La lettre juridique n°327 du 20 novembre 2008

La lettre juridique - Édition n°327

Éditorial

Doux rêve de l'autonomie de la volonté en matière sociale : principe taôiste et réalité tayloriste

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N7505BHG

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Malgré le volontarisme politique et les questions remises à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, relatives au travail le dimanche ou au travail après 65 ans, force est de constater que l'autonomie de la volonté, pilier de la relation contractuelle, n'est, décidément pas, ou peu de mise dans la relation salariale. "Dans le contrat civil, la volonté s'engage ; dans le contrat de travail, elle se soumet. L'engagement manifeste la liberté, la soumission la nie. Cette contradiction entre autonomie de la volonté et subordination de la volonté aboutit à ce que le salarié est à la fois appréhendé dans l'entreprise comme sujet et comme objet du contrat. Dès lors on ne peut espérer retrouver intacts en droit du travail les principes juridiques qu'implique l'autonomie de la volonté. Ces principes sont défigurés par le lien de subordination, et par l'altération de la qualité de sujet de droit qu'elle implique. L'objet de l'obligation, qui forme la matière de l'engagement, étant l'obéissance aux ordres, y prend les contours imprécis de la qualification professionnelle et du poste de travail. La force obligatoire du contrat s'estompe au profit de l'employeur, le droit du salarié au respect de ses clauses dégénérant en devoir d'accepter les modifications secondaires que l'employeur entend y apporter". En quelques lignes, Alain Supiot, éminent "travailliste" et sociologue, explique, tout à la fois, la nécessité d'un protectionnisme à l'égard du salarié et la méfiance naturelle du juge quant aux clauses du contrat de travail et, plus généralement, quant à toute expression de volonté du salarié lorsqu'il y va de l'intérêt manifeste de l'employeur.

Hier, la Cour de cassation rappelait qu'une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et ne peut conférer à l'employeur le droit d'en étendre unilatéralement la portée ; qu'une clause de mobilité ne doit pas porter atteinte au droit de la salariée à une vie personnelle et familiale ; ou, encore, que le droit à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ne peut pas être limité par un accord collectif. Autant d'expression de cette méfiance du juge social quant à l'autonomie de la volonté (individuelle ou collective) et aux clauses du contrat de travail, dans le seul intérêt empirique du salarié.

Et le mythe d'être, une nouvelle fois, écorné par la Haute juridiction au travers de deux arrêts des 29 octobre et 6 novembre dernier. Le premier, sur lequel revient, cette semaine, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, rappelle que, selon l'article L. 1243-1 du Code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de force majeure. Or, cette dernière demeure de l'appréciation souveraine des juges du fond, même lorsque le contrat de travail prévoit une clause de rupture d'un commun accord, sans versement d'indemnité d'aucune sorte, en cas d'échec du salarié à un examen essentiel pour la continuation de la relation salariale, échec qualifié de "cas de force majeure" par les parties elles-mêmes. On savait que, selon l'article 12 du Code de procédure civile, il incombe au juge de donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée, mais s'il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat, sous couvert de la caractérisation de la force majeure, de l'événement imprévisible et irrésistible (cf., cette semaine, David Bakouche, Professeur à l'Université de Paris XI), c'est bien le renoncement aux règles légales afférentes à la rupture du contrat qui est ici remis en cause.

Déni clairement affirmé par le second arrêt commenté, cette semaine, par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, et qui pose, tout de go, qu'il résulte de l'article L. 1231-4 du Code du travail que les parties ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles en matière de licenciement. En l'espèce, le salarié ayant délibérément rompu avec ses obligations contractuelles élémentaires, en organisant son départ progressif de l'entreprise, en attendant une mise à la retraite, l'employeur se devait de respecter le formalisme de la procédure de licenciement, en dépit de toute cohérence apparente, afin de ne pas tomber sous le joug du défaut de cause réelle et sérieuse. Une fois encore, la décision manifeste du salarié de rompre son contrat de travail, donc l'expression d'une volonté non équivoque, n'autorise en rien l'employeur à se dispenser des règles formelles du licenciement. La renonciation ne peut être implicite, mais elle ne peut être tout simplement.

Mais, en fait de méfiance à l'égard de l'expression de la volonté du salarié et, plus précisément, de son consentement à la clause contractuelle, cette protection du salarié "malgré lui" montre Sganarelle en prise avec le taylorisme, où son maintien dans l'entreprise doit être assuré coûte que coûte car son métier n'est plus un patrimoine mis au service de tels ou tels employeurs successifs, comme en 1804, mais une qualification particulière qui ne prévaut que dans l'usine qui l'emploie. Le lien de dépendance, non pas hiérarchique, mais fonctionnel oblige donc à tempérer toute la théorie civiliste de la négociation individuelle dans les relations professionnelles. "Dureté et rigidité sont compagnons de la mort. Fragilité et souplesse sont compagnons de la vie". Mais, force est de constater que les préceptes du taôiste Lao-Tseu ne sont toujours pas transposables en matière sociale.

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Responsabilité

[Jurisprudence] Seul un événement imprévisible et irrésistible est constitutif d'un cas de force majeure

Réf. : Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-17.134, Société Figeac Aéro, FS-P+B (N° Lexbase : A0605EBZ)

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N7507BHI

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 07 Octobre 2010

La force majeure permet, dans certains cas et à certaines conditions, l'exonération du responsable, et ce aussi bien en matière contractuelle qu'en matière délictuelle. Encore faut-il s'entendre sur la définition de la force majeure d'autant que, depuis quelques années, une différence paraissait se dessiner selon que la responsabilité était recherchée sur le terrain contractuel ou sur le terrain délictuel. Alors, en effet, que, en matière contractuelle, certains arrêts avaient paru alléger la définition de la force majeure en admettant que la seule irrésistibilité de l'événement suffisait à la caractériser (1), la jurisprudence semblait se montrer plus exigeante en matière délictuelle en continuant, plus classiquement, à exiger que l'événement constitutif de la force majeure soit au moins imprévisible et irrésistible, la condition tenant à l'extériorité de l'événement étant, dans un cas comme dans l'autre, quelque peu délaissée. A vrai dire, les choses méritaient, sans doute, d'être un peu nuancées dans la mesure où, en matière contractuelle, la deuxième chambre civile, contrairement à la première chambre et à la Chambre commerciale, avait paru s'obstiner à subordonner systématiquement l'exonération du débiteur à l'imprévisibilité de l'événement, et pas seulement à la démonstration de son caractère irrésistible (2). Toujours est-il que, par deux importants arrêts de l'Assemblée plénière en date du 14 avril 2006, la Cour de cassation avait manifestement semblé vouloir harmoniser les solutions (3). Ainsi, dans le premier des deux arrêts, où la question était discutée de savoir si la maladie du débiteur pouvait constituer un cas de force majeure exonératoire justifiant de débouter le créancier de sa demande en paiement de dommages et intérêts dirigée contre les héritiers du défunt, la Cour, après avoir rappelé les termes de l'article 1148 du Code civil (N° Lexbase : L1249ABU), selon lesquels "il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit", avait approuvé les juges du fond d'avoir "à bon droit" considéré que la maladie ayant empêché le débiteur de s'exécuter, "présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution", était constitutive d'un cas de force majeure. Dans le second arrêt, il s'agissait de savoir si le fait, pour une victime, de se jeter volontairement sous une rame pouvait caractériser un cas de force majeure permettant l'exonération du gardien au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS), en l'occurrence, ici, la régie autonome des transports parisiens (RATP) étant entendu que la faute de la victime n'exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure (4)-. Or, tout à fait classiquement, la Haute juridiction avait énoncé, sous la forme d'un attendu de principe, que "si la faute de la victime n'exonère totalement le gardien qu'à la condition de présenter les caractères d'un événement de force majeure, cette exigence est satisfaite lorsque cette faute présente, lors de l'accident, un caractère imprévisible et irrésistible" (5). Un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 30 octobre dernier, à paraître au Bulletin, s'accorde parfaitement avec ces solutions.

En l'espèce, une société exerçant une activité industrielle avait conclu, en 2002, un contrat de fourniture d'énergie avec EDF. Or, deux ans plus tard, ayant subi deux coupures de l'énergie électrique nécessaire à son activité, elle avait réclamé à son débiteur l'indemnisation de son préjudice. Les juges du fond l'avaient cependant débouté, aux motifs, d'une part, que les ruptures dans la fourniture d'énergie, bien que prévisibles puisque annoncées publiquement, étaient irrésistibles, inévitables et insurmontables et que, d'autre part, dans le domaine contractuel, dans de telles circonstances d'irrésistibilité, l'imprévisibilité n'était pas requise. Leur décision est cassée, sous le visa des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1148 du Code civil. La Haute juridiction affirme, en effet, "qu'en statuant ainsi, alors que seul un événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution, est constitutif d'un cas de force majeure, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

L'arrêt est intéressant en ce qu'il conforte la solution adoptée par les deux importants arrêts rendus en Assemblée plénière le 14 avril 2006. Le rapprochement des appréciations de la force majeure sur le terrain contractuel et sur le terrain délictuel semble avéré, de telle sorte qu'il est désormais possible de considérer que, dans ces deux matières, la force majeure suppose que soit établi le caractère imprévisible et irrésistible de l'événement. Le constat prend d'autant plus de relief que l'on avait pu s'interroger, à examiner le droit positif, sur l'éventuelle subsistance d'ambiguïtés dans l'appréciation de la force majeure exonératoire de responsabilité en matière contractuelle, et ce en dépit de l'intervention de l'Assemblée plénière. On se souvient peut-être, en effet, qu'avait été ici même signalé un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 21 novembre 2006, rendu à la suite d'une agression dans un train, et par lequel la Cour avait rejeté le pourvoi et ainsi approuvé les premiers juges qui, en faisant valoir que "l'auteur de l'agression, installé dans une voiture à places assises, était parvenu à déverrouiller la porte pour accéder à la voiture couchette et qu'il avait réussi à ouvrir plusieurs portes de compartiments couchettes, ont retenu que l'agression ne se serait pas produite si X n'était pas parvenu à ouvrir ces portes, de sorte que la SNCF ne pouvait invoquer le caractère irrésistible du fait d'un tiers dès lors que ce fait aurait pu être évité si elle avait pris des dispositions suffisantes pour faire réellement obstacle à tout accès aux voitures couchettes par les autres passagers du train", de telle sorte que c'est "à bon droit" que la cour d'appel avait écarté l'existence d'un cas de force majeure (6). L'arrêt pouvait ainsi semer le doute dans la mesure où, pour écarter la qualification de force majeure, la Cour de cassation avait approuvé les juges du fond qui s'étaient somme toute contentés de relever que l'événement n'était pas irrésistible, sans s'être expliqués sur l'éventuelle imprévisibilité de l'événement.

De deux choses l'une en effet : ou bien, dans une première approche, on faisait une lecture étroite de la décision en faisant valoir que les hauts magistrats n'avaient fait que répondre à l'argumentation du pourvoi qui invoquait le caractère irrésistible de l'événement, sans donc que l'on puisse tirer de la solution de la Cour de cassation d'autres conséquences tenant aux caractères nécessaires à la caractérisation de la force majeure ; ou bien, dans une seconde approche, on pouvait induire de l'arrêt une interprétation plus large conduisant à se demander si, au fond, l'irrésistibilité de l'événement n'était pas la condition suffisante à la caractérisation de la force majeure. L'arrêt du 30 octobre dernier a, au moins, le mérite de clarifier la situation : la force majeure suppose bien que l'événement ayant empêché le débiteur d'exécuter son obligation soit imprévisible et irrésistible.


(1) Cass. com., 1er octobre 1997, n° 95-12.435, Société The Britishand Foreign Marine Insurance Company c/ Société d'exploitation Szymanskiet autres, publié (N° Lexbase : A1763ACB), Bull. civ. IV, n° 240, D., 1998, Somm., p. 199, obs. Ph. Delebeque, JCP éd. G, 1998, I, 144, obs. G. Viney, RTDCiv., 1998, p. 121, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 6 novembre 2002, n° 99-21.203, Société Clio "Voyages Culturels" c/ Mme Christine Tremois, F-P+B (N° Lexbase : A6846A3X), Bull. civ. I, n° 258, JCP éd. G, 2003, I, 152, obs. G. Viney, RTDCiv. 2003, p. 301, obs. P. Jourdain.
(2) Voir not. Cass. civ. 2, 12 décembre 2002, n° 98-19.111, M. Bernard Meyret c/ M. Albert Challeix, F-P+B (N° Lexbase : A4436A43), Bull. civ. II, n° 287 et Cass. civ. 2, 23 janvier 2003, n° 00-15.597, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Philippe Pernuit, FS-P+B (N° Lexbase : A7403A4X), Bull. civ. II, n° 17.
(3) Ass. plén., 14 avril 2006, 2 arrêts, n° 02-11.168, M. Philippe Mittenaere c/ Mme Micheline Lucas, épouse Pacholczyk, P (N° Lexbase : A2034DPZ) et n° 04-18.902, M. Stéphane Brugiroux c/ Régie autonome des transports parisiens (RATP), P (N° Lexbase : A2092DP8).
(4) Depuis l'abandon de la jurisprudence "Lamoricière" : Cass. com., 19 juin 1951, D., 1951, p. 717, note Ripert.
(5) Voir, déjà, subordonnant l'exonération totale par la faute de la victime à la démonstration du caractère imprévisible et irrésistible de l'événement, Cass. civ. 2, 2 avril 1997, n° 95-16.531, Epoux X c/ Société Immobilière Mixte de la Ville de Paris et autres, publié (N° Lexbase : A0553ACH), Bull. civ. II, n° 109 ; Cass. civ. 2, 23 octobre 2003, n° 02-16.155, Office national des forêts (ONF) c/ M. Jean-Noël Barbier, F-P+B (N° Lexbase : A9448C9S), Bull. civ. I, n° 329, et nos obs., La faute de la victime n'exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle présente les caractères de la force majeure, Lexbase Hebdo n° 95 du 20 novembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N9445AA3). La question est d'autant plus importante que, récemment, la Cour de cassation a semble-t-il posé en principe l'impossibilité pour le transporteur tenu d'une obligation de sécurité de résultat de s'exonérer partiellement de sa responsabilité : Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05-12.551, Mme Nouria Ibouroi, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3908D7U), et nos obs., L'impossibilité pour le transporteur tenu d'une obligation de sécurité de résultat de s'exonérer partiellement de sa responsabilité, Lexbase Hebdo n° 298 du 25 mars 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4705BEY).
(6) Cass. civ. 1, 21 novembre 2006, n° 05-10.783, Société nationale des chemins de fer français (SNCF), P+B (N° Lexbase : A5231DSK).

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - novembre 2008

Lecture: 17 min

N7494BHZ

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Se trouve, au premier plan de cette actualité, une décision, rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 28 octobre 2008, dans laquelle la Haute juridiction se prononce sur l'incidence de l'absence de publicité modificative du contrat de crédit-bail en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'égard du repreneur cessionnaire judiciaire du contrat. Par ailleurs, dans un arrêt du 14 octobre 2008, rendu par cette même formation, la Cour de cassation apporte des précisions sur la compensation opérée par le banquier, créancier d'une entreprise en liquidation judiciaire, en présence d'une multiplicité de comptes.
  • L'incidence de l'absence de publicité modificative du contrat de crédit-bail en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'égard du repreneur cessionnaire judiciaire du contrat (Cass. com., 28 octobre 2008, n° 07-16.443, F-P+B N° Lexbase : A0593EBL)

L'article L. 313-10 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2972G9X) soumet les opérations de crédit-bail à une publicité dont les modalités sont fixées par les articles R. 313-3 (N° Lexbase : L5047HCW) et suivants du même code. La publication s'effectue auprès du greffe du tribunal dans le ressort duquel le client du crédit-bailleur est immatriculé à titre principal ou, à défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, auprès du greffe du tribunal de commerce ou du tribunal de grande instance statuant commercialement dans le ressort duquel est situé l'établissement du client bénéficiaire du crédit-bail (C. mon. et fin., art. R. 313-5 N° Lexbase : L5051HC3).

Cette publicité doit permettre l'identification des parties et des biens faisant l'objet de ces opérations (C. mon. et fin., art. R. 313-3), de sorte que toute modification affectant les renseignements relatifs à l'identification des parties doit être publiée en marge de l'inscription existante (C. mon. fin., art. R. 313-6, al. 1er N° Lexbase : L5050HCZ).

Une sanction redoutable frappe le crédit-bailleur dont la publicité ne répond pas à ces exigences. En effet, si les formalités de publicité n'ont pas été régulièrement accomplies, le droit de propriété du crédit-bailleur est alors inopposable aux créanciers ou ayants cause à titre onéreux de son client, sauf s'il établit que les intéressés avaient eu connaissance de l'existence de ses droits (C. mon. et fin., art. L. 313-10 et R. 313-10 N° Lexbase : L5056HCA).

Différentes questions se posent au sujet de la publicité des opérations de crédit-bail, à l'occasion de la cession judiciaire du contrat. S'il est fait usage par le tribunal de la faculté de céder judiciairement un contrat de crédit-bail, le crédit-bailleur doit-il impérativement effectuer une publicité modificative mentionnant le changement d'identité du preneur ? Dans l'affirmative, et en cas d'ouverture subséquente d'une procédure collective à l'encontre du repreneur, le crédit-bailleur est-il frappé par une inopposabilité de son droit de propriété et voit-il disparaître toutes ses chances de récupération du bien ? Un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 28 octobre 2008 nous offre la possibilité d'aborder ces questions.

