La lettre juridique n°376 du 17 décembre 2009

La lettre juridique - Édition n°376

Éditorial

Garde à vue... en attendant la preuve du Génie Français

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N7095BMQ

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Il serait normal que les assassins signalent les crimes. Après tout, ils sont les premiers informés" - Michel Audiard, Garde à vue.

Cette semaine, je me dois de rapporter une anecdote qui m'est arrivée, il y a peu, pour cause de déficience du réseau satellitaire... tant elle consacre les contradictions du Génie français.

Merveille de la technologie, un ami basé à Kaboul m'appelle pour prendre de mes nouvelles et singulièrement des nouvelles de la France. La conversation va bon train, évoquant traditionnellement les fêtes de fin d'année, la crise et le plan de relance ; quand mon interlocuteur enchaîne pour me poser une question sur... plus rien, si ce n'est les balbutiements phonétiques de trois mots : "gar... d'... v(o)u"... et plus de tonalité.

"Gar... d'... v(o)u", "gar... d'... v(o)u" ? "Garde à vous" ? Ce pourrait-il que mon ami, actuellement en "Opex", ait lu cet arrêt rendu par le Conseil d'Etat, le 16 novembre dernier, pour lequel la preuve du décès du militaire par accident du service ne peut résulter d'une simple probabilité. Une triste histoire qui pourrait bien affecter l'un de ses co-légionnaires et qui pour reconnaître à Mme X le droit à une pension militaire d'invalidité sur le fondement de l'article L. 43 du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, la cour régionale des pensions de Douai, après avoir souverainement estimé qu'un certain nombre d'indices matériels lui permettaient de considérer que M. X, époux de la requérante, avait été exposé à des radiations nucléaires pendant ses années de service, a déduit, à tort, un lien de causalité entre l'exposition en question et le cancer broncho-pulmonaire ayant causé le décès de celui-ci. Salutaire Légifrance ! Qui donne ubi et orbi le la du droit français au bout du monde...

Non, je n'imagine pas mon ami, lieutenant, naviguer sur la toile pour tomber sur cet arrêt, tout mentionné au Recueil Lebon qu'il fut...

"Gar... d'... v(o)u", "gar... d'... v(o)u" ? "Gare à vous" ? Avec beaucoup d'humour, mon ami instructeur, père de deux adorables bambins, pourrait me rappeler les vertus de la menace suprême, auprès des enfants, à l'approche des fêtes : la transsubstantiation du Père Noël en Père fouettard... encore que ce dernier soit appelé à disparaître, faute d'objet social, à la suite d'une prochaine loi déposée à l'initiative de la Défenseure des enfants interdisant les châtiments corporels !

Non, je n'imagine pas, non plus, mon ami lieutenant-instructeur s'attarder sur une histoire de fessée ; il a bien d'autres chats à fouetter...

"Gar... d'... v(o)u", "gar... d'... v(o)u" ? C'est alors que je passai devant l'écran de télévision.... Ah ! Génie de l'exception culturelle française ou, tout simplement, joie d'une treizième rediffusion hertzienne ! Pour revoir cet excellent film de Claude Miller : mais, oui ! L'histoire de l'inspecteur Gallien, secondé par son adjoint Belmont, qui "reçoit" au commissariat le notaire Martinaud, au sujet du viol et du meurtre de deux jeunes filles...

Garde à vue ! Voilà, ce dont voulait me parler mon ami, pachtoune d'un moment, chargé, notamment, d'exporter le Génie pénal (et non civil, une fois n'est pas coutume) auprès des autorités afghanes renaissantes...

Enfin quoi ! N'avais-je pas lu toute cette polémique sur les droits de la défense pendant la garde à vue, sur l'accès à l'avocat, pour lui en toucher deux ou trois mots ?

J'aurais pu lui dire, ainsi, qu'il avait un blanc seing pour exporter notre droit français de la garde à vue, sans avoir de problème de conscience ! Avec 577 816 gardes à vues, en 2008, soit 1 % de la population, on sait de quoi on parle en France ! Et, le Garde des Sceaux nous le confirme, par la voix d'Arthur Dreyfuss, son porte-parole adjoint : "l'arrêt de la Cour européenne [celui du 27 novembre 2008, s'entend ] condamne le système judiciaire turc, qui n'a rien à voir avec le système judiciaire français. La lecture de l'arrêt dit qu'un accusé doit avoir un avocat au plus vite, or ça tombe bien, c'est ce que prévoit le Code pénal français depuis dix ans". Le ministre de la Justice et des Libertés, invitant les avocats à ne pas faire dire aux décisions de la CEDH "plus qu'elles n'exigent". Et hop, la messe est dite... Où comparaison n'est pas raison, on ne va mettre sur le même plan un régime pénal qui prévoit, selon l'article 63-4 du Code de procédure pénal, que le gardé à vue peut s'entretenir avec un avocat pendant 30 minutes, et cela, dès la première heure -certes l'avocat n'ayant pas accès au dossier- avec Midnight express !

Alors ouiiii, des voix s'élèvent... pour défendre qu'il faut annuler toutes les gardes à vue, au grand émoi du ministre de l'Intérieur qui demande expressément au Garde des Sceaux de préciser la portée exacte de deux décisions du 30 novembre dernier, prises par les magistrats de Bobigny, de ne pas renouveler certaines gardes à vue au motif de la non présence d'un avocat au début de la procédure. "J'ai été amené à refuser, comme juge des libertés et de la détention (JLD), une prolongation de garde à vue après 48 heures, en application de deux arrêts de la CEDH", nous explique Hervé Lourau, vice-président au tribunal de Bobigny. "Je ne suis pas le seul à l'avoir fait et ce refus n'était que la stricte application du droit".

La voix du Bâtonnier du Barreau de Paris, Christian Charrière-Bournazel, s'est faite également entendre, lors de la Rentrée solennelle du 4 décembre 2009, afin d'ouvrir le débat sur une réforme de la garde à vue, aux vues d'une contradiction apparente entre le régime français et la Convention européenne des droits de l'Homme... Même, le Premier ministre François Fillon, a jugé indéniable la nécessité de "repenser " les conditions de garde à vue. Et, le Parlement de s'autosaisir, enfin, pour déposer une proposition de loi, par l'intermédiaire du député Manuel Aeschlimann en "co-production " avec l'association "Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat", pour permettre aux avocats d'assister à tous les interrogatoires et d'avoir accès au dossier dès le début de la garde à vue.

