La lettre juridique n°553 du 9 janvier 2014 : Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] Droit d'auteur : précisions sur l'action en cessation de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle

Réf. : TGI Paris, référé, 28 novembre 2013, n° 11/60013 (N° Lexbase : A4052KQ7)

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par Carine Bernault, Professeur à l'Université de Nantes

le 09 Janvier 2014

L'affaire a fait grand bruit et eu les honneurs de la presse généraliste lorsque le jugement du TGI de Paris a été connu fin novembre 2013. Il faut dire que la question de la contrefaçon sur les réseaux numériques a cessé depuis longtemps d'intéresser les seuls juristes Mais précisément, l'intérêt de ce jugement tient au fait qu'aucune action en contrefaçon n'était en engagée ici, les demandeurs agissant sur le fondement de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3536IEP) qui consacre l'apparition en droit français d'une véritable action en cessation et transpose l'article 8.3 de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 (N° Lexbase : L8089AU7). Ce texte n'est pas récent mais il a encore été peu appliqué. Il a été créé par la loi du 12 juin 2009 (loi n° 2009-669, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet N° Lexbase : L3432IET) et intégré à un nouveau chapitre consacré à la "prévention du téléchargement et de la mise à disposition illicite d'oeuvres et d'objets protégés par un droit d'auteur ou un droit voisin". Cette action, autonome de l'action en contrefaçon, n'a pas pour finalité la réparation du préjudice mais la cessation de l'atteinte portée au droit d'auteur ou au droit voisin.
Ce texte dispose qu'"en présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les oeuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l'article L. 321-1 (N° Lexbase : L3459ADH) ou des organismes de défense professionnelle visés à l'article L. 331-1(N° Lexbase : L3425IQW), toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier".

Grâce à cette action, on peut obliger des personnes à intervenir pour assurer le respect du droit d'auteur ou des droits voisins alors même que leur responsabilité ne pourrait être engagée du fait de cette contrefaçon. En l'espèce, des représentants des producteurs, distributeurs et éditeurs de films avaient assigné divers fournisseurs d'accès à internet (FAI) et moteurs de recherche sur le fondement de cet article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Les demandeurs souhaitaient que soient ordonnées, à l'encontre des FAI, "diverses mesures de nature à empêcher l'accès à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés, à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, au contenu des sites accessibles aux adresses www.allostreaming.com, www.alloshowtv.com, www.alloshare.com et www.allomovies.com". S'agissant des moteurs de recherche, il était demandé au tribunal de leur ordonner "de supprimer toutes réponses et résultats renvoyant vers les sites en cause, en raison du caractère [que les demandeurs] estiment contrefaisant des contenus vers lesquels pointaient leurs liens". On ne s'attardera pas sur la recevabilité de l'action des demandeurs, lesquels étaient tous des syndicats professionnels ou fédérations de syndicat. La particularité de l'article L. 336-2 tient notamment au fait que l'action en cessation qu'il offre n'est pas réservée aux titulaires de droits sur les oeuvres ou objets de droits voisins. En effet, les sociétés de gestion collective et les organismes de défense professionnelle peuvent également saisir le juge (1). Dans ce jugement, de manière très méthodique, le tribunal procède par étapes. Il détermine, d'abord, si une atteinte est portée au droit d'auteur (I), puis il envisage les mesures à imposer aux fournisseurs d'accès à internet (II) et aux moteurs de recherche (III).

