Lexbase Avocats n°199 du 3 septembre 2015 : Avocats/Institutions représentatives

[Jurisprudence] Pouvoirs du conseil de l'Ordre en matière d'assurance collective du barreau

Réf. : Cass. civ. 1, 17 juin 2015, n° 14-17.536, FS-P+B (N° Lexbase : A5182NLI)

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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier

le 10 Septembre 2015

Par une décision du 17 juin 2015, la Cour de cassation prend en considération l'évolution de la situation du collaborateur libéral. Etat provisoire, de durée limitée dans le passé, il peut aujourd'hui s'étendre sur une fraction importante de la durée de l'exercice professionnel, voire sur sa totalité. La solidarité professionnelle, si le mot de confraternité, principe essentiel (1), a un sens, ne peut qu'en recevoir un contenu plus effectif. Quant à l'observation fréquente des décisions disciplinaires, comme des décisions qualifiant en contrat de travail des contrats de collaboration, elle montre qu'il n'est pas inopportun d'adopter une mesure apte à corriger, même très partiellement, les situations dépourvues de délicatesse et d'équité que l'on rencontre couramment dans la pratique des avocats de collaboration libérale. La compétence du conseil de l'Ordre, dans la profession d'avocat, paraît très étendue. L'article 17 de loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) indique qu'il "a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits". Définissant plus avant son rôle, ce même texte indique "il a pour tâche, notamment...". On ne retiendra que leur liste, bien que composée de treize alinéas, n'est pas limitative. Rien n'est dit expressément sur le rôle que peut avoir le conseil de l'Ordre en matière d'assurances.

Le texte suivant (article 18) contiendrait-il une plus grande précision ? Il évoque, dans la fonction des Ordres, le pouvoir de mettre en oeuvre "dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires, les moyens appropriés pour régler les problèmes d'intérêt commun, tels l'informatique, la communication électronique, la formation professionnelle, la représentation de la profession, le régime de la garantie". La liste n'est pas limitative et le terme de garantie est pour le moins équivoque. S'agit-il de la responsabilité civile professionnelle ? S'agit-il de la garantie de représentation des fonds ? On sait que ces deux régimes d'assurance n'ont rien de commun et il faut distinguer là où les clients de l'avocat ainsi que beaucoup d'avocats ne distinguent pas (2).

En revanche, la loi (loi du 31 décembre 1971, art. 27) et les textes réglementaires (décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, arts. 205 et 206 N° Lexbase : L8168AID) se font plus précis pour évoquer les deux types d'assurances. Le RIN (RIN, art. 21-3-9 N° Lexbase : L4063IP8) y fait également référence.

On doit, néanmoins, observer que rien n'est dit du pouvoir du conseil de l'Ordre en pareille matière. Il est donc nécessaire que la jurisprudence se prononce. Comme ces questions touchent directement les avocats, plus particulièrement sur le plan économique, l'on imagine a priori que la jurisprudence n'est pas inexistante.

Ainsi, une décision de principe (3) est intervenue pour reconnaître au conseil de l'Ordre le pouvoir d'imposer aux avocats de souscrire à une assurance de responsabilité civile collective. On imagine l'intérêt de cette solution pour le bien commun, celui des avocats et celui de leur victime. Laissé seul face aux assureurs, l'on perçoit les difficultés de toute sorte qu'aurait supportées l'avocat pour obtenir une garantie effective, dans son principe et son montant, alors que l'on est dans un régime d'assurance obligatoire.

Plus discutable pouvait apparaître le pouvoir du conseil de l'Ordre pour répartir de façon différente les primes de responsabilité entre les avocats. Toutefois, un arrêt de principe règle aussi cette question (4) et fournit des précisions, voire des orientations, dont le caractère obligatoire reste d'actualité. La Cour de cassation rappelle, d'abord, le pouvoir du conseil de l'Ordre d'imposer une police d'assurance collective couvrant la responsabilité civile professionnelle. Elle indique, ensuite, que ce pouvoir s'étend à celui de répartir le coût entre les avocats à condition de se fonder sur "des critères respectant les principes d'équité et d'égalité entre les avocats".

C'est ce même critérium qui a été repris récemment dans une matière où la solution n'apparaissait pas d'évidence. Un conseil de l'Ordre avait fixé une répartition différente selon que l'avocat était collaborateur salarié ou collaborateur libéral. Après une cassation pour un vice de procédure (5) (l'absence d'audition du Bâtonnier), ne méritant pas dès lors les honneurs du Bulletin, la cour de renvoi a légitimé la décision prise par le conseil de l'Ordre du barreau de Narbonne car la décision prise, a estimé la cour, ne se heurtait pas au respect du principe d'équité et d'égalité (6).

