La lettre juridique n°367 du 15 octobre 2009 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] La régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable de l'employeur de ses obligations en matière de GPEC

Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2009, n° 07-20.525, Comité central d'entreprise de la Serca c/ Société Serca, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5779ELM)

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[Jurisprudence] La régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable de l'employeur de ses obligations en matière de GPEC. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212031-jurisprudence-la-regularite-de-la-consultation-du-comite-dentreprise-sur-un-projet-de-licenciement-e
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010



L'arrêt rendu le 30 septembre 2009 revêt une importance capitale en ce qu'il vient trancher la question de l'articulation de l'obligation triennale de négocier sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) et de la consultation d'un comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "la régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable, par l'employeur, de l'obligation de consulter le comité d'entreprise sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications, prévue par l'article L. 2323-56 du Code du travail (N° Lexbase : L1881IEE), ni de celle d'engager, tous les trois ans, une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, imposée par l'article L. 2242-15 du même code (N° Lexbase : L2393H9I)". Cette solution, qui doit être entièrement approuvée, met définitivement un terme à une jurisprudence pour le moins critiquable de certaines juridictions du fond.
Résumé

La régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable, par l'employeur, de l'obligation de consulter le comité d'entreprise sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications, prévue par l'article L. 2323-56 du Code du travail, ni de celle d'engager, tous les trois ans, une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, imposée par l'article L. 2242-15 du même code.

Aucun quorum n'étant fixé pour l'adoption d'une résolution, d'une décision ou d'un avis du comité d'entreprise, la délibération prise par un seul des membres du comité à la suite du départ des autres membres est régulière.

I - Régularité de la consultation du comité d'entreprise en l'absence de négociation relative à la GPEC

  • L'affaire

Lorsque, dans une entreprise employant plus de cinquante salariés, l'employeur envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de dix salariés ou plus, il se doit de mettre en branle la procédure d'information/consultation du comité d'entreprise prévue aux articles L. 1233-28 (N° Lexbase : L1158H9R) et suivants du Code du travail. En outre, dès lors que ces licenciements découlent d'une opération de restructuration, ce même employeur doit mener une autre consultation au titre de l'article L. 2323-15 du même code (N° Lexbase : L2761H97). Précédent normalement la première, cette dernière peut, toutefois, être menée concomitamment avec elle (C. trav., art. L. 1233-30, al. 2 N° Lexbase : L1163H9X) (1).

Ces obligations avaient, semble-t-il, été respectées dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt rapporté. En l'espèce, une société envisageant de fermer l'un de ses établissements qui employait cinquante-six salariés avait saisi son comité central d'entreprise d'un projet de licenciement pour motif économique de vingt-six personnes. Ce dernier avait, cependant, saisi le juge des référés d'une demande de suspension de la procédure de licenciement et de reprise de la procédure de consultation depuis son origine en alléguant diverses irrégularités. Débouté en appel, le comité central d'entreprise a formé un pourvoi en cassation, reprochant principalement à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré que les consultations annuelle et triennale prévues par les articles L. 2323-56 et L. 2242-15 du Code du travail sont indépendantes de la consultation obligatoire dans le cadre d'une procédure de licenciement collectif et de l'avoir débouté de sa demande de suspension de la procédure d'information/consultation. A l'appui de son pourvoi la partie demanderesse arguait simplement que la procédure d'information et de consultation du comité central d'entreprise au titre du livre IV et III du Code du travail doit être suspendue tant que l'employeur n'a pas respecté ses obligations d'information et de consultation au titre de l'article L. 432-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6401AC3) et de négociation sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences au titre de l'article L. 320-2 du Code du travail (N° Lexbase : L4207HWQ) (2).

Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation qui affirme que "la cour d'appel a exactement décidé que la régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable, par l'employeur, de l'obligation de consulter le comité d'entreprise sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications, prévue par l'article L. 2323-56 du Code du travail, ni de celle d'engager, tous les trois ans, une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, imposée par l'article L. 2242-15 du même code".

  • Une solution attendue et justifiée

La solution retenue par la Cour de cassation doit être pleinement approuvée. Nous l'avions, d'ailleurs, appelée de nos voeux dans ces mêmes colonnes, à la suite d'autres auteurs (3).

La question qui était au coeur de l'arrêt rapporté, et qui avait antérieurement fait couler beaucoup d'encre, peut être, ainsi, résumée : le non-respect par l'employeur des obligations prescrites par les articles L. 2323-56 et L. 2242-15 du Code du travail rend-elle irrégulière la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique (4) ?

