La lettre juridique n°880 du 7 octobre 2021 :

[Textes] Réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 15 septembre 2021 : formation et étendue du cautionnement

Réf. : Ordonnance n° 2021-1192, du 15 septembre 2021, portant réforme du droit des sûretés (N° Lexbase : L8997L7D)

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N8978BY8

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par Gaël Piette, Professeur à l’Université de Bordeaux, Directeur scientifique de l’Ouvrage Lexbase de Droit des sûretés

le 06 Octobre 2021


Le présent article est issu d’un dossier spécial intitulé « La réforme du droit des sûretés par l'ordonnance du 15 septembre 2021 » et publié dans l’édition n° 691 du 7 octobre 2021 de la revue Lexbase Affaires. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici (N° Lexbase : N8992BYP).


 

79 436 jours. Il aura fallu attendre plus de 217 ans, depuis le 21 mars 1804 et la promulgation du Code civil, pour assister à une réforme d’ampleur du cautionnement. Certes, durant ces 79 436 jours, ce dernier avait été l’objet de quelques textes, mais soit très ponctuels (lois n° 84-148 du 1er mars 1984 N° Lexbase : L7474AGW ou n° 94-126 du 11 février 1994 N° Lexbase : L3026AIW par exemple), soit fort mal rédigés (loi n° 2003-721 du 1er août 2003 N° Lexbase : O1036A3R notamment). La réforme opérée par l’ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L8127HHH) n’avait pas touché au cautionnement, faute d’habilitation législative. Au final, cette sûreté, la plus utilisée en pratique, devait donc s’accommoder de textes vieillissants, inutiles ou néfastes.

La réforme issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 était donc, particulièrement pour le cautionnement, très attendue. Les 33 articles auparavant consacrés au cautionnement sont remplacés par 37 articles, toujours numérotés de 2288 à 2320.

Dispositions générales. Les cinq premiers textes, regroupés dans une première section, contiennent des dispositions d’ordre général : une définition modernisée du cautionnement (C. civ., art. 2288 N° Lexbase : L0129L8B), une définition du cautionnement légal et du cautionnement judiciaire (C. civ., art. 2289 N° Lexbase : L0130L8C), l’affirmation que la solidarité du cautionnement peut être stipulée entre la caution et le débiteur principal, entre les cautions, ou entre tous (C. civ.,  art. 2290 N° Lexbase : L0131L8D), une définition de la certification de caution (C. civ., art. 2291 N° Lexbase : L0132L8E) et enfin une définition du sous-cautionnement (C. civ., art. 2291-1 N° Lexbase : L0133L8G). Ces textes permettent de poser un certain nombre de notions, avant de dérouler le régime du cautionnement, à savoir sa formation et son étendue, ses effets, et son extinction en trois sections successives. Il est important de signaler que le sous-cautionnement, inconnu du Code civil jusque-là, se voit formellement reconnu. Il est simplement permis de regretter, dans un souci de lisibilité, que l’expression de certification de caution, au contraire de celle de sous-cautionnement, ne soit pas employée par le texte. Il est cependant vrai que l’importance pratique des deux mécanismes est inégale. Le sous-cautionnement connaît des applications pratiques importantes, tandis que la certification de caution est en nette perte de vitesse, étant moins intéressante pour le créancier que des cofidéjusseurs solidaires [1].

Cautionnement commercial. Une autre disposition générale, ne figurant pas dans le Code civil mais dans le Code de commerce, concerne la commercialité du cautionnement. Contrairement à ce que préconisait le groupe de travail de l’association Capitant (C. civ., art. 2290, al. 2 de son avant-projet), l’ordonnance enrichit l’article L. 110-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L0093L8X) d’un alinéa énonçant que le cautionnement de dettes commerciales est commercial, entre toutes personnes. Ainsi, quelle que soit la qualité de la caution, son engagement est commercial dès lors que l’obligation principale l’est aussi. Cette solution a le mérite de la simplicité, soumettant au même droit (commercial) et à la même juridiction (tribunal de commerce) le cautionnement et le contrat principal. Cette solution consacre la volonté jurisprudentielle de rendre commercial le cautionnement donné par les dirigeants ou les associés de sociétés commerciales, par le détour à l’intérêt personnel de la caution [2]. Ce dernier critère devrait logiquement être abandonné, ce qui mérite d’être approuvé, car son imprécision était source de difficultés.

