La lettre juridique n°367 du 15 octobre 2009 : Droit financier

[Evénement] Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ? - Vers une nouvelle réglementation bancaire et financière

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N0903BME

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[Evénement] Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ? - Vers une nouvelle réglementation bancaire et financière. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212038-evenement-crise-financiere-un-an-apres-le-droit-peutil-retablir-la-confiance-vers-une-nouvelle-regle
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

La crise économique que traverse la plupart des pays a été au centre des préoccupations de l'année écoulée et a eu un impact considérable sur l'activité juridique. Aussi, lorsque l'Association française des juristes d'affaires (AFJE) a dû déterminer le thème de son colloque annuel, organisé cette année en partenariat avec le cabinet d'avocats Gide Loyrette Nouel et le Centre européen de droit et d'économie (CEDE) de l'ESSEC, sans doute la nécessité d'établir un premier bilan et d'évaluer certaines pistes pour sortir intelligemment de cette situation s'est-elle imposée. C'est donc devant un parterre de professionnels du droit que les intervenants ont, le 30 septembre 2009, pu exposer leurs réflexions afin de répondre à la question, fil rouge de la journée : "Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ?". Lexbase Hebdo - édition privée générale a assisté à cette conférence, axée sur deux principaux thèmes, "impacts et opportunités de la crise" (lire N° Lexbase : N0901BMC) et "vers une nouvelle régulation du système bancaire". Au lendemain de la crise, tous ont pris conscience de l'impérieuse nécessité de mieux réguler les places financières. Un consensus global s'est rapidement formé sur la scène internationale pour une meilleure supervision des marchés et de leurs acteurs (mieux adaptée, en termes de qualité, de cohérence, de contrôle des risques...). S'est posée, alors, une question cruciale : celle du bon niveau de supervision. Pour les intervenants de la seconde partie du colloque, intitulée "Vers une nouvelle réglementation bancaire et financière", indéniablement, les structures de supervision doivent s'adapter à la mondialisation, impliquant que la réglementation nationale ne soit qu'une pierre de l'édifice, dont la charnière est l'Europe. Autour de trois tables rondes : l'architecture et le niveau de supervision des marchés (I), la diversité des métiers et des risques de conflits d'intérêts concernant les banques et les compagnies d'assurance (II) et le contenu de la réglementation qui permettrait de restaurer la confiance (III), chacun s'est interrogé sur la nature de la régulation à mettre en place aux plans interne, international et européen. L'occasion a été, également, donnée de dresser l'état des lieux et le calendrier des réformes initiées depuis la crise.

I - Architecture et niveau de supervision des marchés

Sur le plan interne, la protection de l'épargne est confiée à l'AMF. Celle-ci a, dans ce cadre, une mission essentielle de veille et de surveillance des marchés et des acteurs financiers, qui conditionne le contrôle, la réglementation et la prévention.

Pour mener à bien cette mission, l'Autorité se doit d'être informée au mieux. A cette fin, elle procède, notamment, à une analyse globale des données des tendances sur les marchés financiers, tout comme le font les institutions communautaires et internationales. Mais, la possibilité d'adopter une approche horizontale, transversale, de l'épargne (en tant que produits d'assurance, titres financiers et de gestion collective, produits bancaires etc.) est, selon Thierry Francq, Secrétaire général de l'AMF, tout autant impérieuse. La réforme voulue par le ministère des Finances a, pour sa part, pour objectif d'assurer une supervision unique de l'ensemble du processus de production et de commercialisation des produits financiers destinés aux épargnants et aux investisseurs. Enfin, l'importance du mécanisme de coopération intégrée entre l'AMF et les autorités prudentielles ne doit pas être négligée. Il faut, en effet, toujours garder à l'esprit qu'au bout du compte, les investisseurs sont des personnes physiques, dont la protection doit être assurée par un dispositif efficace de commercialisation de l'épargne. Le degré d'intégration de coopération est donc élevé, permettant une prise de conscience de la part des acteurs financiers de l'impossibilité, pour eux, de céder des risques dans n'importe quelles conditions.

