La lettre juridique n°367 du 15 octobre 2009 : Sociétés

[Evénement] Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ? - Impacts et opportunités de la crise sur les opérations de fusion-acquisition et de restructuration

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[Evénement] Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ? - Impacts et opportunités de la crise sur les opérations de fusion-acquisition et de restructuration. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212040-evenement-crise-financiere-un-an-apres-le-droit-peutil-retablir-la-confiance-impacts-et-opportunites
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef, Lexbase Hebdo - édition privée générale

le 07 Octobre 2010

La crise économique que traverse la plupart des pays a été au centre des préoccupations de l'année écoulée et a eu un impact considérable sur l'activité juridique. Aussi, lorsque l'Association française des juristes d'affaires (AFJE) a dû déterminer le thème de son colloque annuel, organisé cette année en partenariat avec le cabinet d'avocats Gide Loyrette Nouel et le Centre européen de droit et d'économie (CEDE) de l'ESSEC, sans doute la nécessité d'établir un premier bilan et d'évaluer certaines pistes pour sortir intelligemment de cette situation s'est-elle imposée. C'est donc devant un parterre de professionnels du droit que les intervenants ont, le 30 septembre 2009, pu exposer leurs réflexions afin de répondre à la question, fil rouge de la journée : "Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ?". Lexbase Hebdo - édition privée générale a assisté à cette conférence, axée sur deux principaux thèmes, "impacts et opportunités de la crise pour les acteurs de l'économie" et "vers une nouvelle régulation du système bancaire" (lire N° Lexbase : N0903BME). Alors, presque un an jour pour jour après l'annonce de la faillite de Lehman Brothers, les intervenants avant de rentrer dans le vif du sujet ont souhaité, en guise d'exposé préliminaire, rappeler quelles étaient les véritables origines de la crise et qui devait en être tenu pour responsable (I). Ce préalable s'imposait : on ne saurait tracer une ligne de conduite afin de guérir d'un mal sans en identifier les causes.

Et parce que la crise économique a eu des conséquences importantes en droit des affaires, et notamment en M&A (Mergers and Acquisitions), Antoine Bonnasse, avocat associé, Gide Loyrette Nouel, Olivier Puech, avocat associé, Gide Loyrette Nouel, Matthieu Pigasse, associé gérant, Banque Lazard, Hubert de Vauplane, directeur juridique et compliance, Crédit Agricole SA, et Frédéric Jenny, conseiller à la Cour de cassation, professeur à l'ESSEC ont présenté dans le cadre du premier thème, les impacts et les opportunités de la crise sur les opérations de fusion-acquisition et de restructuration d'entreprises.

I - Vérités et contrevérités sur les origines de la crise et ses responsables

C'est à Jean-François Copé, avocat à la Cour, député-maire de Meaux, qu'est revenu l'honneur d'introduire le colloque. Ce dernier a donc livré ses réflexions personnelles, un an après la crise financière. D'abord, il existe un consensus selon lequel la crise est une crise systémique, née d'un excès de confiance qui a créé un retour de la méfiance. Bien que ce constat soit une constante des grandes crises de l'économie mondiale, celle que nous traversons se démarque, notamment, par le fait qu'elle soit ressentie partout dans le monde de façon identique. Aussi, est-il, selon le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale et ancien ministre délégué au Budget, inconcevable de revenir au business as usual (1), dans lequel les considérations affairistes l'emportaient sur toutes les autres. Il incombe donc au législateur, c'est-à-dire aux hommes politiques, d'apporter des réponses pertinentes et cohérentes par l'édiction de nouvelles règles de droit.

Si, ces derniers se sont rapidement emparés du problème, puisque les premières décisions prises, réglementation des fonds propres des banques et plan de relance en tête, doivent être saluées, la tache à accomplir reste grande. Et, Jean-François Copé d'insister sur la nécessité d'une approche globale, et non nationale, pour mettre sur pied non pas plus de régulation mais une meilleure régulation, laquelle exige de faire un audit complet a priori de ce qui n'a pas fonctionné.