Avec cette "visite de courtoisie", la loi du 4 janvier 1993 mettant le droit français en conformité avec la Convention européenne des droits de l'Homme croyait s'en tirer à bon compte ! Mais, lorsque le président du Conseil constitutionnel, en charge du respect suprême des droits fondamentaux, gardien du Génie Français des Lumières, cite, au Théâtre du Châtelet, et reprenant à son compte, le doyen Vedel pour lequel "la garde à vue viole les droits de la défense, car elle permet qu'un suspect soit interrogé sans l'assistance d'un avocat", n'est-ce pas, là, le désaveu d'un régime inquisitoire mollement légitimé en 1958 pour répondre, au grand dam de l'intervention, jugée incongrue par certains syndicats de police, des avocats, défenseurs des libertés, lors de ces interrogatoires... parfois musclés...

"Je ne me souviens plus qui a dit : On cesse d'être en sécurité dès qu'on passe la porte d'un commissariat. Avec vous, composer le numéro de la police donne déjà la chair de poule" nous livre Maître Martinaud dans Garde à vue.

Alors, "les avocats seront associés à la concertation" sur la réforme de la garde à vue qui sera dévoilée en janvier 2010. "Je suis prête à les écouter", nous promet Michelle Alliot-Marie.

En attendant, je ne saurai que conseiller à mon ami téléphonique d'attendre, comme Robert Badinter, la prochaine réforme de la procédure pénale, à l'initiative du rapport de la commission "Léger", pour statuer définitivement sur le caractère "exportable" ou non de notre régime de garde à vue.

"Je suis devenu chrétien. Je n'ai point cédé, je l'avoue, à de grandes lumières surnaturelles ; ma conviction est sortie de mon coeur : j'ai pleuré et j'ai cru". A travers du Génie du christianisme, Chateaubriand cherchait à "prouver que le christianisme vient de Dieu, parce qu'il est excellent". Gageons qu'à la lumière de la prochaine réforme de la garde à vue, et plus généralement de la procédure pénale, l'on puisse dire que la Liberté et les Droits de la défense sont Français, parce qu'ils sont excellents !

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Procédure civile

[Textes] La réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile

Réf. : Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW)

Lecture: 5 min

N6066BMM

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par Daniel Dechriste, Bâtonnier de l'ordre des avocats de Colmar, Christine Laissue-Stravopodis, Bâtonnier élu et Dominique d'Ambra, avocat à la cour d'appel et Professeur agrégé à la Faculté de droit de Strasbourg

Le 07 Octobre 2010

L'ancien Garde des Sceaux, Madame Dati avait confié à Monsieur Magendie, premier président de la cour d'appel de Paris, en novembre 2007, une mission visant à étudier les conditions dans lesquelles la procédure d'appel pouvait être aménagée pour répondre à deux objectifs : célérité de la justice et qualité de la justice. Le décret portant réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile, inspiré du rapport déposé en juin 2008 par Monsieur Magendie, a été publié au Journal officiel du 11 décembre 2009.
1. Les principales modifications textuelles

L'esprit de ce décret et les modifications des règles de procédure sont significatifs d'une méfiance caractérisée du législateur à l'encontre des justiciables et de leurs représentants.

Le décret ne tend pas à améliorer la qualité ou même la célérité de la justice mais constitue une volonté affichée de restreindre de manière drastique le recours possible à la juridiction d'appel.

1.1. Le projet de décret impose des délais raccourcis assortis de sanctions irrémédiables

Aux termes du nouvel article 902 du Code de procédure civile, la déclaration d'appel doit, à peine de caducité de l'appel, être signifiée dans un délai de un mois à compter de l'avis adressé par le Greffe, lorsque, après notification de l'acte d'appel par celui-ci, l'intimé n'a pas constitué Avocat dans un délai d'un mois. La volonté est de sanctionner l'avocat -et respectivement le justiciable- qui, pourtant, est tributaire du délai de transmission de l'avis du greffe, du délai d'acheminement de son assignation à l'huissier et du délai de délivrance de l'acte. Ceci est d'autant plus vrai que les huissiers, face à de nombreux impayés, exigent des provisions avant toute intervention. Ces diligences sont sous le coup d'une sanction irréversible et automatique qui est inacceptable.

Le nouvel article 908 du même code prévoit, quant à lui, que, à peine de caducité constatée d'office par ordonnance du conseiller de la mise en état, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure (sauf en cas de demande d'aide juridictionnelle le délai commençant à courir à compter de la décision d'admission ou de rejet). La sanction de la caducité prononcée d'office par le conseiller de la mise en état, sans débat ni contrôle, par son caractère irréversible, et automatique, n'est pas acceptable car proprement contraire à l'intérêt du justiciable, et ne concourt pas au bon fonctionnement de la justice.

Aux termes du nouvel article 909 du même code, l'intimé dispose, lui-même, d'un délai de deux mois à peine d'irrecevabilité relevée d'office à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour conclure et former le cas échéant appel incident.

Enfin, le nouvel article 910 dispose, en substance, que l'intimé à un appel incident, intervenant forcé, dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions pour conclure. Les parties ne pourront, donc, déposer qu'un seul jeu de conclusions, sauf si le conseiller de la mise en état estime qu'il convient de conclure plus longuement ou si les parties doivent répondre à un appel incident ou provoqué.

1.2. Le rapport entre droits des parties et pouvoir coercitif du juge est déséquilibré à l'avantage de ce dernier

Le nouvel article 564 du Code de procédure civile prévoit, désormais, que la cour d'appel doit soulever l'irrecevabilité d'office des nouvelles prétentions.

Cette disposition, a été présentée, par le rapport "Magendie 2", comme étant la volonté d'éviter le rallongement de la procédure d'appel et de favoriser le double degré de juridiction.

Or, cette disposition couplée au principe de concentration des moyens consacrés par l'Assemblée plénière, dans son arrêt du 7 juillet 2006, accentue la voie de l'appel comme voie de réformation et non plus voie d'achèvement du procès (Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, M. Gilbert Cesareo, P+B+R+I N° Lexbase : A4261DQU).

