Lexbase Droit privé n°617 du 18 juin 2015 : Procédure pénale

[Jurisprudence] L'extinction de l'action publique par la transaction : la nécessité d'une exécution

Réf. : Cass. crim., 19 mai 2015, n° 14-85.885, F-P+B (N° Lexbase : A5356NI9)

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par Kaltoum Gachi, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II

le 18 Juin 2015

L'arrêt du 19 mai 2015 est l'occasion pour la Chambre criminelle de rappeler que la seule acceptation de la transaction avec l'envoi d'un chèque de règlement n'est pas extinctif de la prescription. Seule l'exécution de celle-ci est dotée d'un tel effet. La solution a le mérite de la clarté. Elle est également plus sûre en ne conférant un effet extinctif qu'aux transactions véritablement exécutées dans le délai imparti.

L'article 6 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9881IQZ) prévoit les différents modes d'extinction de l'action publique parmi lesquels la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale, la chose jugée.

Aux côtés de ces procédés classiques d'extinction de l'action publique prévus par l'alinéa 1er de l'article 6, l'alinéa 3 de ce même article dispose que l'action publique "peut, en outre, s'éteindre par transaction lorsque la loi en dispose expressément ou par l'exécution d'une composition pénale ; il en est de même, en cas de retrait de plainte, lorsque celle-ci est une condition nécessaire de la poursuite". On sait que, traditionnellement, le Parquet ne peut, par principe, transiger car il n'a pas le pouvoir de disposer de l'action publique alors que la victime peut toujours transiger sur l'action civile. De nature essentiellement civile, le droit de transiger est totalement étranger à l'exercice de l'action publique, celle-ci étant par essence d'ordre public. Toutefois, ce principe doit être tempéré tant la transaction pénale connaît un véritable renouveau.

Ce mode de règlement amiable, qui fait l'économie du procès, a été largement préconisé par le rapport rendu par la Commission présidée par Jean-Louis Nadal (Refonder le ministère public, 2013) ainsi que, précédemment, par le rapport rendu par la Commission présidée par le recteur Serge Guinchard (L'ambition raisonnée d'une justice apaisée, 2008). Le législateur s'en est récemment inspiré en introduisant un nouvel article 41-1-1(N° Lexbase : L9828I3E) au sein du Code de procédure pénale , issu de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales (N° Lexbase : L0488I4T), qui permet à un officier de police judiciaire de proposer à l'auteur des faits, pour certaines infractions, une transaction pénale sur autorisation du procureur de la République avant la mise en mouvement de l'action publique. Ainsi, instituée en droit commun pour des infractions de faible gravité mais également prévue dans les domaines les plus divers, notamment du droit de l'environnement, de la consommation ou des pratiques commerciales, la transaction est un procédé de plus en plus courant.

En droit de la consommation, la transaction pénale a été organisée par l'article L. 141-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7864IZB) qui vise les contraventions prévues aux livres Ier (information des consommateurs et formation des contrats) et III (endettement et crédit) et les infractions prévues à l'article L. 121-1 (N° Lexbase : L7808IZ9) (pratiques commerciales trompeuses) de ce code. L'article L. 141-1 (N° Lexbase : L0987I7P) avait été initialement inséré dans ce chapitre de façon à codifier certaines dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, relative à la liberté des prix et de la concurrence (N° Lexbase : L8307AGR). Puis, il a été refondu par l'ordonnance du 1er septembre 2005 instaurant un règlement transactionnel pour les contraventions au Code de commerce et au Code de la consommation et portant adaptation des pouvoirs d'enquête ainsi que renforcement de la coopération administrative en matière de protection des consommateurs (N° Lexbase : L9064HBC). La loi n° 2004-1343, du 9 décembre 2004, de simplification du droit (N° Lexbase : L4734GUU) avait, en effet, antérieurement autorisé le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance des mesures instaurant un règlement transactionnel pour lesdites contraventions. L'article L. 141-1 a été, à nouveau, retouché par les lois du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier (N° Lexbase : L5471H3Z) et n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs (N° Lexbase : L7006H3U), de façon à accroître les pouvoirs d'administration et de tenir compte des dernières modifications sur les pratiques commerciales déloyales, elles-mêmes issues de cette dernière loi. Enfin, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX) a ajouté une garantie en faveur de l'auteur de l'infraction : une copie du procès-verbal de constatation de l'infraction doit être jointe à la proposition de transaction.

