Lexbase Affaires n°335 du 18 avril 2013 : Internet

[Jurisprudence] La reconnaissance implicite d'un droit voisin au profit du producteur de spectacles

Réf. : T. com. Nanterre, 13 mars 2013, aff. n° 2013R00242 (N° Lexbase : A8072KBL) et T. com. Paris, ord. référé, 20 mars 2013, aff. n° 2013001010 (N° Lexbase : A8073KBM)

Lecture: 18 min

N6719BTZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] La reconnaissance implicite d'un droit voisin au profit du producteur de spectacles. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8065916-jurisprudence-la-reconnaissance-implicite-dun-droit-voisin-au-profit-du-producteur-de-spectacles
Copier

par Antoine Casanova, avocat à la cour, Cabinet Danièle Véret

le 18 Avril 2013

L'activité consistant en la vente de billets donnant accès à des événements culturels ou sportifs a connu un fort développement ces dernières années, notamment en ligne, avec l'apparition de nombreux sites internet dédiés à cette activité. Très vite, un marché secondaire s'est développé avec pour pratique l'acquisition de billets pour des événements majeurs, dans le but de les revendre à un prix nettement supérieur. Sur ce marché secondaire la plus-value effectuée dépend directement de la pénurie de billets en circulation et donc de l'attractivité de cet événement aux yeux du public. Le législateur a eu la volonté de renforcer le dispositif légal encadrant cette activité, qui n'était régit que par une loi du 27 juin 1919, portant répression du trafic des billets de théâtre. Ainsi, la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012, tendant à faciliter l'organisation des manifestations sportives et culturelles (N° Lexbase : L3775ISM), prise à cet effet, traduit une nette la volonté du législateur de restreindre le développement du marché secondaire de la vente de billets. Cette loi a ainsi introduit dans le Code pénal un article 313-6-2 (N° Lexbase : L3838ISX), qui figure dans la section relative aux infractions voisines de l'escroquerie et qui prohibe "le fait de vendre, d'offrir à la vente ou d'exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle". Cette infraction est désormais punie d'une peine de 15 000 euros d'amende, peine pouvant être portée à 30 000 euros en cas de récidive (1). Le 13 mars 2013, le tribunal de commerce de Nanterre a rendu la première ordonnance de référé faisant application du nouvel article 313-6-2 du Code pénal, suivi de près par le tribunal de commerce de Paris qui, le 20 mars 2013, a lui aussi, rendu une ordonnance de référé fondée sur cet article.

L'affaire jugée par le tribunal de commerce de Nanterre opposait les sociétés TS3 et Nous, producteurs de plusieurs spectacles culturels, en l'occurrence des concerts, à la société Yamson Event, qui exploite un site de vente en ligne de billets d'événements culturels ou sportifs, exploité sur le nom de domaine www.ticket-concert.com.

Dans l'affaire jugée par le tribunal de commerce de Paris, la société défenderesse était la société Viagogo Inc. Cette société de droit américain exploite un site éponyme qui se présente comme une bourse d'échange de billets entre internautes, pour lequel, elle a déjà, à plusieurs reprises, été condamnée sur le fondement de la loi 27 juin 1919 (2).

Cet article 313-6-2 du Code pénal met un terme définitif au principe de licéité de la revente de billets (I). Le renversement de ce principe conduit, indirectement mais nécessairement, à la reconnaissance d'une sorte de droit voisin au profit du producteur de spectacle (II). Si un certain nombre d'interrogations demeurent quant au régime applicable à la nouvelle infraction établie par l'article 313-6-2 du Code pénal, les décisions rendues respectivement par les tribunaux de commerce de Nanterre et de Paris le 13 et le 20 mars 2013, apportent certaines précisions bienvenues (III).

