La lettre juridique n°304 du 15 mai 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Incompatibilité entre mandat de délégué syndical dans l'UES et délégation de pouvoir

Réf. : Cass. soc., 16 avril 2008, n° 07-60.382, M. Christophe Lo Monaco, ayant élu domicile à la société Sodaixsud, Mac Donald, FS-P+B (N° Lexbase : A9790D7Q)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

La position de certains salariés est parfois trop ambiguë pour leur permettre d'assumer des fonctions de représentation du personnel ou de représentation syndicale dans l'entreprise. Tel est, traditionnellement, le cas des salariés disposant d'une délégation particulière d'autorité impliquant une trop grande proximité des instances dirigeantes, qui les prive de l'indépendance indispensable à l'exercice de telles missions. Si cette règle est relativement bien établie dans les entreprises à structure simple ou composées d'établissements distincts, c'est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation se prononce sur la compatibilité entre mandat syndical dans l'unité économique et sociale et délégation d'autorité dans l'une des entreprises la constituant. Par un arrêt rendu le 16 avril 2008, la Chambre sociale étend l'incompatibilité traditionnelle à cette hypothèse (I), l'analyse permettant de considérer que cette solution s'inscrit de manière cohérente dans l'ensemble du régime de la désignation du délégué syndical dans l'UES (II).
Résumé

Ne peut exercer un mandat de représentation du personnel ou syndical au sein d'une unité économique et sociale, dont fait partie l'entreprise qui l'emploie, le salarié qui ne remplit pas les conditions pour exercer un tel mandat au sein de cette entreprise en raison de son assimilation au chef d'entreprise.

Commentaire

I - L'existence d'une incompatibilité entre mandat de délégué syndical d'une UES et délégation de pouvoir

  • Les conditions générales tenant à la désignation d'un délégué syndical

La désignation d'un délégué syndical répond à un certain nombre de conditions relatives tant à l'entreprise, au syndicat, qu'au salarié désigné.

S'agissant du cadre de représentation, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide depuis longtemps, malgré le silence du législateur, qu'un délégué syndical peut-être désigné dans le cadre d'une unité économique et sociale (1). La division de l'unité économique et sociale en établissements distincts ne faisant pas difficulté, il est, d'ailleurs, envisageable que l'ensemble comporte des délégués syndicaux d'établissement et des délégués syndicaux centraux (2).

Le Code du travail est plus prolixe s'agissant des qualités que doit revêtir le salarié pour pouvoir être désigné délégué syndical, l'article L. 412-14 (N° Lexbase : L6334ACL, art. L. 2143-1, recod. N° Lexbase : L0431HXA) imposant trois conditions personnelles : le salarié doit être âgé de 18 ans, avoir un an d'ancienneté et être titulaire de ses droits civiques. A côté de ces règles légales, la jurisprudence a imposé certaines règles relatives à l'indépendance du salarié vis-à-vis de l'employeur (3).

  • L'indépendance du délégué syndical vis-à-vis de l'employeur

Ainsi, si le salarié désigné délégué syndical peut cumuler ce mandat avec d'autres représentations, par exemple la délégation du personnel (4), d'autres mandats de représentation de l'employeur excluent la possibilité de revêtir les fonctions de délégué syndical. C'est, en particulier, le cas des salariés qui, ayant reçu une délégation d'autorité, sont, en réalité, des mandataires de l'entreprise de laquelle ils sont employés.

La Cour de cassation décide que la désignation d'un délégué syndical ne peut porter sur un salarié titulaire des prérogatives de l'employeur (5). Elle fait, en général, une appréciation restrictive de cette délégation de pouvoir et exige que le salarié détienne une délégation particulière d'autorité lui permettant de l'assimiler au chef d'entreprise (6). Elle ne s'était, en revanche, jamais prononcée sur la compatibilité entre le mandat de délégué syndical central d'une unité économique et sociale et celle de dirigeant de l'une des sociétés la constituant.

  • En l'espèce

Un salarié, directeur d'un restaurant Mac Donald, a été désigné délégué syndical CGC de l'unité économique et sociale à laquelle appartient la société qui l'emploie. Estimant que la délégation de pouvoir exercée par le salarié n'était pas compatible avec l'exercice d'un mandat syndical, l'union départementale CGT saisit le tribunal d'instance d'une requête en annulation de la désignation. Le tribunal d'instance fit droit à cette demande, si bien que le salarié et la CGC formèrent un pourvoi en cassation, invoquant l'absence de "délégation de pouvoir, d'autorité ni d'aucune fonction transversale au sein de l'unité économique et sociale ni au sein d'autres restaurants" du salarié.