Il y a un risque de généraliser le principe établi en matière prud'homale d'unicité de l'instance sauf que, dans ce cadre-là, les demandes nouvelles sont toujours recevables à hauteur d'appel.

En outre, selon le nouvel article 954, les prétentions des parties doivent être formulées dans le dispositif faute de quoi la cour ne sera pas tenue de statuer. Les conclusions ne sont plus considérées dans leur ensemble pour déterminer les prétentions des parties. Celles-ci doivent expressément figurer dans le dispositif. Il n'y a donc plus de moyens implicites tirés des motifs des conclusions. En cas d'oubli de la reprise d'une prétention dans le dispositif, celle-ci serait écartée.

2. Le contexte procédural

Pour apprécier la portée du décret du 9 décembre 2009, il faut le situer dans le contexte procédural actuel.

2.1. Retour sur l'arrêt d'Assemblée plénière du 7 juillet 2006

Cet arrêt pose le principe de la concentration des moyens et consacre le principe de l'autorité de la chose non jugée (dixit le recteur Guinchard, L'autorité de la chose qui n'a pas été jugée à l'épreuve des nouveaux principes directeurs du procès civil et de la simple faculté pour juge de changer le fondement juridique des demandes, in Mélanges G. Wiederkehr, Dalloz, 2009, p. 379).

Aux termes de cet arrêt : "il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci" et, ayant introduit une autre demande en invoquant un fondement juridique différent, "il ne peut être admis à contester l'identité de cause des deux demandes en invoquant un fondement juridique qu'il s'était abstenu de soulever en temps utile de sorte que la demande se heurte à la chose précédemment jugée relativement à la même contestation".

En l'espèce, la première demande avait été introduite sur le fondement du salaire différé et la seconde sur l'enrichissement sans cause. Il faut, alors, citer un arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2007 qui, à la suite de la relaxe d'un médecin, une demande ayant été introduite au civil sur le fondement de la responsabilité contractuelle, le demandeur avait été débouté au motif qu'il aurait dû présenter sa demande devant le tribunal correctionnel (Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 06-19.524, FS-P+B N° Lexbase : A2533DZT).

2.2. Le décret du 20 août 2004

Le décret n° 2004-836 du 20 août 2004 (N° Lexbase : L0896GTD), entré en application à compter du 1er janvier 2005, permet au juge de soulever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée.

2.3. Retour sur l'arrêt d'Assemblée plénière du 21 décembre 2007

Cet arrêt pose le principe selon lequel le juge n'a pas l'obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique des demandes des parties (Ass. plén., 21 décembre 2007, n° 06-11.343, M. Denis Dauvin c/ Société Carteret automobiles, P+B+R+I N° Lexbase : A1175D3W).

Dans le souci d'une bonne justice le principe de concentration aurait dû conduire à :

- ce que le juge dont l'office est de dire le droit soit contraint de soulever les moyens de droit ; tel n'est pas le cas au terme de cet arrêt du 21 décembre 2007 ;

- autoriser les demandes nouvelles en appel ; tel n'est pas le cas, au contraire, avec le décret du 9 décembre 2009.

Aussi, ce décret poursuit le travail de déconstruction procédurale entrepris par le décret du 28 décembre 2005 (décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, relatif à la procédure civile, à certaines procédures d'exécution et à la procédure de changement de nom N° Lexbase : L3298HEU) en transformant certaines règles de procédure en traquenards et en empêchant le justiciable et son représentant de rectifier des erreurs commises.

Le justiciable n'aura d'autre issue que de se retourner vers son avocat qui aura omis de soulever dès la première instance tous les fondements juridiques susceptibles de soutenir la prétention de son client.

Par ailleurs, si les avocats soulèvent en première instance tous les moyens juridiques même les plus fantaisistes les procès risquent de se compliquer et de s'éterniser.

Aucun des deux objectifs de célérité et qualité ne sera donc atteint.

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Propriété intellectuelle

[Chronique] La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR - Décembre 2009

Lecture: 16 min

N7129BMY

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Le 07 Octobre 2010

La jurisprudence de ce dernier trimestre impose de s'interroger sur les minces frontières qui séparent les droits exclusifs des titulaires de propriétés intellectuelles de ceux que peuvent détenir des tiers sur les objets de ces droits. La distinction est souvent très fine. Certaines décisions doivent être approuvées en ce qu'elles permettent d'éclairer les attentes du législateur. D'autres quoique fondées peuvent susciter la perplexité tant les critères donnés semblent ténus et d'application parfois délicate. En témoigne, la chronique en droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR. Sont donc à l'honneur ce trimestre, deux arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 24 septembre 2009 : tandis que le premier arrêt pose le principe selon lequel, les auteurs d'une oeuvre audiovisuelle ne sont pas fondés à se prévaloir d'une privation de leur droit de divulgation dès lors que celui-ci ne pouvait être exercé par eux que sur l'oeuvre audiovisuelle achevée, le second, après avoir confirmé que la reproduction de la photographie de l'artiste sur la jaquette d'une compilation, qui constitue un acte d'exploitation commerciale et non l'exercice de la liberté d'expression, était soumise à autorisation préalable, répond à la question de savoir si la reproduction d'une oeuvre musicale fidèle et sans détérioration, autre que l'altération causée par le temps qui passe, aux fins de commercialisation bon marché peut constituer une atteinte au droit moral tant de l'artiste que de l'auteur. Enfin, l'auteur a également choisi de revenir sur le délicat équilibre entre la libre circulation des produits et la juste protection des droits exclusifs de marque à travers un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 15 octobre 2009.
  • L'art de la nuance : de la reconnaissance à l'exercice des droits moraux de l'auteur il n'y a qu'un pas que seul l'auteur de l'oeuvre audiovisuelle achevée peut franchir (Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, n° 07-17.107, Société France 2, aux droits de laquelle vient la société France télévisions, FS-P+B [LXB=A3371ELG])

