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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var
le 05 Novembre 2015
A défaut d'un règlement conventionnel par le couple, le juge ordonne la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux, en prononçant le divorce. Il statue sur les demandes de maintien dans l'indivision ou d'attribution préférentielle. Il peut aussi accorder à l'un des époux (ou aux deux) une avance sur sa(leur) part de communauté ou de biens indivis. Si le projet de liquidation du régime matrimonial, établi par le notaire désigné sur le fondement du 10° de l'article 255 du Code civil, contient des informations suffisantes, le juge, à la demande de l'un ou l'autre des époux, statue sur les désaccords persistant entre eux (C. civ., art. 267 N° Lexbase : L2834DZY).
I - Obligations de conseil et d'investigation du notaire (Cass. civ. 1, 9 juillet 2015, n° 14-17.666, FS-P+B N° Lexbase : A7715NMP)
Dans un arrêt en date du 9 juillet 2015, la Cour de cassation a rappelé l'étendue des obligations de conseil et d'investigation du notaire, lors de l'établissement d'un état liquidatif de communauté.
En l'espèce, un jugement irrévocable de novembre 2008 avait prononcé un divorce par consentement mutuel d'un couple marié depuis 2005. L'acte liquidatif établi en juillet 2008, par un notaire, prévoyait, à titre de prestation compensatoire, l'abandon par l'époux de ses droits indivis dans l'immeuble commun et son engagement à supporter seul les remboursements de l'emprunt afférent à ce bien, avec affectation hypothécaire de ses biens propres en garantie. Ayant été placé en curatelle renforcée en juin 2009, l'époux, assisté de ses curatrices, a assigné en responsabilité le notaire, auquel il reprochait d'avoir manqué à ses obligations professionnelles en établissant, sans conseil préalable, un état liquidatif incomplet et a réclamé une indemnité réparatrice égale au montant de la prestation compensatoire accordée à l'épouse et à la valeur représentative des reprises et récompenses prétendument omises dans l'état liquidatif.
Les demandes ayant été rejetées, l'époux a formé un pourvoi.
Sur l'obligation d'information et de conseil
L'époux reproche à la cour d'appel de Dijon d'avoir, en 2014, rejeté ses demandes en responsabilité du notaire fondées sur un défaut d'information et de conseil (CA Dijon, 3 avril 2014, n° 12/01549 N° Lexbase : A1186MK7). Il réclamait 216 257 euros. A l'appui de son pourvoi, il fait valoir :
- d'une part, que le notaire qui instrumente un acte de partage inégal de communauté est tenu d'un devoir particulier de conseil en faveur de l'époux désavantagé, dont l'objet est de s'assurer qu'il a conscience des conséquences de ce partage inégal, et que constitue un acte de partage inégal l'acte aux termes duquel, pour l'exécution de la prestation compensatoire, l'un des époux se voit alloti de l'intégralité de l'actif à partager, l'autre s'engageant à payer la totalité du passif commun ;
- d'autre part, que le notaire rédacteur de l'acte liquidatif de communauté, dans le cadre de la procédure de divorce par consentement mutuel des époux, est tenu d'un devoir de conseil portant sur tous les aspects de l'acte qu'il instrumente. Il est ainsi notamment tenu d'informer les époux des conséquences d'une prestation compensatoire prévue par l'acte liquidatif ;
- ensuite, que le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique, quand bien même leur engagement procèderait d'un accord antérieur, dès lors qu'au moment de cette authentification cet accord n'a pas produit ses effets ou ne revêt pas un caractère immuable. L'accord des époux, conclu avec l'assistance de leur avocat, sur le montant de la prestation compensatoire, n'est pas immuable et n'a pas produit effet à la date où le notaire est requis d'instrumenter l'acte liquidatif de communauté ;
- puis, que le notaire rédacteur d'un acte, tenu d'une obligation découlant de la nature même de ses fonctions, n'en est pas dispensé par le fait que ses clients bénéficient de l'assistance d'un tiers, professionnel du droit, ou par les compétences ou connaissances personnelles des parties ;
- enfin, que le notaire rédacteur de l'acte liquidatif de communauté est tenu d'un devoir de conseil sur tous les aspects de l'acte qu'il instrumente, qu'il lui appartient de rapporter la preuve qu'il a exécuté son obligation d'information et que l'homologation de la convention de divorce par le juge aux affaires familiales n'emporte aucune présomption d'exécution du devoir de conseil.
