La lettre juridique n°573 du 5 juin 2014 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Un accord collectif peut supprimer des "avantages de retraite"

Réf. : Cass. soc., 20 mai 2014, n° 12-26.322, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5081MM7)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 05 Juin 2014

La question de l'intangibilité des avantages de retraite versés par les entreprises à leurs anciens salariés fait difficulté depuis une dizaine d'années. Après avoir très fortement suggéré que ces avantages seraient intangibles, une fois la retraite liquidée, la Chambre sociale de la Cour de cassation admet, pour la première fois, dans une décision en date du 20 mai 2014 qui sera commentée au rapport annuel, qu'un accord collectif d'entreprise peut y mettre fin (1). Cette solution doit être pleinement approuvée, même si sa portée demeure en partie incertaine (2).
Résumé

Lorsqu'un accord collectif ayant le même objet qu'un usage d'entreprise est conclu entre l'employeur et une ou plusieurs organisations représentatives de l'entreprise qui ont vocation à négocier pour l'ensemble des salariés et anciens salariés, cet accord a pour effet de mettre fin à l'usage en vertu duquel l'employeur prenait à sa charge les deux tiers des cotisations à la mutuelle nationale des caisses d'épargne.

Commentaire

I - Une nouvelle affaire concernant des "avantages de retraite"

Les "avantages de retraite" après l'arrêt "Trefileurope". La question du versement, par l'entreprise, d'avantages à ses anciens salariés, a alimenté ces dernières années un contentieux régulier qui a mis à mal les catégories classiques du droit des obligations, et du droit du travail.

La première pierre de la construction de cette jurisprudence a été posée en 2004 dans l'arrêt "Trefileurope" s'agissant de la poursuite du versement d'une prime à d'anciens salariés de l'entreprise après leur départ en retraite (1). La Chambre sociale de la Cour de cassation y avait en effet affirmé deux principes, le premier concernant la qualification de ce versement en "avantage de retraite" (2), le second concernant le régime de cet avantage, désormais distinct de celui de la prime versée aux actifs de l'entreprise et donc insensible à la dénonciation de l'usage d'entreprise qui en était la source (3).

La Cour de cassation a, par la suite, doublement complété sa jurisprudence.

Elle a, dans un premier temps, précisé ce qu'il fallait entendre par avantage de retraite, dans un sens d'ailleurs assez restrictif, et considéré ainsi, dans une affaire concernant la Caisse d'Epargne d'Ile-de-France, que "ne constitue pas un avantage de retraite le maintien à d'anciens salariés devenus retraités de conditions tarifaires préférentielles attachées à leur qualité de clients éventuels de la Caisse d'épargne" (4).

Elle a, dans un second temps, précisé le régime des avantages de retraite, dans le sens d'une intangibilité absolue puisque, selon la Haute juridiction, "dès lors que la prime exceptionnelle, qui était versée postérieurement au départ à la retraite du salarié, constituait un avantage de retraite, la dénonciation de l'engagement unilatéral instituant la prime ne remettait pas en cause cet avantage après la liquidation de la retraite" (5).

C'est dans ce contexte qu'intervient cette nouvelle décision qui admet une solution différente lorsque la suppression résulte d'un accord collectif d'entreprise.

Les faits. Cette affaire concernait de nouveau la Caisse d'épargne d'Ile-de-France et la prise en charge par l'employeur des deux tiers de la cotisation à la Mutuelle nationale des caisses d'épargne (MNCE) de ses anciens salariés. A la suite d'un accord conclu entre partenaires sociaux, la Caisse avait, en effet, décidé de cesser tout versement pour les salariés liquidant leur retraite postérieurement au 1er janvier 2007, les salariés ayant liquidé leur retraite avant cette date conservant dans un premier temps le bénéfice de la participation de l'employeur, puis avait adressé à ces derniers, le 27 mars 2009, une lettre les informant personnellement de la décision prise de mettre fin à l'engagement unilatéral relatif à cette prise en charge, à compter du 1er juillet 2009.