Les droits moraux de l'auteur d'une oeuvre audiovisuelle ne peuvent être exercés tant que l'oeuvre audiovisuelle n'est pas achevée, tel est le principe rappelé avec fermeté par la Cour de cassation dans une décision rendue par la première chambre civile le 24 septembre 2009. En l'espèce, deux coauteurs ont cédé à une société de production leurs droits sur le scénario d'un documentaire qu'ils entendaient réaliser. Ladite société a conclu avec la société France 2 un contrat de coproduction pour la réalisation et la diffusion de ce documentaire. Toutefois, après avoir un temps suspendu le montage, la production du documentaire est définitivement arrêtée à l'initiative de France 2 en raison, d'une part, d'un dépassement budgétaire généré par l'allongement des délais de production et, d'autre part, du caractère inexploitable du documentaire parce que non accessible au téléspectateur non averti. Les deux coauteurs face à cet arrêt unilatéral de la production et à l'impossibilité de trouver une solution alternative avec la société France 2 l'ont assignée ainsi que France Télévision en responsabilité délictuelle. La cour d'appel, ce que ne remet nullement en cause la Cour de cassation en dépit du pourvoi, a retenu la responsabilité de la société France 2 après avoir caractérisé sa faute et le préjudice tant financier que professionnel subi par la victime (CA Paris, 4ème ch., sect. B, 11 mai 2007, n° 05/20638, M. Gilles Du Jonchay et autres c/ SA France 2 N° Lexbase : A9080DXL). Les coauteurs invoquaient, également au soutien de leur action, une atteinte à leurs droits d'auteur et principalement une atteinte portée à l'exercice de leur droit moral de divulgation. La cour d'appel a, cependant, refusé de faire droit à ces demandes au motif que l'exercice du droit moral supposait l'achèvement de l'oeuvre. Au soutien de leur pourvoi incident, les coauteurs ont invoqué une fausse application de l'article L. 121-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3350ADG) dès lors que l'inachèvement de l'oeuvre par la faute du producteur prive l'auteur de l'exercice légitime de ses droits moraux et notamment de son droit de divulgation. La question de savoir si l'auteur d'une oeuvre audiovisuelle non encore achevée pouvait invoquer une atteinte à son droit moral caractérisée par l'impossibilité d'exercer son droit de divulgation était clairement posée à la Cour de cassation.

Or celle-ci a rejeté le moyen aux motifs que "selon l'article L. 121-5 du Code de la propriété intellectuelle, l'oeuvre audiovisuelle est réputée achevée lorsque la version définitive a été établie d'un commun accord entre, d'une part, le réalisateur ou éventuellement, les coauteurs et, d'autre part, le producteur, que n'étant pas contesté que tel n'était pas le cas en l'espèce c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que les auteurs n'étaient pas fondés à se prévaloir d'une privation de leur droit de divulgation dès lors que celui-ci ne pouvait être exercé par eux que sur l'oeuvre audiovisuelle achevée". L'analyse que fait la Cour de cassation doit être, nous semble-t-il, approuvée. En effet, si le principe applicable en matière de droit d'auteur résulte de l'article L. 111-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3329ADN), selon lequel l'achèvement n'est pas une condition de la reconnaissance de l'oeuvre, le législateur a cependant prévu une exception contenue à l'article L. 121-5 du Code de la propriété intellectuelle en matière d'oeuvres audiovisuelles. Pour cette catégorie d'oeuvres particulières, l'achèvement a une portée juridique particulière dès lors qu'il conditionne l'exercice des droits moraux. Il convient de souligner que ce n'est qu'une exception relative dans la mesure où ce qui est soumis à la condition suspensive de l'achèvement c'est bien l'exercice des droits et nullement leur reconnaissance. Dès lors, si l'on ne peut invoquer, contrairement à ce que soutenaient les auteurs en l'espèce, une atteinte au droit moral de l'auteur d'une oeuvre audiovisuelle avant son achèvement, la protection contre cette atteinte ne pouvant s'analyser autrement qu'en un exercice de ce droit moral, il est néanmoins possible d'invoquer l'abus du propriétaire du support ou la faute du producteur à l'origine de l'impossibilité d'achever l'oeuvre. Le préjudice de l'auteur est alors, dans cette hypothèse, caractérisé par la perte de chance d'exercer le droit moral de divulgation, exercice qui aurait été rendu possible du seul fait de l'achèvement de l'oeuvre.

Si la Cour de cassation avait finalement admis le raisonnement des auteurs, il y aurait eu un risque important de voir se développer un contentieux là même où, par la lettre de l'article L. 121-5 du Code de la propriété intellectuelle, le législateur a souhaité l'empêcher en se fondant sur la distinction ténue entre existence et exercice des droits moraux de l'auteur. La seule voie de contestation possible pour l'auteur reste donc celle employée par les protagonistes, celle de la responsabilité civile lorsque l'achèvement de l'oeuvre a été rendu impossible par la faute du producteur (v. moyen principal) ou par un abus notoire du propriétaire du support qui refuse à l'auteur d'y accéder (CA Paris, 29 septembre 1995, RIDA, avril 1996, p. 293).

  • Entre la libre utilisation des oeuvres et l'atteinte au droit moral tant de l'artiste-interprète que de l'auteur, le coeur de la Cour de cassation ne balance nullement opérant ainsi un renforcement bienvenu du droit moral (Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, n° 08-11.112, F-P+B N° Lexbase : A5801ELG)

En l'espèce, une société a réalisé une compilation de plusieurs chansons d'Henri Salvador enregistrées entre 1948 et 1952. Cette compilation a été commercialisée auprès de la grande distribution au prix d'un euro. Afin de s'opposer à la commercialisation de cette compilation, l'artiste a saisi le juge des référés. Quoique ces chansons soient tombées dans le domaine public, l'artiste estimait que cette commercialisation portait atteinte à son droit moral d'interprète. De même, ayant composé six des dix-huit chansons reproduites, il invoquait également une atteinte à son droit moral d'auteur. Enfin, la société ayant utilisé une photographie le représentant pour illustrer la compilation, il invoquait une atteinte à son droit à l'image. Le juge des référés ayant fait droit à l'ensemble de ces demandes, la société a saisi la juridiction du fond. La cour d'appel a cependant également reconnu l'ensemble de ces atteintes au droit moral de l'artiste-interprète, au droit moral de l'auteur et à son droit à l'image. La société s'est donc pourvue en cassation en soutenant, tout d'abord, qu'en l'absence de toute détérioration ou dénaturation de la reproduction fidèle d'une interprétation tombée dans le domaine public et commercialisée au prix d'un euro, il ne pouvait y avoir atteinte au droit moral de l'artiste-interprète. La société invoquait, ensuite, que la compilation des oeuvres ainsi réalisée et commercialisée ne pouvait pas non plus constituer une atteinte au droit moral de l'auteur de ces oeuvres dès lors qu'il s'agissait d'une reproduction d'un enregistrement d'origine. Elle soutenait, enfin, que la reproduction d'une photographie posée dans le cadre professionnel ne constitue pas une atteinte au droit à l'image de la personne mais relève de l'activité d'information et de communication.

