Lexbase Droit privé n°536 du 18 juillet 2013 : Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (mars à juillet 2013) (première partie)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie de droit médical

le 18 Juillet 2013

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver, cette semaine, la première partie du panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", traitant de l'actualité de mars à juillet 2013. Cette première partie est consacrée à la jurisprudence rendue, en première lieu, en matière de faute médicale, et en second lieu, en matière d'infections nosocomiales. La seconde partie de ce panorama, consacrée aux produits de santé, sera publiée dans la revue Lexbase Hebdo n° 537 du 25 juillet 2013. 1. Faute médicale

1.1. Technique médicale

  • Respect des règles de l'art et absence de faute médicale (Cass. civ. 1, 24 avril 2013, n° 12-17.975, F-D N° Lexbase : A6736KCH)

Intérêt. Cette décision fournit une excellente illustration des critères mobilisés pour caractériser la faute médicale qui doit s'apprécier en fonction du comportement normalement exigible d'un praticien de même spécialité (1).

L'affaire. L'action en responsabilité civile avait été engagée par un patient qui souffrait d'incontinence urinaire après une adénomectomie prostatique, mais n'avait pas abouti.

C'est cet arrêt qui se trouve confirmé par le rejet du pourvoi.

Les éléments qui ont conduit la cour d'appel à écarter toute faute médicale sont ici repris par la Cour de cassation, et proviennent d'ailleurs directement du rapport d'expertise : l'intervention avait été menée suivant une technique éprouvée avec les précautions habituellement recommandées ; aucune erreur, imprudence, manque de précaution, négligence ou toute autre défaillance n'avait été commise ; aucun geste maladroit qui aurait pu provoquer l'incontinence urinaire ou la lésion d'un organe ou d'un tissu qui n'aurait pas dû être endommagé au cours de l'adénomectomie n'avait été établi.

On ajoutera ici que le risque d'incontinence urinaire, dans ce genre d'opération, est inhérent à la technique utilisée et apparaît comme une suite malheureusement normalement prévisible de l'acte, compte tenu de l'état du patient, de telle sorte qu'il ne pourrait pas être qualifié d'aléa thérapeutique ouvrant droit à réparation (2).

Seul un défaut d'information sur l'existence du risque pourrait être invoqué, mais le demandeur n'ayant pas formulé de demande en ce sens devant les juges du fond, le moyen tiré de cette violation était irrecevable dans le cadre du pourvoi en cassation, car mélangé de fait.

  • Faute médicale et champs de compétences

- L'obligation de tout médecin de donner à son patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science emporte, lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou au traitement de ce patient, l'obligation pour chacun d'eux, d'assurer un suivi de ses prescriptions afin d'assumer ses responsabilités personnelles au regard de ses compétences (Cass. civ. 1, 16 mai 2013, n° 12-21.338, FS-P+B+I N° Lexbase : A5198KDU, JCP éd. G, 2013, n° 27, note P. Sargos)

Contexte. Il est souvent plus compliqué d'agir à plusieurs que de maîtriser seul l'ensemble des paramètres d'une intervention. Ce constat, qui vaut pour beaucoup d'actions menées conjointement, se vérifie malheureusement également en matière médicale où le travail en équipe, pourtant nécessaire pour additionner les compétences de différents spécialistes (3), peut provoquer des conflits négatifs de compétence, chacun se reposant sur le travail de l'autre sans se montrer suffisamment vigilant sur les suites de ses propres actes, comme l'illustre malheureusement cette décision.

L'affaire. A la suite d'un accouchement, une patiente était décédée d'une phlébite cérébrale que le gynécologue obstétricien n'avait diagnostiquée qu'avec retard.

Ce dernier avait été condamné en appel en raison d'un retard fautif de diagnostic, de la perte de chance de guérir sans séquelles, alors que l'anesthésiste avait été mis hors de cause.

L'arrêt avait été cassé, la Haute juridiction reprochant à la juridiction d'appel d'avoir ainsi écarté sa responsabilité "sans préciser quel rôle [il] avait joué [...] dans les suites de l'accouchement, quand les [demandeurs] faisaient valoir qu'il avait lui-même pris en charge la patiente à laquelle il avait prescrit un traitement pour céphalées le lendemain de l'accouchement et qu'il lui incombait d'en assurer le suivi" (4).