I - La constatation de l'atteinte au droit d'auteur

Le tribunal s'interroge, tout d'abord, sur l'existence des atteintes portées au droit d'auteur. Les demandeurs avaient produits divers procès-verbaux réalisés par des agents assermentés de l'ALPA (association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) démontrant que les sites rendus accessibles grâce aux FAI et répertoriés par les moteurs de recherche exercent une "activité illicite [...] en ce qu'ils proposent une représentation des oeuvres sans avoir obtenu l'autorisation des auteurs et une reproduction des mêmes oeuvres ce qui constituent des actes de contrefaçon". Les défendeurs répliquaient notamment que les mesures sollicitées visaient à prévenir "des atteintes futures et indéterminées, à des droits de propriété intellectuelle également non identifiés" ce qui ne permettait pas de satisfaire aux conditions posées par l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle. Pour le tribunal, il semble n'y avoir aucun doute. Même s'il rappelle que "le streaming n'est pas en soi une activité illicite et [qu']elle est tout fait légale, quand elle intervient dans le cadre d'une cession légale des droits des auteurs et d'un droit d'exploitation donné par les producteurs", il souligne ensuite que les sites du réseau "allostreaming" donnent accès "sans aucune difficulté" à des films ou des séries télévisées grâce à des liens hypertextes. Ces sites, même s'ils renvoient vers des contenus qui sont "stockés auprès de serveurs tiers ou sur des plateformes tierces [...] ont procédé à des actes de représentation des oeuvres litigieuses en fournissant la mise à disposition des contenus". Par ailleurs, il est "admis par les sociétés défenderesses que ce réseau ne demandait pas l'autorisation des titulaires des droits pour mettre à disposition les oeuvres et même revendiquait le caractère de partage des sites, c'est-à-dire d'offre en visionnage de films ou de séries sans en avoir obtenu les droits de sorte que l'absence d'autorisation donnée par les ayants droit peut être retenue". Dès lors, même si "l'identification de chaque oeuvre et des droits des titulaires n'a pas été faite au sein des procès-verbaux de l'ALPA, ceci ne fait pas obstacle à la demande des syndicats et associations demandeurs puisque ceux-ci agissent sur le fondement de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle et, en leur qualité d'organismes de défense professionnelle, il leur appartient de démontrer que le site litigieux est entièrement dédié à la contrefaçon et non d'établir que telle ou telle oeuvre est accessible au streaming sur le site pour en solliciter le retrait, comme en ont l'obligation les titulaires de droit". La précision est utile car on sait que les juges peuvent se montrer exigeants s'agissant des actions en contrefaçon en considérant qu'il faut démontrer l'originalité de chaque oeuvre prétendument contrefaite (2). Ici, la démarche est différente, l'action étant engagée par des syndicats professionnels dans le seul cadre de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, il n'est donc point question de contrefaçon en l'espèce même si l'on perçoit bien l'intérêt de la procédure engagée pour lutter contre l'exploitation non autorisée des oeuvres.

II - L'application aux fournisseurs d'accès à internet

Avant de se pencher sur les mesures imposées aux fournisseurs d'accès (B) il faut souligner que cette décision est la première admettant la possibilité de leur appliquer l'action en cessation (A).

A - Les fournisseurs d'accès peuvent remédier aux atteintes au droit d'auteur

Le tribunal détermine dans quelle mesure les FAI sont "susceptibles de contribuer à remédier à l'atteinte" aux droits d'auteur. Ces intermédiaires "permettent, par la seule mise à disposition des moyens techniques d'un service de communication électronique au public en ligne, que les opérateurs des sites en cause, dont l'objet et l'activité sont dédiés à la contrefaçon, proposent le visionnage direct de films et de séries sans autorisation de leurs auteurs et ils rendent possible pour leurs abonnés l'accès auxdits sites". Ils peuvent donc, en bloquant l'accès aux sites litigieux, empêcher ou réduire l'atteinte portée aux droits d'auteur. Les FAI sont alors considérés comme des intermédiaires au sens de l'article 8.3 de la Directive 2001/29/CE précitée. La précision est importante. Des doutes avaient été formulés sur ce point car "si en théorie, le texte ne l'interdit pas, en revanche une telle demande pourrait être considérée comme disproportionnée, surtout si seule une partie du site litigieux est concernée" (3). Les hésitations devraient donc être levées.