En l'espèce, un crédit-preneur avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ayant conduit à l'adoption d'un plan de cession. Le contrat de crédit-bail avait été judiciairement cédé au repreneur et la mention de cette cession judiciaire avait été faite dans le jugement arrêtant le plan. Le repreneur avait ultérieurement été mis en liquidation judiciaire. La société financière avait vainement sollicité la restitution du matériel puis saisi le juge-commissaire qui avait rejeté la requête en "revendication". Le jugement rendu sur opposition à l'ordonnance du juge-commissaire devait ensuite statuer dans le même sens. Sur l'appel interjeté par le crédit-bailleur, la cour d'appel, confirmant le jugement, avait retenu que "les formalités de publicité du jugement arrêtant le plan de redressement ne portaient que sur les éléments essentiels de la décision, à l'exclusion des modalités détaillées du plan, de sorte que la preuve n'était pas rapportée que cette publicité avait permis aux créanciers du repreneur de connaître l'existence du contrat de crédit-bail, repris par lui, et que cette publicité n'avait pu suppléer la carence de la société financière à procéder aux mesures spécifiques de publicité prescrites, à peine d'inopposabilité aux tiers, par l'article R. 313-10 du Code monétaire et financier, dont l'objet est précisément d'informer les créanciers d'un commerçant sur la solvabilité de ce dernier". Sur le pourvoi formé par la société financière, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel en considérant que "par l'effet de la publication du jugement arrêtant le plan de cession et dont les dispositions sont opposables à tous, les créanciers du repreneur avaient eu connaissance de l'existence des droits du crédit-bailleur sur le matériel faisant l'objet du contrat de crédit-bail".

Cet arrêt, appelé à la publication au Bulletin, est rendu dans la droite ligne de la position précédemment adoptée par les Hauts magistrats (1). Il convient de poser clairement la portée de cet arrêt et de préciser la démarche procédurale devant être adoptée par le crédit-bailleur n'ayant pas effectué de publicité modificative mentionnant le nom du cessionnaire du contrat.

L'arrêt ne vient pas dispenser le crédit-bailleur dont le contrat est judiciairement cédé d'effectuer une publicité modificative. Il résulte des dispositions de l'article R. 313-6 du Code monétaire et financier que "toute modification affectant les renseignements mentionnés à l'article R. 313-3 [au rang desquels figure l'identité des parties au contrat] est publiée en marge de l'inscription existante". Ainsi, pour répondre aux exigences posées par texte, le crédit-bailleur doit impérativement procéder à une publicité modificative, dès lors que la cession judiciaire du contrat comporte une modification de l'identité de l'une des parties au contrat -en l'occurrence, celle du preneur-. Si cette publicité modificative n'est pas réalisée, les formalités de publicité "ne sont pas accomplies dans les conditions fixées aux articles R. 313-4 à R. 313-6" de sorte que, comme l'énonce l'article R. 313-10, "l'entreprise de crédit-bail ne peut opposer aux créanciers ou ayants cause à titre onéreux de son client, ses droits sur les biens dont elle a conservé la propriété". Le seul "antidote" à cette inopposabilité du droit de propriété est posée par l'article R. 313-10 in fine et consiste en la démonstration par le crédit-bailleur de la connaissance par les créanciers du crédit-preneur de l'existence de ses droits. A l'heure de la procédure collective du preneur, une telle démonstration est quasiment impossible puisqu'il s'agit alors de démontrer qu'au jour de l'ouverture de la procédure collective, tous les créanciers du débiteur connaissaient l'existence du contrat de crédit-bail et étaient donc conscients que le bien qui en était l'objet n'appartenait pas au débiteur. Cette démonstration, si elle est particulièrement difficile à apporter, n'est cependant pas radicalement impossible, comme en témoigne cet arrêt rendu le 28 octobre 2008. Pour considérer que cette démonstration est apportée, la Chambre commerciale retient un raisonnement syllogistique implacable. Aux termes des dispositions de l'article L. 621-65, applicable en la cause (N° Lexbase : L6917AIZ, devenu, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, C. com., art. L. 642-5, al. 3 N° Lexbase : L3851HBA), "le jugement qui arrête le plan [de cession] en rend les dispositions opposables à tous". En l'espèce, le jugement arrêtant le plan de cession faisait mention de la cession judiciaire du contrat en cause. Les dispositions de ce jugement étant opposables à tous du fait de la publication qui en avait été faite, les créanciers du repreneur étaient donc censés avoir eu connaissance de l'existence des droits du crédit-bailleur sur le matériel faisant l'objet du contrat de crédit-bail. Ainsi, le crédit bailleur échappe-t-il à l'inopposabilité de son droit de propriété résultant d'une absence de publicité conforme de son contrat.

Si le propriétaire peut éprouver un sentiment de soulagement, il n'est pas, pour autant, totalement sorti d'affaires car il est propriétaire au titre d'un contrat non publié -ou plutôt, au titre d'un contrat irrégulièrement publié, ce qui revient au même-. Or, pour récupérer son bien, le propriétaire dont le contrat n'est pas régulièrement publié doit exercer une action en revendication dans la procédure collective du débiteur et non pas une simple demande en restitution, réservée au propriétaire dont le contrat est publié. La différence est essentielle car, au contraire de la demande en restitution, qui est facultative et qui n'est donc pas enfermée dans un délai, la demande en revendication doit être présentée impérativement dans le délai de trois mois posé à l'article L. 624-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3777HBI). A défaut, une nouvelle cause d'inopposabilité du droit de propriété frappe le propriétaire : une cause fondée, non plus sur l'absence de publicité, mais sur l'absence de revendication dans la procédure collective. Il convient d'observer que, rappelant la procédure suivie en l'espèce, l'arrêt mentionne "qu'après avoir vainement sollicité la restitution du matériel, la société financière a saisi le juge-commissaire, qui, par ordonnance du 19 avril 2006, a rejeté sa requête en revendication'". La Chambre commerciale a pris soin de mettre le mot "revendication" entre guillemets, peut-être afin d'insister sur la qualification de la requête qui est essentielle. Une remarque s'impose à ce sujet. Si, dans un premier temps, le crédit-bailleur, pensant, à tort, être titulaire d'un contrat dont la publication le dispensait de revendiquer, avait présenté une demande en restitution, il lui aurait été impossible de présenter, dans un deuxième temps, une requête en revendication, dès lors que les actions en restitution et en revendication sont parfaitement distinctes. Comme son nom l'indique, la demande en restitution n'a pour objet que de solliciter la restitution du bien à son propriétaire dont le droit de propriété est opposable à la procédure collective du fait de la publicité régulière du contrat. En revanche, la demande en revendication a pour objet, non seulement, de solliciter la restitution du bien, mais encore, de rendre opposable à la procédure collective le droit de propriété portant sur le bien qui n'est pas objet d'un contrat publié. Procéduralement, la revendication et la restitution se décomposent en deux temps : à la phase extrajudiciaire de demande en acquiescement fait suite, le cas échéant, la phase judiciaire de présentation d'une requête au juge-commissaire. A plusieurs reprises, la jurisprudence a souligné que la phase de la demande en acquiescement de restitution ou de revendication constituait un préalable obligatoire avant toute présentation d'une requête en restitution ou en revendication (2). Ainsi, pour qu'ait été régulièrement présentée une requête en revendication, encore faut-il qu'au préalable le propriétaire -en l'occurrence, le crédit-bailleur titulaire d'un contrat n'étant pas régulièrement publié-, ait présenté une demande en acquiescement de revendication dans le délai de forclusion de trois mois imparti. A défaut, le crédit-bailleur, qui aurait échappé à l'inopposabilité posée aux articles L. 313-10 et R. 313-10 du Code monétaire et financier, pourrait être frappé par l'inopposabilité de son droit de propriété résultant, cette fois, de l'absence de revendication dans le délai de l'article L. 624-9 du Code de commerce.

Une comparaison peut être effectuée entre la solution dégagée par l'arrêt commenté et celle résultant d'un autre arrêt rendu le 5 juillet 2005 par la Chambre commerciale (3). Dans l'espèce ayant donné lieu à cette décision, ce n'était pas l'identité du preneur qui avait été modifiée mais celle du crédit-bailleur qui avait été l'objet d'une opération de fusion-absorption. Les Hauts magistrats avaient considéré que "la société [absorbante], qui était substituée dans les droits de la société [de crédit-bail absorbée] par l'effet du traité de fusion-absorption [...] régulièrement publié, bénéficiait des inscriptions effectuées par la société absorbée". Par conséquent, toutes les publications faites du chef de la société de crédit-bail absorbée sont, aux yeux des tiers, réputées effectuées au nom de la société absorbante du fait de l'opposabilité erga omnes de l'opération de fusion-absorption régulièrement publiée. Par conséquent, la publicité du traité de fusion-absorption rend inutile toute publicité modificative du crédit-bail portant sur l'identité du crédit-bailleur puisque la publicité du contrat de crédit-bail est considérée comme régulière. Il en résulte que la société absorbante peut se contenter de présenter une simple demande en acquiescement de restitution, et n'est pas soumise aux contraintes procédurales de la demande en revendication (4).

La solution retenue en cas de changement de l'identité du preneur, n'est pas symétrique. Si le crédit-bailleur n'effectue pas une publicité modificative au nom du cessionnaire judiciaire du contrat, la publicité initiale est irrégulière et doit donc être tenue pour inexistante car elle ne permet pas l'identification des parties, comme l'exige l'article R. 313-3 du Code monétaire et financier. Au contraire de la publicité du traité de fusion-absorption, la publicité du jugement arrêtant le plan de cession n'a pas pour effet de dispenser le crédit-bailleur d'une publicité modificative. Elle a simplement pour effet de porter à la connaissance des créanciers du repreneur l'existence des droits du crédit-bailleur et ainsi faire échapper ce dernier à l'inopposabilité posée par l'article R. 313-10 du Code monétaire et financier. Cependant, le crédit-bailleur, qui n'est pas titulaire d'un contrat régulièrement publié, devra se plier aux exigences formalistes de la demande en revendication et non pas en restitution.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences des Universités, Directrice du Master 2 droit de la banque et de la société financière de la faculté de Toulon

  • Multiplicité de comptes et compensation opérée par le banquier (Cass. com., 14 octobre 2008, n° 07-16.704, F-D N° Lexbase : A8050EAE)

La compensation est analysée, dans le droit des entreprises en difficulté, comme une exception à la règle de l'interdiction, après jugement d'ouverture, des créances antérieures, posée par l'article L. 622-7, alinéa 1er, du Code commerce (N° Lexbase : L1410HI3, anc. C. com., art. L. 621-24 N° Lexbase : L6876AII). A ce titre, elle joue incontestablement le rôle d'une garantie, en autorisant le débiteur de la personne sous procédure collective à ne pas lui payer ce qu'elle lui doit, au prétexte qu'elle est réciproquement créancière de cette même personne. Il n'est, dès lors, pas étonnant que le contentieux le plus important concernant la règle de l'interdiction des paiements s'article autour du jeu de la compensation.

La compensation légale est définie par l'article 1290 du Code civil (N° Lexbase : L6876AII) comme celle qui "s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs". Intervenant en dehors de toute manifestation de volonté, cette forme de compensation est exclusive de fraude (5), et de recherche de rupture d'égalité entre les créanciers. Elle est donc pleinement efficace, même en cas de procédure collective. La compensation légale suppose que les créances réciproques soient certaines, liquides et exigibles avant le jugement d'ouverture. Si les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies au jour du jugement d'ouverture, la compensation est par principe interdite après le jugement d'ouverture. A ce principe d'interdiction, le Code de commerce apporte une exception : la compensation pour dettes connexes. Deux grandes hypothèses de connexité sont retenues par la jurisprudence : celle des créances et dettes réciproques naissant d'un même contrat ou d'un même ensemble contractuel et celle du compte unique dont l'illustration la plus remarquable se trouve dans le compte courant.

Que faut-il décider si la compensation que le partenaire contractuel du débiteur entend opposer pour ne pas payer ce qu'il doit à la personne sous procédure collective trouve sa source dans une pluralité de comptes bancaires ? C'est cette très intéressante question qui se trouve au centre d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 14 octobre 2008.

En l'espèce, une société était titulaire dans les livres d'une banque de trois comptes. Cette société a été déclarée en liquidation judiciaire. La banque a déclaré sa créance correspondant aux soldes débiteurs des deux premiers comptes après avoir déduit le solde créditeur du troisième. La créance a été contestée par le liquidateur. La banque a maintenu sa déclaration de créance. Le juge-commissaire a admis la créance pour le montant déclaré. Le liquidateur a assigné la banque au titre du solde créditeur du troisième compte. Le liquidateur n'a pas obtenu gain de cause devant les juges du fond. Son pourvoi va être rejeté en ces termes : "Attendu que la déclaration de créance effectuée n'a pas été, quant à la compensation opérée par la banque, contestée par le liquidateur qui n'a pas formé de recours contre l'ordonnance prononçant son admission ; que la cour d'appel, sans dénaturation de l'ordonnance du juge-commissaire en a déduit à bon droit que l'action en paiement du liquidateur, partie à la procédure de vérification des créances, qui visait à contester la compensation opérée par la banque quand il lui incombait de soulever en temps utile l'ensemble des moyens tendant à cette fin, était irrecevable pour se heurter au caractère définitif de la chose jugée".

Ainsi, l'autorité de la chose jugée attachée à l'admission au passif va, en l'espèce, interdire au liquidateur de remettre en cause la compensation opérée. La solution est indiscutable. L'admission de la créance présente un caractère irrévocable, lorsqu'elle est passée en force de chose jugée. Il en est ainsi après expiration du délai de recours contre l'ordonnance. La créance admise ne pourra plus être remise en cause, en son principe, en son montant, quant à sa nature de créance antérieure -solution posée sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8)- (6) ou de créance privilégiée ou chirographaire (7). L'autorité de chose jugée attachée à l'admission de la créance pourra faire obstacle au jeu des nullités de la période suspecte (8). Il en ira spécialement ainsi de l'admission à titre privilégié qui fera obstacle à l'anéantissement ultérieur de la sûreté (9), ou encore du jeu de la compensation, qui conduit à réduire, à due concurrence, l'admission de la créance. La compensation ne pourrait, ensuite, être remise en cause (10). Elle interdira, également, la remise en cause de la validité du contrat fondant la créance (11) ou celle de la cession de créance (12).

De la même façon, et c'est l'apport de la décision commentée, l'autorité de la chose jugée attachée à l'admission de la créance au passif interdit au liquidateur d'agir pour obtenir le paiement du solde créditeur d'un troisième compte, dès lors que la créance née des deux autres comptes aura été admise pour un montant duquel aura été déduit le solde créditeur du troisième compte (13).

Trois autres décisions de la Cour de cassation rendue le 14 octobre 2008 vont dans le même sens. Il a ainsi été décidé que l'admission au passif de la créance déclarée empêche le liquidateur d'agir en paiement contre le banquier, au titre du remboursement d'un compte créditeur détenu par le débiteur, dès lors que la créance née d'un prêt aura été admise pour un montant duquel aura été déduit le solde créditeur du compte (14). Identiquement, le liquidateur sera privé d'action, du fait de l'autorité de chose jugée attachée à l'admission de la créance, pour obtenir le paiement du solde du compte "retenue de garantie" ouvert dans le cadre du fonctionnement d'une convention de cession de créances professionnelles, dès lors que la créance née de divers comptes débiteurs aura été compensée avec le compte "retenue de garantie" (15). Il en est encore de même lorsque la compensation aura été opérée entre un solde débiteur d'un compte courant et d'un compte "escompte commercial et créances Dailly" avec le compte spécial "retenue sur remises" (16).

Il appartenait, ainsi, au liquidateur, partie à la vérification des créances, dans ces quatre hypothèses, de contester la compensation opérée (17).

En effet, le principe-même de la compensation pouvait faire difficulté. Dans l'affaire qui nous intéresse plus spécialement, la personne placée sous procédure collective avait trois comptes ouverts dans la banque, deux étaient débiteurs, le troisième était créditeur. Du fait de l'absence de clôture des comptes par l'effet de l'ouverture de la procédure collective, les soldes des comptes n'étaient pas exigibles. En conséquence, la compensation légale ne pouvait jouer. La solution est toutefois à nuancer. En effet, le compte-courant est résilié par l'effet du jugement de liquidation judiciaire, contrairement à la solution applicable pour les autres contrats. La solution, déjà posée sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 non réformée (18), a été maintenue après l'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1994 (19), avec cette précision que la résiliation interviendra de plein droit, c'est-à-dire indépendamment d'une lettre de rupture des concours (20). La loi de sauvegarde des entreprises ne pose pas de règle nouvelle susceptible d'entraîner un changement en la matière.

Dès lors que la compensation légale n'avait pu jouer, faute d'exigibilité des créances réciproques à la date du jugement d'ouverture, la compensation pour dettes connexes était seule possible. Cela supposait, en présence de compte, une unicité, qui faisait ici défaut. La compensation ne pouvait donc jouer entre des créances et des dettes issues de comptes distincts. Si le liquidateur avait soulevé cet argument au stade de la vérification de la créance, il aurait obtenu gain de cause et aurait pu ainsi obtenir ensuite, en lançant une assignation en paiement, restitution du solde créditeur du troisième compte, faute de pouvoir se compenser avec les soldes débiteurs des deux autres comptes.

La solution consistant à écarter la compensation entre des créances et dettes réciproques issues de comptes différents s'inscrit dans le principe général interdisant le jeu de la compensation pour dettes connexes si celles-ci ont des fondements juridiques différents. La solution a été posée en présence d'une créance légale de cotisations de l'Assedic et la dette, de nature quasi-contractuelle, en sens inverse de répétition de l'indu à la suite d'un trop perçu (21). La solution a également été posée en présence d'une créance contractuelle et d'une dette en sens inverse, d'origine judiciaire, trouvant sa source dans l'annulation d'une saisie-attribution pratiquée. La compensation sera identiquement refusée entre une dette née de l'exécution du contrat et une dette en sens inverse de dommages et intérêts, d'origine délictuelle, par exemple la dette de loyer née d'un bail et la dette de dommages et intérêts pour négation abusive du droit au bail, de nature délictuelle (22). La solution a également été retenue lorsque les dettes réciproques avaient, pour l'une, un fondement contractuel, et pour l'autre, un fondement délictuel, car procédant d'une escroquerie (23) ou d'un abus de confiance (24).