Reprise d’anciens textes. La formation et l’étendue du cautionnement sont l’objet de dix articles (C. civ., art. 2292 à 2301). Les cinq premiers, les articles 2292 à 2296, s’ils contiennent des règles importantes, n’apportent rien de nouveau. Il s’agit d’énoncer que le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations, présentes ou futures, déterminées ou déterminables (C. civ., art. 2292 N° Lexbase : L0134L8H), que son caractère accessoire impose qu’il garantisse une obligation valable, sous réserve du cautionnement en connaissance de cause des dettes d’un incapable (C. civ., art. 2293 N° Lexbase : L0162L8I) et interdit qu’il excède l’obligation principale (C. civ., art. 2296 N° Lexbase : L0170L8S), qu’il doit être exprès et ne peut être étendu au-delà de ce qui était convenu (C. civ., art. 2294 N° Lexbase : L0167L8P), et qu’il s’étend, sauf clause contraire, aux  intérêts et autres accessoires de l'obligation garantie, ainsi qu'aux frais de la première demande, et à tous ceux postérieurs à la dénonciation qui en est faite à la caution (C. civ., art. 2295 N° Lexbase : L0168L8Q). Ces diverses dispositions sont la reprise des règles anciennes, telles qu’interprétées par la jurisprudence.

Nouveautés. Les articles 2297 à 2301, en revanche, apportent d’importants changements. Au travers de ces cinq textes, transparaît la volonté des rédacteurs de l’ordonnance d’introduire de la souplesse dans certains mécanismes (I), de prendre en considération la jurisprudence (II) et enfin de moderniser un point bien particulier, à savoir la solvabilité de la caution légale ou judiciaire (III).

I. La souplesse de certains mécanismes    

L’ordonnance fait preuve de souplesse en ce qui concerne les modalités du formalisme (A) et la sanction de l’exigence de proportionnalité (B). Il est intéressant de noter que ces deux mécanismes, auparavant prévus par le Code de la consommation, figurent désormais dans le Code civil. La solution est logique, puisque la jurisprudence avait décidé, fort justement au regard de la lettre des textes, d’appliquer ces mesures de protection à toutes les cautions, y compris celles s’engageant dans le cadre de leur activité professionnelle [3].

A. Le formalisme

Difficultés. Nul n’ignore les difficultés qu’ont suscitées les mentions manuscrites requises à peine de nullité par les articles L. 331-1 (N° Lexbase : L1165K7B) et L. 331-2 (N° Lexbase : L1164K7A) du Code de la consommation [4]. La raison en était principalement la méthode suivie par le législateur : en imposant un modèle, la question s’était rapidement posée de savoir quelles devaient être les différences tolérables entre ce modèle et la mention effectivement rédigée par la caution. La sécurité juridique en était sortie nettement affaiblie, sous les coups de boutoir de cautions de mauvaise foi [5], bien aidées en cela par certaines juridictions du fond [6].

Innovations. La réforme a entendu remédier à ces difficultés et enrayer ce contentieux stérile. Le nouvel article 2297 du Code civil (N° Lexbase : L0171L8T) comporte certaines innovations. La première, la plus évidente, est l’abandon d’un modèle légal. Désormais, la mention apposée par la caution, et toujours requise à peine de nullité, doit simplement énoncer qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. Il n’y a donc plus à craindre des débats judiciaires inutiles sur le point de savoir si une faute d’orthographe doit mener à l’annulation du cautionnement ou non. La caution pourra rédiger la mention comme bon lui semble, avec ses mots. Sa compréhension sera sans doute meilleure. La deuxième nouveauté est que la mention n’a plus à être manuscrite. Cette idée est à rapprocher de la nouvelle rédaction de l’article 1175 (N° Lexbase : L0140L8P), qui vise à permettre la conclusion des sûretés par voie électronique. La troisième nouveauté concerne le domaine du formalisme. Le nouvel article 2297 ne vise en effet que le créancier, sans plus de précision. La mention sera donc requise dans tous les cautionnements signés par une personne physique, que le créancier soit un professionnel ou non. L’impact pratique de cette dernière nouveauté devrait néanmoins être limité, car les cautionnements sont généralement signés au profit de créanciers professionnels. 

