Lexbase Avocats n°201 du 1 octobre 2015 : Avocats/Déontologie

[Le point sur...] La discipline de l'avocat

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par Aurélien Ascher, Avocat au barreau de Paris

le 01 Octobre 2015

Les faits donnant lieu à des poursuites disciplinaires dépassent largement le cadre professionnel, la notion de faute faisant l'objet d'une appréciation casuistique. Jusqu'à la réforme de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004, réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques (N° Lexbase : L7957DNZ), la discipline des avocats était assurée par les conseils de l'Ordre. Cette réforme a scindé les autorités de poursuite et de jugement afin de respecter les principes essentiels des droits de la défense. A l'inverse du Code pénal décrivant avec précision les infractions pénales, il n'existe pas d'énumération des infractions disciplinaires. L'article 183 du décret du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID) prévoit en effet une définition large des infractions disciplinaires : "toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même ses rapportant à des faits extraprofessionnels exposent l'avocat qui en est l'auteur à des sanctions disciplinaires". Les conséquences d'une procédure disciplinaire pouvant affecter l'exercice même de la profession d'avocat, il est apparu nécessaire de garantir progressivement l'avocat, faisant l'objet de poursuites disciplinaires, de mêmes droits de la défense que pour tout justiciable. I - La faute et les sanctions disciplinaires

L'exemplarité de l'avocat doit guider la vie professionnelle de l'avocat comme en témoigne les principes essentiels de son serment. Le champ des fautes disciplinaires déborde, néanmoins, le cadre professionnel et peut relever de faits de la vie personnelle de l'avocat comme le rappelle régulièrement la jurisprudence.

A - La notion de faute disciplinaire indépendante du droit pénal

Tel qu'il découle de l'article 183 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l'avocat peut s'exposer à des poursuites disciplinaires non seulement lorsqu'il contrevient aux lois et règlements, mais plus largement lorsqu'il enfreint les règles professionnelles ou manque à ses devoirs de probité, d'honneur ou de délicatesse, et ce, même en dehors de la sphère de sa profession. On le pressent à la lecture de l'article, la palette des fautes susceptibles de sanctions disciplinaires est large.

Parmi les faits les plus graves figurent bien évidemment les infractions pénales (la rédaction par un avocat d'un faux jugement, Cass. crim., 14 novembre 2013, n° 11-85.298, F-D N° Lexbase : A6295KPT, Gaz. Pal., 20-21 juin 2014, p. 20, obs. Villacèque). D'autres fautes relèvent de manquements aux principes essentiels de la profession. Il a ainsi été jugé que le fait de ne pas payer sa taxe professionnelle caractérisait un manquement à la probité et à la délicatesse (Cass. civ. 1, 23 novembre 1999, n° 96-19.466 N° Lexbase : A3741CZL). Constitue également une faute disciplinaire le fait de ne pas respecter l'obligation de formation continue (CA Bordeaux, 14 octobre 2008, n° 08/02372 N° Lexbase : A9588EET).

L'on comprend aisément que ces fautes, commises dans l'exercice des fonctions professionnelles, sont passibles de sanctions disciplinaires. Mais, la jurisprudence rappelle également que les manquements peuvent se rapporter à des faits relevant de la vie personnelle de l'avocat. Par exemple, le fait pour deux avocats de refuser de payer le solde du coût de leur mariage caractérisait une faute disciplinaire (CA Paris, 30 avril 1997, Gaz. Pal., 5 juillet 1997). A également été jugé comme un manquement à la dignité, le fait pour une avocate de jouer de la musique dans les rues et sur les marchés en dehors de toute organisation officielle (CA Bordeaux, 3 juin 2003, n° 02/06127 N° Lexbase : A6032C8W).

La qualification de faute disciplinaire est finalement affaire de casuistique, relevant d'une appréciation souveraine des conseils de discipline, et ce d'autant plus, qu'il n'est pas nécessaire de démontrer une intention frauduleuse. La négligence caractérisée, comme l'absence du paiement des cotisations professionnelles, ou bien le défaut de placement des fonds sur le compte CARPA, pourrait suffire à caractériser une faute de nature disciplinaire.

