La lettre juridique n°553 du 9 janvier 2014 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Requalification ou examens médicaux : de l'indemnisation de quelques préjudices subis par le salarié

Réf. : Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-15.454, FS-P+B (N° Lexbase : A7441KSE)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 09 Janvier 2014

Une décision rendue le 18 décembre 2013 par la Chambre sociale de la Cour de cassation nous fournit l'occasion de revenir sur plusieurs règles relatives à l'indemnisation des préjudices subis par le salarié, soit du fait de la requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, soit en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat. Ainsi, le calcul des indemnités de licenciement et de requalification doit-il prendre en compte le versement antérieur d'une indemnité de fin de contrat ? L'absence de visite médicale d'embauche pour le contrat à durée déterminée cause-t-elle un préjudice au salarié ?
Résumé

L'indemnité de fin de contrat prévue en application de l'article L. 1243-8 du Code du travail (N° Lexbase : L1470H9C) est destinée à compenser la précarité du salarié sous contrat à durée déterminée, ce qui exclut son intégration dans le calcul des salaires moyens versés en raison de l'emploi de l'intéressé.

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité. Le manquement de l'employeur qui a fait travailler le salarié au-delà de la période d'essai, sans s'assurer de la réalisation, par le médecin du travail, d'une visite médicale d'embauche afin de vérifier l'aptitude de l'intéressé à occuper le poste, causait nécessairement à celui-ci un préjudice.

I - L'affaire

  • Faits et procédure

Un salarié, engagé par plusieurs contrats de travail à durée déterminée en 2009, subit un accident du travail. Il est placé en arrêt de travail pendant plusieurs mois et, lorsque la suspension prend fin, l'employeur considère que le contrat est parvenu à échéance. Le salarié saisit le juge prud'homal de nombreuses demandes, notamment la requalification de la relation en contrat de travail à durée indéterminée et la qualification de la rupture de licenciement nul.

La cour d'appel de Versailles accepte de requalifier la relation en contrat de travail à durée indéterminée et prononce la nullité du licenciement.

  • Problèmes posés

Plusieurs griefs étaient formulés par les parties contre la décision d'appel. Par souci didactique, nous ne détaillerons que ceux qui feront l'objet de commentaires plus avancés.

Le salarié reprochait, d'abord, aux juges d'appel de ne pas avoir intégré le montant de l'indemnité de fin de contrat, perçue à l'issue du contrat de travail à durée déterminée, aux salaires perçus afin de calculer les sommes dues au titre des différentes indemnités de rupture du contrat de travail (indemnité de licenciement, indemnité de requalification, etc.). Sur ce point, la Chambre sociale rejette le pourvoi et juge que "l'indemnité de fin de contrat [...] est destinée à compenser la précarité du salarié sous contrat à durée déterminée, ce qui exclut son intégration dans le calcul des salaires moyens versés en raison de l'emploi de l'intéressé".

Le salarié contestait, ensuite, le débouté prononcé par la cour quant à sa demande de réparation du préjudice subi du fait de l'absence de visite médicale d'embauche. Les juges d'appel considéraient que la transmission à l'URSSAF de la déclaration unique d'embauche entraînait automatiquement transmission d'un avis à la médecine du travail si bien que les exigences légales en la matière avaient été respectées. La Chambre sociale casse la décision sur ce moyen au visa de l'article R. 4624-10 du Code du travail (N° Lexbase : L1016ISG) : "l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité", si bien que l'absence de visite médicale d'embauche du salarié "causait nécessairement à celui-ci un préjudice".

Le salarié faisait encore grief à la décision d'avoir refusé de le réintégrer malgré la nullité de son licenciement, argumentation logiquement cassée par la Chambre sociale. Enfin, un dernier moyen soulevé par une union syndicale locale et visant à permettre l'indemnisation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession est rejeté compte tenu du caractère individuel du litige en cause.

II - Indemnité de fin de contrat de travail à durée déterminée

  • Règles applicables à l'indemnité de fin de contrat

L'article L. 1243-8 du Code du travail prévoit que, lorsque "les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation". Le montant de cette indemnité est fixé à 10 % des salaires bruts perçus par le salarié durant la relation contractuelle, quoique l'article L. 1243-9 du Code du travail (N° Lexbase : L1471H9D) permette à un accord collectif d'abaisser ce taux à 6 %, à condition que des contreparties en matière de formation professionnelle soient accordées aux salariés concernés.

L'indemnité versée prend en compte la durée initialement prévue par le contrat de travail. Ainsi, la suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle imposera à l'employeur de calculer le montant de l'indemnité à partir de la rémunération qu'aurait perçue le salarié s'il n'avait pas été arrêté (1).

  • Nature juridique de l'indemnité de fin de contrat

L'indemnité de fin de contrat, comme son nom l'indique, est destinée à compenser un préjudice, celui que l'on présume que le salarié subit du fait de ne pas avoir bénéficié d'un emploi stable (2). Dans la pratique, elle est parfois appelée indemnité ou "prime" de précarité, ce qui illustre davantage son objectif (3).