Sur renvoi, la cour d'appel de Dijon avait écarté la responsabilité de l'anesthésiste après avoir relevé que le préjudice subi était une suite de l'accouchement et non de l'anesthésie, et que c'était le gynécologue qui assurait le suivi de la patiente après l'accouchement.

Cette décision est de nouveau cassée dans la mesure où la cour d'appel avait par ailleurs relevé que l'anesthésiste avait été appelé au chevet de la patiente en raison de la survenance de céphalées et qu'il lui avait prescrit un neuroleptique pour les soulager, de sorte qu'il lui incombait de s'informer de l'effet de ce traitement, notamment aux fins de déterminer, en collaboration avec le gynécologue obstétricien, si ces troubles étaient en lien avec l'anesthésie ou avec l'accouchement, ce qui aurait pu permettre un diagnostic plus précoce.

Une solution justifiée. Cette solution est parfaitement justifiée dans la mesure où chaque spécialiste doit, dans le champ de ses compétences, assurer le suivi de ses actes médicaux et répondre des conséquences de ses fautes (5). La règle, qui vaut pour tout professionnel intervenant en équipe, vaut également en matière médicale ; elle repose d'ailleurs sur les dispositions du Code de la déontologie médicale au titre de l'obligation de continuité des soins (6). Le grief tiré d'un défaut de surveillance est d'ailleurs classique dans la mesure où le médecin doit assurer le suivi de son patient pendant (7) et après l'opération (8).

La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion d'affirmer ce principe s'agissant de l'obligation de surveillance de l'obstétricien qui n'efface pas les propres obligations professionnelles des sages-femmes (9).

  • Précision du geste chirurgical

- L'atteinte, par un chirurgien, à un organe ou une partie du corps du patient que son intervention n'impliquait pas, est fautive, en l'absence de preuve, qui lui incombe, d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou de la survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relèverait de l'aléa thérapeutique (Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-13.900 F-D N° Lexbase : A5977KAM).

Contexte. Cette décision confirme une jurisprudence bien établie qui retient la responsabilité civile du chirurgien qui lèse un organe étranger à l'opération, dès lors que cette lésion ne constitue pas un risque inhérent à la technique utilisée (10) ou qu'elle ne résulte pas d'une anomalie morphologique propre au patient et normalement imprévisible, compte tenu des examens préopératoires habituellement pratiqués pour l'acte envisagé (11).

L'affaire. Il s'agissait ici d'une lipoaspiration pratiquée le 23 mars 2006 au cours de laquelle la patiente avait été victime d'une perforation accidentelle de l'intestin grêle. Sortie le jour même, l'intéressée, qui souffrait de douleurs abdominales, avait fait appel à son médecin généraliste qui ne l'a faite hospitaliser que trois jours plus tard. Elle devait malheureusement décéder peu de temps après en dépit d'une intervention en urgence.

Ses ayants droit avaient été déboutés de leur action en réparation au motif que le chirurgien ayant réalisé l'acte n'avait pas commis de faute et que le décès trouvait essentiellement sa cause dans le retard de diagnostic de perforation de l'intestin, imputable au médecin généraliste.

L'arrêt d'appel est cassé au visa des articles 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG) et L. 1142-1, I du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH). Pour la Haute juridiction, en effet, l'intestin grêle ayant été perforé lors d'une intervention consistant en l'exérèse de tissu graisseux, la Cour ne pouvait écarter la responsabilité civile du chirurgien "sans caractériser en quoi le chirurgien aurait fait la preuve de ce que la hernie ombilicale constituait une anomalie indécelable, rendant l'atteinte inévitable ou de ce que le risque de perforation et la contamination bactérienne subséquente, dont elle relevait, au demeurant, que, selon les experts, il s'agissait de la complication la plus grave de cette intervention, n'aurait pas été maîtrisable".

Intérêt. Au-delà de la confirmation d'une solution constante depuis 13 ans, l'arrêt est important car les faits relevaient temporellement de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, dite loi "Kouchner" (N° Lexbase : L1457AXA), comme le rappelle d'ailleurs le visa de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique. Or, on sait qu'en permettant, pour les dommages les plus graves, l'indemnisation des victimes d'aléas thérapeutiques par l'ONIAM, la loi "Kouchner" a atténué la pression indemnitaire qui pesait auparavant sur le juge lorsque la caractérisation d'une faute médicale, même purement virtuelle, était le seul moyen d'indemniser la victime. On pouvait donc se demander si cette jurisprudence, initiée avant la loi de 2002, allait perdurer dans le contexte de la réforme (12).