Sur cette dernière question, la réponse de la Cour de cassation ne surprend guère. En effet, dans un récent arrêt relatif à une affaire très semblable (Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 07-19.758, F-P+B N° Lexbase : A7210EIU et nos obs. in La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR - 8 octobre 2009, Lexbase Hebdo n° 366 du 7 octobre 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N0712BMC ) où la même société était d'ailleurs en cause mais en litige avec un autre artiste, elle avait déjà refusé d'admettre que l'utilisation commerciale d'une image même professionnelle ne pouvait constituer une activité d'information et de communication. C'est donc très naturellement qu'elle rejette le pourvoi fondé sur cet argument au motif que "chacun ayant le droit de s'opposer à la reproduction de son image hormis le cas de l'exercice de la liberté d'expression, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que la reproduction de la photographie de l'artiste sur la jaquette d'une compilation, qui constitue un acte d'exploitation commerciale et non l'exercice de la liberté d'expression, était soumise à autorisation préalable et que faute d'avoir été autorisée par l'intéressé, cette reproduction était illicite et portait atteinte au droit à son image".

La réponse de la Cour de cassation était donc davantage attendue sur le point de savoir si la reproduction fidèle et sans détérioration, autre que l'altération causée par le temps qui passe, aux fins de commercialisation bon marché pouvait constituer une atteinte au droit moral tant de l'artiste que de l'auteur. Or, si la première chambre civile apporte ici des précisions importantes, celles-ci vont indéniablement dans le sens d'un renforcement de la protection du droit moral, direction qui semble être celle adoptée par la Cour de cassation depuis son arrêt de principe rendu en Chambre sociale le 8 février 2006 à l'égard de l'artiste-interprète (Cass. soc. 8 février 2006, n° 04-45.203, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7241DM7, Bull. civ. V, n° 64, D., 2006, jur. 1172, note Allaeys, et Pan. 3000, obs. Sirinelli ; RTDCom., 2006. 374, obs. Pollaud-Dulian, JCP éd. G, 2006, II, 10078, note Azzi, JCP éd. E, 2006, 1654, note Alleaume, CCE, 2006, comm. 57, note Caron ; Cass. civ. 1, 5 décembre 2006, n° 05-11.789, FS-D N° Lexbase : A8304DSD, CCE 2007, comm. 18, note Caron, RIDA, janvier 2007, p. 235, note Sirinelli). Il était acquis, depuis cette affaire, que la dénaturation d'une interprétation puisse constituer une atteinte au droit moral de l'artiste-interprète. La Cour de cassation renforce cet attribut extra-patrimonial de l'artiste comme de l'auteur, dès lors qu'elle considère que le caractère altéré de la reproduction de l'interprétation peut être constaté du fait "d'une qualité sonore d'une grande médiocrité" en dépit du fait que l'enregistrement soit d'origine et que cette qualité ne résulte que "de l'écoulement du temps et de l'évolution des techniques". Par ailleurs, la Cour de cassation renforce encore la protection du droit moral de l'auteur dès lors qu'elle admet que le contexte de commercialisation puisse, en soi, déprécier l'oeuvre et ainsi porter atteinte à la considération de l'auteur et à son droit moral. La Cour souligne, en effet, que "la commercialisation d'une compilation d'une qualité sonore de grande médiocrité, vendue au prix dérisoire d'un euro, sans commune proportion au prix du marché et comme un produit de promotion de la grande distribution, étranger à la sphère artistique" permet de caractériser l'atteinte au droit moral de l'auteur. Les droits des tiers sur une oeuvre, y compris lorsqu'elle est tombée dans le domaine public, sont donc extrêmement restreints au profit de ceux de l'artiste et de l'auteur.

  • Le délicat équilibre entre la libre circulation des produits et la juste protection des droits exclusifs de marque : une frontière en construction qui gagne en précision sous l'effet des décisions de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, 15 octobre 2009, Makro Zelfbedieningsgroothandel CV, aff. C-324/08 N° Lexbase : A0000EMX)

