La lettre juridique n°304 du 15 mai 2008 : Baux commerciaux

[Chronique] Chronique de l'actualité des baux commerciaux

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N9061BEC

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par Julien Prigent - Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de baux commerciaux. Se trouve, au premier plan de cette actualité, une décision rendue par le Conseil d'Etat, portant sur l'illégalité de préemption d'un fonds de commerce prise antérieurement à l'entrée en vigueur du décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007. Sont, également, commentés un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation relatif au rejet de l'"éradication" des clauses contraires aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux et un arrêt rendu par cette même chambre afférent à la prise en compte des aménagements du preneur ayant fait accession dans la fixation de la valeur locative.
  • L'illégalité de la décision de préemption d'un fonds de commerce prise antérieurement à l'entrée en vigueur du décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007 (CE, 1° et 6° s-s-r., 21 mars 2008, n° 310173, Société Megaron N° Lexbase : A5983D7Q)

L'exercice du droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux, ainsi que celui du droit de rétrocession qui en est inséparable, ne peuvent être mis en oeuvre sans qu'aient été apportées, par voie réglementaire, les précisions nécessaires à leur application. Tel est l'enseignement d'un arrêt du Conseil d'Etat du 21 mars 2008.

Le droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux a été créé par l'article 58 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L7582HEK). Le décret en Conseil d'Etat, qui devait en préciser les conditions d'application (C. urb., art. L. 214-3 N° Lexbase : L5589HBM), n'a été édicté que le 26 décembre 2007 (1), ce décret n'ayant été lui-même complété que par l'arrêté du 29 février 2008 (2). La question s'est donc posée de la possibilité pour une commune d'exercer, entre la publication de la loi et celle du décret, voire de l'arrêté, ce nouveau droit de préemption.

En l'espèce, la commune de Valbonne avait, par décision du 26 juillet 2007, exercé un droit de préemption sur une cession de droit au bail. Le cessionnaire évincé avait, alors, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nice pour voir ordonner la suspension de cette décision.

Sa demande est accueillie en première instance et l'ordonnance a été approuvée par le Conseil d'Etat. Ce dernier a, en effet, considéré qu'en l'absence du décret prévu à l'article L. 214-3 du Code de l'urbanisme, les dispositions des articles L. 214-1 et L. 214-2 (N° Lexbase : L5588HBL) de ce code, relatives à l'exercice du droit de préemption et au droit de rétrocession qui en est inséparable, ne pouvaient s'appliquer sans qu'aient été apportées, par voie réglementaire, les précisions nécessaires à l'application de ce dispositif totalement nouveau, notamment sur les modalités de la rétrocession du bien préempté. En conséquence, l'absence, à la date de la décision de préemption, de dispositions réglementaires d'application des articles L. 214-1 et L. 214-2 du Code de l'urbanisme créait un doute sérieux sur la légalité de la décision de préemption litigieuse.

En revanche, le Conseil d'Etat, dans cette même décision, a considéré que la délimitation par les communes d'un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité n'était pas impossible en l'absence des dispositions réglementaires.

  • Le rejet de l'"éradication" des clauses contraires aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux (Cass. civ. 3, 23 janvier 2008, n° 06-19.129, FS-P+B+I N° Lexbase : A0926D43)

Seule la nullité sanctionne une clause contraire au droit au renouvellement et une telle clause ne saurait être réputée non écrite en y substituant les dispositions légales applicables. Tel est l'enseignement, important, d'un arrêt de la Cour de cassation du 23 janvier 2008.

