La lettre juridique n°247 du 8 février 2007 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Pas d'obligation d'information à la charge de l'acquéreur sur la valeur du bien acquis

Réf. : Cass. civ. 3, 17 janvier 2007, n° 06-10.442, M. Didier, André, Edouard Theuillon, FS-P+B (N° Lexbase : A6928DTR)

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le 07 Octobre 2010

Depuis que la jurisprudence avait fini par admettre que le dol pouvait résulter du silence gardé par l'un des contractants sur un élément déterminant du consentement de l'autre (1) et, peu de temps après, suscité, avec l'affaire "Poussin" (2), une littérature impressionnante, la théorie des vices du consentement, ne donnant plus guère d'occasions à la doctrine de prendre la plume, paraissait presque en sommeil. Comme on le fait du reste généralement observer, la théorie des vices du consentement est apparue insuffisante à assurer la protection du contractant en position de faiblesse, d'où l'émergence d'un certain nombre de techniques nouvelles de protection du consentement, principalement issues du droit de la consommation. Depuis quelques années cependant, la jurisprudence semble manifester la volonté de vivifier la théorie des vices du consentement. Ainsi, après avoir fait sortir la violence du "ghetto" dans lequel elle était déjà presque installée, c'est au tour du dol de faire l'objet de décisions tout à la fois répétées et importantes qui méritent d'y prêter une attention toute particulière. Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 17 janvier dernier, à paraître au Bulletin, le confirme une nouvelle fois. En l'espèce, un marchand de biens, bénéficiaire de promesses de vente que lui avait consenties, sur sa maison, un agriculteur, avait assigné le vendeur après avoir levé l'option en réalisation de la vente. Mais les juges du fond avaient déclaré la promesse de vente nulle au motif que le bénéficiaire n'avait pas informé le vendeur du prix de l'immeuble qu'il détenait en sa qualité d'agent immobilier et de marchand de biens, alors que le vendeur, agriculteur devenu manoeuvre et marié à une épouse en incapacité totale de travail, ne pouvait, avaient-ils considéré, lui-même connaître la valeur de son pavillon. Aussi bien, selon les premiers juges, l'acquéreur avait-il manqué à son devoir de loyauté, si bien que se trouvait caractérisée une réticence dolosive déterminante du consentement du vendeur au sens de l'article 1116 du Code civil (N° Lexbase : L1204AB9). Sous le visa de l'article 1116 du Code civil précisément, la Cour de cassation casse cette décision en affirmant, dans un attendu qui a manifestement les allures d'un principe, "que l'acquéreur, même professionnel, n'est pas tenu d'une obligation d'information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis". Cette affirmation, simple en apparence, et dont la portée pratique est immédiatement perceptible, est fort importante et riche d'enseignements théoriques.

Il faut, bien évidemment, rappeler que la question de l'existence ou de l'absence d'obligation d'information à la charge d'un contractant à l'égard d'un autre est étroitement liée à la question de l'existence ou, là encore, de l'absence de réticence dolosive : en effet, prononcer la nullité d'un contrat en raison de la réticence dolosive de l'une des parties "revient à faire peser après coup sur celui qui s'en rend coupable une obligation d'information" (3), l'admission de la réticence dolosive portant donc en germe une telle obligation (4). C'est, d'ailleurs, la raison pour laquelle les juges du fond avaient déduit du silence gardé par l'acquéreur un dol par réticence. Et c'est la même raison qui explique, en sens inverse, que la Cour de cassation écarte toute réticence dolosive imputable à l'acquéreur au motif qu'il n'est tenu d'aucune obligation d'information à l'égard du vendeur sur la valeur du bien. La Cour de cassation prend ainsi partie sur une question qui, jusque là, pouvait paraître incertaine, et qui tient, fondamentalement, aux limites de l'obligation d'information et, donc, aux rapports qui existent entre obligation d'information et obligation de se renseigner.

Sans doute la première chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt en date du 3 mai 2000, décidant que l'acheteur de photographies de Baldus n'avait pas à informer son cocontractant de la valeur des dites photographies, que ce dernier avait finalement, par ignorance, vendu pour un prix dérisoire, posait-elle, implicitement mais certainement, que la limite de l'obligation d'information réside dans le devoir de se renseigner qui pèse sur tout contractant (5). L'ignorance considérée comme illégitime du vendeur l'empêchait ainsi d'obtenir la nullité du contrat pour dol. Mais on n'ignore pas que, quelques mois plus tard, un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, du 15 novembre 2000, paraissait ne s'accorder qu'imparfaitement avec cette solution. Dans cette affaire, l'acquéreur était resté silencieux sur une qualité substantielle du bien vendu de telle sorte qu'elle avait finalement admis la nullité du contrat pour dol (6). Un auteur avait bien cherché, il est vrai, à concilier cet arrêt avec celui de la première chambre civile, faisant ressortir un certain nombre de différences distinguant les deux espèces (7). Il avait, notamment, fait valoir que l'erreur invoquée dans l'arrêt de la première chambre civile portait sur la valeur du bien tandis que, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de novembre, elle portait sur les qualités substantielles de la chose ; et d'ajouter que, dans un cas, le dol aurait consisté en une simple réticence (8) alors que, dans l'autre, il résultait d'un mensonge (9). On pouvait, cependant, rester assez sceptique face à cette argumentation qui tendait à introduire dans le régime du dol des distinctions tenant à l'objet de l'erreur provoquée ainsi qu'à l'élément matériel du dol qu'il ne comporte pas (10). Toujours est-il que l'opposition entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation devait, semble-t-il, se confirmer par la suite, la troisième chambre civile énonçant, dans une formule générale que "la réticence dolosive, à la supposer établie, rend toujours excusable l'erreur provoquée" (11).