Cet arrêt, qui n'a pas par ailleurs les honneurs du Bulletin, montre que la Cour de cassation n'envisage absolument pas son abandon, puisqu'elle maintient la solution ici, qui plus est dans un arrêt de cassation, et que ce maintien lui semble tellement naturel qu'elle n'a même pas imaginé lui donner une plus large publicité. Voilà qui devrait ravir l'ONIAM qui trouve ici un allié de poids pour échapper à toute condamnation, dans ce genre de circonstances.

  • Perte de chance d'avoir pu éviter les séquelles d'une opération après un diagnostic fautif (Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-17.631, F-D N° Lexbase : A0777KCR)

Intérêt. Cette décision montre à quel point la perte de chance doit être retenue lorsque la faute médicale n'apparaît pas comme la cause certainement exclusive du dommage qui s'est réalisé.

L'affaire. Un patient avait consulté son médecin généraliste pour des douleurs lombaires les 2 et 6 août 2004, et ce dernier lui avait prescrit des anti-inflammatoires. Ces douleurs s'étant aggravées, il a consulté un spécialiste le 9 août qui a diagnostiqué une hernie discale, l'a adressé en urgence au CHU d'Angers où il a été opéré le jour même. Il a malheureusement conservé des séquelles dues à une affection neurologique dite syndrome de la queue de cheval.

La victime a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (aujourd'hui CCI) des Pays de Loire qui a retenu à la charge du médecin une faute dans le diagnostic ayant fait perdre à la victime une chance de récupération des troubles sensitifs grâce à un traitement plus précoce. La victime ayant refusé l'offre réalisée par l'assureur qui lui proposait l'indemnisation d'une perte de chance de 33%, elle a assigné ce même assureur devant le juge judiciaire et a obtenu en appel la réparation intégrale du préjudice final.

La cassation. C'est cet arrêt qui est cassé dans la mesure où la cour d'appel avait établi, par ailleurs, que le dommage aurait pu se réaliser, même si aucune faute de diagnostic n'avait été commise, ce qui interdisait de considérer de retenir la responsabilité pleine et entière du généraliste et imposait au contraire le recours à la perte de chance, puisqu'il n'était certain que la faute commise avait été la cause exclusive du dommage (13).

1.2. Obligation d'information médicale

Intérêt. Ces décisions confirment le rôle de la perte de chance lorsque le défaut d'information a déterminé le consentement de la victime, et qu'en l'absence de lien direct et exclusif l'indemnisation due à la victime ne peut qu'être calculée sur une fraction du dommage final (14).

Première affaire (pourvoi n° 12-14.813). Un patient, opéré de la cataracte et d'un glaucome de l'oeil gauche, avait dû être réopéré trois mois plus tard.

La cour d'appel avait condamné ce praticien, en raison d'un défaut d'information sur le risque de ré opération, à réparer l'ensemble des préjudices consécutifs à celle-ci. Après avoir relevé que "lorsque le défaut d'information sur les risques d'une intervention chirurgicale a fait perdre au patient une chance d'éviter le dommage résultant de la réalisation d'un de ces risques, en refusant définitivement ou temporairement l'intervention projetée, l'indemnité qui lui est due doit être déterminée en fonction de son état et de toutes les conséquences qui en découlent pour lui et correspondre à une fraction, souverainement évaluée, de son dommage", la Cour de cassation casse, au visa de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5232IEI), et considère qu'il appartenait à la juridiction d'appel "de déterminer la fraction de l'indemnité devant être mise à la charge" du praticien.

Seconde affaire (pourvoi n° 12-19.195). Tout en retenant la perte de chance, la cour d'appel s'était ici contentée d'affirmer qu'en raison de l'âge de la victime (38 ans), il lui sera alloué la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice sexuel, que son préjudice lié à la douleur évalué par les experts à 1 sur 7 justifie l'allocation d'une somme de 3 000 euros, qu'il subit une atteinte à son intégrité physique qui touche à son intimité qui justifie qu'il lui soit alloué la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, enfin que l'épouse de M. Y subit elle aussi un préjudice sexuel et moral qui justifie la somme forfaitaire de 20 000 euros.

