Réf. : CAA Paris, 25 février 2013, trois arrêts, mentionnés aux tables du recueil Lebon, n° 12PA00638 (N° Lexbase : A9254KAY), n° 12PA00864 (N° Lexbase : A9255KAZ) et n° 12PA01067 (N° Lexbase : A9256KA3)
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
le 05 Avril 2013
Or, l'augmentation de la masse et du montant des travaux, passée de 120 à 155 millions d'euros HT, soit une augmentation de 29,17 %, et la majeure partie des prestations complémentaires retenues par l'avenant litigieux ne résultaient pas, selon les juges, de sujétions techniques imprévues telles que précisées, par exemple, en 2006, par la cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 6ème ch., 3 mars 2006, n° 02MA00386, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8789DP9), mais d'une estimation au plus juste des besoins et des coûts au moment du lancement du projet. Ils précisent, néanmoins, que l'avenant litigieux a entendu prendre en compte des évolutions de programme se rapportant à des missions indissociables des prestations du marché initial. Dès lors, celui-ci ne peut être regardé, sans même qu'il soit besoin de rechercher si certaines des prestations complémentaires dont il tenait compte revêtaient le caractère de sujétions techniques imprévues au sens de l'article 20 du Code des marchés publics, comme ayant bouleversé l'économie du marché et étant, par suite, de nature à faire naître un nouveau marché dont la passation aurait dû être effectuée après mise en concurrence préalable. La ville de Paris est donc fondée à soutenir, selon les juges d'appel, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'avenant contesté au motif qu'il aurait bouleversé l'économie du marché d'origine.
La théorie de l'imprévision (CE, 30 mars 1916, n° 59928, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0631B9A) permet d'indemniser le cocontractant lorsqu'un événement étranger à la volonté des parties est venu bouleverser l'équilibre du contrat. Elle ne vise qu'à remédier à une situation temporaire. Dès lors, soit l'équilibre se rétablit, soit le bouleversement revêt un caractère définitif et se crée un cas de force majeure qui justifie que soit demandée la résiliation du contrat par le juge avec, éventuellement, des indemnités (CE, Ass., 9 décembre 1932, n° 89655, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6802B73). Il a été jugé que l'économie du marché est bouleversée et ce, alors même que le prix n'a pas été modifié, dans la mesure où la substitution d'un matériau de comblement à un autre a entraîné, pour le titulaire du marché, une économie substantielle sur le coût d'approvisionnement (CAA Nantes, 6 juin 2001, n° 97NT02503, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0702BHH), tout comme une augmentation de 100 % de la durée du contrat (CAA Bordeaux, 27 avril 2004, n° 00BX01587, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2520DCC).
Cependant, le juge administratif s'est souvent montré conciliant en la matière, estimant, par exemple, que l'extension réduite du service public parisien de vélos en libre service n'a pas pour effet de bouleverser l'économie du marché initial (CE, S., 11 juillet 2008, n° 312354, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6133D9Z, annulant TA Paris, 2 janvier 2008, n° 0719486 N° Lexbase : A2918D3H). Toutefois, l'existence d'un lien suffisant unissant le marché initial et l'avenant qui s'y rapporte est nécessaire (CE 7° et 10° s-s-r., 22 juin 1998, n° 173025, inédit au recueil Lebon [LXB=A7492ASB ] ; CE 7° et 10° s-s-r., 13 juin 1997, n° 150681, mentionné aux tables du recueil Lebon [LXB=0170AEZ] ; CE 7° et 10° s-s-r., 29 juillet 1994, n° 118953, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2005AS3). En revanche, le Conseil d'Etat a pu considérer qu'une nouvelle mise en concurrence aurait dû être faite, les travaux objets de l'avenant étant dissociables du marché initial (CE 7° et 10 ° s-s-r., 28 juillet 1995, n° 143438, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5103ANC, n° 149300 N° Lexbase : A5153AN8, n° 149301 N° Lexbase : A5154AN9, n° 149302 N° Lexbase : A5287AN7, n° 149303 N° Lexbase : A5155ANA, n° 149304 N° Lexbase : A5156ANB, inédits au recueil Lebon).
