Réf. : CJUE, 3 septembre 2015, aff. C-110/14 (N° Lexbase : A3752NNB)
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par Frédérique Julienne, Maître de conférences - HDR, Faculté de droit de Bordeaux, membre de l'IRDAP
le 01 Octobre 2015
L'intérêt de cette décision est donc de préciser les contours d'application d'un dispositif phare de protection des consommateurs à l'égard des membres de la profession d'avocat. Il s'inscrit dans un mouvement récent qui, jusqu'à présent, s'intéressait à cette problématique mais sous le prisme plutôt des rapports contractuels entre les avocats et leurs clients. Ainsi, dans une décision rendue par la CJUE, le 15 janvier 2015 (CJUE, 15 janvier 2015, aff. C-537/13 N° Lexbase : A1934M9I), il avait établi que la Directive sur les clauses abusives avait pour vocation à s'appliquer aux contrats de service standardisés. Dans la même logique, dans deux arrêts de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 26 mars 2015 (1), les juges ont estimé que la prescription biennale fixée par l'article L.137 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7231IA3) devait concerner les honoraires des avocats.
La décision commentée démontre combien la notion de consommateur (2) mérite encore des précisions notamment sur l'appréciation des critères de qualification. Deux enseignements peuvent en être tirés : la prévalence des critères objectifs de qualification (I) et l'indifférence des circonstances particulières de signature des contrats (II).
I - Prévalence des critères objectifs de qualification du consommateur
En retenant la qualité de consommateur au bénéfice d'un avocat, les juges de la CJUE privilégient une qualification objective de cette catégorie particulière de contractants. Le niveau de compétence de l'avocat n'est donc pas pris en considération dans ce cas de figure. Ce critère est pourtant un élément d'appréciation qui a pu être mis en avant notamment pour justifier la mise en oeuvre du dispositif à l'encontre des membres de cette profession dans le cadre des contrats de service standardisés conclus avec leurs clients. Afin de légitimer la protection des consommateurs dans ces circonstances, les juges se sont focalisés sur la situation d'infériorité du client à l'égard de la négociation et des informations données. L'asymétrie d'informations et de compétences représente, dès lors, un axe d'appréciation non négligeable qui a été souligné notamment dans la décision du 15 janvier 2015 précitée.
L'unique critère de qualification de consommateur exploité dans la décision commentée repose alors sur l'absence de lien entre le contrat signé par l'avocat et l'exercice de sa profession. Les juges optent pour une lecture stricte des termes de la Directive du 5 avril 1993, sur les clauses abusives qui définit le consommateur comme "toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente Directive agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle". Le seul point d'appréciation découle de la finalité du contrat de crédit signé par l'avocat à savoir, si elle avait un but d'ordre professionnel ou d'ordre personnel. Il convient de souligner la référence faite par les juges de la CJUE à la notion de rapport direct avec l'activité pour justifier la qualification de consommateur au profit de l'avocat. Ce point est important en droit interne depuis la loi "Hamon" (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation N° Lexbase : L7504IZX) qui a intégré une définition légale du consommateur en utilisant le critère du "contrat dont l'objet n'entre pas dans la champ de son activité principale" au lieu du critère traditionnel "du contrat conclu sans rapport directe avec l'activité professionnelle". Cette solution va dès lors dans le sens de la survivance du critère du lien direct dont l'appréciation peut être une source d'incertitudes (3).
