La lettre juridique n°573 du 5 juin 2014 : Éditorial

La "contrainte pénale" pour dépasser l'insuffisance de la pénitence carcérale

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 05 Juin 2014


Vingt ans après la publication d'un nouveau code, les bancs parlementaires connaissent un nouveau débat houleux sur la réforme de notre droit pénal. Ardemment souhaitée par les "gens de justice", magistrats et avocats, cette réforme est nécessairement anti-consensuelle tant elle révèle un clivage philosophique d'importance au sein de notre société ; et, autant aller à l'essentiel immédiatement, cette réforme questionne profondément sur la place de la prison et sur ses supposées vertus en sa qualité de peine principale du délinquant.

Le coeur de la loi en discussion actuellement à l'Assemblée, le noeud gordien qu'il n'est pas certain que majorité et opposition veuillent véritablement délasser au vu des 800 amendements déposés, c'est bien entendu la substitution, à l'appréciation du juge, de la peine d'enfermement au sein d'un établissement pénitencier par une "contrainte pénale".

Concrètement "la contrainte pénale" soumet le condamné à un ensemble d'obligations et d'interdictions et à un accompagnement soutenu pendant une durée qui peut aller jusqu'à 5 ans (selon le projet de loi). La contrainte pénale est immédiatement mise en oeuvre dès le prononcé de la peine. Finalement, que cette "contrainte pénale" soit applicable aux délits punissables, en principe, de moins de 5 ans de prison ou pour l'ensemble des délits, donc sanctionnables de moins de 10 ans de prison, l'essence de la réforme n'est pas là ; il s'agit uniquement d'un point d'équilibre politique.

Car la question que sous-tend l'introduction de la "contrainte pénale", après le sursis avec mise à l'épreuve déjà bien répandu, c'est bien celle de l'utilité de la prison et de sa place dans le "chemin de justice". Or, il n'est rien de moins certain que la prison dût constituer une peine en elle-même. La peine privative de liberté, en effet, n'induit celle de l'enfermement que depuis peu de temps à dire vrai, comme l'a démontré Michel Foucault, dans Surveiller et punir.

On oublie volontiers que la prison est un pis-aller des sociétés démocratiques incapables d'ériger une sanction intelligible et efficace en remplacement de celle des galères, du bagne et de la peine de mort. La prison ne constituait pas, jusqu'au XIXème siècle, une peine en soi, elle n'était pas institutionnalisée ; il s'agissait uniquement d'un lieu d'attente du procès et du prononcé de la véritable sanction pénale : sanction qui, dans l'esprit pragmatique antique, puis éclairé des Lumières philanthropiques, ne pouvait qu'être soit "utile" à la société pour le premier, soit de réhabilitation pour le second. L'embastillement ne correspondait, en fait, qu'à notre détention provisoire si décriée ; à ceci près que le détenu emménageait avec ses propres meubles et payait sa solde pour le couvert ! Mais, à l'époque, il est vrai, les procès ne duraient que quelques jours, voire quelques mois...

Et pourtant : "Je suis en Angleterre : il faut prouver que je n'ai pu me dispenser d'y revenir. Je ne suis plus à la Bastille : il faut prouver que je n'ai jamais mérité d'y être.

Il faut faire plus : il faut démontrer que jamais personne ne l'a mérité : les innocents, parce qu'ils sont innocents ; les coupables, parce qu'ils ne doivent être convaincus, jugés, punis que suivant les lois, et qu'on n'en suit aucune, ou plutôt qu'on les viole toutes à la Bastille ; parce que, si ce n'est en enfer, peut-être, il n'y a pas de supplices qui approchent ceux de la Bastille, et que, s'il est possible de justifier l'institution de la Bastille en elle-même dans certains cas, il ne l'est dans aucun d'en justifier le régime ; il faut faire voir que ce régime, aussi honteux que cruel, répugne également à tous les principes de la justice et de l'humanité, aux moeurs de la nation, à la douceur qui caractérise la maison royale de France, et surtout à la bonté, à l'équité du souverain qui en occupe aujourd'hui le trône", écrivait Simon-Nicolas-Henri Linguet, dans ses Mémoires sur la Bastille.