En l'espèce, par acte du 1er mars 1991, La Poste s'est vue consentir un bail sur divers locaux, dont l'un pour une durée de douze années à compter du 1er janvier 1991. Le terme contractuel était, donc, fixé au 31 décembre 2002. Le bailleur s'était engagé à renouveler ce bail à son terme pour la même période de douze ans, si La Poste en faisait la demande par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au moins six mois avant l'échéance. Le 12 juillet 2002, La Poste, devenue un établissement public industriel et commercial (EPIC), avait formé une demande de renouvellement du bail auprès du bailleur sur le fondement de l'article L. 145-10 du Code du commerce (N° Lexbase : L5738AID). En réponse à cette demande, le bailleur lui avait fait notifier, le 24 septembre 2002, un refus de renouvellement du bail en lui déniant tout droit à indemnité d'éviction, aux motifs que le bail était un bail de droit commun soumis aux dispositions du Code civil et que la demande de renouvellement lui avait été adressée hors délai, le 12 juillet 2002, alors qu'en application du bail, elle aurait dû lui être notifiée au plus tard le 30 juin 2002. La Poste avait, alors, assigné le bailleur pour faire constater que le bail relevait du statut des baux commerciaux, par application de l'article L. 145-2, I, 3°, du Code de commerce (N° Lexbase : L3989HBD), et obtenir une indemnité d'éviction. Les juges du fond ayant accueilli cette demande, le bailleur s'est pourvu en cassation.

Aux termes de l'article L. 145-2, I, 3° du Code de commerce, le statut des baux commerciaux est applicable aux baux portant sur les locaux "nécessaires à la poursuite de l'activité des entreprises publiques et établissements publics à caractère industriel ou commercial, dans les limites définies par les lois et règlements qui les régissent et à condition que ces baux ne comportent aucune emprise sur le domaine public". Depuis la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom (N° Lexbase : L9430AXK), qui a pris effet le 1er janvier 1991, "La Poste est un exploitant public qui a toutes les caractéristiques d'un EPIC" (3), ce qui a été confirmé par le Tribunal des conflits (4). Il avait été affirmé que "La Poste peut juridiquement conclure, en qualité de locataire, des baux commerciaux à compter du 1er janvier 1991 pour les nouveaux contrats et les renouvellements des baux civils" qu'elle avait pu contracter antérieurement et qui, avant qu'elle ne devienne un EPIC, n'étaient pas soumis au statut des baux commerciaux (5). Il ne faisait guère de doute, en conséquence, en l'espèce, et contrairement à l'argumentation du bailleur, que le bail consenti à La Poste le 1er mars 1991 et à effet au 1er janvier de cette même année était soumis au statut des baux commerciaux.

Conformément à ce dernier, et, plus précisément, à l'article L. 145-10 du Code de commerce qui permet au preneur de solliciter le renouvellement de son bail, par acte extrajudiciaire, dans les six mois précédent sa date d'expiration, La Poste avait, en l'espèce, formé une telle demande le 12 juillet 2002. Toutefois, les parties étaient convenues d'un processus de terminaison du bail différent de celui prévu au statut des baux commerciaux. Le bailleur s'était, en effet, engagé à renouveler le bail à son expiration, à la condition que le preneur le demande par lettre recommandée, au moins six mois avant l'échéance. S'il est possible pour les parties à un bail commercial de prévoir dès l'origine son renouvellement à l'arrivée du terme contractuel (6), la clause subordonnant ce renouvellement à la notification d'une lettre recommandée, au moins six mois avant le terme contractuel, heurtait manifestement les dispositions de l'article L. 145-10 du Code de commerce. Cependant, ces dernières ne sont pas visées par les articles L. 145-15 (N° Lexbase : L5743AIK) et L. 145-16 (N° Lexbase : L5744AIL) du Code de commerce au titre des dispositions d'ordre public, encore que cet argument ne soit pas décisif, certaines dispositions du statut des baux commerciaux revêtant ce caractère même dans cette hypothèse. Il a, ainsi, été jugé que les dispositions de l'article L. 145-9, dernier alinéa, du Code de commerce (N° Lexbase : L5737AIC), qui imposent au bailleur, ainsi qu'au preneur, dans le cadre de la résiliation triennale (C. com., art. L. 145-4 N° Lexbase : L0803HPG), de notifier le congé par acte extrajudiciaire, étaient impératives et qu'il ne peut y être dérogé, même en cas d'adoption conventionnelle du statut des baux commerciaux (7). Par parallélisme, il pourrait être soutenu que les dispositions de l'article L. 145-10 du Code de commerce sont, également, d'ordre public, en ce qu'elles concernent la forme de la demande de renouvellement (8). Dans l'arrêt rapporté, la Cour de cassation, de manière indirecte, semble bien approuver la position des juges du fond qui avaient jugé que les dispositions de l'article L. 145-10 du Code de commerce sont d'ordre public. La Haute cour le fait, toutefois, au visa de l'article L. 145-15 du Code de commerce et sur le terrain de la sanction de la nullité de la clause contraire à ces dispositions. L'article L. 145-15 de ce code dispose, en outre, de manière générale, que toutes stipulations qui font échec au droit au renouvellement sont nulles. Il pourrait, également, être soutenu que la clause incriminée porte atteinte au droit au renouvellement, en excluant ce dernier à défaut de notification au moins six mois avant le terme contractuel, alors que l'article L. 145-10 du Code de commerce autorise le preneur à former cette demande à tout moment dans les six mois précédent l'expiration du bail.

