La lettre juridique n°595 du 18 décembre 2014 : Licenciement

[Jurisprudence] L'absence d'influence de la réussite de l'essai sur la qualification de faute disciplinaire

Réf. : Cass. soc., 3 décembre 2014, n° 13-19.815, F-D (N° Lexbase : A0555M7P)

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N5105BUM

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 20 Décembre 2014

La période d'essai du contrat de travail permet aux parties d'apprécier si la relation de travail naissante leur convient. Il peut alors être tentant de déduire de la réussite de l'essai et de la pérennisation du contrat de travail qui l'accompagne que tout s'est bien passé pendant la période d'essai, que les parties n'ont aucun reproche à se faire l'une à l'autre. Il y a pourtant plusieurs situations dans lesquelles l'employeur peut être tenté d'attendre avant de prendre une décision, soit qu'il ait besoin d'avoir la certitude que des comportements fautifs ont eu lieu, soit tout simplement qu'il n'a pas eu connaissance de ces faits durant l'essai. Comme le juge la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 3 décembre 2014, l'employeur doit pouvoir fonder un licenciement disciplinaire sur des fautes commises par le salarié durant l'essai (I). La solution semble davantage justifiée par la qualification de faute que par l'objet de la période d'essai elle-même. Si elle doit être approuvée, on peut déceler derrière cette décision les redoutables difficultés tenant à la distinction entre insuffisance professionnelle et faute disciplinaire (II).
Résumé

L'employeur peut, pour fonder un licenciement disciplinaire, invoquer même après l'expiration de la période d'essai des fautes que le salarié aurait commises au cours de cette période.

Commentaire

I - Le licenciement pour des fautes commises durant la période d'essai

Objet de la période d'essai et justification de la rupture. La période d'essai du contrat de travail a, comme l'énonce l'article L. 1221-20 du Code du travail (N° Lexbase : L9174IAZ), pour objet de permettre "à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent". Si l'immense majorité des règles du droit du travail est déjà applicable au salarié à l'essai, c'est la rupture du contrat de travail qui est sensiblement aménagée durant cette période puisqu'il ne pourra pas s'agir d'une démission ou d'un licenciement mais d'une rupture d'essai à l'initiative de l'une des parties.

Les motifs de rupture du contrat de travail durant l'essai et au-delà de l'essai ne sont pourtant pas toujours très différents.

Il n'est certes pas possible de rompre la période d'essai pour un motif qui ne serait pas inhérent à la personne du salarié, puisque la raison d'être de l'essai est l'évaluation des aptitudes et compétences du salarié et non la viabilité économique de l'embauche réalisée (1). Mais à cette exception près, d'autres situations qui permettraient le licenciement après l'essai peuvent être invoquées au soutien d'une rupture d'essai à l'initiative de l'employeur.

L'insuffisance professionnelle est la première à venir à l'esprit et semble caractériser une situation dans laquelle la rupture d'essai ou le licenciement sont justifiés. Tel est également le cas de la rupture d'essai en raison d'une faute disciplinaire qui est parfaitement admise par la Chambre sociale de la Cour de cassation, à la condition, toutefois, que l'employeur respecte la procédure disciplinaire, la rupture d'essai étant ici constitutive d'une sanction (2).

Puisque l'essai peut être rompu en cas de faute, l'employeur ne doit-il pas prendre des mesures à ce moment, battre le fer tant qu'il est chaud plutôt que d'attendre que l'essai soit terminé pour prononcer un licenciement disciplinaire ?

La faute comme motif de rupture du contrat de travail. Malgré la possibilité d'invoquer une faute pendant ou après l'essai, il demeure une différence importante entre rupture de la période d'essai pour faute et le licenciement disciplinaire. En effet, alors que la rupture d'essai peut parfaitement ne pas être motivée, l'employeur doit justifier le licenciement par une motivation présentée dans la lettre de notification de la mesure.

Ainsi, le licenciement pour faute devra s'appuyer sur des faits fautifs suffisamment sérieux, constitutifs d'une faute sérieuse, grave ou lourde. Les comportements reprochés au salarié ne devront pas avoir été commis plus de deux mois avant le prononcé du licenciement (3) ni avoir déjà été sanctionnés par une autre mesure (4). Ce sont là, toutefois, les seules règles de fond qui encadrent ce licenciement.

Peut-on ajouter d'autres conditions ? Il pourrait être tentant, par exemple, d'invoquer la réussite de la période d'essai menée jusqu'à son terme pour considérer que le licenciement disciplinaire s'appuyant sur des faits ayant eu lieu durant l'essai est injustifié. Autrement dit, la réussite de l'essai couvre-t-elle les comportements fautifs du salarié ? Ce sont ces questions qui étaient présentées à la Chambre sociale dans l'espèce commentée.

