Lexbase Fiscal n°599 du 29 janvier 2015 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Droits de vote attachés aux titres de participation dans le cadre du régime fiscal des sociétés mères - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 5 novembre 2014, n° 370650, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9399MZ7)

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[Jurisprudence] Droits de vote attachés aux titres de participation dans le cadre du régime fiscal des sociétés mères - Conclusions du Rapporteur public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/22830541-jurisprudence-droits-de-vote-attaches-aux-titres-de-participation-dans-le-cadre-du-regime-fiscal-des
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par Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section

le 17 Mars 2015

Si les dispositions de l'article 145 du CGI (N° Lexbase : L9522ITT) subordonnent notamment l'application du régime fiscal des sociétés mères à la condition que la société mère détienne une participation représentant au moins 5 % du capital de la société distribuant les dividendes, elles n'exigent pas, pour l'appréciation du seuil de détention d'au moins 5 % du capital de la société émettrice, que des droits de vote soient attachés à chacun des titres de participation détenus par la société mère ni, a fortiori, que les droits de vote éventuellement attachés aux titres de participation soient strictement proportionnels à la quotité de capital qu'ils représentent. De plus, si les produits des titres de participation auxquels aucun droit de vote n'est attaché ne peuvent, en application des dispositions du b ter du 6 de l'article 145 du CGI, être déduits du bénéfice net total de la société mère, sauf lorsque celle-ci détient des titres représentant au moins 5 % du capital et des droits de vote de la société émettrice, ces dispositions n'ont ni pour objet, ni pour effet de réserver l'application du régime fiscal des sociétés mères aux seules sociétés détenant des titres de participation représentant au moins 5 % du capital et 5 % des droits de vote. Telle est la portée de la décision rendue par le Conseil d'Etat le 5 novembre 2014. Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt, Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat. Ce pourvoi donne l'occasion de trancher une question relative aux conditions d'application du régime des sociétés mères et filiales prévu aux articles 145 et 216 (N° Lexbase : L0666IPD) du CGI. Relevons que la question se pose par le biais d'un renvoi à ces dispositions auquel procède une instruction administrative invoquée dans le présent litige. Mais cela n'a aucune incidence sur la réponse qu'il faut y apporter.

Le I de l'article 216 du CGI, relatif à la détermination du bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés, dispose que "les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci", sous déduction d'une quote-part de frais et charges. Il s'agit d'un mécanisme d'exonération de l'impôt qui frappe normalement les dividendes versés à une société mère par sa filiale.

Les conditions d'application de ce régime de faveur sont énoncées par les dispositions du 1 de l'article 145 du code. Celles-ci prévoient que le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini à l'article 216, est applicable aux sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant trois conditions cumulatives. Il faut (en résumé) que les titres de participation revêtent la forme nominative, qu'ils représentent au moins 5 % du capital de la société émettrice, et qu'ils aient été conservés pendant un délai de deux ans. C'est la deuxième de ces conditions qui fait débat dans cette affaire, celle prévue au b du 1 de l'article 145.

Par ailleurs, les dispositions du b ter du 6 de ce même article indiquent, depuis le 1er janvier 1993 (1), que le régime fiscal des sociétés mères n'est pas applicable "aux produits des titres auxquels ne sont pas attachés de droit de vote". Le législateur a ultérieurement précisé que cette exclusion ne joue pas "si la société détient des titres représentant au moins 5 % du capital et des droits de vote de la société émettrice" (2).

Le pourvoi du ministre pose une question de droit inédite dans la jurisprudence du Conseil d'Etat, qui est très pure et très simple.

Dans l'arrêt qu'il attaque, la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 9 juillet 2013, n° 11VE03887 N° Lexbase : A9481MZ8) a jugé que le b du 1 de l'article 145 du CGI subordonne le bénéfice du régime fiscal des sociétés mères à la condition que la société qui le revendique détienne des titres de participation et que ces titres représentent au moins 5 % du capital de sa filiale mais non à la condition que les titres en question représentent au moins 5 % des droits de vote de cette société. La cour en a déduit que, lorsque la condition de détention de 5 % du capital de la filiale est remplie, et sous réserve du respect des autres conditions fixées par l'article 145, les dividendes perçus par la société mère, afférents aux titres assortis d'un droit de vote, bénéficient du régime d'exonération (3).

Le ministre soutient que la cour a commis sur ce point une erreur de droit. Selon lui, le pourcentage de détention de 5 % du capital mentionné à l'article 145 du CGI implique aussi la détention de 5 % des droits de vote.

Cependant, cette interprétation n'est pas convaincante. La lettre même des dispositions de l'article 145 paraît s'y opposer. En effet, la résolution de la question posée au cas présent tient en trois propositions :

- la société qui entend bénéficier du régime d'exonération des dividendes doit détenir une participation d'au moins 5 % du capital de la société distributrice ;

- les produits des titres auxquels aucun droit de vote n'est attaché ne sont en principe pas exonérés ;

- ces produits sont toutefois exonérés si la société bénéficiaire détient, à la fois, au moins 5 % du capital et 5 % des droits de vote de la société distributrice.

Par conséquent, la lettre de l'article 145 est claire dès lors que deux questions ne sont pas mélangées : d'une part, la définition des participations qui ouvrent droit au bénéfice du régime d'exonération (question réglée par les dispositions du 1 de l'article 145) ; d'autre part, la définition des produits exonérés (question réglée par les dispositions du 6 de ce même article). La première question est celle du champ d'application ratione personae du régime de faveur ; la seconde est celle de son champ d'application ratione materiae.