Un autre apport, essentiel, de la décision, et sur lequel la Cour de cassation se prononce directement, est relatif à la sanction encourue en présence d'une clause contraire à l'article L. 145-15 du Code de commerce. Ce texte dispose, précisément, que "sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles L. 145-4 (N° Lexbase : L0803HPG), L. 145-37 (N° Lexbase : L5765AID) à L. 145-41, du premier alinéa de l'article L. 145-42 (N° Lexbase : L5770AIK) et des articles L. 145-47 (N° Lexbase : L5775AIQ) à L. 145-54" du Code de commerce. Les juges du fond avaient, en l'espèce, jugé qu'en raison de la nullité de la clause relative aux modalités du renouvellement, les dispositions légales de l'article L. 145-10 du Code de commerce devaient s'y substituer. Le preneur ayant respecté ces dernières, il ne pouvait plus être exclu, selon les juges du fond, qu'il puisse invoquer le bénéfice du droit au renouvellement. L'argument du bailleur, selon lequel même si la clause litigieuse était nulle, le preneur ne pouvait plus s'en prévaloir, en raison de la prescription de l'action en nullité, devait, donc, être écarté. Les actions exercées en vertu des dispositions du statut des baux commerciaux se prescrivent, en effet, en deux années (C. com., art. L. 145-60 N° Lexbase : L8519AID), la Cour de cassation ayant, déjà, eu l'occasion de préciser que l'action en nullité d'une clause contraire à ce dernier devait être exercée dans ce délai (9). Celle-ci censure, cependant, la position des juges du fond, en affirmant que l'article L. 145-15 du Code de commerce ne prévoit pas d'autres sanctions que la nullité. La contrariété d'une clause à une norme d'ordre public peut être sanctionnée de deux manières : soit elle est réputée non écrite (éradication), soit elle est nulle. Cette distinction est nécessaire en raison des différences du régime auquel est soumise chacune de ces sanctions. Ainsi, l'action en nullité est-elle soumise à une prescription à laquelle, en revanche, échapperait l'action tendant à faire déclarer une clause non écrite (10). La Cour de cassation fait prévaloir, dans l'arrêt rapporté, la nullité de la clause sur le fondement de la lettre de l'article L. 145-15 du Code de commerce. La solution peut paraître sévère pour le preneur. Elle doit être relativisée, dans la mesure où il pourra toujours opposer la nullité par voie d'exception (11). L'éradication ne devrait, en outre, pas être totalement exclue en matière de bail commercial, puisque rien ne permet a priori d'affirmer que devrait être, désormais, écartée la solution jurisprudentielle selon laquelle l'annulation d'une clause illicite d'un bail commercial n'a pas pour effet d'entraîner la nullité du bail en entier, quand bien même les parties ont convenu que cette clause est essentielle, sous peine de porter atteinte au droit au renouvellement (12). Il appartiendra, en l'espèce, à la cour de renvoi, le cas échéant, de se prononcer sur la prescription de l'action du preneur..., à moins que le litige ne trouve, en réalité, sa résolution dans un autre débat (13)...