Alors quelles sont les pistes de réflexion à explorer ?
D'abord, la question des pratiques bancaires est, nécessairement, au centre des préoccupations. Elle est, toutefois, l'une des plus complexes, en ce qu'elle induit celle de la possibilité de la traçabilité des produits financiers, mais aussi l'une des plus médiatisées et fortement symboliques, car elle suppose de s'interroger sur le niveau de rémunérations des traders qui sont parmi les plus élevées du monde.
Ensuite, la question des activités et des structures des banques est une question qu'il convient, également, de traiter en priorité. Pour Jean-François Copé, cela amène à poser le problème de la séparation des activités d'investissement, des activités de dépôt. En effet, au soutien de cette affirmation il fait, notamment, valoir le fait que les difficultés se sont essentiellement centrées sur les banques d'investissements à proprement parler, quand les banques universelles, qui sont présentes à la fois dans les activités de marchés et dans celles de banque de détail, auraient mieux résisté au choc. D'ailleurs en 1999, les Etats-Unis ont abrogé le Glass-Steagall Act, datant de 1933, qui prévoyait la séparation des banques d'investissement et des banques d'affaires. Finalement, le problème essentiel semble, plutôt se cristalliser autour de la déconnexion existant entre le management des banques et les salles de marché.
Enfin, s'il y a une évidence que cette crise a révélé avec force, c'est bien l'absence d'institutions capables de traiter les problèmes économiques mondiaux et l'obsolescence des institutions existantes. La mise en place d'une gouvernance mondiale à travers la naissance du G20 sous l'impulsion de la France et de son Président, Nicolas Sarkozy, doit être accentuée et développée. Et l'intervenant de plaider pour une fusion du G8, du G20 et du Conseil de sécurité de l'ONU, dans une nouvelle instance.

Pour Matthieu Pigasse, associé gérant, Banque Lazard, comme tous les indicateurs le montrent, la crise financière et économique est sans précédent par son ampleur (2008 est la première année où 85 % des pays étaient en récession contre 53 %, lors de la "grande crise" de 1929) et par sa diffusion, puisqu'elle a touché tous les pays, toutes les classes sociales et toutes les activités.

Il s'agit d'une crise de l'endettement et de la croissance structurelle aux Etats-Unis et en Europe. En effet à l'origine, se trouve la volonté de ces Etats de compenser la faiblesse de leur croissance économique de ces quinze dernières années par une augmentation exponentielle de l'endettement.

Il y a, selon Matthieu Pigasse, trois grands responsables de la crise économique.
Tour d'abord, et inévitablement, les premiers responsables sont les banquiers dont le coeur de métier est d'octroyer des prêts et qui ont, en fait, recherché une autre activité, source de rentabilité plus forte et plus rapide.
Cela ne doit, toutefois, pas masquer une deuxième responsabilité, celle des politiques qui s'est manifestée de diverses manières. Ainsi, en est-il des politiques monétaires expansionnistes menées par les Etats européens et les Etats-Unis qui consistaient, notamment, à injecter massivement de l'argent à bas prix afin de masquer la faiblesse de la croissance et qui ont eu pour conséquence d'encourager l'endettement et donc la formation de bulles spéculatives. Ainsi en est-il, aussi, de l'imprévoyance des Etats dans l'édiction des normes encadrant les marchés et les activités des banques et de leur imprudence patente dans le contrôle du respect desdites normes.
Enfin, la responsabilité, pour Matthieu Pigasse, est, également, idéologique et morale. En effet, la crise marque, la faillite de l'auto-régulation puisque, selon lui "si on laisse les marchés s'auto-réguler, ils s'auto-détruisent". Deux institutions sont symptomatiques de l'auto-régulation et des ses errements :
- les hedge funds qui à eux seuls représentaient en 2006 et 2007 plus de 50 % de l'activité des bourses de New York et de Londres alors qu'ils n'étaient soumis à aucun contrôle ;
- et le shadow banking system, un vaste système de créances interconnectées adossées à des actifs financiers, dans lequel 1 dollar de capital peut générer jusqu'à 70 dollars voire 80 dollars de dettes alors que dans le système bancaire réglementé, 1 dollar de capital génère environ 7 à 8 dollars de dettes.

Il existe, donc en filigrane, une "responsabilité morale et sociale", qui est en relation avec la place de l'argent dans notre société, c'est-à-dire la cupidité du monde des affaires et plus généralement de l'ensemble de la société. En témoigne encore, aujourd'hui, les 4 000 milliards de dollars de pertes totales des banques et les 100 milliards de dollars de bonus octroyés aux Etats-Unis.