I - La fin du principe de la licéité de la revente de billets donnant accès aux spectacles et aux manifestations culturelles

Si les ordonnances du 13 et 20 mars 2013 avaient eu pour fondement la loi du 27 juin 1919, il est fort probable qu'elles n'auraient pas été en faveur des producteurs de spectacles. En effet, si le législateur a eu très tôt la volonté de ne pas laisser le marché secondaire des billets de spectacles sans réglementation, les conditions d'application de la loi étaient assez restrictives. Ainsi, aux termes de l'article 1er de cette loi, n'était interdite que la revente ou la tentative de revente de billets pour des "spectacles et concerts subventionnés ou avantagés d'une façon quelconque par l'Etat, les départements ou les communes ou moyennant une prime quelconque" et à la condition que la revente (ou sa tentative) ait été effectuée pour "un prix supérieur à celui affiché dans les théâtres et concerts". Il s'agissait d'une infraction punit par une peine d'amende de 16 à 500 anciens francs. La constitution de cette infraction était donc assez restreinte, puisqu'elle nécessitait la reconnaissance préalable d'une double condition. Il fallait, premièrement, que les billets aient fait l'objet d'une revente à un prix supérieur à celui auquel ils étaient affichés aux guichets officiels du spectacle en question. Il fallait ensuite que le billet revendu concerne un spectacle subventionné ou avantagé par l'Etat, les départements ou les communes.

La jurisprudence a déjà eu l'occasion de préciser que la condition de subvention émanant d'une collectivité publique devait s'interpréter largement et n'était pas limitée aux subventions au sens strict du terme, soit la remise de fonds financiers. En effet, dans son arrêt en date du 6 novembre 2012, la cour d'appel de Rennes a rappelé que l'article 1er de la loi du 27 juin 1919 visait, outre les subventions, "une prime quelconque" (3). Dans cette affaire, qui opposait l'association Les Vieilles Charrues à la société Viagogo Inc., la cour d'appel rappelait que la loi s'appliquait, "non seulement aux manifestations soutenues par l'octroi de fonds publics mais encore à celles bénéficiant d'un avantage quel qu'il soit émanant des collectivités publiques". La cour exposait alors que "l'association intimée justifie [...] avoir bénéficié, pour l'organisation du Festival 2011, de la prise en charge par la municipalité de travaux en régie d'une valeur de 22 000 euros" et que la "collectivité locale a ainsi assumé, au profit du Festival Les Vieilles Charrues, des dépenses qui, à défaut, auraient dû être supportées par l'association organisatrice, ce qui représente un avantage incontestable". La cour avait également relevé que d'autres collectivités publiques avaient entrepris des actions en matière de transport, notamment par la mise en place de tarifs réduits, afin de faciliter l'accès du public au festival, et que "ces actions financées par les collectivités territoriales dans l'intérêt de la manifestation culturelle concernée" constituaient également des avantages au sens de l'article 1er de la loi du 27 juin 1919.

La jurisprudence semblait donc admettre une vision assez large de la "prime quelconque" visée dans la loi du 27 juin 1919 en y assimilant les avantages en nature que les collectivités publiques offrent aux organisateurs de spectacles. Malgré cette interprétation extensive de certaines notions du texte, le principe restait toute de même celui de la licéité de la revente des billets donnant accès aux spectacles. En effet, l'infraction n'était pas constituée dès lors que les spectacles n'avaient pas été subventionnés ou n'avait pas bénéficié d'un "avantage incontestable", et, concernant les spectacles subventionnés, le principe était également celui de la licéité de la revente des billets, pour peu que cette revente se fasse à un prix au maximum égal à celui affiché aux guichets officiels, c'est-à-dire, sans plus-value pour le revendeur.

Voulant endiguer le développement incontrôlé de ce marché secondaire, et conscient que compte tenu des lacunes du texte de 1919 les juridictions ne disposaient pas des outils adéquats, le législateur s'est emparé de la question. Ainsi, dans une réponse à une question parlementaire écrite, le ministère de la Culture et de la Communication constatait, en septembre 2009, que "la revente de billets de spectacle sur internet prend une dimension préoccupante". Il exposait également que "la revente de billets à des prix supérieurs à leur valeur initiale pénalise le consommateur voire l'empêche d'acheter des billets si ces derniers sont à un prix très élevés" et "lèse également les artistes, le surplus payé par le consommateur étant perçu uniquement par des intermédiaires sans reversement à l'artiste concerné" (4).

Le législateur a alors introduit dans la loi d'orientation et de programmation pour performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011, plus connue sous le nom de "LOPSSI 2" (loi n° 2011-267 N° Lexbase : L5066IPC), un article 53 visant à l'insertion d'un article L. 443-2-1 dans le Code de commerce (N° Lexbase : L3888HBM), punissant par une amende de 15 000 euros le fait "sans autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation d'une manifestation sportive, culturelle ou commerciale d'offrir, de mettre en vente ou d'exposer en vue de la vente, sur un réseau de communication au public en ligne, des billets d'entrée ou des titres d'accès à une telle manifestation pour en tirer un bénéfice". Mais, cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif que la prohibition exposée par le texte contrevenait au principe de nécessité des délits et des peines, s'agissant d'un texte pénal (5).