Aussi, envisager l'enfermement au sein d'une prison comme une sanction pénale en tant que telle, après l'abolition du travail forcé, des châtiments corporels et, bien entendu, de la peine de mort, n'a rien d'évident. Mais la première vertu de la prison est à n'en pas douter l'isolement du malfrat aujourd'hui, comme l'isolement des personnes jugées déviantes -fous, prostituées, homosexuels, etc.- hier. Par cet isolement du délinquant, on tente de protéger la société de ses exactions éventuelles, cachant derrière les hauts murs l'affluence de la misère sociale, tout en espérant que le délinquant fasse pénitence de ses méfaits. La pénitence, voilà le maître mot des tenants de la prison comme sanction pénale, de Toqueville et Lepeletier de Saint-Fargeau à nos jours. Pour l'anecdote historique, encore, il n'y a qu'en droit canon que la prison fut considérée comme une sanction en tant que telle, faute de pouvoir prononcer la condamnation à mort de l'accusé. L'origine de la prison comme sanction est ecclésiastique, jusqu'au nom de "cellule" dans laquelle est enfermée le moine condamné à se repentir, comme le délinquant emprisonné aujourd'hui. Et, le fondement de cette peine privative de liberté est la foi dans la pénitence du délinquant qui, isolé, doit réfléchir à ces actes et être capable de les récrier, de les condamner lui-même pour ne pas les recommencer. La pénitence est, de ce fait, la clé de voûte de l'anti-récidive.

Le problème, c'est bien évidemment que la prison n'empêche pas la récidive ; pire, d'après les dernières études, elle est un facteur d'embrigadement dans les exactions en tout genre. L'oeuvre supposée de pénitence de la prison, mise en exergue dans Les misérables de Victor Hugo, est grippée. Battant record après record de surpopulation carcérale, la France, comme toutes les sociétés démocratiques, est dans l'incapacité de se prémunir contre les "mauvaises fréquentations et influences" de la prison. Dans Du système pénitentiaire aux Etats-Unis et de son application, Tocqueville révèle que la seule manière pour que le délinquant fasse véritablement pénitence et, surtout, ne subisse pas les influences des autres condamnés, éventuellement, impénitents, serait l'isolement cellulaire total. Aussi, partant du constat qu'il nous est impossible d'assurer cet isolement total, l'approche originelle de la prison revient sur le devant de la scène.

Point besoin d'un nouveau Bentham faisant du "tourisme carcéral" pour alerter la société sur les conditions de vie au sein des prisons et sur la nécessité d'en repenser l'organisation ; il s'agit désormais d'établir une peine adaptée au délit pour le condamné, qui, outre la question de sa pénitence bienvenue, doit véritablement être réhabilité. Or, cette réhabilitation dans les codes de la société ne pourrait se faire qu'en son sein, à ses conditions et sous son contrôle. Tel est le pari lancé par la Garde des Sceaux et la majorité des juges et auxiliaires de justice. Et, la laïcisation de notre société pourrait bien, justement, le relever...

"Il y avait eu la veille quinze ans que Thérèse escortée de son avocat était sortie du tribunal de la sous-préfecture, avait traversé la petite place déserte en répétant à mi-voix : Non-lieu ! non-lieu !'. Libre enfin, avait elle cru... Comme s'il appartenait aux hommes de décider qu'un crime n'a pas été accompli, lorsqu'il l'a été en effet ! Elle ne s'était pas doutée, ce soir-là, qu'elle entrait dans une prison pire que le plus étroit sépulcre ; dans la prison de son acte et qu'elle ne s'en évaderait jamais" : François Mauriac, La fin de la nuit.

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