Lexbase Droit privé n°597 du 15 janvier 2015 : Famille et personnes

[Jurisprudence] La déclaration judiciaire d'abandon doit être conforme à l'intérêt de l'enfant

Réf. : Cass. civ. 1, 3 décembre 2014, n° 13-24.268, FS-P+B (N° Lexbase : A0619M73)

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N5423BUE

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 17 Mars 2015

En affirmant dans un arrêt du 3 décembre 2014 que "l'intérêt de l'enfant doit être pris en considération par le juge, même lorsque les conditions d'application de l'article 350 du Code civil sont réunies", la Cour de cassation semble rappeler une évidence. Pourtant, l'article 350 du Code civil (N° Lexbase : L6807BHL) ne mentionne pas cette exigence. Or, il paraît essentiel que la déclaration judiciaire d'abandon soit subordonnée à sa conformité à l'intérêt de l'enfant (I). Cette analyse fonde d'ailleurs les propositions de réforme dont elle fait actuellement l'objet et qui tendent à faire de l'intérêt de l'enfant le critère prépondérant de la déclaration judiciaire d'abandon (II).

I. L'indispensable conformité de la déclaration judiciaire d'abandon à l'intérêt de l'enfant

Conditions objectives de l'article 350. Dans l'arrêt du 3 décembre 2014, la discussion ne portait pas sur la réunion des conditions exigées par l'article 350 du Code civil pour que soit prononcée la déclaration judiciaire d'abandon, et notamment sur le caractère volontaire de l'abandon, comme c'est le cas dans la plupart des arrêts relatifs à la déclaration judiciaire d'abandon (1). En l'espèce, en effet, l'enfant né en 2002, était placé depuis l'âge de 6 mois à l'Aide sociale à l'enfance et le désintérêt marqué par ses parents depuis plus d'un an n'était pas contesté .

Primauté de l'intérêt de l'enfant. La cour d'appel de Douai a cependant rejeté, dans une décision du 4 juillet 2013, la demande du président du Conseil général du Pas-de-Calais de voir prononcer une déclaration judiciaire d'abandon, au motif que celle-ci n'était pas conforme à l'intérêt de l'enfant. Ce recours à l'intérêt de l'enfant, qui n'est pas mentionné par le texte de l'article 350 est approuvé par la Cour de cassation qui avait déjà affirmé dans un arrêt du 6 janvier 1981 (2), que "même lorsque les conditions de l'application de ce texte sont réunies, l'intérêt de l'enfant peut justifier le rejet d'une requête aux fins de déclaration d'abandon". Cette exigence peut aujourd'hui trouver son fondement dans l'article l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL) qui impose que dans toute décision concernant l'enfant, son intérêt supérieur soit une considération primordiale. L'intérêt de l'enfant constitue à l'évidence le but ultime de toutes les mesures relatives à l'autorité parentale et il est indispensable qu'il en soit également ainsi pour une décision lourde de conséquences puisqu'elle prive les parents de toutes leurs prérogatives, y compris celui de consentir à son adoption. L'affirmation de la Cour de cassation est donc tout à fait opportune.

Appréciation concrète de l'intérêt de l'enfant. La Cour de cassation se réfère dans l'arrêt du 3 décembre 2014 à l'appréciation souveraine de l'intérêt de l'enfant par la cour d'appel puisqu'il s'agit d'une question de fait, l'intérêt de l'enfant faisant dans cette hypothèse l'objet d'une appréciation concrète (3). La Cour de cassation ne contrôle donc pas l'appréciation à laquelle la cour d'appel a procédé ; toutefois, elle juge utile de rapporter dans son dispositif les éléments de cette appréciation qui portait d'une part sur le lien entre la déclaration judiciaire d'abandon et l'adoption éventuelle de l'enfant et d'autre part sur le ressenti de l'enfant à l'égard de cette procédure.

