Lexbase Public n°224 du 24 novembre 2011 : Environnement

[Questions à...] L'état d'avancement de l'application du droit communautaire de l'environnement en France - Questions à Fabienne Keller, sénateur du Bas-Rhin

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N8884BST

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[Questions à...] L'état d'avancement de l'application du droit communautaire de l'environnement en France - Questions à Fabienne Keller, sénateur du Bas-Rhin. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5632381-questions-a-letat-davancement-de-lapplication-du-droit-communautaire-de-lenvironnement-en-france-que
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 30 Novembre 2011

La question des contentieux communautaires dans le domaine de l'environnement a connu une relative amélioration depuis quelques années, puisque le nombre d'infractions n'a pas augmenté et que de nombreux dossiers particulièrement problématiques ont pu être classés, tel celui relatif à la pollution de l'Etang de Berre. Cependant, la fragilité des résultats acquis dans le domaine de l'eau, par exemple, est préoccupante. Il en est de même de l'émergence de nouveaux dossiers à risques, tels que l'air et le bruit. Trois ans après son dernier rapport d'information sur le sujet, Fabienne Keller, sénateur du Bas-Rhin, a procédé, au cours de l'année 2011, à une série d'auditions et de déplacements sur le terrain, en se concentrant plus spécifiquement sur la thématique récurrente de l'eau et sur le dossier émergent de la qualité de l'air. De son rapport intitulé "L'application du droit communautaire de l'environnement : de la prise de conscience à la mobilisation des acteurs", enregistré à la Présidence du Sénat le 12 octobre 2011, sur lequel Lexbase Hebdo - édition publique l'a interrogée, ressort nettement l'idée que cette situation en demi-teinte impose clairement une intensification et une accélération des actions menées, ainsi qu'une visibilité financière accrue pour les acteurs locaux. Lexbase : Quelles sont les évolutions significatives que vous avez pu constater depuis la publication de votre dernier rapport en 2008 ?

Fabienne Keller : Au 28 mars 2011, d'après les chiffres fournis par la Commission européenne, la part des dossiers environnementaux dans l'ensemble des contentieux engagés contre la France était de 17 %, ce qui correspond à la moyenne de l'Union européenne (18 %). En outre, le nombre total d'infractions au droit de l'Union européenne de l'environnement s'élève à 21 en 2010 pour la France, sur 440 procédures d'infraction ouvertes. Enfin, il existe une plus forte proportion des cas de mauvaise application et de non-conformité dans les motifs d'infraction au droit de l'environnement, par rapport à l'ensemble des infractions. Le droit de l'environnement concerne, ainsi, 31 % des cas de non-conformité, et 28 % des cas de mauvaise application. Les domaines les plus concernés par les infractions au droit de l'environnement sont l'eau, les déchets et la biodiversité. La France se situe dans la moyenne des Etats membres, avec une position en pointe sur certains domaines sur lesquels elle a souvent été à l'origine de politiques communautaires. L'on constate des améliorations dans la transposition des Directives, mais elles doivent se confirmer. Ainsi, une prise de conscience au plus haut niveau de l'administration a eu lieu depuis la première condamnation financière de la France, en 2006, ce qui a favorisé la sensibilisation des différents ministères. Des provisions pour litiges sont inscrites dans le compte général de l'Etat, à hauteur de 253,5 millions d'euros en 2010. De plus, la construction d'un grand ministère de l'Ecologie a certainement favorisé l'intégration des problématiques environnementales au sein des politiques publiques.

Lexbase : La mise en oeuvre des Directives sur l'eau semble particulièrement problématique. Qu'en est-il exactement ?

Fabienne Keller : La Directive (CE) 91/271 du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (N° Lexbase : L7625AUX) (DERU), est une Directive fondée sur des obligations de moyens. Elle impose aux Etats membres la collecte et le traitement des eaux usées pour toutes les agglomérations. Or, la France a pris un retard très important dans son application. Elle fait donc actuellement l'objet de trois procédures d'infraction, dont une procédure de manquement sur manquement au stade de l'avis motivé, qui fait peser le risque financier le plus imminent. Ce retard s'explique par une prise de conscience beaucoup trop tardive des risques contentieux et des délais nécessaires à la mise aux normes des stations, une mauvaise anticipation des pouvoirs publics, avec l'inscription des investissements nécessaires, accompagnés de mesures incitatives, seulement dans les neuvièmes programmes d'actions des agences de l'eau (2007-2012), mais aussi par la lourdeur des financements requis, à savoir 75 milliards d'euros sur vingt ans. Au total, le bilan coûts-avantages de la DERU est mitigé. Le bénéfice environnemental n'est pas à la hauteur des investissements consentis. Au contraire, la mise aux normes des stations d'épuration se traduit par une consommation d'énergie colossale.

Plus récemment, la Directive (CE) 2000/60 du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau (N° Lexbase : L8045AUI), est fondée, quant à elle, sur des obligations de résultats. Elle impose l'atteinte du bon état écologique des masses d'eau d'ici 2015, définition étant laissée à la discrétion de chaque Etat membre, ceci sous la surveillance de la Commission. Si de nombreux outils de planification existent en France pour l'application de ce texte, comme les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) ou les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), la France risque, malgré tout, de ne pas respecter l'échéance de 2015. Ainsi, les collectivités qui viennent de réaliser de lourds investissements pour leurs stations d'épuration sont confrontées à l'incertitude des subventions. Cette raréfaction de la ressource financière pourrait conduire les pouvoirs publics à envisager de relever les redevances des agences de bassins, qui sont des outils fiscaux assez efficaces pour réprimer financièrement les pollueurs. L'on peut, également, citer les délais de mise en oeuvre des différentes actions, qui pourraient s'avérer beaucoup plus longs que prévu, ainsi que l'inertie propre des milieux naturels.