Alors comment en sortir ? Il y a, selon Matthieu Pigasse, deux horizons : un horizon à court terme, qui est aujourd'hui dépassé et qui consistait à sauver les banques et relancer la croissance pour lequel les pouvoirs publics ont joué leur rôle ; et un horizon à moyen terme, lequel recouvre trois axes essentiels de réflexion.
Ainsi, solutionner la crise impose, tout d'abord, un meilleur partage des richesses. En effet, la crise actuelle est une crise des inégalités dues à la faiblesse de la croissance et des salaires aux Etats-Unis et en Europe et il apparaît, dès lors, indispensable et prioritaire de redéfinir un partage de la valeur ajoutée. Or, selon Matthieu Pigasse, avec l'augmentation du chômage, et donc l'accroissement des difficultés des salariés à négocier, et la baisse de la croissance, il est fort à parier que ce partage continue à se déformer au détriment de la rémunération du travail.
Comme deuxième axe de réflexion, l'intervenant propose, ensuite, une meilleure réglementation, afin que rien n'échappe à la règle de droit. Il est donc nécessaire de lutter contre les paradis fiscaux, ou encore de réglementer les hedge funds. Or, un constat s'impose, ici aussi : le marché est global et sans régulateur global, rôle que pourrait jouer le FMI, tous les discours ne resteront que des discours d'intention.
Enfin le troisième axe proposé par Matthieu Pigasse est la mise en oeuvre d'une meilleure régulation avec la création d'un "directoire" du monde chargé de régler 3 enjeux majeurs :
- l'enjeu climatique qui a un impact économique évident et très important ;
- la lutte contre le protectionnisme, alors que depuis 3 ans de nouvelles formes de protectionnisme surviennent, que ce soit de la part de la France qui fait preuve d'un certain attentisme devant la relance allemande pour en bénéficier, ou de la Grande-Bretagne qui laisse "filer" la livre sterling face à l'euro pour être plus compétitive ;
- et la correction des politiques monétaires des Etats-Unis, plus spécifiquement celle qui consiste à affaiblir leur devise depuis les années 1970, appelée "benign neglect" et qui s'illustre à merveille par la fameuse répartie, toujours d'actualité, du Secrétaire au Trésor américain, John Connally, durant la présidence Nixon, "the dollar is our currency but your problem" ("le dollar est notre devise mais c'est votre problème"), en réponse à l'inquiétude des européens.

II - Impacts et opportunités de la crise sur les opérations de fusion-acquisition et de restructuration

Pour Antoine Bonnasse, avocat associé, Gide Loyrette Nouel, le marché des fusions-acquisitions a été marqué par deux tendances phares :
- un rétrécissement avec très peu d'opérations ;
- et la réalisation d'opérations plutôt atypiques (restructurations, intervention des pouvoirs publics, opérations portant sur des banques).

Il relève, toutefois, que le marché des fusions-acquisitions a retrouvé un peu de couleurs avec la hausse du marché boursier ces tous derniers mois. Le ralentissement s'explique par plusieurs raisons :
- l'existence d'une véritable crise de confiance telle que les acteurs du marché se sont trouvés paralysés ;
- un problème évident de financement ;
- des acheteurs hésitants en raison de la volatilité des cours de bourse ;
- et la disparition de certains acteurs du secteur qui le dynamisaient jusqu'alors, notamment des fonds qui jouaient un rôle important, alors que les opérations désormais réalisées le sont plutôt par des industriels.

Matthieu Pigasse confirme que la difficulté principale à laquelle ont été confrontés les acteurs du marché dans l'exécution des transactions est, de toute évidence, l'attribution d'une valeur à la cible, ceci en raison, tout d'abord, de l'incapacité à établir un véritable business plan due aux incertitudes économiques, ensuite, de la perte de tout repère due, elle-même, à la volatilité des cours de bourse affectant leur crédibilité et à l'absence de transaction qui provoque la disparition de tout référentiel, enfin de l'absence de financement.

Approuvant sur ce point les dires d'Antoine Bonnasse, Mathieu Pigasse relève également que les opérations réalisées se caractérisent essentiellement par la faiblesse de leur montant (la plupart des opérations réalisées sont inférieures à 100 millions d'euros), l'effondrement du private equity (le nombre d'opérations de private equity a baissé de 75 % au premier semestre 2009 par rapport au premier semestre 2008 et de 97 % par rapport à 2007 qui était l'année record dans ce domaine), le rôle majeur joué par les pouvoirs publics et un nombre important d'opérations réalisées dans le domaine de la finance (représentant 2/3 des opérations en Europe.

