La lettre juridique n°367 du 15 octobre 2009 : Éditorial

Les collectivités territoriales entre Charybde et Scylla

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Les moments de crise produisent un redoublement de vie chez les hommes" - Chateaubriand

Alain Decaux raconte. Au commencement, Dieu créa le fief (nous invoquons ici le très Haut, parce que la France était quasi théocratique, comme chacun le sait). Et, rien de plus simple pour le seigneur du fief que de lever -déjà- l'impôt pour financer l'investissement des prérogatives régaliennes du fief en question (armée, monnaie, bonnes oeuvres et administration) ; sans compter l'allégeance au suzerain qui comprenait, notamment, le reversement de la taille à son profit. Autant dire que la structure administrative et fiscale française ne date pas d'hier, sauf qu'elle était plutôt d'inspiration fédérale, si le lecteur permet, ainsi, le raccourci. Puis, il y eut la Révolution ! Elle ne changea pas la France en une société sans impôt -loin s'en faut-, mais elle accentua simplement la centralisation administrative sous l'égide jacobine jusqu'à remplacer les fermiers généraux et les gabelous par les inspecteurs des impôts et les agents des douanes dûment assermentés, mais surtout rattachés à des administrations centralisées. Le temps d'harmoniser juridiquement et fiscalement la France, pour une égalité face au service public entre les régions et 1982 annonce la décentralisation, pour "rendre à César ce qui appartient à César" : nous y revoilà ! Avec l'Acte I de la décentralisation, on nous vend la proximité de la gestion administrative de certains services publics (éducation primaire et secondaire en tête, mais aussi l'assistance sociale et la gestion immobilière). Un ensemble de prérogatives dont les collectivités territoriales auraient pu s'enorgueillir, si l'Etat n'avait pas omis de décentraliser, du même coup, le mode principal de perception des ressources nécessaires au financement des ces nouvelles prérogatives, accentuées par l'Acte II de la décentralisation, c'est-à-dire la perception de l'impôt.

En attendant le denier du culte. Et voici nos collectivités territoriales de quémander chaque année le denier étatique ; et l'Etat de ne montrer que peu d'empressement à combler les lignes budgétaires des collectivités, plutôt enclin à gérer, au plus près, sa propre dette -qui comme chacun le sait s'envole dans la stratosphère actuellement-. Qu'à cela ne tienne ! Responsables et autonomes, les collectivités territoriales tentent de trouver de nouvelles sources de financement et de gérer, au mieux, leurs encours de dette... Acteurs économiques de première importance, concourant pour 70 % à l'effort d'investissement national, les banques n'auront eu aucun mal à trouver les produits ad hoc pour allécher ces clients d'un genre particulier : gros consommateurs de crédits et, surtout, d'une solvabilité quasi à toute épreuve ; l'impôt couvrant, au final, les égarements ou les risques liés à ces nouveaux produits, dit structurés.

Produit financier "miracle" ou Gorgone pétrifiante ? Le problème avec les produits complexes ou structurés permettant une minimisation de la dette ou des encours, c'est qu'ils sont bien souvent élaborés en période de confiance, de croissance et de besoin réactif en liquidités. Mais, faîtes que les indices de composition de ces produits se "déstructurent" et la machine se grippe : la minimisation devient maximisation et la responsabilité financière et politique de ces collectivités territoriales arrive en première ligne. Et notre édition publique de publier, cette semaine, les actes d'un colloque organisé le 26 juin 2009 par l'association des élèves et anciens élèves du département D1 de l'Ecole Normale Supérieure Cachan, consacré aux "Effets de la crise sur la gestion des collectivités locales".

"Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise" - Jean Monnet. Et, l'on s'apercevra, bien trop tard, que les collectivités territoriales ne sont pas des "clients" comme les autres, parce que leur responsabilité n'est ni individuelle, ni sociétale, mais sociale ; et, surtout, que leur comptabilité n'est pas adaptée à la gestion sur le long terme de tels produits complexes. Heureusement, les collectivités n'ont pas tardé à réagir. Elles ont cherché à ajuster leur exposition à la variation des taux d'intérêt, et ont fait évaluer les impacts financiers liés aux positions de marché incluses dans leur dette structurée. Elles ont, en outre, privilégié des aménagements pour sécuriser leur dette et maintenir leur équilibre financier et ont, ainsi, réalisé des arbitrages massifs vers des taux fixes qui sont plus prévisibles budgétairement. Par ailleurs, pour encadrer le recours aux crédits structurés, une table ronde a été organisée le 3 novembre 2008 par les ministères de l'Intérieur et de l'Economie avec les représentants des associations d'élus locaux et les principaux établissements bancaires actifs dans ce secteur. A la suite de cette réunion, les banques prêteuses se sont engagées, à traver une charte de bonne conduite entrée en vigueur en septembre 2009, à ne plus commercialiser auprès des collectivités locales des produits financiers complexes. Elles s'engagent également à fournir une meilleure information sur le coût réel des prêts et à proposer systématiquement une alternative de prêt classique. De leur côté, les collectivités locales emprunteuses s'engagent à renforcer l'information des assemblées délibérantes sur leurs politiques d'emprunts et de gestion active de la dette, ainsi que sur l'exposition aux produits structurés risqués.

L'arlésienne chevauche la vieille Chimère. Mais, c'est au moment où les collectivités territoriales touchées par la crise financière peuvent foudroyer le "monstre financier" que l'Etat ressort -on jugera de l'opportunité- une vieille arlésienne : la suppression de la taxe professionnelle (au demeurant l'un des principaux impôts de financement des collectivités territoriales). En effet, le projet de loi de finances pour 2010 entend encourager la compétitivité des entreprises, en supprimant la taxe professionnelle... taxe qui serait remplacée par une contribution économique territoriale (CET), composée d'une cotisation locale d'activité (CLA) assise sur les bases foncières, et d'une cotisation complémentaire (CC) assise sur la valeur ajoutée. La somme de cette cotisation complémentaire et de la part foncière serait plafonnée à 3 % de la valeur ajoutée. Et, la réforme entrerait en vigueur en deux temps : dès 2010 pour les entreprises, et en 2011 pour les collectivités (sic). Bref, "l'art de l'imposition consiste à plumer l'oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris" disait Colbert ! Sauf que l'on entend déjà les cris des responsables politiques des différentes collectivités concernées, ravis de voir intervenir la suppression d'un impôt majeur des finances publiques locales en plein contexte de crise financière et crise de trésorerie -car bien entendu le tarissement des crédits touche aussi ces clients pourtant solvables-, encore plus attentifs à la création d'un nouvel impôt dont la complexité n'aura d'égale que celle des produits structurés proposés par les banques -mais leur rendement sera assuré par les entreprises contribuables même si leur le duvet tend à se clairsemer-.

L'emprunt obligataire régional, nouveau Bellérophon. Une autre piste de financement fait désormais grand bruit : celle de l'emprunt obligataire lancé par les régions. Et, l'expérience de la région des Pays de la Loire paraît concluante puisque l'emprunt a été plébiscité par les épargnants qui ont acheté pour 72,2 millions d'euros de titres. 93 % des souscripteurs résident dans les Pays de la Loire et ont souhaité participer à travers un produit de financement des plus classiques au financement de projets bien identifiés (lire Le Figaro du 13 octobre 2009). Cet emprunt obligataire court sur six ans et affiche un rendement de 4 %. Quand le peuple devient César...

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