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N8161A97
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
Si l'ensemble des pays européens reconnaît le droit de grève, seule la moitié d'entre eux a recours à des dispositions particulières sur le service minimum. Sept Etats de l'Union européenne prévoient, aujourd'hui, un régime général du service minimum, et trois appliquent, dans ce domaine, des dispositions ponctuelles. Ces régimes recouvrent chacun des particularités, s'expliquant par l'histoire, les traditions et la culture propres à chaque pays. Ils correspondent, pour la plupart, à des Etats du Sud de l'Europe (Italie, Espagne, Portugal, Grèce), mais sont également présents dans deux pays scandinaves, la Suède et la Finlande, et partiellement en Belgique. En outre, le service minimum existe dans la moitié des pays candidats, ainsi que dans des Etats extérieurs à l'Europe. Ensuite, les pays ne comportant pas de réglementation spécifique en la matière ne sont, en général, pas confrontés à des conflits sociaux importants, soit parce que le droit de grève est strictement encadré, soit parce qu'ils bénéficient d'un dialogue social efficace. Enfin, la France fait figure, par comparaison, de cas exceptionnel, ce qui explique le caractère très conflictuel du sujet et pourrait justifier une réforme prochaine. Le préavis de 5 jours, le recours à la théorie de l'abus droit... il n'y pas loin à instaurer, définitivement, en France, un service minimum à valeur légale, permettant de concrétiser, tout comme le droit grève, le droit à un service public continu.... Mais, le projet s'enlise en période électorale. Les éditions juridiques Lexbase vous proposent de revenir, cette semaine, avec Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, sur le préavis de grève dans les services publics : les salariés ne peuvent corriger les erreurs des syndicats.
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Réf. : Loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006, art. 99 (N° Lexbase : L9270HTI)
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N7993A9W
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés
Le 07 Octobre 2010
Jusqu'à l'intervention de cette disposition, l'administration fiscale ne pouvait faire appel qu'à des experts du secteur public pour certaines activités strictement définies dans le cadre d'une procédure de contrôle fiscal (LPF, art. L. 45 A N° Lexbase : L5589G4R) ou d'une procédure contentieuse (LPF, art. L. 198 A N° Lexbase : L8479AER).
Ces articles sont abrogés par l'article 99 de la loi de finances rectificative pour 2006. Il sera, toutefois, rappelé, pour mémoire, le champ d'application et la portée de ces dernières dispositions.
- En premier lieu, l'article L. 45 A du LPF prévoyait, dans son premier alinéa, que l'administration pouvait faire appel à des conseils techniques d'agents de l'Etat ou des établissements publics figurant sur une liste arrêtée par le ministre chargé du Budget, lorsqu'une vérification de comptabilité ou une procédure de rectification requiert des connaissances particulières. La liste, figurant dans un arrêté du 9 janvier 1984 modifié (JO NC, 29 janvier 1984 ; instruction du 22 mai 1984, BOI n° 13 L-2-84), déterminait les agents de l'Etat ou des établissements publics auxquels l'administration fiscale pouvait faire appel pour recueillir des conseils techniques.
Cette procédure se trouvait très encadrée, puisqu'elle nécessitait la prise d'un arrêté ministériel pour inscrire une nouvelle personne sur la liste, ce qui constituait un frein à sa mise en oeuvre. Par ailleurs, elle ne s'appliquait que dans le cadre du contrôle. En outre, le deuxième alinéa de l'article L. 45 A précisait que ce recours à des agents externes n'était applicable qu'aux entreprises, et à leurs sociétés mères et filiales, le cas échéant, dont le chiffre d'affaires total dépassait trois millions d'euros. Cette restriction ne valait, toutefois, pas pour l'appréciation du caractère brevetable d'une invention (CGI, art. 39 terdecies-1 N° Lexbase : L1451HLC).
Les agents de l'Etat et des établissements publics désignés pour cette procédure se trouvaient tenus au secret professionnel dans les termes de l'article L. 103 du LPF précité.
- En second lieu, l'article L. 198 A du LPF étendait cette possibilité, dans les mêmes conditions restrictives, aux instructions d'une réclamation formulée par le contribuable qui requièrent des connaissances techniques particulières.
Ces dispositions portant sur le recours exclusif de l'administration fiscale à "des conseils techniques d'agents de l'Etat ou des établissements publics" sont à rapprocher de celles des articles L. 45 B (N° Lexbase : L5590G4S) et R. 45 B-1 (N° Lexbase : L2041AEC) du LPF portant sur la vérification de la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses pises en compte pour la détermination du crédit impôt recherche (CGI, art. 244 quater B N° Lexbase : L3415HNS) par des agents du ministère chargé de la Recherche, des articles L. 45 D (N° Lexbase : L5591G4T) et R. 45 D-1 du LPF (N° Lexbase : L7757AEZ) portant sur le contrôle de la réalité et le bien-fondé des dépenses de formation exposées par les employeurs au titre de crédit impôt-formation (CGI, art. 244 quater C N° Lexbase : L5076HLL) par les agents commissionnés par l'autorité administrative de l'Etat chargée de la formation professionnelle.
Elles en diffèrent par le fait que les premières visent le recours à une expertise, alors que les secondes visent la participation d'agents de ministères techniques pour des opérations de contrôle dans les domaines spécifiques de la recherche ou de la formation.
Il convient d'observer que, lors de l'examen du texte, figurant à l'origine du projet sous l'article 31 (projet de Loi de finances rectificative pour 2006, art. 31), devant les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, des positions extrêmes ont été soutenues par les parlementaires, les uns souhaitant sa suppression, les autre souhaitant, au contraire, au nom du principe de cohérence et d'efficacité, son élargissement en permettant tant aux parlementaires qu'au contribuable de solliciter à leurs frais une expertise externe.
Ainsi, il est apparu pour certains (M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Vera), à travers la rédaction de ce texte, une remise en cause de la compétence des agents du ministère des Finances qui ne seraient pas en mesure de procéder à l'expertise de la législation et ont, en conséquence, proposé sa suppression par voie d'amendement.
Pour d'autres, en revanche, (MM. Fourgous, Dassault, Giscard d'Estaing et Novelli), l'aspect novateur du texte les a conduit à proposer de compléter, par voie d'amendement, le IV de l'article 164 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 (N° Lexbase : L8064AII) par un alinéa étendant au profit des présidents, des rapporteurs généraux et des rapporteurs spéciaux des commissions en charge des affaires budgétaires les facilités accordées à l'administration fiscale pour recourir, également, à des expertises extérieures.
Ainsi, "Pour l'exercice des missions mentionnées au sixième alinéa ci-dessus, les présidents, les rapporteurs généraux et les rapporteurs spéciaux des commissions en charge des affaires budgétaires peuvent, pour des enquêtes à caractère technique, se faire assister, sous leur autorité et sous leur contrôle, par des agents des assemblées du Parlement ainsi que par tout organisme ou personne indépendante et qualifiée dans le domaine du contrôle et de l'évaluation, figurant sur une liste établie par le bureau de la commission des finances de chaque assemblée".
Enfin, les derniers (M.M. Charles de Courson et Philippe Marini), revenant à des considérations plus fiscales, ont proposé par voie d'amendement une modification du texte tendant à obliger l'administration fiscale, sur la demande de tout contribuable, à recourir à un expert extérieur pour l'évaluation des éléments des entreprises servant d'assiette aux droits d'enregistrement ou à l'impôt de solidarité sur la fortune.
M. Charles de Courson a, en effet, exposé que "l'article 31 du projet de loi de finances rectificative prévoit la possibilité pour l'administration de faire appel à un expert extérieur pour l'exercice de ses missions. Cette possibilité pourrait se révéler particulièrement intéressante en matière d'évaluation des entreprises, opération nécessaire en différentes circonstances (successions, donations, ventes, etc.) et qui conditionne souvent la pérennité desdites entreprises. L'évaluation doit donc être réalisée dans des conditions de sécurité juridique maximum. Or, elle nécessite de grandes compétences techniques et une bonne connaissance des spécificités et de l'environnement de chaque entreprise. Afin d'obtenir la valorisation la moins contestable et d'offrir une véritable sécurité juridique, il est souhaitable que le recours par l'administration à un expert extérieur puisse être demandé par le contribuable lui-même".
Toutefois, le Rapporteur général a estimé que cette extension du texte n'était pas opportune dans la mesure où "l'administration doit rester libre de juger de sa propre compétence et qu'il n'est donc pas souhaitable de lui imposer de répondre à toute sollicitation d'un contribuable, ce qui engendrerait en outre des coûts non maîtrisés".
Devant la commission des finances du Sénat, la même extension fut reprise au motif que le recours à une expertise extérieure "à la demande du redevable", et à ses frais, s'avèrerait plus particulièrement utile dans les secteurs de l'impôt où les contentieux sont les plus nombreux.
C'est ainsi que son Rapporteur général a proposé un amendement ouvrant la faculté pour le redevable de demander à l'administration fiscale "une expertise externe dans les conditions fixées par l'article L. 103 A du Livre des procédures fiscales, dans le cadre d'une transmission à titre gratuit ou onéreux, ou de l'impôt de solidarité sur la fortune, à des fins d'évaluation des parts ou des actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, ou d'évaluation de l'ensemble des biens meubles et immeubles, corporels ou incorporels affectés à l'exploitation d'une entreprise ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale agricole ou libérale".
Toutefois, ces amendements seront retirés et le texte d'origine du projet sera adopté sans aucune modification. Ce texte, qui se voulait novateur en instaurant le recours à des experts extérieurs, indépendants venant du secteur privé et apportant une valeur ajoutée au travail de l'administration pour remédier à des dispositions existantes d'utilisation marginale et aux potentialités limitées, trouve donc sa portée réduite en laissant à la seule initiative de l'administration la faculté de recueillir un éclairage extérieur pour l'exercice de ses missions d'étude, de contrôle, d'établissement de l'impôt ou d'instruction des réclamations, lorsque ces missions requièrent des connaissances ou des compétences particulières.
Il n'en demeure pas moins, en l'état, une avancée non négligeable en soumettant l'expertise de l'administration et donc le champ de compétence de ses activités "au défi de la complexité et du caractère changeant de la vie des affaires" dans le cadre de ses relations avec les entreprises.
L'article L. 103 A, en autorisant ce recours d'expertise à "toute personne" vise aussi bien les personnes physiques que les personnes morales et va, donc, bien au-delà des agents de l'Etat ou des établissements publics, même s'ils sont aussi concernés. Il sera rappelé que si l'expertise est motivée et a pour objet d'"éclairer" l'administration couvrant potentiellement l'ensemble des activités qu'elle exerce, celle-ci n'est aucunement liée par les travaux et résultats de l'expertise.
