Lexbase Droit privé - Archive n°631 du 5 novembre 2015 : Assurances

[Evénement] De l'articulation entre les clauses types des polices d'assurance construction et les dispositions d'ordre public

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par June Perot - Rédactrice droit privé

le 05 Novembre 2015

En droit des assurances, il convient de distinguer, d'une part, les polices obligatoires et, d'autre part, les assurances facultatives. La spécificité de la matière réside dans le fait que les clauses contenues dans les polices sont très réglementées à deux égards : d'abord parce qu'il existe des dispositions d'ordre public qui n'intéressent pas spécialement le droit de la construction, mais toutes les assurances, qu'elles soient obligatoires ou facultatives ; ensuite parce qu'il existe ces fameuses clauses types qui sont instaurées par le législateur. La première question qui se pose concerne ce premier aspect sur la dichotomie entre assurance obligatoire et assurance facultative que l'on peut rencontrer dans le domaine de l'entreprise et de la construction. Comment s'articulent les dispositions d'ordre public et les clauses types ? Comment s'imbriquent-elles ? Et, dans ces articulations, l'assureur dispose-t-il d'une liberté contractuelle ? Est-il possible de réaménager le contenu de ces clauses types et si oui, comment (1) ? Dans l'imaginaire collectif, l'assurance construction constitue le domaine par excellence de l'assurance obligatoire. Pour autant, tout un pan de l'assurance construction reste libre, notamment l'assurance construction en fin de chantier et les assurances post-réception. Cela signifie que l'on a l'impression que l'assurance construction se résume à ces articles sur l'assurance obligatoire et aux fameuses clauses types. Seule une partie des dispositions d'ordre public applicables à l'assurance construction sont véritablement connues par les praticiens et encore, ne le sont-elles, bien souvent, qu'assez superficiellement, laissant la voie ouverte à bien des transgressions. Il s'agit des clauses types et, plus précisément, des dispositions contenues dans le livre II du Code des assurances et qui sont spécifiques au domaine de l'assurance obligatoire : articles L. 241-1 et suivants (N° Lexbase : L1827KGR) et articles A. 243-1 et suivants (N° Lexbase : L9756IE3) du Code des assurances.

I - Les clauses types

A - L'interdiction d'amoindrir le contenu des garanties figurant dans les clauses types dans le domaine de l'assurance obligatoire

En pratique, les assureurs ont tendance à considérer que les règles sur l'assurance obligatoire sont contraignantes. D'abord parce qu'elles conduisent à obliger les assureurs à délivrer des garanties qu'ils n'auraient pas envie de délivrer et ensuite, parce qu'elles les obligent à délivrer, sur la base d'un standard qui s'impose à eux, des clauses types. Les clauses types ne règlementent pas tout le contrat d'assurance en matière de construction mais l'on y retrouve l'essentiel, tel que le contenu des garanties et les exclusions. Le principe est l'interdiction de toute stipulation contractuelle qui aurait pour objet de réduire ou de limiter la portée de ces clauses types (C. ass., art. A. 243-1 N° Lexbase : L9756IE3). Dès lors, les stipulations consistant à "conditionner" l'application des garanties contenues dans la clause type et, a fortiori, d'y ajouter des cas d'exclusion de garantie ou de suspension, seraient interprétées comme en altérant la portée et seraient, de facto, réputées non écrites. Les assureurs tentent, parfois avec succès, d'amoindrir ces contraintes en utilisant des outils, des textes concernant les règles sur le contrat d'assurance. Dans certains cas, ils vont tenter de réintroduire des limitations, des possibilités de résilier les contrats, d'imposer des subprimes là où le droit spécial ne le permettrait pas, en jouant sur des institutions du droit commun des assurances, comme par exemple les règles sur la déclaration de risque qui permettent à l'assureur soit de résilier, soit d'imposer des subprimes. Finalement, dans ce domaine où l'ordre public est très présent, une forme de dialectique s'est instaurée entre ces deux sortes d'ordre public, l'un étant parfois utilisé afin de détourner l'autre.