Pour se défendre, certains FAI prétendent toutefois que leur mise en cause devrait en quelque sorte être subsidiaire. Ils affirment que les opérateurs des sites litigieux peuvent être identifiés et que "l'efficacité des actions à leur encontre, en ce qu'elles touchent la source des contrefaçons, prime toute autre démarche". Autrement dit, il faudrait poursuivre le contrefacteur avant les intermédiaires, ce qui réduirait considérablement l'intérêt de l'action en cessation. L'argument sera rapidement balayé par le tribunal qui rappelle fort judicieusement que "les dispositions de l'article L. 336- 2 du Code de la propriété intellectuelle sont précisément destinées à permettre aux ayants droit et organismes de défense professionnelle concernés d'exercer une action distincte de celle par laquelle les premiers peuvent faire juger qu'une contrefaçon leur cause un préjudice dont ils demandent réparation aux auteurs de cette contrefaçon, en l'occurrence l'opérateur de sites contrefaisants. Il n'est pas prévu par la loi que cette action au fond, dirigée contre les auteurs des atteintes en cause, soit mise en oeuvre préalablement à celle par laquelle des mesures provisoires peuvent être sollicitées à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à remédier aux atteintes à leurs droits". Pour la même raison, il aura été inutile de prétendre que la demande devait être rejetée au motif que les hébergeurs auraient du être mis en cause. Pour résumer, le tribunal affirme qu'"ainsi, la recherche des mesures les plus simples, économiques et efficientes, qui doit être privilégiée pour répondre à l'exigence de proportionnalité entre le but recherché et les intérêts protégés à défendre d'une part, les effets des mesures envisagées d'autre part, ne conduit pas prioritairement à suspendre toute mesure à la mise en cause des responsables de ces sites et l'absence du ou des hébergeurs des sites en cause ne viole pas le principe de proportionnalité".

Cette précision n'intervient pas par hasard. Il faut rappeler que l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle a fait l'objet d'une réserve d'interprétation de la part du Conseil constitutionnel (4). Compte tenu du caractère "excessivement large et incertain de cette disposition" on pouvait en effet craindre qu'elle ne conduise "les personnes potentiellement visées par [ce texte] à restreindre, à titre préventif, l'accès à internet" (5). Pour autant le Conseil a considéré que "le législateur n'a pas méconnu la liberté d'expression et de communication" en soulignant toutefois "qu'il appartiendra à la juridiction saisie de ne prononcer, dans le respect de cette liberté, que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause". Cela allait sans doute de soi mais va encore mieux en l'écrivant : la mesure imposée doit respecter le principe de proportionnalité et ne doit pas aller au-delà du strict nécessaire, ce qui doit écarter les risques de "surblocage" parfois mis en avant pour critiquer l'article L. 336-2. Par ailleurs, il faut encore rappeler que dans les arrêts "SABAM", la CJUE a jugé excessives des mesures de filtrage impliquant une surveillance généralisée, non limitée dans le temps et aux seuls frais du FAI (6). Il était donc important de veiller à la mise en oeuvre de mesures "proportionnées", dont les frais ne peuvent d'ailleurs pas être mis à la charge des fournisseurs d'accès ou moteurs de recherche selon le tribunal.