Le texte, en prévoyant que le recours à l'expertise extérieure sera autorisé lorsque les missions "requièrent des connaissances ou des compétences particulières", fait référence aussi bien "au savoir qu'au savoir-faire" et va bien au-delà des "connaissances techniques particulières" visées par les dispositions abrogées pour laisser à l'administration le soin d'apprécier si le recours à une personne externe est justifié compte tenu de ses besoins.
Les nouvelles dispositions constituent donc une "révolution culturelle pour l'administration fiscale qui pourra désormais travailler en liaison avec une expertise extérieure privée".
Ce texte se situe dans le cadre d'une politique visant à améliorer les relations entre les contribuables et l'administration fiscale, avec l'objectif affiché "d'inciter les redevables à l'accomplissement volontaire de leurs obligations fiscales et de réduire le champ des contentieux avec les usagers de bonne foi. La transparence doit être de mise dans le travail de liquidation de l'impôt".
Mais, cet objectif ne pourra être atteint que si l'administration exerce pleinement ses prérogatives en utilisant pleinement le nouveau texte, lequel se veut être source de sécurité juridique pour le contribuable et d'harmonisation des pratiques d'évaluation des services fiscaux par une amélioration de l'expertise de l'administration fiscale entrant dans le champ économique.
En effet, l'expertise demandée ne lie pas l'administration, qui, selon la volonté du législateur "en vertu du droit souverain pour l'Etat de lever l'impôt, doit rester maître de la définition de l'assiette de l'impôt" et le recours à cette dernière, à défaut d'exercer cette faculté, pourrait demeurer lettre morte si les agents de l'administration des impôts font preuve de résistance vis-à-vis de cette novation.
Le recours à l'expertise extérieure constitue, selon le rapport fait au nom de la Commission des Finances de l'assemblée Nationale, "un axe d'amélioration important pour améliorer la performance de l'administration fiscale puisqu'elle permet pour la collectivité, de résorber l'asymétrie d'expertise entre les administrations fiscales et le monde économique".
Le champ d'application du recours à l'expertise est, donc, a priori très vaste et il sera évoqué seulement quelques domaines (sans aucune exhaustivité) dans lesquels il pourra être exercé à la discrétion de l'administration et dans certaines circonstances sur les suggestions du contribuable dans le cadre du débat oral et contradictoire.
En premier lieu, il est un domaine qui pose de façon récurrente des difficultés, pour les contribuables comme pour l'administration : celui de l'évaluation en général des biens et, plus particulièrement, des entreprises du secteur non coté, notamment, dans le cadre des donations, pour lesquelles a été mise en place la procédure de rescrit valeur (instruction du 8 janvier 1998, BOI n° 13 L-2-98 N° Lexbase : X6187AAE ; instruction du 20 octobre 2005, BOI n° 13 L-4-05 N° Lexbase : X4031ADN ; instruction du 11 septembre 2006, BOI n° 13 L-5-06 N° Lexbase : X7307ADY), notamment, pour les petites et moyennes entreprises.
En second lieu, dans le domaine de la détermination des bases imposables des groupes de sociétés transnationaux qui repose sur des dossiers qui présentent une forte technicité, le recours à des personnes extérieures à l'administration fiscale devrait pouvoir être utilisé. En effet, il sera observé que ces experts sont, rarement, des agents de l'Etat ou d'un établissement public, notamment, dans les procédures qui suivent :
- celle afférente à la garantie de ne pas disposer en France d'un établissement stable ou d'une base fixe au sens de la convention fiscale liant la France à l'Etat dans lequel ce contribuable est résident (LPF, art. L. 80 B, 6° N° Lexbase : L8733G8X) ;
- celle afférente à la mise au point des accords préalables en matière de prix de transfert (avec l'autorité étrangère compétente) ou des accords unilatéraux en matière de prix de transfert (avec la société concernée).
En troisième lieu, enfin, on notera que d'autres domaines sont susceptibles de profiter d'un recours à des connaissances ou compétences extérieures, "tels que les droits de propriété intellectuelle, l'évaluation des objets d'art ou des friches industrielles avec prise en compte des coûts de dépollution, ou encore la production de simulations avancées nécessitant la mise à disposition d'informations nominatives à des tiers".
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Réf. : Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.626, Société centrale pour le financement de l'immobilier (Socfim), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4828DTY)
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N7973A98
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Le 07 Octobre 2010
Résumé
La prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail doit être fixée à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur. |
Décision
Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.626, Société centrale pour le financement de l'immobilier (Socfim), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4828DTY) Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 14 décembre 2004, n° 04/34663, Mme Hélène Bonnet c/ Société Centrale pour le financement de l'immobilier, 33, avenue du Maine N° Lexbase : A9333DEE) Texte concerné : C. civ., art. 1184 (N° Lexbase : L1286ABA) Mots-clés : contrat de travail ; résiliation judiciaire ; prise d'effet. Lien bases : |
Faits
Mme Bonnet, employée de la société Socfim, est intervenue en 1999 auprès de son employeur pour dénoncer le harcèlement moral qu'elle aurait subi de la part d'un supérieur hiérarchique. En avril 2001, l'intéressée n'a pas repris son travail pour cause de maladie. Elle a saisi le conseil de prud'hommes, par requête de 21 février 2003, d'une demande de résiliation du contrat de travail en invoquant le harcèlement moral et a réclamé des indemnités calculées à la date de l'audience de la plaidoirie. Il était reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fait prendre effet à la résiliation du contrat de travail de la salariée à la date de son prononcé et d'avoir condamné l'employeur à verser à la salariée diverses sommes au titre de cette rupture. Il était, notamment, argué que le juge qui prononce la résiliation judiciaire d'un contrat de travail aux torts d'un employeur ne peut en fixer la date qu'au jour où l'employeur a manqué à ses obligations ou au jour où la demande de résiliation a été formée. |
Solution
"Mais attendu qu'en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, sa prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur". Rejet du pourvoi. |
Observations
1. Les divergences quant à la date d'effet de la résiliation judiciaire
Parce qu'un contrat résolu est considéré comme n'ayant jamais été conclu, il est anéanti rétroactivement. Il en résulte que, si les obligations nées du contrat ont été exécutées totalement ou partiellement, chacun doit restituer ce qu'il a reçu (v., sur la question, F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, 9ème éd., 2005, §§ 653 et s.). On sait, toutefois, qu'il est apporté un fort tempérament à cette règle pour les contrats à exécution successive. A leur égard, en effet, la résolution ne produit pas son effet d'anéantissement rétroactif et on ne revient donc pas sur l'exécution passée. En d'autres termes, ces contrats ne sont pas résolus mais résiliés pour l'avenir. Il en va ainsi des contrats de travail qui ne peuvent faire l'objet que d'une résiliation judiciaire. Cette solution étant acquise, reste à déterminer le moment précis de cet anéantissement partiel.
Faute, pour le Code civil, de comporter la moindre précision quant à la date d'effet de la résiliation judiciaire, c'est à la jurisprudence qu'est revenu le rôle de la déterminer. Or, il convient de constater que l'unanimité ne règne pas en la matière, puisque ont été retenus la date à laquelle le débiteur a cessé de remplir ses obligations (Cass. civ. 3ème, 28 janvier 1975, n° 73-13.420, SA Ent. Labbé et Cie c/ Société San Remo, publié N° Lexbase : A2689CKS), le jour de la demande en justice (Cass. com., 12 octobre 1993, n° 91-17.621, Société Locafrance et autre c/ Mme Moins et autres, publié N° Lexbase : A6474ABE) ou, encore, le jour où a été rendu l'arrêt qui la prononce (Cass. civ. 3, 13 mai 1998, n° 96-18.358, M. Hervais et autre c/ M. Inizan, publié N° Lexbase : A2811AC4). Jusqu'à l'arrêt commenté, la Chambre sociale n'avait pas véritablement adopté une position tranchée sur la question. Toutefois, et s'agissant du cas particulier de la résiliation judiciaire d'un contrat d'apprentissage, il avait été décidé que "le juge qui prononce la résiliation judiciaire du contrat d'apprentissage peut en fixer la date au jour où l'une des parties a manqué à ses obligations ou au jour où la demande de résiliation a été formée" (Cass. soc., 1er octobre 2003, n° 01-40.125, FS-P N° Lexbase : A6587C9T ; lire les obs. de S. Martin-Cuenot, L'extension des sommes garanties par l'AGS, Lexbase Hebdo n° 90 du 16 octobre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9088AAT). Sans doute, cette décision n'avait-elle pas échappé à la partie requérante qui reprochait, précisément, à la cour d'appel d'avoir fixé la date d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du prononcé de l'arrêt, alors qu'elle ne pouvait en fixer la date qu'au jour où l'employeur a manqué à ses obligations ou au jour où la demande en résiliation a été formée. Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation fait produire effet à la résiliation au jour de la date de la décision judiciaire, dès lors qu'à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur. Cette solution ne s'explique que par des considérations très pragmatiques. 2. Une solution dictée par des considérations pratiques
Ainsi que nous l'avons vu précédemment, trois options sont offertes quant à la date d'effet de la résiliation judiciaire. Or, aucun argument juridique ne permet de faire véritablement pencher la balance d'un côté ou de l'autre. On pourrait, toutefois, avancer que la date à partir de laquelle l'un des cocontractants n'a plus rempli ses obligations doit être privilégiée, dans la mesure où c'est à partir de cette inexécution que l'équilibre voulu entre les parties entre leurs obligations interdépendantes a disparu (v., en ce sens, L. Leveneur, obs. ss. Cass. civ. 3, 13 mai 1998, préc. : Contrats, conc., consom. 1998, n° 113). Cette solution, comme celle consistant à faire remonter la date d'effet de la résiliation au jour où la demande en résiliation est formée, n'est cependant pas sans poser d'importantes difficultés pratiques, lorsque le salarié est toujours au service de son employeur le jour où le juge prononce la résiliation. En effet, ainsi qu'il est relevé dans le communiqué accompagnant la décision sous examen, "le contrat de travail, à la différence des autres contrats à exécution successive, comporte [...], au-delà de la prestation de travail proprement dite, une série d'autres droits concernant la personne du salarié et sa famille : couverture sociale de base, complémentaire, régimes de prévoyance, droit à la retraite de base et complémentaire, droits au titre de diverses allocations, etc. Une application rétroactive de la résiliation du contrat de travail est de nature à remettre en cause tellement d'éléments qu'elle relève donc de ce qu'un arrêt de la première chambre civile du 7 juin 1995 qualifiait 'd'impossibilité pratique' (Cass. civ. 1, 7 juin 1995, n° 93-15.485, Editions Glénat c/ Monsieur Bourgeon, publié N° Lexbase : A7814ABZ). Au surplus, dans un nombre non négligeable de cas, notamment lorsque la résiliation prononcée par le premier juge a fait l'objet d'un appel, ou lorsque c'est la cour d'appel qui la prononce, les effets de la résiliation pourraient remonter loin dans le temps, aggravant encore les effets pervers de la rétroactivité". On l'aura donc compris, c'est au regard de ces considérations très pragmatiques que la Chambre sociale décide que la date de prise d'effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être que celle de son prononcé par le juge, dès lors qu'au jour de ce prononcé, le salarié est toujours au service de son employeur. Il est difficile de ne pas approuver cette solution qui, en fin de compte, préserve la règle selon laquelle la résiliation n'a d'effet que pour l'avenir et n'oblige pas à revenir sur l'exécution passée de la relation contractuelle.