Les clauses types sont régies par les articles L. 241-1 (N° Lexbase : L1827KGR) et suivants du Code des assurances et sont édictées par voie réglementaire. Elles sont également prévues par les articles A. 243-1 et suivants, lesquels font référence aux trois annexes concernant les trois types de police que l'on peut trouver dans cette matière. Si l'on ne peut amoindrir, restreindre ou limiter les garanties figurant dans les clauses types, il est toutefois possible de les élargir. De plus, tout n'est pas règlementé dans les clauses types. Par exemple, la clause type prévue par l'annexe I pour la police Responsabilité civile décennale (RC décennale) (N° Lexbase : L9722IES), n'est pas une police "prête à l'emploi", ce qui prouve que ces dispositions sont, en réalité, à caractère dérogatoire. En conséquence, dès lors qu'il n'est pas traité d'un point dans les dispositions dérogatoires, il faut s'en remettre au droit commun de l'assurance. Le droit de l'assurance construction est donc un droit dérogatoire et non un droit spécial. Il est important de rappeler qu'à partir du moment où les garanties sont énoncées dans ces clauses types, les exclusions sont également énoncées et, par définition, il est impossible d'ajouter des exclusions ou des conditions de garanties. Il est absolument impensable, dans un domaine où les garanties sont précises et écrites, de les conditionner.

A la lecture des contrats d'assurances et des conditions particulières, l'emploi du mot "condition" est très fréquent. Alors pourquoi un tel procédé en pratique ? Pour le comprendre, il faut se référer au domaine de la réassurance. C'est une matière dans laquelle les garanties sont délivrées pour une dizaine d'années ce qui engage les assureurs sur une longue durée et représente une exception absolue. Mobiliser des capitaux pour garantir des ouvrages qui, parfois, peuvent s'élever à 100 millions d'euros, et sur douze ou quinze ans, représente une lourde charge. Par conséquent, les assureurs ne conservent pas la totalité des risques qu'ils assurent. En réalité, le risque est porté par les réassureurs. Ainsi, lorsque ces derniers supportent à leur tour cette charge, ils entendent imposer un certain nombre de règles. Cependant, les réassureurs relèvent du Code de commerce et ne sont donc pas soumis aux clauses types. Ils délimitent leurs garanties à leur guise et la difficulté de la matière réside dans la rencontre de ces deux mondes. Cette friction entre les deux, agrémentée par le fait que le monde de la réassurance est un monde d'ingénieurs, tandis que celui de l'assurance est un domaine de juristes, emporte pour conséquence un discours hétérogène. Ainsi, certains réassureurs présentent des garanties avec des conditions que parfois les assureurs sont tentés de recopier afin de se prémunir, alors qu'il s'agit de deux domaines différents. Dans le domaine de l'assurance obligatoire, l'on ne devrait donc jamais parler de conditions de garanties.

Tout cela n'est cependant valable que dès lors que l'on se trouve dans le domaine de l'assurance construction obligatoire et pour relever de ce domaine il convient de répondre à un certain nombre de conditions. La première condition tient à l'ouvrage dans la mesure où celui-ci ne doit pas être exclu du champ d'application de l'assurance obligatoire (C. ass., L. 243-1-1 N° Lexbase : L2007IBX) et la seconde à l'assujettissement de la personne à l'assurance. Les personnes publiques (communes, collectivités territoriales) sont dispensées de l'obligation d'assurance. En conséquence, en présence de ce type de co-contractant, les clauses types du Livre II ne s'appliquent pas.