Déclaration judiciaire d'abandon et adoption. "La cour d'appel a relevé, d'une part, que, la déclaration judiciaire d'abandon ayant pour effet de rendre B. adoptable, celui-ci risquait d'être confronté à une séparation douloureuse avec sa famille d'accueil, après avoir connu une rupture avec ses parents, dès lors qu'il n'existait aucun projet d'adoption par son assistante maternelle, à laquelle il était très attaché et chez laquelle il vivait depuis son plus jeune âge". Il était certes particulièrement opportun d'éviter à l'enfant une séparation d'avec sa famille d'accueil qui n'était pas disposée à l'adopter, alors même que la loi lui offre une priorité pour ce faire (4). On sait cependant qu'une telle démarche n'est pas toujours facile pour les familles d'accueil qui, en adoptant, perdent leur statut et donc leurs revenus de salariés du Conseil général, et pour qui l'adoption peut être compliquée à l'égard de leurs autres enfants biologiques ou accueillis. L'argument de la cour d'appel concernant l'absence de projet d'adoption est cependant quelque peu contestable car la déclaration judiciaire d'abandon, si elle rend l'adoption possible, ne l'implique pas systématiquement. En réalité c'est l'adoption qui serait susceptible de séparer l'enfant de sa famille d'accueil et pas la déclaration d'adoption elle-même. La déclaration judiciaire d'abandon est souvent considérée comme "l'antichambre de l'adoption" mais elle devrait avant tout être perçue comme le moyen de conférer à un enfant délaissé le statut de pupille de l'état plus stable et plus favorable à son avenir que toutes les autres situations dans lesquelles il peut être placé dans le cadre de l'assistance éducative ou d'une délégation d'autorité parentale (5). En effet, l'argument de la cour d'appel, repris par la Cour de cassation, pour refuser la déclaration judiciaire d'abandon, selon lequel, "l'article 377, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L7193IMD) permettait à l'aide sociale à l'enfance de se faire déléguer en tout ou partie l'exercice de l'autorité parentale", paraît contestable. La délégation d'autorité parentale reste en effet une décision provisoire et limitée dans ses effets, même si elle permet cependant à l'Aide sociale à l'enfance d'acquérir les prérogatives nécessaires à une prise en charge complète de l'enfant.

Ressenti de l'enfant. On notera en revanche avec satisfaction que la cour d'appel se fonde sur le ressenti de l'enfant pour refuser la déclaration d'abandon, affirmant, que "le mineur était perturbé et angoissé depuis le début de la procédure, ne l'acceptait pas et ne la comprenait pas". Il faut rappeler qu'au moment de la procédure l'enfant était âgé de 11 ans, et qu'il était sans doute doué de discernement et capable d'exprimer un avis sur sa situation et l'évolution qui était envisagée. Il serait souhaitable qu'une telle prise en compte du souhait de l'enfant doué de discernement soit systématique dans les procédures susceptibles de modifier son statut juridique. Plus généralement, il conviendrait de réformer la procédure de déclaration judiciaire d'abandon pour qu'elle soit davantage centrée sur l'enfant.

II. La nécessité de faire de l'intérêt de l'enfant le critère prépondérant de la déclaration judiciaire d'abandon

Perspective de réforme. On ne saurait commenter cette décision importante de la Cour de cassation relative à la déclaration judiciaire d'abandon sans évoquer les perspectives de réforme de l'article 350 qui devraient être discutées au Sénat le 28 janvier 2015, dans le cadre de la proposition des sénatrices Dini et Meunier relative à la protection de l'enfance (6). Il apparaît, en effet, qu'en pratique, de nombreux enfants, privés de toute relation familiale, ne font pas l'objet d'une déclaration judiciaire d'abandon alors qu'ils en remplissent les conditions (7). En outre, lorsque la déclaration judiciaire d'abandon est prononcée, elle l'est, la plupart du temps, pour des enfants de plus de cinq ans selon le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales relatif aux conditions de reconnaissance du délaissement parental et à ses conséquences pour l'enfant (8). Les conclusions des rapports et études sur cette question convergent pour prôner une meilleure lisibilité et une plus grande efficacité de la déclaration judiciaire d'abandon. Selon le rapport de l'IGAS, la rédaction même de l'article 350 explique le recours très faible à la déclaration judiciaire d'abandon : les notions de "maintien de liens affectifs" ou de "désintérêt manifeste" apparaissent trop vagues et sujettes à interprétation. Dans une étude de 2009 intitulée "Le délaissement parental : conceptions et pratiques dans quatre pays occidentaux", l'ONED constate "qu'une définition présentant le délaissement comme un comportement parental caractérisé par une absence physique et/ou psychique envers son enfant dont les besoins (nutritionnels, sanitaires, éducatifs, affectifs, sociaux...) ne sont par conséquent pas satisfaits, semble faire consensus" (9).

Intérêt de l'enfant. Il apparaît donc essentiel de revoir la notion de désintérêt et de la centrer sur l'enfant. Pour atteindre cet objectif il serait sans doute utile de préciser dans le nouveau texte que la déclaration doit être conforme à l'intérêt de l'enfant (10). La proposition de loi Meunier ne prévoyait pas cet ajout, considérant, peut-être à juste titre au regard de la Cour de cassation, qu'il s'agit d'une évidence.