Cautionnement solidaire. La mention doit être enrichie en cas de renonciation aux bénéfices de discussion et de division, c’est-à-dire, concrètement, en cas de cautionnement solidaire. La mention doit alors préciser que la caution ne peut exiger du créancier qu’il poursuive d’abord le débiteur ou qu’il divise ses poursuites entre les cautions (C. civ., art. 2297, al. 2). Ce qui est intéressant dans la rédaction de cet alinéa, c’est sa seconde phrase. Il est en effet disposé qu’à défaut de cette mention enrichie, la caution conserve le droit de se prévaloir de ces bénéfices. Il convient d’en déduire que la sanction n’est pas la nullité du cautionnement, ce qui conforte la jurisprudence de la Cour de cassation sur la sanction de l’article L. 331-2 du Code de la consommation [7].

Question en suspens. La lecture du nouveau texte laisse tout de même subsister une question. À la différence de l’article L. 331-1 du Code de la consommation, dont il s’inspire, le nouvel article 2297 du Code civil ne limite pas expressément l’exigence d’une mention apposée par la caution aux seuls actes sous seing privé. Faut-il en déduire que ce formalisme est requis également pour les actes notariés ? L’article 1369 (N° Lexbase : L1031KZ9) n’est ici d’aucun secours, puisqu’il dispose que l’acte notarié est « dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi ». Or, la mention de l’article 2297 n’est pas manuscrite… Dans l’attente d’une correction très hypothétique de l’article 2297, ou d’une modification apportée à l’article 1369, il convient de penser que les actes notariés devraient demeurer dispensés de cette formalité. En effet, du point de vue de la protection de la caution, l’intervention du notaire est au moins aussi efficace que la rédaction de la mention, et est donc à même de remplacer cette dernière.

B. L’exigence de proportionnalité

Revenus et patrimoine. L’exigence de proportionnalité fait également peau neuve, avec l’article 2300 (N° Lexbase : L0174L8X) tel qu’il résulte de la réforme de 2021. Il est permis de lister trois nouveautés, même si l’une d’entre elles était déjà admise en jurisprudence. D’abord, le texte vise la disproportion manifeste aux revenus et au patrimoine de la caution, là où le texte ancien (C. consom., art. L. 332-1 N° Lexbase : L1162K78) visait les biens et revenus. Cette dernière expression, si les tribunaux en avaient eu une vision stricte, n’aurait englobé que les éléments d’actif du patrimoine de la caution, laissant de côté ses dettes. Une telle conception aurait été critiquable du point de vue de la protection de la caution, mais justifiée au regard de la lettre du texte. La jurisprudence n’a cependant jamais eu une telle vision du texte. Le nouvel article 2300, en parlant de revenus et de patrimoine, consacre cette conception plus large.

Plus de retour à meilleure fortune. Ensuite, le nouveau texte a abandonné l’hypothèse du « retour à meilleure fortune ». L’article L. 332-1 permettait au créancier de se prévaloir de son cautionnement lorsque la situation financière de la caution s’était améliorée et que son patrimoine lui permettait, au jour où elle était appelée, d’assumer la sûreté. L’abandon de cette hypothèse est, à en croire le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, destiné à « maintenir le caractère dissuasif du texte ». Lors de la conclusion du cautionnement, le créancier ne peut en effet plus parier sur une amélioration future de la situation financière de la caution. De notre point de vue, c’est surtout une source de complexité qui disparaît.

