La lettre juridique n°553 du 9 janvier 2014 : Éditorial

Optimisation fiscale, abus de droit, garde à vue : qui a dit que le Père Noël n'existait pas ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Qui a dit que le Père Noël n'existait pas ? Mensonge ! Vilenie ! Propagande des éternels pessimistes ! Non seulement, il existe ; mais en plus, dans la vie civile, il est magistrat. Remarquez, on aurait pu s'en douter : avec sa robe rouge et son hermine blanche, le déguisement était presque aussi grossier que celui du "renard rusé" dans les plaines de Californie. Et, faut-il avoir la candeur d'un enfant, l'inexorable espoir en le bien, la justice et les libertés, tel un avocat, pour ne pas reconnaître dans cet honorable juge, celui qui, durant la trêve des confiseurs, et derrière le Parquet, réalise les rêves les plus fous... Toutefois, après des combats des plus acharnés.

D'abord, c'est le juge constitutionnel qui sort de sa hotte deux précieuses censures aux conséquences déterminantes pour l'avenir des avocats conseils, fiscalistes en particulier. Ainsi, dans sa décision du 29 décembre 2013, les Sages condamnent les articles 96 et 100 de la loi de finances pour 2014 déférée, judicieusement, devant eux, avant publication.

Le premier de ces articles sacrilèges faisait obligation à toute personne commercialisant un "schéma d'optimisation fiscale" de le déclarer à l'administration avant sa commercialisation. Or, ce "schéma d'optimisation fiscale" était simplement défini comme "toute combinaison de procédés et instruments juridiques, fiscaux, comptables ou financiers dont l'objet principal est de minorer la charge fiscale d'un contribuable, d'en reporter l'exigibilité ou le paiement ou d'obtenir le remboursement d'impôts, taxes ou contributions ; et qui remplit les critères prévus par décret en Conseil d'Etat". Et, le manquement à cette obligation de déclaration devait entraîner l'application d'une amende égale à 5 % du montant des revenus perçus au titre de la commercialisation dudit schéma. Mais, la liste des récriminations dictée par les avocats unanimes a été parfaitement entendue par les juges de la rue de Montpensier. Ainsi, eu égard aux restrictions apportées à la liberté d'entreprendre et, en particulier, aux conditions d'exercice de l'activité de conseil juridique et fiscal, et compte tenu de la gravité des sanctions encourues en cas de méconnaissance de ces dispositions, le législateur ne pouvait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles afférentes à la compétence parlementaire comme à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, retenir une définition aussi générale et imprécise de la notion de "schéma d'optimisation fiscale". C'est pourquoi l'article 96 a été déclaré contraire à la Constitution.

Et, tel le double effet d'une célèbre pastille mentholée, la seconde escarmouche parlementaire n'aura pas connu meilleur sort. L'article 100 de la loi déférée souhaitait modifier la définition des actes constitutifs d'un abus de droit. Or, en définissant ces actes, non plus comme les actes qui "n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer" l'impôt que l'intéressé aurait dû supporter "si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés", mais comme les actes qui "ont pour motif principal" d'éluder ou d'atténuer l'impôt, la disposition censurée conférait une importante marge d'appréciation à l'administration fiscale. Et, ce faisant, le législateur omettait simplement d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; il contrevenait alors à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui lui impose d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi.

Le lendemain, le Père Noël récidiva ! A quelques encablures de traîneau, au tribunal correctionnel de Paris, un juge (civiliste) annule, pour la première fois, une garde à vue au motif que l'avocat n'avait pas pu consulter le dossier du prévenu. Au-delà d'une consécration de la liberté de la défense, c'est sa réalité qui est imposée par la magie jurisprudentielle.

En 2011, la présence des avocats aux premiers temps de la garde à vue était une victoire nécessaire pour l'exercice des droits fondamentaux ; et belle pour la Démocratie en général. Mais, il faut reconnaître qu'elle flirtait quelque peu avec Pyrrhus... Sans possibilité de prendre connaissance du dossier du gardé à vue constitué à charge, il était difficile pour l'avocat d'élaborer une stratégie de défense. Et, si une bonne justice doit être aveugle, une bonne défense s'accommode assez mal de cette cécité.

C'est donc forts des dispositions de la Directive européenne du 22 mai 2012, qui doit être transposée avant le 2 juin 2014, que les avocats ont, depuis quelques mois, tenté de faire entendre raison aux magistrats pour que les procédures contrevenantes soient annulées. En effet, cette Directive dispose notamment que "lorsqu'une personne arrêtée et détenue à n'importe quel stade de la procédure pénale, les Etats membres veillent à ce que les documents [...] qui sont essentiels pour contester [...] la légalité de l'arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat". Le texte, qui doit bientôt faire l'objet d'une transposition, sauf à mettre la France en infraction et, surtout, en indélicatesse d'un point de vue international lorsque l'on prône et tente d'exporter les droits de l'Homme, est parfaitement clair. Et, la prochaine mouture de cette transposition, élaborée par la Chancellerie, ne pourra pas faire l'économie de cette accessibilité du dossier du gardé à vue, pour respecter nos engagements européens et cette nouvelle jurisprudence qui devrait ainsi fleurir.

La liste des voeux régulièrement rédigée par la profession d'avocat est longue, tant les difficultés pour assurer la défense des justiciables est grande et tant les intérêts gouvernementaux apparaissent de plus en plus incompatibles avec l'idée même de liberté... Mais, il faut reconnaître que le Père Noël aura été particulièrement généreux cette année, en apportant ces deux présents de dernière minute et en augurant une nouvelle année tournée vers l'espoir d'une meilleure justice, sur la base d'une relation apaisée avec les avocats... Encore que les rois mages aient préféré jouer la discorde en remettant, sur le devant, le projet de déjudiciarisation du divorce par consentement mutuel...

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