De l'abandon au délaissement. A l'origine, l'article 18 de la proposition de loi prévoyait de transformer la procédure de déclaration judiciaire d'abandon, qui au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation implique un abandon volontaire (11), en procédure de délaissement volontaire. Il s'agit notamment de reprendre l'idée dégagée dans la proposition de loi "Tabarot" qui conduit à préférer à la notion de désintérêt, difficile à caractériser, celle de délaissement. Plusieurs associations ou institutions abondent dans ce sens (12).

Pour une approche objective. Le délaissement doit être précisément défini dans le texte, de manière objective, en partant de l'intérêt de l'enfant, pour mettre l'accent sur la protection qui doit lui être apportée et qui est en réalité inexistante. A ce titre, l'utilisation de l'adjectif manifeste dans la proposition de loi "Meunier" était sans doute regrettable. Madame Meunier l'a d'ailleurs supprimé dans l'amendement qu'elle a présenté pour modifier le texte qui sera discuté au Sénat le 28 janvier.

Révision du texte. En effet, le texte proposé par la commission des affaires sociales, qui sera discuté en séance remet totalement en cause le fondement même de la réforme en revenant à la notion d'abandon volontaire qui renforce encore le caractère subjectif de l'abandon alors que l'objectif poursuivi par celle-ci et soutenu par tous les rapports sur le sujet est de conférer à la déclaration d'abandon un caractère objectif. Le texte proposé par la commission montre que ses auteurs n'ont pas saisi l'impérieuse nécessité de réformer la procédure de déclaration judiciaire d'abandon dans le sens d'une meilleure prise en compte de l'intérêt de l'enfant. Il faut espérer que l'amendement déposé Madame Meunier à propos de l'article 18 de la proposition de loi et qui propose de rétablir le texte d'origine avec certaines améliorations, permettra de rétablir l'apport initial de la réforme proposée, sous peine de vider celle-ci de sa substance. Il s'agit en effet de définir le délaissement en ajoutant de manière tout à fait opportune la notion de relations avec l'enfant et en excluant l'hypothèse de l'empêchement des parents d'avoir des relations avec l'enfant selon une formule qui consisterait à n'en pas douter un véritable progrès : "un enfant est considéré comme délaissé par ses parents lorsque pendant une durée d'un an ceux-ci n'ont contribué par aucun acte à son éducation ou à son développement et au maintien de relations affectives durables, sans en avoir été empêchés".


(1) P. Bonfils et A. Gouttenoire, Droit des mineurs, Précis Dalloz, 2ème éd., 2014, n° 870 s..
(2) Cass. civ. 1, 6 janvier 1981, n° 79-15.746 (N° Lexbase : A2723CGX).
(3) Le contrôle exercé par la Cour de cassation sur l'intérêt supérieur de l'enfant, Mélanges en l'honneur de la Professeure Françoise-Dekeuwer-Defossez, Montchrestien, Lextenso Editions 2013, p. 147.
(4) C. act. soc. fam., art. L.225-2 (N° Lexbase : L2016IYC).
(5) Décret n° 2002-575 du 18 avril 2002, D., 2003. 295, comm. E. Poisson-Drocourt.
(6) Texte n° 799 (2013-2014) de Mmes Michelle Meunier, Muguette Dini et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 11 septembre 2014 modifié par la Commission des affaires sociales qui a déposé un nouveau texte (Texte de la commission n° 147 (2014-2015) le 3 décembre 2014).
(7) ONED, Situation des pupilles de l'Etat au 31 décembre 2008 (Rapport 2010).
(8) Rapport établi par Catherine Hesse et Pierre Naves préc., novembre 2009.
(9) Une tentative de réforme avait été menée par la proposition de loi Tabarot en 2010 : proposition de loi n° 3739 (rectifiée) sur l'enfance délaissée et adoption présentée par Mme Tabarot, enregistrée à la Présidence de l 'Assemblée nationale le 21 septembre 2011 et Rapport Tabarot n° 4330, enregistré le 8 février 2012.
(10) En ce sens proposition n° 21 du rapport 40 propositions pour adapter la protection de l'enfance et l'adoption aux réalités d'aujourd'hui, 2014, La Documentation française.
(11) P. Bonfils et A. Gouttenoire, op. cit., n° 870 s..
(12) Rapport, 40 propositions pour adapter la protection de l'enfance et l'adoption aux réalités d'aujourd'hui, p. 68.

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