Lexbase Public n°334 du 5 juin 2014 : Environnement

[Textes] La loi interdisant la culture de maïs transgénique sur le territoire français voit enfin le jour

Réf. : Loi n° 2014-567 du 2 juin 2014, relative à l'interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié (N° Lexbase : L3859I3C)

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 05 Juin 2014

La question des OGM a toujours été un véritable casse-tête pour le Gouvernement tiraillé entre, d'une part, la défense du productivisme agricole et, d'autre part, l'opinion publique qui leur est très majoritairement hostile. Il existe, également, un débat au sein de celui-ci entre les personnes qui souhaitent une mise en oeuvre opérationnelle du principe de précaution et celles qui considèrent que la décision de suspendre un OGM est avant tout une décision politique. Un pas semble, toutefois, franchi avec la publication au Journal officiel de la loi n° 2014-567 du 2 juin 2014, qui prononce l'interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié et autorise la destruction des cultures concernées en cas de non-respect de cette interdiction. I - Commençons par rappeler chronologiquement le déroulement de ce serpent de mer juridique. Le maïs "MON 810" avait été autorisé en 1998 par la Commission européenne sur la base de la Directive (CE) 90/220 du 23 avril 1990 (N° Lexbase : L7696AUL), aujourd'hui remplacée par la Directive (CE) 2001/18 du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement (N° Lexbase : L8079AUR). La Directive (CE) 2001/18 a introduit le principe de la durée limitée (dix ans au maximum) de l'autorisation, en prévoyant une procédure simplifiée pour le renouvellement des autorisations déjà octroyées au titre de la Directive (CE) 90/220. La notification relative à la mise sur le marché avait été adressée aux autorités françaises, qui l'ont transmise à la Commission avec un avis favorable. Par une décision du 22 avril 1998, la Commission a fait connaître son propre consentement, et la République française a délivré l'autorisation par un arrêté du 3 août 1998 (N° Lexbase : L1665IR4). Le 7 février 2008, le ministre de l'Agriculture a suspendu la commercialisation de la seule plante génétiquement modifiée autorisée à la culture dans l'Union européenne (arrêté du 7 février 2008, modifié par l'arrêté du 13 février 2008, suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié Zea mays L. lignée "MON 810" N° Lexbase : L9898ICL).

La suspension avait été ordonnée sur la base de la clause de sauvegarde prévue par l'article 23 de la Directive (CE) 2001/18, qui énonce qu'en cas de risque grave, un Etat peut prendre des mesures urgentes telles que la suspension de la mise sur le marché. Dans le cadre de la Directive (CE) 2001/18, la mesure de commercialisation d'un OGM sur son territoire est prise directement par l'Etat en question. De son côté, la Haute autorité provisoire sur les OGM, nouvellement créée par le "Grenelle de l'environnement" (loi n° 2009-967 du 3 août 2009, de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement N° Lexbase : L6063IEB), avait émis un avis très réservé sur l'innocuité de l'OGM "MON 810" le 9 janvier 2008. C'est sur la base de cet avis que la clause de sauvegarde avait été mise en oeuvre par le Gouvernement. Par la suite, la société Monsanto France et deux autres semenciers ont attaqué cette décision ministérielle devant le Conseil d'Etat. Ce dernier a décidé, dans une décision du 6 novembre 2009, de poser une série de trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l'Union européenne avant de statuer sur le fond (CE 3° et 8° s-s-r., 6 novembre 2009, n° 313605, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7972EM9).

Dans une décision rendue le 8 septembre 2011 (CJUE, 8 septembre 2011, aff. C-58/10 N° Lexbase : A5289HX8), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a estimé que la clause de sauvegarde prise par la France en février 2008 pour suspendre la culture du maïs transgénique "MON 810" était illégale en raison d'un vice de procédure. Elle a considéré que c'est la procédure prévue par l'article 34 du Règlement (CE) n° 1829/2003 du 22 septembre 2003 qui aurait du être utilisée, cet article permettant, notamment, aux opérateurs qui le souhaitent d'obtenir une autorisation unique, laquelle porte aussi bien sur la culture que sur les utilisations alimentaires d'un produit génétiquement modifié. Cet article, intitulé "mesures urgentes", permet à un Etat de saisir la Commission européenne en cas de risque grave afin que cette dernière prenne des mesures conservatoires allant jusqu'à la suspension. L'article 54 du Règlement (CE) n° 178/20029 du 28 janvier 2002 (N° Lexbase : L3661A3Y), permet à l'Etat de prendre lui même des mesures de ce type, mais uniquement lorsque la Commission n'a pas agi précédemment.