Si le droit disciplinaire entretient des liens avec droit pénal (le conseil disciplinaire attendra souvent l'issue de la procédure pénale avant de statuer sur le terrain disciplinaire), son autonomie par rapport au droit pénal, est souvent rappelée. Nombreux sont les arrêts qui consacrent, en effet, l'indépendance du droit disciplinaire par rapport au droit pénal en rappelant qu'un conseil de discipline n'est aucunement tenu dans son appréciation de la faute, par celle retenue par le juge pénal et inversement (par exemple Cass. civ. 1, 2 avril 1997, n° 95-13.599 N° Lexbase : A0427ACS, JCP éd. G, 1997, IV, 1119).

B - Les sanctions disciplinaires et les mesures provisoires auxquelles peut être confronté l'avocat poursuivi

C'est le décret du 27 novembre 1991, dans son article 184, qui fixe les sanctions disciplinaires auxquelles un avocat peut être condamné.

La loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ) avait, en effet, confié au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les sanctions disciplinaires. Le Conseil d'Etat a validé cette compétence du pouvoir réglementaire comme conforme au principe de la légalité des délits et des peines. Il a considéré que les dispositions de l'article 183 du décret de 1991, énonçant les obligations de l'avocat en raison de son appartenance professionnelle, ne violaient pas le principe de légalité des délits (CE, 6° s-s-r, 22 juin 2012, n° 353854 N° Lexbase : A5196IP7).

Les peines disciplinaires sont au nombre de quatre : l'avertissement, le blâme, l'interdiction temporaire d'exercer, la radiation. A titre de sanction accessoire, le conseil peut aussi ordonner la publicité de la peine disciplinaire. Il a également la possibilité de cumuler l'une des trois premières sanctions avec la privation du droit de faire partie d'organismes, de conseils professionnels ou d'accéder aux fonctions de Bâtonnier. Ces sanctions sont versées au dossier administratif de l'avocat. Ainsi, en cas de nouvelle condamnation, il peut en être tenu compte pour sanctionner plus sévèrement l'avocat.

Toute poursuite pénale ou disciplinaire peut, en outre, donner lieu, si l'urgence et la protection du public l'exigent, à une suspension provisoire de l'avocat qui a commis une faute pénale ou disciplinaire. Cette mesure préventive prive l'avocat de son droit d'exercer la profession pendant quatre mois renouvelables, mais peut être levée à tout moment. Elle est particulièrement lourde puisque l'avocat est obligé de retirer son nom de tout papier à en-tête (Cass. civ. 1, 1er décembre 2011, n° 10-26.026, F-D N° Lexbase : A4661H3Z) et perd sa qualité d'électeur lors d'élections ordinales (CA Paris, 23 mai 2013, n° 13/06333 N° Lexbase : A8497KD3). L'administration du cabinet de l'avocat suspendu est alors confiée par le Bâtonnier à un ou plusieurs confrères qui sont rémunérés pour les actes accomplis. Cette mesure préventive doit rester exceptionnelle et courte au risque pour l'avocat suspendu de perdre toute sa clientèle et de fermer son cabinet.

Il a été admis la faculté d'ordonner la confusion de peines de même nature prononcées successivement (Cass. civ. 1, 4 janvier 2005, n° 03-16.282, F-P+B N° Lexbase : A8744DEL). La Cour exige alors que les peines soient de même nature et gravité. La confusion est donc exclue entre sanctions pénales et disciplinaires (Cass. crim., 17 mai 1989, n° 86-95.407 N° Lexbase : A7556CUE, Gaz. Pal., 1989, 491, note Flécheux) mais également entre sanctions disciplinaires trop différentes : interdiction provisoire et radiation ne sont pas susceptibles de confusion.

II - Une procédure disciplinaire garante des droits de la défense

Les cordonniers étant souvent les plus mal chaussés, c'est peu à peu que les différentes phases de la procédure disciplinaire se sont dotées des principes essentiels des droits de la défense. La procédure disciplinaire se découpe en différentes phases telles que décrites dans les articles 22 à 25-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et les articles 187 à 197 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

A - La phase de saisine et d'instruction du conseil de discipline

La procédure disciplinaire est généralement déclenchée sur plainte portée devant le Bâtonnier ou le procureur général qui l'en avise. Le Bâtonnier procède par lui-même ou via un rapporteur à "l'enquête déontologique". Celle-ci a pour objet de recueillir tous les éléments sur le comportement de l'avocat. Elle n'est soumise à aucune forme et n'a pas besoin d'être contradictoire. A son terme, le Bâtonnier établit un rapport et a le choix, entre le classement sans suite de l'affaire (en délivrant le cas échéant une admonestation paternelle), ou l'engagement les poursuites.