Or, selon l'époux la cour d'appel avait retenu :
- que le notaire, avant de procéder au partage par l'attribution à l'épouse de la totalité de l'actif commun, avait procédé à un calcul des droits théoriques des époux en divisant par moitié l'actif net de communauté, alors que le calcul des droits théoriques des époux n'était qu'une opération préalable au partage, le partage lui-même étant inégalitaire ;
- que le notaire n'était pas tenu d'un devoir de conseil relatif à la prestation compensatoire, au prétexte que "cette obligation ressortit du domaine propre à l'avocat commun des époux dans le cadre d'un divorce par consentement mutuel", alors que le devoir de conseil dont est tenu l'avocat commun des parties n'est aucunement exclusif du devoir de conseil du notaire instrumentaire ;
- que le notaire n'était pas tenu d'une obligation de conseil quant au montant de la prestation compensatoire, dès lors qu'il "ne peut être tenu à une obligation de conseil relativement à des conventions intervenues librement entre les parties avec l'assistance de leur avocat et pour lesquelles il ne s'est pas entremis", alors que, à la date où le notaire était requis d'instrumenter, les accords antérieurs des parties, même à en admettre l'existence, n'étaient pas immuables ;
- que le notaire n'était pas tenu d'une obligation de conseil au prétexte, d'une part, que la convention a été élaborée sous le contrôle de l'avocat commun aux époux et, d'autre part, que de par sa profession d'expert-comptable, l'époux ne pouvait méconnaître les conséquences des engagements auxquels il consentait au profit de l'épouse, alors que l'assistance de l'avocat commun des époux et les compétences personnelles de l'époux, même à les admettre, ne dispensaient aucunement l'officier ministériel de son devoir de conseil ;
- que "la validation de la convention de divorce par le juge permet de présumer que [l'époux] a reçu toute l'information qui lui était due, avant de prendre sa décision" alors qu'il appartenait au notaire de rapporter la preuve de l'exécution de son devoir de conseil.
La cour d'appel avait ainsi, selon le conjoint, violé les articles 826 (N° Lexbase : L9958HN7) et 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) du Code civil, privé sa décision de base légale au regard de ce dernier texte et violé l'article 1315 (N° Lexbase : L1426ABG) et, encore, l'article 1382 du même code.
Cependant, les Hauts magistrats n'ont pas suivi ces raisonnements. Ils ont estimé que, lorsqu'ils servent au paiement de la prestation compensatoire que détermine la convention de divorce par consentement mutuel conclue entre les époux en présence de leur avocat et soumise à l'homologation du juge, l'allotissement de l'intégralité de l'actif de communauté à l'un des époux et la prise en charge par l'autre de la totalité du passif commun ne caractérisent pas un partage inégal et n'imposent pas au notaire rédacteur de l'état liquidatif de communauté un devoir de conseil sur les conséquences de la prestation compensatoire. Les arguments de l'époux n'ont pas été retenus.
Sur le défaut d'investigation
Outre le manquement à l'obligation d'information et de conseil, l'époux reprochait à la cour d'appel d'avoir rejeté sa demande en responsabilité du notaire fondée sur un défaut d'investigation, lors de l'établissement de l'état liquidatif. Il réclamait la somme de 180 832 euros, au motif que l'acte liquidatif était incomplet et erroné et que le notaire ne s'était pas assuré de l'accord et de la compréhension de l'époux. Il arguait :
- d'une part, qu'il incombe au notaire requis d'instrumenter l'acte liquidatif de communauté de s'enquérir auprès des époux de la consistance exacte des actifs communs et des actifs propres et du point de savoir si leur financement doit donner lieu à récompense, le cas échéant en se faisant communiquer tout acte utile ;
- d'autre part, que le notaire, recevant un acte en l'état de déclarations erronées d'une partie quant aux faits rapportés, engage sa responsabilité lorsqu'il est établi qu'il disposait d'éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude.
L'époux reprochait ainsi à la cour d'appel d'avoir retenu :
- qu'il ne pouvait être reproché au notaire l'absence de prise en compte des reprises et récompenses dès lors qu'il n'était pas tenu de rechercher d'office des éléments d'information non donnés par les parties, alors qu'il incombe précisément au notaire de solliciter des parties toute information utile à l'efficacité de l'acte qu'il instrumente ;
- que le notaire n'était pas tenu "de vérifier les déclarations des parties" dont il ressortait "qu'il n'existe pas de récompense", alors que, si les parties avaient déclaré n'y avoir lieu à récompense, le notaire ne pouvait que douter de l'exactitude de cette déclaration s'agissant d'époux qui, à la date du mariage, disposaient chacun d'un patrimoine propre important, dont il n'ignorait aucunement l'existence pour en avoir fait mention dans l'acte de liquidation de la communauté qu'il instrumentait.