S'agissant des modalités de réalisation des opérations, pour Hubert de Vauplane, directeur juridique et compliance, Crédit Agricole SA, plusieurs tendances doivent être mises en exergue :
- il s'est souvent agi d'opérations de sauvetage, lesquelles ont été faites dans l'urgence affectant de ce fait la manière dont elles ont été réalisées ;
- les fusions-acquisitions "plus classiques" ont été affectées par l'incertitude de financement et le marché a vu accroître considérablement le nombre d'opérations réalisées en nature ;
- et des techniques de recapitalisation inédites sont apparues.

Pour Antoine Bonnasse, approuvé par les autres conférenciers, la réalisation des opérations de sauvetage a exigé l'urgence, laquelle s'est traduite par une "mise entre parenthèses" de la règle de droit. En effet, le droit a su s'adapter à la situation puisque l'on a assisté à un véritable allègement des formalités dans un domaine où traditionnellement celles-ci sont plutôt pléthoriques. En témoigne le recours à une documentation sommaire voire inexistante ou encore l'allègement considérable des conditions suspensives.
Néanmoins, le formalisme a cela de bon qu'il sécurise l'opération et l'allègement observé risque donc d'entraîner un certain contentieux.

D'ailleurs, Hubert de Vauplane va même jusqu'à parler, dans certaines circonstances, de la suspension de la règle de droit, laquelle sera traitée de manière totalement différente avant la crise et pendant la crise. Cela a, par exemple, été le cas dans le rachat de Fortis par BNP-Paribas, opération très rapide pour laquelle la consultation des institutions représentatives du personnel n'a pris que quelques jours alors que pour une opération de taille équivalente, dans le cadre de la fusions GDF/Suez la consultation des IRP aura pris plus d'un an !

Il ne faut pas pour autant penser, comme le soulève Antoine Bonnasse, que ces opérations se réalisent au détriment de la règle de droit, laquelle finalement "reprend ses droits", pour citer ses propos, dans le cadre de leurs mises en oeuvre. Tel est le cas des opérations "Fortis" et "Dexia" qui ont été décidées en quelques jours mais dont la mise en oeuvre a pris plusieurs mois.

Olivier Puech, avocat associé, Gide Loyrette Nouel, spécialiste du droit des entreprises en difficulté et intervenant à ce titre, rappelle seulement que les praticiens de la matière ne participent pas à ces opérations de sauvetage parce que, d'une part, le contrôle des risques dans ce domaine ne s'effectue pas avec leurs outils et, d'autre part, ces opérations s'effectuent à un tel niveau, souvent celui de l'Etat, qu'ils ne sont pas consultés.

S'agissant du droit de la concurrence, Frédéric Jenny, conseiller à la Cour de cassation et professeur à l'ESSEC, estime, pour sa part, qu'il y a eu, à l'instar des règles du droit des sociétés, une adaptation plutôt intelligente des dispositions applicables en matière d'aides d'Etat et de contrôle des concentrations. Toutefois, les objectifs du droit de la concurrence n'ont pas été changés, c'est sa mise en oeuvre qui a su évoluer.
Ainsi, en matière de concentration, la crise a eu deux effets principaux :
- un effet macro-économique, puisque la rareté des capitaux a entraîné une diminution corrélative des potentiels concurrents étrangers ;
- et une baisse de l'activité et donc du nombre d'acquéreurs potentiels qui a eu pour répercussion de modifier les conditions d'acceptation des opérations par les Autorités de la concurrence qui ont plutôt soumis leur acceptation au respect de conditions de comportement qu'à celui de conditions structurelles.

En matière d'aides d'Etat, depuis la faillite de Lehman Brothers, la Commission semble plus souple. On rappellera que, pour que les aides étatiques ne constituent pas des aides illégales, il faut qu'elles soient approuvées par la Commission avant d'être accordées. La seule exception à l'obligation de notification est constituée par les aides qui tombent dans le champ d'application des règlements d'exemption ; ce qui n'est pas le cas pour les interventions envisagées par les Etats membres pour faire face à la crise financière. La procédure de notification peut prendre plusieurs mois, surtout lorsqu'aucune règle communautaire n'encadre l'intervention étatique en obligeant la Commission à réaliser une appréciation ad hoc. Ainsi, la Commission a établi des critères applicables à tous les Etats membres et s'est engagée à traiter rapidement les notifications par une adoption d'une décision dans les 24 heures de la réception d'une notification complète.