La Cour de cassation ne l'entend, pourtant, pas de cette oreille et rejette le pourvoi, confirmant, ainsi, l'argumentation des juges d'instance. Selon la Chambre sociale, "ne peut exercer un mandat de représentation du personnel ou syndical au sein d'une unité économique et sociale dont fait partie l'entreprise qui l'emploie, le salarié qui ne remplit pas les conditions pour exercer un tel mandat au sein de cette entreprise en raison de son assimilation au chef d'entreprise ; que le tribunal d'instance, qui a constaté que [le salarié] disposait d'une délégation particulière d'autorité établie par écrit pour l'établissement qu'il dirigeait, a par ce seul motif légalement justifié sa décision".

Peu importe donc que le salarié n'ait pas de délégation d'autorité sur les autres sociétés constitutives de l'unité économique et sociale. Il y a une sorte d'incompatibilité par ricochet, l'impossibilité d'exercer des fonctions syndicales au niveau de l'entreprise se répercutant au niveau de l'unité économique et sociale. Cette solution nous semble devoir être approuvée.

II - La cohérence de l'incompatibilité entre mandat de délégué syndical d'une UES et délégation de pouvoir

  • Une incompatibilité étendue à tous les mandats de représentation du personnel

Remarquons, à titre préliminaire, que la solution rendue au sujet d'un mandat de délégué syndical aurait été la même pour tout autre mandat de représentation du personnel puisque la Cour de cassation, par une incidente proche de l'obiter dictum, étend cette solution à tout "mandat de représentation du personnel ou syndical". Il n'y a là rien d'étonnant puisqu'il existait déjà une incompatibilité entre délégation d'autorité et mandat électif de représentation du personnel au sein de l'entreprise.

La Cour de cassation établit l'existence de la délégation d'autorité par l'existence d'un écrit, ce qui confirme la simplification que constitue un tel document, quoique la délégation n'a pas nécessairement à être établie selon de telles formes (7). Pour le reste, c'est l'identité qui est de mise, seul le salarié pouvant être désigné ou élu représentant au niveau de la société peut briguer un mandat au niveau de l'unité économique et sociale.

  • Une solution en harmonie avec les règles relatives à la notification de la désignation

Outre les questions évidentes d'indépendance de la représentation syndicale à l'égard de l'employeur, cette solution est particulièrement cohérente avec le régime imposé aux organisations syndicales quant à la signification de la désignation d'un délégué syndical. En effet, pendant longtemps, la Cour de cassation a considéré que la désignation d'un délégué syndical notifiée au chef d'établissement ne prenait effet qu'à compter de la date à laquelle elle avait été portée à la connaissance du chef d'entreprise (8). Or, depuis 1999, la Chambre sociale accepte, dans les entreprises à établissements distincts, que la désignation d'un délégué syndical d'établissement soit valablement notifiée au chef d'établissement si la délégation de pouvoir qu'il détient permet de l'assimiler au chef d'entreprise (9).

De manière encore plus spécifique, c'est une règle similaire qui est appliquée en matière d'unité économique et sociale. Ainsi, depuis 2001, la désignation d'un délégué syndical au niveau de l'unité économique et sociale ne doit plus être signifiée à l'ensemble des dirigeants de sociétés constituant l'ensemble, dès lors que l'UES préexistait à la désignation (10). Dans cette hypothèse, la notification peut être opérée auprès du chef de l'entreprise employant la société, y compris si celui-ci est un salarié disposant d'une simple délégation d'autorité.

Autrement dit, si la Chambre sociale n'avait pas restreint la possibilité qu'un délégataire d'autorité d'une entreprise soit désigné délégué syndical de l'unité économique et sociale à laquelle elle appartient, cela aurait mené au résultat surprenant que la désignation du délégué syndical aurait été notifiée... au délégué syndical ! On voit bien toute la cohérence des règles posées par la Cour de cassation en la matière.