  • La prise en compte des aménagements du preneur ayant fait accession dans la fixation de la valeur locative (Cass. civ. 3, 19 mars 2008, n° 07-10.679, FS-P+B N° Lexbase : A4821D7P)

Le cessionnaire d'un bail ayant accepté, par l'effet de la cession, les clauses et conditions du bail cédé aux termes duquel il était stipulé que le preneur devait "laisser en fin de bail sans indemnité tous changements ou améliorations apportés aux lieux loués", la résiliation amiable de ce bail, signée avant la conclusion d'un nouveau bail entre le cessionnaire et le bailleur, a entraîné l'accession au bailleur des aménagements réalisés par les preneurs successifs dans les lieux loués et la valeur locative des locaux doit, en conséquence, être appréciée en fonction de l'état des locaux à la date du nouveau bail. Tel est l'enseignement d'un arrêt du 19 mars 2008, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

En l'espèce, par acte du 4 novembre 1988, un bail commercial, consenti pour une durée de neuf ans à compter du 1er décembre 1988, avait été cédé, par acte du 14 décembre 1990, avec l'accord du bailleur intervenu à l'acte de cession, au prix d'un franc, le cessionnaire ayant parallèlement racheté pour une certaine somme au cédant les travaux qu'il avait réalisés dans les lieux loués. Par acte du 15 décembre 1990, un nouveau bail d'une durée de douze ans a été conclu entre le bailleur et le cessionnaire, les parties ayant décidé de résilier à l'amiable le bail en cours. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 28 octobre 1997, le nouveau preneur avait sollicité du bailleur la révision du loyer à la baisse, sans indiquer le prix souhaité qui avait été précisé dans un courrier ultérieur du 19 janvier 1998, puis l'avait assigné en fixation du prix du loyer révisé. Un premier jugement déclarant régulière la demande en révision et ordonnant une mesure d'instruction était intervenu le 29 juin 1998. Le bailleur avait, ensuite, interjeté appel de ce premier jugement le 14 avril 2005, afin de le voir réformer en ce qu'il avait jugé régulière la demande de révision. Les juges du fond ont, toutefois, considéré que l'appel était irrecevable comme tardif et ont, alors, procédé à la fixation du loyer du bail révisé, en jugeant que les aménagements réalisés par les preneurs successifs devaient être pris en compte dans la détermination de la valeur locative, augmentant, ainsi, cette dernière. Le bailleur et le preneur se sont, alors, respectivement pourvus en cassation sur chacun de ces deux points.

1 - Sur le point de départ du délai pour interjeter appel d'un jugement mixte

Chacune des parties à un bail commercial peut, à certaines conditions (C. com., art. L. 145-38 N° Lexbase : L5766AIE et L. 145-39 N° Lexbase : L5767AIG), demander la révision du loyer en cours pour le voir fixer à la valeur locative (C. com., art. L. 145-37 [LXB=L5765AID ] et L. 145-33 N° Lexbase : L5761AI9), dans la limite de la variation de l'indice du coût de la construction, sauf déplafonnement, dans le cadre de la révision triennale (C. com., art. L. 145-38).

La demande de révision des loyers doit être formée par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et préciser, à peine de nullité, le montant du loyer demandé ou offert (C. com., art. R. 145-20 N° Lexbase : L0050HZU). La Cour de cassation a, déjà, eu l'occasion de préciser que l'absence d'indication dans la demande de révision du montant du loyer sollicité entache la demande de révision de nullité, sans qu'il puisse être ultérieurement suppléé à cette irrégularité (14).

En l'espèce, le preneur n'avait pas indiqué le prix souhaité et sa demande de révision était, selon toute vraisemblance, nulle. Toutefois, il avait, ultérieurement à cette demande, précisé ce prix dans une lettre adressée quelques mois plus tard. Compte tenu de la jurisprudence précitée, cette lettre n'a pu rendre régulière la demande de révision initiale. Elle a pu, toutefois, constituer elle-même une nouvelle demande de révision, cette fois non entachée de nullité, au moins en ce qu'elle portait la mention du prix proposé.

