La lettre juridique n°247 du 8 février 2007 : Communautaire

[Textes] Le couple Etat/entreprises : le régime primaire impératif

Réf. : Directive 2006/111/CE de la Commission du 16 novembre 2006 relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques ainsi qu'à la transparence financière dans certaines entreprises (N° Lexbase : L5048HT7)

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Si le Traité communautaire "ne préjuge rien du régime de la propriété dans les Etats membres" , il n'est pas d'une totale neutralité sur les relations entre l'Etat et les entreprises. Certes, contrairement à une idée fort répandue, le droit communautaire n'impose en aucune manière les privatisations, mais il implique la soumission des entreprises publiques aux mêmes règles de concurrence que les entreprises du secteur privé. Cette application du droit de la concurrence trouve, toutefois, une limite dans les missions de service public qui peuvent être confiées à une telle entreprise. Telle est la signification des paragraphes 1 et 2 de l'article 86 CE , lequel dispose que, "1. les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment, à celles prévues à l'article 12 et aux articles 81 à 89 inclus ; 2. les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté". Ce dispositif conduit à dissocier l'Etat-propriétaire de l'Etat-régulateur. Pour la mise en oeuvre de ces dispositions, le paragraphe de ce même article confère à la Commission une sorte de pouvoir réglementaire autonome puisqu'il dispose qu'elle "veille à l'application des dispositions du présent article et adresse, en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux Etats membres". Sur ce fondement avait été élaborée la Directive 80/723/CEE de la Commission, du 25 juin 1980, relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques (N° Lexbase : L9427AUP) qui, depuis, a fait l'objet de quatre révisions importantes (Directive 85/413/CEE de la Commission du 24 juillet 1985, modifiant la Directive 80/723/CEE, relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques N° Lexbase : L9628AU7 ; Directive 93/84/CEE de la Commission du 30 septembre 1993, modifiant la Directive 80/723/CEE, relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques N° Lexbase : L7779AUN ; Directive 2000/52/CE de la Commission du 26 juillet 2000, modifiant la Directive 80/723/CEE, relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques N° Lexbase : L8037AU9 ; Directive 2005/81/CE de la Commission du 28 novembre 2005, modifiant la Directive 80/723/CEE, relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques ainsi qu'à la transparence financière dans certaines entreprises N° Lexbase : L3866HDK). La Commission a, donc, procédé à une refonte de la Directive de 1980. Il n'est nul besoin de souligner l'importance d'un tel texte à l'heure où les entreprises publiques françaises connaissent des mutations importantes qui peuvent se traduire par une privatisation, sans pour autant, d'ailleurs, que disparaissent les missions de service public qui leur incombent.

On rappellera, d'abord, qu'avait été, jadis, contestée la compétence de la Commission pour adopter un dispositif d'une telle nature et d'une telle ampleur sur le fondement de l'article 86 CE. Cette démarche a, toutefois, été validée par la Cour de justice (CJCE, 6 juillet 1982, aff. C-188 à C-190/80, République française, République italienne et Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c/ Commission des Communautés européennes N° Lexbase : A2283AWH).

Initialement, la Directive 80/723/CEE avait une portée purement procédurale puisqu'elle imposait aux Etats de transmettre à la Commission certaines informations financières relatives aux entreprises publiques. Toutefois, la jurisprudence de la Cour de justice a conduit la Commission à enrichir substantiellement cette Directive dont rend compte cette nouvelle version. Son champ d'application est conçu de manière suffisamment vaste (I) afin que puisse être garantie la transparence entre l'Etat et les entreprises (II).

I. Champ d'application

A. Inclusion

La Directive s'impose, tout d'abord, non seulement à l'Etat central, mais, également, à tous les pouvoirs publics et, notamment, les collectivités territoriales infra-étatiques. On retrouve ici la conception extensive de l'Etat que retient le droit communautaire qui est à la fois gage de sa bonne application dans les systèmes juridiques internes et du respect de leur autonomie institutionnelle.