Le législateur a donc récidivé avec la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 et l'insertion de l'article 313-6-2 dans le Code pénal qui met fin au principe de licéité de la revente habituelle de billets donnant accès à des manifestations culturelles. L'effet de l'insertion de cet article 313-6-2 du Code pénal va même plus loin que la simple répression d'un marché parallèle : il octroie aux producteurs de manifestations culturelles et commerciales un contrôle absolu sur la distribution des billets.

II - La reconnaissance discrète, mais certaine, d'un droit voisin au profit du producteur de manifestations culturelles et commerciales

L'article 313-6-2 du Code pénal a pour effet d'interdire "le fait de vendre, d'offrir à la vente ou d'exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle".

L'infraction est désormais définie de façon beaucoup plus large, et ce, qu'elle soit comparée à l'infraction définie par l'article 1er de la loi du 27 juin 1919 ou à l'infraction envisagée par l'article 53 de la "LOPPSI 2".

En effet, premièrement, l'article 313-6-2 du Code pénal ne fait plus aucune référence au montant de la revente du billet et à son prix initial. Le texte de 1919 ne prohibait que la revente d'un billet pour un prix supérieur à sa valeur faciale initiale, et l'article 53 de la "LOPPSI 2" envisageait, quant à lui, de subordonner l'infraction à un dol spécial, à savoir la volonté de tirer un bénéfice de la revente, ce qui impliquait nécessairement une revente du billet à un prix supérieur à sa valeur initiale. Le législateur a donc préféré abandonner le critère purement objectif de la valeur faciale d'un billet, au profit d'un critère plus subjectif : l'habitude de la pratique. La référence à l'habitude de la pratique a pour effet de classer l'infraction dans la catégorie des infractions d'habitude, ce qui implique que l'élément matériel de l'infraction ait été accompli au moins deux fois (6).

En second lieu, l'infraction n'est plus limitée aux spectacles et manifestations subventionnés ou "avantagés" par une personne publique. L'article 313-6-2 du Code pénal vise désormais toute "manifestation sportive, culturelle ou commerciale" et tout "spectacle vivant". Le champ d'application est donc bien plus large qu'auparavant (même si l'interprétation extensive de la notion de subvention par la jurisprudence l'avait déjà considérablement élargi).

L'article 313-6-2 du Code pénal précise enfin que l'infraction est constituée dès lors que la revente est effectuée "sans l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle", condition qui ne figurait pas dans la loi du 27 juin 1919. C'est surtout cette dernière composante matérielle de l'infraction qui est la plus intéressante, et ce, essentiellement, en raison de l'effet que celle-ci implique nécessairement sur la production et la distribution de billets pour des manifestations culturelles. Depuis plusieurs années, les producteurs de spectacles vivants réclament au législateur la reconnaissance d'un droit voisin au même titre que celui que le Code de la propriété intellectuelle accorde au producteur d'un phonogramme ou d'un vidéogramme. Les producteurs de spectacles ont donc désormais un droit voisin, à ceci près qu'il n'en porte pas le nom. En effet, ce que l'article 313-6-2 du Code pénal appelle "l'autorisation du producteur, de l'organisateur ou du propriétaire des droits d'exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle" a le même effet qu'un droit voisin. Cette disposition a pour effet de permettre au "producteur, à l'organisateur ou au propriétaire des droits d'exploitation" de la manifestation de contrôler entièrement la distribution des billets y donnant accès, et ce tant sur le marché primaire que secondaire.

Désormais, au niveau du marché primaire, les distributeurs de billets se décomposent ainsi en deux catégories : les distributeurs bénéficiant de l'autorisation du producteur et les autres. Seuls ceux qui bénéficient de cette autorisation peuvent vendre les billets donnant accès à la manifestation. En effet, compte tenu de la rédaction de l'article 313-6-2 du Code pénal, il ne sera plus possible pour un distributeur agréé de passer des accords commerciaux avec d'autres distributeurs afin que ceux-ci distribuent les billets donnant accès à la manifestation pour le compte du distributeur agréé. De tels accords commerciaux ne présenteront plus aucune sécurité juridique car ils pourraient à tout moment être remis en cause par le producteur du spectacle puisque, au sens de l'article 313-6-2 du Code pénal, ces accords ne pourront pas être assimilés à une autorisation du producteur ou l'organisateur de la manifestation. Le producteur de spectacles dispose donc d'un contrôle total de la distribution primaire des billets puisque lui seul a la possibilité de donner l'autorisation nécessaire permettant d'échapper à l'article 313-6-2 du Code pénal.