Sur le plan international, pour que la régulation soit efficace, il faut que la réglementation nationale soit la plus simple et la plus ramassée possible. Il ne faut pas perdre de vue que la législation interne a vocation à s'imbriquer dans un contexte mondial, dans lequel l'Europe a le premier rôle, puisque c'est à ce niveau que sont décidées les réglementations. La fusion des autorités bancaires et d'assurances s'inscrit dans cette philosophie. L'objectif affiché de ce rapprochement était de concevoir un système institutionnel en France suffisamment simple pour participer à la construction d'un système européen et international.

Sur le plan communautaire, Emil Paulis, Directeur Général Marché intérieur et Services de la Commission européenne a présenté le paquet législatif sur la supervision en matière bancaire et financière adopté par la Commission fin septembre 2009, qui constitue un pas très important dans la mise en oeuvre du programme de réforme préconisé par le rapport "Larosière" du 4 mars 2009. Le dispositif s'inscrit dans la volonté de créer de nouveaux modèles de gouvernance, rendus nécessaires par l'intégration de la supervision des marchés intégrés au niveau européen. Ce paquet propose un plan de réforme globale en trois étapes :
- la réforme et le renforcement des règles matérielles (applicables aux banques, aux assurances etc.) et leur extension à des domaines non couverts par le contrôle, la Commission étant favorable en matière de gouvernance à une supervision qui intégrerait le micro-prudentiel et le macro-prudentiel ;
- une intervention préventive en vue d'améliorer le sauvetage des entreprises ;
- une responsabilité financière des Etats renforcée.

Les nouveaux modes de gouvernance commandent de fonctionner en réseaux, un maximum de règles devant être communes (ce qui ne signifie pas nécessairement que la règle soit la même pour tous). Les règlements, qui laissent peu de manoeuvre aux Etats membres, seront préférés aux Directives. La mise en oeuvre des règles sera, en outre, renforcée au niveau le plus efficace (le principe de subsidiarité jouant, alors, dans les deux sens) : au plan national, au plus près des opérateurs, et au plan européen, pour les agences de notation.

La Commission recommande la création, au niveau communautaire, de trois autorités micro-prudentielles -l'une bancaire, l'autre en matière d'assurances et la dernière destinée au marchés-, d'un joint committee en charge de leur coordination et d'une autorité macro-prudentielle. Chacune des autorités communautaires micro-prudentielles aurait une personnalité juridique propre et ses décisions, normes supérieures aux normes internes, produiraient tous leurs effets sur l'ensemble du territoire de la Communauté. Les autorités disposeraient de trois pouvoirs :
- la participation à l'établissement de règles communes, via le développement des standards techniques, qui devront être contraignants, ces standards devant être entérinés tels quels par la Commission, sauf si l'intérêt communautaire l'exige ;
- la contribution à une application uniforme et cohérente du droit communautaire (en vue de résoudre les conflits, elles prendraient des décisions rapides, dont l'application s'imposerait aux autorités nationales en cas de résistance de leur part et susceptibles d'un recours devant les juridictions nationales et, le cas échéant, devant la Cour de justice des Communautés européennes) ;
- et la supervision directe des les agences de notation.

L'indépendance des autorités communautaires serait renforcée par le recours à un budget mixte : 40 % du financement proviendrait d'une enveloppe communautaire et 60 % d'une enveloppe des Etats.

II - Banque et assurance : diversité des métiers et risques de conflits d'intérêts

Arnaud Richard, Directeur juridique de Boursorama a exposé le corpus juridique régissant les conflits d'intérêts. Les obligations à la charge du prestataire de services d'investissement (PSI) sont fixées aux articles L. 533-10 (N° Lexbase : L3084HZA) et L. 533-11 (N° Lexbase : L3085HZB) du Code monétaire et financier. Il doit prendre "toutes les mesures raisonnables pour empêcher les conflits d'intérêts de porter atteinte aux intérêts de leurs clients [...]. Lorsque ces mesures ne suffisent pas à garantir, avec une certitude raisonnable, que le risque de porter atteinte aux intérêts des clients sera évité, [il] informe clairement ceux-ci, avant d'agir en leur nom, de la nature générale ou de la source de ces conflits d'intérêts".