Ainsi, si l'argument tenant à l'inexistence des conditions de la compensation pour dettes connexes avait été avancé en temps utile, c'est-à-dire dans le cadre des opérations de vérification des créances, le liquidateur aurait obtenu gain de cause dans sa demande en restitution du solde créditeur du compte bancaire.

Au demeurant, le banquier avait commis une imprudence, en déclarant sa créance après avoir fait jouer la compensation. Dès lors que la compensation pour dettes connexes intervient après jugement d'ouverture la créance n'est pas éteinte au jour du jugement d'ouverture. C'est la raison pour laquelle il convient de la déclarer au passif. A défaut, la compensation ne peut prospérer. L'impossibilité de compenser, en cas d'extinction de la créance non déclarée, justifie l'obligation de déclarer l'intégralité de la créance détenue et non pas seulement le solde obtenu après compensation (25).

La suppression par la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT) de l'extinction de la créance non déclarée dans les délais ne doit pas conduire à changer la solution. En effet, en l'absence de déclaration régulière de la créance au passif, la créance est inopposable à la procédure (26). Faute pour l'intéressé, créancier, de pouvoir se présenter comme créancier dans la procédure collective, il ne pourra donc exhiber une créance en face de la dette qu'il lui est demandé de payer. La compensation sera donc impossible (27), l'opinion contraire ayant cependant été soutenue (28).

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) Cass. com., 11 février 1997, n° 94-14.243, M. Dutour, ès qualités de liquidateur de la liquidation judiciaire de c/ Compagnie générale de crédit-bail (N° Lexbase : A1505ACQ), Bull. civ. IV, n° 48, Rev. proc. coll., 1997, 189, n° 1, obs. B. Soinne, RJDA, 1997/6, n° 843. Contra, CA Montpellier, 2ème ch., sect. B, 10 septembre 1996, Diac c/ Me Morelon ès qualité.
(2) Cass. com., 2 octobre 2001, n° 98-22.304, Mme Marie Babian, épouse Sandjian c/ M. Walczak (N° Lexbase : A1487AWY), Bull. civ. IV, n° 155, D., 2001, AJ, p. 3043, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2001/19, n° 250, obs. F. Pérochon; JCP éd. E, 2001, pan. p. 1746, Dr et proc., 2002/1, p. 29, J. 006, obs. J.-L. Courtier, JCP éd. E, 2002, chron. 175, p. 173, n° 13, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel, RTDCom., 2002, p. 360, n° 3, obs. B. Bouloc, RTDCom., 2002, p. 159, n° 9, obs. A. Martin-Serf ; Cass. com., 28 janvier 2004, n° 01-03.240, Société Robert Paul et fils c/ M. Vincent Foucart, F-D (N° Lexbase : A0328DBR) ; Cass. com., 5 décembre 2006, n° 05-17.685, M. Gilles Gauthier, mandataire judiciaire, F-D (N° Lexbase : A8353DS8), Gaz. proc. coll., 20007/2, p. 57, note E. Le Corre-Broly.
(3) Cass. com., 5 juillet 2005, n° 04-11.320, M. Jean-Lin Tiberghien, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Imprimerie Foreau c/ Banque populaire du Nord, FS-P+B (N° Lexbase : A8956DIK), Bull. civ. IV, n° 154, D., 2005, jur. p. 2165, note E. Le Corre-Broly, D., 2005, AJ, p. 1999, obs. A. Lienhard, RTDCom., 2006/1, p. 208, obs. A. Martin-Serf, Gaz. proc. coll., 2005/3, p. 55, obs. F. Pérochon, RTDCom., 2006/2, p. 469, n° 5, obs. B. Bouloc, confirmant CA Douai, 2ème ch., sect. 2, 6 novembre 2003, n° 01/03114, Gaz. Pal., 8 à 10 février 2004, p. 10, note E. Le Corre-Broly.
(4) Cass. com, 5 juillet 2005, n° 04-11.320, préc..
(5) Pédamon et Carnet, La compensation dans les procédures collectives de règlement du passif, D., 1976, chron., p. 123 et s., spéc. p. 124.
(6) Cass. com., 13 juin 1989, n° 87-19.669, M Crozat, syndic de la liquidation des biens de la société Erop c/ Comité paritaire du logement d'Epernay et de la région (N° Lexbase : A9933AA7), Rev. proc. coll., 1989, 565, obs. B. Dureuil ; adde, Soinne, n° 2197.
(7) Cass. com., 8 janvier 2002, n° 98-21.745, Société Natexis banque c/ Société financière et foncière Eurobail, F-D (N° Lexbase : A7734AXQ), Act. proc. coll., 2002/8, n° 98.
(8) Cass. com., 12 novembre 1991, n° 89-19.454, Société OCP Répartition c/ M. Darrousez, ès qualités de liquidateur de Mme Loridan, publié (N° Lexbase : A3986ABA), Bull. civ. IV, n° 342, D., 1992, somm., p. 183, obs. A. Honorat, JCP éd. E, 1992, I, 136, n° 13, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel, RTDCom., 1992, p. 692, obs. A. Martin-Serf.
(9) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 20 février 2004, n° 2003/08508, Maitre Monique Boisset c/ Société Crédit Agricole - Indosuez (N° Lexbase : A7890DBT).
(10) Cass. com., 17 juin 1997, n° 94-21.865, M. Richard Berkowicz c/ Société New Holland France (N° Lexbase : A5383A47), Rev. proc. coll., 1998, 209, n° 14, obs. B. Lemistre.
(11) Cass. com., 14 octobre 1997, n° 95-15.544, Kittikhoum, ès qualités de liquidateur c/ Société Batimap Sicomi (N° Lexbase : A1894AC7), Bull. civ. IV, n° 256, D., 1998, somm., p. 96, obs. A. Honorat, JCP éd. E, 1997, pan., 1262.
(12) CA Paris, 15ème ch., sect. B, 21 octobre 2004, n° 04/00292, SCP Laureau Jeannerot, prise tant en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SARL Atemitsu Protection Internationale c/ Banque populaire du Val de France (N° Lexbase : A9981DDZ).
(13) Cass. com., 14 octobre 2008, n° 07-16.704, F-D (N° Lexbase : A8050EAE).
(14) Cass. com., 14 octobre 2008, 2 arrêts, n° 07-16.703, Société civile professionnelle (SCP) Dargent-Morange-Tirmant, mandataire judiciaire, F-D et n° 07-16.704, préc..
(15) Cass. com., 14 octobre 2008, n° 07-16.705, Société civile professionnelle Dargent-Morange-Tirmant, mandataires judiciaires, F-D (N° Lexbase : A8051EAG).
(16) Cass. com., 14 octobre 2008, n° 07-16.706, Société civile professionnelle Dargent-Morange-Tirmant, mandataires judiciaires, F-D (N° Lexbase : A8052EAH).
(17) Cass. com., 14 octobre 2008, 4 arrêts, n° 07-16.703, préc., n° 07-16.704, préc., n° 07-16.705, préc. et n° 07-16.706, préc..
(18) Cass. com., 20 janvier 1998, n° 95-17.836, M. Christian Delpico c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Sud-Méditérranée, inédit (N° Lexbase : A6909AHD), RTDCom., 1998, p. 313, obs. M. Cabrillac, JCP éd. E, 1999, chron. 761, n° 14, obs. Ch. Gavalda et J. Stoufflet ; Cass. com., 14 mai 2002, n° 98-21.521, Mme Sylvette Gronlet, épouse Monfredo c/ Banque nationale de Paris (BNP), FS-P (N° Lexbase : A6695AYM), Bull. civ. IV, n° 583, Act. proc. coll., 2002/12, n° 155, obs. J. Ch. Boulay, Rev. proc. coll., 2003, p. 240, n° 7, obs. Ph. Roussel Galle.
(19) Cass. com., 5 novembre 2003, n° 01-01.899, Banque Gallière c/ M. Charles Neto, F-D (N° Lexbase : A0613DAX), Act. proc. coll., 2004/2, n° 23, Rev. proc. coll., 2004, p. 67, n° 5, obs. Ph. Roussel Galle ; Cass. com., 19 mai 2004, n° 02-18.570, M. Patrick Canet c/ Caisse régionale de Crédit maritime mutuel du Morbihan et de la Loire-Atlantique, FS-P+B (N° Lexbase : A2732DC8), D., 2004, AJ, p. 1813, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2004/13, n° 163, obs. J.-Ch. Boulay ; CA Paris, 5ème ch., sect. B, 20 novembre 2003, n° 2003/02832, Maitre Philippe Jacques Garnier c/ SAS Banque Delubac et Compagnie (N° Lexbase : A7045DA8).
(20) Cass. com., 5 novembre 2003, n° 01-01.899 préc. et les réf. préc..
(21) Cass. com., 29 avril. 2003, n° 00-16.127, ASSEDIC de Rouen c/ Société Dorival, F-D (N° Lexbase : A8195BSC) inédit.
(22) Cass. com., 22 avril. 1997, n° 95-17.600, Société Lemasson c/ Société Sefic Industrie et autres (N° Lexbase : A1954ACD), Bull. civ. IV, n° 101, Dr. Sociétés, 1997, comm. 102, obs. Y. Chaput, JCP éd. G, 1997, I, 4054, n° 18, obs. Ph. Pétel ; Cass. com., 19 mai 2004, n° 01-12.767, M. Jacques Derhy c/ M. Michel Chavaux, F-D (N° Lexbase : A2641DCS).
(23 ) Cass. com., 14 mai 1996, n° 94-15.919, Société Montres Rolex c/ Société Dupeguy et autre, publié (N° Lexbase : A1442ABZ), Bull. civ. IV, n° 133, D., 1996, p. 502, rapp. Le Dauphin, D., 1996, somm., p. 340, obs. A. Honorat, D., 1996, somm. p. 332, obs. Ph. Delebecque.
(24) Cass. com., 18 septembre 2007, n° 06-16.070, M. Jehan Pierre d'Abrigeon, F-P+B (N° Lexbase : A4257DYC), D., 2007, AJ, p. 2476, Gaz. proc. coll., 2008/1, p. 49, note Ph. Roussel Galle, JCP éd. E, 2008, chron. 1207, n° 16, p. 34, obs. Ph. Pétel, Rev. proc. coll., 2008, p. 68, n° 5, note Ch. Lebel.
(25) Cass com., 20 mars 2001, n° 98-16.256, Société Geleurop Stefover c/ M. Massart, ès qualités de mandataire liquidateur (N° Lexbase : A1232ATS), Bull. civ. IV, n° 62, D., 2001, AJ p. 1468, Act. proc. coll., 2001/8, n° 99 ; Cass com., 24 avril 2007, n° 05-17.452, M. Jacques Maes, F-D (N° Lexbase : A0185DWR), Rev. proc. coll., 2007/3, p. 141, n° 6, obs. O. Staes ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 10 octobre 2006, n° 05/21484, SA AOM Air Liberté c/ SA Air France (N° Lexbase : A7220DS9) ; CA Paris, 15ème ch., sect. B, 11 octobre 2007, n° 06/01303, SA Fortis Banque France c/ Maître Yannick Mandin (N° Lexbase : A3907D34).
(26) Sur ce principe de solution, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2008/2009, n° 665.75.
(27) En ce sens aussi, F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, n° 537 ; Jacquemont A., Procédures collectives, Litec, 5ème éd., 2007, n° 299.
(28) P. Crocq, La réforme des procédures collectives et le droit des sûretés, D., 2006, chron. p. 1306 et s., spéc. p. 1307, n° 11.

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Licenciement

[Jurisprudence] L'interdiction de renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles en matière de licenciement

Réf. : Cass. soc., 6 novembre 2008, n° 07-43.325, Société d'exploitation Alice création c/ M. Hugues Lardet et a., F-D (N° Lexbase : A1715EB7)

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N7492BHX

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le salarié qui souhaite mettre un terme à la relation de travail dispose, pour ce faire, de la faculté de démissionner. Dans cette hypothèse, toutefois, il ne sera pas en droit de bénéficier des allocations de chômage. Aussi, ce salarié peut-il s'ingénier, avec la complicité ou non de son employeur, à provoquer son licenciement. Semblable démarche ne saurait, pour autant, interdire au salarié de saisir, ensuite, le juge afin de contester son licenciement. En effet, il convient de toujours avoir à l'esprit qu'en vertu de l'article L. 1231-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1068H9G) l'employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles en matière de licenciement. L'avènement de la rupture conventionnelle est de nature, sinon à mettre un terme, du moins à limiter ce genre de pratiques.
Résumé

Il résulte de l'article L. 1231-4 du Code du travail que les parties ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles en matière de licenciement.

Commentaire

I Une solution classique

  • Les règles applicables

Ainsi que l'énonce l'article L. 1231-4 du Code du travail, "l'employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles prévues par le présent titre". Le titre en question n'est autre, désormais, que le titre III du livre II de la première partie du Code du travail, intitulé "Rupture du contrat de travail à durée indéterminée".

Le texte de l'article L. 1231-4 laisse clairement entendre que sont seules interdites les renonciations anticipées. Par suite, et ainsi qu'il a été relevé "le droit du travail admet la renonciation dès lors que les droits en cause sont effectivement entrés dans le patrimoine du salarié" (Ch. Radé, L'ordre public social et la renonciation du salarié, Dr. soc., 2002, p. 931, spéc. p. 933). Il faut, toutefois, relever que l'appréciation de cette condition n'est pas toujours évidente. A quel moment, par exemple, doit-on considérer que le droit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est entré dans le patrimoine du salarié ? Certains diront au moment de la rupture, tandis que d'autres soutiendront que c'est lors du jugement déclarant que le licenciement était injustifiée. A dire vrai, la Cour de cassation ne rentre pas dans de telles considérations et se borne à adopter un critère purement chronologique s'agissant de la question précitée. Ainsi, on sait qu'une transaction ne peut être valablement conclue qu'après que le licenciement a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception (v. notamment, Cass. soc., 18 février 2003, n° 00-42.948, Mme Agnès Sarkissian c/ Société Vacances Héliades, N° Lexbase : A1795A7M ; Lire notre chron., La transaction, un régime juridique stabilisé, Lexbase Hebdo n° 61 du 5 mars 2003 - édition sociale N° Lexbase : N6240AAD). Transaction qui, à l'évidence et en fonction de son contenu, emporte pour le salarié renonciation à certains droits (1).

  • L'affaire en cause

En l'espèce, un salarié employé à compter du 27 juillet 1992 par la société Alice création et occupant, en dernier lieu, les fonctions de jardinier, avait été licencié le 7 avril 2005. L'employeur reprochait à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. A l'appui de son pourvoi il soutenait, de manière bien curieuse, que le "devoir de cohérence" s'oppose à ce qu'un salarié conteste la réalité et le caractère sérieux de la rupture de la cause invoquée par son employeur à l'appui d'une mesure de licenciement, lorsqu'il a été à l'origine de la rupture de son contrat de travail, en organisant la cessation de son activité afin de bénéficier d'un dispositif permettant de percevoir des allocations jusqu'à l'obtention d'une pension de retraite à taux plein. En outre, et de façon tout aussi curieuse, l'employeur arguait de la violation par le salarié de son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail en contestant la réalité et le caractère sérieux des motifs retenus par son employeur à l'appui de la mesure de licenciement bien qu'il ait lui-même organisé la rupture de son contrat de travail, en refusant délibérément de respecter les consignes de travail et en imposant à son employeur son départ.

Cette argumentation est balayée par la Cour de cassation qui se borne à rappeler qu'il résulte de l'article L. 1231-4 du Code du travail que les parties ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles en matière de licenciement et que le moyen, inopérant, ne peut être accueilli.

Dire que le moyen développé par l'employeur est inopérant ne peut qu'être approuvé au regard de la teneur de celui-ci. Cela étant, et encore que la décision ne soit guère claire de ce point de vue, on peut comprendre le désappointement de l'employeur. En effet, il apparaît que le salarié avait recherché son licenciement, sans que l'on sache si l'employeur avait ou pas apporté son concours à cette démarche. Le salarié souhaitait, en effet, bénéficier des allocations chômage jusqu'au moment où il pourrait faire valoir ses droits à retraite.

Eu égard au comportement du salarié, l'employeur ne s'attendait sans doute pas à ce qu'il saisisse ensuite le juge afin de contester son licenciement puisque, précisément, il l'avait lui-même provoqué. Mais, à dire vrai cela importe peu, puisque l'employeur aurait dû savoir que le salarié ne peut renoncer par avance à se prévaloir des règles en matière de licenciement et qu'une telle demande était donc juridiquement envisageable. Partant, on est tenté de dire que l'employeur ne peut s'en prendre qu'à lui-même car il disposait des moyens de "sécuriser" quelque peu l'opération.

II Une solution instructive

  • Le recours à la transaction

En l'espèce, l'employeur aurait eu certainement tout intérêt à conclure une transaction avec le salarié. A condition qu'elle ait été conclue après la notification du licenciement et sans présumer de son contenu (2), la transaction aurait eu pour effet de rendre irrecevables les demandes du salarié tendant à la remise en compte de son licenciement.