Sanction. Mais la nouveauté la plus marquante en matière de proportionnalité concerne assurément sa sanction. Auparavant, le créancier ne pouvait se prévaloir de sa sûreté. Sans que l’on sache ce que recouvrait précisément cette sanction, il était certain qu’il s’agissait d’une politique du « tout ou rien ». Soit le cautionnement n’est pas manifestement disproportionné, et le créancier peut appeler la caution en paiement. Soit il l’est, et le créancier est privé de sa sûreté. La sanction retenue par le nouvel article 2300 est la réduction : le cautionnement « est réduit au montant à hauteur duquel elle [la caution] pouvait s’engager ». Si nous avons pu, il y a déjà longtemps, préconiser cette sanction [8], nous avouons être aujourd’hui plus réservés, car elle pourrait susciter des difficultés. En effet, le pouvoir d’appréciation du juge est en quelque sorte doublé. Sous l’ancien texte, il devait déterminer si le cautionnement est ou non manifestement disproportionné. Avec le nouveau, il devra en plus déterminer ce qu’est un cautionnement qui n’est pas manifestement disproportionné. Les motifs d’insatisfaction pour les cautions et les établissements de crédit ne vont pas s’atténuer…

II. La prise en considération de solutions jurisprudentielles

Cette prise en considération se fait selon deux axes diamétralement opposés. Dans l’article 2299 (N° Lexbase : L0173L8W), il s’agit de consacrer la jurisprudence (A), tandis que dans l’article 2298 (N° Lexbase : L0172L8U), il s’agit de la condamner (B).

A. La consécration de la mise en garde

Origine jurisprudentielle. Il s’agit ici d’une véritable consécration d’une solution jurisprudentielle. Progressivement, la jurisprudence avait mis à la charge du créancier un devoir de mise en garde de la caution, comparable à celui dont profite l’emprunteur. Ce devoir, qui ne profitait qu’aux cautions profanes, portait sur les capacités financières du débiteur principal et sur l’adéquation de l’engagement de la caution à ses ressources.  À défaut de mise en garde, le créancier engageait sa responsabilité, ayant fait perdre à la caution une chance de ne pas contracter [9].

À la recherche de la caution avertie. La principale faiblesse de la jurisprudence était qu’elle réservait le bénéfice de la mise en garde à la caution profane, excluant la caution avertie. La difficulté était alors de savoir ce qu’est une caution avertie. Après s’être attachée principalement aux qualités et fonctions de la caution (dirigeant [10], professionnel du droit [11], etc.), la Cour de cassation a fini par retenir une appréciation plus subjective, en se focalisant sur les connaissances et l’expérience de la caution [12]. C’est ainsi que certains arrêts se sont mués en curriculum vitae de la caution. Cette appréciation au cas par cas ne se conciliait guère avec l’exigence de sécurité juridique.

Nouveautés. Le nouvel article 2299 contient trois nouveautés. D’abord, la mise en garde ne porte plus que sur les capacités financières du débiteur principal. L’adéquation du montant du cautionnement aux ressources de la caution relève davantage de l’exigence de proportionnalité et a semblé redondante aux rédacteurs de l’ordonnance. Ensuite, la sanction est modifiée. Il ne s’agit plus de la responsabilité du créancier, mais d’une déchéance : à défaut de mise en garde, le créancier est déchu de son droit contre la caution, à hauteur du préjudice subi par celle-ci. Enfin, et c’est l’innovation majeure, le devoir de mise en garde profite à toute caution, dès lors qu’elle est une personne physique. Devant la difficulté à définir la caution avertie, l’ordonnance a fait le choix le plus raisonnable, à savoir celui de faire profiter toutes les cautions de cette mise en garde. La sécurité juridique en sort grandie, les créanciers n’ayant plus à se demander si telle caution est profane ou avertie.