Toutefois, il convient de distinguer le fait de recopier les clauses types, d'une part, et le fait de se soumettre au statut légal d'ordre public concernant l'assurance obligatoire en matière de construction, d'autre part. Un célèbre arrêt de l'Assemblée plénière (Ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664 N° Lexbase : A6534AYN) a été rendu à propos du statut légal d'ordre public des baux commerciaux dont il ressort que la soumission conventionnelle au statut des baux commerciaux, fait obstacle à la possibilité d'amender ce statut par des dérogations contractuelles. C'est cependant rarement le cas en pratique car dans 95 % des cas les clauses types sont recopiées mais cela ne leur donne pas la même force.

En conclusion, en matière d'assurance obligatoire, le conditionnement n'est pas possible alors qu'en matière d'assurance facultative il l'est, mais il est possible, par voie contractuelle, de restaurer les obligations en se soumettant au statut légal d'ordre public. Si l'on se contente de recopier les clauses types, la force donnée à ces garanties n'est pas la même que si elles résultaient des dispositions d'ordre public.

B - La méconnaissance partielle du principe dans les pratiques contractuelles des assureurs

1 - Les polices RC décennale

Il existe deux catégories de responsabilité civile décennale : les RC à abonnement (individuelle) et les polices CCRD (contrat collectif de responsabilité décennale) qui ont vocation à garantir la collectivité des constructeurs pour un chantier donné. La plupart du temps, les RC individuelles sont délivrées dans le cadre de polices à abonnement. La responsabilité du constructeur est alors couverte pour une période donnée pour tous les chantiers considérés. En pratique, certaines limites sont posées. La première concerne l'activité : l'assureur couvre pour l'exercice d'une activité donnée. Sur ce point, la jurisprudence, depuis 1997, a admis une première entorse aux clauses types en ce qu'elle considère que, si le contrat d'assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut comporter des clauses et exclusions autres que celles prévues par l'annexe I à l'article A 243-1 du Code des assurances, la garantie de l'assureur ne concerne que le secteur d'activité professionnelle déclaré par le constructeur (Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 95-10.187 N° Lexbase : A0243ACY). Il est donc permis de compléter l'objet de la garantie par la définition de l'activité. A la suite de cet arrêt, les assureurs se sont engouffrés dans la brèche en y introduisant des données plus précises, telles que par exemple les techniques mises en oeuvre pour l'exercice de ces activités ou bien même l'importance du chantier sur lequel elles s'exerçaient. Ainsi, les assureurs, plus ou moins contraints en cela par les réassureurs, laissent accroire assez largement que les garanties obligatoires délivrées dans le cadre d'une police RC décennale, seraient limitées aux hypothèses de travaux mettant en oeuvre des techniques courantes. Sur ce point, la Cour de cassation n'a pas suivi et ne cesse de rappeler qu'il n'est pas permis aux assureurs d'introduire dans la définition de l'activité couverte, des considérations liées aux modalités techniques de leur mise en oeuvre (Cass. civ. 3, 9 juillet 2003, n° 02-10.270 N° Lexbase : A1140C94). Un arrêt de principe (Cass. civ. 3, 10 septembre 2008, n° 07-14.884 N° Lexbase : A1269EAA) a résolu la question en ce qu'il reproche à un assureur d'avoir défini l'activité non pas par son projet mais par ses modalités d'exécution.

Une autre pratique s'est développée pour s'affranchir de cette limite posée par la Cour, consistant à plafonner l'engagement financier de l'assureur. Cette voie n'a toutefois pas été autorisée pour le moment car elle n'a pas encore été plaidée. En réalité, les assureurs ne sont pas tombés dans ce piège et ne conditionnent ni ne limitent la couverture à des chantiers d'un certain montant. Dès lors, que se passe-t-il si un constructeur assuré intervient sur un chantier dont le coût est supérieur à celui stipulé dans la police comme étant le coût maximum des chantiers sur lequel l'assuré est censé intervenir ? Dans cette hypothèse, la sanction invoquée dans le contrat d'assurance n'est pas la non-assurance, mais la règle proportionnelle de capitaux (C. ass., art. L. 121-5 N° Lexbase : L0081AAA). Si l'entreprise intervient sur un chantier dont la valeur au jour du sinistre est beaucoup plus élevée, ce qui pose le problème de l'évolution des coûts de chantier, dans ce cas elle devra supporter une part proportionnelle du dommage. L'idée est donc d'imposer une sanction, mais moins radicale que celle de la non-assurance.

