Lexbase Avocats n°199 du 3 septembre 2015 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Composition de la juridiction disciplinaire des avocats

Réf. : Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, deux arrêts, n° 14-15.402 (N° Lexbase : A5527NMN) et n° 14-18.149 (N° Lexbase : A5446NMN), F-P+B

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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1

le 03 Septembre 2015

Le conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel est composé de représentants des conseils de l'Ordre de ce ressort, sans qu'aucun d'eux ne puisse désigner plus de la moitié de ses membres. Le conseil de discipline peut siéger en formation restreinte d'au moins cinq membres délibérant en nombre impair. La profession d'avocat est soumise à des règles et principes essentiels sanctionnés disciplinairement. Du point de vue substantiel, la jurisprudence est abondante : responsabilité de l'avocat, procédure de taxation et recouvrement des honoraires, conscience, confraternité ou encore obligation de probité ou de délicatesse donnent lieu à de nombreuses décisions. Du point de vue du droit sanctionnateur, les décisions relevant de la procédure disciplinaire sont, quant à elles, moins courantes. Sous cet éclairage, les décisions de la première chambre civile du 1er juillet 2015, respectivement consacrées à la composition du conseil de discipline (1) et à la récusation de ses membres (2), présentent un intérêt singulier. C'est au premier de ces deux arrêts que seront consacrés les développements qui suivent.

Poursuivi disciplinairement, un avocat lyonnais avait été condamné par le conseil régional de discipline. Aucune précision n'est donnée quant aux fondements de la poursuite, laissant ainsi à la procédure disciplinaire les honneurs de cet arrêt publié au bulletin.

L'avocat succombant avait formé un recours contre la décision qui le condamnait en arguant de l'irrégularité de la composition de la juridiction de jugement. La décision avait, en effet, été prononcée par une formation restreinte du conseil de discipline, composée de sept membres et comprenant une majorité de représentants du barreau de Lyon. Sur ce fondement, l'avocat soutenait qu'il y aurait une connivence entre son Bâtonnier, qui le poursuivait disciplinairement, et le conseil de discipline qui a statué. Accueillant cette argumentation de l'appelant, les juges du fond annulèrent la décision critiquée en relevant que la règle selon laquelle aucun conseil de l'Ordre ne peut désigner plus de la moitié des membres du conseil de discipline, s'applique aussi à la composition des formations restreintes de jugement.

Contestant cette interprétation, le Bâtonnier saisit la Cour de cassation ; celle-ci casse la décision des juges du fond par l'arrêt du 1er juillet 2015.

Statuant sous les visas des articles 22-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), 180 et 181 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ([LXB=L8168AID ]), la première chambre civile rappelle que le conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel, est composé de représentants des conseils de l'Ordre de ce ressort, sans qu'aucun d'eux ne puisse désigner plus de la moitié de ses membres, et peut siéger en formation restreinte d'au moins cinq membres délibérant en nombre impair. Or, selon la première chambre civile, en annulant la décision de la formation disciplinaire au motif que celle-ci était composée d'une majorité de membres du barreau de Lyon, les juges du fond ont ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoyait pas.

La solution peut paraître surprenante tant "elle ne semble pas en phase avec l'esprit qui a présidé à la réforme de 2004. C'est bien pour repousser les risques que génère une grande proximité entre l'avocat poursuivi et l'organe de jugement que le législateur a prévu que chaque conseil de l'Ordre ne peut désigner plus de la moitié des membres d'un conseil de discipline régional" (3). Suivant l'esprit de la loi, les juges du fond ont procédé à une interprétation téléologique permettant d'écarter le risque de connivence dénoncé par l'avocat (I). La Cour de cassation, quant à elle, s'est livrée à une interprétation littérale du texte permettant de concilier le texte de la loi avec les impératifs pratiques de composition de la juridiction au jour de l'audience (II).