C'est relativement à cette transaction pénale qu'a été rendu l'arrêt du 19 mai 2015 par la Chambre criminelle. Les faits de l'espèce sont simples. Une personne a été poursuivie devant la juridiction de proximité de Brive-la-Gaillarde, du chef d'infraction aux articles L. 214-1 (N° Lexbase : L7993IZ3) et L. 214-2 (N° Lexbase : L3413HTL) du Code de la consommation, pour avoir dépassé le taux l'humidité de blocs de foie gras et condamné à mille sept cents amendes de 2 euros chacune. Sur appel du prévenu, la cour d'appel de Limoges a infirmé le jugement en relevant que l'action publique a été éteinte, une transaction ayant été acceptée le 26 juillet 2013 et un chèque adressé au Trésor public par le prévenu. Toutefois, sur pourvoi du procureur général près la cour d'appel de Limoges, la Chambre criminelle a cassé cette décision au visa de l'article L. 141-2 du Code de la consommation en rappelant, dans un attendu de principe, que "selon ce texte, l'action publique est éteinte lorsque l'auteur de l'infraction a exécuté, dans le délai imparti, les obligations résultant pour lui de l'acceptation de la transaction". Elle a alors reproché à la cour d'appel d'avoir méconnu le sens et la portée de ce principe en statuant comme elle l'a fait sans qu'il ne résulte de ses constatations que la transaction ait été exécutée. L'arrêt de la cour d'appel de Limoges a été cassé et l'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel de Bordeaux.

Si la transaction a pour effet d'éteindre l'action publique, encore faut-il que les exigences législatives expresses soient respectées. Il convient donc de se référer à la loi prévoyant cette exception (I) et d'en respecter précisément les termes (II).

I - Un mode exceptionnel d'extinction de l'action publique

Classiquement, on distingue la transaction pénale des mesures alternatives aux poursuites prévues aux articles 41-1 (N° Lexbase : L9532I3G) à 41-3 du Code de procédure pénale. Il s'agit là non pas véritablement de transiger sur l'action publique, puisqu'elle n'est pas encore mise en mouvement, mais d'opter pour l'application de mesures préalables à son exercice dont la conséquence en cas de réussite, est de ne pas exercer l'action publique à l'égard de l'intéressé.

Il en est de même de la transaction nouvellement prévue par l'article 41-1-1 du même code. Ces mesures relèvent du pouvoir d'appréciation de l'opportunité des poursuites qui appartient au ministère public.

Toutefois, la distinction n'est pas toujours aisée tant la transaction peut intervenir à un moment quelconque dès lors qu'une décision ayant autorité de chose jugée n'a pas été rendue, y compris pendant l'instance en cassation (Cass. crim., 12 févier 1990, n° 88-85.567 N° Lexbase : A1342CH8, Bull. crim., n° 72 ; Cass. crim., 30 juin 1999, n° 95-85.832 N° Lexbase : A5262C7Z). L'engagement préalable des poursuites n'est donc pas toujours un préalable nécessaire. Au contraire, il est le plus souvent prévu que la transaction ne peut être proposée que tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement. C'est le cas en matière de contributions indirectes, en matière douanière, pour les infractions en matière de pêche en eau douce et de protection des milieux aquatiques, de parcs nationaux, de droit agricole, de transports, de protection des consommateurs et de pratiques commerciales, ainsi que pour la transaction pénale proposée par le maire au titre de l'article 44-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9659IUB).

Les modalités pratiques de mise en oeuvre de la transaction diffèrent selon les administrations ou services. En l'espèce, la transaction est régie par l'article L. 141-2 du Code de la consommation qui prévoit que pour les contraventions et les délits qui ne sont pas punis d'une peine d'emprisonnement prévus aux livres Ier et III ainsi que pour les infractions prévues à l'article L. 121-1, l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation a droit, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, de transiger, après accord du procureur de la République. De la même manière que les mesures alternatives aux poursuites, la transaction prévue par cet article est une sorte de contrat pénal proposé avant l'engagement des poursuites par l'autorité compétente après accord du procureur de la République. Cette procédure vise notamment les contraventions définies par le livre IV du Code de commerce (notamment pratiques de prix illicites, opérations promotionnelles sur les produits alimentaires périssables, ventes sauvages), l'ensemble des contraventions aux intérêts économiques des consommateurs prévues par le code de la consommation au sein du livre Ier (information des consommateurs, pratiques commerciales et formation des contrats) ainsi qu'au livre III (crédit à la consommation et crédit immobilier) mais également les infractions délictuelles prévues à l'article L. 121-1 relatif aux pratiques commerciales trompeuses

La transaction pénale n'est admise que dans ces cas précis. En dehors des cas expressément prévus par la loi, la transaction qui interviendrait entre la victime d'une infraction ou ses ayants droit et l'auteur n'a aucune incidence sur l'action publique (Cass. crim., 4 juin 1998, n° 96-85.871 N° Lexbase : A5166ACC, Bull. crim., n° 183). En effet, selon l'article 6 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9881IQZ), sauf disposition légale contraire, la transaction, qui ne fait pas disparaître l'infraction, est sans effet sur l'action publique. Il convient alors de se référer aux textes de référence pour en respecter précisément les termes qui subordonnent l'extinction de l'action publique à l'exécution de la transaction.