Surtout, la Commission a accepté un plus grand nombre d'aides d'Etat en se fondant sur l'article 87 § 3, b) du Traité UE , texte qui avait été plutôt mis jusque là entre parenthèses. Aux termes de celui-ci, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun, "les aides destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un Etat membre". En outre, des obligations spécifiques peuvent être imposées par la Commission comme conditions à l'autorisation de l'aide. En effet, cette dernière va donner des injonctions comportementales ou structurelles aux sociétés ayant bénéficié d'une aide d'Etat.
Ainsi en a-t-il été de l'aide octroyée par le Gouvernement allemand au bénéfice de la banque Commerzbank AG que la Commission européenne a validé sous condition que cette banque procède à des cessions pour diminuer sa taille et qu'elle ne se porte pas acquéreur dans le domaine financier jusqu'en 2012. Des conditions similaires ont été imposées à Fortis : cessions de certains actifs et interdiction de se porter acquéreur sur les marchés luxembourgeois et belge.
L'objectif final de la Commission est, pour Frédéric Jenny, de profiter de la situation de crise et des demandes de validation des aides d'Etat qui lui sont soumises pour procéder à une restructuration du secteur bancaire et financier afin de revenir à un état sain.

Réagissant sur ces propos, Mathieu Pigasse estime que finalement, de la crise économique et financière, les institutions européennes auront au moins tiré une leçon puisque l'on semble se diriger vers une sortie du cadre doctrinal classique du droit de la concurrence et des aides d'Etat qui, pour simplifier, se matérialisait par une protection exagérée du consommateur au détriment des Etats. Et de citer, au soutien de son propos, les exemples topiques que sont le "sacrifice" du Crédit Lyonnais dans les années quatre-vingt-dix ou le refus de la Commission de la fusion Schneider/Legrand au nom d'un raisonnement au détriment des bienfaits de l'industrie française et européenne. Peut-être la Commission européenne a-t-elle pris conscience qu'il convient dans ces opérations de prendre en compte l'emploi et l'efficacité économique.

Si Hubert de Vauplane est d'accord avec ces principes, il relève, toutefois, qu'à trop s'écarter de la règle de droit, celle-ci, dans certaines circonstances, n'a pas été du tout appliquée, et ce, cette fois, au détriment de la concurrence. Ainsi, en a-t-il été, selon lui, de certaines banques anglaises et néerlandaises qui ont bénéficié d'aides d'Etat et ont continué une politique agressive sur nos marchés, alors qu'il aurait été nécessaire de leur imposer un démantèlement et que la Commission européenne n'a réagi que très tardivement.

Selon les termes d'Antoine Bonnasse, on est passé du "deal maker" au "deal breaker". Alors parmi les raisons de ne pas conclure une affaire surgit inexorablement celle du financement. Et, la chute vertigineuse des "deals", et notamment des opérations de fusions-acquisitions, est en grande partie due à l'absence de financement résultant de la crise financière de septembre 2008. Ainsi, aujourd'hui, afin de limiter les risques potentiels, le financement d'une opération est porté par beaucoup plus de banques que dans la période précédant la crise. Alors qu'avant la faillite de Lehman Brothers, une seule banque intervenait en temps que chef d'un pool bancaire puis syndiquait la dette auprès d'autres banques, aujourd'hui les opérations nécessitent la mise en place d'un véritable club deal, avec parfois même la présence de la quasi-totalité des banques de la Place parisienne, pour porter le financement d'une opération. En découle donc inéluctablement des problèmes pour les M&A, notamment en termes de confidentialité des opérations.