Regret. Un simple regret est que le texte n’aborde pas la question du conjoint de la caution. Le lecteur se souvient que la Cour de cassation estime que le conjoint, lorsqu’il autorise son époux ou son épouse à s’engager en qualité de caution en application de l’article 1415 du Code civil (N° Lexbase : L1546ABU), n’a droit à aucune mise en garde de la part du créancier [13]. La Cour fonde cette solution sur une double idée : d’une part, le conjoint n’aurait pas droit à une mise en garde car l’autorisation qu’il donne ne fait pas de lui une partie à l’acte et, d’autre part, car « aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au créancier bénéficiaire du cautionnement de fournir des informations ou une mise en garde au conjoint » de la caution. Si ces deux affirmations sont exactes, elles n’emportent pas la conviction. Le conjoint demeure un tiers, mais pourquoi la mise en garde serait-elle limitée aux parties à un acte ? Un tiers particulièrement intéressé, comme l’est le conjoint, ne mérite-t-il pas aussi une telle information ? Le second argument ne tient pas : qu’aucun texte n’impose au créancier un devoir de mise en garde envers le conjoint de la caution n’est aucunement décisif. La meilleure preuve en est que lorsque la Cour de cassation a développé un devoir de mise en garde au profit de la caution, calqué sur celui dont bénéficie l’emprunteur, elle l’a fait sans le support d’aucun texte…

La mise en garde du conjoint de la caution est indispensable. En autorisant le cautionnement, le conjoint engage dans l’assiette du cautionnement les biens communs, et notamment ses revenus, puisqu’ils tombent en communauté. Or, le conjoint n’est pas nécessairement en mesure de comprendre les implications de l’autorisation qu’il donne [14].

B. La condamnation de l’inopposabilité des exceptions

Inopposabilité hier presque totale. Le contrat de cautionnement étant par essence accessoire au contrat qu’il garantit, il semble relativement logique de reconnaître à la caution le droit d’opposer au créancier les exceptions que le débiteur pourrait lui-même lui opposer. Le problème vient du fait que l’ancien article 2313 du Code civil (N° Lexbase : L1372HIN) était fort mal rédigé : il distinguait les exceptions inhérentes à la dette, que la caution peut opposer au créancier, et celles qui sont personnelles au débiteur, et qui sont inopposables par la caution. Mais sans préciser ce qu’il faut entendre par exceptions personnelles et exceptions inhérentes à la dette. Et c’est ainsi que la Cour de cassation a subitement décidé, en 2007, de qualifier d’exception personnelle le dol affectant la nullité du contrat principal [15]. Par la suite, ce sont toutes sortes d’autres exceptions qui ont été jugées personnelles, et donc inopposables par la caution : responsabilité d'un établissement bancaire pour rupture abusive de crédit [16] ou octroi abusif de crédit [17], inopposabilité sanctionnant le défaut de déclaration de créance en cas de liquidation judiciaire [18], octroi de délais au débiteur principal [19], absence de cause de l'obligation principale [20], prescription biennale de l'article L. 218-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1585K7T) [21], etc..

Même si cette jurisprudence ne portait pas véritablement atteinte au caractère personnel du cautionnement (dans l’arrêt de 2007, le contrat principal n’était pas nul, mais simplement annulable), la situation n’était pas satisfaisante : la caution ne mérite pas d’être tenue plus sévèrement que le débiteur principal. En outre, sur ce point, le cautionnement tendait à se rapprocher considérablement de la garantie autonome, ce qui n’est guère cohérent.

Opposabilité aujourd’hui presque totale. Le nouvel article 2298 est novateur. Il retient que la caution peut opposer toutes les exceptions, qu'elles soient personnelles au débiteur ou inhérentes à la dette. Ainsi, la difficulté de qualification des diverses exceptions est neutralisée. Seuls deux types d’exceptions ne peuvent être opposés au créancier par la caution. D’une part, cette dernière ne peut invoquer l’incapacité du débiteur principal, en application de l’article 2293, alinéa 2 (N° Lexbase : L0162L8I). Puisqu’il est possible de cautionner en connaissance de cause la dette d’un incapable, ce n’est pas pour que la caution entende ensuite anéantir le contrat sur ce fondement. D’autre part, l’alinéa 2 de l’article 2298 interdit à la caution de se prévaloir des mesures légales ou judiciaires accordées au débiteur en cas d'insolvabilité de sa part, sauf disposition spéciale contraire. Ceci restaure la véritable nature de sûreté du cautionnement. L’incapacité et l’insolvabilité sont donc les deux seules exceptions inopposables par la caution [22].