Cette décision est cassée car les juges d'appel n'avaient pas précisé quelle était la fraction des préjudices correspondant à la perte de chance ainsi réparée.

1.3. Organisation

  • Absence de faute de surveillance commise par un hôpital privé psychiatrique (Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-21.194, FS-P+B+I N° Lexbase : A3724KEN)

Contexte. L'examen de la jurisprudence montre malheureusement la fréquence de suicides de patients hospitalisés dans des établissements psychiatriques, les familles des victimes cherchant alors à établir des fautes commises dans le diagnostic de pathologies mentales souvent complexes (15), ou des manquements à l'obligation de surveillance des patients qui sont passés à l'acte (16).

L'affaire. Un patient s'était ici suicidé lors d'un séjour volontaire dans l'unité psychiatrique d'un hôpital privé à l'aide de médicaments dont il avait fait l'acquisition lors d'une sortie "non autorisée". Sa famille se fondait sur l'absence de "protocolisation" de cette sortie pour caractériser la faute de surveillance de l'établissement. La cour d'appel avait mis l'établissement hors de cause après avoir rappelé qu'hospitalisé de sa propre volonté, l'intéressé était libre d'aller et venir, comme bon lui semblait, de telle sorte qu'il ne pouvait être reproché à l'hôpital de n'avoir pas "surveillé" cette sortie, ce que confirme la Cour de cassation. A défaut d'autres éléments, la faute de surveillance ne pouvait donc être déduite de cette seule circonstance (17).

2. Infections nosocomiales

  • Absence de caractère nosocomial de l'infection (CE, 4° et 5° s-s-r., 20 mars 2013, n° 350778, inédit N° Lexbase : A8564KAG)

L'affaire. C'est ici le rapport d'expertise qui avait établi que, compte tenu de la nature du germe en cause, le délai entre l'opération et les premiers signes de l'infection écartait l'hypothèse d'une infection contractée lors des soins.

  • Obligation de motiver la mise à l'écart de la perte de chance au profit de l'indemnisation intégrale de l'ensemble des préjudices consécutifs à l'infection (CE, 5° s-s., 15 mai 2013, n° 348818, inédit N° Lexbase : A5356KDQ)
  • Nécessité de prouver que les germes pathogènes n'étaient pas ceux dont le patient était porteur lors de son admission et pour lesquels il a été traité (CE, 5° et 4° s-s-r., 21 juin 2013, n° 347450, Publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2090KHU)

L'affaire. Les juges du fond s'étaient contentés ici d'affirmer que les suites opératoires avaient été compliquées par une multi-infection résultant, selon l'expert, de la dissémination de nombreuses colonies microbiennes. L'arrêt est cassé et le Conseil d'Etat leur reproche de n'avoir pas cherché "si les complications survenues étaient soit consécutives au développement de l'infection préexistante, soit distinctes et liées à une nouvelle infection survenue au cours des soins prodigués".

  • Infection nosocomiale et faute d'asepsie

- La présence, dans l'organisme d'un patient, d'un germe habituellement retrouvé dans les infections nosocomiales, si elle était de nature à faire retenir la responsabilité de la clinique, tenue à son égard d'une obligation de résultat dont elle ne pouvait s'exonérer que par une cause étrangère, ne constitue pas à elle seule la preuve de ce que les mesures d'asepsie qui lui incombaient n'avaient pas été prises (Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-14.219, F-P+B+I N° Lexbase : A9959KBH)

Contexte. Les infections contractées en hôpital privé avant le 5 septembre 2001 relèvent du régime de l'obligation de sécurité de résultat qui pèse tant sur le praticien exerçant en libéral que sur l'établissement, les deux pouvant d'ailleurs être condamnés in solidum (18). Lorsque c'est le cas, le recours entre les coresponsables se fait par part égales, puisque tous deux responsables sans faute prouvée, à moins que l'un des deux ne démontre que l'autre a commis une faute, auquel cas c'est le fautif qui supporte seul le poids final de la réparation. Mais la preuve de l'origine de l'infection, qui suffit à établir le manquement à l'obligation de sécurité de résultat, suffit-elle à établir, au stade du recours, que le responsable a commis une faute ?