Enfin, on rencontre des plafonnements dits "sauvages" de polices RC décennale individuelles dans les contrats qui visent les cas fréquents sur les chantiers des interventions en groupement, ainsi que les cas de co-titularité de maîtrise d'oeuvre. Cette pratique consiste pour l'assureur à fixer un plafond collectif pour tous les membres du groupement et au-delà du plafond, la franchise prend le relais. La difficulté tient toutefois au fait que ces franchises ne sont pas collectivisées et s'appliquent individuellement à chaque constructeur.

2 - Les polices CCRD

Il existe une problématique spécifique au plafond de garantie pour les polices CCRD, c'est-à-dire le contrat collectif de deuxième ligne. Il s'agit du traitement de l'hypothèse d'une élévation du coût des travaux dans des proportions importantes par rapport au coût prévisionnel initial. La loi est très imprécise sur le sujet car dès lors que l'assureur est engagé à hauteur du coût d'ouvrage, il l'est sur déclaration. La loi ne dit pas à qui doit être déclaré le coût, ni quand, ni sous quelles modalités (hors taxes, TTC). Rien ne permet de dire qu'il faut prendre en compte le coût d'origine. En conséquence, les assureurs mettent un frein en couvrant jusqu'à un certain montant ou plafond (par exemple 20 % du montant d'origine), alors que ce n'est écrit nulle part. La pratique prend beaucoup d'aise et les assureurs, conscients que ce plafonnement sauvage est un peu risqué, ont tendance à utiliser les règles du droit commun des assurances pour trouver une autre solution.

3 - En dommage-ouvrage (DO)

En matière de dommage-ouvrage, tout un arsenal de stratégies contractuelles est utilisé. La première technique consiste à ajouter de véritables conditions de garantie quant aux conditions de réalisation des travaux par les entreprises (respect des règles de l'art, préconisation d'un technicien, etc.). Pendant des années, des conditions de garanties ont donc été inscrites dans les clauses types. Par exemple : "fournir à l'assureur le rapport sans réserve du contrôleur technique sur les tassements résiduels des sols estimés par les géotechniciens" et "sur la solidité et le fonctionnement des ouvrages compte tenu des caractéristiques du sol d'assise". Il appartient donc à l'avocat, dans cette hypothèse, de plaider le caractère non écrit de la clause.

Une autre technique peut consister en l'ajout de cas de conditionnement ou de suspension de garantie en cas de non fourniture d'un dossier technique complet. On peut lire, par exemple, dans les conditions particulières : "les garanties sont accordées sous la condition suspensive de remise à l'assureur d'un questionnaire-proposition complété et signé et d'un dossier technique et administratif complet permettant à l'assureur d'apprécier le risque et qu'à défaut les garanties sont suspendues de plein droit à l'issue de douze mois". Une cour d'appel a eu à connaître de cette pratique dans un arrêt du 11 mars 2013 (CA, Versailles, 11 mars 2013, n° 10/08147 N° Lexbase : A9318I9Y) dans lequel l'assureur soulevait la suspension des garanties.