Les droits de propriété intellectuelle sont, par principe, territorialement protégés, ce que rappelle l'article 30 du Traité CE . Toutefois, afin de permettre la libre circulation des marchandises au sein de l'Espace économique européen, règle énoncée à l'article 28 du Traité CE , la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a depuis longtemps consacré une exception aux droits de propriété intellectuelle : la règle dite d'épuisement des droits (v., notamment, les arrêts "Centrafarm" et "Terrapin/Terranova" : CJCE 31 octobre 1974, aff. C-15/74, Centrafarm BV et Adriaan de Peijper c/ Sterling Drug Inc N° Lexbase : A6931AUA, Rec. p. 1183 ; CJCE, 22 juin 1976, aff. C-119/75, Société Terrapin (Overseas) Ltd. c/ Société Terranova Industrie CA Kapferer & Co N° Lexbase : A7096AUD, Rec. p. 1039). En vertu de cette règle, les droits exclusifs de propriété intellectuelle peuvent toujours être invoqués par le titulaire des droits pour s'opposer à la commercialisation par un tiers de produits marqués et partant à la libre circulation des marchandises à la condition que ces droits s'inscrivent dans l'objet spécifique du droit de marque. La marque ayant pour fonction d'assurer au titulaire le droit exclusif de propriété intellectuelle pour la première mise en circulation d'un produit, l'objet spécifique du droit de marque ne peut comporter le droit "pour son titulaire d'empêcher l'importation dans un état membre d'un produit licitement mis en circulation sur le marché d'un autre Etat membre par le titulaire lui-même ou avec son accord" (CJCE, 22 juin 1976, préc.). La règle de l'épuisement des droits communautaire est ainsi contenue dans l'article 7 § 1 de la Directive CE 89/104 du 21 décembre 1988 (N° Lexbase : L9827AUI), en ces termes "le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce, sur le territoire d'une partie contractante [art. 65 § 2 de l'Accord sur l'Espace économique européen] sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement". Cette règle est, par ailleurs, reprise tant à l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3731ADK) qu'à l'article 13 § 1 du Règlement CE n° 40/94 du 20 décembre 1993 (N° Lexbase : L5799AUC). Il résulte donc de cette définition que la règle de l'épuisement des droits du titulaire de la marque sur les produits marqués suppose, d'une part, qu'il ait donné son consentement et, d'autre part, que la mise en circulation ait eu lieu sur le territoire de l'Espace économique européen (EEE). Or si la jurisprudence de la Cour de justice s'est dans un premier temps montrée très rigoureuse quant à l'appréciation de ces conditions, elle semble désormais faire preuve de davantage de souplesse favorisant ainsi la libre circulation des produits sur la protection des droits exclusifs de propriété intellectuelle. En effet, elle a progressivement admis que le consentement donné par le titulaire de la marque pouvait n'être que tacite. Ainsi dans une affaire importante (arrêt "Zino Davidoff" : CJCE 20 novembre 2001, aff. C-414/99, Zino Davidoff SA c/ A & G Imports Ltd N° Lexbase : A5840AXL, Rec. p. I-8691 ; Cass. com. 29 janvier 2002, n° 98-20.778, F-D N° Lexbase : A8704AXN, PBD, 2002, n° 740, III, 186) à laquelle elle se réfère désormais expressément, la Cour de justice a décidé que la règle d'épuisement s'applique lorsque les produits, initialement mis en circulation hors du territoire de l'EEE par le titulaire ou avec son accord, sont introduits par la suite sur ce territoire avec son accord qui peut n'être que tacite. Elle a, à cet égard, précisé que le consentement tacite peut résulter "d'éléments et de circonstances antérieurs, concomitants ou postérieurs à la mise dans le commerce en dehors de l'EEE, qui, appréciés par le juge national, traduisent de façon certaine une renonciation du titulaire à son droit de s'opposer à une mise dans le commerce dans l'espace économique européen" (point 46). Le silence du titulaire ne peut cependant pas constituer cette acceptation tacite nécessaire à l'épuisement du droit résultant de l'importation sur le territoire de l'EEE. La question de l'appréciation du consentement tacite ou implicite du titulaire de la marque à la commercialisation d'un produit marqué vient d'être encore précisée par la CJCE, lorsque la première mise en circulation des produits marqués l'a été dans le territoire de l'EEE et non pas en dehors, à l'instar des faits de l'arrêt "Zino Davidoff". En effet, la décision rendue par la CJCE le 15 octobre 2009 s'inscrit dans cette construction qui vise à apprécier les conditions de la mise en oeuvre de la règle d'épuisement des droits. Sans surprise, l'interprétation retenue par la CJCE semble être en faveur de la libre circulation des marchandises au détriment, peut-être, de la protection de la propriété intellectuelle.

En l'espèce, une société, Diesel, est titulaire d'une marque verbale portant sur le nom "DIESEL" pour le Benelux. Par contrat de distribution, la société Difsa s'est vue reconnaître le droit de distribuer les produits revêtus de la marque pour l'Espagne, le Portugal et l'Andorre. Elle-même a, par la suite, conféré un tel droit de distribution à la société Flexi Casual. Quelques années après ce contrat, un administrateur de cette société a accordé par écrit à la société Cosmos une licence pour la production et la vente de certains produits marqués Diesel, sans avoir au préalable obtenu l'approbation de la société Diesel ou même encore de la société Difsa. La société Cosmos, qui a alors commercialisé lesdits produits, a revendu des chaussures marquées à deux entreprises espagnoles qui les ont elles-mêmes revendues à la société Makro. Ladite société a finalement mis en vente ces chaussures marquées sur le territoire hollandais sans le consentement explicite de Diesel. Cette dernière a alors assigné en contrefaçon la société Makro pour obtenir la cessation des atteintes ainsi réalisées tant à ses droits d'auteur qu'aux droits afférents à sa marque. Les juges du fond ayant fait droit à ces demandes, la société Makro s'est pourvue en cassation en soutenant que les droits de marque sur les produits litigieux avaient été épuisés dès lors que la société Cosmos avait commercialisé les produits avec le consentement du titulaire de la marque. La Cour de cassation hollandaise a préféré surseoir à statuer afin d'obtenir un éclairage de la Cour de justice sur l'interprétation à donner aux conditions d'application de la règle de l'épuisement des droits, et plus précisément sur l'appréciation du "consentement implicite" donné par le titulaire de la marque lorsque la première mise en circulation a eu lieu dans le territoire de l'EEE.

Afin de répondre à la question préjudicielle posée, la Cour de justice procède en deux temps. Elle a, tout d'abord, rappelé sa décision du 23 avril 2009 selon laquelle "le consentement qui équivaut à une renonciation du titulaire à son droit exclusif [...] doit être exprimée d'une manière qui traduise de façon certaine la volonté du titulaire de renoncer à ce droit", ce qui s'exprime par une formulation expresse dudit consentement. La Cour souligne, ensuite, qu'il est possible de prévoir des aménagements à un tel principe notamment lorsque le consentement peut être rapporté de manière implicite, "sur la base des critères énoncés au point 46 de l'arrêt Zino Davidoff".

Les critères ainsi posés par cette décision ont vocation à revêtir une portée générale indépendamment du lieu de la première mise en circulation des produits. Dès lors c'est par l'affirmative que répond la Cour de justice à la question préjudicielle posée en décidant que "l'article 7 § 1 de la Directive CE du 21 décembre 1988 doit être interprété en ce sens que le consentement du titulaire d'une marque à une commercialisation de produits revêtus de cette marque effectuée directement dans l'EEE par un tiers n'ayant aucun lien économique avec ce titulaire peut être implicite pour autant qu'un tel consentement résulte d'éléments et de circonstances antérieurs, concomitants ou postérieurs à la mise dans le commerce dans cette zone qui, appréciés par le juge national, traduisent de façon certaine une renonciation du titulaire à son droit exclusif".

