Réf. : Cass. civ. 2, 26 mars 2015, deux arrêts, n° 14-11.599, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4643NEP) et n° 14-15.013, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4644NEQ)
Lecture: 8 min
N6924BUY
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Frédérique Julienne, Maître de conférences - HDR, Faculté de droit de Bordeaux
le 22 Avril 2015
En retenant cette solution protectrice du client consommateur, la juridiction interne s'inscrit dans la mouvance des solutions retenues par la CJUE.
En effet, cette dernière a eu récemment l'occasion, par le biais d'une question préjudicielle d'une juridiction lituanienne, de se prononcer en faveur de l'application du droit de la consommation aux contrats standardisés conclus entre les avocats et leurs clients (1). L'enjeu reposait sur la mise en oeuvre ou non de la règle selon laquelle le doute sur l'interprétation d'une clause doit profiter au consommateur. Selon cette décision "la Directive 93/13 (N° Lexbase : L7468AU7) doit être interprétée en ce sens qu'elle s'applique à des contrats standardisés de services juridiques, tels que ceux en cause au principal, conclus par un avocat avec une personne physique qui n'agit pas à des fins qui entrent dans le cadre de son activité professionnelle". Il est intéressant de remarquer que l'argumentaire développé par les juges de la Cour de cassation dans les affaires commentées correspond exactement à celui développé par la CJUE. Le coeur du raisonnement repose sur la qualification de consommateur du client face à son avocat en ne prenant pas en considération les éventuelles spécificités de cette profession libérale. Afin de mesurer la portée de ces solutions, nous nous arrêterons sur leur justification (I) avant d'évoquer leurs implications (II).
I - Justification de l'application du droit de la consommation dans les rapports entre l'avocat et ses clients
Afin de justifier la mise en oeuvre du délai de prescription réduit du droit de la consommation à l'encontre de la demande de paiement du solde des honoraires formulée par les avocats auprès de leurs clients, les juges de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation développent une argumentation succincte exclusivement centrée sur la qualification de consommateur du client. En protégeant le consommateur dans ses rapports contractuels avec le professionnel qu'est l'avocat, les juges se focalisent sur sa situation d'infériorité à l'égard de la négociation et des informations données. La même démarche est suivie sur le plan supra-national. Ainsi, les juges de la CJUE, pour légitimer l'application du droit de la consommation issu de la Directive 93/13, ont souligné l'asymétrie d'information entre l'avocat et son client (2). Toutefois, la mise en application de cette qualification n'est pas sans soulever des difficultés lorsqu'elle intervient dans les rapports entre clients et avocats.
Tout d'abord, l'approche divergente retenue par les juges d'appel dans les affaires étudiées ainsi que les solutions privilégiées par des arrêts rendus antérieurement par des juridictions du fond dans le sens d'une exclusion de la qualité de consommateur démontrent que la solution ne va pas nécessairement de soi (3). Dans les deux arrêts étudiés, les juges se référent à l'analyse stricte du consommateur correspondant à la définition légale introduite par la loi "Hamon" du 17 mars 2014 (N° Lexbase : L7504IZX). Le consommateur ne peut être qu'une personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. Appliquée aux clients des avocats, cette approche suppose que soit introduite une dichotomie en fonction de l'objet des conseils sollicités, à savoir s'il relève de la sphère privée ou de la vie professionnelle. Or, cette opposition peut se révéler difficile en pratique du fait de l'imbrication des problèmes juridiques. Quelle qualification retenir lorsque, par exemple, la problématique soumise à l'avocat porte sur un divorce mais que la liquidation des règlements pécuniaires met en jeux, par ailleurs, des intérêts patrimoniaux professionnels comme des parts de société ? Devra-t-on dans ce cas, considérer que le client est un consommateur ou un professionnel ? Il apparaît que dans les situations complexes d'imbrication des problématiques, la solution devra résider dans une sous distinction plus subtile selon si l'objet de la demande du client relève principalement ou accessoirement de la sphère privée.
Ensuite, la référence faite par les juges à la notion stricte de consommateur laisse en suspend le sort des non professionnels. Cette interrogation apparaît à chaque fois qu'une solution jurisprudentielle ou qu'un texte législatif exploite uniquement le terme de consommateur du fait de l'existence de la double catégorie privilégiée en droit français. La terminologie de non professionnel a pour origine la réglementation sur le démarchage et a été développée, à la fois, par le législateur et la jurisprudence dans l'ensemble de la matière du droit de consommation. L'intégration d'une définition légale du consommateur n'a pas remis en cause la qualification plus controversée de non professionnels. L'enjeu repose sur l'extension du droit de la consommation aux personnes morales et à certains professionnels dans une situation de faiblesse. Deux approches du non professionnel sont privilégiées par la doctrine. Pour les uns, il s'agit d'y voir deux synonymes (4), alors que pour les autres, les deux termes doivent être clairement distingués (5). Selon cette seconde analyse, le consommateur contracte pour ses besoins personnels et familiaux tandis que le non professionnel conclut un contrat dans le cadre de son activité professionnelle mais hors du champ de sa compétence. Le droit positif privilégie une distinction nette entre les deux notions comme l'attestent la teneur des textes et l'état de la jurisprudence (6). Le fait que, dans les deux arrêts étudiés, les juges ne visent que les consommateurs exclut donc du raisonnement la catégorie des non professionnels. Seul l'état de faiblesse du consommateur entendu au sens strict justifie la mise en oeuvre du dispositif protecteur dans les rapports contractuels nés entre les avocats et leurs clients.