Jusqu'à présent, la question ne s'était guère posée que dans le cadre voisin du recours de l'EFS contre l'assureur du véhicule, responsable indirect de la contamination, et avait donné lieu à une réponse absurde sur un plan technique puisque considéré comme un responsable sans faute vis-à-vis des victimes, l'EFS était traité comme un responsable fautif au stade du recours, et ce pour limiter celui-ci à la seule hypothèse d'une faute commise par le conducteur du véhicule à l'origine de l'accident ayant rendu nécessaire l'opération puis la transfusion au cours de laquelle la victime avait été contaminée (19).

Or, ici, la Cour de cassation retient une autre solution, cette fois-ci parfaitement justifiée sur un plan technique.

Les faits. Un patient, victime d'une infection nosocomiale contractée en 1997 lors d'une opération réalisée par un chirurgien intervenant en libéral dans les locaux mis à disposition par une clinique dans laquelle il exerçait, avait obtenu la condamnation du praticien qui avait appelé en garantie la clinique, également condamnée in solidum. Pour justifier le recours, les juges du fond avaient considéré qu'il ressortait du rapport amiable d'un expert que l'un des deux germes, identifiés comme étant à l'origine de l'infection, était nosocomial, que la clinique ne produisait aucun élément médical contraire, que la présence de ce germe relevait de sa responsabilité dès lors qu'un établissement de soins doit prendre toutes les mesures propres à éviter les infections et qu'en conséquence, il y avait lieu de retenir une faute de la clinique.

Cet arrêt est cassé, au visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT). Après avoir rappelé, dans un attendu de principe, la règle classique selon laquelle "lorsqu'une faute ne peut être établie à l'encontre d'aucune des personnes responsables d'un même dommage, la contribution à la dette se fait entre elles à parts égales", la première chambre civile de la Cour de cassation considère que si la présence dans l'organisme du patient d'un germe habituellement retrouvé dans les infections nosocomiales, est de nature à faire retenir la responsabilité de la clinique, tenue d'une obligation de résultat dont elle ne peut s'exonérer que par une cause étrangère, elle ne constitue "pas à elle seule la preuve de ce que les mesures d'asepsie qui lui incombaient n'avaient pas été prises".

Une solution justifiée. La solution est pleinement justifiée. Si, dans les rapports entre victimes et responsables, on peut admettre que le juge prenne quelques libertés avec la rigueur juridique pour forcer la qualification de faute, en quelque sorte "pour la bonne cause", dans les rapports entre coauteurs cette nécessité n'existe plus, chacun étant d'ailleurs assuré pour garantir ses propres risques. Le fait d'avoir été à l'origine de l'infection ne signifie donc pas avoir commis une faute, sauf à retenir de la faute une conception purement virtuelle qui ne se justifie pas ici.

Actualité de la solution. La solution, dégagée sous l'empire du droit d'avant 2002, est également pertinente dans le cadre de l'application de l'article L. 1142-17, alinéa 7, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4429DLM). On sait, en effet, qu'en vertu de ce texte l'ONIAM, qui doit indemniser la victime décédée ou présentant un taux d'APIPP supérieur à 25 %, peut exercer un recours contre l'établissement au sein duquel l'infection a été contractée, sous réserve qu'il ait commis une faute, "notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales". Cette faute devra donc être également caractérisée par d'autres éléments que la preuve de la contamination nosocomiale.

  • Infection nosocomiale et obligations de l'ONIAM

- Lorsque le taux d'APIPP est supérieur à 25 % seul l'ONIAM peut être condamné (Cass. civ. 1, 19 juin 2013, n° 12-20.433, FS-P+B N° Lexbase : A1988KH4)

Cadre juridique. La loi du 4 mars 2002 n'avait pas prévu de régime particulier en cas d'infections nosocomiales et l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique s'appliquait normalement : les professionnels libéraux avaient gagné dans la réforme le retour de la nécessité de prouver leur faute, alors que les établissements demeuraient, comme c'était le cas dans la jurisprudence du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation, responsables sans faute. En l'absence de responsable désigné (absence de faute des praticiens, force majeure pour les établissements et les praticiens), l'ONIAM devait indemniser la victime dans les conditions définies par l'article L. 1142-1, II.