La cour d'appel avait, par conséquent, violé l'article 1382 du Code civil.
Cependant, ayant relevé que l'état liquidatif mentionnait que les époux avaient déclaré ne pas avoir reçu de bien par donation, succession ou legs et qu'il n'existait pas de récompenses, ce dont il résultait, d'une part, que le notaire s'était enquis auprès des parties du point de savoir si leurs biens propres avaient été financés en tout ou partie par la communauté, et, d'autre part, qu'il ne disposait d'aucun élément permettant de douter de la véracité de leurs déclarations, la Cour de cassation a conclu que la cour d'appel avait pu en déduire que le notaire n'avait pas commis de faute.
Le pourvoi a donc été rejeté. L'époux a été condamné aux dépens.
La responsabilité délictuelle du notaire, sur le fondement de laquelle l'action était exercée, ne peut être engagée que dans le cadre de sa mission d'officier ministériel tenu de rédiger les actes qu'il reçoit, conformément aux lois et règlements, et d'en assurer l'efficacité. Si, dans le cadre de sa mission de rédacteur de l'acte, le notaire est tenu à une obligation de conseil, notamment quant à la portée et aux conséquences de celui-ci, il ne peut être tenu à une pareille obligation de conseil relativement à des conventions intervenues librement entre les parties avec l'assistance de leur avocat et pour lesquelles il ne s'est pas entremis. Cette obligation de conseil ne peut s'apprécier qu'au regard de la nature de la convention que l'acte reprend et qui ressort du domaine de compétence du notaire. Elle trouve à s'appliquer naturellement, ainsi qu'il est généralement admis, en matière de ventes immobilières, de baux ou de régimes matrimoniaux, mais pas en matière de prestation compensatoire.
Dans un divorce par consentement mutuel, les époux doivent arrêter les conséquences de leur séparation dans une convention. Cette dernière suppose la présence du ou des avocats des conjoints et l'homologation du juge. Le ou les avocats doivent veiller aux intérêts de leurs clients, ce qui est évidemment compliqué lorsqu'ils représentent les deux époux, et le juge doit, selon l'article 232 du Code civil (N° Lexbase : L2790DZD), s'assurer que la volonté de chacun des époux est réelle et que leur consentement est libre et éclairé.
Le notaire n'est pas le négociateur de la prestation compensatoire. Il doit reprendre les dispositions dont sont convenus les époux et établir un acte permettant, par exemple, l'inscription des garanties hypothécaires consenties pour l'exécution des dispositions prises. Il ne peut lui être reproché :
- de ne pas avoir informé l'époux sur l'état de la jurisprudence en matière de prestation compensatoire ;
- de ne pas s'être assuré que les époux avaient consenti à la convention de manière libre et éclairée ;
- ou de ne pas avoir attiré l'attention des époux sur le montant de la prestation compensatoire et d'avoir dressé en conséquence un acte de partage inégal.
En l'espèce, certes, le montant de la prestation compensatoire peut paraître disproportionné par rapport à la durée du mariage et l'époux a été placé, ultérieurement, en curatelle. Cependant, ce dernier, expert-comptable, ne pouvait méconnaître les conséquences des engagements auxquels il consentait au profit de l'épouse, lesquels engagements pouvaient parfaitement s'expliquer par des raisons personnelles, manifestement désapprouvées par sa famille. De plus, le fait que la convention ait été homologuée plaide pour une réelle volonté de l'époux que le juge du divorce n'a certainement pas manqué d'interroger à ce sujet, de consentir à cette prestation compensatoire en connaissance de cause, alors qu'à la date du divorce, il n'avait pas encore été placé sous protection judiciaire et que rien n'indique que son jugement était alors altéré. La validation de la convention de divorce par le juge permet de présumer que l'époux a reçu toute l'information qui lui était due, avant de prendre sa décision. Le notaire, de son côté, ne pouvait pas se douter que des ennuis de santé allaient affecter le discernement ou la lucidité de l'époux. Il n'avait pas à connaître les détails de l'état de santé l'époux et notamment l'existence d'épisodes d'hospitalisation, au cours de l'année 2007, pour un état dépressif.