S'agissant tout d'abord de l'article L. 2323-56, et pour aller à l'essentiel, il impose à l'employeur d'informer et de consulter annuellement le comité d'entreprise sur l'emploi dans l'entreprise (5). Ainsi que nous l'avions relevé (6), on ne voit pas en quoi le non-respect par l'employeur de cette obligation entacherait d'une quelconque irrégularité la consultation du comité sur un projet de licenciement économique. Il n'existe aucun lien entre ces deux procédures d'information/consultation, d'autant plus que la première visée est détachée de tout projet de l'employeur.

Cette même argumentation doit valoir pour l'obligation faite à l'employeur par l'article L. 2242-15 d'engager tous les trois ans une négociation portant sur la GPEC. Là encore, le législateur n'a établi aucun lien entre cette obligation de négocier et la mise en oeuvre d'une procédure d'information/consultation sur un projet de licenciements économiques. Partant, ce serait solliciter à l'excès les textes que d'affirmer que cette procédure doit être suspendue tant que l'obligation de mener cette négociation n'a pas été respectée. En outre, on ne voit pas bien quel serait l'intérêt pratique d'imposer une telle négociation sur la GPEC alors qu'un projet de licenciements économiques a, d'ores et déjà, été arrêté.

Cela étant, il n'en reste pas moins contestable qu'un employeur envisage de procéder à des licenciements économiques sans avoir préalablement envisagé une GPEC de nature à atténuer les conséquences sociales d'une restructuration. Mais la sanction de la méconnaissance de la loi doit être recherchée ailleurs que dans la suspension de la procédure d'information/consultation du comité d'entreprise et dans l'obligation de mener la négociation de la GPEC à un moment où il y a peu de chances qu'elle produise des effets salutaires pour les salariés (7). La défaillance de l'employeur en la matière devrait, notamment, avoir des conséquences sur le caractère justifié des licenciements prononcés. Il est, à cet égard, important de souligner que, dans l'arrêt sous examen, la Cour de cassation s'en tient expressément et uniquement à la seule régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique et ne se prononce donc pas sur la régularité des licenciements eux-mêmes.

Pour toutes ces raisons la solution retenue par la Cour de cassation doit être approuvée et vient mettre un terme à certaines décisions critiquables de cours d'appel (8).

II - Régularité de la consultation du comité sur la procédure de licenciement économique

  • L'exigence d'une information complète et loyale

A l'évidence, il ne peut y avoir de véritable consultation du comité d'entreprise sur un projet donné sans que celui-ci ait préalablement reçu des informations sur celui-ci de la part de l'employeur. L'article L. 2323-4 ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme que "pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur [...]".

Ce texte lie clairement l'information à l'objet de la consultation et, plus précisément, au projet de décision de l'employeur (9). Eu égard à celui-ci, et ainsi que le souligne la Chambre sociale dans l'arrêt rapporté, l'information doit être complète et loyale. Il faut comprendre que l'information doit permettre au comité de mesurer tous les tenants et aboutissants de la mesure envisagée par l'employeur. Appliquée aux faits de l'espèce, cela signifiait que le comité central d'entreprise devait disposer des renseignements suffisants pour se forger une opinion sur le choix de l'employeur de supprimer le centre d'Annecy plutôt que de le déplacer et qu'il avait, de ce fait, été mis à même de discuter utilement les éléments économiques du choix de l'employeur. Pour la Cour de cassation, comme avant elle la cour d'appel de Lyon, tel avait été le cas en l'espèce.

Par voie de conséquence, dès lors que l'information avait été complète et loyale, il importait peu que l'employeur n'ait pas respecté son obligation d'information/consultation au titre de l'article L. 2323-56 ou qu'il n'ait pas négocié la GPEC. Le comité disposait, par ailleurs, de tous les éléments d'information nécessaires (10).

  • L'adoption de l'avis du comité

En application de l'alinéa 1er de l'article L. 2325-18, "les résolutions du comité d'entreprise sont prises à la majorité des membres présents". Ne sont donc pris en compte que les "membres présents" lors de la réunion, à l'exclusion de ceux qui, bien qu'élus au comité, seraient absents.

Si un titulaire est absent, il est normalement remplacé par un suppléant qui devient titulaire et vote à sa place. Mais si aucun suppléant ne le remplace, il ne compte pas pour le calcul de la majorité. Il en est ainsi même si les absents sont plus nombreux que les présents car, ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, la loi n'exige aucun quorum pour l'adoption des résolutions du comité. Ainsi que l'a relevé un auteur, "les membres du comité d'entreprise qui refusent d'assister à une réunion en signe de désaccord et ne sont pas remplacés doivent donc savoir que leur geste facilite l'adoption des résolutions qu'ils désapprouvent" (11).