Précaution élémentaire dans ce cas de figure, la transaction n'est, cependant, pas sans poser quelques difficultés à l'employeur dans la mesure où, pour qu'elle puisse être jugée valable, elle doit comporter des concessions réciproques. En d'autres termes, l'employeur doit s'engager à remettre une certaine somme d'argent au salarié. Or, et on le devine, l'employeur qui "accepte" de licencier le salarié afin que celui-ci bénéficie des indemnités chômage n'est pas enclin de lui verser en sus des indemnités transactionnelles. A cela, il faut encore ajouter que l'employeur doit, sauf à ce que le salarié ait été licencié pour faute grave, lui octroyer une indemnité de licenciement.

  • L'heureuse rupture conventionnelle

Jusqu'à la loi du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), le salarié qui souhaitait mettre un terme à la relation de travail tout en bénéficiant a posteriori des allocations de chômage n'avait d'autre choix que d'"obtenir", d'une manière ou d'une autre, son licenciement. De là, des montages curieux, tel celui à l'oeuvre dans l'espèce rapportée. Désormais, il n'est plus nécessaire de passer par là.

En effet, la rupture conventionnelle a pour intérêt de mettre un terme à la relation de travail tout en permettant au salarié de bénéficier des indemnités de chômage. Il n'en reste pas moins vrai qu'une telle rupture exige, par définition, l'accord de l'employeur qui reste tenu de verser une indemnité de rupture au salarié. Partant, il n'est pas du tout certain que ce dernier accède à sa demande. Le ferait-il, on ne saurait trop lui conseiller de conclure avec le salarié une transaction. Car, et on ne saurait trop le répéter la sécurisation qui est attendue de la rupture conventionnelle dépendra étroitement de ce que voudra bien en faire la Cour de cassation (v. en ce sens, notre chron., La rupture conventionnelle du contrat de travail : l'illusion de la sécurisation, RDT, 2008, p. 522).


(1) Il reste que l'on peut se demander si, en marge de toute transaction, et postérieurement à son licenciement, le salarié pourrait renoncer au droit de demander une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
(2) Il convient en effet de rappeler que l'irrecevabilité des demandes en justice n'a pas un caractère général et reste limitée à l'objet de la transaction.

Décision

Cass. soc., 6 novembre 2008, n° 07-43.325, Société d'exploitation Alice création c/ M. Hugues Lardet et a., F-D (N° Lexbase : A1715EB7)

Rejet, CA Aix-en-Provence, 18ème ch., 15 mai 2007

Texte concerné : C. trav., art. L. 1231-4 (N° Lexbase : L1068H9G)

Mots-clefs : licenciement, renonciation

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Fiscalité des particuliers

[Chronique] Chronique de fiscalité du patrimoine - Novembre 2008

Lecture: 14 min

N7539BHP

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Est-ce abusif que de consacrer la plus grande partie de cette chronique aux dernières nouvelles du front de l'abus de droit ? La réponse ne peut qu'être négative puisque la frontière entre l'habileté fiscale et l'abus de droit, que le regretté Professeur Cozian surnommait "le châtiment des surdoués de la fiscalité", semble, du moins, pour certaines opérations comme l'apport en nue-propriété à une SCI suivi d'une donation des parts, se stabiliser. Il était donc impératif d'en rendre compte (Cass. com., 4 novembre 2008, n° 07-19.870, F-D ; Cass. com., 21 octobre 2008, n° 07-18.770, F-D ; Cass. com., 23 septembre 2008, n° 07-15.210, F-D ; instruction du 23 octobre 2008, BOI 13 L-8-08). L'abus de droit se révèle aussi être au coeur du volet fiscal du PLFR 2008, présenté, mercredi 19 novembre 2008, en Conseil des Ministres. En effet, la procédure de répression des abus de droit devrait faire l'objet d'une véritable consécration début 2009, puisque le texte envisage une refonte totale de l'article L. 64 du LPF qui, d'une part, permettrait l'application de la procédure à l'ensemble des impôts, et non à ceux énumérés limitativement, et qui, d'autre part, légaliserait l'extension jurisprudentielle de la définition de l'abus de droit aux opérations effectuées dans un but exclusivement fiscal. Par ailleurs, la nouvelle mesure propose un aménagement des pénalités applicables, en introduisant une modération à 40 % de la pénalité de 80 % afin de se conformer à la jurisprudence de la CESDH. Au sommaire de cette chronique, on relèvera également la tentative, pour l'instant vaine, de faire juger contraire au juste équilibre entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général, édicté par l'article 1 du protocole de la CEDH, le taux des mutations à titre gratuit au profit d'adoptés simples (CA Paris, 1ère ch., sect. B., 3 octobre 2008, n° 04/22309, Mme Karen Jakobsen c/ M. Le Directeur des services fiscaux de Paris Ouest).

Le montage "classique" d'apport suivi d'une donation, qui permettait et permet toujours (le barème de l'article 669 du CGI N° Lexbase : L7730HLU sous-évalue encore l'usufruit) de réduire l'assiette des droits d'enregistrement dans le cadre de la transmission de la nue-propriété d'un bien, est désormais sécurisé dès lors que, pour écarter les désavantages de la donation directe de la nue-propriété, trois arguments principaux peuvent être invoqués.

1. Les affres d'une donation en nue-propriété, avant, pendant et à l'extinction de l'usufruit

Au moment de réaliser la donation, hormis l'hypothèse dans laquelle la transmission porte uniquement sur un portefeuille de valeurs mobilières, les donateurs doivent composer des lots équilibrés. Ce qui n'est pas sans soulever de difficultés lorsque, s'agissant d'immeubles, ces derniers ne sont pas de même valeur, n'ont pas le même rendement et sont situés dans des secteurs géographiques pour lesquels l'évolution du marché ne paraît pas identique.

Immédiatement après la donation directe de la nue-propriété, toujours en matière d'immeubles, les donateurs sont dans une situation dans laquelle leurs pouvoirs de gestion et de disposition sont fortement réduits. En effet, ils ne peuvent ni imposer aux nus-propriétaires d'effectuer des travaux de grosses réparations visés aux articles 605 (N° Lexbase : L3192ABT) et 606 (N° Lexbase : L3193ABU) du Code civil, ni céder sans leur accord.

Enfin, à l'extinction de l'usufruit, les nus-propriétaires sur la tête desquelles la pleine propriété s'est reconstituée se trouvent placé sous le régime de l'indivision.

2. La validité du schéma

Dès lors que l'opération d'apport suivi de la donation des parts recouvre une réalité économique, sa validité est reconnue. Ainsi, la validité du schéma est admise lorsque l'opération permet au donateur de "préparer au mieux la transmission de son patrimoine à ses enfants dans un cadre juridique précis et organisé, tout en conservant la maîtrise de la gestion de ses biens immobiliers afin d'assurer sa sécurité matérielle, qu'ainsi elle [la donatrice] a conservé la faculté, en cas de besoin, de décider seule de la mise en vente des immeubles ou d'hypothéquer ceux-ci et de les donner à bail commercial, et que les statuts des sociétés lui permettent de procéder à des grosses réparation, sans s'exposer à un refus d'un nu-propriétaire, tout en sollicitant des associés les appels de fonds nécessaires, ce qui assure la préservation de ses biens" (Cass. com. 21 octobre 2008, n° 07-18.770). De même, à raison de ses effets autres que fiscaux, l'abus de droit est écarté si la donation-partage des parts effectuée par les parents pouvait avoir "pour but, d'une part, de partager équitablement leur patrimoine entre leurs descendants, évitant toute indivision entre eux et les difficultés inhérentes à un partage en lots équivalents d'immeubles de nature et de valeur très diverses et, d'autre part, de se mettre à l'abri du besoin leur vie durant en conservant les revenus de ces immeubles" (Cass. com., 23 septembre 2008, n° 07-15.210). Autrement dit, la conservation du contrôle des SCI, et par conséquent de la gestion des immeubles, la préservation des intérêts familiaux puisque l'apport permet de composer les lots équilibrés et de répartir les risques locatifs (Cass. com., 26 mars 2008, n° 06-21.944, FS-D N° Lexbase : A6041D7U) et le souci d'écarter l'indivision après l'extinction de l'usufruit (Cass. com., 20 mai 2008, n° 07-18.397, F-D N° Lexbase : A7139D8W), sont autant d'effets qui permettent de sécuriser l'apport en nue-propriété suivi de la donation des parts. En effet, le critère de l'existence de préoccupation exclusivement fiscale doit être apprécié de manière restrictive et, lorsqu'une opération entraîne des effets multiples, elle ne saurait être assimilée à un abus de droit, même si elle a incontestablement présenté des avantages fiscaux pour les parties. Un contribuable est donc "en droit de choisir la structure la plus favorable, qui relève de sa liberté d'optimisation fiscale" (CA Paris, 14 mars 2008, n° 06/01770). Le recours à la société est également justifié lorsqu'il permet non seulement de substituer une gestion plus souple d'immeubles locatifs, mais aussi de transmettre une partie du patrimoine de la donatrice directement à ses petits-enfants tout en garantissant un revenu aux deux premières générations (Cass. com., 4 novembre 2008, n° 07-19.870). Un bémol, cependant : lorsque la nature des biens, valeurs mobilières, par exemple, permet de composer directement les lots sans qu'il soit besoin de recourir à une société, le spectre de l'abus réapparaît.

  • Abus de droit : Donation avant cession - Que recouvre la notion de réappropriation, qui écarte l'intention libérale de départ ? (BOI 13 L-8-08 du 23 octobre 2008 N° Lexbase : X4425AEM : avis rendus par le Comité pour la répression des abus de droit, année 2008 ; affaire n° 2007-4, affaire n° 2007-27, affaire n° 2007-26)

Nul n'ignore l'adage civil : "donner et retenir ne vaut". Cet adage exprime la règle de l'irrévocabilité spéciale des donations qui signifie que le donateur ne peut se réserver dans l'acte de donation le moyen de reprendre ce qu'il a donné et, ce, à peine de nullité de la donation. Le contournement de cette règle relève, en matière fiscale, de l'abus de droit. Lorsque la donation précède incontestablement la vente par les donataires, l'abus de droit est recherché dans les conditions dans lesquelles s'opère la gestion du prix de cession.

1. La réappropriation caricaturale

L'abus de droit est incontestable lorsque, par exemple, le donateur encaisse une partie du prix de vente de parts de SARL préalablement données (TA Toulouse, 21 mai 2002, n° 97-1328). Une des affaires examinée récemment par le Comité l'était aussi. En effet, si la donation, réalisée le même jour que la cession, a été considérée comme étant intervenue avant que cette cession ne devienne parfaite, le Comité a estimé que le donateur ne poursuivait, par cette opération, que le but d'effacer les plus-values. En effet, après la donation à ses enfants mineurs, il avait encaissé la quasi-totalité du prix, à l'exception d'une partie minime, placée sur deux plans d'épargne logement ouverts au nom de chacun de ses enfants (affaire n° 2007-4). Pire, dans une autre affaire, après avoir versé le prix de cession sur un compte indivis avec ses enfants, puis investi ensuite les fonds en cause sur des contrats de capitalisation ouverts à son nom et celui de son épouse, le donateur avait demandé l'annulation de ces contrats et les avait remplacés par des contrats de capitalisation démembrés souscrits à son profit et celui de ses enfants. Mais, ce placement plus conforme aux conséquences de la donation n'avait eu lieu que postérieurement à l'entretien au cours duquel le vérificateur avait exposé au contribuable les raisons pour lesquels les contrats souscrits au nom du donateur et de sa femme lui permettaient de remettre en cause l'effacement de la plus-value ! (affaire n° 2007-27). Enfin, à la suite de la donation de la nue-propriété d'un immeuble, le donateur avait encaissé personnellement l'intégralité du prix, sans opérer de partage, ce qui privait de tout effet la donation (affaire n° 2007-26).

2. La gestion habile, mais contestée, du prix de cession

Bien que ces opérations préservent les droits des donataires tout en laissant au donateur une grande liberté de gestion, l'administration, suivie par le Comité, les conteste systématiquement. Il s'agit, d'une part, après une donation en démembrement, de l'investissement sur un contrat de capitalisation également démembré, d'autre part, de la donation avec réserve de quasi-usufruit sur le prix de vente. Dans le premier cas, alors que, lors de la souscription d'un contrat de capitalisation démembré, les parties avaient régularisé une convention qui précisait l'origine des fonds démembrés investis sur le contrat, prévu le mode de gestion et les retraits de l'usufruitier, l'opération a été requalifiée en prêt sans intérêt et à terme des enfants aux parents (BOI 13 L-1-03 du 14 mai 2003 N° Lexbase : X4679ABW, affaire n° 2002-19). Cette analyse est elle-même critiquable puisque l'usufruitier ne peut jouir à sa guise du capital placé, mais seulement, en cas de rachat, des fruits du contrat. Il est vrai qu'une critique plus performante aurait pu être mise en avant. En effet, à l'instar des rachats partiels sur un contrat d'assurance vie, il aurait pu être considéré que le rachat partiel portait à la fois sur une partie du capital et sur des intérêts. Ce qui aurait permis de prétendre que la règle "donner et retenir ne vaut" avait été contournée. Dans le second cas, alors que la donation comportait une clause de remploi obligatoire du produit de la cession des titres ainsi qu'une convention de quasi-usufruit au profit du donateur et que le Comité avait décidé que la réappropriation n'était pas établi au motif que les nus-propriétaires disposaient d'une créance de restitution, l'administration a décidé de ne pas suivre l'avis rendu (BOI 13 L-6-07 du 16 octobre 2007 N° Lexbase : X9808ADM, affaire n° 2006-18).

  • Abus de droit : donation déguisée sous forme de vente

- Requalification fondée (BOI 13 L-8-08 du 23 octobre 2008, affaire n° 2007-15 ; Cass. com. 21 octobre 2008, n° 07-19.345, F-D N° Lexbase : A9440EAU)

1. Principes

On sait que pour requalifier une vente en donation, l'administration doit établir que le vendeur a entendu gratifier l'acquéreur en dispensant ce dernier de lui servir les contreparties figurant dans l'acte présenté comme une vente. La dissimulation repose sur un ensemble d'indices se rattachant à la situation du vendeur, à celle de l'acquéreur et aux circonstances du contrat. S'agissant du cédant, l'administration tire argument de son âge avancé ou de son état maladif, des liens de parenté, d'alliance ou d'affection qui l'unissent à l'acquéreur et de sa situation de fortune lorsque cette dernière, le mettant à l'abri du besoin, ne rend pas nécessaire la cession de l'immeuble. En la personne de l'acquéreur, les indices les plus fréquemment relevés sont sa situation financière, lorsque celle-ci ne lui permet pas de s'acquitter du prix, et sa qualité d'héritier ou de légataire institué du vendeur. Ce n'est donc qu'au cas par cas que l'administration se forge son opinion et tente de convaincre le juge de la justesse de son analyse, tant il est vrai que la variété des situations ne permet pas, avant le litige, d'en connaître l'issue avec certitude. Lorsque le prix de vente est intégralement converti en une rente viagère, l'administration considère que cette convention est contraire à l'usage et l'équité. Elle décèle, dans cette absence de bouquet, un indice de nature à démontrer l'existence d'une donation déguisée. Or, les contractants ont le choix. Ils peuvent décider de constituer seulement une rente viagère ou verser une somme au comptant et convertir le surplus en une rente. Ainsi, sauf s'il existe d'autres indices, le défaut de versement d'un bouquet ne permet pas de requalifier, à lui seul, la vente en donation. Cependant, si la rente peut être constituée au taux qu'il plaît aux parties contractantes de fixer, son montant ne doit pas être manifestement inférieur au rendement de l'immeuble. En effet, il faut éviter le risque d'absence d'aléa, ce qui est le cas lorsque la rente est fixée à un montant inférieur ou égal au revenu de l'immeuble. Force est de constater que, dans une telle situation, l'acquéreur aurait la possibilité de payer la rente avec les seuls revenus de l'immeuble.

2. Applications

Au regard de ces principes, le litige soumis récemment à la Cour de cassation ne pouvait donner lieu qu'à une décision favorable pour l'administration qui invoquait l'existence d'une donation déguisée. En effet, le vendeur, âgé de 90 ans, avait cédé sa résidence principale à son neveu, déjà institué légataire universel, la veille de l'apparition de l'affection qui devait l'emporter. De surcroît, la consistance du patrimoine du vendeur et l'importance de ses revenus, qui le mettait à l'abri du besoin, ne lui imposait nullement cette cession. Enfin, les premiers chèques correspondants aux trois premières échéances de la rente n'avaient été présentés à la banque du vendeur qu'après son décès (Cass. com., 21 octobre 2008, n° 07-19.345). Autrement dit, une affaire vraiment caricaturale ! De même, l'avis du Comité ne pouvait que valider la mise en oeuvre de la procédure spécifique dans l'affaire qui lui a été soumis dans l'une des premières séances de l'année 2008. Le vendeur avait cédé à sa compagne, avec laquelle il vivait depuis 40 ans, la nue-propriété d'une maison d'habitation. Le prix était censé avoir été payé pour une grande partie sous forme d'acomptes avant la vente. Cependant, aucune justification ne venait appuyer cette affirmation. Bien au contraire, le vendeur avait procédé à d'importants versements au profit de l'acquéreur. Qui plus est, cette dernière était instituée légataire de l'usufruit de la totalité des biens du vendeur.