L'espèce. Un salarié avait été recruté en qualité de directeur des ventes à l'international, le contrat comportant une période d'essai de trois mois. Quelques semaines après le terme de l'essai, l'employeur licenciait le salarié pour faute grave. La lettre de licenciement reprochait au salarié un défaut de reporting, une absence de traces de son travail, de mauvais contact avec la clientèle qui ne souhaitait plus travailler avec le salarié, du travail accompli sur des points non prioritaires, des critiques portées à l'encontre de la direction et de l'organisation de la société, un maniement insuffisant de la langue anglaise ou, encore, une absence injustifiée d'une journée. Certains de ces comportements avaient eu lieu avant l'issue de la période d'essai (5).

Le salarié contesta le caractère réel et sérieux de son licenciement et fut entendu par la cour d'appel d'Orléans qui jugea que le contrat s'étant poursuivi au-delà de la période d'essai, cela signifiait que l'exécution de la prestation de travail durant cette période était satisfaisante et que, par conséquent, l'employeur ne pouvait invoquer que des faits ayant eu lieu après l'échéance de l'essai.

Par un arrêt rendu le 3 décembre 2014, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1221-20 et L. 1235-1 (N° Lexbase : L0733IXG) du Code du travail. Elle juge que "l'employeur peut, pour fonder un licenciement disciplinaire, invoquer même après l'expiration de la période d'essai des fautes que le salarié aurait commises au cours de cette période".

II - L'étroite frontière entre insuffisance professionnelle et faute disciplinaire

La qualification de faute indifférente à la réussite de l'essai. Le raisonnement adopté par la Chambre sociale semble entièrement logique. Aucun texte ne permet d'occulter des faits survenu durant l'essai au prétexte que la période d'essai n'aurait pas été rompue. A condition que les faits invoqués aient bien eu lieu dans la limite du délai de prescription de deux mois, la réussite de l'essai n'a donc aucun effet.

Implicitement, la Chambre sociale refuse donc de juger que la réussite de l'essai couvre les fautes du salarié. Le doute était permis puisque la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de considérer qu'une attitude passive de l'employeur à l'égard de comportements fautifs du salarié puisse ensuite lui interdire de les sanctionner. On se souviendra, par exemple, que la Chambre sociale juge depuis 2010 que l'employeur, informé de l'existence de comportements fautifs et qui choisit de n'en sanctionner que certains, épuise son pouvoir disciplinaire et ne peut donc plus, ensuite, sanctionner les faits impunis (6).

Le visa de l'article L. 1221-20 du Code du travail surprend tout de même. Cela donne, en effet, le sentiment que la raison pour laquelle le juge ne peut s'appuyer sur la réussite de l'essai pour apprécier la cause disciplinaire de licenciement tient à l'objet de la période d'essai, qui n'est pas de s'assurer que le salarié ne commettra pas de faute mais de vérifier que ses aptitudes professionnelles sont suffisantes.

Or, la référence à l'objet de la période d'essai pour expliquer la validité du licenciement disciplinaire est, au minimum, inutile, au pire, contreproductive. Si la période d'essai a pour objet de permettre d'évaluer les compétences du salarié, les comportements fautifs du salarié durant l'essai caractérisent eux aussi l'insuffisance de ces compétences et justifient la rupture d'essai. La faute est l'archétype du motif de rupture inhérent à la personne du salarié. Ce n'est donc pas en raison de l'objet de l'essai, mais en raison de la seule existence d'un comportement fautif que le licenciement était justifié.

La solution est également opportune en ce qu'elle évite que l'employeur soit privé du pouvoir disciplinaire s'il découvre tout ou partie des faits reprochés après l'issue de l'essai.

Compte tenu de la solidité du raisonnement de la Chambre sociale, on ne peut donc s'empêcher de se demander ce qui a poussé les juges d'appel à considérer que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La frontière entre faute et insuffisance professionnelle. Il arrive parfois que les juges du fond et la Chambre sociale de la Cour de cassation tiennent compte de la période d'essai réussie pour apprécier la cause réelle et sérieuse d'un licenciement.

Cela arrivait couramment au temps où l'insuffisance de résultats constituait un motif de licenciement aisément invocable. Les juges refusaient généralement que le licenciement pour insuffisance de résultat prononcé quelques semaines ou quelques mois après une période d'essai réussie soit justifié (7). La Chambre sociale approuvait ainsi, en 1998, des juges d'appel ayant considéré que "compte tenu du court délai entre la fin de la période d'essai jugée satisfaisante et le licenciement, la société ne pouvait se prévaloir d'une insuffisance de résultats qu'elle n'a pas laissé à son collaborateur le temps d'obtenir" (8). Cette position réapparait parfois aujourd'hui à propos du licenciement pour insuffisance professionnelle prononcé peu de temps après l'achèvement de la période d'essai (9).