En premier lieu, et ainsi que l'indique très clairement la Cour de cassation, la solution retenue ne vaut que dans la mesure où le salarié est toujours au service de son employeur au jour du prononcé de la décision judiciaire prononçant la résiliation du contrat. Dans le cas contraire, le juge se retrouvera à nouveau confronté à la nécessité de choisir entre les trois options évoquées précédemment. A notre sens, la date à laquelle l'employeur a manqué à ses obligations devrait alors être privilégiée, sauf à ce que cette solution se retourne contre le salarié victime de l'inexécution. En second lieu, et compte tenu des termes du motif de principe de l'arrêt sous examen ("en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail"), on peut penser que la solution retenue vaut pour tous les contrats de travail. En d'autres termes, il en ira, également, ainsi pour la résiliation judiciaire des contrats d'apprentissage, dès lors que l'apprenti est toujours au service de son employeur à la date de la décision prononçant celle-ci.
Gilles Auzero (1) Ainsi qu'il a été relevé (T. Grumbach et J. Pélissier, Rev. dr. trav. 2007, p. 28), la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu 17 arrêts concernant la résiliation judiciaire au cours des mois d'octobre et novembre 2006 (23 pendant la période septembre-novembre 2006). A cela, il convient, encore, d'ajouter l'important arrêt rendu le 20 décembre dernier (Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 05-42.539, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0561DTX ; lire les obs. de Ch. Radé, Licenciement et résiliation judiciaire du contrat de travail : mode d'emploi (suite... et certainement pas fin !), Lexbase Hebdo n° 243 du 11 janvier 2007 - édition sociale N° Lexbase : N7200A9K). |
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Réf. : Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.663, Société Courriers de Seine et Oise (CSO), FS-P+B (N° Lexbase : A4829DTZ)
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N8043A9R
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Les salariés qui se mettent en grève sans respecter le préavis de 5 jours francs de l'article L. 521-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6608ACQ) commettent une faute lourde que l'employeur est en droit de sanctionner, dès lors que ce dernier les avait informés du caractère illicite du préavis. |
Décision
Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.663, Société Courriers de Seine et Oise (CSO), FS-P+B (N° Lexbase : A4829DTZ) Cassation partielle sans renvoi (CA Versailles, 6ème chambre civile, 23 novembre 2004) Texte visé : C. trav., art. L. 521-3 (N° Lexbase : L6609ACR) Mots-clefs : grève ; secteur public ; préavis. Lien bases : |
Faits
1. Un préavis fixant le déclenchement d'une grève au 1er décembre 2002 est parvenu le 26 novembre à la société Courriers de Seine et Oise, qui est chargée de la gestion d'un service public de transports de personnes. Mme Fauconnier, conducteur-receveur, a cessé le travail le 2 décembre 2002. La sanction de la mise à pied d'une durée de 4 jours pour ne pas avoir pris son service à cette date lui a été notifiée le 31 janvier 2003. 2. Elle en a demandé l'annulation judiciaire. Pour décider que la salariée n'avait commis aucune faute en participant au mouvement de grève à partir du 2 décembre 2002 et annuler la sanction, l'arrêt infirmatif relève qu'elle était de repos le 1er décembre et que peu importait que le préavis ait été irrégulier, dès lors qu'elle avait, elle-même, respecté le délai de prévenance de 5 jours francs après la notification du préavis. |
Solution
1. "Vu l'article L. 521-3 du Code du travail" ; "Attendu que, selon ce texte, lorsque les personnes mentionnées à l'article L. 521-2 du Code du travail font usage du droit de grève, la cessation concertée du travail doit être précédée d'un préavis qui émane de l'organisation ou d'une des organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national et qui doit parvenir cinq jours francs avant le déclenchement de la grève à l'autorité hiérarchique, ou à la direction de l'établissement ; il en résulte que la grève déclenchée moins de cinq jours francs avant la réception du préavis est illégale et que les salariés qui s'y associent, même après l'expiration de ce délai en dépit d'une notification de l'employeur attirant leur attention sur l'obligation de préavis, commettent une faute disciplinaire que l'employeur est en droit de sanctionner". 2. "En statuant ainsi, alors qu'il résultait du jugement qui lui était déféré que, par une note du 28 novembre 2002, l'employeur avait informé l'ensemble des salariés de l'entreprise du caractère illégal de la grève en raison du non-respect du délai légal de préavis et que l'existence de cette notification, invoquée devant elle par l'employeur n'était pas discutée par la salariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé". 4. "Et attendu que la Cour de cassation est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée en application de l'article 627 du Nouveau code de procédure civile" (N° Lexbase : L2884AD8) ; "Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il a annulé la mise à pied notifiée le 31 janvier 2003 et condamné la société les Courriers de Seine et Oise à payer à Mme Fauconnier le salaire de la mise à pied et les congés payés afférents et une somme sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL) , l'arrêt rendu le 23 novembre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; dit n'y avoir lieu à renvoi ; confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Poissy le 23 janvier 2004 ; condamne Mme Fauconnier aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes". |
Commentaire
1. Rappel du caractère collectif du préavis de grève dans les services publics
Si les salariés du secteur privé ne sont légalement astreints à aucune obligation de préavis, il en va différemment dans les entreprises en charge d'un service public. L'article L. 521-3 du Code du travail dispose, en effet, que "lorsque les personnels mentionnés à l'article L. 521-2 font usage du droit de grève, la cessation concertée du travail doit être précédée d'un préavis". Ce texte détermine à la fois les mentions qui doivent figurer sur le préavis ainsi que le délai de 5 jours francs qui doit séparer son dépôt du déclenchement de la grève (lire P. Waquet, La grève dans les services publics, RJS 2003, p. 275). La jurisprudence a été conduite à préciser l'objet du préavis, qui peut "porter sur des arrêts de travail d'une durée limitée étalés sur plusieurs jours" (Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-17.116, Société lyonnaise des transports en commun (SLTC), FS-P+B N° Lexbase : A8444DPG ; lire notre chron., Grève et services publics : le dépôt de préavis 'en liasses' est licite, Lexbase Hebdo n° 220 du 22 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9860AKE). Elle a, également, affirmé qu'"aucune disposition légale n'interdit à plusieurs organisations syndicales représentatives de présenter chacune un préavis de grève ; qu'il en résulte que chacune peut prévoir une date de cessation du travail différente" (Cass. soc., 4 février 2004, n° 01-15.709, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1308DB3 ; lire notre chron., Grève et services publics : ne confondez pas grèves tournantes et préavis tournants !, Lexbase Hebdo n° 107 du 12 février 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0498AB3). Les salariés ne peuvent se mettre en grève sans respecter les termes du préavis. Plus exactement, les salariés doivent tous cesser et reprendre le travail collectivement, comme l'exige l'article L. 521-4 du Code du travail (N° Lexbase : L6610ACS) (Cass. soc., 3 février 1998, n° 95-21.735, Société CGFTE c/ Syndicat CGT et autre, publié N° Lexbase : A2483ACX ; Dr. soc. 1998, p. 294, obs. J.-E. Ray ; JCP éd. G, 1998, II, 10030, rapp. P. Waquet ; D. 1998, p. 169, note Y. Saint-Jours). Ils peuvent, en revanche, parfaitement différer le déclenchement de la grève et reprendre le travail plus tôt, dès lors que les périodes où le travail a cessé sont bien comprises dans le préavis (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-45.659, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Allias et autres, publié N° Lexbase : A6658C84 ; Cass. soc., 29 février 2000, n° 98-43.145, Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF) c/ M. Joseph Alberton et autres, inédit N° Lexbase : A8978C4B ; Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-22.328, Société Semvat c/ M. Jean-Luc Rueff, F-D N° Lexbase : A7498BSI).
Cet arrêt apporte une précision inédite et intéressante concernant les obligations qui pèsent sur les salariés lorsque le préavis de grève ne respecte pas le principe du délai de 5 jours francs. Dans cette affaire, en effet, le préavis n'avait laissé qu'un délai de 5 jours non francs entre le dépôt et le jour du déclenchement, c'est-à-dire que le jour du dépôt avait, à tort, été pris en compte par le syndicat. Le chef d'entreprise en avait immédiatement averti les salariés, par note de service, mais l'une d'entre-elles avait décidé de se mettre tout de même en grève en respectant individuellement le délai légal de préavis de 5 jours francs. Son employeur lui avait infligé une mise à pied disciplinaire de 4 jours, ce que l'intéressée contestait judiciairement. La cour d'appel de Versailles lui avait donné raison et considéré que la salariée n'avait commis aucune faute, dans la mesure où elle avait bien respecté l'exigence légale de 5 jours francs. L'arrêt est cassé, la Cour de cassation considérant que "la grève déclenchée moins de cinq jours francs avant la réception du préavis est illégale et que les salariés qui s'y associent, même après l'expiration de ce délai en dépit d'une notification de l'employeur attirant leur attention sur l'obligation de préavis, commettent une faute disciplinaire que l'employeur est en droit de sanctionner".
La solution retenue est parfaitement logique. En premier lieu, il convient de rappeler que le préavis de grève constitue, pour les salariés, une condition préalable de l'exercice du droit de grève. Sans préavis syndical, le droit de grève demeure une simple prérogative sans aucune effectivité. Le préavis fait donc écran entre le droit de grève et les salariés. Permettre à ces derniers de faire valablement grève alors que le préavis serait irrégulier équivaudrait alors à nier l'exigence même du préavis, et donc à violer purement et simplement l'article L. 521-3 du Code du travail. En second lieu, le caractère "collectif" de la grève est fortement prononcé dans les services publics, comme en témoigne l'article L. 521-4 du Code du travail qui impose un déclenchement et une cessation du mouvement simultanée, et donc collective. Il n'y a donc pas lieu d'individualiser l'analyse du caractère licite ou illicite du comportement des salariés qui doit, au contraire, s'apprécier collectivement. 2. Les sanctions applicables aux grévistes La solution semble, également, parfaitement justifiée et en tout point conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation.