B - Les mesures propres à faire cesser l'atteinte aux droits

Il restait alors à préciser les mesures à mettre en oeuvre pour prévenir et faire cesser la violation des droits d'auteur. La demande formulée est très large puisqu'elle vise "toutes mesures propres à empêcher l'accès à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés à raison d'un contrat souscrit sur ce territoire, aux sites". On pouvait se demander si le juge allait, ici, exiger une détermination plus précise des mesures techniques à appliquer. Il n'en fera rien puisqu'il estime qu'une telle "demande, qui laisse à chaque fournisseur d'accès à l'internet la possibilité de déterminer la nature des mesures qu'il convient de mettre en oeuvre, eu égard à la structure juridique et technique de leur entreprise, aux effets des mesures prises et à l'évolution du litige et qui privilégie une mesure acceptée par l'ensemble des fournisseurs d'accès à l'internet appelés à cette instance, est fondée". Est donc imposé par le juge "tout moyen efficace et notamment [...] le blocage des noms de domaines" des sites litigieux identifiés. On peut s'interroger sur une telle pratique qui, certes, offre une certaine souplesse en permettant aux FAI de choisir les mesures les plus pertinentes mais qui ne permet pas au juge de déterminer précisément les conséquences des dispositifs ainsi mis en oeuvre. Par ailleurs, compte tenu de la relative imprécision des mesures ordonnées, que se passerait-il si un FAI utilisait un système de blocage dont l'efficacité ne serait pas totale mais dont le coût serait limité ? Pourrait-on lui reprocher de ne pas voir adopté une mesure plus efficace mais plus coûteuse car plus complexe à mettre en oeuvre ? Certes, le juge ne peut se muer en expert et s'il imposait une mesure précise, il existerait un risque que celle-ci ne soit finalement pas la plus adaptée à la situation. Il peut dès lors sembler pertinent d'imposer toute mesure "efficace" et "proportionnée" sans se focaliser sur les modalités techniques. La seule précision donnée ici par le juge porte sur les délais à respecter, les dispositifs de blocage devant être appliquées dans les quinze jours à compter de la signification du jugement et pendant une durée de douze mois. Les demandeurs devront par ailleurs être informés des éventuelles difficultés rencontrées. Evidemment de telles interventions vont également bloquer l'accès à des oeuvres présentes sur ces sites en toute légalité, mais "le faible nombre de ces liens vers des oeuvres dont les droits ne sont pas discutés permet d'admettre que les mesures ordonnées [...] n'entraîneront pas de dommage disproportionné, étant observé qu'elles ne constituent pas un obstacle absolu empêchant l'accès aux oeuvres, lesquelles peuvent être vues par d'autres moyens".

C'est la même question de proportionnalité qui se pose lorsqu'est invoquée devant le tribunal la liberté d'expression et de communication visée par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4743AQQ). Pour le tribunal, les mesures mises en oeuvre peuvent, certes limiter la liberté d'expression et de communication des sites en question, mais elles sont justifiées "par la nécessité de mettre en oeuvre des moyens efficaces de lutte contre l'atteinte à leurs droits commise par ces sites". Par ailleurs, "les internautes, qui ne sont pas privés du droit de prendre connaissance des films et séries en cause, dès lors qu'ils peuvent accéder aux sites ayant acquis les droits de les diffuser ou d'en permettre le visionnage, ou par tout autre moyen à leur disposition (replay, DVD, streaming autorisé etc.), ne voient pas leur droit de prendre connaissance des contenus litigieux limité de manière disproportionnée". Sur ce sujet, il faut rappeler que la CJUE a également consacré ce principe de proportionnalité en soulignant notamment que les mesures de filtrage doivent préserver la liberté d'information (7).

Un autre argument, plus technique, pouvait sembler convaincant et faire douter de l'intérêt de l'action engagée. En effet, les défendeurs ont fait valoir que "les internautes peuvent utiliser les services offerts par d'autres fournisseurs d'accès à l'internet et/ou accéder aux sites en cause par tout autre moyen que leurs compétences techniques et leur désir d'échapper à la loi les inciteraient à rechercher". Autrement dit, les mesures ordonnées par le tribunal risquaient d'être inefficaces. La réponse du tribunal semble ici teintée d'un certain angélisme lorsqu'il affirme qu'"il n'est pas assuré que la grande majorité des internautes, qui est attachée à la gratuité des communications et de nombreux services sur l'internet, ait pour autant la volonté affermie de participer à une piraterie mondialisée et à grande échelle" ; ou encore que "les internautes utilisant aujourd'hui les opportunités offertes par ces opérateurs ne peuvent ignorer que cette fraude risque d'être mortifère en privant les auteurs de toute contrepartie à leur création et les industries de l'audiovisuel de tout bénéfice, indispensable à la poursuite de leur activité". Il reste vrai que "les mesures sollicitées visent le plus grand nombre des utilisateurs, lesquels n'ont pas nécessairement le temps et les compétences pour rechercher les moyens de contournement que les spécialistes trouvent et conservent en mémoire". En outre, "l'impossibilité d'assurer une complète et parfaite exécution des décisions susceptibles d'être prises ne doit pas entraîner l'absence de reconnaissance des droits des ayants droit par les juridictions". Cela revient à avouer une impuissance partielle certes, mais réelle...