Les arguments que soulève le ministre pour combattre cette lecture littérale (4) semblent insuffisants pour y renoncer.

Il invoque tout d'abord la circonstance que le texte ne traite que de l'hypothèse de la détention de "titres de participation". Le ministre s'appuie sur la définition qu'en donnent les règles comptables : des titres dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle. Mais il semble louable d'observer que, justement, la loi ne renvoie pas à cette définition comptable (5). Et il paraît alors impossible de déduire du seul terme de "titres de participation" ce que le ministre veut y voir, c'est-à-dire une condition tenant à l'existence de droits de vote attachés à la participation minimale à hauteur de 5 % du capital mentionnée au 1 de l'article 145 du CGI, permettant à la société bénéficiaire de prendre part aux instances décisionnelles de la société distributrice.

Le ministre s'appuie également sur les travaux préparatoires de plusieurs des lois de finances ayant modifié les dispositions de l'article 145, d'où il retire l'idée que le régime d'exonération tend à favoriser les sociétés mères impliquées dans le développement économique de leurs filiales. Mais cet argument est également insuffisant s'il est considéré que la lettre de la loi est claire (6).

Il fait valoir enfin que la lecture de l'article 145 adoptée par la cour est incohérente et peut conduire à des situations inéquitables. Mais il n'y a rien d'incohérent à prendre en compte, pour l'appréciation de la condition relative à la détention de 5 % du capital, l'ensemble des titres détenus, qu'ils soient accompagnés ou non de droits de vote et à exclure, pour déterminer quels sont les produits bénéficiant de l'exonération, ceux provenant de titres auxquels ne sont attachés aucun droit de vote. Le ministre envisage dans son pourvoi l'hypothèse dans laquelle une société détient plus de 5 % du capital d'une filiale mais par le biais, exclusivement, de titres auxquels aucun droit de vote n'est attaché. Une telle société entre ratione personae dans le champ de l'exonération mais ne peut effectivement en bénéficier, faute de dividendes exonérés, voilà tout. Quant à l'argument selon lequel l'interprétation de la cour conduirait à des solutions inéquitables, il repose là encore sur la prémisse que le régime d'exonération est réservé aux sociétés bénéficiaires de distributions qui exercent une influence sur leurs filiales distributrices. Il a, certes, été jugé, comme le ministre le relève, que le régime fiscal des sociétés mères "a eu comme objectif de favoriser l'implication de sociétés mères dans le développement économique de sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l'économie française" (CE 9° et 10° s-s-r., 17 juillet 2013, n° 352989, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9569KIA). Toutefois, comme l'objecte avec pertinence la société en défense, le Conseil d'Etat avait statué sur des impositions établies selon la procédure de répression des abus de droit, ce qui impliquait, au-delà de l'interprétation de la loi fiscale, de dégager les objectifs poursuivis par le législateur. Il semble admissible que celui-ci a eu l'intention de favoriser les sociétés mères impliquées dans le développement de leur filiale. Mais aucune prise n'est indiquée, dans la lettre du texte, permettant de tirer de cette intention l'interprétation selon laquelle la condition de détention de 5 % du capital mentionnée au 1 de l'article 145 du CGI implique la détention d'une quotité égale des droits de vote (ni même la détention d'un seul droit de vote).

Le pourvoi du ministre doit donc être rejeté.


(1) Modification introduite par l'article 104 de la loi n° 92-1376 du 30 décembre 1992, de finances pour 1993 (N° Lexbase : L0449IQP).
(2) Modification introduite par l'article 39 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005, de finances rectificative pour 2005 (N° Lexbase : L6430HEU), applicable pour la détermination des résultats des exercices clos à compter du 31 décembre 2005.
(3) La cour reproduisait là une solution qu'elle avait déjà adoptée : CAA Versailles, 1ère ch., 11 septembre 2012, n° 11VE01552, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1593IUK), Droit des sociétés, n° 2, février 2013, comm. 39, note J. L. Pierre (le ministre s'est vu, par la suite, rejeté son pourvoi : CE 9° s-s., 3 décembre 2014, n° 363819, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9045M4R).
(4) Qui présente en outre l'avantage de lire la loi en conformité avec la Directive "mère-fille", laquelle fait des critères de détention du capital ou des droits de vote deux critères alternatifs (Directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990, article 3, 1, a N° Lexbase : L7669AUL). Pour une lecture du droit interne appuyée, à titre confortatif, sur cette Directive : CE 9° et 10° s-s-r., 20 février 2012, n° 321224, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1440IDP), RJF, 5/2012, n° 454, concl. D. Hédary, et note O. Fouquet, Dr. fisc., 2012, n° 17, comm. 276.
(5) Alors que le législateur procède à un tel renvoi, au contraire, lorsqu'il entend préciser en ce sens la notion de "titres de participation" : voir par exemple, pour l'application du régime des plus-values et moins-values à long terme aux cessions de titres de participation, les dispositions de l'article 219, I, a ter, 3ème alinéa, du CGI (N° Lexbase : L9744I3B).
(6) CE, Sect., 27 octobre 1999, n° 188685, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5342AX7).

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