On rappellera, tout d'abord, que la faute lourde du salarié gréviste s'analyse comme une faute volontaire, si ce n'est intentionnelle. La jurisprudence exige, en effet, classiquement, que la preuve de la conscience de violer les dispositions légales en matière de préavis soit rapportée par l'employeur pour que la faute lourde soit établie et que des sanctions puissent valablement être prononcées (Cass. soc., 5 juin 1984, n° 81-42.229, SA Softranet c/ Abdelahi, Draa, Zarouzi, Benchekour, Bendoudhou, Smaali et autres N° Lexbase : A2322AZZ : "les salariés, dont l'attention n'avait pas été appelée sur l'obligation de préavis incombant en cas de grève au personnel des entreprises privées lorsqu'elles sont chargées de la gestion d'un service public, n'avaient pas enfreint sciemment les dispositions de l'article L. 521-3 du Code du travail ; qu'aucune faute lourde ne pouvant dès lors leur être imputée dans l 'exercice du droit de grève" ; Cass. crim., 10 mai 1994, n° 93-82.603, Lussiez Georges, inédit N° Lexbase : A8488CQG ; D. 1995, somm. P. 371, obs. Debord : "tout manquement au délai de préavis étant imputable à ceux qui l'ont donné, une faute lourde ne pourrait être reprochée aux autres salariés que si leur attention avait été attirée sur l'obligation de respecter le préavis incombant au personnel des entreprises privées chargées de la gestion d'un service public" ; Cass. soc., 8 octobre 2003, n° 01-43.220, F-D N° Lexbase : A7173C9K ; même solution pour le Conseil d'Etat : CE Contentieux, 8 janvier 1992, n° 90634, Ciejka N° Lexbase : A5349ARK ; Dr. soc. 1992, p. 469, concl. M. Pochard). Or, tel avait bien été le cas en l'espèce, dans la mesure où l'employeur avait rapidement adressé une note de service aux salariés pour attirer leur attention sur l'irrégularité affectant le préavis, circonstance qui a, d'ailleurs, été relevée par la Cour dans l'arrêt : "il résultait du jugement qui lui était déféré que, par une note du 28 novembre 2002, l'employeur avait informé l'ensemble des salariés de l'entreprise du caractère illégal de la grève en raison du non-respect du délai légal de préavis et que l'existence de cette notification, invoquée devant elle par l'employeur n'était pas discutée par la salariée".
Par ailleurs, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser, en 2003, que toutes les irrégularités affectant le préavis ne permettent pas de caractériser l'existence d'une faute lourde et, singulièrement, pas les simples irrégularités de forme (Cass. soc., 25 février 2003, n° 00-44.339, FS-P N° Lexbase : A3037A7M ; Dr. soc. 2003, p. 554, et les obs.). Nous avions, à l'époque, relevé qu'a contrario le principe du préavis, ainsi que le délai de 5 jours francs, constituaient des exigences substantielles permettant de mettre en cause la responsabilité disciplinaire du gréviste en cas de non-respect. C'est bien ce que confirme cet arrêt. |
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Réf. : Cass. civ. 3, 20 décembre 2006, n° 05-10.855, Société Atelier 2M, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0878DTP)
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N7986A9N
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Le 07 Octobre 2010
- En premier lieu, il convient de remarquer, très rapidement tant la solution ne fait sur cette question depuis longtemps déjà plus aucun doute, que la Cour de cassation rejette fermement toute considération subjective dans la détermination du fondement de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage, de telle sorte que l'argument du pourvoi qui faisait valoir l'absence de faute des constructeurs n'avait aucune chance de prospérer : la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage n'est pas une responsabilité fondée, subjectivement, sur la faute, mais, objectivement, sur la constatation du dépassement de la mesure normale des inconvénients du voisinage (voir, sur cette question, la jurisprudence citée supra).
- En deuxième lieu, l'arrêt confirme indiscutablement la compréhension très extensive que fait la jurisprudence du domaine de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage. On se souvient que, dans une affaire ayant donné lieu à un important arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 juin 2005, le célèbre hôtel parisien George V avait fait procéder à la rénovation totale du bâtiment avec le concours de deux sociétés, l'une chargée de la gestion du projet, l'autre en tant qu'entrepreneur. Or, les travaux avaient occasionné des nuisances aux immeubles voisins. L'un des constructeurs reprochait aux juges du fond de l'avoir condamné à payer certaines sommes aux sociétés exploitant les hôtels voisins, alors que, selon lui, la responsabilité sans faute déduite du principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage, ne peut être engagée que contre des personnes liées au demandeur par une relation stable de voisinage, ce qui ne serait pas le cas par hypothèse, en l'espèce, le constructeur étant seulement chargé par le propriétaire d'une mission temporaire de rénovation de son immeuble. En clair, le pourvoi faisait valoir l'idée que l'action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage ne saurait être engagée contre ceux que l'on pourrait appeler un "voisin temporaire", de surcroît chargé par le propriétaire, voisin habituel, de divers travaux. Toujours est-il que la Cour de cassation ne l'avait pas entendu ainsi et avait affirmé que "la cour d'appel a retenu à bon droit que le propriétaire de l'immeuble auteur des nuisances et les constructeurs à l'origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels de propriétaires lésés" (3). La solution de l'arrêt 20 décembre dernier confirme cette volonté de la jurisprudence de faire rayonner aussi largement que possible la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage et la compréhension purement objective de celle-ci : doit être considéré comme responsable celui qui, par son fait, cause objectivement un préjudice à un tiers. L'action en responsabilité est ainsi recevable lorsqu'elle est intentée contre l'architecte maître d'oeuvre et/ou contre l'entrepreneur effectuant des travaux pour le compte d'un propriétaire voisin (4). Et, par suite, en l'absence de faute de leur part, l'architecte et l'entrepreneur contribuent, par parts égales, à la dette, ce qu'affirme explicitement l'arrêt. On sait, en effet, classiquement, que la question de la contribution à la dette entre co-obligés est réglée en fonction du fondement de la responsabilité : répartition en fonction de la gravité des fautes respectives s'il s'agit de fautes prouvées ; dans la mesure des responsabilités ou, à défaut de précisions, par parts viriles, donc de manière purement objective, s'il s'agit de responsabilités de plein droit (5).
- En dernier lieu, il convient d'insister sur l'importance, du point de vue de sa portée, de la solution. Alors, en effet, que la responsabilité de l'entrepreneur, déjà critiquée en doctrine lorsqu'il est auteur de la nuisance résultant du chantier, l'est davantage encore lorsque le trouble résulte de l'ouvrage et est donc imputable à la décision de construire du maître de l'ouvrage, l'arrêt témoigne de la volonté de la Cour de cassation de ne pas faire marche arrière, alors même d'ailleurs que l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription n'a pas repris cette responsabilité et a choisi de réduire le domaine, quant aux personnes responsables, de la responsabilité pour troubles anormaux du voisinage. Ainsi, l'article 1361 proposé du Code civil, qui n'inclut pas l'entrepreneur parmi les responsables possibles de troubles de voisinage, pas plus d'ailleurs semble-t-il que l'architecte, dispose en effet que "le propriétaire, le détenteur ou l'exploitant d'un fonds, qui provoque un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, est de plein droit responsable des conséquences de ce trouble".
David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit
(1) Cass. civ., 27 novembre 1844, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd., par F. Terré et Y. Lequette, Dalloz, n° 74.
(2) Voir, notamment, Cass. civ. 3, 4 février 1971, n° 69-12.528, Epoux Vullion (N° Lexbase : A9758CE7) et n° 69-13.889, Geoffroy c/ Mille (N° Lexbase : A0426C9N), Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., n° 75 ; adde., énonçant, sous la forme d'un principe général, que "nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage", Cass. civ. 2, 19 novembre 1986, n° 84-16.379, M. Miller c/ Epoux Haye (N° Lexbase : A6163AAI), Bull. civ. II, n° 172 ; Cass. civ. 3, 11 février 1998, n° 96-10.257, Epoux Lang c/ Mme Porre (N° Lexbase : A2603ACE), Bull. civ. III, n° 34, D. 1999, jur., p. 529, note S. Beaugendre.
(3) Cass. civ. 3, 22 juin 2005, n° 03-20.068, Société Duminvest c/ Société Hôtel Georges V, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7982DIH) Bull. civ. III, n° 136 et nos obs., La responsabilité pour troubles anormaux de voisinage du "voisin occasionnel", Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N6465AIB).
(4) Cass. civ. 3, 30 juin 1998, n° 96-13.039, Société Intrafor c/ Consorts Chaudouet-Delmas et autres (N° Lexbase : A5432AC8), Bull. civ. III, n° 144, JCP éd. G., 1999, I, 120, obs. H. Périnet-Marquet, RTD Civ. 1999, p. 114, obs. P. Jourdain.
(5) Sur la question, voir not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, n° 890 et s..
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Réf. : Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-13.461, Société Natexis banques populaires, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A9940DSX)
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N8132A93
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Le 07 Octobre 2010
La position de la Cour de cassation n'est pas dépourvue de paradoxe. Rapprochant la garantie autonome du cautionnement à travers la question de la naissance du recours personnel du garant (I), elle les oppose nettement quant à la question de la compensation pour dettes connexes intervenant postérieurement à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre du donneur d'ordre (II).
I - La naissance de la créance de recours du garant ou le rapprochement de la garantie autonome et du cautionnement
Nul besoin de rappeler, ici, que la date de naissance d'une créance présente un intérêt majeur en droit des entreprises en difficulté. La distinction entre les créances antérieures et postérieures conditionne très largement les chances, pour un créancier, d'obtenir un paiement (3). A ce titre, la question du fait générateur de la créance de recours d'un garant autonome suscite une controverse que la Cour de cassation tranche, pour la première fois à notre connaissance, à travers cet arrêt. La créance de recours naît-elle au moment de la conclusion du contrat de garantie ou au contraire à l'occasion du paiement fait par le garant au bénéficiaire ? C'est à cette question que répond la Cour de cassation, prenant très nettement partie pour la première hypothèse. Ce faisant, la Cour opère un rapprochement significatif entre la garantie autonome et le cautionnement.
