La lettre juridique n°247 du 8 février 2007 : Éditorial

Réticence dolosive, légèreté blâmable et responsabilisation : "à s'informer de tout, on ne sait jamais rien"*

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Réticence dolosive, légèreté blâmable et responsabilisation : "à s'informer de tout, on ne sait jamais rien"*. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208903-reticence-dolosive-legerete-blamable-et-responsabilisation-i-a-sinformer-de-tout-on-ne-sait-jamais-r
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


Ouf ! Nous venons d'éviter de peu que la jurisprudence "Poussin" ne fasse des petits ! A ceci près que l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 17 janvier dernier ne portait pas sur un tableau de maître, mais sur un bien immobilier... Mais, aujourd'hui, cette différence sur "la chose" a-t-elle une importance ?

Pour mémoire, les époux Saint-Arroman avaient fait vendre aux enchères publiques un tableau attribué par tradition familiale à Nicolas Poussin, mais inscrit, après avis d'expert, au catalogue de la vente comme attribué à l'Ecole des Carrache avec leur assentiment. Adjugée pour 2 200 francs, en février 1968, cette oeuvre qui représentait Apollon et Marsyas, avait été adjugée à un marchand, mais par la suite préemptée par l'Etat, pour le musée du Louvre. Celui-ci l'avait exposée, ensuite, comme une oeuvre de Poussin. Par jugement du 13 décembre 1972, le tribunal de grande instance de Paris avait prononcé la nullité de la vente pour vice de consentement des vendeurs en raison de l'erreur sur la substance. Ce jugement avait été infirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 février 1976, puis cassé par arrêt du 22 février 1978 de la Cour de cassation, au motif que la cour d'appel n'avait pas recherché si, au moment de la vente, le consentement des vendeurs avait été vicié par leur conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être une oeuvre de Poussin. Au final, après de nombreuses circonvolutions, la cour d'appel de Versailles, par arrêt du 7 janvier 1987, avait ordonné la restitution du tableau et du prix de vente reçu : elle avait considéré que les époux Saint-Arroman avaient fait une erreur portant sur la qualité substantielle et déterminante de leur consentement. Le tableau a été restitué aux époux Saint-Arroman qui ont remboursé la somme de 2 200 francs réglée au moment de la vente. Puis, il a été remis en vente et adjugé en décembre 1998 pour 7 400 000 francs. Cette affaire a eu de nombreuses répercussions dans la mesure où elle a ouvert la voie à plusieurs autres contentieux de ce type en matière d'acquisitions. Sur le plan juridique, l'affaire a apporté des éléments importants à la théorie générale des contrats et à l'interprétation de l'erreur sur les qualités substantielles pouvant entraîner la nullité de la vente dans le cadre de l'application de l'article 1110 du Code civil. Elle consacre définitivement la possibilité, jusque-là contestée ou du moins admise avec réticences, donnée au vendeur aussi bien qu'à l'acheteur, d'invoquer l'erreur sur la substance dont il aurait été victime. Ensuite, elle admet que la preuve de l'erreur peut résulter de l'analyse des consentements échangés (et non seulement des qualités objectives de l'objet concerné), ce qui conduit donc à accepter une théorie subjective de l'erreur sur la substance.

Changeons maintenant de marché : les prix de l'immobilier ont progressé de 123 % entre 1998 et 2006. Aussi, est-il incongru de penser que le caractère spéculatif inhérent au marché immobilier répond, aujourd'hui plus encore qu'auparavant, aux canons du marché de l'art ? Pour être plus clair, le vendeur d'un bien immobilier peut-il demander la restitution de son bien pour ne pas l'avoir évalué au bon prix, compte-tenu de ses qualités substantielles ? Le cas s'est présenté, peu ou prou, devant la Haute juridiction : un marchand de biens, bénéficiaire de promesses de vente que lui avait consenties, sur sa maison, un agriculteur, avait assigné le vendeur après avoir levé l'option en réalisation de la vente. Mais, les juges du fond avaient déclaré la promesse de vente nulle au motif que le bénéficiaire n'avait pas informé le vendeur du prix de l'immeuble qu'il détenait en sa qualité d'agent immobilier et de marchand de biens, alors que le vendeur ne pouvait, avaient-ils considéré, lui-même connaître la valeur de son pavillon. Aussi bien, selon les premiers juges, l'acquéreur avait-il manqué à son devoir de loyauté, si bien que se trouvait caractérisée une réticence dolosive déterminante du consentement du vendeur au sens de l'article 1116 du Code civil. Sous le visa de ce même article, la Cour de cassation casse cette décision en affirmant "que l'acquéreur, même professionnel, n'est pas tenu d'une obligation d'information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis". La prolifération des obligations d'information et de ses avatars à la charge des professionnels et au bénéfice des consommateurs n'a donc pas sévi aveuglement : il incombe toujours au vendeur de connaître le "bon" prix du bien qu'il entend vendre ; il ne s'agit pas, non seulement, de renverser la charge de l'obligation d'information, conduisant le professionnel acquéreur à déterminer un prix "correct" pour le bien en acquisition au bénéfice du vendeur ; mais aussi, il incombe à ce dernier de se renseigner, à défaut de connaissance propre et d'expérience, sur la valeur du bien en cause, sans pouvoir invoquer, par ailleurs, sa légèreté blâmable, voire sa turpitude. La sécurité juridique des transactions, notamment, immobilières est à ce prix ; et ceci, d'autant plus sur un marché hautement spéculatif, dont les variations sont encore importantes, à la hausse... comme à la baisse. Rappelons que la hausse des prix étant supérieure à celle qui aurait résulté des seuls facteurs objectifs de soutien de la demande, il est possible que ce moindre dynamisme de la demande se traduise, désormais, par une baisse des prix... Selon le baromètre BIPE/Empruntis, ils devraient, en 2007, diminuer de 2 % (Le Figaro du 6 février 2007). Un chiffre révisé à la baisse, annoncé initialement à 4 %. Aussi, pour le dynamisme et la concurrence du marché, ne désespérons pas les chercheurs d'or en leur faisant rendre leurs pépites, tout en leur laissant les cailloux qui les avaient fait rêver... Pour un commentaire de l'arrêt rapporté, les éditions juridiques Lexbase vous invitent à lire David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit, Pas d'obligation d'information à la charge de l'acquéreur sur la valeur du bien acquis.

*Alain, extrait des Propos sur l'éducation

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