II - Soulignons, par ailleurs, que la prolongation de la mission du titulaire d'un contrat de maîtrise d'oeuvre n'est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d'oeuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d'ouvrage (CE 2° et 7° s-s-r., 29 septembre 2010, n° 319481, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7497GAW). Une entreprise n'a donc pas un droit automatique à indemnisation du seul fait de la prolongation de sa mission indépendamment, soit d'une modification du programme ou des prestations décidée par le maître de l'ouvrage, soit de la réalisation de prestations indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art ou consécutives à des sujétions techniques imprévues (CE 2° et 7° s-s-r., 29 septembre 2010, n° 319481, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7497GAW), que constituent des difficultés matérielles rencontrées lors de l'exécution d'un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties (CE 5° et 7° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 223445, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2385C99).
La présence de telles sujétions imprévues ne peut, toutefois, être retenue dans le cas où une commune s'est basée, pour déterminer la nature des travaux, "sur des plans utilisés lors de la création antérieure d'un lotissement, sans procéder à un relevé topographique exact du terrain et aux études de sous-sols nécessaires" (CE 7° et 10° s-s-r., 8 mars 1996, n° 165075, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8417AN3). En outre, à défaut de la conclusion d'un avenant au contrat de maîtrise d'oeuvre arrêtant le programme modifié des travaux et leur coût prévisionnel modifié ou d'un accord du maître d'ouvrage à portée contractuelle sur une adaptation de la rémunération, la rémunération forfaitaire contractuelle initiale de la mission de maîtrise d'oeuvre ne peut être augmentée (CAA Douai, 2ème ch., 4 décembre 2012, n° 11DA01302, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1246IZ8). Ainsi, la seule existence, dans le contrat, d'une clause renvoyant à une étude complémentaire ne peut suffire à exclure l'existence de sujétions imprévues (CE 2° et 7° s-s-r., 3 mars 2010, n° 304604, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6431ESY).
Malgré tous ces éléments, les juges de la cour administrative d'appel de Paris font une appréciation plus que favorable à la ville de Paris de la légalité de l'avenant en cause. Ils commencent par relever que l'avenant litigieux a entendu prendre en compte des évolutions de programme se rapportant à des missions indissociables des prestations du marché initial. Ces évolutions tenaient, notamment, à la nécessité de maintenir la continuité du fonctionnement de la gare et du centre commercial pendant les travaux de réaménagement des Halles, de répondre aux attentes des usagers, de mettre aux normes la sécurité incendie, de renforcer les structures existantes, et de prendre en compte des impacts du projet sur les commerces. Ils ajoutent, de manière quelque peu contestable selon nous, que, "dans ces conditions, eu égard aux caractéristiques du marché et de l'avenant en cause, ce dernier ne peut être regardé, sans même qu'il soit besoin de rechercher si certaines des prestations complémentaires dont il tenait compte revêtaient le caractère de sujétions techniques imprévues au sens de l'article 20 du Code des marchés publics, comme ayant bouleversé l'économie du marché et étant, par suite, de nature à faire naître un nouveau marché dont la passation aurait dû être effectuée après mise en concurrence préalable".
Si cette appréciation semble inattaquable sur le plan juridique, il semble, néanmoins, qu'elle laisse la porte ouverte à de nombreuses modifications de tels marchés à l'avenir, lesquelles pourraient, la plupart du temps, se justifier par un lien avec le marché initial, ce qui, dans des marchés d'une telle ampleur, pourra toujours plus ou moins facilement être démontré. La cour administrative d'appel a, toutefois, récemment rappelé de manière opportune, que l'erreur manifeste des acheteurs dans leur analyse des offres est toujours contrôlée par le juge (CAA Marseille, 6ème ch., 11 janvier 2013, n° 10MA04148, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9151I3C). L'article 5 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2665HPE), aux termes duquel "la nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence [...]" fait, d'ailleurs, office de garde-fou en la matière et permet de sanctionner la diffusion de données erronées dans le dossier de consultation des entreprises (CE 2° et 7° s-s-r., 12 mars 2012, n° 354355, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9494IED).
L'on imagine, en effet, la tentation pour les parties en présence d'opérer des changements modifiant totalement l'économie du marché et ceci sans mise en concurrence préalable en les justifiant par un supposé lien avec le contrat initial, même si celui-ci repose, comme en l'espèce, sur la sécurité du chantier ou la viabilité des commerces alentours. Une tendance que devra donc surveiller de près, dans les années qui viennent, le juge de plein contentieux dans sa mission de contrôle de légalité des avenants, même si l'on peut approuver le fait, en l'espèce, que ce projet pharaonique puisse continuer d'avancer afin que le centre historique de Paris se tourne vers le XXIème siècle.
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