- Pas de donation déguisée sans intérêt fiscal immédiat ! (BOI 13 L-8-08 du 23 octobre 2008, affaire n° 2008-02)

C'est une évidence : si l'opération dont la qualification est contestée par l'administration conduit le contribuable à payer plus de droits qu'il n'en aurait acquitté si ceux-ci avaient été déterminés en fonction de la nature véritable de cette opération, la procédure spécifique ne peut être mise en oeuvre. Exemple : un père cède à son fils et la femme de ce dernier un bien immobilier pour un prix de 800 000 francs (121 959 euros). L'acte mentionnait un paiement de 400 000 francs (60 979 euros) avant la vente et hors la comptabilité du notaire et, pour le surplus, quatre annuités de 100 000 francs (15 244 euros). Considérant que cette vente dissimulait une donation, le service a mis en oeuvre la procédure spécifique. Pour l'appréciation de l'intérêt fiscal de l'opération en cause, le Comité a décidé que, s'agissant d'une mutation réalisée au profit de deux personnes distinctes, cet intérêt doit être examiné indépendamment pour chaque bénéficiaire au jour de l'acte. Or, en ce qui concerne la part indivise acquise par l'époux, fils du vendeur, le Comité a relevé que l'application à la valeur de sa part, soit la moitié, des droits de donation en vigueur à l'époque des faits entraînerait l'exigibilité de droits de mutation à titre gratuit moins élevés que les droits de mutation à titre onéreux effectivement perçus sur cette part. Le Comité en a déduit qu'en l'absence de tout intérêt fiscal immédiat, l'administration n'était pas en droit de mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit. Observons néanmoins que, à raison de décès du vendeur, intervenu depuis la vente, l'administration pourrait procéder à un rappel de droits de succession, selon la procédure de droit commun, si elle démontre la fictivité de l'acte. Ce redressement serait fondé sur le rappel fiscal des donations antérieures non encore taxées.

  • Succession et adoption simple (CA Paris, 1ère ch., sect. B., 3 octobre 2008, n° 04/22309, Mme Karen Jakobsen c/ M. Le Directeur des services fiscaux de Paris Ouest N° Lexbase : A7629EAS)

Les dispositions de l'article 786 du CGI (N° Lexbase : L8196HL7) dans leur ensemble respectent un juste équilibre entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général.

Le fait que l'article 786 du CGI, qui prévoit le principe d'une taxation entre tiers (au taux de 60 %) pour les transmissions à titre gratuit entre adoptant et adopté simple, comporte des exceptions permet de considérer que ce texte est conforme à l'article 1 du protocole de la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) et ne porte pas atteinte au droit de propriété.

1. Droit au respect des biens

Le droit au respect des biens est prévu par l'article 1 du Protocole n° 1 de la CESDH, qui est ainsi rédigé "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes".

Le droit au respect des biens est, en effet, le seul droit de nature économique inclus dans la Convention ou dans les protocoles. Cependant, la frontière entre droits civils et politiques d'une part, droits économiques et sociaux d'autre part, n'est pas toujours aisée à établir : ainsi, la Cour notait, dans l'affaire "Airey contre Irlande" (CEDH, 9 octobre 1979, Req. 6289/73, Airey c/ Irlande N° Lexbase : A2971EBN), à propos de la Convention : "si elle énonce pour l'essentiel des droits civils et politiques, nombre d'entre eux ont des prolongements d'ordre économique ou social. Avec la Commission, la Cour n'estime pas devoir écarter telle ou telle interprétation pour le simple motif qu'à l'adopter on risquerait d'empiéter sur la sphère des droits économiques et sociaux ; nulle cloison étanche ne sépare celle-ci du domaine de la Convention".

La Cour a observé, à plusieurs reprises (CEDH, 23 septembre 1982, req. 7151/75, Sporrong et Lönnroth N° Lexbase : A5103AYN), que l'article 1 du Protocole n° 1 contenait "trois normes distinctes", soit le principe "d'ordre général" du respect de la propriété, soit les conditions de privation de la propriété et, enfin, la réglementation de l'usage des biens conformément à l'intérêt général.

2. Application à l'adoption simple

On sait que lorsque l'adopté simple recueille la succession de l'adoptant ou bénéficie d'une donation de la part de ce dernier, les droits de mutation à titre gratuit sont perçus au tarif prévu pour le lien de parenté naturel existant entre eux ou, le cas échéant, au tarif applicable entre personnes non parentes. En effet, l'article 786 du CGI précise qu'en matière d'adoption simple, le tarif des droits n'est le tarif en ligne directe que lorsque certaines conditions sont remplies. Parmi ces exceptions, on relève notamment les transmissions en faveur des enfants du premier mariage du conjoint de l'adoptant ou celles en faveur d'enfants ayant bénéficié, de la part de l'adoptant, de soins et secours durant une période de cinq ans pendant la minorité, ou de dix ans pendant la minorité et la majorité.

Dans l'affaire soumise à la Cour de cassation, les adoptés simples considéraient que le régime fiscal des successions entre tiers, qui leur était applicable, portant une grave atteinte au droit de propriété et présentait un caractère confiscatoire. Seule l'application du taux maximum de 40 %, à savoir le taux le plus élevé en ligne directe, était de nature à assurer le respect du juste équilibre entre la sauvegarde des droits de propriété et les exigences de l'intérêt général, conformément aux dispositions de l'article 1er du protocole de la CESDH. Cependant, selon la cour d'appel, si l'article 786 du CGI ne tient pas compte du lien de parenté résultant de l'adoption simple pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, ce texte prévoit des exceptions. L'Etat respecte ainsi, par cette disposition, le juste équilibre imposé par le texte de la Convention.

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[Jurisprudence] Observations sur les sûretés portant sur des biens indisponibles

Réf. : Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-12.768, M. Damien Gourio, F-P+B (N° Lexbase : A5851EAX)

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N7531BHE

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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau de Paris, Chargé d'enseignement à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan

Le 07 Octobre 2010

Les stock-options font régulièrement parler d'elles ; c'est vrai même en jurisprudence (1). Une fois n'est pas coutume, l'arrêt rendu le 30 septembre 2008 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sur le régime de leur affectation à titre de sûreté. Ce faisant, et c'est ce qui en fait la substance, l'arrêt tranche plus généralement la question de la constitution d'une sûreté sur un bien indisponible. L'espèce se joue autour des faits suivants : un salarié bénéficiait d'un plan de stock-options mis en place par la société qui l'employait et portant sur les actions de celle-ci. La société était le teneur du compte d'instruments financiers destiné à l'inscription des actions. Le salarié s'était contractuellement engagé envers la société à ne pas céder les actions avant un délai de cinq ans. Un an plus tard, le salarié obtint de la société une ouverture de crédit en garantie de laquelle il constitua un gage sur le compte. Après avoir présenté sa démission à la société, le salarié assigna cette dernière en justice, notamment en responsabilité pour "ouverture abusive de crédit" et, de manière plus générale, en nullité du nantissement. Le raisonnement du demandeur était peu ou prou le suivant : puisque frappées d'indisponibilité, les actions étaient hors commerce au sens de l'article 1128 du Code civil (N° Lexbase : L1228AB4), et le nantissement n'était donc pas valable. En conséquence, l'ouverture de crédit n'était pas garantie, ce dont le salarié infère qu'elle ne correspondait pas à ses facultés de remboursement.

Enjeu fondamental du débat : est-il possible de donner en sûreté des actifs indisponibles ?

Echouant à convaincre les juges du fond de la négative, le salarié tenta sa chance devant le juge de cassation. Il n'y eut pas plus de succès. Dans un attendu sans équivoque, la Cour de cassation estime, en effet, que "l'indisponibilité d'une valeur mobilière, quand elle est simplement temporaire, ne fait pas obstacle à son affectation en nantissement".

Par sa réponse rédigée en des termes généraux, et quoique la formule aurait sans doute gagné à être plus directe, la Chambre commerciale contribue à la construction jurisprudentielle du régime de la constitution de sûretés sur des biens indisponibles. Pour ce qui est plus particulièrement du nantissement de compte d'instruments financiers, elle élargit son assiette potentielle en y incluant les instruments financiers indisponibles (I), ce qui ne peut aller sans susciter quelques observations d'ordre pratique tenant à la prudence dont doivent faire preuve les créanciers titulaires de ces sûretés (II).

I - La validité des sûretés constituées sur des biens indisponibles

L'arrêt du 28 septembre 2008 pose le principe quasi-absolu de la validité des sûretés constituées sur des biens indisponibles (A), tout en invitant les contractants à des considérations factuelles tenant à des rapprochements de dates (B).

A - La prétendue impossible remise en garantie d'un bien indisponible

1 - L'impossible remise en garantie d'un bien indisponible

Il a été écrit, de manière convaincante, que l'indisponibilité est la qualité d'un bien affecté à une destination particulière, au bénéfice du propriétaire ou d'un tiers : c'est une conséquence d'une restriction au pouvoir de disposition du propriétaire (2). Dans l'espèce commentée, les actions avaient été rendues indisponibles par une promesse consentie à la société par le salarié de ne pas les céder avant un délai de cinq ans.

L'indisponibilité peut être d'origine légale (à la suite d'une saisie-conservatoire, par exemple (3)), jurisprudentielle -c'est le cas des "souvenirs de famille" (4)-, ou conventionnelle (5). En l'espèce, l'indisponibilité était conventionnelle puisqu'elle résultait des stipulations du plan de stock-options au titre duquel avaient été souscrites les actions.

Comme la doctrine le fait régulièrement remarquer, il est nécessaire que les biens tenant lieu d'assiette à une sûreté réelle soient disponibles, et partant aliénables (5). A défaut, le créancier bénéficiaire de la sûreté ne pourrait jouir de sa "cause légitime de préférence" (7) en faisant réaliser la sûreté en cas de défaillance du débiteur (8) ; cela viderait la sûreté de sa substance et de l'intérêt qu'elle présente pour son bénéficiaire.

En conséquence, il faut en conclure que (et c'est, au fond, logique) des instruments financiers et plus généralement des biens indisponibles ne peuvent être affectés en garantie. Dans le cas contraire, la sûreté réelle perdrait tout intérêt pour son bénéficiaire.

2 - Une impossibilité de façade

A l'évidence, l'impossibilité ainsi décrite n'a rien d'absolu (ou, plutôt, elle ne tient qu'un laps de temps) : en effet, il est un des principes cardinaux du droit français qui veut que les engagements perpétuels n'ont pas cours ici bas (9).
Cela implique que la volonté des parties est impuissante à empêcher définitivement l'affectation en garantie d'un bien dans la mesure où elle ne saurait rendre celui-ci indéfiniment indisponible (10).

Dans l'espèce qui nous intéresse ici, l'inaliénabilité conventionnelle conclue entre le salarié et la société ne posait pas de difficulté eu égard au principe de prohibition des engagements perpétuels : elle n'était destinée qu'à durer cinq ans. Aussi, il était loisible au salarié de constituer une sûreté sur le compte ; c'est la solution dégagée et exprimée clairement par la Chambre commerciale lorsqu'elle énonce que "l'indisponibilité d'une valeur mobilière, quand elle est simplement temporaire, ne fait pas obstacle à son affectation en nantissement". Cela étant dit, remarquons que la formule sibylline de la Cour de cassation invite à un bref exercice de rapprochement de dates.

B - Le nécessaire rapprochement de dates

1 - Les deux hypothèses de base

Le premier cas élémentaire que l'on peut se figurer est celui dans lequel une créance est assortie d'un terme plus lointain que l'ultime date d'indisponibilité du bien remis en garantie pour sûreté du paiement par le débiteur de cette créance.
Manifestement, en telle hypothèse, la sûreté est valablement constituée. Le créancier étant astreint au respect du terme de sa créance avant de réaliser sa sûreté, il est acquis dans ce cas que le bien remis en garantie lui sera disponible en temps et en heure si d'ordinaire il devait se prévaloir de sa préférence. Cette configuration était celle des faits de l'arrêt commenté, et c'est pourquoi la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé devant elle par le salarié (11).

Inversement, il est également possible d'envisager la situation inverse : celle où le bien objet de la sûreté est frappé d'une indisponibilité dépassant le terme conventionnel de la créance principale. Une interprétation a contrario de l'attendu de l'arrêt rendu le 30 septembre 2008 tend à faire penser que cette circonstance ferait d'une telle sûreté réelle une sûreté non-valable.

2 - Les questions liées à la variation du terme

En s'en tenant très strictement à cette question de rapprochement des dates d'échéance, l'arrêt de la Cour de cassation manque à renseigner sur l'éventualité d'une créance garantie dont le terme viendrait à varier dans le temps.
Tout d'abord, considérons une créance assortie d'un terme et garantie par une sûreté réelle portant sur un bien indisponible pour une durée moins longue que l'échéance de la créance. A s'en tenir à la position de la Cour de cassation, la sûreté serait valable. Quid du cas où, pour une raison donnée (par exemple, la mise en jeu d'une clause contractuelle), la créance viendrait à être déchue de son terme et se retrouverait exigible avant la fin de la période d'indisponibilité du bien remis en sûreté ? Faut-il alors considérer que la sûreté n'est pas valable ? Il est difficile de s'en convaincre. Sans hésitation, elle perdrait, quoiqu'il en soit, une grande partie de son intérêt pour son bénéficiaire.
Il est possible, ensuite, d'imaginer le cas inverse ; celui où un débiteur se trouverait bénéficier d'un délai de grâce faisant que le terme nouveau de sa dette se trouve plus lointain que la fin de l'indisponibilité du bien remis en garanti. Faudrait-il alors valider la sûreté rétroactivement ? Rien n'est moins sûr. Dans les faits de l'espèce, il semble que le salarié avait bénéficié d'une extension du terme de sa dette, ce qui souligne que le scénario ici envisagé n'a rien d'un cas d'école.

D'ailleurs, il est possible de tenir un raisonnement similaire s'agissant de la durée de la période d'indisponibilité dont il n'est pas exclu qu'elle puisse varier. L'attendu de la Cour de cassation ne permet pas de se forger une véritable opinion sur le moment auquel il convient d'opérer le rapprochement des dates d'échéance pour juger de la validité de la sûreté. Par prudence, il conviendrait d'apprécier la chose à la date de constitution de la sûreté (12).

Une jurisprudence optimiste : à ce stade, c'est ce qu'on serait tenté de dire à l'égard de l'arrêt rendu le 30 septembre 2008 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Toutefois, s'en tenir à cette première appréciation reviendrait à ne pas prendre en considération l'appel implicite à la prudence que la Haute juridiction adresse aux bénéficiaires de sûretés réelles, et plus encore lorsque ladite sûreté est un nantissement de compte d'instruments financiers.

II - L'invitation à la prudence des créanciers bénéficiaires de sûretés réelles

Inutile de jouer les Cassandre : en ne condamnant pas systématiquement les sûretés réelles dont l'assiette est constituée par un bien indisponible (au moins pour un temps), la Cour de cassation conforte la situation des créanciers titulaires de telles sûretés, et partant le crédit. Conforter encore un peu plus cette situation implique certainement de prendre quelques précautions élémentaires dont certaines sont propres au nantissement de compte d'instruments financiers (A) quand d'autres sont susceptibles de concerner plus généralement les sûretés réelles (B).

A - La faveur donnée à l'unicité des comptes d'instruments financiers ?

1 - L'objet du nantissement de compte d'instruments financiers

La loi du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières (loi n° 96-597 N° Lexbase : L5893A4Z) a introduit en droit français la notion d'instrument financier (13). Il s'agit d'une constellation de "titres" immatériels mais identifiés par une inscription en compte (14). Ces "biens financiers" (15) font l'objet de dispositions spécifiques du Code monétaire et financier sur le point de leur affectation à titre de sûreté réelle : celle-ci prend la forme d'un "gage de compte d'instruments financiers" (16). Le droit applicable à cette sûreté a été grandement réformé par l'ordonnance du 24 février 2005 (17) qui, au surplus, a tranché la question, autrefois débattue, de l'objet de la sûreté : l'article L. 431-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2760G94) précise, désormais, in fine, que "les instruments financiers et les sommes en toute monnaie postérieurement inscrits au crédit du compte gagé, en garantie de la créance initiale du créancier gagiste, sont soumis aux mêmes conditions que ceux y figurant initialement et sont considérés comme ayant été remis à la date de déclaration de gage initiale". Il est raisonnable d'y voir un parti pris pour la thèse selon laquelle c'est le compte d'instruments financiers qui est nanti et non les instruments financiers qui y figurent (18).

Aussi, devons-nous en conclure que, dans l'arrêt qui nous intéresse, c'était le compte qui était nanti et non les actions (19).

2 - Les conséquences sur la validité de la sûreté

A la lumière de ce qui vient d'être exposé, il n'est pas inopportun de distinguer deux situations au sujet des questions de dates dont nous débattons ici :

- la première est celle dans laquelle l'indisponibilité porte sur le compte lui-même. Sans hésitation, c'est le cas le plus simple. Pour trancher la question de la validité de la sûreté constituée sur un tel bien indisponible, il suffira certainement de se contenter d'opérer le rapprochement de dates décrit plus avant ;
- la seconde correspond au cas où ce sont les instruments financiers qui sont soumis à une indisponibilité conventionnelle. A l'évidence, si la clause d'indisponibilité porte de manière uniforme sur l'ensemble des instruments financiers inscrits au crédit du compte, on pourra sans doute raisonner comme dans le scénario où le compte lui-même est indisponible. En revanche, si l'indisponibilité s'applique différemment en fonction des différents types et classes d'instruments financiers figurant sur le compte (20), la question est sans doute moins évidente. En telle hypothèse, faudra-t-il raisonner universellement et retenir la plus lointaine date d'indisponibilité ? Ou conviendra-t-il de considérer l'éventualité d'une invalidité partielle de la sûreté (portant donc sur les seuls instruments financiers soumis à une indisponibilité arrivant à échéance avant le terme de la créance principale) ? Rien n'est moins sûr, même si les observations rapportées plus haut sur la nature d'universalité de fait du compte d'instruments financiers semble donner la faveur à la première solution.