La loi "About" du 30 décembre 2002 a voulu diminuer le risque pesant sur les établissements, et leurs assureurs, en prévoyant que désormais ce serait l'ONIAM qui indemniserait directement les victimes les plus graves (20), un recours contre l'assureur de l'établissement demeurant possible en cas de faute commise par ce dernier, notamment dans le respect des règles de prévention des infections (C. santé publ., art. L. 1142-17).

C'est pour avoir ignoré cette architecture que la cour d'appel de Douai se fait ici logiquement censurer.

L'affaire. Un patient avait contracté une infection nosocomiale lors d'une intervention réalisée le 12 mars 2003, et avait dû subir l'amputation d'un membre inférieur et une incapacité permanente partielle de 45%.

En appel, l'ONIAM avait été mis hors de cause après que les juges eurent retenu que le seul fait qu'il y ait eu contamination au sein de la clinique suffit à engager la responsabilité de cette dernière de plein droit dès lors qu'elle ne rapporte pas la preuve d'une cause étrangère telle que prévue à l'alinéa 2 de l'article L. 1142-1, I du Code de la santé publique, que l'obligation légale de l'ONIAM, qui est subsidiaire, ne saurait de ce fait être mise en oeuvre et que le seuil de 25 % n'est applicable que dans le cas où la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé n'est pas engagée.

L'arrêt est cassé, au visa des articles L. 1142-1, I, alinéa 2, et L. 1142-1-1 (N° Lexbase : L1859IEL) du Code de la santé publique.

Une cassation justifiée. La cassation est pleinement justifiée et on ne comprend d'ailleurs pas comment la juridiction d'appel a pu se tromper à ce point sur la nature du régime d'indemnisation issu de la loi "About" qui a désigné l'ONIAM comme devant indemniser directement les victimes, et non pas subsidiairement.

La nature de ce régime avait d'ailleurs déjà été précisée lorsqu'il s'était agi de déterminer les modalités d'application dans le temps du nouvel article L. 1142-1-1, certains prétendant qu'il ne s'agirait pas d'un nouveau régime d'indemnisation mais d'un simple correctif interprétatif de l'article L. 1142-1. On sait que la Cour de cassation a logiquement affirmé la nouveauté du régime qui ne pouvait donc s'appliquer qu'aux infections contractées à compter du 1er janvier 2003, et les différences qui l'opposent au régime initial (21).