I - La solution des juges du fond : l'interprétation téléologique

Les procédures disciplinaires (4) tendent à sanctionner les fautes, négligences, manquement aux obligations résultant du serment, mais également de toute contravention aux lois et règlements, de tout manquement à l'honneur ou à la délicatesse, à la probité, même en dehors du strict cadre professionnel (5). Les dispositions organisant ces procédures ont été profondément modifiées par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004, réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques (N° Lexbase : L7957DNZ). Le législateur entendait, en effet, mettre la procédure disciplinaire en cohérence avec les impératifs d'une procédure équitable, imposées par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et éviter les connivences qui pourraient résulter d'une trop grande proximité entre l'individu poursuivi et les organes de jugement dans les barreaux de petite et moyenne taille (6).

Guidés par ces préoccupations législatives, les juges du fond relevaient qu'il existe des risques de connivences entre l'organe de poursuite et la formation de jugement. Ils en déduisaient que la composition de la juridiction disciplinaire ne serait pas conforme aux dispositions des articles 22-1 de la loi du 31 décembre 1971 et 180 du décret du 27 novembre 1991.

La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 consacre un chapitre (articles 22 à 25-1) à la discipline de la profession. Ces dispositions ont été modifiées par la loi du 11 février 2004 pour tenir compte des caractéristiques démographiques des barreaux. C'est, notamment, la raison pour laquelle le barreau de Paris fait l'objet de dispositions particulières (7).

Plus spécialement, la loi de 1971 prévoit la création, aux côtés des institutions ordinales, de conseils régionaux de disciplines dont la composition est décrite par les articles 22 et 22-1. Malgré ces éléments, les dispositions de la loi de 1971 sont assez succinctes et leurs imprécisions génèrent un contentieux parfois artificiel (8). Il convient donc de se reporter aux dispositions du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, relatives aux modalités de répartition des membres au sein des conseils de discipline pour en comprendre véritablement le fonctionnement (9).

Plus précisément encore, l'article 22 de la loi de 1971 dispose, en son alinéa premier, qu'aucun conseil de l'Ordre ne peut désigner plus de la moitié des membres du conseil de discipline et chaque conseil de l'Ordre désigne au moins un représentant. Le quatrième alinéa du même texte dispose que "le conseil de discipline siège en formation d'au moins cinq membres délibérant en nombre impair. Il peut constituer plusieurs formations, lorsque le nombre des avocats dans le ressort de la cour d'appel excède cinq cents". Ces dispositions trouvent écho dans les articles 180 et 181 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. La première de ces dispositions prévoit une règle de désignation "sous réserve que les membres de ce barreau ne composent pas plus de la moitié du conseil de discipline de la cour d'appel". L'article 181 dispose, quant à lui, que "lorsque dans le ressort de la cour d'appel le nombre des avocats disposant du droit de vote excède cinq cents, le conseil de discipline peut constituer une formation supplémentaire par tranche de cinq cents avocats".

Deux règles différentes coexistent donc dans ces différentes dispositions :

- d'une part, la composition du conseil de discipline ne peut compter plus de la moitié de représentants du même barreau,

- d'autre part, des formations restreintes peuvent être mises en place dans les conseils de discipline.

La question se pose donc de déterminer s'il faut considérer que les deux règles sont indépendantes, ou bien s'il faut admettre que la règle de composition du conseil de discipline s'applique également à ses formations restreintes ?

C'est en ce sens qu'argumentait l'appelant dont la démonstration fut accueillie par la juridiction d'appel. Poursuivant l'objectif de mise en conformité de la procédure disciplinaire avec les exigences du procès équitable, les juges du fond paraissent avoir suivi une interprétation téléologique conduisant à une application globale de l'alinéa premier, non seulement au conseil de discipline, mais également à l'ensemble de ses formations. Cette interprétation est censurée par l'arrêt de la Cour de cassation.

