La lettre juridique n°304 du 15 mai 2008 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Consécration de l'efficacité de la clause d'exécution forcée en nature dans les avant-contrats

Réf. : Cass. civ. 3, 27 mars 2008, n° 07-11.721, Société Ogic, FS-D (N° Lexbase : A6102D77)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

L'occasion a déjà été donnée de relever, dans le cadre de cette chronique, l'existence d'incertitudes et, par suite, d'une certaine insécurité, entachant le régime des avants contrats (1), les interrogations portant, notamment, sur la possibilité d'une exécution forcée en nature. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 mars 2008, inédit, mérite, à cet égard, d'être signalé en ce qu'il consacre l'efficacité de la clause d'exécution forcée en nature qui pourrait bien permettre aux parties de remédier à certaines solutions discutables en la matière (2). Il n'est pas inutile, pour bien le comprendre, de procéder à un bref rappel. On s'est, en effet, longtemps demandé si le bénéficiaire d'un pacte de préférence pouvait, dans l'hypothèse dans laquelle le promettant aurait finalement conclu le contrat sans avoir respecté son droit de priorité, demander l'exécution forcée du pacte et donc obtenir non seulement l'annulation de l'opération conclue avec le tiers acquéreur, mais encore la possibilité d'être substitué dans les droits de celui-ci. Un temps hostile à cette solution, la Cour de cassation a, assez récemment, opéré un spectaculaire revirement de jurisprudence, par un important arrêt rendu en Chambre mixte, admettant ainsi la possibilité pour le bénéficiaire d'un pacte de préférence d'en demander l'exécution forcée dans le cas dans lequel le promettant aurait conclu l'opération avec un tiers en violation du pacte (3). La Haute juridiction avait, en effet, manifestement abandonné la position qui avait longtemps été celle de la Cour de cassation qui faisait application de l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM) -aux termes duquel les obligations de faire se résolvent en dommages et intérêts- pour refuser tout substitution du bénéficiaire dans les droits de l'acquéreur (4). Il faut dire que cette solution était critiquée par la majorité de la doctrine qui faisait valoir, d'une part, que, historiquement, la formule de l'article 1142 signifiait simplement, dans l'esprit de ses rédacteurs, qu'il n'est pas possible de contraindre le débiteur à s'exécuter en nature quand sa liberté personnelle est en jeu et, d'autre part, que le principe de la force obligatoire des conventions et du respect de la parole donnée justifiait que le débiteur s'exécute dans les termes convenus plutôt que de n'avoir à payer que des dommages et intérêts. Il reste que les conditions de mise en oeuvre de la solution consacrée en chambre mixte paraissent excessivement rigoureuses (que soit démontrée la connaissance par le tiers acquéreur, non seulement de l'existence du pacte de préférence, mais encore de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir) et, à ce titre, font douter, en dehors d'hypothèses très particulières (5), de l'effectivité du principe de l'exécution forcée en nature (6). Du côté des promesses unilatérales de vente, la position de la Cour de cassation demeure, nul ne l'ignore, encore plus radicale puisque, cette fois, elle refuse le principe de l'exécution forcée en cas de rétractation du promettant avant la levée de l'option par le bénéficiaire. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 décembre 1993 a, en effet, jugé que, dans une promesse unilatérale de vente, tant que le bénéficiaire n'a pas levé l'option, l'obligation du promettant ne constitue qu'une obligation de faire (7), dont la violation ne peut se résoudre qu'en dommages et intérêts (8).

L'arrêt de la troisième chambre civile du 27 mars dernier, en consacrant la possibilité pour les parties d'insérer dans leurs contrats, et en l'occurrence dans leurs avant-contrats, une clause d'exécution forcée en nature, confère toute sa vigueur à la liberté contractuelle et devrait permettre d'atténuer la rigueur de ces solutions. La Cour énonce, en effet, que "les parties à une promesse unilatérale de vente étaient libres de convenir que le défaut d'exécution par le promettant de son engagement de vendre pouvait se résoudre en nature par la constatation judiciaire de la vente". La solution appelle plusieurs séries d'observations. On relèvera, d'abord, que, contrairement à certaines clauses qui, à examiner le droit positif, semble voir leur efficacité largement contrariée -on pense, naturellement, aux clauses limitatives ou exclusives de responsabilité, neutralisées soit par l'application du droit de la consommation, soit, en droit commun, par l'appel aux notions de dol, de faute lourde, d'obligation essentielle et de cause (9)-, d'autres se voient ainsi conférer par la Cour de cassation une vitalité certaine (10). Ensuite, l'encouragement ainsi donné aux parties de prévoir conventionnellement l'exécution forcée en nature en cas de défaillance du débiteur devrait faire encore un peu plus reculer le principe de l'impossibilité de l'exécution forcée directe lorsque l'obligation inexécutée est une obligation de faire ou de ne pas faire (11). On pourrait, par suite, et plus généralement, s'interroger sur le bien fondé d'une règle supplétive que les parties sont manifestement encouragées à écarter (12). Enfin, en matière d'avant-contrats, on peut assez facilement imaginer que cette clause sera opportunément stipulée dans les promesses unilatérales de vente, à propos desquelles, on l'a rappelé, la Cour de cassation continue de s'en tenir à une interprétation surannée de l'article 1142 du Code civil.