On trouve également des clauses comprenant l'ajout de garanties dans le but de lier les différents contrats d'une même offre. Là encore, il s'agit d'une exclusion de garantie via une clause de sort. Enfin, et de manière plus inquiétante, il existe des contrats dans lesquels on ajoute de véritables exclusions "hors clauses types". A cet égard, en 2010 la Cour de cassation a approuvé les juges du fond pour ne pas avoir fait application de la clause, mais curieusement, non pas à raison de son illégalité, laquelle n'était pas soulevée, mais à raison du fait que les réserves du contrôleur technique n'avaient été transmises à l'assuré dommages ouvrages, qu'après la réception, alors qu'il était question dans la clause de réserves formulées "avant réception" (Cass. civ. 3, 11 mai 2010 n° 09-11.334 N° Lexbase : A1631EXP). Il est également possible de citer une pratique plus ancienne mais toujours d'actualité d'un assureur qui n'hésite pas à tenter de contourner la difficulté d'établir la disparition de l'aléa, qui n'est en réalité qu'un amoindrissement, faute de pouvoir invoquer des clauses d'exclusions prohibées dans ce type de police, en stipulant une clause particulière censée établir conventionnellement le défaut d'aléa : "d'un commun accord, il est convenu entre les parties, que dans le cas où se réaliserait un sinistre trouvant sa cause unique dans un événement ou une situation ayant fait l'objet d'une préconisation, réserves non levées, avis défavorable ou observations, mentionnés dans le rapport final de l'organisme de contrôle technique, les parties considèreront alors que cette situation ne revêt pas le caractère aléatoire inhérent aux contrats d'assurance. L'assuré s'engage par ailleurs à avertir tout nouvel acquéreur de l'existence de la présente clause et des circonstances qui l'ont motivée".

II - Les dispositions d'ordre public du Code des assurances

A titre préliminaire, il convient de rappeler ce que sont le droit commun et l'ordre public en matière de déclaration du risque. La jurisprudence est abondante sur le sujet et, ces dernières années, une pratique s'est développée, consistant à faire écrire dans les conditions particulières des polices de dommages ouvrages la phrase suivante : "l'assuré déclare".

Or, il s'est avéré que l'assuré pouvait déclarer tout et n'importe quoi. Cela signifie qu'il fait une déclaration s'apparentant à une déclaration de risque mais lorsque la déclaration est fausse, que ce soit intentionnel ou non, le Code des assurances prévoit des sanctions spécifiques (C. ass., art. L. 113-4 N° Lexbase : L0063AAL, L. 113-8 N° Lexbase : L0064AAM et L. 113-9 N° Lexbase : L0065AAN). Ces sanctions peuvent prendre différentes formes et peuvent permettre, parfois, de revenir sur le contrat lui même et de le résilier. En effet, l'article L. 113-4 permet dans un cas avéré d'aggravation de risque en cours du contrat, de résilier purement et simplement. L'article prévoit également la possibilité pour l'assureur de proposer un taux plus fort. L'article L. 113-9, qui est plus ancien, dispose qu'en cas d'omission ou de déclaration inexacte, si celle-ci est constatée avant tout sinistre, l'assureur a le droit soit de maintenir le contrat moyennant une augmentation de prime acceptée par l'assuré, soit de résilier le contrat dix jours après notification adressée à l'assuré par courrier recommandé, en restituant la part de la prime payée pour le temps où l'assurance ne court plus. Par ailleurs, le troisième alinéa dispose que si la constatation n'a lieu qu'après un sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés.

La Cour de cassation a été amenée à plusieurs reprises à statuer dans le sens de l'application de cet article en matière d'assurance construction obligatoire, notamment à propos de l'application de la règle proportionnelle de prime de l'article L. 113-9 du Code des assurances, s'agissant d'architectes qui n'avaient pas déclaré à leur assureur le coût exact du chantier sur lequel ils intervenaient, considérant par ailleurs que cette réduction proportionnelle d'indemnité en cas de sinistre était opposable au tiers victime, alors même qu'il s'agissait d'assurance de responsabilité obligatoire (Cass. civ. 1, 6 décembre 1994, n° 91-20.753 N° Lexbase : A6582ABE). Cela devenait donc très intéressant pour les assureurs qui en ont profité pour faire inscrire dans les contrats la mention "l'assuré déclare". Ainsi, tout ce qui ne peut être exclu est repris de manière positive.