Le tribunal de grande instance de Paris avait été saisi d'une demande visant à ce que soit reconnu le caractère irrégulier de cette dénonciation et que la Caisse d'épargne soit condamnée à poursuivre la prise en charge des deux tiers de la cotisation. Les syndicats demandeurs faisaient valoir que cette prise en charge s'analysait en un avantage de retraite, partant non susceptible d'être dénoncé par l'employeur.

Cette qualification n'avait pas été retenue, ni en première instance, ni par la cour d'appel pour qui la Caisse d'Epargne versait directement la cotisation à la Mutuelle et non directement entre les mains des salariés, étant observé, par ailleurs, que cette prise en charge n'avait profité qu'aux adhérents de la Mutuelle, que l'adhésion à celle-ci par les anciens salariés de la Caisse d'Epargne Ile-de-France au moment de leur départ à la retraite présentait un caractère facultatif et pouvait, dès lors, être remise en cause chaque année.

Le pourvoi. Pour obtenir la cassation de l'arrêt d'appel, les demandeurs faisait valoir que devait être qualifié d'avantage de retraite "l'avantage versé postérieurement à la liquidation de sa retraite par le salarié [...] indépendamment de la technique de paiement utilisé", qu'il s'agisse donc d'une somme versée entre les mains du salarié ou directement à la mutuelle.

Le rejet. L'arrêt d'appel est confirmé par le rejet du pourvoi, mais au prix d'une substitution de motif. Après avoir, dans un attendu de principe, indiqué que "lorsqu'un accord collectif ayant le même objet qu'un usage d'entreprise est conclu entre l'employeur et une ou plusieurs organisations représentatives de l'entreprise qui ont vocation à négocier pour l'ensemble des salariés et anciens salariés, cet accord a pour effet de mettre fin à cet usage", la Cour affirme, par substitution de motif, que la "dénonciation de l'usage dont bénéficiaient auparavant les anciens salariés de la caisse d'épargne Ile-de-France de prise en charge des deux tiers des cotisations à la Mutuelle nationale des caisses d'épargne résultait de l'accord de substitution conclu le 9 février 2007 avec les organisations syndicales représentatives, lequel se substituait à l'ensemble des usages et mesures unilatérales ayant le même objet".

L'intérêt de la décision. Cette décision, qui sera commentée au rapport annuel, est doublement intéressante et doit être appréciée au regard de la notion d'avantage de retraite, et du régime de l'avantage en cause.

II - Un coup d'arrêt à la reconnaissance de l'intangibilité des " avantages de retraite "

Le sort de la qualification d' "avantage de retraite". Le débat devant les juges du fond était clairement centré sur la notion d'avantage de retraite, et le pourvoi invitait, d'ailleurs, la Haute juridiction à se déterminer sur cette qualification, compte tenu du fait que l'avantage en cause était versé directement à la mutuelle et non directement aux salariés.

Or, la Chambre sociale de la Cour de cassation élude le débat en se fondant sur le régime de l'avantage, sans prendre parti sur sa qualification.

Comment faut-il interpréter cette substitution de motif ?

On sait que parmi les techniques dont dispose le juge de cassation, la substitution de motifs constitue un procédé dit de "sauvetage" lorsque "la motivation de la décision attaquée donne lieu à critique", et qu'on "peut s'interroger" "sur la pertinence" des motifs retenus en appel (6). La Cour de cassation approuve, ainsi, la solution retenue (un accord collectif pouvait mettre un terme à l'avantage), mais pas le refus de qualifier celui-ci d'avantage de retraite en raison des modalités de son versement.

Deux interprétations peuvent dès lors être proposées.

La première conduirait à fonder la substitution de motif sur la qualification même d'avantage de retraite qui serait ici, purement et simplement, abandonnée. Même si cette explication nous conviendrait parfaitement, tant il nous semble que cette qualification est inappropriée en dehors des prestations servies dans le cadre des régimes de retraite (7), il nous semble que la Cour se serait montrée plus explicite. Par ailleurs, ayant confirmé l'existence même de cette catégorie juridique en 2011, un tel revirement serait surprenant.