II - L'effet extinctif de la transaction subordonné à une exécution

L'article L.141-2 du Code de la consommation dispose, dans son dernier alinéa, que "l'action publique est éteinte lorsque l'auteur de l'infraction a exécuté dans le délai imparti les obligations résultant pour lui de l'acceptation de la transaction". Ainsi, si l'acte par lequel le procureur de la République donne son accord à la proposition de transaction est interruptif de la prescription de l'action publique, l'extinction de cette action n'est acquise que si la transaction est exécutée.

Ce texte n'est pas isolé tant de nombreux autres prévoient que la transaction n'aura plein effet que le jour où elle aura été entièrement exécutée. Si la Chambre criminelle admet, cependant, que l'administration, qui a accepté un paiement au-delà du délai, convenu a implicitement renoncé aux poursuites (Cass. crim., 18 avril 1983, n° 82-9008181-92517 N° Lexbase : A6789C8X, Bull. crim., 1983, n° 106), il importe néanmoins que la transaction ait été exécutée.

Or, en l'espèce, c'est là que résidait la difficulté essentielle.

Alors que la cour d'appel avait considéré que l'envoi d'un chèque de règlement par le mis en cause suffisait à éteindre l'action publique, la Chambre criminelle lui reproche de ne pas avoir constaté que la transaction avait été exécutée.

D'une certaine manière, la solution peut aisément se comprendre. En effet, le seul fait qu'un chèque ait été adressé ne permet pas de s'assurer d'un règlement effectif. Qu'en serait-il si le chèque s'avérait, en définitive, sans provision ? C'est sans doute pour parer à ces éventuelles difficultés pratiques que la Cour de cassation a censuré l'arrêt d'appel qui s'était contenté de l'envoi d'un chèque sans s'assurer de son encaissement. Pour autant, la solution peut paraître rude du point de vue du prévenu qui avait accepté la transaction le 26 juillet 2013 et avait adressé un règlement de sorte que son non-encaissement ne lui était manifestement pas imputable. Néanmoins, la solution vient souligner que ce n'est pas l'acceptation de la transaction qui a pour effet d'éteindre l'action publique mais son exécution. Et peut-être appartenait-il aussi au prévenu de s'assurer de l'encaissement de son chèque dans le délai imparti. La cassation a donc été prononcée au visa de l'article L. 141-2 du Code de la consommation dont les termes ont été rappelés.

Précisons enfin que pour radical qu'il est, l'effet extinctif de prescription ne s'étend qu'aux domaines sur lesquels il a été transigé, à l'exclusion de tous autres, objet de la même poursuite (Cass. crim., 19 février 1964, n° 63-9059663-92849 N° Lexbase : A6807C8M, Bull. crim., n° 60 ; Cass. crim., 20 février 1969, n° 68-92.261 N° Lexbase : A2299CIY, Bull. crim., n° 88). De plus, les poursuites ne peuvent être exercées sous une autre qualification. Ainsi, par exemple, la transaction intervenue entre l'administration des douanes et une personne poursuivie, pour injure à agent des douanes dans l'exercice de ses fonctions, ne peut plus être reprise sous la qualification d'outrage à personne chargée d'une mission de service public (Cass. crim., 7 mars 1984, n° 83-91.574 N° Lexbase : A8081AAK, Bull. crim., n° 96). En revanche, la transaction avec l'un des auteurs de l'infraction ne fait pas obstacle à des poursuites contre un coauteur (V. en matière douanière, Cass. crim., 8 décembre 1971, n° 70-91.872 N° Lexbase : A6862CGA, Bull. crim., n° 343) ou même un complice (Cass. crim., 26 novembre 1964, n° 64-90.178 N° Lexbase : A1223CKI, Bull. crim., n° 314). La Cour de cassation estime toutefois que lorsqu'une personne demande à bénéficier de l'extinction de l'action publique accordée à un coauteur qui a payé, à la suite d'une transaction douanière, des droits compromis de son fait, les juges doivent nécessairement rechercher si la transaction conclue avec ce coauteur n'a pas modifié le montant des droits éludés restant dus, compte tenu des paiements déjà effectués. A cette occasion, la Chambre criminelle rappelle que toute transaction en matière douanière étant subordonnée au paiement préalable des droits compromis de son fait, cette transaction a nécessairement une incidence sur le montant des droits restant dus par le coauteur (Cass. crim., 5 février 1998, n° 96-86.137 N° Lexbase : A2951ACB, Bull. crim., n° 47 ; Cass. crim., 8 décembre 1999, n° 98-84.928 N° Lexbase : A7016CGX, Bull. crim., n° 295).

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