A - Comment la doctrine et la jurisprudence envisagent-elles l'application des dispositions d'ordre public du droit commun en matière de déclaration du risque ?

1 - La loi impose à l'assuré de procéder à deux types de déclaration de risque auxquelles il n'est pas permis de déroger conventionnellement

a) La déclaration provoquée

L'article L. 113-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI) dispose que l'assuré est obligé de répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge. Si dans beaucoup de matières cela est acquis, il existe encore de nombreuses polices d'assurance dans lesquelles figure la mention "l'assuré déclare". La Chambre mixte de la Cour de cassation dans un arrêt de 2014 (Cass. mixte, 7 février 2014, n° 12-85.107 N° Lexbase : A9169MDX) a précisé que non seulement la déclaration consistait en une réponse à une question mais qu'en plus il fallait être capable de prouver l'existence et la réalité de la question. Une mauvaise habitude, en matière d'assurance automobile, qui consistait à faire des déclarations pré-établies s'était en effet développée. L'assuré déclarait avoir été interrogé et déclarait affirmer tel ou tel fait (n'avoir eu aucune condamnation par exemple). Ces déclarations doivent donc être considérées comme non valables car l'assureur n'est pas capable de prouver que toutes les affirmations proviennent d'une question posée. L'assureur n'est pas obligé de fournir un questionnaire mais il faut qu'il soit capable de prouver qu'il y a bien eu un questionnement de la part de l'assuré. Une atténuation semble toutefois être admise puisque si l'assuré a informé spontanément l'assureur, à ce moment là, la Cour de cassation a tendance à considérer qu'il y a des réponses à des questions puisque que c'est lui-même qui est venu déclarer spontanément un fait à l'assureur. En tout état de cause, les juges sont de plus en plus réticents aux formulaires pré-écrits portant, in fine, la mention "lu et approuvé".

b) La déclaration spontanée du risque

La déclaration de risque peut également être constituée par tout ce qui est transmis volontairement par l'assuré à l'endroit de l'assureur. Aux termes de l'article L. 113-2, les seules circonstances nouvelles qui doivent être spontanément déclarées sont celles qui répondent cumulativement à un double critère : les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d'aggraver les risques, soit d'en créer de nouveaux et les circonstances nouvelles qui rendent inexactes ou caduques les réponses faites à l'assureur dans le cadre du questionnaire.

Depuis quelques années, il est courant de rencontrer des contrats conclus en dommages ouvrages comprenant deux pages de renvois à des dossiers informatiques listés en minuscule qui correspondent en réalité à de la documentation technique. L'assureur entend dire que ce sont des données transmises par l'assuré et que cela s'apparente à une déclaration. Cependant, la Cour de cassation ne laissera pas passer cela car ce sont des documents transmis, certes par l'assuré, mais émanant des constructeurs. De plus, ces documents sont amenés à évoluer. L'idée étant que l'assuré ait la maîtrise de ce qu'il déclare. L'enjeu est important et on ne peut pas utiliser ces règles du contrat d'assurance en général pour pouvoir se sortir de certaines situations. Ces règles de droit commun sont aussi encadrées par l'ordre public et ne sont donc pas "en libre service". Il est impossible de les accommoder pour régler les problèmes que les clauses types ne permettent pas de régler, auquel cas il s'agirait d'un détournement manifeste de la déclaration de risque car à partir du moment où ce n'est pas une déclaration de risque, les sanctions ne peuvent s'appliquer.