L'article 313-6-2 du Code pénal, et c'était son but, limite drastiquement le marché secondaire, dans la mesure où celui-ci est désormais cantonné à la seule hypothèse de revente occasionnelle des billets (d'ailleurs, compte tenu du caractère extrêmement résiduel, il ne semble pas possible d'y voir un véritable marché au sens économique du terme). A l'égard du marché secondaire, le pouvoir d'autorisation reconnu au producteur de spectacles par l'article 313-6-2 du Code pénal peut même être considéré comme plus avantageux que les droits voisins des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes. En effet, les droits voisins du producteur de phonogrammes et du producteur de vidéogrammes, reconnus respectivement aux articles L. 213-1 (N° Lexbase : L3318ADA) et L. 215-1 (N° Lexbase : L3319ADB) du Code de la propriété intellectuelle, sont susceptibles d'épuisement en vertu de l'article L. 211-6 du même code (N° Lexbase : L2852HPC) (7).

Du fait de la théorie de l'épuisement des droits, les droits voisins reconnus aux producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes ne permettent pas à ces derniers de contrôler le marché secondaire, puisque leur droit de contrôle s'est épuisé sur le marché primaire. En revanche, le droit d'autorisation reconnu au producteur de manifestations sportives, culturelles ou commerciales par le nouvel article 313-6-2 du Code pénal ne connaît pas cette limite. En ce sens, son "pseudo" droit voisin est plus avantageux que ceux des producteurs de phonogrammes et vidéogrammes, ce qui est tout de même paradoxal, dans la mesure où le Code de la propriété intellectuelle ne reconnaît aucun droit au producteur de spectacles.

III - Des précisions quant à l'application pratique de ce nouveau texte

Dans leurs ordonnances respectives des 13 et 20 mars 2013, les tribunaux de commerce de Nanterre et de Paris ont apporté quelques précisions quant à l'utilisation de l'article 313-6-2 du Code pénal.

La première précision commune à ces deux affaires est de nature procédurale. Elle permet de noter qu'en pratique, les producteurs n'agissent pas devant les juridictions répressives, mais utilisent la voie du référé commercial. En effet, dans les deux affaires, les sociétés TS3, Nous Productions et Corida se sont fondées sur l'article 873 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0850H4A) (8) et utilisent l'infraction décrite à l'article 313-6-2 du Code pénal pour caractériser l'existence d'un "trouble manifestement illicite".

Cette pratique n'est pourtant pas nouvelle et les organisateurs de spectacles agissaient déjà de la sorte sous l'empire de la loi du 27 juin 1919 (9). Cela se comprenait aisément, compte tenu des faibles peines prévues par cette loi (une amende de 16 à 500 anciens francs), qui enlevait tout caractère dissuasif à l'infraction. L'augmentation de la peine, qui est dorénavant d'une amende pouvant s'élever jusqu'à 15 000 euros (10), n'a donc pas eu d'effet sur ce point. A l'instar de la contrefaçon, c'est le pan civil de l'infraction qui a leur préférence.

Dans l'affaire jugée par le tribunal de commerce de Paris, la société Viagogo Inc avançait que les demandes de la société Corida devaient être rejetées au motif que cette dernière ne démontrerait pas sa qualité de producteur de spectacles et qu'ainsi elle ne justifierait d'aucun intérêt à agir. Viagogo Inc. tentait ainsi de faire valoir qu'une action fondée sur l'article 313-6-2 du Code pénal était une action attitrée, réservée aux seuls producteurs des spectacles en cause. L'argument n'avait aucune chance d'aboutir, et ce, pour deux raisons principales.

Tout d'abord l'activité d'entrepreneur de spectacles vivants est une activité réglementée par les articles L. 7122-1 (N° Lexbase : L3157H9S) et suivants du Code du travail (11) et nécessite l'obtention d'une licence (C. trav., art. L. 7122-3 N° Lexbase : L8751IPS), ce dont justifiait la société Corida. De plus, par un faisceau d'indices, Corida démontrait être le producteur des spectacles en cause.

