La lettre juridique n°247 du 8 février 2007 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Clause d'assistance administrative internationale, siège apparent et siège réel d'une société : "Les apparences sont belles dans leur vérité momentanée" (1)

Réf. : Cass. com., 12 décembre 2006, n° 04-18.616, société Dreamhouse Limited, F-P+B (N° Lexbase : A8979DSD)

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le 07 Octobre 2010

Par une décision en date du 12 décembre 2006, la Cour de cassation a approuvé l'analyse juridique de l'administration fiscale qui prétendait opposer, à la société requérante apparemment résidente d'un Etat ayant conclu avec la France une clause d'assistance administrative, son siège social réel. Les faits de l'espèce rapportent qu'une société anglaise avait acquis des immeubles en France consistant en un garage et une maison sous le bénéfice d'un taux réduit des droits d'enregistrement et sous conditions ayant trait à leur affectation.

A la suite d'une procédure de vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause, d'une part, l'avantage du régime dérogatoire des droits d'enregistrement, d'autre part, l'exonération de la taxe de 3 % frappant la valeur vénale des immeubles appartenant à une personne morale étrangère dès lors que le siège statutaire apparent ne correspondait pas au lieu de direction effectif de l'entreprise.

Déboutée de son action par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 1ère ch. A, 13 avril 2004), la société Dreamhouse Limited se pourvoit en cassation en invoquant, d'une part, une clause d'assistance administrative insérée dans la convention fiscale franco-britannique (I), d'autre part, en opposant à l'administration l'absence de redressement au titre d'une prise de position formelle sur le fondement de l'article L. 80 B du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L8733G8X) (II).

I. Clause d'assistance administrative, siège réel et siège statutaire

En instaurant une taxe annuelle de 3 % sur la valeur vénale des immeubles ou droits immobiliers situés en France et possédés par des personnes morales étrangères, le législateur entendait faire échec aux montages visant à soustraire les immeubles appartenant à des particuliers redevables, du désormais très contesté, impôt de solidarité sur la fortune dont l'une des premières vertus est d'avoir contribué à l'enrichissement de groupes étrangers concurrents des entreprises françaises (2).

Mais, dans le cadre d'une intensification des échanges commerciaux et afin d'éviter les situations de double imposition, les Etats ont mené (3) une réflexion commune en vue de conclure des accords internationaux visant à réduire ou éliminer les situations de doubles impositions juridiques, ces dernières se définissant comme résultant d'une situation où un même contribuable est considéré comme résident de deux Etats ou bien lorsque ce dernier est imposé au nom d'un même revenu dans l'Etat dans lequel il réside et dans l'Etat source.

Ces conventions internationales font l'objet de négociations entre les Etats d'après les modèles développés par l'ONU ou par l'OCDE : à ce titre, certaines clauses sont fréquemment adoptées, telles que la clause d'égalité de traitement (4), aussi appelée clause de non-discrimination (5) (art. 24 modèle OCDE), ou celle relative à l'assistance administrative (art. 26 modèle OCDE) dont l'étendue est plus ou moins importante selon les conventions conclues.

Cette dernière vise à permettre aux administrations fiscales d'échanger des informations et une assistance mutuelle au recouvrement de l'impôt (T. Lambert, Un aspect méconnu du contrôle fiscal : l'assistance fiscale internationale, BF, avril 2000).

Au cas d'espèce, il peut paraître assez paradoxal de constater que le contribuable se prévalait de la clause d'assistance administrative, insérée dans la convention franco-britannique du 22 mai 1968 (N° Lexbase : L6745BHB), alors que cette dernière est censée intéresser au premier chef les administrations fiscales française et britannique dans leur lutte conjointe contre la fraude fiscale internationale...

Mais l'enjeu, pour la société Dreamhouse, était de première importance : elle entendait opposer la clause d'assistance administrative à l'administration fiscale française pour prétendre échapper à l'application de la taxe de 3 %, dès lors que son siège statutaire était situé en Angleterre.

En effet, aux termes de l'article 990 E du CGI (N° Lexbase : L9276HL7), le législateur exonère les personnes morales qui : "ayant leur siège dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, déclarent chaque année, au plus tard le 15 mai, au lieu fixé par l'arrêté prévu à l'article 990 F, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l'identité et l'adresse de leurs associés à la même date ainsi que le nombre des actions ou parts détenues par chacun d'eux".

Toutefois, les éléments recueillis par l'administration fiscale ont permis d'établir que le siège réel de la société Dreamhouse était situé en Suisse et non en Angleterre.

Or, la Suisse n'avait pas, à l'époque des faits, signé de clause d'assistance administrative avec la France.

Partant, les dispositions issues de l'article 990 E, 2°, du CGI exonérant le contribuable ne pouvaient être applicables : pour la Cour régulatrice, la société ne peut opposer son siège statutaire anglais si ce dernier ne correspondait pas au lieu de direction effectif.

Tout en soulignant que la requérante s'était présentée comme immatriculée en Angleterre et ayant son siège social à Londres, la Cour de cassation postule que l'application des conventions bilatérales nécessite que "la société ait la nationalité du pays dont elle était résidente".

Par conséquent, la Haute juridiction ne retient pas l'interprétation de la société Dreamhouse pour qui l'article 990 E, 2°, ne faisait référence qu'au seul siège statutaire, même si ce dernier n'était qu'apparent, et non au siège de direction effectif.