A - Le paiement n'est pas le fait générateur de la créance de recours du garant
Au même titre que la caution, le garant autonome dispose, après paiement, d'un double recours : personnel et subrogatoire. En l'absence de texte et malgré les difficultés posées par l'autonomie de la garantie (4), la doctrine s'accorde très largement sur cette possibilité (5). Dès lors que le garant exécute son obligation postérieurement au jugement d'ouverture, la question de la date de naissance de sa créance de recours devient déterminante. Si l'on considère que le paiement fait naître sa créance de recours, alors le garant est éligible au rang des créanciers privilégiés de l'ancien article L. 621-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L6884AIS) (6). C'est, en l'espèce, le raisonnement du pourvoi : "en décidant que la créance prenait naissance au jour de la conclusion du contrat, et en privant la banque dont elle constatait qu'elle avait effectué des paiements à titre de garant pendant la période d'observation, du bénéfice de l'article L. 621-32 du Code de commerce, la cour d'appel a violé les articles 2028 du Code civil et L. 621-32 du Code de commerce" (7).
A titre liminaire, soulignons que la controverse relative à la date de naissance de la créance de recours du garant ne se justifie qu'en matière de recours personnel. Dès lors qu'est en cause le recours subrogatoire, la question ne soulève guère de difficulté. Le recours subrogatoire de la caution s'appuie sur les règles du droit commun de la subrogation. Ainsi, l'effet translatif de la subrogation a-t-il pour effet de transférer la créance du subrogeant sur la tête du subrogé. Comme le souligne une doctrine avisée, la subrogation "a pour objet la créance même du subrogeant avec son caractère, sa date [souligné par nos soins], ses accessoires et tous ses effets" (8). Dès lors, le fait générateur de la créance ne saurait être autre que la date de naissance de la créance garantie (9). Or, dans notre espèce, celle-ci étant manifestement antérieure au jugement d'ouverture, toute discussion sur la date de naissance de la créance subrogatoire eut été vaine. On ne sera donc pas étonné que le demandeur au pourvoi plaide sur le terrain du "recours personnel" du garant autonome.
La question prend, alors, une toute autre envergure. Alors que le subrogé recueille dans son patrimoine une créance existante, le recours personnel constitue une créance nouvelle et autonome de la précédente. Les apparences portent, ainsi, à croire que c'est le paiement par le garant au bénéficiaire qui fait naître la créance de recours dans son patrimoine. C'est d'ailleurs une tentation à laquelle ont cédé certains juges du fond, au moins en matière de cautionnement (10). C'est, également, le raisonnement du pourvoi qui affirme que "la créance de recours personnel du garant naît de son paiement". L'argument semble s'appuyer sur le bon sens. Le garant, qu'il soit accessoire ou non, n'est en mesure d'exercer son recours personnel qu'après paiement. C'est donc l'exécution de son obligation qui paraît être le fait générateur de la créance de recours. Cette hypothèse est, pourtant, clairement rejetée par la Cour de cassation qui approuve les juges du fond d'avoir retenu que "la créance de recours du garant contre le donneur d'ordre prenait naissance à la date à laquelle l'engagement à première demande autonome avait été souscrit". La solution, inédite en matière de garantie autonome, n'est pourtant pas nouvelle, la Cour de cassation l'avait, en effet, affirmé à propos du cautionnement (11).
B - Le paiement au bénéficiaire, fait "révélateur" de la créance de recours
Au vu de l'arrêt rapporté, c'est la date de conclusion du contrat de garantie qui constitue le fait générateur de la créance. La conséquence est que le garant qui a payé postérieurement au jugement d'ouverture reste un créancier antérieur dès lors que le contrat de garantie a été conclu avant cette date. La solution ne semble pas faire l'unanimité en doctrine. Déjà, à l'occasion des arrêts rendus en matière de cautionnement, certains auteurs n'hésitaient pas à marquer leur désaccord avec une telle solution. Le professeur Pierre-Michel Le Corre a relevé le paradoxe d'un tel raisonnement : "voilà un recours personnel après paiement qui prend naissance...avant paiement" (12). A l'inverse, certains auteurs militaient en faveur de l'adoption d'une telle solution (13). La créance du garant prendrait, selon eux, naissance dans le contrat de garantie. Il existerait, au jour de la conclusion du contrat de garantie, une créance latente de recours.
Il faut souligner que la solution était justifiée par le recours avant paiement de la caution : "peut être pourrait-on considérer [...] que la créance de la caution contre le débiteur principal existe virtuellement dès le jour de son engagement, puisqu'elle a, dans certains cas, un recours contre ce débiteur même avant d'avoir payé" (14). Que l'on soit ou non convaincu par l'analyse, force est d'admettre que ce recours avant paiement est inexistant en matière de garantie autonome (15) et qu'il faut ainsi rechercher ailleurs la justification de la solution de la Cour de cassation.
Sans doute l'opportunité a-t-elle guidé la solution. Le contexte des procédures d'insolvabilité se nourrit d'antagonismes. Admettre le paiement du garant comme fait générateur de la créance aurait inévitablement conduit à aggraver la situation du débiteur. En pratique, les garants auraient retardé le paiement après l'ouverture de la procédure pour bénéficier des dispositions de l'ancien article L. 621-32 du Code de commerce. En droit, l'analyse de la créance de recours faite, en l'espèce, par la Cour de cassation entretient une certaine parenté avec le mécanisme de la condition. La créance du garant apparaît comme suspendu à cet évènement futur et incertain qu'est le paiement. Faute d'être fait générateur de la créance, le paiement apparaît ainsi comme "révélateur" de l'existence de celle-ci.
Une telle solution renforce, sans aucun doute, le traitement unitaire de la garantie autonome et du cautionnement. On observe, en effet, un alignement progressif du régime du recours de ces deux garanties personnelles. Cependant, le rejet de la connexité, en l'espèce, tempère une telle lecture. La Cour de cassation n'hésite pas à tirer argument du caractère autonome de la garantie pour faire échec au remboursement du garant solvens (II).
II - Le remboursement du garant ou l'opposition de la garantie autonome au cautionnement
La Cour de cassation ne se prononce pas seulement sur la naissance de la créance de recours. Elle profite de l'espèce pour souligner que l'autonomie de la garantie ne permet pas au garant d'invoquer la compensation de dettes connexes mise en pratique par une inscription au compte courant du donneur d'ordre après ouverture à son encontre d'une procédure de redressement (A). Cette approche est en rupture avec l'élan unitaire décrit précédemment et tend à éloigner la garantie autonome du cautionnement. Cela favorise nécessairement les besoins de la procédure de redressement judiciaire du donneur d'ordre (B).
A - L'autonomie de la garantie exclusive de toute compensation pour dettes connexes
Le deuxième apport de l'arrêt se trouve dans le refus de la connexité des créances et dettes réciproques entre le garant autonome et le donneur d'ordre en raison, précisément, de l'autonomie de l'engagement. Cette solution n'est pas nouvelle. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 6 mars 2001 déclarait (16) que "le caractère autonome de la contre-garantie à première demande excluait la connexité". La solution confirmée par notre décision fait donc jurisprudence.
La connexité était, jusqu'ici, une notion appréhendée de façon assez souple (17). En effet, pour apprécier la connexité, il fallait, au départ, considérer les créances nées de l'exécution du contrat ou de son inexécution. La connexité s'est étendue aux créances réciproques qui se rattachent à une même convention-cadre et plus encore, par la suite, aux créances issues de contrats différents mais qui s'insèrent dans un ensemble contractuel unique. Une telle connexité lato sensu aurait pu se retrouver en l'espèce. En effet, la présence d'un compte courant entre le garant et le donneur d'ordre comprenant une clause de fusion de comptes provoquait cette connexité. Cette connexité reposerait sur une particularité du mécanisme du compte courant, le principe de l'affection générale des créances. Par ce dernier, les parties conviennent d'affecter au compte leurs créances respectives à venir en vue de leur transformation en un solde nouveau... Il apparaissait, ainsi, logique que la banque garante inscrive au débit de ce compte le montant de la créance payée au tiers bénéficiaire.
La garantie autonome marque son originalité en ce qu'elle ne permet plus ce que, jusqu'ici, -malgré certaines réticences (18)- on accordait par voie d'exception (19). L'ouverture d'une procédure collective gelait, et gèle encore (20), les paiements des créances antérieures et donc, dans notre espèce, le paiement du garant par le donneur d'ordre. De sorte qu'une compensation légale intervenant après le jugement d'ouverture n'est pas possible. Seule exception : la compensation de dettes connexes. La solution de la Cour de cassation met fin à cette exception à l'encontre des garanties autonomes, alors qu'elle demeurera pour le cautionnement (21). C'est, en effet, le "caractère autonome" de la garantie qui justifie, selon la Cour de cassation, l'exclusion de la connexité.
Le garant devra à l'avenir, s'il veut jouer par voie d'inscription au débit du compte courant, s'assurer que les dettes et créances réciproques sont certaines, liquides et exigibles avant le jugement d'ouverture. Et c'est précisément là que peut être portée un instant la discussion. En l'espèce, seule la condition de l'exigibilité est réunie après le jugement. Le mécanisme de la compensation légale ne peut donc pas jouer. Pour autant, n'est-il pas possible, l'espace d'un instant, d'introduire l'idée -bien qu'elle semble définitivement condamnée dans l'appréciation actuelle de la cessation des paiements (22)- de ce que l'exigibilité se différencie du moment où la créance certaine, liquide et exigible est réellement ou plutôt effectivement exigée. Ce qui pourrait laisser une marge de manoeuvre en faveur du banquier garant. Telle n'est apparemment pas la tendance de la Cour de cassation.
Au demeurant, le banquier garant, demandeur au pourvoi, semble avoir fait sienne les autres traits de caractère de la garantie à première demande et, ce faisant, accepté son triste sort. Son éloignement du contrat principal entraîne pour le garant autonome l'impossibilité d'opposer quelque exception au tiers bénéficiaire que ce soit (23). Rigueur de la première demande oblige. En l'espèce, le garant a réglé à première demande les deux créanciers. Il n'a pas opposé d'exceptions qui n'auraient pu, en tout état de cause, être validées.
Il a, également, fait sienne une jurisprudence relativement ancienne (24) qui veut qu'en cas de continuation du contrat, ce dernier le soit sans aucune modification de la part de l'administrateur à la procédure collective. Ce qui n'était, selon lui, pas le cas ici puisque les administrateurs auraient mis fin au caractère courant du compte pour s'en servir de simple réceptacle des sommes inscrites au profit du donneur d'ordre. Et non plus des crédits et des débits... Raison pour laquelle la première branche du second moyen est en ce sens.
Les conseils de la banque garante ont été avisés de lui faire déclarer en temps et en heure la créance à la procédure en vue d'une compensation de dettes connexes (25).