En réalité, la famille de l'époux a découvert, tardivement, l'avantage consenti à l'épouse et a voulu le remettre en cause, en attaquant le "dernier maillon de la chaîne des professionnels" et son acte liquidatif. Or, ce sont plutôt la possibilité de recourir à un avocat commun, lors d'un divorce par consentement mutuel, et la validation de la convention du couple lors d'un seul entretien avec le JAF, qu'il faut regretter, à défaut de pouvoir réellement "attaquer ces maillons-là".
II - Pouvoir du JAF en cas de désaccords persistant (Cass. civ. 1, 23 septembre 2015, n° 14-21.525, F-P+B+I N° Lexbase : A6767NPC ; cf. l’Ouvrage "Droit du divorce" N° Lexbase : E4513EXG)
Dans l'affaire liée à l'arrêt en date du 23 septembre 2015, un couple était marié depuis 1990, sous le régime de la séparation de biens.
Pour dire que le conjoint détenait à l'encontre de l'épouse une créance de 92 947,86 euros, au titre du financement d'une officine de pharmacie acquise par celle-ci, la cour d'appel, statuant sur le divorce et la liquidation des intérêts patrimoniaux, avait énoncé que la consultation que l'époux avait demandée à un autre notaire, postérieurement à l'expertise de celui désigné sur le fondement de l'article 255, 10° du Code civil, contenait des informations suffisantes pour permettre au juge d'appel de statuer sur les demandes de créances formulées par l'époux.
Sur pourvoi de l'épouse, les Hauts magistrats ont estimé que la cour d'appel avait violé le texte susvisé et ont cassé l'arrêt attaqué. Ils ont rappelé que, selon l'article 267, alinéa 4 du Code civil, le juge aux affaires familiales ne statue sur les désaccords persistant entre les époux, à la demande de l'un ou l'autre, que si le projet de liquidation du régime matrimonial établi par le notaire désigné sur le fondement du 10° de l'article 255 du Code civil contient des informations suffisantes.
En l'espèce, lors de l'audience de conciliation, le JAF avait, conformément à ses pouvoirs mentionnés à l'article 255 du Code civil, désigné un notaire en vue de dresser un inventaire estimatif, de faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux, d'élaborer un projet liquidatif du régime matrimonial et de formation des lots à partager. Le notaire désigné avait rendu son rapport en avril 2011. L'époux avait alors sollicité la désignation d'un nouvel expert, au motif que le rapport du premier notaire comportait des erreurs et des lacunes. Il soulignait, notamment, qu'il n'avait pas été tenu compte qu'il payait le solde d'un prêt à hauteur de 200 067 euros, ni qu'il remboursait des mensualisations d'un emprunt pour le compte de son épouse. Il ajoutait que le premier notaire avait pris en compte, à tort, des sommes au titre de prétendues dettes de l'épouse, mais qu'il n'avait pas tenu compte d'une assurance vie de celle-ci d'un montant de 509 935,26 euros, ni de sa part dans une SCI et que l'évaluation de la pharmacie avait été établie de manière dérisoire.
D'une part, selon l'épouse, aucun des époux n'avait demandé au juge de statuer sur leur désaccord.
D'autre part, et surtout, en jugeant qu'elle pouvait statuer immédiatement sur les désaccords entre les époux, pour reconnaître à l'un d'eux une créance de 92 847,86 euros, après avoir constaté que le notaire, qui avait été désigné par l'ordonnance de non-conciliation sur le fondement du 10° de l'article 255, n'avait retenu aucune créance entre époux au profit du conjoint, en l'absence de preuve fournie par celui-ci et faute de révélation de l'intégralité de la situation patrimoniale, et que le rapport était imparfait, ce dont il s'évinçait qu'il ne contenait pas d'informations suffisantes permettant au juge de statuer, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 255, 10° et 267 du Code civil.
De plus, l'existence d'informations suffisantes permettant au juge de statuer sur les désaccords persistants entre les époux ne s'apprécie qu'au regard du projet de liquidation du régime matrimonial établi par le notaire désigné sur le fondement du 10° de l'article 255 du Code civil. En décidant de statuer sur les désaccords entre les époux, au motif que la consultation que l'époux avait fait établir unilatéralement par un second notaire contenait des informations suffisantes pour permettre au juge de statuer sur les créances alléguées par le mari, la cour d'appel a violé les articles 255, 10° et 267 du Code civil.
La décision est parfaitement logique. Elle est signalée pour éviter de tels pourvois. Il est en effet regrettable qu'une cour d'appel applique si maladroitement un texte et qu'un couple ait encore à attendre pour que son divorce soit réglé.
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