Le texte, relayé par l'article 313-18 du règlement général de l'AMF (N° Lexbase : L9971ICE), identifie les personnes susceptibles d'être concernées par le conflit : "d'une part, les prestataires eux-mêmes, les personnes placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte ou toute autre personne directement ou indirectement liée à eux par une relation de contrôle et, d'autre part, leurs clients, ou bien entre deux clients, lors de la fourniture de tout service d'investissement ou de tout service connexe ou d'une combinaison de ces services". Cinq cas non limitatifs de conflits d'intérêts sont prévus à l'article 313-19 du règlement général de l'AMF, dans lesquels le PSI réalise un gain ou une perte aux dépens de son client (1).

Enfin, une obligation plus générale est posée à l'article L. 533-11 du Code monétaire et financier : "lorsqu'ils fournissent des services d'investissement et des services connexes à des clients, les [PSI] agissent d'une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients".

Arnaud Richard indique qu'en pratique, les conflits d'intérêts pourront être évités grâce à la séparation des entités juridiques, celle des métiers et la séparation hiérarchique, et décisionnelle. Les obligations d'information à la charge des producteurs et des distributeurs d'OPCVM tendent, également, à cette fin : dans la relation producteur/distributeur d'OPCVM, il existe une obligation d'information à la charge du premier, pour permettre au second de la répercuter. Dans la relation distributeur/client, celui-ci bénéficie d'une information exhaustive sur le produit dont l'achat est envisagé. Préalablement à l'acquisition, le distributeur doit, en outre, procéder à des évaluations lui permettant de déterminer le profil de son client.

Xavier de Kergommeaux et Jean-Guillaume de Tocqueville d'Hérouville, avocats associé, Gyde Loyrette Nouel se sont penchés sur les conflits d'intérêts à l'origine des dérives du système. Le premier a rappelé les nombreuses casquettes de la banque dans les opérations de titrisation (originateur, arrangeur et structureur des opérations, distributeur et souscripteur/vendeur des titres) et la complexité des structurations, empêchant une évaluation correcte des risques. Les banques se sont fiées aveuglement aux avis des agences de notation, quand elles n'auraient certainement pas directement consenti à une telle prise de risque.

Jean-Guillaume de Tocqueville d'Hérouville est revenu sur l'affaire "Madoff". Selon lui, les deux raisons essentielles expliquant que les actes (pyramide de Ponzi) d'un seul homme aient pu avoir de telles répercutions mondiales sont : le défaut de supervision et une mauvaise gestion des conflits d'intérêts. Ainsi, aucun conflit d'intérêts n'a été traité entre les différents métiers que Bernard Madoff exerçait (booker, gestionnaire, dépositaire et commercialisateur). Ils étaient pourtant nombreux. Ils tenaient :
- à la structure puisque l'activité de booker de Bernard Madoff servait à vendre l'activité de gestion occulte ;
- aux activités de gestion et de dépositaire puisque aucun contrôle quant à l'existence et au contenu des actifs n'a été effectué ;
- au manque d'indépendance de la structure, son commissaire aux comptes étant un membre de sa famille ;
- et à la présence des feeders funds (les fonds rabatteurs).

Cette affaire a révélé de nombreuses carences de supervision de la SEC, auprès de laquelle l'activité de gestion de Bernard Madoff n'a jamais été enregistrée (il disait ne compter que quinze clients, quand il gérait les clients des fonds rabatteurs) et qui a ignoré un rapport lui ayant été adressé, dénonçant l'escroquerie. Enfin, les manquements répréhensibles des fonds rabatteurs (off shore) dont profitait Bernard Madoff n'ont pas été détectés par le régulateur. Notamment, ces fonds rabatteurs se présentaient dans les prospectus destinés aux clients comme gérant eux-mêmes les fonds et ne respectaient pas les ratios de participation.

III - Quelle réglementation pour restaurer la confiance ?

Guillaume Chabert, Chef de bureau Multifin 4, en charge du système financier international et de la préparation des sommets internationaux G7, G8 et G20 partage l'avis selon lequel le droit doit être utilisé comme vecteur de confiance, permettant de traiter la crise et de préparer la période qui lui succédera.