L'arrêt rapporté illustre la justesse de cette affirmation. En l'espèce, à la suite d'une suspension de séance, les membres du comité d'entreprise ne l'avaient pas poursuivie, à l'exception du représentant de l'encadrement qui avait émis un avis négatif. Le comité d'entreprise soutenait par suite que cet avis n'était pas régulier pour n'avoir été émis que par un seul de ses membres demeurés en séance. Pour les raisons évoqués précédemment cet argument ne pouvait être reçu, pas plus par la cour d'appel que par la Cour de cassation. On ne sera, dès lors, pas surpris que celle-ci affirme, pour rejeter sur ce point le pourvoi du comité central d'entreprise qu'"aucun quorum n'étant fixé pour l'adoption d'une résolution, d'une décision ou d'un avis du comité d'entreprise, la délibération prise par un seul de ces membres du comité à la suite du départ des autres membres est régulière".

Il nous semble surtout important de relever que la Chambre sociale prend soin d'appliquer la solution retenue aux "résolutions, décisions et avis" du comité d'entreprise. Un auteur avait pu soutenir que les décisions du comité doivent être distinguées de ses résolutions : "une décision est un acte juridique susceptible d'annulation judiciaire en cas d'illégalité, tandis que la résolution est une orientation qui [...] ne peut donner lieu à contentieux en l'absence de mesure d'exécution". Partant, ce même auteur avançait qu'"en l'absence de disposition contraire de la loi, la jurisprudence pourrait [...] considérer que ces décisions sont prises également à la majorité des voix exprimés, et non à la majorité des membres présents" (12).

Cette argumentation, qui n'était pas dénuée de pertinence, n'aura pas convaincu la Cour de cassation qui soumet à la majorité des membres présents l'adoption des résolutions, comme des décisions et des avis.


(1) On aura reconnu, ici, ce que l'on appelait "la consultation du comité d'entreprise au titre des livres IV et III du Code du travail", antérieurement à la recodification.
(2) Devenus respectivement les articles L. 2323-56 et L. 2242-15 du Code du travail.
(3) Lire nos obs., GPEC et licenciement pour motif économique : la position de la cour d'appel de Paris, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6192BAL). V. aussi dans le même sens, P.-H. Antonmattéi, GPEC et licenciement pour motif économique : le temps des confusions judiciaires, Dr. soc. 2007, p. 289.
(4) Bien que l'arrêt ne soit pas très clair sur la question, c'est moins la suspension de la procédure d'information/consultation sur le projet de licenciements économiques que demandait le comité central d'entreprise que la suspension de ce projet lui-même.
(5) Information/consultation qui a lieu à l'occasion de la réunion prévue à l'article L. 2323-55 du Code du travail. L'avis du comité doit, notamment, porter sur l'évolution de l'emploi et des qualifications dans l'entreprise au cours de l'année passée, les prévisions annuelles ou pluriannuelles et les actions, en particulier, de prévention et de formation que l'employeur envisage de mettre en oeuvre.
(6) V. notre chron. préc..
(7) Dans une telle configuration l'accord GPEC ne serait, à notre sens, qu'une forme de plan de sauvegarde de l'emploi.
(8) V., notamment, CA Paris, 14ème ch., sect. A, 7 mars 2007, n° 06/17500, Société Nextiraone France c/ Syndicat CGT Ufict du personnel de Nextiraone France (N° Lexbase : A7707DUY). La cour d'appel de Versailles avait, dans une situation comparable, retenu une solution opposée : CA Versailles, 14ème ch., 15 novembre 2006, n° 06/06930, Comité central d'entreprise Yoplait c/ SAS Yoplait France (N° Lexbase : A9971DTH).
(9) Sous réserve de consultation qui ne sont pas liées à un projet de décision, telle celle qui est précisément prévue par l'article L. 2323-56.
(10) Il faut, par ailleurs, relever que quand bien même l'employeur aurait respecté ces obligations, cela ne l'aurait nullement dispensé de donner une information particulière au comité d'entreprise au titre de la procédure de licenciement pour motif économique.
(11) M. Cohen, Le droit des comités d'entreprise et des comités de groupe, 8ème éd., LGDJ, 2005, p. 390.
(12) M. Cohen, ouvrage préc., p. 389.
Décision

Cass. soc., 30 septembre 2009, n° 07-20.525, Comité central d'entreprise de la Serca c/ Société Serca, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5779ELM)

Rejet, CA Lyon, 8ème ch. civ., 9 août 2007

Textes concernés : C. trav., art. L. 1233-30 (N° Lexbase : L1163H9X), L. 2323-56 (N° Lexbase : L1881IEE) et L. 2242-15 (N° Lexbase : L2393H9I)

Mots-clefs : licenciements économiques ; information et consultation du comité d'entreprise ; régularité ; obligation de négocier la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences

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