Dans les faits de l'arrêt du 30 septembre 2008, tout porte à croire que le compte ne comportait que les seules actions résultant du plan de stock-options, simplifiant amplement les termes du débat. D'ailleurs, c'est sans doute la solution à retenir en pratique (21) : favoriser l'unicité des comptes d'instruments financiers en n'inscrivant à leur crédit qu'un seul type et qu'une seule classe d'instruments financiers. Cela a le mérite de la simplicité et de la sécurité, même si la manoeuvre impose en contrepartie de multiplier les sûretés (pour appréhender chacun des comptes).

B - Les techniques propres à s'assurer de la disponibilité des biens remis en sûreté

1 - Les déclarations et engagements du débiteur

A défaut d'un système de publicité foncière permettant de révéler au public si certains biens susceptibles d'être gagés ou nantis sont soumis à une indisponibilité conventionnelle, il est contractuellement envisageable pour le créancier bénéficiaire de la sûreté de limiter le risque qu'il prend en la matière.
En premier lieu, dans la convention de sûreté, le créancier peut obtenir du constituant ci une déclaration selon laquelle ce dernier n'a pas convenu avec un tiers de l'indisponibilité temporaire (22) du ou des biens objets de la sûreté. Si cette déclaration s'avérait erronée, le créancier trouverait (notamment) un terrain aisé pour engager la responsabilité contractuelle du constituant.
En second lieu, le créancier peut ménager ses intérêts en se faisant consentir dans le contrat de garantie une obligation de ne pas faire du constituant par laquelle ce dernier s'engage à ne pas convenir de l'indisponibilité des actifs tenant lieu d'assiette à la sûreté au profit d'un tiers. Une fois encore, le créancier y trouverait a minima une source de responsabilité contractuelle de son co-contractant (23).

Dans les faits de l'arrêt du 30 septembre 2008, il se trouve que le teneur du compte était également le bénéficiaire du nantissement et de la clause d'indisponibilité : dans ces conditions, parfaitement informée, la société aurait sans doute éprouvé quelques difficultés à rechercher la responsabilité du salarié pour lui avoir consenti une sûreté sur un bien indisponible.

2 - La renonciation à l'indisponibilité

Alternative aux solutions précédentes : le créancier peut se rapprocher du tiers bénéficiant de l'indisponibilité pour négocier avec ce dernier une renonciation à son droit. Il aurait d'ailleurs tout intérêt à procéder de la sorte avant la constitution de la sûreté.

Ce n'est sans doute pas la solution la plus aisée à mettre en oeuvre, mais il serait dommage de l'exclure d'emblée. En pratique, elle est fréquemment mise en oeuvre dans les financements structurés concernant des entités ayant préalablement bénéficié d'un large financement bancaire (24). La renonciation ne se présumant pas, il sera nécessaire de faire conclure une convention écrite sur ce point au débiteur et au tiers bénéficiaire.

En ces temps de marasme financier, le nantissement de compte d'instruments financiers n'est sans doute pas la sûreté la plus attractive pour les créanciers, dans la mesure où la valeur de l'actif remis en garantie est souvent directement corrélée à la performance des indices boursiers (25). Nonobstant ce poncif, il ne fait guère de doute qu'il s'agit d'une sûreté particulièrement utile dans bon nombre d'occasions (26). Avec l'arrêt du 30 septembre 2008, la Cour de cassation, outre l'occasion de rappeler les termes d'une jurisprdence fort ancienne (27) applicable à l'ensemble des sûretés réelles, accroît l'intérêt du nantissement de compte d'instruments financiers. Un célèbre avocat aurait sans doute dit à ce propos qu'il s'agit d'une grande vérité et donc d'une vérité ordinairement simple (28) ; en matière de droit financier, son aphorisme est d'une actualité rageante.


(1) Le plus souvent devant la Chambre sociale, ainsi : Cass. soc., 5 décembre 2007, n° 06-43.352, Société Services techniques Schlumberger, F-D (N° Lexbase : A0448D3Y), RTDCom, n° 136 et s., obs. P. Le Cannu et B. Dondero ; Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-47.533, Société GO Sport c/ M. Jean-Noël Navarro, F-D (N° Lexbase : A2979DHS), JCP éd. E, 2005, p. 904 et s., note S. Grandvuillemin ; Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-40.027, M. Bruno Holley c/ Société Ethicon, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4508DDC), JCP éd. E, 2005, p. 125 et s., obs. J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker, G. Auzero, Stocks-options et licenciement sans cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 137 du 7 octobre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3011AB7).
(2) I. Beyneix, Contribution à l'étude de la notion d'indisponibilité en droit patrimonial, sous la direction de Ph. Delebecque, Thèse de doctorat, Université Paris 1, 2004.
(3) Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution, art. 1 à 15 et 67 à 76 (N° Lexbase : L9124AGZ).
(4) Cf. par exemple Cass., civ. 2, 29 mars 1995, n° 93-18.769, Epoux d'Orléans c/ Consorts d'Orléans et autres (N° Lexbase : A7978AB4), D., 1995, somm., 330, obs. M. Grimaldi.
(5) R. Marty, De l'indisponibilité conventionnelle des biens, Les Petites Affiches, 21 et 22 novembre 2000.
(6) Pour les actions, cf. V. Magnier, Le nantissement d'actions indisponibles, RTDCom., 2002, 433.
(7) Pour reprendre les termes de l'article 2285 du Code civil (N° Lexbase : L1113HI3).
(8) Les conditions de réalisation d'un nantissement de compte d'instruments financiers sont énumérées à l'article L. 431-4 V du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2760G94).
(9) Sur ce principe dérivé de l'article 1780 du Code civil (N° Lexbase : L1031ABS) : J. Ghestin, Existe-t-il en droit français un principe de prohibition des engagements perpétuels ?, Mélanges en l'honneur de Denis Tallon, Société de Législation Comparée, 1999, p. 251 et F. Rizzio, Regards sur la prohibition des engagements perpétuels, Droit et patrimoine, janvier 2000, p. 60.
(10) Sur l'inaliénabilité, cf. C. civ., art. 900-1 (N° Lexbase : L0041HP9) : "Les clauses d'inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires".
(11) L'arrêt précise que l'incessibilité conventionnelle courait jusqu'au 20 avril 2004. Rien n'est dit sur l'échéance de l'ouverture de crédit pour sûreté de laquelle le nantissement de compte d'instruments financiers avait été constitué. Toutefois, il est facile de déduire de la solution de l'arrêt et du fait selon lequel le crédit avait été renégocié afin d'échelonner son remboursement dans le temps que l'échéance de l'ouverture de crédit était postérieure au 20 avril 2004.
(12) Si l'on estime que la sanction attachée est la nullité, ce sur quoi il n'est pas possible d'avoir une certitude à la lecture de l'arrêt.
(13) C. mon. fin., art. L. 211-1 (N° Lexbase : L7116IAS). Les instruments financiers font actuellement l'objet d'une consultation de place en vue de leur prochaine réforme.
(14) Ce dont certains auteurs ont déduit que ces biens étaient corporels : D.-R. Martin, De la nature corporelle des valeurs mobilières (et autres droits scripturaux), D., 1996, chr. 47.
(15) Pour paraphraser Jeantin, in Dialogues avec Michel Jeantin - Prospectives du droit économique, Dalloz, 1999, p. 1.
(16) C. mon. fin, art. L. 431-4 et s.. On utilise ici (une fois seulement) l'expression telle qu'elle figure encore dans le Code monétaire et financier malgré les dispositions de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, relative aux sûretés (N° Lexbase : L8127HHH) : "Dans toutes les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, la référence au gage et au créancier gagiste s'entend de la référence au nantissement et au créancier nanti lorsque la sûreté a pour objet un bien meuble incorporel. Réciproquement, la référence au nantissement et au créancier nanti s'entend de la référence au gage et au créancier gagiste lorsque la sûreté a pour objet un bien meuble corporel".
(17) Ordonnance n° 2005-171 du 24 février 2005, simplifiant les procédures de constitution et de réalisation des contrats de garantie financière (N° Lexbase : L0259G84), à propos de laquelle on peut se référer à D. Robine, La réforme du gage de compte d'instruments financiers par l'ordonnance n° 2005-171 du 24 février 2005, Bull. Joly Bourse, 2005, p. 400.
(18) L. Aynes et P. Crocq, Les Sûretés - La Publicité Foncière, Defrénois, 2006, 2ème éd., n° 537, p. 243.
(19) C'est le cas dans la mesure où, même si la sûreté avait été constituée sous l'empire de la loi ancienne, l'article 1er in fine de l'ordonnance du 24 février 2005 précise que les dispositions en la matière ont un caractère rétroactif.
(20) Imaginons ainsi, entre autres possibilités, que sur le compte d'instruments financiers C figurent des actions de catégorie A1 indisponibles pendant cinq ans et des obligations de catégorie O1 non soumises à une quelconque clause d'inaliénabilité.
(21) D'ailleurs, elle est souvent retenue dans les contrats de nantissement de compte d'instruments financiers.
(22) Au moins jusqu'à l'échéance de la créance principale.
(23) Puisque l'on sait que les obligations de ne pas faire ne doivent pas se résoudre autrement qu'en dommages et intérêt (C. civ., art. 1142 N° Lexbase : L1242ABM), même si la jurisprudence a, parfois, été audacieuse en la matière (Chbre mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376, Daurice Pater, épouse Pere c/ M. Jean Solari, P+B+R+I N° Lexbase : A7227DPD, à propos duquel nota., D., 2006, p. 1861, note P.-Y. Gautier et note D. Mainguy, JCP éd. G, 2006, II, 10142, note L. Leveneur).
(24) C'est notamment le cas dans les opérations dites Securitisation Buy-Out qui consistent en la titrisation des créances commerciales d'un groupe de sociétés ayant préalablement fait l'objet d'un LBO.
(25) C'est tout particulièrement le cas lorsque les instruments financiers inscrits sur le compte sont cotés.
(26) Notamment parce que, lorsqu'elle porte sur des titres de capital, elle laisse envisager un contrôle potentiel de la société émettrice.
(27) CA, Paris, 26 janvier 1894, DP, 1894, 2, 215.
(28) Malesherbes, "Les grandes vérités sont ordinairement simples".

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Contrat de travail

[Jurisprudence] Rupture du CDD : les parties ne peuvent aménager les causes de rupture anticipée

Réf. : Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-40.066, Société Interhône Alpes, FS-P+B (N° Lexbase : A1708EBU)

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N7525BH8

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010


Le cadre rigide défini par le Code du travail dans lequel peut s'exercer le droit de rompre avant terme le contrat de travail à durée déterminée incite certains employeurs à faire preuve d'imagination et à utiliser la technique contractuelle pour se ménager des causes supplémentaires de rupture anticipée. La Chambre sociale de la Cour de cassation "veille au grain" et s'oppose, comme elle le démontre dans un arrêt rendu le 29 octobre 2008, à toute disposition qui viendrait déroger aux dispositions du Code du travail (I), ce dont on ne pourra que se réjouir (II).
Résumé

Les parties ne peuvent stipuler que le contrat de travail à durée déterminée prendra fin lors de la réalisation d'un événement, considéré par elles comme constitutif d'un cas de force majeure.

Commentaire

I - Le caractère limitatif des causes de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée

  • Les dispositions légales applicables

L'article L. 1243-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1457H9T) définit de manière limitative la liste des causes licites de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée : il s'agit de l'accord des parties, de la faute grave, de la force majeure et de la démission du salarié, par ailleurs titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée.

  • L'affirmation du caractère limitatif de ces causes de rupture

La jurisprudence a fait de ces dispositions une interprétation très stricte puisqu'elle exclut tout autre mode de rupture qui ne serait pas prévu par la loi et s'oppose, ainsi, à la résiliation judiciaire (1), à tout le moins lorsqu'elle est sollicitée par l'employeur (2). Le caractère limitatif de ces causes de rupture est d'ordre public (3) et les parties ne sont pas autorisées à ajouter d'autres causes, qu'il s'agisse d'autoriser l'employeur à résilier le contrat avant terme (4) ou, de la même manière, les accords et conventions collectives ne sauraient ajouter de causes supplémentaires (5).

  • La conception stricte de la force majeure

Cette sévérité, qui se transcrit par le refus d'admettre d'autres causes, se traduit, également, dans l'appréciation de la force majeure qui n'est, aujourd'hui, presque jamais admise. Ont, ainsi, écarté la suppression de l'emploi occupé par le salarié par suite de difficultés économiques (6), l'inaptitude médicalement constatée du salarié (7), le décès d'un acteur dans le tournage d'un film dont il était l'une des vedettes principales (8), la fermeture administrative de l'entreprise (9), lorsque l'objet pour lequel le salarié a été recruté, à savoir le remplacement d'un salarié absent, s'est réalisé avant l'échéance du terme par le retour anticipé à son poste du salarié remplacé (10) ou, encore, lorsque la cause pour laquelle le salarié a été recruté a disparu (11).

Les cas où la force majeure a été admise sont rarissimes. Dernièrement, il a, toutefois, été jugé comme constitutif d'un cas de force majeure "le mouvement des intermittents du spectacle [...] déclenché à La Rochelle pour contester un projet de réforme gouvernemental dont la maîtrise échappait à la société Francofolies qui n'avait aucune possibilité de satisfaire leurs revendications, [car] les manifestants qui étaient des intermittents extérieurs au festival, avaient bloqué l'accès du site où devaient se dérouler les spectacles et empêchaient les salariés recrutés par contrats à durée déterminée d'accéder à leurs postes de travail pour effectuer les tâches pour lesquelles ils étaient engagés" (12).

C'est dans ce contexte extrêmement défavorable aux employeurs que s'inscrit ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 29 octobre 2008.

II - La confirmation de la volonté de la Cour de cassation de protéger le salarié

  • L'affaire

Dans cette affaire, un contrat de travail à durée déterminée conclu pour une durée de onze mois avait assorti le contrat d'un terme extinctif particulier, les parties convenant à l'avance qu'un second échec de la salariée à un examen d'aptitude à la conduite des poids lourds qu'elle devait passer serait considéré comme un cas de force majeure entraînant la rupture anticipée du contrat, alors réputée intervenue d'un commun accord, sous réserve d'une notification adressée par l'employeur à la salariée en question. C'est cette clause qui avait été mise en oeuvre par l'employeur, ce que contestait la salariée.

La cour d'appel de Lyon lui avait donné raison, après avoir refusé de considérer l'échec à l'épreuve comme constitutif d'un cas de force majeure et lui avait attribué des indemnités pour rupture anticipée illicite du contrat ; l'employeur avait formé un pourvoi en cassation.

Celui-ci prétendait, notamment, "que la disparition de l'objet ou de la cause d'un contrat entraîne sa caducité et prive nécessairement par un effet juridique mécanique l'accord de tout effet pour l'avenir, sans qu'il soit exigé que cette disparition revête les caractères de la force majeure".

L'argument n'a pas convaincu la Cour de cassation qui rejette le pourvoi, après avoir affirmé que, "selon l'article L. 122-3-8, alinéa 1 (N° Lexbase : L5457AC4), devenu L. 1243-1 du Code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de force majeure" et que la cour d'appel, en relevant que "les conditions de la force majeure n'étaient pas réunies, a légalement justifié sa décision".

Cette solution est doublement justifiée.

  • La nécessité de respecter l'équilibre du régime du contrat de travail à durée déterminée

En premier lieu, la Chambre sociale de la Cour de cassation a parfaitement raison de rappeler le caractère limitatif des causes de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée et l'impossibilité, pour les parties comme pour le juge, d'admettre d'autres causes, même si elles résultent d'un accord des parties.

Le contrat de travail à durée déterminée résulte, en effet, d'un compromis savamment dosé par le législateur : le salarié renonce au principe de l'engagement à durée indéterminée, qui constitue la forme normale du contrat de travail, en échange de quoi l'employeur renonce aux conditions communes de rupture du contrat de travail et, singulièrement, au pouvoir de résilier unilatéralement le contrat de travail pour une cause réelle et sérieuse, au profit d'un régime plus protecteur du salarié, puisque seuls un accord amiable, une faute grave ou un événement de force majeure seront susceptibles de justifier une rupture avant terme du contrat.

C'est pour cette raison que la Cour de cassation avait fermé à l'employeur la voie de la résiliation judiciaire du contrat de travail, hormis l'hypothèse très marginale de l'impossibilité de reclasser le salarié inapte à reprendre son emploi après un accident du travail ou une maladie professionnelle (13) et que la Cour condamne les clauses de résiliation unilatérale.

  • Le caractère astucieux de l'argument tiré de la caducité du contrat

Reste que cette affirmation du caractère limitatif des causes de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée ne présente pas de caractère absolu. Faut-il le rappeler, la résiliation judiciaire du contrat de travail à durée déterminée peut toujours être demandée par le salarié, le juge ne pouvant, toutefois, l'admettre que si l'employeur a commis une faute grave qui justifie cette rupture avant terme (14). Par ailleurs, et jusqu'à preuve du contraire, les parties disposent toujours du pouvoir de demander l'annulation du contrat de travail à durée déterminée en invoquant, notamment, un vice du consentement ou la contrariété du contrat avec l'ordre public.

Dans ces conditions, l'invocation, par l'employeur, de la caducité pouvait sembler recevable, à tout le moins, astucieuse.

Pourtant, et en dépit du caractère finalement assez relatif de l'affirmation du caractère exclusif des modes de rupture légaux du contrat de travail à durée déterminée, cette prétention ne pouvait prospérer.