II - L'interprétation de la Cour de cassation

La Cour de cassation livre dans cette décision aux atours de principe son interprétation des dispositions de l'article 22-1 de la loi de 1971, articulées aux dispositions des articles 180 et 181 du décret de 1991 : "il résulte de ces textes que le conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel est composé de représentants des conseils de l'Ordre de ce ressort, sans qu'aucun d'eux ne puisse désigner plus de la moitié de ses membre, et peut siéger en formation restreinte d'au moins cinq membres délibérant en nombre impair". En cassant la décision des juges du fond pour violation de la loi, la Cour de cassation réalise un contrôle lourd imposant aux cours d'appel de se conformer à l'interprétation qu'elle livre de la loi dans la décision du 1er juillet 2015.

Deux règles différentes s'évincent de cette formulation :

1) Le conseil de discipline est composé de représentants des conseils de l'Ordre de ce ressort, sans qu'aucun d'eux ne puisse désigner plus de la moitié de ses membres.

2) Le conseil de discipline peut siéger en formation restreinte d'au moins cinq membres délibérant en nombre impair.

En d'autres termes, ces règles s'interprètent successivement et à la lumière des dispositions des articles 180 et 181 du décret de 1991. Sous cet éclairage, les exigences relatives à la proportion de représentant d'un même conseil de l'Ordre ne s'appliquent qu'au conseil de discipline lui-même, pas aux formations qu'il constitue. Les formations restreintes, visées par l'alinéa quatrième, sont quant à elles soumises à la seule exigence d'une composition minimale de cinq membres, délibérant en nombre impair, et complétée par les articles 180 et 181 du décret.

Fondée sur la distinction du conseil de discipline et de ses formations, la solution peut paraître surprenante et peu conforme aux objectifs de la loi de modification du 11 février 2004. La doctrine a, du reste, marqué son étonnement (10). La solution trouve pourtant un ancrage solide dans l'interprétation littérale de l'article 22 -1 de la loi de 1971, comme dans les impératifs pratiques de constitution des formations des conseils de discipline.

Dans l'espèce soumise à la Cour, le Bâtonnier soutenait qu'il convenait de distinguer entre la composition théorique du conseil de discipline et sa composition effective au jour de l'audience, compte tenu des membres présents. Dans cette perspective, et loin de priver d'efficacité les dispositions de l'article 22-1 de la loi de 1971, l'interprétation littérale de la Cour de cassation vient les concilier avec les difficultés pratiques internes aux barreaux dans la composition effective des formations de jugement en tenant compte de la disponibilité des membres du conseil de discipline pour composer la formation de jugement : les dispositions de l'alinéa premier de la loi de 1971 ne s'appliquent pas aux formations restreintes du conseil de discipline. Seul le conseil de discipline doit, lui-même, être régulièrement constitué au regard de ces dispositions (11).


(1) Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-15.402, F-P+B (N° Lexbase : A5527NMN).
(2) Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-18.149, F-P+B (N° Lexbase : A5446NMN).
(3) H. Slim, Composition de la formation restreinte de jugement en matière disciplinaire, JCP éd. G, 2015, 853.
(4) D. Landry, La procédure disciplinaire applicable aux avocats, JCP éd. G, 2010, 521.
(5) P. Cassuto-Teytaud, La responsabilité des professions juridiques devant la première chambre civile, accessible sur le site de la Cour de cassation.
(6) H. Slim, préc..
(7) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 22, al. 2.
(8) Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 12-40.034, FS-D (N° Lexbase : A2153IQS) ; Cass. civ. 6 octobre 2011, n ° 10-18.111, F-D (N° Lexbase : A6145HYA), Cass. QPC, 12 juillet 2011, n° 11-40.043, F-D (N° Lexbase : A0394HWI).
(9) Cons. const., décision n° 2011-171/178 QPC, du 29 septembre 2011 (N° Lexbase : A1170HYY).
(10) H. Slim, op. cit. et loc. cit...
(11) V., implicitement, CA Paris, 10 mai 2012, n° 11/066627.

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