Le caractère implicite du consentement du titulaire n'est donc pas réservé à une première mise en circulation hors du territoire de l'EEE, comme une lecture restrictive des termes de l'arrêt "Davidoff" aurait pu le laisser penser. On assiste donc ici à une extension de l'admission du caractère implicite du consentement dès lors qu'il peut également prendre cette forme lorsque la première mise en circulation a été faite sur le territoire de l'EEE. La rigueur ne semble plus de mise quant à l'appréciation des conditions de mise en oeuvre de la règle de l'épuisement des droits, à l'instar de ce qui prévaut pour l'appréciation de la charge de la preuve de ces conditions. A l'origine, il appartenait à celui qui invoquait le bénéfice de l'épuisement des droits d'apporter la preuve que le consentement avait bien été donné par le titulaire ou un tiers autorisé par lui (CJCE 20 novembre 2001, préc. ; Cass. com. 29 janvier 2002, préc.). Toutefois, et face à la difficulté probatoire dans laquelle pouvait être le revendeur des produits lorsqu'il les avait obtenus à l'issue d'une chaîne contractuelle particulièrement complexe comme en l'espèce, la jurisprudence de la Cour de justice a finalement admis un renversement de la charge de la preuve. Ainsi dans un arrêt "Van Doren" (CJCE, 8 avril 2003, aff. C-244/00, Van Doren N° Lexbase : A6689A7U, Rec. p. I-3051), il a été décidé que dans l'hypothèse ou le revendeur poursuivi démontre qu'il existe "un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux [...] il appartient au titulaire de la marque d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l'EEE". Bien que cet assouplissement n'ait pas été repris par les juges nationaux qui analysent toujours avec rigueur la charge de la preuve de l'épuisement des droits en appréciant strictement cette notion "de risque de cloisonnement des marchés nationaux" (CA Paris, 4ème ch., sect. B, 31 octobre 2003, n° 2002/02952, SARL Sneakers USA c/ Société Nike international LTD N° Lexbase : A9246DAP, PIBD, 2004, n° 779, III, 73 ; CA Paris, 4ème ch., sect. A, 12 janvier 2005, n° 03/06117, SA Société Auchan France et autres c/ Société Maxicalzado N° Lexbase : A5283DGR, PIBD, 2005, n° 805, III, 208), la jurisprudence de la Cour de justice incline à penser qu'il faille tendre vers davantage de souplesse. Dès lors, si l'on associe l'absence de rigueur quant à l'interprétation des conditions de mise en oeuvre à cet assouplissement probatoire, force est de constater que la libre circulation des marchandises prévaut de plus en plus sur les droits exclusifs de propriété intellectuelle. On peut le regretter ou s'en réjouir selon l'intérêt que l'on juge supérieur, l'essor de la libre concurrence sur l'ensemble du territoire de la Communauté ou la protection du monopole d'exploitation conféré par le droit de propriété intellectuelle. Toutefois, il faut se garder de conclusions hâtives. En effet, le juge national, chargé d'apprécier les éléments et circonstances qui traduisent la volonté certaine du titulaire de renoncer à ses droits exclusifs, pourra faire preuve lors de cette appréciation in concreto d'une certaine rigueur sans pour autant adopter une sévérité excessive. En cette matière où doit prévaloir la conciliation d'objectifs a priori inconciliables, la voie de la mesure est certainement la meilleure.

Nathalie Martial-Braz, Maître de conférences, Université Rennes 1, CDA-PR

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Alerte professionnelle : un code d'entreprise doit être conforme à la loi du 6 janvier 1978

Réf. : Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3615EPL)

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N7165BMC

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

Le 07 Octobre 2010

Les chartes éthiques et codes de bonne conduite se sont développés depuis quelques années. Ils sont apparus comme un outil permettant, à l'inverse du règlement intérieur dont le champ est légalement limité, de réunir en un document, selon un contenu et un degré de précision variables, les engagements et obligations respectifs de l'employeur et des salariés. Ils sont, parfois, accompagnés de la mise en place d'un dispositif d'alerte professionnelle. Ce dernier avait, en son temps, éveillé l'attention de la doctrine (1). En 2007, le législateur, s'inspirant du rapport "Antonmatéi-Vivien", a mis en place un statut protecteur du salarié, en disposant qu'aucune personne ne peut être écartée d'un recrutement, d'un stage ou d'une formation en entreprise pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, à son employeur ou aux autorités des faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans ses fonctions (C. trav., art. L. 1161-1 N° Lexbase : L0763H97). Puis en 2008, l'administration du travail s'est efforcée d'encadrer sa pratique (2). Mais il manquait une dimension contentieuse à la matière pour que son intérêt soit total. La Cour de cassation vient précisément de rendre une décision, le 8 décembre dernier, à la fois utile et intéressante, en ce que le régime de l'alerte professionnelle est apprécié à l'aune de la loi du 6 janvier 1978. En 2004, puis en 2007, la société Dassault systèmes avait élaboré, à la suite de la loi américaine "Sarbanes Oxley" (3), un code de conduite des affaires applicable dans le groupe. Ce code définissait les règles applicables à la diffusion des informations confidentielles et des informations à usage interne dont les salariés peuvent avoir connaissance dans le cadre de leur contrat de travail. Il organisait un système d'alerte professionnelle (4). La version de 2007 de ce code avait fait l'objet, le 30 mai 2007, d'un engagement de conformité à l'autorisation unique n° 2005-305 du 8 décembre 2005 (N° Lexbase : X6007ADT), prise en application de l'article 25 II de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS).