La véritable raison de la mise à l'écart des modes de rupture issus du droit commun des obligations, lorsqu'ils sont invoqués par l'employeur, se justifie par la volonté d'éviter le contournement des dispositions du Code du travail par l'application des règles issues du Code civil. Il s'agit, en quelque sorte, d'éviter une fraude à la loi. Même si cette théorie n'apparaît en tant que telle dans les justifications avancées par la Cour de cassation (ne serait-ce que parce qu'elle imposerait d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur, en pratique difficile à rapporter), elle ressort nettement de la jurisprudence, singulièrement de l'arrêt intervenu en 2001, qui avait mis un terme à la carrière de la résiliation judiciaire du contrat de travail demandée par l'employeur (15). Cette volonté d'éviter le contournement des règles d'ordre public protectrices des intérêts des salariés explique, alors, pourquoi ces derniers peuvent continuer d'invoquer contre l'employeur des règles que ce dernier ne peut invoquer : le salarié qui démissionne doit, seulement, à son employeur un préavis et, encore, sous conditions, mais aucune indemnité ; en demandant la résiliation judiciaire, le salarié sera, certes, dispensé du préavis, si les juges résilient le contrat, mais la durée de la procédure remplacera avantageusement la durée très faible du préavis de démission et le contrôle exercé par le juge sur le bienfondé de la demande évitera toute rupture abusive par le salarié et ne privera l'employeur d'aucune garantie, ne serait-ce que par le salarié ne lui devait aucune indemnité de rupture.

  • Le rejet d'une "pré qualification" contractuelle des causes légales de rupture

Si la jurisprudence interdit aux parties d'ajouter d'autres causes de rupture, s'oppose-t-elle à la possibilité d'opérer, dans le contrat de travail lui-même, une sorte de "pré qualification" des événements au regard des causes légales de rupture, et de prévoir, comme c'était le cas dans cette affaire, que tel événement sera constitutif de force majeure ou sera, dès la signature du contrat, accepté comme cause de rupture amiable du contrat ? Telle était la question que soulevait le pourvoi dans cette affaire et à laquelle la Cour de cassation a répondu négativement, à juste titre, ici, encore. Il est, en effet, parfaitement justifié de considérer que les parties au contrat de travail ne peuvent "pré qualifier" un événement de cas de force majeure et imposer au juge cette qualification.

Le salarié ne saurait, tout d'abord, renoncer, par une clause de son contrat, au droit de se prévaloir des garanties légales et, singulièrement, de celle de refuser, le moment venu, la rupture amiable de son contrat de travail (16). Or, en "pré qualifiant" de rupture négociée la rupture, décidée par l'employeur, en raison de la non-obtention d'un diplôme ou d'un examen, le contrat comportait pareille renonciation et cette clause devait être logiquement annulée.

Par ailleurs, c'est le juge qui est maître de la qualification, et non les parties (17). Ces dernières ne peuvent donc imposer leur volonté dans la qualification de la force majeure ou de rupture négociée ; ce qui vaut, dans le cadre du contrat individuel, vaut, d'ailleurs, également, pour l'employeur, lorsqu'il arrête le règlement intérieur de l'entreprise (18) ou pour les partenaires sociaux qui pourraient être tentés d'imposer au juge certaines causes de rupture du contrat de travail, voire certaines sanctions, comme la réintégration. Dans ces conditions, les juges du fond avaient eu parfaitement raison de ne pas se sentir liés par les termes du contrat et d'exercer leur pouvoir (souverain) d'appréciation des critères de la force majeure. Or, dans cette affaire, le moins que l'on puisse dire était que l'échec de la salariée à son examen n'était pas imprévisible... puisqu'il avait précisément été prévu par les parties !


(1) Cass. soc., 15 juin 1999, n° 98-44.295, Société Tartatou c/ Mlle Gaucher (N° Lexbase : A4814AGE), D., 1999, jur., p. 623, note Ch. Radé ; Dr. soc., 1999, p. 836, obs. C. Roy-Loustaunau.
(2) Admission lorsqu'elle émane du salarié : Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 01-40.489, Association SAOS Toulouse Football club "TFC" c/ M. Eric Garcin, F-P (N° Lexbase : A7762DAQ), Dr. soc., 2004, p. 306, obs. Ch. Radé ; D., 2004, jur., p. 1473, note J. Mouly.
(3) Cass. soc., 5 juillet 1995, n° 92-40.095, Société anonyme Football Club Gueugnonnais c/ M. Jean-Yves Chay (N° Lexbase : A2428AGZ).
(4) Cass. soc., 5 juillet 1995, n° 92-40.095, préc. (entraîneur sportif) ; Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 95-45.341, Association Cercle Saint-Pierre c/ M. Ghewy (N° Lexbase : A4522AGL) ; Cass. soc., 26 octobre 1999, n° 98-41.465, AGS et autres c/ M. Zivko Brajovic et autres (N° Lexbase : A5566AW3) (idem) ; Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 98-40.447, M. Jean-Paul Rabier c/ Association Le Football club de Rouen et autres (N° Lexbase : A9385ATR) (idem).
(5) A propos de la charte des footballeurs professionnels, simple convention collective sujette au respect du Code du travail : Cass. soc., 6 mai 1998, n° 96-40.867, M. Parsy et autres c/ M. Villa, ès qualités de mandataire-liquidateurde l'association FC (N° Lexbase : A2876ACI), Dr. soc., 1998, p. 835, obs. J.-P. Karaquillo.
(6) Cass. soc., 28 avril 1986, n° 84-40.538, Monsieur Durand c/ Monsieur Bernard (N° Lexbase : A4880AAY), D., 1987, jur., p. 475, note J.-P. Karaquillo ; Cass. soc., 26 mars 2002, n° 00-40.898, Mme Monique Bardonneau c/ Société FMC Europe, FS-P (N° Lexbase : A3858AYK), Rugard, Dr. soc., 2002, p. 889, obs. C. Roy-Loustaunau.
(7) Cass. soc., 23 mars 1999, n° 96-40181, Société Olympique de Lyon et du Rhône et autre c/ M. Bare, publié (N° Lexbase : A6791CID), D., 1999, inf. rap., p. 115 ; Cass. soc., 12 juillet 1999, n° 97-41.131, M. Bonard c/ Société Transports Gelin (N° Lexbase : A4760AGE), JCP éd. G, 2000, II, 10273, note G. Lachaise ; Cass. soc., 18 novembre 2003, n° 01-44.280, Société Chambedis c/ Mme Carole Planchard, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1843DAI) : "l'inaptitude physique du salarié ne constitue pas un cas de force majeure" et nos obs., Rupture anticipée du CDD et inaptitude définitive du salarié : l'employeur condamné à payer une indemnité inexistant, Lexbase Hebdo n° 96 du 26 novembre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9554AA4).
(8) Cass. soc., 12 février 2003, n° 99-42.985, CGEA Ile-de-France c/ M. Yannick Pavec, FP-P+B (N° Lexbase : A0187A73) et nos obs., La nouvelle définition de la force majeure en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 59 du 19 février 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6084AAL).
(9) Cass. soc., 28 juin 2005, n° 03-43.192, M. Salem Mokadem c/ M. Mokadem Ahmed Ben Belgacem, F-D (N° Lexbase : A8521DIG).
(10) Cass. soc., 8 novembre 1995, n° 92-40.399, Clinique de Briançon et autres c/ Mlle Monier et autre (N° Lexbase : A1055ABP).
(11) Cass. soc., 12 mars 1997, n° 94-45.003, Société R Films, société à responsabilité limitée c/ M. Bernard Seitz et autres, inédit (N° Lexbase : A8988CRC). Le demandeur avait prétendu, en vain, que "la disparition de la cause d'un contrat à exécution successive au cours de son exécution entraîne sa caducité sans qu'aucune indemnité ne soit due".
(12) Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-47.014, M. Eric Diaz, F-D (N° Lexbase : A2004DSZ).
(13) C. trav., art. L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR).
(14) Préc. note 2.
(15) Cass. soc., 13 mars 2001, n° 98-46.411, M. Mulin c/ Société MFI Créations (N° Lexbase : A0103ATY), Dr. soc., 2001, p. 624, et la chron. : "l'employeur, qui dispose du droit de résilier unilatéralement un contrat de travail à durée indéterminée par la voie du licenciement en respectant les garanties légales, n'est pas recevable, hors les cas où la loi en dispose autrement, à demander la résiliation judiciaire dudit contrat".
(16) Sur la renonciation du salarié, voir notre étude, L'ordre public social et la renonciation du salarié, Dr. soc., 2002, p. 931-938.
(17) Code de procédure civile, art. 12 (N° Lexbase : L1127H4I).
(18) Cass. soc., 2 mai 2000, n° 97-44.091, M. Quennehen c/ Société Ipedex (N° Lexbase : A9264ATB), Dr. soc., 2000, p. 787, obs. F. Favennec-Héry ; JCP éd. G, 2000, II, 10388, note D. Corrignan-Carsin.


Décision

Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-40.066, Société Interhône Alpes, FS-P+B (N° Lexbase : A1708EBU)

Rejet, CA Lyon, ch. soc., 9 novembre 2006, n° 05/07850, Société Interhône Alpes (N° Lexbase : A6496DZM)

Texte concerné : C. trav., art. L. 1243-1 (N° Lexbase : L1457H9T)

Mots clef : contrat de travail à durée déterminée ; rupture anticipée ; causes légales ; caractère limitatif.

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Urbanisme

[Jurisprudence] L'indemnisation des préjudices liés à la délivrance d'un permis de construire illégal : une jurisprudence favorable au bénéficiaire du permis

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 8 octobre 2008, n° 295343, Société Rand Kar (N° Lexbase : A7085EAN)

Lecture: 16 min

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par Frédéric Dieu, commissaire du Gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille

Le 07 Octobre 2010

Par une décision en date du 8 octobre 2008, le Conseil d'Etat s'est prononcé sur l'étendue du droit à indemnisation du bénéficiaire d'un permis de construire illégal, condamné au civil à la démolition du bâtiment et à la réparation du préjudice résultant de cette construction illégale, celui-ci pouvant légitimement se retourner contre l'administration et lui demander l'indemnisation du préjudice résultant, pour lui, de l'illégalité du permis de construire. Selon le Conseil d'Etat, peuvent être indemnisés les frais engagés pour la construction et l'aménagement du bâtiment autorisé, les frais exposés à l'occasion de l'instance judiciaire engagée par des tiers (sauf ceux relatifs aux astreintes prononcées, le cas échéant, pour pallier une carence dans l'exécution de la décision juridictionnelle), ainsi que les frais afférents à une instance en appréciation de légalité introduite, au cours du procès judiciaire, devant la juridiction administrative. Le Conseil d'Etat a, cependant, estimé que le préjudice résultant du transfert, dans un autre local, de l'activité exercée dans le bâtiment démoli ne pouvait être indemnisé, dans la mesure où il constituait la conséquence directe de l'illégalité de l'autorisation de construire. La décision du 8 octobre 2008 tire, ainsi, la conséquence logique de la responsabilité de l'administration en cas d'édiction d'une décision individuelle d'urbanisme entachée d'illégalité.

I - Toute décision administrative prise en matière d'urbanisme qui est entachée d'illégalité engage la responsabilité de l'autorité qui en est l'auteur

A - Une jurisprudence applicable aussi bien aux décisions de nature réglementaire...

Selon une jurisprudence bien établie, toute décision illégale est en principe fautive, quelle que soit la nature de l'illégalité qui l'entache, c'est-à-dire que cette illégalité soit externe (1), ou interne (2). Ainsi, un acte contraire à une norme juridique supérieure, et pour ce motif entaché d'illégalité, est constitutif d'une faute (CAA Lyon, 28 juillet 2005, n° 99LY02601, Meyer N° Lexbase : A1353DLP, au Recueil, p. 629, AJDA, 2005, p. 2143). Les décisions prises en matière d'urbanisme ne dérogent pas à cette règle générale, que ces décisions soient des décisions réglementaires ou individuelles.

S'agissant des décisions réglementaires, les plans d'occupation des sols (POS) ou les plans d'aménagement de zones (PAZ) qui sont entachés d'illégalité peuvent faire l'objet de demandes indemnitaires dirigées contre l'administration qui les a adoptés, dès lors que les préjudices invoqués sont en lien direct avec l'illégalité en cause. Le cas se produit, notamment, lorsqu'un POS ou un PAZ a été jugé incompatible avec des normes supracommunales, ou bien lorsque des auteurs de POS ont procédé à des classements de terrains de manière manifestement erronée, ou non justifiés par des motifs d'urbanisme. Les préjudices indemnisables sont alors nombreux. Il en est, ainsi, de l'impossibilité de réaliser un lotissement déjà autorisé sur des terrains situés à proximité d'une usine d'ammoniac, et dont le classement en zone constructible du POS, sans que fût prévue la moindre disposition restrictive, relevait d'une erreur manifeste d'appréciation (CAA Lyon, 21 mai 1991, n° 90LY00330, Ministre de l'Equipement, du Logement, des Transports et de la Mer c/ Société d'ingénierie immobilière Sud N° Lexbase : A3469A8Y, aux Tables, p. 1183). Il en va, de même, des dommages provoqués par l'instabilité d'un terrain qui, dans le POS, a été classé en zone constructible, sans indication d'aucun risque déclaré (TA Nice, 5 mai 1994, Société Valente et La Selva, BJDU, juillet 1994, p. 96, conclusions Caldéraro). Sont, enfin, indemnisables les préjudices résultant de l'impossibilité de percevoir une participation du fait de l'élaboration irrégulière d'un POS (3), ainsi que les préjudices résultant de l'acquisition d'un terrain constructible, au vu d'un certificat d'urbanisme positif délivré sur le fondement d'un POS incompatible avec la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (N° Lexbase : L7941AG9), dite "loi littoral" (TA Nice, 6 novembre 1997, Anders, BJDU, 1998, p. 28, conclusions Poujade).

Outre les POS et les PAZ, il faut citer, parmi les décisions d'urbanisme à caractère réglementaire qui sont susceptibles d'engager la responsabilité de leurs auteurs à raison de leur illégalité, les décisions portant création de zones d'aménagement concerté (ZAC). L'illégalité d'une décision de création de ZAC est donc susceptible d'engager la responsabilité de la commune si le requérant justifie avoir signé avec celle-ci une convention d'aménagement, ou si du moins des engagements précis lui ont été donnés en ce sens. Précisons, cependant, que les frais de mise en forme du projet exposés en vain restent à la charge de l'aménageur, car un acte de création de ZAC ne crée aucun droit au profit de la société chargée par convention de son aménagement (TA Nice, 18 avril 1996, Mirailles).

B - ...Qu'aux décisions relatives à la délivrance des permis de construire

Parmi les décisions individuelles illégales susceptibles d'engager la responsabilité de l'administration figurent, d'abord, les décisions de refus ou de retrait (illégales) d'un permis de construire. L'administration engage, ainsi, sa responsabilité lorsqu'elle refuse à tort de délivrer un permis de construire, et cela même s'il se révèle que le pétitionnaire, après l'annulation de ce refus, a renoncé au bénéfice de ce permis, et en a sollicité un autre "en raison de l'évolution des données économiques locales" (4), ou lorsque le refus est fondé sur des dispositions illégales d'un règlement de POS, lesquelles auraient dû être écartées par le service instructeur de la commune (5). De même, le retrait illégal d'un permis de construire ou d'une autorisation de lotir engage la responsabilité de l'administration dans la mesure où il en résulte pour le requérant un dommage actuel, direct et certain (CE, 10 mai 1968, n° 72645, Société coopérative de construction Odomez N° Lexbase : A7225B7Q, aux Tables, p. 1104 ; CE Section, 25 juin 1971, n° 80473, Ministre de l'équipement c/ Bruchet N° Lexbase : A7282B89, au Recueil p. 488 ; CE, 28 juillet 1993, n° 87047, Consorts Roux N° Lexbase : A0509AN8).

Parmi les décisions individuelles illégales susceptibles d'engager la responsabilité de l'administration figurent, en outre, les décisions relatives à des permis de construire illégalement délivrés. L'illégalité d'un permis de construire, laquelle peut être constatée aussi bien à la faveur d'un retrait par l'administration que d'une annulation juridictionnelle, n'ouvre droit à indemnisation que si la faute ainsi révélée a, par elle-même, pour effet de priver définitivement le pétitionnaire de la possibilité de réaliser le projet faisant l'objet de la demande (C. Lorthe, La responsabilité de la puissance publique en matière de permis de construire, Rev. éco. et dr. imm., 1978, n° 77). L'illégalité du permis de construire peut, notamment, résulter de l'application d'une application d'une modification illégale du cahier des charges d'un lotissement (CE, 20 novembre 1987, n° 63100, Bert N° Lexbase : A6020APN, DA, 1987, n° 680), ou de la violation des clauses du cahier des charges d'un lotissement (CE, 12 mars 1990, n° 68932, Ministre de l'Urbanisme, du Logement et des Transports c/ Gallichet N° Lexbase : A6780AQ8). Par ailleurs, l'illégalité du permis de construire peut être la conséquence d'une annulation juridictionnelle du POS qui avait rendu possible le permis (CAA Paris, 27 juin 1995, n° 94PA00381, Soleilhac N° Lexbase : A2347BIR), ou peut résulter de l'exception d'illégalité de ce POS (CAA Lyon, 17 octobre 1991, n° 90LY00332, SOFRACIM). Cette situation est, d'ailleurs, assez proche de celle rencontrée par le Conseil d'Etat dans la décision en date du 8 octobre 2008, puisque le Conseil a été confronté à un permis de construire dont l'illégalité, prononcée par lui-même dans une décision en date du 28 juillet 1999 (CE Contentieux, 28 juillet 1999, n° 202433, Laskar et commune de Frossay N° Lexbase : A3488AXH aux Tables), était la conséquence de l'illégalité de la modification du POS, laquelle avait été prononcée par le tribunal administratif de Nantes le 1er avril 1993.