La notion d'entreprise publique est également étendue puisqu'il s'agit de "toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent". Il est précisé que "l'influence dominante des pouvoirs publics sur l'entreprise est présumée lorsque, directement ou indirectement, ceux-ci : i) détiennent la majorité du capital souscrit de l'entreprise ; ou ii) disposent de la majorité des voix attachées aux parts émises par l'entreprise ; ou iii) peuvent désigner plus de la moitié des membres de l'organe d'administration, de direction ou de surveillance de l'entreprise" (article 2, b)). Cette notion d'influence dominante permet de ne pas limiter les entreprises publiques aux seules sociétés détenues majoritairement par les pouvoirs publics. Sont également concernées "les filiales des entreprises mères, aux divers degrés de la sous-filialisation, pourvu que l'influence dominante des pouvoirs publics soit toujours susceptible de s'exercer aux trois niveaux d'influence sélectionnés par la directive" (M. Durupty et J. Virolle, Entreprises publiques, Rép. Dalloz Droit communautaire, spéc. n° 14). De manière générale, cette conception de l'entreprise publique très économique renvoie aux définitions de la jurisprudence communautaire qui est indifférente à l'existence ou non d'une personnalité juridique (CJCE, 16 juin 1987, aff. C-118/85, Commission des Communautés européennes c/ République italienne N° Lexbase : A7911AUK).

B. Exclusion

Sont, évidemment, d'abord exclues du champ d'application de la Directive les entités n'exerçant pas une activité économique (CJCE, 23 avril 1991, aff. C-41/90, Klaus Höfner et Fritz Elser c/ Macrotron GmbH N° Lexbase : A0092AWC). Tel n'est pas le cas d'un régime obligatoire d'assurance maladie et maternité des travailleurs non-salariés des professions non agricoles (CJCE, 17 février 1993, aff. C-159 à C-160/91, Christian Poucet c/ Assurances générales de France et Caisse mutuelle régionale du Languedoc-Roussillon N° Lexbase : A5814AYY), mais est, en revanche, concerné un organisme à but non lucratif gérant un régime complémentaire d'assurance vieillesse facultatif et fonctionnant selon le principe de la capitalisation (CJCE, 16 novembre 1995, aff. C-244/94, Fédération française des sociétés d'assurance, Société Paternelle-Vie, Union des assurances de Paris-Vie et Caisse d'assurance et de prévoyance mutuelle des agriculteurs c/ Ministère de l'Agriculture et de la Pêche N° Lexbase : A9643AUP).

Sont ensuite exclues "les entreprises publiques, en ce qui concerne les prestations de services qui ne sont pas susceptibles d'affecter sensiblement les échanges entre les Etats membres" (article 5, paragraphe 1 a), et paragraphe 2 a)). Ce critère de l'affectation du commerce entre les Etats membres comme élément d'applicabilité du droit communautaire de la concurrence résulte de la lettre des articles 81 et 82 CE et la Cour de justice a précisé que cette affectation devait avoir un caractère sensible (CJCE, 9 juillet 1969, aff. C-5/69, Franz Völk c/ S.P.R.L. Ets J. Vervaecke N° Lexbase : A6565AUP). Les dispositions de la Directive ne sont pas, non plus, applicables aux entreprises dont le chiffre d'affaires total annuel net est inférieur à quarante millions d'euros. On retrouve, ainsi, une règle de minimis comme il en existe en matière d'entente.

II. Transparence

A. Les obligations formelles

Ces obligations correspondent à l'objet initial de la Directive. Il s'agit pour les Etats de faire apparaître "a) les mises à disposition de ressources publiques effectuées directement par les pouvoirs publics en faveur des entreprises publiques concernées ; b) les mises à disposition de ressources publiques effectuées par les pouvoirs publics par l'intermédiaire d'entreprises publiques ou d'institutions financières ; c) l'utilisation effective de ces ressources publiques" (article 1er, paragraphe 1). Sont, notamment, concernés "a) la compensation des pertes d'exploitation ; b) les apports en capital ou en dotation ; c) les apports à fonds perdus ou les prêts à des conditions privilégiées ; d) l'octroi d'avantages financiers sous forme de la non-perception de bénéfices ou du non-recouvrement de créances ; e) la renonciation à une rémunération normale des ressources publiques engagées ; f) la compensation de charges imposées par les pouvoirs publics" (article 3, paragraphe 1). Les Etats ont l'obligation de conserver durant cinq ans ces données financières afin qu'elles puissent être mises à disposition de la Commission.