(1)Voir not. D. Mazeaud, Mystères et paradoxes de la période précontractuelle, Mél. Ghestin.
(2) W. Jeandidier, L'exécution forcée des obligations contractuelles de faire, RTDCiv., 1976, p. 700.
(3) Cass. mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376, Daurice Pater, épouse Pere c/ M. Jean Solari, P+B+R+I ([LXB=A7227DPD)], D., 2006, p. 1861, note P.-Y. Gautier et p. 1864, note D. Mainguy. Pour une confirmation, au plan des principes : Cass. civ. 3, 31 janvier 2007, n° 05-21.071, Société Aux Jardins de France, FS-P+B (N° Lexbase : A7853DTZ), Bull. civ. III, n° 16 et nos obs., Exécution forcée du pacte de préférence (à propos de la substitution au tiers acquéreur du bénéficiaire du pacte), Lexbase Hebdo n° 248 du 15 février 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0412BAI).
(4) Cass. civ. 3, 30 avril 1997, n° 95-17.598, Office européen d'investissement et autres c/ Association Médecins du Monde et autre (N° Lexbase : A0614ACQ), D., 1997, p. 475, note D. Mazeaud, RTDCiv., 1997, p. 685, obs. P.-Y. Gautier.
(5) Pour une illustration : Cass. civ. 3, 14 février 2007, n° 05-21.814, Société civile immobilière (SCI) Serp, FS-P+B (N° Lexbase : A2160DUK), D., 2007, AJ, p. 657 ; JCP éd. E, 2007, p. 1615, note H. Lécuyer.
(6) En ce sens, P.-Y. Gautier, note sous Cass. mixte, 26 mai 2006, préc..
(7) Cass. civ. 3, 15 décembre 1993, n° 91-10.199, Consorts Cruz c/ Mme Godard (N° Lexbase : A4251AGK), Bull. civ. III, n°174 ; D., 1994, p. 507, note L. Aynès ; JCP éd. G, 1995, II, 22366, note D. Mazeaud.
(8) Cass. civ. 3, 28 octobre 2003, n° 02-14.459, Société Sogefi Méditerranée c/ M. Sarwat Ghobrial, F-D (N° Lexbase : A0064DAM), RDC, 2004, p. 270, obs. D. Mazeaud.
(9) Pour une illustration récente de cette tendance, voir not. Cass. com., 4 mars 2008, n° 07-11.790 (N° Lexbase : A3326D7C), et nos observations, L'efficacité des clauses limitatives de responsabilité à l'épreuve de la faute dolosive et de la faute lourde (N° Lexbase : N7482BET).
(10) Sur l'obligation essentielle et la cause, voir not. Cass. com., 13 février 2007, préc., JCP éd. G, 2007, II, 10063, note Y.-M. Serinet.
(11) Comp., au sujet de la clause résolutoire expresse, Cass. civ. 3, 19 mars 2008, n° 07-11.194, M. André Rousseau, FS-P+B (N° Lexbase : A4890D7A), D., 2008, AJ, 1056, obs. Rouquet, décidant que le seul écoulement du temps ne peut caractériser un acte manifestant sans équivoque la volonté de renoncer à se prévaloir de ses effets.
(12) Voir not., sur la question, Le juge et l'exécution du contrat, PUAM, 1993, Avant-propos de J. Mestre.
(13) Comp., dans le même ordre d'idée, à propos du refus de principe de la révision pour imprévision, R. David, L'imprévision dans les droits européens, Mélanges Jauffret, 1974, p. 211 et s., spéc. p. 229.

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