(1) Dernièrement, s'agissant d'un obstétricien dont la responsabilité avait été également écartée : Cass. civ. 1, 4 mai 2012, n° 11-17.022, F-D (N° Lexbase : A6617IKB), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale : la faute médicale (juin à septembre 2012), Lexbase Hebdo n° 503 du 24 octobre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N4127BTZ).
(2) Rappelons que l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH), subordonne le droit à indemnisation, en l'absence de responsable, au fait que les dommages apparaissent comme des "conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci".
(3) Le médecin peut d'ailleurs être condamné pour n'avoir pas su travailler en équipe : Cass. civ. 1, 25 novembre 2010, n° 09-68.631, FS-D (N° Lexbase : A7578GLA) (cassation : CA Montpellier, 1ère ch., sect. D, 11 juin 2008), cf. nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - première partie, Lexbase Hebdo n° 432 du 17 mars 2011 (N° Lexbase : N7435BRS).
(4) Cass. civ. 1, 28 avril 2011, n° 10-16.230, F-D (N° Lexbase : A5380HPX).
(5) A condition que la faute personnelle soit bien entendu établie : Cass. civ. 1, 6 janvier 2011, n° 09-66.994, F-D (N° Lexbase : A7457GNI), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - première partie, préc..
(6) C. santé publ., art. R. 4127-47, al. 1er (N° Lexbase : L8329GTN) : "Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée".
(7) S'agissant de la mise en cause du médecin anesthésiste : Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-15.540, F-D (N° Lexbase : A9465DWH).
(8) Cass. civ. 1, 3 juin 2010, n° 09-13.591, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1522EYZ), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juin 2010), Lexbase Hebdo n° 401 du 30 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N4400BPN) ; Cass. civ. 2, 6 octobre 2011, n° 10-21.212, F-D (N° Lexbase : A6137HYX) et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (juin à octobre 2011), Lexbase Hebdo n° 463 du 23 novembre 2011 - édition privée (N° Lexbase : N8879BSN).
(9) Cass. civ. 1, 9 décembre 2010, n° 09-70.356, F-D (N° Lexbase : A9161GMA) (Cassation partielle : CA Aix-en-Provence, 10ème ch., 17 juin 2009), cf. nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - première partie, préc..
(10) Elle constituerait alors un aléa thérapeutique : Cass. civ. 1, 20 janvier 2011, n° 10-17.357, F-P+B+I (N° Lexbase : A1519GQC) (cassation, jurid. prox., Tarbes, 13 octobre 2009), RCA, 2011, comm. 151, et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - seconde partie, Lexbase Hebdo n°433 du 24 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7562BRI).
(11) Pour la jurisprudence antérieure : Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 06 20.568, F D (N° Lexbase : A7684D3Y) et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (janvier à mars 2008), Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6278BEA) ; Cass. civ. 1, 18 septembre 2008, n° 07-12.170, FS-P+B (N° Lexbase : A3971EAC), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre à décembre 2008), Lexbase Hebdo n° 333 du 15 janvier 2009 (N° Lexbase : N2339BIH). Solution acquise depuis Cass. civ. 1, 23 mai 2000, n° 98-20.440 (N° Lexbase : A1673AIS).
(12) Notre étude, La réforme de la responsabilité médicale après la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Resp. civ. et assur., 2002, chron. 7.
(13) Dans le même sens du recours obligatoire à la perte de chance en l'absence de certitude sur ce qu'aurait été la situation en l'absence de faute médicale : Cass. civ. 1, 26 septembre 2012, n° 11-19.284, F-D (N° Lexbase : A6179ITZ), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale : la faute médicale (juin à septembre 2012), Lexbase Hebdo n° 503 du 25 octobre 2012 .
(14) Dernièrement Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 11-14.169, FS-D (N° Lexbase : A1472IQL) et Cass. civ. 1, 26 septembre 2012, n° 11-19.284, F-D (N° Lexbase : A6179ITZ), et nos obs in Panorama de responsabilité civile médicale : la faute médicale (juin à septembre 2012), préc..
(15) Dont le caractère fautif dépend étroitement de la difficulté technique : Cass. civ. 1, 25 juin 2009, n° 08 15.560, F D (rejet CA Aix en Provence, 10ème ch. civ., 25 mars 2008, non retenu en l'espèce), et nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (avril à juillet 2009) (troisième partie), Lexbase Hebdo n° 363 du 17 septembre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N9249BL7).
(16) Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-10.334, F-D (N° Lexbase : A0918E3E), et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (15 juin - 30 octobre 2010), Lexbase Hebdo n° 415 du 4 novembre 2010 (N° Lexbase : N4537BQ4).
(17) Sur les libertés des patients, notre Fasc. Libertés et médecine¸ Lexisnexis, Jurisclasseur Libertés, fasc. 580, 23, p. 2007.
(18) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, trois arrêts, n° 97-14.254 (N° Lexbase : A6656AHY), n° 97-15.818 (N° Lexbase : A6644AHK) et n° 97-21.903 (N° Lexbase : A7452AHH), JCP éd. G, 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos.
(19) Cass. civ. 2, 6 mars 2003, n° 01-12.652, FP-P+B+R (N° Lexbase : A3521A7K), Bull. civ. II, n° 57 ; Resp. civ. et assur. 2003, comm. 200, obs. H. Groutel ; RTDCiv., 2003, p. 310, n° 6, obs. P. Jourdain. La question ne se pose plus depuis le transfert du contentieux aux juridictions administratives réalisé en 2005 (ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, art. 15 N° Lexbase : L9067HBG).
(20) Victimes décédées ou dont le taux d'APIPP excède 25 % (C. santé publ., art. L. 1142-1-1).
(21) Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-17.605, F-P+B (N° Lexbase : A8084EAN), et nos obs., in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre à décembre 2008), Lexbase Hebdo n° 333 du 15 janvier 2009 (N° Lexbase : N2339BIH) ; Cass. civ. 1, 28 janvier 2010, n° 08-20.571, F-D (N° Lexbase : A7638EQX) et nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (février et mars 2010), Lexbase Hebdo n° 390 du 8 avril 2010 (N° Lexbase : N7306BNW).

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