Une seconde explication, plus raisonnable, doit certainement être privilégiée. La substitution tiendrait au fait que, pour la Chambre sociale, un avantage de retraite peut être qualifié, même s'il est procuré indirectement au salarié par le biais de la prise en charge, directement auprès de l'organisme, d'une cotisation. L'argument soulevé par le demandeur était donc exact, et nous pensons qu'il l'était, mais la Cour était soucieuse de revenir sur le principe d'intangibilité, d'où le sauvetage de l'arrêt.

Du sort du prétendu principe d'intangibilité des avantages de retraite. Si la Cour a ressenti le besoin de procéder par substitution de motif, c'est donc pour conforter la solution et permettre aux partenaires sociaux de supprimer de tels avantages.

Il ne s'agit pas, à proprement parler, d'un revirement de jurisprudence, dans la mesure où la Haute juridiction n'avait pas clairement affirmé le contraire. Elle avait simplement indiqué qu'une fois les retraites liquidées, l'avantage ne pouvait plus être dénoncé unilatéralement par l'employeur, celui-ci s'étant, en quelque sorte, engagé à les verser à titre viager (8). Cette fois-ci, la solution conduit à valider la suppression de ces avantages, par application du régime général des usages et de la règle qui veut qu'un accord collectif d'entreprise conclu postérieurement sur le même objet, se substitue de plein droit aux dispositions prévues par l'usage (9), y compris lorsqu'il instaure un régime de retraite complémentaire (10).

Il est, d'ailleurs, intéressant d'observer que dans ses motifs, la Cour de cassation prend la peine de rappeler que les syndicats ont vocation à défendre aussi les intérêts des retraités, en tant qu'anciens salariés, ce qui justifie que les accords puissent produire des effets également à leur égard (11). Les partenaires sociaux ayant choisi de mettre un terme à l'avantage consenti par l'employeur à tous, actifs comme retraités, il aurait, par ailleurs, été incongru que l'accord produise effet pour les uns, et pas pour les autres (12).

Portée de l'affirmation. S'il apparaît nettement que ce genre d'avantages de retraite peuvent désormais être modifiés, ou supprimés, par voie d'accord d'entreprise et en même temps que ceux qui sont accordés aux actifs, on peut s'interroger sur le droit qu'aurait l'employeur de les dénoncer unilatéralement, comme il peut le faire pour tout avantage résultant d'un usage ou d'un engagement unilatéral.

La solution admise dans cette décision ne concerne certainement que l'hypothèse de la suppression des avantages résultant de la négociation collective, et du pouvoir normatif reconnu à des partenaires sociaux revigorés par la réforme de la démocratie sociale, à défaut de règle posée par la Haute juridiction ayant un spectre plus large (13). Il faudra toutefois attendre d'autres décisions pour s'en assurer.

Reste qu'on ne comprendrait pas que la Cour ne revienne pas sur les solutions refusant la dénonciation unilatérale des avantages. La seule explication rationnelle admise antérieurement était tirée du caractère viager de l'avantage, ce qui interdirait la résiliation anticipée. Dès lors qu'un accord collectif peut y mettre un terme anticipé, conformément aux règles du régime commun des usages, alors pourquoi ne pas le permettre par décision unilatérale, comme pour tout usage ou engagement unilatéral ?