L'assurance perte de collaboration doit également entrer dans les assurances qu'aucun texte d'organisation professionnelle n'a évoqué, ni a fortiori rendu obligatoire. La question a pourtant été débattue au sein du Conseil national des barreaux, mais le principe d'une assurance obligatoire a été écarté lors d'une assemblée générale du 12 avril 2013. Selon le rapport, présenté par un élu FNUJA, une cotisation de 16 euros par an et par avocat aurait garanti trois mois d'indemnisation à l'avocat qui aurait perdu sa collaboration sans trouver une situation de remplacement. Au barreau de Paris (7) le courtier de référence, la société AON, avait déjà mis au point, pour une application éventuelle au 1er janvier 2012, une assurance de ce type, mais sur le principe d'une adhésion facultative. Pour 180 euros par an, l'avocat pouvait bénéficier d'une indemnité forfaitaire de 2 500 euros par mois versée pendant quatre mois, des garanties supplémentaires (montant et durée) pouvant être souscrites.

Sortant de ce cadre facultatif, le conseil de l'Ordre du barreau de Rouen avait fait preuve, le 13 novembre 2012, d'une hardiesse que n'a pas eu le Conseil national des barreaux. Il imposait à chacun de ses membres l'obligation de financer une assurance de "perte de collaboration". Deux avocats contestaient cette décision en avançant deux arguments. Le premier tenait au caractère libéral et indépendant de la profession. L'avocat collaborateur libéral, selon les avocats opposants, est tenu par la loi (loi du 31 décembre, art. 7, loi n° 2005-882 du 2 août 2005, art. 8 N° Lexbase : L7582HEK), des mêmes obligations que les autres avocats et ne connaît pas le lien de subordination. Le caractère obligatoire de l'assurance aboutirait à retenir le contraire de ce principe. En outre le caractère général de la cotisation, romprait l'égalité entre avocats puisque le coût devrait être également supporté par les avocats qui n'ont pas de collaborateur.

Une première observation peut être faite. Le conseil de l'Ordre n'avait pas cherché à se fonder sur sa compétence reconnue par la jurisprudence en matière d'assurance. Il s'était fondé plus judicieusement sur l'article 17. 6° de la loi du 31 décembre 1971 permettant "d'administrer et d'utiliser des ressources pour assurer les secours, allocations ou avantages quelconques". Bref, la motivation se rattachait par ce texte à la solide tradition de solidarité des barreaux en fonction des besoins de ses membres ou anciens membres. Il appartenait alors à la Cour de cassation de se prononcer en fonction des principes adoptés par le conseil de l'Ordre pour asseoir sa décision. La Haute juridiction affirme clairement le pouvoir et le droit des conseils de l'Ordre d'adopter cette mesure dotée d'un effet obligatoire. "Financée au titre des oeuvres sociales, [il s'agit] d'une mesure de solidarité qui ne porte pas atteinte au principe d'égalité, dès lors qu'elle est justifiée par les conditions particulières d'exercice de la profession d'avocat qu'impose le statut de collaborateur et qu'elle n'est pas disproportionnée au regard des objectifs poursuivis". Le principe ainsi posé, la Cour de cassation ne pouvait que casser l'arrêt d'appel qui avait statué à l'inverse en retenant une atteinte au caractère libéral et indépendant de la profession et une rupture d'égalité entre avocats. On comprend ainsi qu'une décision aussi novatrice, dont la solution n'apparaissait pas évidente, puisse avoir autorité de principe et mérite une publication au Bulletin. On ne peut qu'approuver cette solution.


(1) Décret du 12 juillet 2005, art. 3.
(2) Sur la question, notre ouvrage, La responsabilité des avocats, civile, disciplinaire, pénale, Dalloz Référence, 2014-2015, n° 41.00 et suivants.
(3) Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, n° 96-11.857 (N° Lexbase : A2318CGX), Bull civ I, n° 255; D.,1999, IR, 239; Gaz. Pal., 1999, Pan. 258 ; JCP éd. G, 1999, II, 10 197, concl. Sainte-Rose.
(4) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 97-22.401 (N° Lexbase : A7772AHC), Bull. civ., I, n° 276 ; D., 2000, IR, 289.
(5) Cass. civ. 1, 22 janvier 2014, n°13-10.185, F-D (N° Lexbase : A9756MCC).
(6) CA, Aix en Provence, 26 juin 2014, n° 14/02838 (N° Lexbase : A8736MRY).
(7) voir sur le site de l'Ordre de Paris

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