Cette indemnité ne constitue donc pas, à proprement parler, la contrepartie de la prestation de travail ou, dans une acception plus moderne, la contrepartie de la tenue du salarié à la disposition de son employeur. Certainement, la nature indemnitaire pourrait être discutée : le préjudice causé est un préjudice légitime, autorisé par le Code du travail. D'aucuns n'hésiteraient pas, en allant plus loin, à soutenir que le fait d'être titulaire d'un emploi, fût-il en CDD, ne peut être envisagé comme causant un préjudice au salarié.

Comme cela est souvent le cas dans ce domaine, le droit de la Sécurité sociale pourrait faire douter de la qualification d'indemnité puisqu'il assimile, pour la détermination de l'assiette des cotisations, ces indemnités à des rémunérations (4). Le procédé d'assimilation exclut cependant l'identité de nature juridique entre rémunération et indemnité de fin de contrat.

  • Refus de comptabilisation de l'indemnité dans les rémunérations perçues

Au vu de ce qui précède, c'est donc fort logiquement que la Chambre sociale refuse d'intégrer cette indemnité de fin de contrat aux rémunérations perçues par le salarié pour calculer les indemnités de rupture. L'argumentation employée n'est cependant pas aussi heureuse.

En effet, en jugeant que "l'indemnité de fin de contrat prévue en application de l'article L. 1243-8 du Code du travail est destinée à compenser la précarité du salarié sous contrat à durée déterminée, ce qui exclut son intégration dans le calcul des salaires moyens versés en raison de l'emploi de l'intéressé", la Chambre sociale donne le sentiment de distinguer entre l'indemnisation de la "précarité du salarié", d'une part, et la rémunération de "l'emploi", d'autre part.

Or, par application de l'article L. 1243-8 du Code du travail, ce n'est pas tant la précarité du salarié qui doit être indemnisée que la précarité de son emploi. En effet, certains emplois à durée déterminée peuvent être très bien rémunérés, faire bénéficier d'une expérience et d'avantages significatifs au point que le salarié ne connaît pas de précarité liée à sa situation mais, seulement, pour son avenir, une précarité liée à son emploi (5). Le raisonnement de la Chambre sociale remet donc en partie en cause le fondement même de la règle et permettrait de penser que le versement d'une telle indemnité à un salarié ne connaissant pas de situation personnelle de précarité serait injustifié. Au contraire, la référence à l'emploi comme contrepartie de la rémunération est ambiguë. L'utilisation du terme "emploi" aurait semblé plus appropriée pour qualifier l'indemnité versée en raison de la précarité de celui-ci.

Si, en définitive, la solution rendue par la Chambre sociale nous paraît devoir être approuvée, elle aurait pu être différemment argumentée, pour la cohérence des notions mais, aussi, pour ne pas jeter le trouble sur le fondement de la règle posée par l'article L. 1243-8 du Code du travail.

III - Manquement à l'obligation de faire subir au salarié une visite médicale d'embauche

  • Visites médicales obligatoires

Le Code du travail impose à l'employeur de soumettre le salarié à différents examens médicaux au cours de la relation de travail, à différentes occasions.

Le salarié doit d'abord subir une visite médicale périodique tous les vingt-quatre mois comme l'impose l'article R. 4624-16 du Code du travail (N° Lexbase : L1010IS9). Il doit, en outre, être soumis à une visite médicale de reprise après un arrêt de travail pour maladie, accident ou grossesse, l'exigence de l'examen variant selon la cause et la durée de l'arrêt de travail (6).

Enfin, et pour ce qui nous concerne, le salarié doit être présenté aux services de santé au travail pour visite médicale lors de son embauche. L'article R. 4624-10 du Code du travail (N° Lexbase : L1016ISG) prévoit précisément que le salarié doit passer cette visite "avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail".

  • Quelles sanctions en cas de non-respect des obligations de visite médicales ?

Le non-respect par l'employeur de ses obligations en matière de visites médicales a donné lieu à quelques décisions qui ont toutes pour point commun de l'assimiler au manquement à son obligation de sécurité de résultat.

Ainsi, par une formule générale, quoique résultant d'une décision demeurée inédite, la Chambre sociale jugeait, en 2011, que "l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité" et "que les examens médicaux d'embauche, périodiques et de reprise du travail auxquels doivent être soumis les salariés concourent à la protection de leur santé et de leur sécurité" pour en conclure que le non-respect de ces diverses obligations de visites médicales constituait un manquement d'une suffisante gravité pour justifier une prise d'acte de la rupture du contrat de travail du salarié (7).

Cette solution, déjà affirmée en 2009 à propos de la visite médicale de reprise (8), a plusieurs fois été confirmée pour cet examen qui met fin à la suspension du contrat de travail du salarié (9). Elle semble, en revanche, ne plus s'appliquer aussi automatiquement à la visite médicale d'embauche pour laquelle une décision récente considère que les juges du fond peuvent souverainement décider que le simple retard dans la réalisation de la visite médicale "ne constituait pas un manquement suffisamment grave de cet employeur à ses obligations" (10).