Lexbase : Existe-t-il un risque réel de condamnation financière à moyen terme pour transposition insuffisante de la Directive sur la qualité de l'air ?

Fabienne Keller : La réglementation européenne relative à la qualité de l'air est fondée sur la Directive (CE) 2008/50 du 21 mai 2008, concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur en Europe (N° Lexbase : L9078H3M). Celle-ci concerne, notamment, les particules, les oxydes d'azote, le dioxyde de soufre et l'ozone. Elle fixe des valeurs limites pour l'ensemble des polluants concernés. Elle a été déclinée en droit national à travers la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie (loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996, sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie N° Lexbase : L2596IRL). Plus récemment, le Grenelle de l'environnement, le Plan national santé environnement et le plan sur les particules sont venus renforcer cet arsenal législatif. Toutefois, la France fait l'objet d'une procédure contentieuse pour non respect des valeurs limites des particules dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres, dites "PM 10". La Commission a saisi la Cour de justice en mai 2011. La condamnation semble inévitable, car la plupart des grandes agglomérations sont concernées par le dépassement des valeurs limites de "PM 10". Les sources principales des "PM 10" sont les activités agricoles, l'industrie manufacturière, le secteur résidentiel et tertiaire (chauffage notamment) et le transport routier. Parmi ces facteurs, le chauffage domestique est particulièrement difficile à maîtriser, car il relève de comportements individuels et concerne surtout des foyers modestes, qui se chauffent souvent avec un bois d'assez mauvaise qualité, très polluant. Par ailleurs, un logement bien isolé est souvent un logement plus cher. Toutefois, contrairement à ce qui se passe dans le domaine de l'eau, on n'est pas à l'échelle des problèmes soulevés du fait de l'absence d'outils de pilotage efficaces. C'est d'autant plus dommageable que l'on estime à plusieurs milliers le nombre de décès prématurés liés à cette forme de pollution. En outre, la majeure partie des plans mis en oeuvre reste lettre morte en l'absence de moyens affectés.

Lexbase : Quels sont les nouveaux dossiers qui pourraient faire peser des risques sur l'avenir ?

Fabienne Keller : Je citerais principalement la Directive (CE) 2002/49 relative à l'évaluation et à la gestion du bruit dans l'environnement (N° Lexbase : L5139A44), qui impose des obligations de moyens, notamment l'élaboration d'une cartographie du bruit autour des principales infrastructures et agglomérations et de plans d'action destinés à réduire ces nuisances sonores. La problématique du bruit représente un enjeu sociétal et sanitaire important, c'est probablement le polluant du XXIème siècle. En effet, il s'agit d'une nuisance sensible pour la santé, à travers des effets sur l'audition mais, également, sur le stress des populations exposées. Par exemple, 16 % des habitants de l'Union européenne souffrent d'une déficience auditive. Or, à ce jour, seul un tiers des cartes prescrites par la Directive a été réalisé. Or, la Commission européenne surveille de très près l'évolution de la situation. Il est donc urgent de se mobiliser rapidement. A cet égard, les préfets jouent un important rôle d'animation sur le terrain. Il leur appartient d'informer et de conseiller les communes et les EPCI concernés, afin qu'ils puissent établir leurs cartes de bruit.

Lexbase : Quels enseignements et quelles recommandations pour l'avenir ?

Fabienne Keller : Il faudrait, tout d'abord, anticiper la mise en oeuvre des Directives par une élaboration simultanée des textes d'application français, en prenant exemple sur le cas finlandais. Le développement des relations de travail directes entre le Parlement européen, le Parlement National et le Conseil me semble tout aussi indispensable. Se fait, également, jour la nécessité de créer une équipe projet responsable du suivi pour chaque texte et d'instaurer un créneau parlementaire annuel réservé à la transposition des Directives. Je propose aussi d'associer au travail législatif européen les collectivités (régions, départements, communes, syndicats et intercommunalités), les agences et autres structures publiques qui seront chargées de leur mise en oeuvre. Ainsi les normes, les échéanciers, la nature et l'ampleur des actions prendront mieux en compte le terrain.

Améliorer le pilotage et la gouvernance de la mise en oeuvre des directives me semble, enfin, indispensable. L'on pourrait instituer au niveau national (par exemple au Sénat) une instance de suivi des textes en cours d'élaboration ou de mise en oeuvre, composée de représentants du Parlement national, de l'exécutif et des collectivités territoriales. La création d'un lieu de gouvernance régional, rassemblant l'ensemble des acteurs sur une Directive, avec un cadrage financier réaliste (à l'image des agences de bassin) et un suivi opérationnel des actions est, également, une idée à suivre. Il me paraît inévitable d'engager une réflexion sur une appréhension globale des enjeux et un traitement transversal des objectifs parfois concurrents. Les exemples de l'eau et de l'air illustrent la nécessité d'adopter une approche globale et intégrée, prenant en compte les "effets croisés". L'amélioration de la qualité de l'air, la lutte contre le changement climatique et la politique énergétique sont, en effet, interdépendantes. Une réflexion doit être menée sur la notion de valeur environnementale et le coût des obligations des Directives européennes en termes de consommation d'énergie, d'investissements et d'enjeux concurrents.

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