2 - La fonction de sanction des articles L. 113-4 et L. 113-9 en matière d'obligations de l'assuré dans le cadre d'une déclaration de risque

L'autre hypothèse inquiétante validée par la Haute juridiction concerne les polices d'abonnement. Les assureurs émettent des polices d'abonnement, notamment pour les architectes, lesquels payent chaque année une prime prévisionnelle en fonction du montant du chantier et du chiffre d'affaires réalisé l'année précédente. Les assureurs sont parvenus à faire accepter à la Cour de cassation que les articles L. 113-4 (N° Lexbase : L0063AAL) et L. 113-9 (N° Lexbase : L0065AAN) du Code de assurances étaient en réalité la sanction de la fausse déclaration. Celui qui oublie de déclarer un chantier ou qui le sous-estime a donc effectué une fausse déclaration et il convient d'appliquer ces deux articles. Cependant, l'article L. 113-9 dispose que dans le cas où la constatation n'a lieu qu'après un sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés. Cet article est entièrement fondé sur la comparaison des taux, et à aucun moment il n'est question de prime en valeur absolue. Le fait de ne pas déclarer un risque n'a rien à voir avec le taux, il s'agit d'un problème d'assiette. Le fait d'oublier de déclarer ne change rien au taux et, dès lors, il est incompréhensible d'appliquer la règle proportionnelle de prime. Ainsi, la Cour de cassation sanctionne, au titre de L. 113-9, la fausse déclaration, que ce soit à propos de questions posées sur la gravité du risque et qui conditionne le taux mais que ce soit à propos, également, de la liste des chantiers. Cette sanction devient donc une arme redoutable puisque les assureurs peuvent parvenir, le jour du sinistre, à ne rien payer. Pourtant, l'article L. 113-10 (N° Lexbase : L0068AAR) concerne précisément les primes variables. Il dispose que, dans les assurances où la prime est décomptée soit en raison des salaires, soit d'après le nombre des personnes ou des choses faisant l'objet du contrat, il peut être stipulé que, pour toute erreur ou omission dans les déclarations servant de base à la fixation de la prime l'assuré doit payer, outre le montant de la prime, une indemnité qui ne peut en aucun cas excéder 50 % de la prime omise. Cet article vise donc à régler le cas des polices à primes variables. Pourquoi n'est il pas appliqué ? Car il n'est pas d'ordre public, ce qui conduit à l'application de l'article . 113-9 du Code des assurances.

B - Les nouvelles tendances qui se dégagent quant à la mise en pratique de ces dispositions, à la lecture des textes de police proposés par les assureurs en 2014

Dans le secteur de l'assurance obligatoire, les assureurs de chantier, soit au titre d'une police de chose (police dommages ouvrage), soit au titre d'une police responsabilité civile décennale (Police CNR et CCRD ou RC décennale individuelle) ont beaucoup de difficulté à demeurer dans les limites imposées par les clauses types et essaient d'en contourner les rigueurs, en mettant en oeuvre les mécanismes du droit commun de l'assurance, le plus souvent pour tenter de régler trois problèmes différents : la non-levée des réserves du contrôleur technique par les entreprises au jour de la réception et plus généralement le non-respect des règles de l'art par les constructeurs, l'évolution à la hausse du coût des travaux dans une proportion supérieure à 10 % et la non fourniture à l'assureur de l'intégralité des attestations d'assurance RC décennale des constructeurs. Pour ce faire, la technique contractuelle va consister à rédiger les dispositions sur la déclaration du risque, de telle sorte que ces trois points puissent s'analyser comme des "circonstances nouvelles" constitutives d'une "aggravation du risque" au sens de l'article L. 113-2, 3°, dont la déclaration est obligatoire et justifient ainsi l'application des sanctions contractuelles prévues par les article L. 113-4 (N° Lexbase : L0063AAL) et L. 113-9 (N° Lexbase : L0065AAN), permettant ainsi soit de résilier la police, soit de négocier une surprime, soit encore de diminuer l'indemnité en cas de sinistre dans des proportions identiques à l'aggravation de risque que lesdites circonstances seraient susceptibles de constituer.