Cette jurisprudence a peut-être influencé les juges d'appel sur cette question. En effet, les comportements reprochés au salarié auraient parfaitement pu être rattachés à une insuffisance professionnelle plutôt qu'à une faute disciplinaire (10). Plusieurs des comportements qui lui étaient reprochés ont déjà été jugés constitutifs d'insuffisance professionnelle comme, par exemple, l'insatisfaction de la clientèle (11) ou le manque d'organisation dans le travail que constitue le fait de réaliser des tâches non prioritaires ou d'oublier de rendre compte (12). S'il est vrai que plusieurs de ses comportements étaient probablement fautifs, comme le fait de ne pas justifier une absence ou d'adopter une attitude insolente à l'égard de sa hiérarchie, on peut toutefois penser qu'il s'agissait alors de manquements relativement légers pour un salarié assumant des fonctions d'encadrement.

En somme, les juges d'appel ont pu avoir le sentiment que le véritable reproche fait au salarié était son insuffisance professionnelle davantage qu'un comportement fautif (13), ce qui les a conduit à tenir compte de la réussite de l'essai pour considérer que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il aurait toutefois été bien plus simple de se contenter, à l'appui de l'article L. 1235-1 du Code du travail d'ailleurs visé par la Chambre sociale, de considérer que les comportements reprochés n'étant pas fautifs, la cause de licenciement invoquée par la lettre de licenciement n'était pas réelle et sérieuse.


(1) Cass. soc., 20 novembre 2007, n° 06-41.212, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7171DZM) et les obs. de Ch. Radé, Rupture du contrat de travail en période d'essai : l'étau se resserre, Lexbase Hebdo n° 283 du 29 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2219BDK) ; D., 2008, p. 196, obs. J. Mouly ; RDT, 2008, p. 29, note J. Pélissier.
(2) Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-44.750, FS-P+B (N° Lexbase : A4834DBN) ; D., 2004, p. 2189, obs. B. Géniaut ; JCP éd. E, 2004, 1064, note D. Corrignan-Carsin.
(3) C. trav., art. L. 1332-4 (N° Lexbase : L1867H9Z). S'il s'agit d'une faute grave ou lourde, l'employeur doit agir plus rapidement encore car, dans le cas contraire, il est démontré que le maintien du salarié dans l'entreprise n'était pas impossible si bien que la qualification de faute grave ne peut être acceptée, v. Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7544GLY) et les obs. de G. Auzero, Rappels sur l'obligation de célérité de l'employeur en cas de licenciement pour faute grave et l'obligation pesant sur le salarié en cas de litige sur les heures de travail, Lexbase Hebdo n° 420 du 9 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N8246BQH).
(4) Cass. soc., 27 septembre 1984, n° 82-41.346 (N° Lexbase : A0614AAY) ; Cass. soc., 27 juin 2001, n° 99-42.216 (N° Lexbase : A5738AGM) ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du droit du travail, D., 4ème éd., 2008, pp. 319 et s..
(5) V. la liste précise des griefs dans l'arrêt rendu par la CA Orléans, 17 avril 2013, n° 11/03267 (N° Lexbase : A2254KCH).
(6) Cass. soc., 16 mars 2010, n° 08-43.057, FS-P+B (N° Lexbase : A8091ETT) et nos obs., Quand l'employeur épuise son pouvoir disciplinaire, Lexbase Hebdo n° 389 du 31 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N7184BNE) ; Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-12.976, F-P+B (N° Lexbase : A9395KLK).
(7) V. CA Rennes, 25 septembre 2007, n° 06/07321 (N° Lexbase : A4241D8L).
(8) Cass. soc., 14 janvier 1998, n° 95-43.882, inédit (N° Lexbase : A9111CSA).
(9) CA Rennes, 12 juin 2013, n° 11/08520 (N° Lexbase : A3753MT8) : "il est contradictoire pour l'employeur de soutenir aujourd'hui que ce salarié est insuffisant professionnellement depuis son embauche, alors qu'il n'a pas profité de la période d'essai pour rompre le contrat", si bien que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
(10) Sur le licenciement pour insuffisance professionnelle, v. P. Lokiec, Le licenciement pour insuffisance professionnelle, Dr. soc., 2014, p. 38.
(11) Cass. soc., 19 avril 2000, n° 98-40.112, inédit (N° Lexbase : A8271AHS).
(12) Cass. soc., 4 juin 2008, n° 07-42.596, F-D (N° Lexbase : A9405D8T).
(13) La confusion entre licenciement pour faute et licenciement pour insuffisance professionnelle est entretenue par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui juge parfois que des comportements identiques peuvent parfois justifier le recours à l'un ou l'autre des motifs de licenciement, v. Cass. soc., 5 février 2014, n° 12-28.831, F-D (N° Lexbase : A9102MDH), Dr. soc., 2014, p. 381 et les obs. éclairantes de J. Mouly.

Décision

Cass. soc., 3 décembre 2014, n° 13-19.815, F-D (N° Lexbase : A0555M7P).

Cassation partielle (CA Orléans, 17 avril 2013, n° 11/03267 N° Lexbase : A2254KCH).

Textes visés : C. trav., art. L. 1221-20 (N° Lexbase : L9174IAZ) et art. L. 1235-1 (N° Lexbase : L0733IXG).

Mots-clés : période d'essai ; faute ; licenciement.

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