(1) Cass. soc., 30 mars 1978, n° 78-60.060, SA Lancôme, SA SICOS et Cie Parfums et Beautés Internationales PBI, SA Parfums Guy Laroche c/ Syndicat des Travailleurs des Industries Chimiques de la Région Parisienne STIC-CFDT SYND, publié (N° Lexbase : A5329CKL), Bull. civ. V, n° 247, p. 185 ; Cass. soc., 21 mars 1978, n° 77-60.617-60.618, Société Korsia-Revel, SARL France-Afrique c/ Syndicat Général des Travailleurs des Transports et Activités Auxiliaires des Transports de Marseille, Canu, publié (N° Lexbase : A6854C8D), Bull. civ. V, n° 223, p. 167 ; JCP, 1978, I, 7287, p. 259, n° 17, obs. B. Teyssié et R. Descotte ; Cass. soc., 3 juillet 1985, n° 85-60.060, Groupement d'Intérêt Économique Ducros Frères et autres c/ Mme Chappe et autre (N° Lexbase : A5104AAB), Bull. civ. V, n° 401, p. 289, Dr. soc., 1986, p. 18.
(2) Cass. soc., 20 juin 2007, n° 06-60.279, Syndicat SFPS CFDT, F-D (N° Lexbase : A9541DWB).
(3) Cette indépendance n'est, certes, dictée par aucun texte. Il faut, néanmoins, souligner qu'elle est, malgré tout, conforme à l'exigence d'indépendance du syndicat exigée afin de lui accorder la représentativité (v. C. trav., art. L. 133-2 N° Lexbase : L5695ACW, art. L. 2121-1, recod. N° Lexbase : L0386HXL).
(4) V. C. trav., art. L. 412-14 al. 3 . V., cependant, l'incompatibilité avec certains autres mandats de représentation des salariés, par exemple, avec le mandat d'administrateur élu des salariés, en application de l'article L. 225-30 du Code de commerce (N° Lexbase : L5901AIE).
(5) Cass. soc., 25 juillet 1979, n° 79-60.228, Dlle Fabry, Syndicat CGT des Personnels et Cadres des Ets et c/ Assoc Le Relèvement par le Travail (N° Lexbase : A3579AGN), JCP, 1980, IV, 385 ; Cass. soc., 21 mai 2003, n° 01-60.882, SNC c/ Fédération nationale agroalimentaire CFE-CGC, FS-P+B (N° Lexbase : A1541B9X) ; Cass. soc., 21 mai 2003, n° 02-60.100, Fédération de la métallurgie CFE CGC c/ Société Cete Apave Nord Ouest, FS-P+B (N° Lexbase : A1583B9I) et les obs. de G. Auzero, Les qualités requises pour devenir représentant du personnel, Lexbase Hebdo n° 74 du 5 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7654AAQ). V., également, Cass. soc., 4 avril 2007, n° 06-60.124, M. Vincent Bouaziz, F-P+B (N° Lexbase : A9186DUR) et nos obs., Le caractère exclusif de la délégation d'autorité et des fonctions syndicales, Lexbase Hebdo n° 256 du 19 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6760BAM).
(6) Le juge s'inspire, en général, des dispositions relatives aux conseillers prud'hommes prévues par l'article L. 513-1, alinéa 6, du Code du travail (N° Lexbase : L9618GQB, art. L. 1441-4, recod. N° Lexbase : L0294HX8).
(7) Sur cet argument de simplicité, v. G. Auzero, Les qualités requises pour devenir représentant du personnel, préc..
(8) Cass. soc., 9 juillet 1996, n° 95-60.777, Association éducation populaire de Saint-Raphaël c/ Mme Grosse et autres (N° Lexbase : A2223AAL), Bull. civ. V, n° 274, p. 196, RJS, 1996, n° 1060 ; Cass. soc., 12 mars 1991, n° 89-61.554, Société Pizza France opérations c/ M Kessouh et autre (N° Lexbase : A3689AAU).
(9) Cass. soc., 9 juin 1999, n° 98-60.365, Société Sommer revêtements France c/ Syndicat CFDT Hacuitexe l'Ile-de-France et autre (N° Lexbase : A3076AUH), Bull. civ. V, n° 274, p. 197, RJS, 1999, n° 941.
(10) V. Cass. soc., 30 mai 2001, n° 99-60.535, M. Patrick Meyer c/ Société Total raffinage distribution (TRD) (N° Lexbase : A5630ATP), Bull. civ. V, n° 196, p. 153, RJS, 2001, n° 1036, D., 2001, IR, p. 2243.

Décision

Cass. soc., 16 avril 2008, n° 07-60.382, M. Christophe Lo Monaco, ayant élu domicile à la société Sodaixsud, Mac Donald, FS-P+B (N° Lexbase : A9790D7Q)

Rejet, TI Marseille, contentieux des élections professionnelles, 3 juillet 2007

Textes visés : néant

Mots-clés : unité économique et sociale ; dirigeant d'un établissement ; délégation de pouvoir ; possibilité d'assurer un mandat syndical (non).

Liens base :

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