III. La modernisation de la solvabilité de la caution légale ou judiciaire

Solvabilité. Dans certaines hypothèses, la loi ou une décision de justice impose au débiteur de fournir un cautionnement. Tel est par exemple le cas de l’usufruitier (C. civ., art. 601 N° Lexbase : L9303I3X : cautionnement légal) ou du débiteur de la prestation compensatoire (C. civ., art. 277 N° Lexbase : L2672ABL : cautionnement judiciaire). S’il ne mentionne plus la condition de capacité, redondante avec le droit commun, et ne fait plus référence au domicile de la caution, le nouvel article 2301 (N° Lexbase : L0175L8Y) reprend une condition auparavant posée par les articles 2295 (N° Lexbase : L3048IEM) et 2296 (N° Lexbase : L1125HII), à savoir la solvabilité de la caution. Il serait en effet quelque peu inconvenant que le débiteur obligé légalement ou judiciairement à fournir une caution en présente une qui soit insolvable…

Néanmoins, l’article 2301 modernise cette condition de solvabilité, ce qui est bienvenu. Les anciens textes imposaient, sauf pour les dettes commerciales ou modiques, d’apprécier la solvabilité de la caution qu’au regard de ses seules propriétés foncières. Ce reliquat des années 1804 ne se justifiait plus en 2021. Il y a déjà bien longtemps que la fortune d’une personne ne se juge plus seulement au regard de ses seules propriétés immobilières.

Perte de solvabilité. En outre, le nouvel article 2301 se préoccupe de la question de la perte de solvabilité de la caution légale ou judiciaire postérieurement à la conclusion du contrat, question que les anciens articles 2295 et 2296 ignoraient complètement. L’article 2301 adopte une solution très souple : si la caution devient insolvable, le débiteur doit en fournir une autre. À défaut, il encourt la déchéance du terme ou la perte de l’avantage subordonné à la fourniture du cautionnement. Les cautions ne se trouvant pas toujours aussi facilement que les ennuis, l’alinéa trois accorde au débiteur la faculté de substituer au cautionnement une sûreté réelle « suffisante ». Cette faculté introduit une souplesse opportune dans le mécanisme du cautionnement légal ou judiciaire.

La seule difficulté sera l’appréciation du caractère suffisant de la sûreté réelle. Dans des situations conflictuelles (par exemple en cas de divorce), le créancier sera peut-être peu enclin à accepter la sûreté réelle proposée par le débiteur. Et c’est alors le juge qui devra apprécier le caractère suffisant de la sûreté réelle, ce qui accentue la judiciarisation de la matière.

 

[1] La faiblesse de la certification de caution en comparaison des cofidéjusseurs tient au fait que le certificateur garantit la défaillance de la caution et non celle du débiteur principal. Par conséquent, le créancier, confronté à l’impayé du débiteur, ne peut pas s’adresser directement au certificateur. Il doit d’abord demander paiement à la caution.

[2] Cass. req., 31 janvier 1872, DP 1872, 1, p. 252 ­– Cass. com., 5 octobre 1993, n° 91-12.372 (N° Lexbase : A5582ABD), Rev. sociétés, 1994, p. 47, note D. Legeais.

[3] V. not. Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-26.630, FS-P+B (N° Lexbase : A5284IAX), RD banc. et fin., mars 2012, p. 45, obs. A. Cerles (mentions manuscrites) – Cass. com., 13 avril 2014, n° 09-66.309, F-D (N° Lexbase : A0705EWZ), RLDC, juin 2010, p. 30, obs. J.-J. Ansault (proportionnalité).

[4] Pour une synthèse, v. G. Piette, Solutions pour mettre un terme au contentieux relatif aux mentions manuscrites dans le cautionnement », D., 2017, p. 1064.

[5] V. par exemple la caution qui invoquait la nullité de son engagement en se fondant sur le fait qu’elle avait remplacé la lettre X employée par le modèle légal par la désignation du débiteur principal : Cass. com., 16 octobre 2012, n° 11-23.623, F-P+B (N° Lexbase : A7128IUK), Gaz. Pal., 13 décembre 2012, p. 11, obs. Ch. Albigès – v. égal. Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-18.544, F-P+B+I (N° Lexbase : A0814KC7), D., 2013, p. 1460, note J. Lasserre-Capdeville et G. Piette (substitution du mot « banque » à ceux de « prêteur » et de « créancier »).