A la suite de l'arrêt du 17 janvier dernier, il est permis de croire que la troisième chambre civile se rallie, sur la question de l'existence d'une éventuelle obligation d'information pesant sur l'acquéreur et portant sur la valeur du bien acquis, à la position de la première chambre civile. Au fond, comme l'avait fait la première chambre civile dans l'affaire "Baldus", l'arrêt de la troisième chambre civile met à la charge du vendeur une obligation de se renseigner qui constitue la limite de l'obligation d'information de l'acquéreur. C'est que, en effet, l'obligation d'information n'existe que si l'ignorance du créancier de cette obligation est légitime (12). Partant, "la réticence se dissout d'elle-même dès lors que l'information est raisonnablement accessible : il n'est de réticence qu'envers un contractant excusable de ne pas connaître" (13). Si l'on comprend parfaitement que celui qui détient une information utile et pertinente pour son partenaire doive la porter à la connaissance de celui-ci, il est, cependant, discutable, ne serait-ce qu'en termes de sécurité juridique, de laisser sans incidence la légèreté blâmable de certains des contractants confinant parfois même à la bêtise. A cet égard, on comprendra que le choix fait ici par la Cour de cassation est un choix "politique" (14) qui s'explique par la volonté de responsabiliser celui qui s'engage. Il tranche, ainsi, radicalement avec un courant de pensée favorable au solidarisme contractuel dans lequel l'oubli de soi et l'abnégation seraient les vertus premières. En sollicitant de la part de chacun des contractants un comportement normalement diligent et responsable et, par suite, en refusant de faire de l'altruisme, de la solidarité et de la fraternité, les nouvelles valeurs du droit des contrats, la jurisprudence se montre, ainsi, réaliste, les hommes, dans leur grande majorité, étant davantage préoccupés par leurs propres intérêts que par ceux d'autrui.

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 3, 15 janvier 1971, n° 69-12.180, Société l'Union pour la construction immobilière UCIM c/ Société M. et S. Bezanger (N° Lexbase : A5733AWA), RTDCiv. 1971, p. 839, obs. Y. Loussouarn.
(2) Cass. civ. 1, 22 février 1978, n° 76-11.551, Epoux Saint-Arroman c/ Réunion des Musées Nationaux, Consorts Rheims, Laurin, Lebel, Secrétaire d'Etat à la Culture (N° Lexbase : A0563AYI) et Cass. civ. 1, 13 décembre 1983, n° 82-12.237, Epoux Saint-Arroman c/ Réunion des Musées Nationaux, Ministre de la Culture, Rheims, Laurin, Lebel (N° Lexbase : A3665CH9), GAJC, 11ème éd., n° 148-149.
(3) Ch. Larroumet, Droit civil, Les obligations, Le contrat, Economica, 1998, n° 362.
(4) Voir not., sur cette question, J. Ghestin, Traité de droit civil, La formation du contrat, LGDJ, 3ème éd., 1993, n° 565.
(5) Cass. civ. 1, 3 mai 2000, n° 98-11.381, M. Clin c/ Mme Boucher (N° Lexbase : A3586AUD), Rép. Defrénois 2000, p. 1110 et s., obs. D. Mazeaud et Ph. Delebecque, RTDCiv. 2000, p. 566, obs. J. Mestre et B. Fages, JCP éd. G, 2001, II, 10510, note C. Jamin.
(6) Cass. civ. 3, 15 novembre 2000, n° 99-11.203, Société Carrières de Brandefert c/ Consorts Palaric-Le Coentet autre (N° Lexbase : A9469AH8), Contrats, conc., consom. 2001, n° 23, obs. L. Leveneur, Rép. Defrénois 2001, p. 243, obs. E. Savaux, JCP éd. G, 2001, I, 301, obs. Y.-M. Serinet.
(7) E. Savaux, obs. préc..
(8) Cass. civ. 1, 3 mai 2000, précitée.
(9) Cass. civ. 3, 15 mai 2000, précitée.
(10) Voir, en ce sens, la démonstration de D. Mazeaud, note. sous Cass. civ. 3, 21 février 2001, n° 98-20.817, M. Plessis et autre c/ Consorts Errera et autres (N° Lexbase : A8926AQN), D. 2001, J., p. 2702 et s., spéc. n° 17.
(11) Cass. civ. 3, 21 février 2001, précitée, D. 2001, J., p. 2702, note D. Mazeaud, ibid., Somm. p. 3236, obs. L. Aynès.
(12) M. Fabre-Magnan, De l'obligation d'information dans les contrats, préf. J. Ghestin, LGDJ, 1992, n° 253 et s..
(13) J. Carbonnier, Droit civil, T. IV, Les obligations, PUF, coll. Thémis Droit privé, 2000, n° 51.
(14) Selon l'expression de M. C. Jamin, note sous Cass. civ. 1, 3 mai 2000, précitée.

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