(1) Cass. soc., 30 novembre 2004, n° 02-45.367, FS-P+B (N° Lexbase : A1245DET) ; Dr. soc., 2005, p. 327, et nos obs. ; Travail et Protection sociale, 2005, comm. 7 ; RJS, 2005, n° 246 ; SSL, n° 170 du 21 juin 2005, note S. Pélicier-Loevenbruck ; Les échos, 2 juin 2005.
(2) "Le versement volontaire par l'employeur d'une prime dite de milieu d'année postérieurement à la mise en retraite du salarié entraîne la transformation de la prime versée pendant la période d'activité en un avantage de retraite".
(3) "Dès lors, la dénonciation de l'usage instituant la prime ne remet pas en cause cet avantage après la liquidation de la retraite".
(4) Cass. soc., 17 mai 2011, n° 10-17.228, FS-P+B (N° Lexbase : A2560HSM) : v. nos obs, Contribution en clair-obscur de la Cour de cassation à l'identification des avantages de retraite, Lexbase Hebdo n° 442 du 2 juin 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3036BSA) ; JCP éd. S, n° 31, 2 août 2011, p. 1378, note A. Jeansen.
(5) Cass. soc., 12 mai 2009, n° 07-44.625, F-D (N° Lexbase : A9716EGX) : v. nos obs., De la prétendue intangibilité des avantages de retraite, Lexbase Hebdo n° 353 du 4 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6315BK4) ; Dr. soc., 2009, p. 1262, obs. P. Langlois ; JCP éd. S, n° 38, 15 septembre 2009, p. 1409, note G. Vachet.
(6) A. Perdriau, "La pratique des arrêts civils de la Cour de cassation. Principes et méthodes de rédaction", Litec, 1993, n° 1007 et 1008.
(7) En ce sens, notre étude dans Lexbase Hebdo n° 442 du 2 juin 2011 - édition sociale, préc..
(8) Cass. soc., 30 novembre 2004, n° 02-45.367, FS-P+B, préc. ; Cass. soc., 12 mai 2009, n° 07-44.625, F-D, préc.. Lire l'analyse de S. Pélicier-Loevenbruck, préc..
(9) Cass. soc., 25 janvier 1995, n° 90-45.796 (N° Lexbase : A1809AAA) ; Cass. soc., 9 juillet 1996, n° 94-42.773 (N° Lexbase : A2144AAN) ; Cass. soc., 14 mars 2000, n° 98-40.545, publié (N° Lexbase : A6326AGE) (usage) ; Cass. soc., 8 janvier 2002, n° 00-12.252, FS-P (N° Lexbase : A7654AXR) (usage) ; Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-47.507, F-P+B (N° Lexbase : A2964DGU).
(10) Cass. soc., 1er octobre 2003, n° 02-30.337, FS-D (N° Lexbase : A6694C9S).
(11) Cass. soc., 23 novembre 1999, n° 97-18.980, publié (N° Lexbase : A7031DTL) : "selon l'article L. 411-7 du Code du travail [alors applicable N° Lexbase : L6309ACN], les personnes qui ont cessé l'exercice de leurs fonctions peuvent adhérer à un syndicat professionnel, et retenu à bon droit, d'une part, qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 131-2 (N° Lexbase : L6963G9R) et L. 132-1 (N° Lexbase : L5292ACY) du même Code, la convention collective a vocation à traiter de l'ensemble des conditions d'emploi et de travail des salariés et de leurs garanties sociales, ce qui inclut leurs retraites, d'autre part, qu'en application de l'article L. 731-1 du Code de la Sécurité sociale alors applicable (N° Lexbase : L8115C4C), les régimes complémentaires de retraite ou de prévoyance sont créés et modifiés par voie d'accord collectif interprofessionnel, professionnel ou d'entreprise, la cour d'appel en a justement déduit que les syndicats professionnels, qui ont qualité pour représenter les retraités, ont, dans la limite des pouvoirs qu'ils tiennent des textes précités, valablement conclu les accords litigieux".
(12) La question de la conformité au principe d'égalité de traitement pourrait même se poser, au regard de la nature de l'avantage en cause, même s'il faut admettre qu'actifs et retraités ne se trouvent pas dans la même situation.
(13) Cass. soc., 30 novembre 2004, n° 02-45.367, FS-P+B, préc. ; Cass. soc., 12 mai 2009, n° 07-44.625, F-D, préc. : "dès lors que la prime exceptionnelle, qui était versée postérieurement au départ à la retraite du salarié, constituait un avantage de retraite, la dénonciation de l'engagement unilatéral instituant la prime ne remettait pas en cause cet avantage après la liquidation de la retraite".

Décision

Cass. soc., 20 mai 2014, n° 12-26.322, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5081MM7).

Rejet (CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 6 avril 2012, n° 10/03135 N° Lexbase : A0990III).

Textes concernés : régime des usages.

Mots clef : avantage de retraite ; cotisations patronales ; usage.

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