Pour atteindre ce but, certains introduisent dans les conditions générales de leur police DO, CNR et CCRD, la stipulation suivante : "Les observations non suivies d'effet figurant dans le rapport final du contrôleur technique constituent une aggravation de risque au sens de l'article L. 113-4 du Code des assurances", espérant ainsi permettre l'application de la sanction légale.

Une autre technique concerne les données contenues dans les pièces techniques établies par les constructeurs et réputées être des éléments constitutifs de la déclaration du risque. Ces stipulations consistent à élargir la notion de "déclaration de risque" au-delà du périmètre qui lui est assigné par la loi, mais aussi par la jurisprudence toute récente de la Chambre mixte de la Cour de cassation, avec pour conséquence, la possibilité à terme, d'exiger des surprimes en invoquant des aggravations de risques résultant de la caducité de certains éléments constituant la déclaration de risque ainsi étendue.

En matière d'évolution à la hausse du coût des travaux dans une proportion supérieure à 10 %, là aussi, il n'est pas rare de retrouver des techniques semblables, certaines consistant à qualifier la situation comme constituant une aggravation de risque : "il est précisé qu'une variation de plus de 10 % de l'enveloppe financière finale par rapport à ce coût prévisionnel sera considérée comme une aggravation du risque au sens de l'article L. 113-9 du Code des assurances". En présence d'une telle aggravation contractuelle, les assureurs pensent pouvoir appliquer les sanctions légales de l'article L. 113-4.

Concernant la non fourniture à l'assureur de l'intégralité des attestations d'assurance RC décennale des constructeurs, deux techniques sont couramment utilisées : celle consistant à qualifier la situation comme constituant une aggravation de risque et prenant la forme de la stipulation suivante : "la non remise des attestations demandées est constitutive d'une aggravation de risque et pourrait entraîner soit la résiliation, soit le paiement de surprime" et celle consistant à faire déclarer à l'assuré qu'il fait intervenir des constructeurs assurés.

En matière de police RC décennale individuelle, la principale préoccupation des assureurs est de pouvoir limiter leurs engagement financiers, et par conséquent, faute de pouvoir agir sur le quantum du plafond de garantie, désormais défini par la loi et les clauses types, d'agir sur le coût des chantiers sur lequel l'assuré intervient. Pour ce faire, ils ont recours à des pratiques de conditionnement de la garantie à des interventions sur des chantiers dont le coût n'excède pas une certaine somme et parfois plus rarement, ils intègrent le coût des travaux dans la définition de l'activité couverte.

C - L'analyse critique de ces pratiques à l'aune des dispositions d'ordre public sur le contrat d'assurance

Ces stipulations introduites dans les nouvelles conditions générales de plusieurs grands assureurs, posent problème car tout se passe comme si la notion "d'aggravation de risque", était un concept dont les contours étaient abandonnés au bon sens commun, et à la liberté contractuelle des parties, chacun étant libre de définir ce qui constituerait ou non une "aggravation de risque", avec bien sûr à la clef, les sanctions correspondantes, pouvant aller jusqu'à la résiliation de la police. Ces pratiques conduisent à vouloir appliquer les sanctions prévues par les articles L. 113-9 et L. 113-4 en cas d'inadéquation entre la réalité et les déclarations opérées auxquelles les assurés sont contraints, sur la base d'une définition des contraintes pesant sur l'assuré en matière de déclaration du risque entendue au-delà des textes d'ordre public.


(1) Cet article est basé sur une réunion de la sous-commission "Marchés/travaux" de la Commission ouverte de droit immobilier du Barreau de Paris, qui se tenait, le 7 mai 2015, sous la responsabilité de Juliette Mel, avocat à la Cour, spécialiste en droit immobilier, sur le thème "Une lecture des polices d'assurance construction à l'aune des dispositions d'ordre public du Code des assurances", à laquelle intervenait Pascal Dessuet, chargé d'enseignement à l'Université de Paris-Est Créteil (UPEC) et directeur délégué construction et immobilier chez Aon France.

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