II. Absence de redressement et prise de position formelle opposable rétroactivement (LPF, art. L. 80 B)

Les sources du droit fiscal sont multiples et ne sont pas limitées à la loi ou aux Traités internationaux : la doctrine administrative, constituée d'instructions et d'une documentation de base, dont on avance le chiffre de 40 000 pages (M. Cozian, Précis de fiscalité des entreprises, Litec, collection Litec fiscal, 30ème édition, 2006, p. 3), joue un rôle fondamental dans les rapports entre l'administration fiscale et les contribuables. A ce titre, elle jouit d'un régime juridique particulier : en effet, les dispositions des articles L. 80 A (N° Lexbase : L8568AE3) et L. 80 B (N° Lexbase : L8733G8X) du LPF permettent aux contribuables d'opposer à l'administration fiscale sa propre doctrine publiée ou ses prises de position formelle sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal.

Cette opposabilité de la doctrine (L. Vapaille, La doctrine administrative fiscale, L'Harmattan, collection Finances publiques, 1999) est asymétrique : en effet, dans l'hypothèse où elle ajouterait à la loi des conditions subordonnant l'octroi d'un régime fiscal dérogatoire institué par le législateur, elle serait alors considérée comme illégale. Dans l'hypothèse inverse, le contribuable pourrait l'opposer à l'administration fiscale.

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 décembre 2006 offre une illustration de la portée qu'il faut conférer à une absence de redressement au regard de l'article L. 80 B du LPF quant à la notion de prise de position formelle opposable.

Cette dernière a entraîné une jurisprudence particulièrement fournie : seuls les contribuables ayant participé à l'acte peuvent se prévaloir des garanties issues de l'article L. 80 B du LPF (CE Contentieux, 17 février 1997, n° 165538, Société Ed-Dis-Sud N° Lexbase : A8505ADD ; CE Contentieux, 17 juin 1996, n° 145594, SA France Sud Diffusion N° Lexbase : A9626ANT) étant entendu que l'administration peut, pour l'avenir, prendre une position contraire infirmant sa prise de position antérieure (CAA Paris, 2ème ch., B, 20 décembre 2002, n° 99PA02243, M. Cauchetier N° Lexbase : A7580A4I).

Concernant la formalisation de cette prise de position, la jurisprudence admet qu'elle puisse être verbale (CAA Nancy, 2ème ch., 12 octobre 1995, n° 94NC00089, M. et Mme Michel Dengreville N° Lexbase : A0093AXQ), encore faut-il qu'elle ne résulte pas d'un conseil donné par un agent de l'administration fiscale ou d'un simple contact téléphonique en vue d'un arrangement amiable (CAA Douai, 3ème ch., 7 octobre 2003, n° 99DA20224, M. Roger Marlier N° Lexbase : A3399DA7).

S'agissant d'un dégrèvement sans motivation ou de l'absence de redressement à la suite d'une vérification de comptabilité, il est de jurisprudence constante qu'il ne peut s'agir d'une prise de position tacite opposable à l'administration (CAA Douai, 2ème ch., 28 septembre 2004, n° 01DA00229, Société anonyme à responsabilité limitée Artois Matériel N° Lexbase : A3130DEN ; CE 9° et 10° s-s-r., 8 mars 2002, n° 221667, SA Silmeca N° Lexbase : A2564AYM ; CAA Lyon, 2ème ch., 8 juillet 2003, n° 98LY00307, M. Lionel Jarrige N° Lexbase : A5916C9Y ; CAA Lyon, 3ème ch., 3 juin 2003, n° 03LY00181, M. François Bastier N° Lexbase : A5888C9X ; CAA Nantes, 1ère ch., 22 février 1996, n° 93NT00979, Ministre de l'Economie et des Finances c/ Société d'investissements et de participations (S.I.P.) N° Lexbase : A1523A48).

Au cas d'espèce, la société Dreamhouse soumettait à la sagesse de la Haute juridiction la question de savoir si elle pouvait opposer rétroactivement l'absence de redressement de la taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des personnes morales relativement aux années postérieures au redressement objet de la présente décision commentée.

En répondant par la négative, la Cour de cassation juge que l'absence de redressement ne peut être assimilée à une prise de position formelle avec effet rétroactif : elle ne peut, par conséquent, emporter l'anéantissement d'une procédure de redressement initiée antérieurement.

Frédéric Dal Vecchio
Juriste-fiscaliste
Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines
Membre du Laboratoire de recherches CERAP (Université Paris XIII)


(1) Octavio Paz, Prix Nobel de Littérature 1990.
(2) "Un impôt [l'ISF] fantastique, qui a permis de faire passer un groupe français, Taittinger, aux mains des Américains et à un Belge, moi [il s'agit de l'homme d'affaires Albert Frère], de doubler sa fortune dans l'opération", Le Point, 18 août 2005, p. 13.
(3) Bien que la première convention fiscale bilatérale fût signée en 1843 entre la France et la Belgique, c'est au lendemain de la première guerre mondiale que le mouvement s'est intensifié.
(4) Pour une illustration (convention entre la France et le Panama du 10 juillet 1953) : CE, 16 décembre 1991, n° 54611, 7° et 8° s-s-r., S.A Ressources Management Corporation (N° Lexbase : A9147AQT).
(5) La clause d'égalité de traitement n'a pas été adoptée par l'ensemble des Etats contractant avec la France : il en est ainsi de l'Australie (convention France-Australie du 13 avril 1976 N° Lexbase : L6664BHB), de la Nouvelle-Zélande (convention France-Nouvelle-Zélande du 30 novembre 1979 N° Lexbase : L6733BHT), du Qatar (convention France - Etat du Qatar du 4 décembre 1990 (N° Lexbase : L6741BH7), du Viêt Nam (convention France - Viêt-Nam du 10 février 1993 N° Lexbase : L6766BH3)...

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