Ensuite, et surtout, car l'action intentée par la société Corida n'était pas fondée principalement sur l'article 313-6-2 du Code pénal, mais sur l'article 873 du Code de procédure civile. L'infraction décrite à l'article 313-6-2 du Code pénal n'était utilisée par la société Corida que pour démontrer l'illicéité du trouble manifeste constitué par la revente des billets de spectacles. En conséquence, dans la mesure où l'article 873 ne subordonne pas l'action qu'il octroie à la démonstration d'une qualité quelconque, toute personne ayant un intérêt à agir peut intenter une action à l'encontre des sociétés procédant à la revente de billets hors autorisation du producteur du spectacle. Ainsi le tribunal de commerce de Paris, après avoir relevé que "tout producteur de spectacles a un intérêt direct dans la façon dont les billets sont commercialisés" confirmait le caractère non attitré de l'action en exposant que "quand bien même les demandeurs ne seraient-ils pas producteurs exclusifs des spectacles revendiqués [...] ou n'en seraient-ils que co-producteurs, ils conserveraient néanmoins leur intérêt propre à agir". D'ailleurs, il apparaît que les producteurs des manifestations sportives ou culturelles ne sont pas les seuls à avoir un intérêt direct à agir afin d'obtenir la cessation du trouble causé par la revente non autorisée des billets donnant accès à des manifestations. En effet, les distributeurs bénéficiant de l'autorisation du producteur ont également un intérêt à agir à l'encontre des sociétés qui se livrent à cette activité car ce marché parallèle leur cause également un préjudice.

La société Viagogo Inc. soutenait également que l'article 313-6-2 du Code pénal n'avait vocation à ne s'appliquer qu'aux seuls éditeurs de sites internet de revente de billets et qu'il ne lui était pas applicable dans la mesure où elle n'était qu'une bourse d'échange de billets entre internautes. La société Viagogo Inc. faisait ainsi valoir qu' "elle n'intervient ni dans la rédaction des annonces, ni dans la fixation du prix, qu'elle ne devient jamais propriétaires des billets vendus, ne prodigue aucun conseil".Viagogo Inc. estimait donc que, n'étant qu'un simple prestataire technique d'hébergement, elle n'était pas soumise à une obligation générale de surveillance des informations qu'elle héberge en vertu de l'article 6-1-7 de la "LCEN" (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 N° Lexbase : L2600DZC) et, qu'en conséquence, on ne pouvait contester son statut de simple hébergeur en lui demandant "de vérifier que les annonces qu'elle publie ne contreviennent pas aux dispositions de l'article 313-6-2 du Code pénal". Le tribunal de commerce de Paris se fonde sur la définition large de l'infraction réprimée par l'article 313-6-2 du Code pénal pour juger que Viagogo Inc. ne pouvait valablement se réfugier derrière sa qualité d'hébergeur. En effet, selon les juges consulaires parisiens, "il n'est pas réfutable qu'en organisant sur internet une bourse de billets de spectacles, Viagogo expose en vue de la vente ou de la cession et fournit les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à des spectacles vivants, de manière habituelle" ce qui correspond bien au comportement prohibé par l'article 313-6-2 du Code pénal. Selon le tribunal de commerce le statut d'hébergeur n'a aucune conséquence sur la consommation de l'infraction et donc sur la caractérisation du trouble manifestement illicite justifiant le succès de l'action fondée sur l'article 873 du Code de procédure civile.

La société Viagogo Inc. avançait, enfin, qu'elle n'était qu'une bourse permettant aux propriétaires de billets de les échanger et, qu'en conséquence, il était nécessaire de démontrer que les auteurs des annonces utilisant son service ne bénéficiaient pas d'une autorisation de revente de la part des producteurs des spectacles puisque ce n'est qu'à défaut d'une telle autorisation que l'infraction serait caractérisée. Le tribunal de commerce de Paris a également rejeté cet argument. Selon lui, en effet, Viagogo Inc. n'établissait pas "que les offres de vente disputées ne sont pas répréhensibles au sens de l'article 313-6-2 du Code pénal", alors que la charge de cette preuve lui revenait.