Il faut, cependant, préciser que, dans le cas de l'annulation d'un permis de construire par suite de l'illégalité du POS, l'indemnité est calculée en tenant compte uniquement des préjudices directement occasionnés par le permis de construire illégal. Ainsi, le bénéficiaire du permis obtient le remboursement des frais d'abattage d'arbres exposés inutilement, car ce préjudice est la conséquence directe du permis illégal. En revanche, les frais financiers exposés jusqu'à la revente du terrain et le manque à gagner correspondant à la privation des bénéfices escomptés de la vente des logements sont la conséquence de l'inconstructibilité du terrain du fait des dispositions du nouveau POS. Ils sont, dès lors, en vertu de l'article L. 160-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7364ACQ), exclus du préjudice indemnisable (CAA Lyon, 17 octobre 1991, n° 90LY00332, SOFRACIM, précité). Enfin, une distinction entre les différents motifs d'illégalité d'un permis de construire peut être utilement établie lorsqu'il s'agit de déterminer la réalité ou le caractère direct du préjudice allégué. Ainsi, un dépassement illégal de coefficient d'occupation des sols ou une implantation irrégulière de la construction ne sont susceptibles d'ouvrir un droit à indemnisation que s'ils ont pour effet de modifier fondamentalement les caractéristiques de la construction, par rapport à celles qui seraient résultées d'une exacte application des règles du POS (CAA Paris, 19 décembre 1994, n° 93PA00675, Epoux Roffi N° Lexbase : A0684BI8 ; TA Paris, 6 mars 1997, n° 94-10451, Verna).

II - Sont indemnisables les préjudices liés à l'édification de la construction et les préjudices liés aux frais de justice engagés dans le cadre des instances ayant constaté l'illégalité du permis et en ayant tiré les conséquences

A - L'indemnisation des préjudices liés aux bâtiments édifiés en application d'un permis de construire illégal ne s'étend pas aux frais exposés pour leur reconstruction

Si, de manière générale, sont inclus dans les préjudices indemnisables les coûts liés aux difficultés financières qu'a connues le pétitionnaire à la suite de ses déboires immobiliers (CE, 24 avril 1977, Dame Veuve Chalot, aux Tables), les frais liés à la construction comprennent, essentiellement, les frais exposés pour édifier les constructions initiales, les frais de démolition et les frais exposés pour le déménagement du matériel entreposé dans les constructions démolies.

En vertu d'une jurisprudence bien établie, le bénéficiaire d'un permis de construire illégal peut, en principe, demander à être indemnisé du préjudice résultant du coût des constructions initiales. En effet, lorsque le bénéficiaire d'une autorisation de construire a dû procéder à la démolition de sa construction en raison de l'illégalité de cette autorisation, le juge administratif estime qu'il doit être indemnisé du préjudice résultant des coûts de construction exposés en vain, et que le montant de ce préjudice est égal au coût initial de la construction (CE, 24 avril 1977, précité ; CE, 8 juillet 1977, n° 00016, Société Civile résidence du Pays d'Oc N° Lexbase : A9199AZQ ; CE, 14 février 2007, n° 284515, M. Wibert N° Lexbase : A2021DUE). Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 8 octobre 2008, le maire de la commune de Frossay (Loire-Atlantique), après avoir modifié le règlement de son POS en 1991, de façon à permettre l'implantation d'un centre de vol en ULM dans une zone naturelle située à proximité du canal de La Martinière, avait délivré à M. X, propriétaire de la société Randkar, un permis de construire aux fins de construction d'un hangar destiné à l'exploitation d'appareils ULM et à des activités d'hébergement de restauration.

Toutefois, en raison de l'annulation de cette modification du POS, ce permis de construire avait été déclaré illégal (mais non annulé) par le tribunal administratif de Nantes, dont le jugement avait été confirmé par le Conseil d'Etat le 28 juillet 1999 (CE Contentieux, 28 juillet 1999, n° 202433, précité). En application d'une décision du juge judiciaire, le requérant a, alors, été contraint de procéder à la démolition de ses installations. Dans la décision du 8 octobre 2008, le Conseil d'Etat confirme le caractère indemnisable du préjudice tenant au coût de la construction initiale, mais précise que ce coût doit être distingué du coût de reconstruction à l'identique des installations en cause. C'est dire que ne peuvent être indemnisées que les dépenses exposées au moment de l'édification de ces installations et que leur montant doit être évalué à ce coût historique, sans pouvoir faire l'objet d'une actualisation.

Par ailleurs, la décision du 8 octobre 2008 a fait droit à la demande d'indemnisation du préjudice résultant pour le bénéficiaire du permis de construire de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé de procéder au déménagement du matériel qui était entreposé dans les constructions dont le juge judiciaire avait ordonné la démolition. Il s'agit là, en fait, d'un préjudice annexe au préjudice résultant du coût de la démolition des bâtiments illégalement construits, démolition en général ordonnée par le juge judiciaire, lequel est indemnisable en vertu d'une jurisprudence bien établie (6). Dès lors que le préjudice principal tenant au coût de démolition est indemnisé, le préjudice accessoire tenant au coût de déménagement du matériel entreposé dans les constructions démolies doit logiquement être indemnisé.

Toutefois, et cela est essentiel, il ne faut pas confondre le préjudice lié au coût de déménagement de ce matériel, qui est donc indemnisé, avec le préjudice lié au coût de déménagement ou de transfert des constructions et de l'activité qui s'y est développée : ce second préjudice ne saurait être indemnisé lorsqu'il est, directement et objectivement, lié à l'interdiction pour le bénéficiaire du permis de construire illégal d'édifier des constructions sur le terrain en cause. C'est pourquoi la décision du 8 octobre 2008 indique que les "préjudices liés aux surcoûts et à la perte d'activité résultant du transfert d'une partie de l'activité de la base ULM sur un autre site n'étaient pas la conséquence directe de l'illégalité du permis de construire [...] mais résultai[en]t de l'impossibilité, eu égard aux règles d'urbanisme alors applicables dans ce secteur, de réaliser les constructions nécessaires au développement de l'activité de cette base".

Autrement dit, les préjudices résultaient non de l'illégalité du permis de construire, mais de l'incompatibilité de l'implantation initiale avec les règles d'urbanisme applicables, à savoir le POS. L'obligation de s'installer sur un nouveau site résultait, ainsi, de l'impossibilité radicale, pour le bénéficiaire du permis de construire illégal, d'installer son entreprise sur le lieu initialement choisi, de sorte que les pertes de recettes liées au caractère moins attractif du nouveau site étaient sans lien avec l'illégalité du permis de construire. En l'espèce, la modification du POS, qui n'avait eu d'autre but que de rendre possible les constructions édifiées par le requérant, avait été annulée le 1er avril 1993 par le tribunal administratif de Nantes. Ce jugement, non frappé d'appel, était revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée : cette annulation, forcément rétroactive, avait donc rendu irrégulière l'implantation par le requérant d'un hangar destiné à accueillir des ULM et d'un bâtiment à usage de restauration et d'hébergement.

Sur ce point, la décision du 8 octobre 2008 aurait gagné à être plus pédagogique. Elle semble, en effet, à première vue, considérer que seule l'illégalité du permis de construire, à la différence de l'illégalité du POS, peut ouvrir droit à indemnisation, alors même, pourtant, que le permis de construire en cause n'a pu être délivré qu'en application du POS modifié illégalement pour la cause. L'on peut, ainsi, raisonnablement penser qu'il y a un lien direct entre l'illégalité du POS modifié, sur le fondement duquel a été délivré le permis de construire illégal, et l'obligation dans laquelle s'est trouvé le requérant d'acquérir un nouveau terrain et d'y transférer ses activités.

Il faut en fait, selon nous, distinguer l'annulation de la modification du POS de l'illégalité de cette modification, après avoir rappelé, qu'en l'espèce, si la modification avait été annulée, il n'en avait pas été de même du permis de construire qui avait simplement été déclaré illégal dans le cadre d'un recours en appréciation de légalité. En effet, l'annulation ayant un effet rétroactif, elle conduit à remettre rétroactivement en vigueur le POS antérieur à la modification, lequel rendait, en l'espèce, impossible l'implantation par le requérant d'un hangar destiné à accueillir des ULM et d'un bâtiment à usage de restauration et d'hébergement. A la date de leur implantation, ces constructions étaient donc irrégulières. Au contraire, l'illégalité de la modification du POS, si elle avait été constatée par voie d'exception dans la décision du 8 octobre 2008, n'aurait pas eu d'effet rétroactif de sorte que le juge aurait été contraint de constater qu'à la date de leur implantation, les constructions avaient été régulièrement édifiées, c'est-à-dire conformément au POS modifié pour la cause.

L'on peut en conclure qu'une décision d'urbanisme, dès lors qu'elle est annulée et disparaît, ainsi, rétroactivement de l'ordonnancement juridique, ne peut donner lieu à indemnisation. Autrement dit, si un permis de construire illégal peut ouvrir droit à indemnisation pour celui qui en a bénéficié, il n'en est pas de même d'un permis de construire annulé. Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 8 octobre 2008, heureusement pour le requérant, le permis de construire était, certes, illégal, mais il existait toujours puisqu'il n'avait pas été annulé. En revanche, la modification du POS, sur le fondement de laquelle avait été délivré ce permis, avait été annulée et n'existait donc plus, de sorte que les constructions en cause n'étaient pas autorisées.

Au total, lorsque des bâtiments ont été irrégulièrement édifiés, le bénéficiaire du permis de construire illégal peut demander l'indemnisation du coût de leur construction initiale et de leur démolition, mais il ne peut, en revanche, demander l'indemnisation du coût représentatif de leur reconstruction sur un autre terrain et du transfert sur cet autre terrain des activités qui s'y étaient développées.

B - L'indemnisation des frais de justice engagés dans le cadre des instances ayant constaté son illégalité et en ayant tiré les conséquences, et l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence

La décision du 8 octobre 2008 est, en outre, remarquable en ce qu'elle adopte une définition large des frais de justice pouvant donner lieu à indemnisation. En l'espèce, ces frais de justice avaient été exposés par les requérants dans les litiges qui les avaient opposés à leurs voisins et à une association de défense de l'environnement, qui avaient finalement obtenu la démolition des constructions qu'ils avaient fait édifier.

Infirmant en cela la cour administrative d'appel de Nantes qui avait estimé que de tels frais ne pouvaient être regardés comme un élément du préjudice réparable, le Conseil d'Etat a considéré que "les frais utilement exposés par le bénéficiaire d'une autorisation individuelle d'urbanisme à l'occasion d'une instance judiciaire engagée par des tiers, et à l'issue de laquelle le juge judiciaire ordonnait, à raison de l'illégalité de cette autorisation, la démolition d'une construction, ainsi que l'indemnisation des préjudices causés aux tiers par celle-ci, étaient susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de l'illégalité fautive de l'autorisation, mais à l'exclusion de ceux relatifs aux astreintes prononcées, le cas échéant, pour pallier une carence dans l'exécution de la décision juridictionnelle".

Le Conseil a considéré qu'il devait en aller de même des "frais afférents à une instance en appréciation de légalité introduite, au cours du procès judiciaire, devant la juridiction administrative, afin qu'il soit statué sur la légalité de l'autorisation". En revanche, et fort logiquement, il a exclu du préjudice indemnisable les frais exposés lors de l'instance en cause qui tendait à la réparation du préjudice subi, puisque de tels frais relèvent du champ d'application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4), c'est-à-dire des frais irrépétibles. Il a, de même et tout aussi logiquement, exclu des préjudices indemnisables ceux relatifs aux astreintes prononcées pour pallier une carence dans l'exécution d'une décision juridictionnelle, puisque ces préjudices résultent de la seule inertie ou du seul retard des bénéficiaires du permis de construire illégal à exécuter une décision de justice qui leur est défavorable (CE, 26 janvier 2007, n° 269337, M. et Mme Morin, précité).

Au total, c'est donc l'ensemble des frais de justice exposés par les bénéficiaires d'un permis de construire illégal qui peuvent être indemnisés, dès lors que ces frais ont été exposés lors des différentes procédures judiciaires qui ont conduit les juges administratif et judiciaire à se prononcer, pour le premier, sur l'illégalité du permis et à en tirer, pour le second, toutes les conséquences, notamment, la démolition des constructions irrégulièrement édifiées. Il aurait, en effet, été injuste de faire peser sur les bénéficiaires d'un permis de construire illégal le coût des procédures diligentées contre eux par des tiers pour faire établir et sanctionner une illégalité dont est seule responsable l'autorité administrative, puisqu'elle se rapporte à un acte administratif unilatéral et non à un acte contractuel qui peut, quant à lui, donner lieu à un partage de responsabilité.

La solution retenue par le Conseil d'Etat peut s'autoriser de deux précédentes décisions. Dans la première, le Conseil d'Etat a considéré que le pétitionnaire malheureux pouvait obtenir l'indemnisation des frais résultant des condamnations qui avaient été prononcées à son encontre du fait de l'illégalité de sa construction, de même que des frais afférents aux actions engagées à leur encontre pour la même raison (CE, 5 octobre 1988, n° 53511, SCI "Les trois roses" N° Lexbase : A7797APH, au Recueil, p. 327). Dans la seconde décision, le Conseil a indemnisé les bénéficiaires d'un permis de construire au titre des dommages et intérêts qu'ils avaient été condamnés à verser à leurs voisins en raison des nuisances subies par ceux-ci, de tels dommages présentant, selon le Conseil, "un lien direct avec la méconnaissance par le permis de construire de la règle d'urbanisme". Pour la même raison, le Conseil d'Etat a indemnisé les requérants au titre des frais d'avoués qu'ils avaient exposés au cours de la même instance judiciaire.

L'on peut donc en conclure que, pour la jurisprudence, l'action contentieuse engagée par des tiers à la délivrance du permis de construire illégal est sans influence sur l'existence d'un lien de causalité entre l'illégalité fautive et les condamnations et sujétions prononcées à l'encontre des bénéficiaires d'un tel permis.

Ajoutons, enfin, que la décision du 8 octobre 2008 a, également, procédé à l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence subis par le requérant à raison de l'illégalité du permis de construire qui lui avait été délivré. Sur ce point, force est de constater que la décision est muette sur la nature de ces troubles parmi lesquels elle semble ranger le préjudice moral, alors que, dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement avait distingué ce préjudice des troubles dans les conditions d'existence. Dans la décision "Veuve Chalot" précitée, le Conseil d'Etat avait, d'ailleurs, procédé à la même distinction, sans toutefois préciser davantage la nature du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence. Il faut donc en conclure que le juge répugne à motiver l'indemnisation de ces préjudices pour laquelle il se reconnaît un important pouvoir d'appréciation.

Si la décision du 8 octobre 2008 reconnaît largement l'indemnisation des préjudices qui sont, pour le bénéficiaire d'un permis de construire illégal, la conséquence directe de cette illégalité, il n'en demeure pas moins que le juge devrait pouvoir opérer une compensation financière entre le montant des préjudices indemnisables et le montant des avantages que son bénéficiaire a retirés de l'octroi du permis de construire illégal. Ce principe de compensation a déjà été admis par le Conseil d'Etat dans la décision "SCI Les trois roses" précitée.

Ainsi, le montant des préjudices indemnisables devrait être diminué à due concurrence des profits réalisés par le bénéficiaire d'un permis de construire illégal pendant la période d'exploitation irrégulière de ses installations. L'on peut donc envisager, et ce fut d'ailleurs le cas dans la décision "SCI Les trois roses", que le montant des bénéfices retirés de l'existence d'une construction irrégulièrement édifiée et de l'activité qui y a été développée soit supérieur au montant des préjudices résultant de l'illégalité du permis de construire, ce qui priverait alors le bénéficiaire du permis de construire illégal de tout droit à indemnisation.


(1) Illégalité tenant à l'incompétence de l'auteur de l'acte : CE, 11 mars 1949, Société des Grands Moulins du Nord, au Recueil, p. 118 ; illégalité tenant à l'irrégularité de la procédure suivie : CE 19 mai 1976, n° 98264, Ministre de la Santé c/ SA du Château de Neuvecelle (N° Lexbase : A3172B8Y), aux Tables, p. 1112.
(2) Illégalité tenant à une erreur d'appréciation : CE Section, n° 84768, 26 janvier 1973, Ville de Paris c/ Driancourt (N° Lexbase : A7586B8H), au Recueil, p. 78, AJDA, 1973 p. 245, note Cabanes et Léger (décision abandonnant la théorie de l'erreur d'appréciation non fautive).
(3) CE, 14 décembre 1988, n° 58467, Société Générale (N° Lexbase : A6794APC), aux Tables, p. 708 ; CAA Paris, 21 janvier 1997, Ministre de l'Equipement, des Transports et du Tourisme c/ Ville de Paris (N° Lexbase : A0995BIP), DA, 1997, n°188, Etudes foncières n° 77, p. 52, chronique Lamorlette, BJDU, 1998, p. 125, conclusions Phémolant.
(4) CE, 12 décembre 1984, n° 41293, Ministre du Commerce et de l'Artisanat c/ Société commerciale millavoise (SOCOMI) (N° Lexbase : A4731ALS), DA, 1985, n° 62.
(5) TA Nice, 13 juin 1996, n° 91-1177, SOVADIF ; CE, 30 septembre 1983, n° 21601, Callé (N° Lexbase : A8738AL9), aux Tables, p. 859 ; CE, 4 mai 1994, n° 136340, Leboissetier (N° Lexbase : A2869B7E) : le permis refusé portait sur la transformation d'un établissement hôtelier en immeuble d'habitation.
(6) CE, 8 juillet 1977, n° 00016, Société Civile résidence du Pays d'Oc, précité ; CE, 26 janvier 2007, n° 269337, M. et Mme Morin (N° Lexbase : A7044DT3) : relevant que "la démolition [ordonnée par le juge judiciaire] est [...] en relation directe avec la violation de la règle d'urbanisme que constitue l'édification illégale de l'atelier".

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