Tous les éléments pour permettre la compensation de dettes connexes étaient réunis. Le double rejet auquel conduit la solution de la Cour de cassation, s'il peine à être justifié, marque d'autant plus l'écart entre le mécanisme de la garantie à première demande et son frère ennemi, le cautionnement. Sans doute cela conduit à favoriser l'entreprise -le donneur d'ordre- en redressement.
B - L'autonomie de la garantie au secours de la procédure...
La solution est d'autant rigoureuse pour le garant que la situation présentait quelques caractéristiques spécifiques. D'une part, le compte était un compte courant et de ce fait une inscription en compte fait disparaître la dette au profit du solde. La créance en question est fondue dans le solde. Ce dernier n'est exigible en vue de la compensation invoquée qu'à la clôture. D'où l'argument, semble-t-il, de la deuxième branche du second moyen, de faire constater par lettre l'antériorité au jugement d'ouverture de la clôture du compte.
D'autre part, la demande du garant solvens vise son remboursement par le donneur d'ordre après s'être acquitté à première demande au profit du tiers bénéficiaire. Il s'agit, non plus du mécanisme de la garantie autonome stricto sensu -qui a été respecté-, mais de faire application des règles relatives à la répartition de la charge définitive de la dette. Or, celle-ci repose sur les épaules, fragiles ici, du donneur d'ordre. Ce qui est identique au fonctionnement du cautionnement pour la caution solvens. La question, à ce stade de l'analyse, conduit à se demander s'il est pertinent de maintenir artificiellement une différence de régime entre la garantie à première demande et le cautionnement au stade de la contribution à la dette...
La conséquence principale de cette solution est, dans les faits, de ne pas permettre au garant d'obtenir le remboursement des sommes payées en raison précisément d'une procédure collective ouverte à l'encontre du donneur d'ordre. La Cour de cassation se retrouvait à devoir départager deux branches du droit. Le droit du crédit, qui a pour but de financer l'activité économique d'une part, et le droit des entreprises en difficulté, qui a pour principal objectif d'assurer le redressement de l'entreprise, d'autre part. Elle tranche le dilemme en faveur des entreprises en difficulté. Cette solution n'est-elle pas une vision à court terme ? En effet, le droit des entreprises en difficulté dépend étroitement et pour une portion substantielle du crédit -donc du droit du crédit-. De sorte qu'en ne permettant pas à la banque garante de percevoir son remboursement, le risque est grand de voir décliner l'intérêt du mécanisme ou à tout le moins l'intérêt que lui portent les banquiers. Ce qui, en termes de résultat, se mesure -se mesurera ?- de la même façon. L'idée peut être renforcée par le fait que la procédure emporte, non pas liquidation judiciaire, mais cession de l'entité en cause. La situation n'est-elle pas trop favorable au débiteur en redressement ?
La solution laisse perplexe, l'autonomie devient -comme le fut le caractère accessoire du cautionnement- une notion fonctionnelle qui vise uniquement à assurer les objectifs de la procédure. A vrai dire, une telle position jurisprudentielle trouve un "précédent législatif". La loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 n'a pas hésité, elle aussi, à instrumentaliser l'autonomie de la garantie. On notera, à titre d'exemple, que les garants autonomes bénéficient, au même titre que les cautions, des mesures prévues par l'accord homologué dans le cadre d'une procédure de conciliation (26).
Antoine Ricard
ATER à l'Université d'Evry Val d'Essonne
Géraud Mégret
Moniteur-Allocataire à l'Université Paris I
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Réf. : Proposition de loi n° 375 de M. Jean-Pierre Sueur relative à la législation funéraire, adoptée par le Sénat le 22 juin 2006
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Le 07 Octobre 2010
Les opérations touchant à la crémation s'inscrivent dans le cadre général de la législation sur les pompes funèbres (CGCT, L. 2223-19 et s. N° Lexbase : L7918HBU), mais les règles concernant le sort des cendres sont particulièrement libérales.
A. Le cadre général des funérailles
Le monopole communal des pompes funèbres a été supprimé par la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993, modifiant le titre VI du livre III du Code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire (N° Lexbase : L9730A9A). Désormais le service public communal des pompes funèbres, qui est un service public industriel et commercial, est assuré par les régies, entreprises et associations habilitées par le préfet. Ce service public comprend les diverses prestations nécessaires aux funérailles et, notamment, la fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux crémations (CGCT, art. L. 2223-19 précité). En raison de la disparition du monopole, les personnes qui pourvoient aux funérailles peuvent fournir, elle-mêmes, les services et objets funéraires, tels que l'urne.
La commune a des prérogatives de puissance publique importantes en matière funéraire. Le maire exerce la police spéciale des funérailles et des cimetières (CGCT, L. 2213-7 et s. N° Lexbase : L8718AA7 et R. 2213-2 et s. N° Lexbase : L2128HPI). A ce titre, il délivre aux personnes qui pourvoient aux funérailles diverses autorisations, notamment, l'autorisation de fermeture du cercueil, l'autorisation de crémation, l'autorisation de dépôt de l'urne dans le cimetière, ou le site cinéraire, et l'autorisation de dispersion des cendres dans le lieu communal affecté à cet effet. La plupart des opérations funéraires, par exemple, les crémations, donnent lieu à une surveillance qui est exercée, soit par la police nationale, soit par un garde champêtre ou un agent de police municipale. Les familles doivent payer des vacations funéraires pour cette assistance. Indépendamment de ces redevances, les personnes qui pourvoient aux funérailles doivent, également, payer les taxes sur les convois, les inhumations et les crémations si les communes les ont instituées. Les obsèques sont, en revanche, gratuites pour les personnes dépourvues de ressources suffisantes. Soit la commune a organisé le service public et celui-ci prend en charge de telles funérailles, soit c'est la commune qui, au titre de ses devoirs de police, passe un marché public pour pourvoir aux obsèques des personnes sans ressources.
Le monopole a disparu pour les pompes funèbres, mais il subsiste, au profit des communes et des établissements de coopération intercommunale, pour les cimetières, les sites cinéraires (espaces consacrés à l'accueil des cendres) et les crématoriums.
La description du régime administratif des obsèques ne suffit pas à établir leur régime juridique. Les funérailles sont, également, régies par une grande liberté, la liberté des funérailles qui résulte de la loi du 15 novembre 1887. Cette loi, complétée par une jurisprudence abondante, permet aux majeurs et aux mineurs émancipés d'exprimer leur choix quant aux conditions des funérailles et aux modes de sépulture. Ils peuvent, notamment, choisir la crémation et décider du sort de leurs cendres. Lorsque le défunt n'a exprimé aucune volonté, il appartient au juge, éventuellement saisi d'un désaccord, de désigner la personne la plus apte à pourvoir aux funérailles, c'est-à-dire celle qui est la meilleure interprète des volontés du défunt ; c'est généralement le conjoint ou le concubin qui est le plus qualifié pour exprimer la volonté du défunt. La loi ne prend pas en compte la volonté du mineur quant à ses funérailles et le juge ne peut se baser sur ce texte pour régler le litige entre des parents divorcés sur la question du partage des cendres de leur enfant (CA Montpellier, 23 novembre 2001, Gaz. Pal. 4 au 6 mai 2003, p.20). La Convention européenne des droits de l'homme ne reconnaît pas la liberté des funérailles en tant que telle, mais son article 8 sur la protection de la vie privée (N° Lexbase : L4798AQR) peut être utilisé pour défendre la liberté de choix du mode de sépulture, car ce choix est intimement lié à la vie privée (CE, 6 janvier 2006, n° 260307, Martinot N° Lexbase : A1813DM4, AJDA 2006, 757 et note L. Burgorgue-Larsen). Le Conseil d'Etat reconnaît cependant dans cet arrêt que des limites, tenant au respect des usages et à la protection de la santé publique, peuvent être mises à cette liberté.
Des menaces pèsent aujourd'hui sur la liberté des funérailles du fait d'une jurisprudence, encore minoritaire, qui reconnaît un droit de copropriété familiale inviolable et sacrée sur la dépouille humaine et les cendres. Selon cette thèse, pour prendre les décisions concernant le défunt, quand celui-ci n'a pas pris de décision expresse, il faut un accord unanime des membres de la famille ou, à défaut, l'arbitrage du juge et il n'y a pas lieu de rechercher quelle est la personne qui était la plus proche du défunt et qui est la meilleure représentante de ses volontés (A. Debet, Le cadavre et le droit au respect de la vie familiale, Cahiers du Credho, 2002, n° 8, p.153, www.credho.org ; F. melin, La crémation. A propos de quelques aspects juridiques, JCP, éd. N., 12 janvier 2001, p. 56).
B. La libre disposition des cendres
Après la crémation, les cendres sont recueillies dans une urne cinéraire qui est remise à toute personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles. Diverses possibilités s'offrent, alors, pour le sort des cendres (CGCT, art. R. 2213-39 N° Lexbase : L2165HPU). Le recours à un site cinéraire public est une première solution quand la commune en possède un. Ce site permet la dispersion des cendres, l'inhumation des urnes ou le dépôt dans un columbarium, après autorisation du maire. Un décret doit paraître pour fixer les règles selon lesquelles les emplacements dans les sites cinéraires sont accordés et repris (CGCT, art. L. 2223-18 N° Lexbase : L7917HBT). Les sites cinéraires peuvent être situés hors des cimetières et, dans ce cas, ils peuvent être gérés par un délégataire de service public. La solution de la délégation de service public peut être une heureuse alternative quand la commune éprouve des besoins d'équipements cinéraires et qu'elle n'a pas les moyens de réaliser des ouvrages dotés d'une certaine qualité architecturale. Cette solution n'est pas contraignante pour les usagers puisqu'ils disposent d'une très grande liberté quant au sort de l'urne. Une deuxième solution consiste à inhumer l'urne dans une sépulture ou à la sceller sur un monument funéraire, après autorisation du maire. Une troisième solution permet de ne pas recourir aux espaces publics et de se dispenser d'autorisations du maire ; il est possible, en effet, de déposer l'urne dans une propriété privée ou de disperser les cendres en pleine nature.
