, n° 48825, ou encore CE, 3 juillet 1985, n° 47921 précité, et pour une application récente, CAA Marseille, n° 06MA03179, 19 février 2009). Ces solutions retenues pour une application mettant en cause des salaires, sont transposées, en l'espèce, à un dividende.

2. L'abandon en compte courant d'une quote-part de dividende est un acte de libre disposition du revenu et non une charge déductible du RCM

L'abandon d'une quote-part de dividende inscrit au crédit de son compte courant est un acte de libre disposition, alors même que le contribuable renonce irrévocablement à sa créance.

2.1. L'abandon de compte courant est un acte de libre disposition du revenu sauf exception

La jurisprudence fait prévaloir le critère de l'obligation juridique au paiement (CE, 3 juin 1992, n° 89567, M. Hazera N° Lexbase : A6880ARA), rejoignant ainsi la doctrine administrative (QE n° 54042 de M. Massot, réponse publiée au JOAN du 4 mai 1992, p. 2041, précitée) qui assimile l'abandon volontaire de créance à un acte de disposition du revenu dont aucun texte ne permet la déduction. Le fait d'abandonner des sommes inscrites en compte courant, ce qui a pour effet de diminuer d'autant l'endettement de l'entreprise, et donc d'augmenter ses capitaux propres est un acte de libre disposition (CE, 21 janvier 1959, n° 36876, Dupont, 1959). Il ne pourrait en être autrement que si les versements avaient été effectués en exécution d'obligations juridiques, comme la mise en jeu d'engagements de caution, qui, sous certaines conditions, sont déductibles (CE, 28 mai 1984, n° 40168, M. Galtier N° Lexbase : A7012ALB).

Toutefois, les sommes abandonnées auraient pu être regardées comme exposées pour la préservation d'un revenu au sens de l'article 13 du CGI. Les charges admises en déduction des revenus sont celles qui, soit sont inhérentes à l'emploi ou à l'exploitation sociale et ont, donc, un caractère ou un intérêt professionnel, soit présentent un caractère contraignant faisant suite, notamment, à l'exécution d'un engagement de caution ou à une condamnation au comblement du passif. En revanche, les pertes en capital ne sont pas déductibles (CE, 28 mai 1976, n° 9359).

Ce faisant, le traitement fiscal du dirigeant qui abandonne spontanément des sommes inscrites en compte courant et celui dont relève le dirigeant recherché en paiement du fait d'engagement de caution, est asymétrique. En faisant prévaloir le critère de l'obligation juridique au paiement, la jurisprudence empêche la reconnaissance du lien direct entre la prise en charge du passif et l'exercice de ses fonctions de dirigeant. Là où le régime fiscal des engagements de caution fait prévaloir une logique économique, le traitement des abandons spontanés en compte courant entoure l'opération de la vertu en droit des principes : un abandon de comptes courants ne constitue pas une modalité d'exécution d'engagements de caution pris antérieurement.

Dans l'affaire "Villemagne" précitée (CE Contentieux, 3 mai 1993, n° 81447), il avait été jugé que, dès lors qu'au 31 décembre, la société était dans une situation nette négative, ne disposait que de quelques milliers de francs en caisse et en banque et que son passif bancaire exigible s'élevait à plus de 60 000 francs (9 147 euros), le contribuable démontrait qu'il n'avait pas pu opérer à cette date de prélèvement sur le solde de la somme dont son compte d'associé avait été crédité. Dans la présente affaire, M. S. qui a regardé une fraction de son dividende comme ne constituant pas un revenu disponible au sens de l'article 12 du CGI, pouvait prélever le solde de sa créance sur la société, le solde de son compte courant s'élevant à 71 169 francs (10 850 euros) au 31 décembre 1994 alors que la trésorerie de la société atteignait 170 163,16 francs (25 941 euros) à la même date. Ainsi, l'abandon de créance est regardé comme un acte de libre disposition.

Reste que, si l'abandon de créance enrichit la société, il a aussi pour effet d'appauvrir le dirigeant ; l'abandon pourrait alors être regardé comme une charge exposée pour l'acquisition ou la conservation du revenu.

2.2. L'abandon en compte courant du dividende n'est pas une charge exposée pour l'acquisition ou la conservation du revenu

Il pourrait paraître équitable de regarder l'abandon en compte courant du dividende qui va emporter un surcroît d'imposition de la société comme une charge déductible du RCM du dirigeant. Ce n'est pas le sens de la jurisprudence.

Tout d'abord, s'agissant des dirigeants salariés et assimilés, ils ne peuvent déduire les sommes qu'ils versent spontanément en paiement des dettes sociales. Aucune contrainte juridique n'impose à un salarié ou un associé de se substituer à la société défaillante dans le règlement des dettes qui lui incombent. Cette substitution procède, en conséquence, d'un emploi du revenu dont l'article 13-1 du CGI n'autorise pas la déduction, et les charges qu'elle engendre ne peuvent être assimilées à des frais inhérents à la fonction ou à l'emploi au sens de l'article 83-3° du CGI (N° Lexbase : L1241IEP). De même, les sommes correspondant aux créances qu'un contribuable détenait sur une société et qu'il a abandonnées volontairement alors qu'il n'était plus dirigeant de celle-ci ne sont pas au nombre des frais mentionnés à l'article 62 du CGI (N° Lexbase : L2354IBS) et ne sont pas des dépenses effectuées en vue de l'acquisition ou de la conservation du revenu, au sens de l'article 13 du même code (CAA Nantes, 1ère ch., 2 mai 1996, n° 93NT01099, M. Bouyer N° Lexbase : A9718BGZ).

L'abandon en compte courant du dividende aurait pu, dans le cas de M. S., être regardé comme une charge exposée au titre des RCM. Mais la sévérité de la jurisprudence pour des sommes perçues par des dirigeants dans une catégorie de gains professionnels (CGI, art. 83-3° et art. 62) n'a d'égale que celle qui prévaut pour la catégorie des RCM. Le juge apprécie si la dépense est une dépense en capital ou exposée pour l'acquisition d'un revenu. L'arrêt du Conseil d'Etat en date du 31 juillet 2009 n'a pas regardé l'abandon comme une dépense liée à l'acquisition de revenus de capitaux mobiliers ; il est vrai qu'une telle solution est rarement admise en jurisprudence, toutefois, sont déductibles à ce titre, par exemple, les frais d'encaissement des coupons et les frais de garde des titres (CE, 21 juin 1948, n° 73332).

La solution retenue pour un abandon en compte courant d'un dividende est donc sévère pour le dirigeant qui est imposé sur ses rémunérations inscrites en compte courant : il ne pourra, en effet, déduire de ses revenus professionnels la perte correspondant à l'abandon de créance alors que, dans le même temps, la société devra inclure le profit correspondant dans ses produits imposables. La solution retenue par le Conseil d'Etat le 31 juillet 2009, confirme, ainsi, la réponse ministérielle "Massot" du 4 mai 1992.

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