Se pose enfin la question de l'évolution des mesures mises en oeuvre par les FAI. En effet, dès leur mise en place, le risque est grand que les responsables des sites litigieux prennent "toute disposition d'évitement soit en modifiant le cheminement d'accès à leur site, soit en abandonnant les noms de domaine précisément visés dans la présente décision et en choisissant d'autres facilement reconnaissables par leurs anciens utilisateurs parce que très proches, soit en créant des sites dits miroirs, façades légèrement modifiées permettant d'accéder à la stricte copie des sites litigieux". Le tribunal se déclare quelque peu démuni ici puisqu'il constate ne pas disposer d'un "moyen lui permettant de contrôler l'exécution de sa décision, soit directement soit par l'intermédiaire d'un agent public qui en aurait la charge". La même difficulté se posera ensuite pour les moteurs de recherche. Elle a déjà été relevée à diverses reprises et notamment dans le rapport "Lescure" (8) qui évoque la nécessité de "garantir l'exécution durable des décisions de justice". Tout en constatant que certains outils peuvent permettre une détection semi-automatique en cas de réapparition des sites miroirs, ce rapport considère que l'on ne peut déléguer à un opérateur privé l'exécution d'une décision de justice portant atteinte à la liberté de communication. Il propose donc d'"évaluer la faisabilité technique d'un dispositif de détection des sites miroirs, qui serait mis en oeuvre par l'autorité administrative sous le contrôle du juge" (9). En l'espèce, une coopération des parties est envisagée "dans le cadre du suivi de l'exécution des mesures ordonnées visant les sites existant dans leur forme actuelle" ainsi qu'une "collaboration au système d'actualisation proposé par les demandeurs, aboutissant éventuellement à une requête conjointe pour compléter ou amender la liste des sites en cause ou les chemins d'accès possibles". Le tribunal se contente alors de préciser que, sous réserve d'un meilleur accord des parties, "les demandeurs pourront en référer au tribunal en mettant en cause par voie d'assignation les parties présentes à cette instance ou certaines d'entre elles, en la forme des référés, afin que l'actualisation des mesures soient ordonnés".

III - L'application aux moteurs de recherche

Beaucoup de questions soulevées pour les FAI sont reprises s'agissant des moteurs de recherche. On n'évoquera ici que les sujets propres aux moteurs de recherche.

Se posait donc la question de savoir si l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle est applicable aux moteurs de recherche. La société Microsoft prétendait le contraire car, selon elle, au regard de la Directive 2001/29/CE, cet article ne pourrait concerner que les intermédiaires dont les services sont utilisés pour transmettre les contrefaçons, ce qui écarterait donc les moteurs de recherche. Le tribunal souligne alors que l'article L. 336-2 vise "toute personne susceptible de contribuer" à remédier aux atteintes aux droits en cause, ce qui répond à la finalité, affirmée par la Directive, de mise en oeuvre de mesures efficaces pour assurer la protection des droits d'auteur et des droits voisins. Le législateur français a donc profité de la possibilité, ouverte par la Directive, de fixer les conditions et modalités d'application de la procédure prévue par l'article 8.3 de ce texte. En effet, cet article prévoit seulement que "les Etats membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu'une ordonnance sur requête soit rendue à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin". Nulle contradiction n'apparaît donc entre le texte français et celui de la directive. Dès lors, rien n'interdit d'appliquer le texte aux moteurs de recherches qui peuvent effectivement être considérés comme des intermédiaires entre les internautes et les sites vers lesquelles ils proposent des liens. Il faut dire que le suspens n'était pas très intense dans la mesure où la Cour de cassation a déjà admis l'application de l'article L. 336-2 du Code de propriété intellectuelle à un moteur de recherche qui, grâce à la suggestion de mots clés, orientait les internautes vers des sites diffusant des contrefaçons (10).