Lorsque l'urne a été déposée dans une sépulture, il est nécessaire de suivre la procédure de l'exhumation si la famille veut récupérer l'urne. L'article R. 2213-40 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L2166HPW) indique que le maire autorise l'exhumation sur demande du plus proche parent du défunt. Par analogie, et faute de texte particulier et de jurisprudence réglant la question, c'est, également, sur demande du plus proche parent que l'administration autorise le retrait de l'urne du columbarium ou d'une sépulture (il faut, de plus, l'accord du titulaire de la concession funéraire ou de la case du columbarium). La notion de "plus proche parent" est une donnée objective qui évite que l'administration puisse s'immiscer dans la vie privée des personnes. Elle n'a pas à rechercher quelle était la volonté du défunt ou quelle est la personne la plus à même d'exprimer cette volonté. Une telle recherche, fondée sur la loi du 15 novembre 1987 relative à la liberté des funérailles, ne peut être menée que par le juge judiciaire en cas de litige sur l'opération projetée. Pour empêcher que le plus proche parent procède à une exhumation ou à un retrait d'urne non souhaité par le défunt, les personnes concernées, même si elles ne font pas partie des plus proches parents, peuvent faire connaître à la commune la volonté du défunt, par exemple en lui écrivant à l'avance. Dans ce cas, la commune n'autorisera l'exhumation que sur production d'une décision de justice réglant le conflit d'ordre privé. L'article 433-21-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2026AMY) prévoit, en effet, des sanctions pour ceux qui donnent aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt. Enfin, s'il y a plusieurs personnes au même degré de parenté qui constituent les parents les plus proches, le pétitionnaire doit attester qu'aucun d'eux n'est susceptible de s'opposer à l'exhumation. Le maire ne peut pas autoriser l'exhumation si l'un s'y oppose, il doit attendre, le cas échéant, que l'autorité judiciaire se prononce. Le plus proche parent qui s'oppose à l'exhumation n'a pas besoin de faire valoir devant le maire le respect de la volonté du défunt puisque l'administration ne peut accorder l'exhumation que si tous les plus proches parents sont d'accord (CE, 9 mai 2005, n° 262977, M. Rabau N° Lexbase : A2142DI8, Publié au recueil Lebon). La cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 22 juin 2006, n° 05DA00712, Mme Janine Soury et a. N° Lexbase : A7584DQX, Mentionné aux tables Lebon) a rajouté une condition supplémentaire à l'octroi de l'autorisation d'exhumation. Il faut que le plus proche parent qui demande l'exhumation atteste sur l'honneur que le défunt n'a pas exprimé une volonté qui s'opposerait à cette opération.
Il est vraisemblable que les attestations concernant la position des plus proches parents et la volonté du défunt devront, également, être produites pour la demande de crémation de restes exhumés prévue à l'article R. 2213-37 du CGCT (N° Lexbase : L2163HPS). Toute cette procédure peut sembler un peu lourde, mais la France a, pourtant, un régime plus libéral que la plupart des autres pays européens. La Cour européenne a, d'ailleurs, tenu compte des régimes restrictifs des autres pays et a décidé de laisser aux Etats une grande marge d'appréciation quand ils mettent en balance l'intérêt d'un particulier au transfert d'une dépouille ou de cendres et celui de la société au respect du caractère sacré de la tombe (CEDH, 17 janvier 2006, req. 61564/00, Elli Poluhas Dösdo c/Suède N° Lexbase : A3720DMQ). Dans l'affaire tranchée par la Cour, une veuve, qui était partie vivre auprès de ses enfants, voulait récupérer l'urne de son mari qui était inhumée dans la commune où ils vivaient autrefois pour la transférer dans la concession familiale où elle désirait que ses propres cendres soient un jour déposées. L'administration suédoise n'a pas fait droit à sa demande et la Cour n'a pas condamné cette dernière. Elle a estimé qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR) car, même s'il y a eu ingérence dans la vie privée ou familiale de la requérante, les autorités suédoises pouvaient légitimement considérer que le refus de transfert de l'urne était nécessaire pour la défense de l'ordre, la protection de la morale et/ou des droits d'autrui. La solution est regrettable car le couple vivait en bonne intelligence et les juges auraient dû comprendre que la volonté du défunt, que la Cour cherche à respecter, n'était pas de s'opposer au désir de son conjoint survivant de pouvoir continuer à se recueillir auprès de ses restes et que son choix du lieu de sa sépulture, fait plusieurs décennies auparavant, dans l'ignorance des contingences futures, n'était vraisemblablement gouverné que par des considérations pratiques et non par un attachement particulier à sa ville de domicile. Cet arrêt montre qu'il ne faut guère compter sur l'aide de la Cour européenne pour combattre les lois qui restreignent les libertés en matière funéraire.
II. La réduction des libertés par le Sénat
La petite loi votée par le Sénat interdit la libre disposition des cendres et donne cinq ans aux communes pour reprendre en gestion directe les sites cinéraires dont la gestion a été donnée à un délégataire. Les explications données à de telles atteintes aux libertés sont totalement insuffisantes et relèvent de la logorrhée parlementaire.
A. Le verbiage sénatorial
La proposition votée par le Sénat tend à modifier le Code civil. Elle crée un article 16-1-1 indiquant : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence". L'article 16-2 du Code civil (N° Lexbase : L1689AB8) est, également, complété pour que le juge puisse intervenir en cas d'atteinte illicite aux restes des personnes des personnes décédées. L'article 225-17 du Code pénal (N° Lexbase : L2070AMM) est lui aussi modifié pour que la sanction de la violation de sépulture puisse s'appliquer pour l'urne cinéraire. Ces dispositions manquent de clarté. On ne sait pas ce que signifie "traiter les cendres avec respect, dignité et décence", ni quelle est la différence entre chacun de ces termes. Ce flou est inquiétant car l'auteur de la proposition de loi s'est indigné que l'on puisse utiliser une partie des cendres pour faire une bague ou créer un tableau (rapport d'information n° 372 (2005-2006) de MM. Sueur et Lecerf, Bilan et perspectives de la législation funéraire. Sérénité des vivants et respect des défunts). La façon d'aimer les morts et de les honorer n'est pas, à notre époque, uniforme et le législateur devrait s'abstenir de donner au juge les moyens d'imposer ses propres conceptions.
B. La fin de la libre disposition des cendres
Le Sénat a voté un texte qui interdit le partage des cendres et la conservation de l'urne hors des cimetières et sites funéraires. C'est un obstacle mis à des pratiques courantes puisque les crémations représentent 25 % des funérailles et que 71 % des familles qui ont fait incinérer leur défunt récupèrent l'urne après la crémation. Ces propositions de réformes ont été justifiées au Sénat par le manque de respect des urnes. Il est vrai que, passée la période de deuil, les familles veulent, parfois, se débarrasser d'une urne qui se révèle encombrante et c'est ainsi que des urnes, qui ne sont pas toujours vides, sont retrouvées sur les plages, dans les décharges et autres lieux incongrus. Un tel problème ne relève pas de la loi, mais de l'information des familles et de la responsabilisation des opérateurs funéraires qui sont chargés d'une mission de service public. Un décret n° 98-447 du 2 juin 1998 (N° Lexbase : L1015HU7) avait d'ailleurs modifié le Règlement national des pompes funèbres pour obliger les opérateurs funéraires à informer les familles, mais cette disposition du Règlement national n'a pas été codifiée dans le Code général des collectivités territoriales et le décret portant Règlement national des pompes funèbres a été abrogé par le décret de codification n° 2000-318 du 7 avril 2000 (N° Lexbase : L1014HU4). Cette obligation d'information a donc disparu alors qu'elle était indispensable. Les familles ignorent, souvent, que l'on peut ouvrir l'urne et disperser ou enterrer les cendres. De plus, les opérateurs funéraires vendent souvent des urnes inadaptées à l'usage que veut en faire la famille. Très souvent, les urnes ne peuvent pas être ouvertes facilement et ne peuvent pas être brisées, elles devraient alors être réservées au scellement sur les monuments funéraires et non pas vendues sans avertissement à la famille. Dans la culture française dominante, les urnes font peur et la familiarité avec elles est exclue. C'est pourquoi les familles devraient pouvoir acheter des urnes qui, une fois vidées, peuvent être brisées puis jetées, ou des urnes qu'il est possible de brûler ou de dissoudre dans l'eau (même si les cendres elles-mêmes n'ont pas été immergées). Enfin, mieux vaut conseiller aux familles de ne pas enterrer l'urne avec les cendres car un jour il y aura trop d'urnes dans le sous-sol dont on ne saura que faire. La petite loi a raté l'occasion d'imposer l'information des familles, mais la commune peut agir en exigeant que les opérateurs funéraires délivrent une documentation sur la question. Le conseil municipal peut, en effet, arrêter un règlement municipal des pompes funèbres que doivent respecter les opérateurs funéraires (CGCT, art. L. 2223-21 N° Lexbase : L8782AAI).
Le Sénat a choisi la solution la plus radicale, qui ne correspond nullement aux voeux des français, en interdisant le partage des cendres et le dépôt de l'urne dans une propriété privée. La personne qui pourvoit aux funérailles doit, désormais, utiliser les équipements cinéraires publics ou disperser les cendres en pleine nature. Ce qui signifie, en pratique, qu'elle a le choix entre faire des dépenses pour le dépôt de l'urne ou prendre, pour les membres de la famille, un risque psychologique en dispersant les cendres. La plupart des familles ont déjà le plus grand mal à faire face aux frais très élevés des funérailles et seront obligées de subir un traumatisme psychique si la dispersion n'est pas souhaitée et que leurs faibles moyens financiers les contraignent à ce choix.
La petite loi du Sénat restreint la liberté des funérailles mais, plus grave encore, elle nuit gravement au respect dû à la loi car les dispositions interdisant le partage des cendres et le dépôt de l'urne dans une propriété privée risquent fort de ne pas être respectées.
Les dispositions votées par le Sénat portent, également, atteinte au respect de la vie privée et à ses secrets. Il est prévu qu'en cas de dispersion des cendres en pleine nature, la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles en fait la déclaration à la mairie du lieu du décès et que l'identité du défunt ainsi que la date et le lieu de dispersion de ses cendres sont inscrits sur un registre. Ces règles n'ont aucune utilité et n'empêchent nullement les déclarations mensongères. Surtout elles ne respectent pas la vie privée qui est protégée, tant par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, que par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (N° Lexbase : L1366A9H) auquel est rattaché le droit au respect de la vie privée (Cons. const., 23 juillet 1999, n° 99-416 DC N° Lexbase : A8782ACA). Une autre idée de la petite loi peut être contestée au regard de la protection de la vie privée. Il est prévu que l'espace aménagé pour la dispersion des cendres dans les sites cinéraires est doté d'un équipement mentionnant l'identité des défunts. L'accord pour cet affichage de la personne qui pourvoit aux funérailles n'est nullement exigé et c'est une atteinte au secret de la vie privée qui peut être d'autant plus gênante que diverses religions prohibent la pratique de la crémation.