La décision rapportée ne s'est pas prononcée sur ce point, puisque le bailleur a vu son recours contre le premier jugement qui a considéré la demande de révision régulière irrecevable en raison de sa tardiveté.

En effet, ce jugement lui avait été signifié le 9 septembre 1998 et l'appel interjeté seulement le 14 avril 2005. S'il ordonnait une expertise, ce jugement s'était, également, prononcé, dans son dispositif, sur la validité de la demande de révision. Il s'agissait, donc, d'un jugement mixte qui tranchait, dans son dispositif, une partie du principal et qui ordonnait une mesure d'instruction. Or, les jugements mixtes peuvent être, aux termes de l'article 544 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2794ADT), immédiatement frappés d'appel. L'emploi du verbe "pouvoir" est, en partie, ambigu et semble, en réalité, se référer à la faculté offerte à l'une des parties d'interjeter ou non appel. Si elle souhaite former ce recours, elle "devra" l'exercer dans le délai de droit commun, soit, le plus souvent, un mois à compter de la signification du jugement (C. proc. civ., art. 538 N° Lexbase : L2789ADN). L'appel formé au-delà de ce délai, par exemple dans le délai d'un mois à compter du jugement définitif, est irrecevable. L'arrêt rapporté confirme cette solution (15).

2 - Sur la prise en compte des aménagements du preneur dans la fixation du montant du loyer révisé

Le preneur qui avait sollicité la révision à la baisse de son loyer critiquait la décision des juges du fond qui avaient jugé que les aménagements effectués par les précédents preneurs avaient fait accession au bailleur et, en conséquence, qu'ils devaient participer de l'évaluation du montant de la valeur locative. Pourtant, dans le cadre de la révision triennale, les investissements du preneur ne doivent pas, en principe, être pris en compte dans l'évaluation de la valeur locative (C. com., art. L. 145-38), cette interdiction étant, a priori, applicable, également, en présence d'une révision légale fondée sur la variation de plus de 25 % du montant du loyer par l'effet d'une clause d'indexation (C. com., art. L. 145-39) (16). Toutefois, cette interdiction semble limitée aux investissements du preneur "pendant le bail en cours" (C. com., art. L. 145-38, dernier al.). Or, en l'espèce, les aménagements avaient été effectués antérieurement au bail au cours duquel la révision du loyer était sollicitée. Ce point n'a, toutefois, pas été abordé par l'arrêt commenté. Une fois le principe de la possibilité de leur prise en compte acquis, il était nécessaire de déterminer si les aménagements avaient ou non fait accession au bailleur.

L'article 546 du Code civil (N° Lexbase : L3120AB8) énonce le principe général selon lequel "la propriété d'une chose [...] immobilière [...] donne droit sur [...] ce qui s'y unit accessoirement [...]. Ce droit s'appelle droit d'accession", l'article 551 du même code (N° Lexbase : L1057ABR) précisant que "ce qui s'unit et s'incorpore à la chose appartient au propriétaire, suivant les règles qui seront ci-après établies", soit les articles 552 (N° Lexbase : L3131ABL) à 564 de ce code, s'agissant de l'accession en matière immobilière. Il est admis qu'en droit commun, l'accession est immédiate et qu'elle se produit au fur et à mesure de l'union ou de l'incorporation (17), mais la solution est différente lorsque l'accession se produit au cours d'un bail, puisque, dans ce cas, elle est différée à la fin de la location (18). Le locataire devient et reste, en conséquence, propriétaire des constructions qu'il édifie pendant la durée de la location (19), jusqu'à l'expiration du bail, date à laquelle le bailleur en devient propriétaire, même si le bail est renouvelé (20). Ces règles sont supplétives de volonté et les parties peuvent stipuler une accession "à l'expiration du présent bail" ou que "le preneur reste propriétaire des constructions édifiées sur le terrain du bailleur pour toute la durée de la location dont il jouit" (21), auxquels cas, l'accession se produira à l'expiration du bail, même en cas de renouvellement, "le bail renouvelé étant un nouveau bail" (22). La solution est identique dans ce cas à celle qui s'appliquerait à défaut de clause d'accession. Les parties peuvent, également, valablement écarter l'accession pendant la durée de leurs rapports contractuels en stipulant une accession "à la sortie du locataire" (23), "à la fin de la jouissance du locataire" (24) ou à la fin du bail et à défaut de renouvellement (25).