II - Implications de l'application du droit de la consommation dans les rapports entre l'avocat et ses clients
En soumettant les rapports contractuels nés entre les avocats et leur client au droit de la consommation, les juges de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation traitent les avocats comme des professionnels ordinaires. Ils ne se dirigent donc pas vers une démarche qui consisterait à opérer une distinction en fonction de la catégorie des professionnels. Si cet argument n'apparaît pas dans les affaires étudiées, un rapprochement avec la jurisprudence dégagée par la CJUE révèle qu'il a pu être soulevé (7). Plus précisément, deux particularités attachées à la profession d'avocat ont pu être avancées pour défendre la non-application du droit de la consommation. Il s'agit, en premier lieu, du caractère public de l'activité. Sur ce point, le droit de l'Union européenne apporte une réponse nette : les activités publiques sont soumises au droit de la consommation. Il s'agit, en second lieu, des difficultés d'articulation entre le droit de la consommation et les règles de déontologie propres aux avocats, comme le secret professionnel. En effet, le contrôle judiciaire des rapports contractuels entre client et avocat est susceptible d'interférer avec l'obligation de confidentialité. Sur cet aspect, aucune réponse claire n'a été encore formulée.
La question de la coordination entre les règles du droit de la consommation et les règles relatives à la profession d'avocat se rattache à une problématique plus générale consistant à déterminer si le droit de la consommation a vocation à s'appliquer lorsque des règles particulières protectrices sont déjà prévues dans une autre branche du droit. La tendance générale qui se dégage en jurisprudence consiste à exclure dans cette hypothèse le droit de la consommation (8). Or, les règles de déontologie imposent un certain nombre d'obligations à l'encontre du professionnel qui vont déjà dans le sens d'un rééquilibrage des rapports entre l'avocat et son client. Touchant la profession d'avocat, les arrêts commentés soulèvent la question plus globale du sort réservé à d'autres professions libérales. A l'égard de certains professionnels, la préexistence de règles protectrices ou non en faveur de la partie considérée comme faible au contrat a pu être considérée comme décisive dans des solutions dégagées par des juges du fond. Ainsi, la jurisprudence a jusqu'ici refusé d'assimiler le patient à un consommateur au motif qu'il est déjà protégé par le Code de la santé publique (9).
Dans les deux arrêts commentés, les juges de la Cour de cassation s'orientent donc vers une approche unitaire de la notion de professionnels, soumis au droit de la consommation en excluant la prise en compte des spécificités de telle ou telle catégorie professionnelle. Il reste à déterminer si cette approche uniforme va également s'imposer à l'égard des règles du droit de la consommation applicables aux avocats. L'ensemble des règles du droit de la consommation est-il susceptible de leur être opposé ou une réponse différenciée doit-elle être retenue en fonction de la mesure concernée ? L'étude parallèle des solutions retenues en droit interne et en droit supra-national semble aller dans le sens d'une application globale. Ainsi, les deux arrêtés étudiés portent sur le délai de prescription de l'article L. 137-2 du Code la consommation alors que la CJUE a eu l'occasion de se prononcer concernant la Directive de 1993 sur les clauses abusives dans les contrats cadres dressés par les avocats.
Les arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 26 mars 2015 en faveur du traitement des avocats comme des professionnels soumis au droit de la consommation à l'égard de leurs clients personnes physiques agissant dans une sphère privée, dévoilent une logique convergente suivie par la jurisprudence interne et européenne.
(1) CJUE, 9ème ch., 15 janvier 2015, aff. C-537/13 (N° Lexbase : A1934M9I), JCP éd. E, note S. Moracchini-Zeidenberg.
(2) Voir supra.
(3) CA Aix en Provence, 20 mai 2014, n° 13/24877 (N° Lexbase : A5980ML3) : "L'avocat et son client ne concluent pas un contrat de fourniture de services mais une relation, hors du commerce, qui n'entre pas dans le champ du droit spécial de la protection des consommateurs".
(4) J. Calay Auloy, Les contrats d'adhésion et la protection des consommateurs, ANAJ, 1978, p. 259.
(5) G. Berlioz, Droit de la consommation et droit des contrats, JCP éd. G, 1979, I, 2954.
(6) Ex. : Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n°13-13.779, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2973MQ8) concernant l'action en suppression des clauses abusives.
(7) Voir CJUE, 15 janvier 2015, préc..
(8) Ex. : non application du principe de proportionnalité à l'aval, soumis au droit cambiaire : Cass. civ. 1, 19 décembre 2013, n° 12-25.888, F-P+B (N° Lexbase : A7415KSG).
(9) CA Paris, 21 mars 2013, Contrats, conc. consom., 2013, comm. 195.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:446924