Par la suite, le Conseil d'Etat a annulé les arrêtés ministériels suspendant la culture du maïs OGM "MON 810", au motif que le ministre n'avait pas établi l'existence de circonstances de nature à caractériser une urgence et d'une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l'environnement (CE, 28 novembre 2011, deux arrêts, inédits au recueil Lebon, n° 312921 N° Lexbase : A0231H3X et n° 313546 N° Lexbase : A0232H3Y). Le ministre de l'Agriculture a alors pris un nouvel arrêté immédiatement annulé par la Haute juridiction administrative (CE 3° et 8° s-s-r., 1er août 2013, n° 358103, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1721KKX). Aux termes d'un nouvel arrêté ministériel, le Conseil d'Etat a cette fois rejeté la demande de suspension (CE référé, 5 mai 2014, n° 376808 N° Lexbase : A7208MK8), estimant que les requérants ne justifiaient pas d'une situation d'urgence, l'une des conditions qui doit être impérativement remplie pour que le juge procède à cette suspension. Il a, en particulier, estimé que l'arrêté ne portait pas une atteinte grave et immédiate à la situation économique des requérants et de la filière, la culture du maïs "MON 810" ne représentant qu'une place très réduite des cultures. La représentation nationale prenant l'affaire en main, une proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture du maïs génétiquement modifié "MON 810" a été déposée le 18 février 2014, au nom d'éventuels impacts économiques sur les autres filières, conventionnelle, biologique, ainsi que les filières apicoles et les filières qualifiées "sans organismes génétiquement modifiés", ainsi qu'en raison de la dissémination incontrôlée de pollen pouvant être à l'origine de présence fortuite d'organismes génétiquement modifiés indésirables dans d'autres produits.

II - Dans leur décision du 28 mai 2014, les Sages de la rue de Montpensier rejettent l'argumentation des sénateurs et députés requérants selon laquelle cette interdiction est contraire au principe de primauté du droit européen, aux articles 55 (N° Lexbase : L0884AH9) et 88-1 (N° Lexbase : L0911AH9) de la Constitution et aux dispositions de plusieurs Directives et Règlements de l'Union européenne, en particulier l'article 23 de la Directive du 12 mars 2001 et l'article 34 du Règlement du 22 septembre 2003 précités. L'article 55 de la Constitution énonce, en effet, que "les Traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou Traité, de son application par l'autre partie". Le Conseil constitutionnel précise que, "si ces dispositions confèrent aux Traités, dans les conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n'impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution [...] le moyen tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d'inconstitutionnalité". Le grief tiré de la violation du droit européen n'est, en effet, pas un grief d'inconstitutionnalité.

Depuis sa décision "IVG" rendue le 15 janvier 1975 (Cons. const., décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 N° Lexbase : A7913AC3), le Conseil constitutionnel rappelle de façon constante que l'article 55 de la Constitution institue une règle de conflit de normes. Il appartient à tout juge chargé de l'application de la loi de faire respecter cette règle de conflit qui conduit à écarter la loi nationale lorsqu'elle est incompatible avec un engagement international ou européen en vigueur. La hiérarchie posée par l'article 55 ne constitue donc pas une règle de validité constitutionnelle des lois. Cette jurisprudence a été confirmée avec constance depuis (Cons. const., décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010 N° Lexbase : A1312EXU), tant pour des Traités internationaux (Cons. const., décision n° 77-83 DC du 20 juillet 1977 N° Lexbase : A7957ACP, n° 77-92 DC du 18 janvier 1978 N° Lexbase : A7973ACB, n° 80-116 DC du 17 juillet 1980 N° Lexbase : A8013ACR, n° 93-335 DC du 21 janvier 1994 N° Lexbase : A8301ACG et n° 2006-535 DC du 30 mars 2006 N° Lexbase : A8313DN9), que pour le droit communautaire (Cons. const., décisions n° 91-293 DC du 23 juillet 1991 N° Lexbase : A8244ACC, n° 91-298 DC du 24 juillet 1991 N° Lexbase : A8248ACH et n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 N° Lexbase : A8782ACA) (2).

Cependant, le débat n'est pas tout à fait clos car le champ de la loi est très réduit et ne couvre pas tous les OGM. Elle ne concerne que les variétés de maïs génétiquement modifié et non tous les OGM en général comme le colza ou la pomme de terre qui sont également susceptibles de modifications génétiques. Par ailleurs, elle ne concerne que la mise en culture ; elle n'interdit donc pas la commercialisation de produits alimentaires, pour les hommes ou les animaux, composés en tout ou partie d'organismes génétiquement modifiés. Par définition, cette loi n'interdit pas les OGM cultivés dans un autre Etat (3). Enfin, gageons que le débat relatif aux OGM ne sera pas clos au niveau national, mais plutôt européen, le Conseil des ministres de l'Environnement de l'Union européenne devant prochainement se réunir sur cette question le 12 juin 2014.


(1) Clause de sauvegarde française sur les OGM : quand la CJUE fait application du principe de précaution - Questions à Alexandre Faro, Avocat associé, Cabinet Faro et Gozlan, Lexbase Hebdo n° 218 du 13 octobre 2011 - édition publique (N° Lexbase : N8101BST).
(2) Commentaire de la décision n° 2014-694 DC du 28 mai 2014.
(3) A. Gossement, OGM : décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2014, blog d'actualités, 1er juin 2014.

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