Dans l'espèce rapportée, le bail comportait une clause d'accession qui stipulait que le preneur devait "laisser en fin de bail sans indemnité tous changements ou améliorations apportés aux lieux loués". Les parties ayant procédé à la résiliation amiable du bail, la question se posait de savoir si cette résiliation avait provoqué l'accession, autrement dit, si la résiliation devait être qualifiée de "fin de bail". La réponse ne suscite a priori guère de difficulté : la résiliation amiable a bien pour effet de mettre un terme au bail en cours qui prend en conséquence "fin". La solution aurait pu être différente, si le bail avait stipulé une clause d'accession à "l'expiration du bail". Il a, ainsi, été jugé (26) que cette mention devait s'entendre du terme conventionnel et non de la résiliation du bail, en l'espèce, en raison de la destruction de la chose louée (C. civ., art. 1722 N° Lexbase : L1844ABW). Il a pu, par ailleurs, être jugé que, même en présence d'une clause stipulant une accession en fin de bail, cette dernière n'a pu jouer lorsque le bail s'est trouvé résilié par la destruction de la chose louée, dans la mesure où les aménagements ou améliorations avaient été détruits avant que l'accession ne se produise (27). L'arrêt rapporté ne remet pas en cause cette solution, puisque dans l'hypothèse d'une résiliation par destruction de la chose louée, l'accession ne peut avoir lieu, non pas parce que la résiliation n'est pas assimilée à la "fin du bail", mais en raison de la destruction de l'objet de l'accession.

Ayant fait accession au bailleur, ce dernier pouvait a priori se prévaloir des aménagements effectués par les preneurs successifs pour voir augmenter la valeur locative. La solution est sévère pour le preneur qui avait réglé au précédent locataire, le cédant, le coût des aménagements... encore qu'en l'espèce, les aménagements avaient été partiellement amortis, puisque le preneur était dans les lieux depuis environ huit années.