Ces problèmes de financement ont modifié les modalités de réalisation des opérations de fusions-acquisitions. Ainsi, Hubert de Vauplane relève-t-il une disparition des offres publiques, aucune banque ne souhaitant ici apporter sa garantie financière. Pour autant, comme l'expose Antoine Bonnasse, les opérations en titres, même si elles n'exigent pas de financement, restent également risquées car même si la parité des titres est bonne, elles sont soumises à la grande volatilité des cours de bourse et le vendeur, qui risque de payer trop cher, comme l'acquéreur, qui risque de céder pour un prix trop faible, se trouvent nécessairement dans l'incertitude.
Surtout, note Hubert de Vauplane, la crise a créé une véritable rupture qui se manifeste par une inversion dans le rapport des forces, l'acheteur pouvant davantage imposer sa volonté. Alors cela se manifeste par un retour des "MAC clause" (MAC pour material adverse change, qui permettent à un acquéreur potentiel de réduire le montant de son offre ou de l'annuler, en prouvant qu'un changement majeur a eu lieu avec, à la clé, un impact matériel sur la valeur de sa cible), sur 500 opérations d'acquisitions en Europe ces clauses étant présentes dans 21 % des deals au premier semestre 2009, contre 14 % à la même période en 2008 ; un retour des clauses d'earn out (stipulation prévoyant que l'acquéreur d'une entreprise verse au cédant de celle-ci un complément de prix en fonction des performances opérationnelles futures de la société cédée) ; une négociation à la baisse du prix des titres pour un paiement immédiat en numéraire ; des plafonds de garantie élevés ; et des garanties de passif plus longues (31 % des "GAP" sont aujourd'hui sur plus de 24 mois).

La fin de la bulle "LBO" est, comme le confirme Antoine Bonnasse, l'apparition de négociations plus équilibrées avec les banques au bénéfice de l'émetteur.

En matière de restructuration des entreprises, si le droit des entreprises en difficulté n'est pas intervenu dans les opérations de sauvetage, il n'en demeure pas moins que la crise a des conséquences importantes en la matière.
Olivier Puech rappelle, toutefois, que, pour les praticiens de la matière, la crise remonte plutôt à la fin du premier semestre de l'année 2007 même si, bien sûr, les difficultés des entreprises ont explosé après le mois de septembre 2008. En tout état de cause, depuis la grande crise de l'immobilier du milieu des années quatre-vingt-dix, la pratique a tendance à privilégier les actions préventives pour éviter les traumatismes commerciaux et sociaux. On assiste, ainsi aujourd'hui, à un renforcement de cette tendance qui se manifeste notamment, par la multiplication des mandats ad hoc et des procédures de conciliation, largement utilisées depuis 1993-1994, avec, note l'intervenant, de très bon résultats.

La crise actuelle, a dans le même état d'esprit, pour effet de propulser en avant la nouvelle procédure de sauvegarde (instituée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT et réformée par l'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficultés N° Lexbase : L2777ICT), qui s'est, désormais, totalement installée dans "la boîte à outils" du traitement des entreprises en difficulté. Comme le relève Olivier Puech, ce succès n'était pas garanti car cette procédure est en quelque sorte en désaccord avec l'état d'esprit des chefs d'entreprises qui souhaitent retarder au maximum les publicités relatives aux difficultés de leurs entreprises. La sauvegarde a donc su trouver sa place et n'est pas assimilée à l'antichambre d'une procédure de faillite.

Enfin, en guise de conclusion, Matthieu Pigasse attire l'attention sur l'évolution de la "géo-localisation" des opérations de fusions-acquisitions. Il estime que trois périodes se sont succédées :
- d'abord, des opérations essentiellement entre "pays du Nord" ;
- ensuite des opérations "Nord/Sud" et "Sud/Nord" (ex. : Tata/Jaguar et Arcelor/Mittal)
- enfin, aujourd'hui on voit de plus en plus d'opérations "Sud/Sud" se réaliser, montrant, s'il est nécessaire, l'émergence des pays en voie de développement dans la réalisation des deals.

Or, l'intervention des BRICO (Brésil, Russie, Inde, Chine et autres -pour others-) dans les opérations d'acquisition s'effectue par le biais soit de leurs entreprises, soit des fonds souverains. Ces fonds souvent financés par les excédents des balances commerciales apparaissent comme les véritables "bras armés" de ces Etats. D'ailleurs, Matthieu Pigasse relève qu'aujourd'hui ces fonds souverains souhaitent de plus en plus être associés à la gouvernance des entreprises et accroissent leurs participations démontrant par là même une stratégie offensive de leur part, quand ils se contentaient auparavant d'acquérir du capital uniquement dans un but financier. Aujourd'hui, ces fonds souverains détiennent entre 3 et 5 % en moyenne des sociétés dans lesquelles ils investissent. La montée en puissance de ces investisseurs, parfois dans des sociétés représentant un intérêt stratégique, impose, selon l'intervenant, de prendre des dispositions visant à protéger ces sociétés, notamment, sous la forme de Golden Shares ("action en or" qui permettent à celui qui les détient, souvent un Etat, de conserver un droit de veto sur l'ensemble du capital d'une société dans certaines circonstances spécifiques).

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