Cette solution nous paraît très contestable sur ce point. En effet dans la mesure où l'action était fondée sur l'article 873 du Code de procédure civile, il appartenait au demandeur de démontrer l'existence du trouble manifestement illicite. C'était donc aux producteurs de spectacles de rapporter la preuve que les composantes de l'infraction réprimée par l'article 313-6-2 du Code pénal étaient réunies puisque, en l'espèce, le trouble manifestement illicite se confondait avec l'infraction. Le tribunal aurait pu, de façon beaucoup plus simple, se fonder sur la définition assez large de l'article 313-6-2 du Code pénal qui réprime également le fait "de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d'accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant". En effet, à partir du moment où la simple "fourniture de moyens en vue de la vente" est, en elle-même, une composante matérielle de l'infraction, le fait d'exploiter un service de communication en ligne permettant la revente de billets, sans l'autorisation des producteurs des spectacles présents sur le service suffit à ce que l'infraction soit consommée, et la juridiction n'avait pas à vérifier si les auteurs des annonces bénéficiaient ou non d'une telle autorisation.

En réduisant à néant les possibilités de développement légal d'un marché secondaire de vente de billets donnant accès à des manifestations culturelles ou sportives, le nouvel article 313-6-2 du Code pénal et ses premières applications donnent un réel pouvoir de contrôle aux producteurs de spectacles. Ce pouvoir de contrôle se rapproche du droit voisin que ces derniers revendiquent depuis longtemps, tout ce qui lui manque étant le nom.


(1) Lorsque l'infraction est commise par une personne morale le montant de 15 000 euros (et le montant de 30 000 euros en cas de récidive) doit être multiplié par cinq. En effet, l'article 313-6-2 du Code pénal figure dans la liste de l'article 313-9 du Code pénal (N° Lexbase : L3853ISI) qui dispose que la détermination de l'amende doit suivre les règles figurant à l'article 131-38 du Code pénal (N° Lexbase : L0410DZ9) qui prévoit que "le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction".
(2) Voir, par exemple, CA Rennes, 6 novembre 2012, n° 11/08734 (N° Lexbase : A6439IWE) et TGI Paris, ord. de référé, 27 février 2012, La Cité de la Musique - Salle Pleyel c/ Viagogo.
(3) Voir, notamment, sur l'arrêt de la CA Rennes, 6 novembre 2012, n° 11/08734, préc. et les obs. de A. Debet, Communication Commerce Electronique n° 2, février 2013, comm. 13.
(4) QE n° 06773 de M. Philippe Dallier, JO Sénat 25 décembre 2008 p. 2579, réponse publ. 24 septembre 2009 p. 2249, 13ème législature (N° Lexbase : L6379IW8).
(5) Voir, Cons. const., décision n° 2011-625 DC, du 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (N° Lexbase : A2186G9T), considérants n° 41 à n° 43 ; également les obs. de A. Debet, Communication Commerce Electronique, n° 5, mai 2012, comm. 49.
(6) L'infraction d'habitude se définit comme "l'infraction consommée par la répétition d'une opération matérielle unique qui n'est pas, isolément, délictueuse" (Lexique des termes juridiques, Dalloz, 14ème édition).
(7) L'article L. 211-6 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2852HPC) dispose que "dès lors que la première vente d'un ou des exemplaires matériels d'une fixation protégée par un droit voisin a été autorisée par le titulaire du droit ou ses ayants droit sur le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, la vente de ces exemplaires de cette fixation ne peut plus être interdite dans les Etats membres de la Communauté européenne et les Etats parties à l'accord sur l'Espace économique européen".
(8) L'article 873, alinéa 1er, du Code de procédure civile permet au juge consulaire de prescrire en référé "même en présence d'une contestation sérieuse [...] les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite".
(9) V., notamment, CA Rennes, 6 novembre 2012, n° 11/08734, préc..
(10) Hors majoration dans le cas d'une commission de l'infraction par une personne morale.
(11) L'article L. 7122-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3159H9U) définit l'entrepreneur de spectacles vivants comme "toute personne qui exerce une activité d'exploitation de lieux de spectacles, de production ou de diffusion de spectacles, seul ou dans le cadre de contrats conclus avec d'autres entrepreneurs de spectacles vivants, quel que soit le mode de gestion, public ou privé, à but lucratif ou non, de ces activités".

newsid:436719

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.