L'indifférence du niveau de compétence tend à alimenter le débat relatif à la pertinence de la double catégorie qui est développée en droit français consistant à distinguer les consommateurs et les non-professionnels. L'intégration récente d'une définition légale du consommateur n'a pas remis en question la référence, que ce soit en jurisprudence ou dans la législation, à la qualité de non-professionnel. L'intérêt de cette double catégorie consiste à justifier l'extension des mesures protectrices du droit de la consommation à certains professionnels dans une situation de faiblesse. Notons que le bien-fondé de cette dichotomie est controversé. Une première analyse gomme toute implication en considérant que le consommateur et le non-professionnel sont des synonymes (4) alors qu'une deuxième approche lui reconnaît une portée pratique importante en les distinguant clairement (5). Selon cette deuxième thèse, le consommateur est celui qui contracte pour ses besoins personnels et familiaux tandis que le non-professionnel est celui qui agit dans le cadre de son activité professionnelle mais en dehors du champ de sa compétence. Au vu de la solution privilégiée par la CJUE, le critère pour définir le consommateur serait exclusivement axé sur l'absence de lien entre le contrat et l'activité professionnelle tandis que l'intérêt de la catégorie de non-professionnels serait maintenu en exploitant uniquement le critère du degré de compétence.
II - Indifférence des circonstances de conclusion du contrat de crédit
La qualification de consommateur, retenue au bénéfice de l'avocat, se justifie pour les juges par l'absence de lien entre le contrat de crédit et l'exercice de son activité professionnelle. Sur ce point, la décision, rendue par la CJUE, mérite d'être remarquée au vu des circonstances particulières qui entourent la signature du contrat de crédit qui était au coeur du contentieux. Ce contrat était, en effet, garanti par un cautionnement hypothécaire grevant un immeuble appartenant au cabinet et consentie par l'avocat lui-même en tant que représentant de son cabinet. L'enjeu technique repose sur les modalités d'appréciation de la finalité du contrat de crédit. Faut-il privilégier une approche contractuelle globale ou se focaliser sur une appréciation autonome de la situation contractuelle ?
Les juges de la CJUE se réfèrent à une analyse indépendante de la finalité du contrat de crédit. Cette solution pourrait étonner au vu du lien qui existe entre le contrat de crédit et le cautionnement hypothécaire du fait du caractère accessoire de ce dernier. Cependant, ce lien a vocation à ne concerner que le régime juridique de la garantie et n'a pas d'implication sur l'obligation principale. L'unique critère retenu par les juges est donc la présence ou, au contraire, l'absence de précision sur la finalité poursuivie dans le contrat. Les juges se refusent à rechercher la volonté réelle du contractant se basant uniquement sur un élément textuel : la référence dans le contrat de sa finalité.
Il est légitime de se demander si le même raisonnement pourrait être suivi dans le cadre d'autres situations contractuelles où le lien entre les contrats est réciproque. L'hypothèse envisagée serait celle, par exemple, du contrat de crédit signé pour financer une opération immobilière. Le droit de la consommation prévoit dans ce cas, au bénéfice d'un achat non-professionnel ou mixte, le jeu de la condition suspensive qui crée un lien entre le contrat de financement et le contrat principal. Il paraît alors difficile de défendre une analyse autonome.
En retenant une appréciant isolée de la finalité du contrat de crédit, la décision de la CJUE se montre très favorable aux avocats et plus largement aux membres des professions libérales contractants en leur permettant de bénéficier de manière souple de la protection des consommateurs.
(1) Cass. civ. 2, 26 mars 2015, deux arrêts, n° 14-11.599 (N° Lexbase : A4643NEP) et n° 14-15.013, (N° Lexbase : A4644NEQ), FS-P+B+R+I et nos obs., La soumission de l'avocat à la prescription biennale dans le cadre d'actions en contestation d'honoraires, Lexbase Hebdo n° 610 du 23 avril 2015 - édition professions (N° Lexbase : N6924BUY) ; JCP éd. G, 649, note C. Caseau-Roche.
(2) G. Raymond, Définition légale du consommateur par l'article 3 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, Contrats, concurrence, consommation, n° 5, mai 2014, dossier 3.
(3) X. Henry, Clauses abusives : où va la jurisprudence accessible ? L'appréciation du rapport direct avec l'activité, D., 2003, 2557.
(4) J. Calay Auloy, Les contrats d'adhésion et la protection des consommateurs, ANAJ, 1978, p. 259.
(5) G. Berlioz, Droit de la consommation et droit des contrats, JCP éd. G, 1979, I, 2954.
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