Il a dressé un panorama des événements internationaux de ces douze derniers mois. Face à l'aggravation spectaculaire de la crise en septembre 2008, la priorité du G7 tenu en octobre 2008 a été de sauver en urgence les institutions. La réponse a, progressivement, glissé vers la réglementation : à la mobilisation connue au sommet du G20 tenu à Washington en novembre 2008, se sont substituées les décisions opérationnelles du sommet du G20 tenu à Londres en avril 2009, puis la récente consolidation des institutions consentie lors du sommet de Pittsburgh, en septembre 2009.

A été dégagée, lors du sommet de Londres, la nécessité d'une réglementation appropriée des hedge funds et des paradis fiscaux, un renforcement des règles prudentielles et comptables et un encadrement juridique des rémunérations (point abouti, par la suite, à Pittsburgh). La réglementation décidée se compose de trois volets interdépendants :
- un plan de relance massif via une politique monétaire volontariste ;
- l'octroi au FMI de ressources trois fois supérieures à celles dont il disposait jusqu'alors ;
- et l'allocation à celui-ci de droits de tirage spéciaux.

Le sommet de Pittsburgh a, ensuite, été l'occasion de consolider les institutions. Le G20 remplace, désormais le G8, afin d'associer les pays émergents. Il a, en outre, été décidé de créer une Norme mondiale (évoquée lors du sommet de l'Aquila), visant à l'émergence d'une régulation commune pour garantir la légitimité, l'intégrité et la transparence des activités commerciales et financières internationales. Les pouvoirs du Forum de stabilité financière (FSB) ont été renforcés dans ce cadre, le plaçant comme possible embryon d'un normalisateur mondial, puisque celui-ci est indispensable aujourd'hui.

Selon Edouard Fernandez-Bollo, secrétaire général adjoint, Commission bancaire, la crise trouve son origine dans un relâchement des normes applicables aux distributeurs de crédit, dans l'explosion du marché secondaire et des risques de crédits titrisés et dans la concentration de risques forts par des établissements non régulés (AIG, Lehmann Brothers). Ceci a eu pour conséquence de raréfier les prêts inter-bancaires, créant une crise des liquidités sans précédent. Sur le plan de la régulation, il faut des instruments permettant de détecter, en amont, l'émergence des risques systémiques. La surveillance macro-prudentielle en fait partie. Les règles prudentielles des autorités non régulées doivent être renforcées pour remédier aux problèmes de sous-estimation du risque de crédit. La crise a, également, suscité un retour à des exigences de fonds propres beaucoup plus fortes : le capital en garanti du risque doit être qualitatif -actions assorties du droit de vote- et quantitatif -pondération du risque de crédit par rapport au risque de marché-. Elle a favorisé, enfin, l'introduction de normes internationales en matière de liquidités.

Pour finir, Jean-Paul Gauzès, député européen est venu rappeler le rôle précurseur de l'Europe. La Communauté a prôné, dès l'origine, une régulation et a su anticiper les engagements internationaux (notamment, concernant la réglementation sur les hedge funds).

Le second thème du colloque s'est conclu sur une citation, rappelée par Hubert de Vauplane, directeur juridique et compliance, Crédit Agricole SA :"les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ne voient la nécessité que dans la crise" (Jean Monnet).


(1) Les cinq cas non limitatifs de conflits d'intérêts sont prévus à l'article 313-19 du règlement général de l'AMF sont les suivants :
"1° Le prestataire ou cette personne est susceptible de réaliser un gain financier ou d'éviter une perte financière aux dépens du client ;
2° Le prestataire ou cette personne a un intérêt au résultat d'un service fourni au client ou d'une transaction réalisée pour le compte de celui-ci qui est différent de l'intérêt du client au résultat ;
3° Le prestataire ou cette personne est incité, pour des raisons financières ou autres, à privilégier les intérêts d'un autre client ou d'un groupe de clients par rapport aux intérêts du client auquel le service est fourni ;
4° Le prestataire ou cette personne exerce la même activité professionnelle que le client ;
5° Le prestataire ou cette personne reçoit ou recevra d'une personne autre que le client un avantage en relation avec le service fourni au client, sous quelque forme que ce soit, autre que la commission ou les frais normalement facturés pour ce service
".

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