Le manquement de l'employeur à l'obligation de visite médicale d'embauche ou le retard dans la réalisation de cet examen reste, pour autant, lié à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur si bien que le retard, comme l'affirme régulièrement la Chambre sociale, cause nécessairement au salarié un préjudice que l'employeur doit réparer (11). C'est cette règle qui est réaffirmée dans la décision commentée.

  • Une sanction suffisante ?

Il est possible d'hésiter quant à l'appréciation qu'il convient de porter sur cette sanction consistant à réparer le préjudice nécessairement subi par le salarié.

D'un côté, en effet, on peut penser que cette sanction n'est pas tout à fait suffisante et qu'il conviendrait, comme pour l'absence de visite de reprise, de permettre au salarié d'obtenir que ce manquement soit qualifié de manquement d'une suffisante gravité pour justifier une prise d'acte ou une résiliation judiciaire du contrat de travail. Un argument de poids joue en faveur de cette solution, celui du rattachement à l'obligation de sécurité de l'employeur. En effet, le manquement à cette obligation permet presque toujours au salarié d'obtenir la prise d'acte ou la résiliation judiciaire du contrat de travail (12).

D'un autre côté, cependant, l'employeur n'avait pas totalement privé le salarié d'examen médical auprès du médecin du travail mais avait seulement fait subir ces visites avec retard. Le manquement à l'obligation, s'il est avéré, peut être jugé moins grave que si aucune visite n'avait effectivement eu lieu.

Surtout, on peut se demander si la prise d'acte de la rupture est bien une sanction réaliste. Soit le salarié n'a pas subi de visite médicale d'embauche et s'aperçoit rapidement de ce manquement. Il pourrait, après la période d'essai, prendre acte de la rupture mais quel en serait l'intérêt alors que, faute d'une ancienneté suffisante, l'indemnisation de la rupture resterait très faible. Soit le salarié qui n'a pas subi de visite médicale d'embauche prend, des années plus tard, acte de la rupture de son contrat de travail pour ce motif, mais on peut alors très sérieusement mettre en cause la gravité du manquement, sauf à ce que l'employeur ait omis entre temps de lui faire subir les visites périodiques.


(1) Cass. soc., 9 octobre 1990, n° 87-43.347, publié (N° Lexbase : A4299AC9).
(2) Ce qui explique que le salarié soit privé, par l'article L. 1243-8 du Code du travail (N° Lexbase : L1470H9C), de cette indemnité lorsqu'il est immédiatement engagé en contrat à durée indéterminée.
(3) La règle connaît toutefois une exception prévue par l'article D. 1243-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2231IAU) lorsque le salarié trouve un contrat à durée indéterminée dans une autre entreprise.
(4) CSS, art. L. 242-1 (N° Lexbase : L0132IWS).
(5) On pensera, par exemple, aux contrats conclus pour la réalisation d'un objet défini qui, réservé aux cadres et ingénieurs, correspondent assez mal avec cette idée de "précarité du salarié".
(6) C. trav., art. R. 4624-22 (N° Lexbase : L1004ISY).
(7) Cass. soc., 22 septembre 2011, n° 10-13.568, F-D (N° Lexbase : A9785HXP).
(8) Cass. soc., 16 juin 2009, n° 08-41.519, F-P+B (N° Lexbase : A3130EIR) et les obs. de G. Auzero, Visite médicale de reprise et carence de l'employeur : les rigueurs de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 357 du 2 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9755BKI).
(9) Cass. soc., 1er février 2012, n° 10-26.385, F-D (N° Lexbase : A8802IBM) ; Cass. soc., 13 juin 2012, n° 11-12.152, FS-D (N° Lexbase : A8970INK).
(10) Cass. soc., 18 septembre 2013, n° 12-19.344, F-D (N° Lexbase : A4985KL9).
(11) Cass. soc., 5 octobre 2010, n° 09-40.913, F-D (N° Lexbase : A3743GBA) ; Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 11-11.709, F-D (N° Lexbase : A8271IQE) ; Cass. soc., 20 novembre 2013, n° 12-21.999, F-D (N° Lexbase : A0489KQ8).
(12) V. les ex. cités dans l’Ouvrage "Droit du travail" .

Décision

Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-15.454, FS-P+B (N° Lexbase : A7441KSE).

Cassation partielle, CA Versailles, 6ème ch., 24 juin 2011 (N° Lexbase : A7105HUP).

Textes visés ou concernés : C. trav., art. L. 1243-8 (N° Lexbase : L1470H9C) et art. R. 4624-10 (N° Lexbase : L1016ISG).

Mots-clés : contrat à durée déterminée, requalification, rupture, nature de l'indemnité de fin de contrat, visite médicale d'embauche, obligation de sécurité de résultat, réparation du préjudice subi.

Liens base : (N° Lexbase : E0730ET9) et .

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