Pour les entreprises qui opèrent dans le secteur manufacturier, les Etats doivent, notamment, communiquer le rapport de gestion et les comptes annuels et toutes les autres formes d'intervention de l'Etat, telles apports en capital, subvention, prêts. Ce régime plus rigoureux avait été prévu par la Directive 93/84/CE. Il résulte du constat de la Commission que c'est surtout dans le secteur manufacturier que des aides considérables sont accordées aux entreprises.

B. Les obligations comptables

Les entreprises titulaires de droits spéciaux ou de droits exclusifs et les services d'intérêt économique général qui reçoivent une compensation de service public doivent tenir des comptes séparés qui "reflètent fidèlement la structure financière et organisationnelle de toute entreprise soumise à l'obligation de tenir des comptes séparés, en faisant ressortir : a) les produits et les charges associés aux différentes activités ; b) le détail de la méthode d'imputation ou de répartition des produits et des charges entre les différentes activités" (article 1er, paragraphe 2). Il est, ainsi, imposé que "a) les comptes internes correspondant aux différentes activités soient séparés ; b) tous les produits et charges soient correctement imputés ou répartis sur la base de principes de comptabilité analytique appliqués de manière cohérente et objectivement justifiables ; c) les principes de comptabilité analytique selon lesquels les comptes séparés sont établis soient clairement définis" (article 4, paragraphe1). L'ensemble de ces données doit être accessible à la Commission pendant une durée de cinq ans. Ces dispositions ne sont, toutefois, pas applicables aux entreprises chargées d'un service d'intérêt économique général si les compensations ont été fixées à la suite d'une procédure ouverte, transparente et non-discriminatoire.

Ces dernières obligations ne sont que la conséquence de la jurisprudence communautaire. Avec l'arrêt "Corbeau" (CJCE, 19 mai 1993, aff. C-320/91, Procédure pénale c/ Corbeau N° Lexbase : A9609AUG), le juge communautaire a accepté sur le fondement de l'article 86, paragraphe 2, CE, au sein des entreprises publiques chargées d'un service d'intérêt économique général, l'existence de subventions croisées à condition, toutefois, que puissent être précisément déterminées les modalités de la compensation entre secteurs rentables et secteurs non rentables. Dès lors, la tenue de comptes séparés est apparue comme le préalable indispensable pour que puisse jouer au profit des services d'intérêt économique général la dérogation de l'article 86, paragraphe 2.

Par ailleurs, dans l'arrêt "Altmark" (CJCE, 24 juillet 2003, aff. C-280/00, Altmark Trans GmbH et Regierungspräsidium Magdeburg c/ Nahverkehrsgesellschaft Altmark GmbH, en présence de Oberbundesanwalt beim Bundesverwaltungsgericht N° Lexbase : A2343C9N ; v. déjà, CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-53/00, Ferring SA c/ Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) N° Lexbase : A5861AXD), la Cour a estimé que ne devaient pas être qualifiées d'aides d'Etat les subventions versées à des entreprises en contrepartie de prestations de service public. Le juge communautaire avait posé quatre conditions afin que les juridictions nationales puissent s'assurer que des subventions ont bien pour objet de permettre l'exécution de sa mission de service public par l'entreprise bénéficiaire. La première et la troisième relèvent du truisme : "l'entreprise bénéficiaire doit effectivement être chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies" ; "la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations". La quatrième est tout à fait cohérente car, pour le calcul du niveau de la compensation nécessaire, elle fixe comme standard l'"entreprise moyenne bien gérée et adéquatement équipée". Quant à la deuxième, elle concerne "les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis de façon objective et transparente". La Directive 2005/81/CE, qui est reprise par la Directive 2006/111/CE, permet assurément que puisse être mieux apprécié si ces critères sont ou non satisfaits. On rappellera que si les autorités nationales ne fournissent pas les indications permettant de déterminer précisément les coûts générés par les activités de service public et les paramètres de calcul de la compensation, le juge communautaire refuse le bénéfice de la jurisprudence "Altmark" (CJCE, 27 novembre 2003, aff. C-34 à C-38/01, Enirisorse SpA c/ Ministero delle Finanze N° Lexbase : A2990DAY).

Cette Directive 2006/111/CE ne pas doit, ainsi, pas être regardée par les Etats membres moins comme une nouvelle contrainte, mais, plutôt, comme une garantie de sécurité juridique au bénéfice des services publics.

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