En l'espèce, la mesure à mettre en oeuvre ne fait aucun doute : il s'agit de déréférencer les sites litigieux, opération qui a d'ailleurs déjà été réalisée, en cours de procédure, par certains moteurs de recherche à la suite des actions engagées sur le territoire américain en application du Digital Millenium Copyright Act. Ces mesures doivent donc permettre d'"empêcher sur leurs services l'apparition de toute réponse et tout résultat renvoyant vers l'une des pages des sites [litigieux] en réponse à toute requête émanant d'internautes dans les départements français et collectivités uniques". Elles doivent être mise en place dans les quinze jours suivant l'assignation du jugement et cela pendant une durée limitée à douze mois "afin de concentrer l'effet des mesures à ce qui est strictement nécessaire à la préservation des droits en cause et afin d'éviter qu'elles ne deviennent obsolètes".

Les FAI devant bloquer l'accès à ces sites, on peut s'interroger sur la nécessité d'imposer, en supplément, leur déréférencement. Le tribunal semble considérer que les mesures sont complémentaires et que leur combinaison permettra d'assurer un meilleur respect du droit d'auteur. Des décisions comme celles-ci illustrent l'intérêt de cette action en cessation offerte par l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, action qui pourrait devenir une arme très efficace dans la lutte contre la contrefaçon sur les réseaux numériques.


(1) V. déjà, admettant la qualité à agir du SNEP, Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-20.358, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7513IQC), Légipresse, 2012, n° 298, p. 560, note C. Alleaume ; LPA, 2013, n° 21, p. 17, obs. X. Daverat.
(2) V. par ex., Cass. crim., 4 novembre 2008, n° 08-81.955, F-D (N° Lexbase : A5412EB3), Comm. com. électr., 2009, comm. 11, Ch. Caron ; RIDA, janvier 2009, n° 219, p. 203, obs. P. Sirinelli.
(3) P. Boiron, M.-M. Deldicque, S. Cadiot, Pratique contentieuse, Mise en oeuvre de l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle pour prévenir la contrefaçon d'oeuvres audiovisuelles sur internet, Comm. com. électr., 2013, étude 9.
(4) Cons. const., décision n° 2009-580 DC, du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (N° Lexbase : A0503EIH), art. 3.
(5) 37ème considérant.
(6) CJUE, 24 novembre 2011, C-70/10 (N° Lexbase : A9797HZU), JCP éd. G, 2012, 978, n° 11, obs. Ch. Caron ; Comm. com. électr., 2012, comm. 63, A. Debet ; RIDA, 1/2012, p. 327 et 271 obs. P. Sirinelli ; Propr. intell., 2012, p. 47, obs. V.-L. Bénabou ; CJUE 16 février 2012, C-360/10 (N° Lexbase : A5815ICD), D., 2012, p. 549, obs. C. Manara, JCP éd. G. 2012, 978, n° 11, obs. Ch. Caron. Sur ces deux arrêts lire, C. Zolynski, Le filtrage ne doit pas être disproportionné, Lexbase Hebdo n° 293 du 19 avril 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N1586BTW).
(7) CJUE 24 novembre 2011, C-70/10, préc. et CJUE 16 février 2012, C-360/10, préc..
(8) Rapport, Acte II de l'exception culturelle, mai 2013, p. 396.
(9) Rapport Acte II de l'exception culturelle, préc., proposition n° 61.
(10) Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, préc. note 1, JCP éd. G, 2012, act. 888 ; D., 2012, act. 1880, obs. C. Manara ; Legipresse, 2012, préc..

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