En cas de poursuite, un conseil de discipline est saisi par le Bâtonnier ou le procureur général. Un acte de saisine motivé est notifié à l'avocat poursuivi par LRAR. Commence alors l'instruction du dossier par le conseil de l'Ordre via un rapporteur. Celui-ci est tenu à une obligation d'impartialité puisqu'il a "pour mission de procéder à une instruction objective et contradictoire de l'affaire dont le rapport est obligatoire et déterminant du sort ultérieurement réservé aux poursuites par la formation du jugement" (Cass. civ.1, 2 avril 2009 n° 08-12.246, FS-P+B+I N° Lexbase : A5231EEH). Il doit aussi dresser un procès verbal de tout acte d'instruction et de toute audition. Cette phase contradictoire se déroule sur quatre mois maximum et s'achève par la transmission d'un rapport au conseil de discipline et à la partie poursuivante.

Dans les barreaux très importants comme celui de Paris, la Chancellerie autorise la prorogation de ce délai très court, dans la limite de deux mois pour procéder à une instruction plus longue (décret n° 91-1197, art. 191, al. 1er).

A réception du rapport d'instruction, le président de formation disciplinaire fixe la date d'audience.

B - La phase de jugement devant le conseil de discipline

On l'a déjà dit, la procédure pénale inspire largement l'évolution de la procédure disciplinaire.

Le principe du contradictoire a su s'imposer à ce stade de la procédure puisqu'aucune peine ne peut être prononcée si l'avocat poursuivi, n'a pas été entendu ou appelé au moins 8 jours à l'avance et s'il n'a pas été déposé par le ministère public des conclusions avant l'audience (Cass. civ. 1, 11 mars 2014, n°13-12.050, F-D N° Lexbase : A9251MGQ). L'avocat est convoqué par LRAR ou par citation d'huissier. Doit être mentionné à peine de nullité : l'indication des faits à l'origine des poursuites, la référence aux dispositions législatives ou réglementaires précisant les obligations auxquelles il est reproché à l'avocat poursuivi d'avoir contrevenu et, le cas échéant, une mention relative à la révocation du sursis.

L'avocat comparait en personne, en robe sauf s'il a été omis du tableau, suspendu provisoirement ou interdit temporairement et peut être assisté d'un conseil. Dans le silence des textes, il revient au président du conseil de discipline de diriger les débats comme le ferait le président d'une juridiction pénale. Comme l'a rappelé fermement la Cour de cassation, l'exigence d'un procès équitable implique que la personne poursuivie doit être entendue à l'audience et puisse avoir la parole en dernier (Cass. civ. 1, 25 février 2010, n° 09-11.180, FS-P+B+I N° Lexbase : A2544ESZ, Bull. civ. I, n° 46 ; D., 2010, AJ, 658, obs. Dargent ; JCP éd. G, 2010, 1068, n° 5, obs. Pillet).

Toujours plus soucieuse de garantir les droits de la défense de l'avocat, la jurisprudence depuis 1999, relayée par la réforme du 11 février 2004 (loi n° 2004-130 du 11 février 2004, réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques N° Lexbase : L7957DNZ), a institué une séparation franche et étanche entre les autorités d'instruction et de poursuite d'une part et les autorités de jugement d'autre part, interdisant que le rapporteur instruisant l'affaire et le Bâtonnier qui poursuit puissent siéger au conseil de discipline et participer au délibéré.

De même, la publicité des débats, exigence découlant du droit à un procès équitable également, a été inscrite à l'article 194 du décret de 1991. Les débats sont publics, sous réserve d'une demande contraire de l'une des parties ou du nécessaire respect de l'intimité de la vie privée.

Dans les huit jours de son prononcé, la décision de conseil est notifiée à l'avocat poursuivi, au Bâtonnier et au procureur général (décret n° 91-1197, art. 196). Ces derniers peuvent interjeter appel dans les conditions de forme de tout recours porté devant la cour d'appel en application de l'article 16 du décret. La cour d'appel, est saisie de l'entier litige et la procédure devant elle doit rester contradictoire. Enfin, dans les deux mois de la notification ou signification de l'arrêt d'appel, l'arrêt peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation.

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