(1) Cf. décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007, relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (N° Lexbase : L6840H3Q), et lire nos obs., Publication du décret relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (première partie), Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N8659BD3) et Publication du décret relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 291 du 7 février 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N0345BEI).
(2) Cf. arrêté du 29 février 2008, relatif à la déclaration préalable à la cession de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux (N° Lexbase : L8563H3K), lire nos obs., La déclaration de cession d'un fonds de commerce, fonds artisanal ou bail commercial soumise au droit de préemption, Lexbase Hebdo n° 301 du 17 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N7619BEW) et lire Bulletin d'actualités en droit immobilier : actualités législatives - Cabinet Peisse Dupichot Zirah Bothorel & Associés - Avril 2008, Lexbase Hebdo - édition privée générale n° 299 du 3 avril 2008 (N° Lexbase : N6293BES).
(3) Lire F. Debord, La Poste est un établissement public à caractère public industriel et commercial, D., 2002, p. 2090.
(4) Cf. TC, 4 mars 2002, n° 3293, Boloix c/ La Poste, D., 2002, p. 2090.
(5) Cf. QE n° 5702 de M. Bourg-Broc Bruno, JOANQ 13 septembre 1993 p. 2882, min. ind., postes et télécommunications et min. comm. ext., réponse publ. 29 novembre 1993 p. 4272, 10ème législature (N° Lexbase : L8897H3W).
(6) Cf. Cass. civ. 3, 27 octobre 2004, n° 03-15.769, Société Thalacap c/ SCI Thalamed, FS-P+B (N° Lexbase : A7412DDU), nos obs., Rev. Loyers, 2004/252, n° 20, p. 682.
(7) Cf. Ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, M. Hervé Caporal c/ Société Groupe Ribourel (N° Lexbase : A6534AYN).
(8) Voir en ce sens, Cass. civ. 3, 10 juillet 1996, n° 94-18.249, Consorts Bourse c/ Société Caprigem (N° Lexbase : A9989ABL).
(9) Cf. Cass. civ. 3, 24 novembre 1999, n° 98-12.694, Epoux Simon c/ Epoux Deiber (N° Lexbase : A8710AH3).
(10) Lire J. Kullmann, Remarques sur les clauses réputées non écrites, D., 1993, p. 59.
(11) Cf. Cass. civ. 3, 18 juin 2002, n° 01-03.209, Mme Marie-Claude Michel, divorcée Lacote c/ M. Michel Boitel, F-D (N° Lexbase : A9429AYU).
(12) Cf. Cass. civ. 3, 31 janvier 2001, n° 98-12.895, Société Brasserie et Développement c/ Société Vieren (N° Lexbase : A9525ASL).
(13) Lire Ph.-H. Brault, JCP éd. E, 2008, n° 1195.
(14) Cf. Cass. civ. 3, 12 octobre 1976, n° 74-13.864, Dame Vedrenne c/ Dame Ranoux, Consorts Lassaigne (N° Lexbase : A7045AGZ).
(15) Voir en ce sens, Cass. soc., 14 mai 1987, n° 83-46.073, M. Schenkel c/ Société des automobiles Peugeot et autre (N° Lexbase : A8023AAE).
(16) Voir en ce sens, J.-P. Blatter, Droit des baux commerciaux, 4ème éd., n° 550.
(17) Lire A. Lepage, J.-Cl. Civil, art. 551 à 552, Fasc. 90, n° 14.
(18) Cf. Cass. civ. 1, 23 octobre 1990, n° 88-20.296, Consorts Labeau et autres c/ M. Anglio (N° Lexbase : A4088AHU).
(19) Cf. Cass. civ. 3, 4 avril 2002, n° 01-70.061, Commune de Laval c/ Société Etablissements Hardy, FS-P+B (N° Lexbase : A4417AYA).
(20) Cf. Cass. civ. 3, 27 septembre 2006, n° 05-13.981, M. Jean-Louis Negret, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3478DRA), nos obs., Rev. Loyers, 2007/875, n° 499, p. 128.
(21) Cf. Cass. civ. 3, 27 janvier 1999, n° 97-11.797, Société Berton Demangeau c/ Société civile immobilière Danno frères et autres (N° Lexbase : A8195AHY).
(22) Cf. Cass. civ. 3, 27 janvier 1999, n° 97-11.797, Société Berton Demangeau c/ Société civile immobilière Danno frères et autres, précité.
(23) Cf. Cass. civ. 3, 22 juin 1988, n° 87-13.532, Consorts Reboul c/ SARL Girel et Delmais (N° Lexbase : A9521ATS).
(24) Cf. Cass. civ. 3, 21 mars 2001, n° 99-16.640, Société immobilière Lamenais transactions (Silt) c/ Société Darty Provence-Méditerranée, FS-P+B (N° Lexbase : A9901ASI).
(25) Cf. Cass. civ. 3, 4 avril 2002, n° 01-70.061, Commune de Laval c/ Société Etablissements Hardy, précité.
(26) Cf. Cass. civ. 3, 8 octobre 1997, n° 96-12.609, Société civile immobilière (SCI) Les Sept Laux c/ M. Christophe Roumezi, pris ès qualités de liquidateur de la Société Ameublement européen (N° Lexbase : A8956CPE).
(27) Cf. Cass. civ. 3, 5 juillet 1995, n° 93-18.021, Société à responsabilité limitée Savoy Hôtel c/ M. Jean-Pierre, Georges Leclerc et autre (N° Lexbase : A0699CN9) et Cass. civ. 3, 20 avril 2005, n° 03-20.927, SCI De Gestion Saussaie République c/ Société Axa France Iard, FS-D (N° Lexbase : A9635DHC).

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