La liberté religieuse est elle aussi malmenée car la proposition de loi interdit la conservation privée des urnes et sanctionne pénalement le fait d'utiliser ou de gérer, à titre onéreux ou gratuit, tout lieu collectif destiné au dépôt des urnes. Une telle contrainte prohibe les pratiques de certains courants bouddhistes et cela peut conduire au constat de la violation de l'article 9 de la CEDH sur la liberté religieuse (N° Lexbase : L4799AQS). La Cour européenne a déjà décidé que la manière d'enterrer les morts et d'aménager les cimetières pouvaient représenter un élément essentiel de la pratique religieuse (CEDH, décision du 10 juillet 2001, req. 41754/98, Johannische Kirche et Peters c/Allemagne).
C. L'atteinte à la liberté contractuelle
Le texte voté par le Sénat oblige les communes, et certains établissements publics de coopération intercommunale, de plus de 10 000 habitants à disposer d'un site cinéraire dans leurs cimetières. D'autre part, la délégation d'un site cinéraire n'est possible que s'il est contigu d'un crématorium. La proposition de loi prévoit, aussi, que les communes qui, en vertu des textes en vigueur, ont délégué un site cinéraire hors des cimetières et des crématoriums ont cinq ans pour en assurer la gestion directe. Elle exige, donc, la fin anticipée de certains contrats de délégation de service public en cours et malmène, ainsi, la liberté contractuelle. Cette disposition semble inconstitutionnelle car le Conseil constitutionnel exige que l'atteinte portée aux contrats légalement conclus soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sauf à ce que soient méconnues les exigences résultant des articles 4 (N° Lexbase : L1368A9K) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (Cons. const., 13 janvier 2003, n° 2002-465 DC N° Lexbase : A6295A4W). Les impératifs de liberté et de sécurité juridique interdisent, donc, au législateur la modification inutile des contrats en cours telle qu'envisagée par le Sénat dans sa petite loi. Cette intervention du législateur sur la durée des contrats est, également, constitutive d'un non-respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.
Marie-Thérèse Viel
Maître de conférences à l'université Montesquieu-Bordeaux IV
Auteur de Droit funéraire et gestion des cimetières, Berger-Levrault 1999
Ancien membre du Conseil national des opérations funéraires
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : CE Contentieux, 13 décembre 2006, n° 287845, Mme Lacroix N° Lexbase : A8911DST
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Le 07 Octobre 2010
Le Conseil d'Etat fait droit aux prétentions de la requérante, mais pas au titre du nouveau principe de sécurité juridique, comme on aurait pu s'y attendre, mais plutôt au titre du principe classique d'applicabilité immédiate des nouvelles normes. Il conviendra de traiter, en première partie, de cette application classique du principe d'applicabilité immédiate de nouvelles normes (I) pour voir, en seconde partie, l'application limitée du nouveau principe de sécurité juridique (II).
I. Une application classique du principe d'applicabilité immédiate de nouvelles normes
A. Une application immédiate dans le respect du principe de non-rétroactivité
L'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes, puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante.
Les nouvelles normes qui ont été édictées ont, en ce sens, vocation à s'appliquer immédiatement dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. De même que "la loi ne dispose que pour l'avenir [et] n'a point d'effet rétroactif" (C. civ., art. 2 N° Lexbase : L2227AB4), l'acte administratif ne saurait régir des situations constituées antérieurement à son entrée en vigueur, sous peine d'être entaché de rétroactivité. Cette règle a été érigée en principe général de droit qui s'impose aux autorités administratives (1) et aux administrés, lesquels ne peuvent utilement réclamer l'application d'une décision rétroactive (2).
Mais, s'il interdit d'appliquer des mesures nouvelles à des situations passées, le principe de non-rétroactivité ne fait pas obstacle à l'application immédiate des règlements (3). La difficulté est qu'il arrive souvent que des situations présentes tiennent leur origine du passé, il faut alors se poser la question de savoir si l'application immédiate, dans ce cas, ne comporte pas d'effet rétroactif.
Tel est le cas, en l'espèce, où est en cause une procédure de radiation de la liste des commissaires aux comptes de la cour d'appel de Paris, dont les facteurs déclencheurs ont plus ou moins été modifiés par les nouvelles dispositions réglementaires, en l'occurrence le non-paiement de cotisations professionnelles au titre, non plus de deux années consécutives, mais de la seule année écoulée. Qu'advient-il des procédures déjà mises en oeuvre ?
B. Une application immédiate à une activité commencée dans le passé
Lorsque des situations présentes tiennent leur origine du passé, il faut distinguer deux cas de figure. Si la situation présente a été définitivement constituée dans le passé, l'application de mesures nouvelles relatives à la constitution même de cette activité ne constituerait pas une application immédiate, mais comporterait rétroactivité (4). Si la nouvelle réglementation se rapporte, non pas à la constitution d'une situation, mais à sa prolongation, il importe peu que cette activité ait pu commencer dans le passé, les mesures relatives à sa continuation ont tout lieu de s'appliquer à elle sans qu'il y ait pour autant rétroactivité. Ainsi, un décret est applicable aux demandes formulées avant son entrée en vigueur, dès lors que la décision qui en résulte est née postérieurement à cette date (5).
En l'espèce, le Conseil d'Etat reprend cette argumentation et rappelle que la régularité d'une décision administrative s'apprécie en fonction des dispositions applicables à la date à laquelle celle-ci intervient. Même si des actes de procédure ont été régulièrement accomplis, ils doivent être repris en cas de changement des dispositions de fond ou de forme. Il en irait autrement si des dispositions expresses prévoyaient qu'il n' y avait pas lieu de réitérer de tels actes. En l'absence de ces dispositions expresses contraires, la nouvelle règle de procédure en cause, en l'occurrence la prise en compte par le Haut conseil des commissaires aux comptes de la possibilité de convoquer l'intéressée pour procéder à son audition, le cas échéant, en présence d'un conseil, était applicable immédiatement.
II. Une application limitée du nouveau principe de sécurité juridique
A. Un rappel à la reconnaissance du nouveau principe
Le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles.
Pour autant, si la sécurité juridique fait partie des principes élémentaires qui régissent le droit, lequel, nécessairement, a pour finalité la stabilisation des situations à un moment donné, elle reste néanmoins absente des textes et ne figurait ni dans notre droit administratif jusqu'à une date récente, ni dans notre corpus constitutionnel.
Elle ne fait l'objet d'aucune mention en droit constitutionnel (ni la Déclaration des droits de l'homme, ni les préambules, ni la Constitution ne la mentionne). En revanche, si le Conseil constitutionnel n'a jamais expressément consacré cette exigence de sécurité juridique, il n'en reste pas moins qu'il la met régulièrement en oeuvre au travers de ses exigences dérivées, à savoir, principalement, le principe de clarté de la loi, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ou le principe de liberté contractuelle. La sécurité juridique semble, ainsi, matériellement constitutionnalisée, à défaut de l'être formellement.
De même, le fait que le juge administratif ne se référait pas à ce principe ne signifiait pas qu'il n'y prêtait aucune attention. Bien au contraire, de nombreuses constructions jurisprudentielles reposaient sur des exigences de sécurité juridique (règles sur le retrait, sur la non-rétroactivité des actes administratifs, application du principe en tant que juge communautaire...). Aujourd'hui, le pas a, toutefois, été franchi par le Conseil d'Etat dans la décision du 24 mars 2006 (6) qui donne, enfin, son plein effet au principe de sécurité juridique. Le juge administratif ne se contente pas de poser la solution, il en fait directement une application positive.
Le Conseil d'Etat y pose, au nom de la sécurité juridique, le principe selon lequel il incombe au pouvoir réglementaire de prévoir les mesures transitoires rendues nécessaires pour l'application d'une réglementation nouvelle et annule, pour ce motif, le décret en cause. L'affirmation ainsi consacrée par la jurisprudence est riche de potentialités, non seulement, elle peut connaître, outre les mesures transitoires, de multiples autres applications concrètes (clarté de la règle applicable, respect de la liberté contractuelle...), mais c'est en fonction de la contrainte concrètement imposée au pouvoir réglementaire que l'on pourra apprécier le succès de la notion et, notamment, quant à savoir dans quels cas les mesures transitoires sont-elles indispensables, l'arrêt d'espèce permettant, en partie, de répondre à cette question.
B. Une confirmation de la reconnaissance non extensive du nouveau principe
L'exigence de dispositions transitoires permet, aujourd'hui, au Conseil d'Etat de donner une réponse graduée au désordre normatif. Cette réponse permet, ainsi, d'abord, de sortir du choix classique entre rétroactivité illégale et application immédiate, mais il faut aussi tenir compte du lien existant entre la nature du dispositif en cause et le moment de son entrée en vigueur. Un dispositif pénalisant ou renforçant une prohibition, ce qui est le cas avec l'arrêt "KPMG", se prête, dans l'intérêt du justiciable, à la solution dégagée par le Conseil d'Etat. En revanche, elle perd sa justification lorsque le dispositif en cause améliore une situation ou a été créateur de droits, ce qui est le cas dans l'arrêt commenté.
Le juge administratif a bien précisé que, si la sécurité juridique peut, maintenant, être directement invoquée par les requérants à travers l'obligation de mesures transitoires, il en va ainsi, simplement, lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Lorsqu'il n'y a pas d'atteintes excessives, il n'y a pas d'obligation de mesures transitoires. En l'espèce, le Conseil d'Etat a jugé que l'atteinte n'était pas excessive, qu'il n'était pas nécessaire d'établir des dispositions transitoires compte tenu de la date à laquelle la règle avait été édictée. Ne s'appliquant pas aux situations déjà constituées sous l'empire d'anciennes règles, la nouvelle règle, qui s'appliquait aux cotisations dues au titre de l'année 2005 et qui était édictée le 27 mai, laissait aux personnes concernées un temps suffisant pour s'acquitter de leurs obligations. Dans ces conditions, la nouvelle règle de procédure en cause ne nécessitait aucune mesure transitoire.
Aussi, si la Haute juridiction administrative avait ouvert la voie ainsi déjà tracée par le Conseil constitutionnel, en se plaçant en censeur de la complexité de la "norme" et en se proposant, désormais, d'annuler les textes de niveau réglementaire qui ne respecteraient pas l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité, elle s'en garde bien d'en faire une application extensive et laisse à prévoir que les cas de censure, au titre du principe de sécurité juridique, demeureront exceptionnels, même s'il ne faudra pas exclure, dans certaines hypothèses, des annulations. Le juge met un frein aux validations juridictionnelles, tout en incitant à la réflexion sur la légitimité de l'extension des pouvoirs du juge du fait de la diversité des applications possibles de la sécurité juridique, notamment, par rapport aux autorités investies du pouvoir normatif.
Christophe De Bernardinis
Maître de conférences à l'université de Metz
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