[6] CA Rennes, 22 janvier 2010, n° 08/08806 (N° Lexbase : A5135ESY), JCP G, 2010, doctr. 708, n° 2, obs. Ph. Simler, arrêt cassé par Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-16.426, FS-P+B (N° Lexbase : A3424HN7), D., 2011, p. 1132, obs. V. Avena-Robardet ; G. Piette, Lexbase Affaires, mai 2011, n° 251 (N° Lexbase : N2752BSQ) – CA Dijon, 26 janvier 2012, n° 10/00703 (N° Lexbase : A5927IB7), cassé par Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-19.094, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1490KLR), JCP G, 2013, 1074, note J. Lasserre-Capdeville ; G. Piette, Lexbase Affaires, octobre 2013, n° 354 (N° Lexbase : N8835BTE).

[7] Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-10.699, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0443G7K), D., 2011, p. 1193, note Y. Picod ; G. Piette, Lexbase Affaires, avril 2011, n° 246 (N° Lexbase : N9497BR8) – Cass. com., 10 mai 2012, n° 11-17.671, F-P+B (N° Lexbase : A1210ILE).

[8] G. Piette, La sanction du cautionnement disproportionné, Droit & Patrimoine, juin 2004, p. 44.

[9] Cass. com., 20 octobre 2009, n° 08-20.274, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2384EMA) – Cass. com., 8 septembre 2021, n° 19-20.497, F-D (N° Lexbase : A250644L).

[10] V. par exemple, Cass. com., 17 février 2009, n° 07-20.935, F-D (N° Lexbase : A2618EDC).

[11] Cass. civ. 1, 13 novembre 2008, n° 07-15.172, F-D (N° Lexbase : A2295EBM).

[12] Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-24.694, F-D (N° Lexbase : A8875IBC), JCP G, 2012, p. 626, n° 5, obs. Ph. Simler.

[13] Cass. com., 9 février 2016, n° 14-20.304, FS-P+B (N° Lexbase : A0268PLI), D., 2016, p. 1415, note A. Molière ; G. Piette, Lexbase Affaires,   2016, n° 457 (N° Lexbase : N1668BWP) – Cass. com., 31 janvier 2017, n° 14-22.928, F-D (N° Lexbase : A4224TB3).

[14] G. Piette, Le cautionnement personnel, in L. Andreu et M. Mignot (dir.), L’avant-projet de réforme du droit des sûretés, Institut Universitaire Varenne, 2019, tome 75, p. 55, spéc. p. 69.

[15] Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602 (N° Lexbase : A5464DWB), JCP G, 2007, II, p. 10138, note Ph. Simler. 

[16] Cass. com., 22 septembre 2009, n° 08-10.389, F-D (N° Lexbase : A3399ELH).

[17] CA Douai, 13 novembre 2008, n° 07/02411 (N° Lexbase : A7729HHQ).

[18] Cass. com., 12 juillet 2011, n° 09-71.113, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0184HWQ), JCP G, 2011, p. 1259, n° 7, obs. Ph. Simler.

[19] CA Paris, 12 février 2009, n° 07/12109 (N° Lexbase : A4702EDI).

[20] CA Douai, 18 novembre 2010, n° 09/05422 (N° Lexbase : A8638GK7), RD banc. et fin., 2011, comm. 52, obs. D. Legeais.

[21] Cass. civ. 1, 11 décembre 2019, n° 18-16.147, F-P+B+I (N° Lexbase : A1641Z8B), RTD civ., 2020, p. 161, obs. Ch. Gijsbers ; G. Piette, in Panorama de droit des sûretés (second semestre 2019), Lexbase Affaires, février 2020, n° 623 (N° Lexbase : N2134BYP) .

[22] Pour le développement de cette idée, v. G. Piette, Les faiblesses du cautionnement, RLDA, octobre 2007, p. 103.

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