Estimant que son contenu portait atteinte aux libertés fondamentales des salariés et que le dispositif d'alerte n'était pas conforme à cette autorisation unique et aurait dû faire l'objet d'une autorisation en application de l'article 25 I de la loi du 6 janvier 1978, la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT a saisi le tribunal de grande instance d'une demande d'annulation de ce code de bonne conduite. La cour d'appel de Versailles, dans une décision rendue le 17 avril 2008, a déclaré licites les dispositions du code de conduite des affaires, version 2007, relatives à l'alerte professionnelle (5). D'une part, la cour d'appel estimait que ce dispositif était conforme au régime simplifié d'autorisation unique défini par la Cnil dans sa délibération du 8 décembre 2005, dispensant les responsables de traitement automatisé de données à caractère personnel du régime normal de l'autorisation lorsque le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption (art. 1). D'autre part, la cour d'appel a considéré que, dans la mesure où la déclaration du système d'alerte a été faite auprès de la Cnil, l'employeur n'était pas tenu de rappeler, dans le paragraphe concerné du code de conduite, les dix articles de la délibération du 8 décembre 2005, notamment ses articles 9 et 10 concernant l'information de la personne faisant l'objet de l'alerte professionnelle et le respect des droits d'accès et de rectification.

La Cour de cassation, par l'arrêt rapporté, annule l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, sur le fondement de l'article 25 de la loi du 6 janvier 1978 et les articles 1 et 3 de la délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005 de la Cnil. Cet arrêt apporte une contribution précieuse à une meilleure compréhension juridique des chartes d'éthique (codes de conduites...) et dispositifs d'alerte professionnelle, tant restent entières les questions de leur régime juridique et des modalités du contrôle administratif de leurs clauses relatives à la discipline. L'arrêt rapporté apporte d'utiles précisions relatives aux conditions de mise en place du dispositif d'alerte professionnelle (I) et suggère une synthèse sur la question de sa mise en oeuvre (II).


Résumé

Le régime simplifié d'autorisation unique défini par la Cnil, dans sa délibération du 8 décembre 2005, dispense les responsables de traitement automatisé de données à caractère personnel du régime normal de l'autorisation lorsque le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption. Aussi, un dispositif d'alerte professionnelle ne peut avoir une autre finalité que celle définie à l'article 1er de la délibération de la Cnil du 8 décembre 2005, que les dispositions de l'article 3 n'ont pas pour objet de modifier.

Les mesures d'information prévues par la loi du 6 janvier 1978 reprises par la décision d'autorisation unique de la Cnil pour assurer la protection des droits des personnes concernées doivent être énoncées dans l'acte instituant la procédure d'alerte. Le dispositif d'alerte professionnelle de la société Dassault systèmes ne prévoyait aucune mesure d'information et de protection des personnes répondant aux exigences de la loi du 6 janvier 1978 et de la délibération du 8 décembre 2005 portant autorisation unique.

I - Validité de la mise en place d'une alerte professionnelle au sens de la loi du 6 janvier 1978

Les codes de conduite et chartes éthiques peuvent contenir des dispositions qui relèvent du champ légal du règlement intérieur (C. trav., art. L. 1321-1, 3° N° Lexbase : L1837H9W), sur lequel s'exerce le contrôle de l'inspecteur du travail. Si la qualification de règlement intérieur n'est pas retenue, l'employeur n'est alors pas tenu d'en appliquer le régime juridique. Comme le relève l'administration du travail, tous les documents à visée éthique élaborés par les entreprises ne relèvent pas du régime juridique du règlement intérieur. De ce fait, l'inspection du travail n'est pas systématiquement destinataire de tels documents qui ne relèvent pas tous de la communication obligatoire fixée par l'article L. 1321-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1846H9A) (6). Aussi, l'usage d'un système d'alerte est une faculté pour le salarié : sans caractère obligatoire, le dispositif d'alerte ne relève pas, a priori, de la discipline et, par conséquent, n'entre pas dans le champ du règlement intérieur. Ces dispositifs ne font pas donc l'objet d'un contrôle administratif à ce titre.

Si la mise en place d'une alerte professionnelle ne relève pas du droit du travail (régime du règlement intérieur) ou d'un dispositif juridique propre, il ne faut pas en conclure qu'elle échappe au droit. L'alerte professionnelle se trouve, au contraire, à la croisée de différents champs juridiques : droit du travail, droit pénal des affaires, loi informatique et libertés du 6 janvier 1978. Précisément, s'agissant de la loi du 6 janvier 1978, la Cnil avait, dans un premier temps, décidé que la mise en oeuvre, par un employeur, d'un dispositif destiné à organiser auprès des employés le recueil de données personnelles concernant des faits contraires aux règles de l'entreprise ou à la loi imputables à leurs collègues de travail, en ce qu'il pourrait conduire à un système organisé de délation professionnelle, ne pouvait qu'appeler une réserve de principe au regard de la loi du 6 janvier 1978 et, en particulier, de son article 1er (7). Puis, la Cnil a modifié son analyse, dans un document d'orientation du 10 novembre 2005, source de la délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005. La Commission a fixé avec précision les conditions de licéité des dispositifs d'alerte professionnelle au regard de la loi "Informatique et Libertés".

A - Régime simplifié d'autorisation unique auprès de la Cnil

  • Traitement automatisé des données

En 2005, par sa délibération n° 2005-305 du 8 décembre, la Cnil a préconisé une limitation du champ de l'alerte professionnelle dans des domaines spécifiques (financier, comptable, bancaire, lutte contre le blanchiment), a dissuadé les dénonciations anonymes (sans les interdire cependant) et a exigé une organisation spécifique pour traiter les alertes et l'information de la personne concernée dès que les preuves ont été archivées. La délibération du 8 décembre 2005 (art. 3) permet, pour des faits d'une particulière gravité (faits mettant en jeu l'intérêt vital de l'entreprise ou l'intégrité physique ou morale de ses employés), de déborder du champ du dispositif initialement prévu. Dans ces cas, l'alerte est recueillie et réorientée vers les personnes compétentes de l'entreprise.

Pour être licite, le dispositif doit avoir fait l'objet d'une déclaration ou d'une autorisation de la Cnil. Les dispositifs d'alerte, dès lors qu'ils comportent un traitement automatisé de données à caractère personnel, doivent être déclarés au titre de l'article 25, I, 4° de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. En application de la délibération du 8 décembre 2005, cette formalité s'accomplit :

- soit par une déclaration d'engagement de conformité à la décision d'autorisation unique du 8 décembre 2005. Cette formalité simplifiée s'applique aux dispositifs d'alerte mis en place dans l'entreprise en réponse à une obligation législative ou réglementaire de droit français visant à l'établissement de procédure de contrôle interne dans les domaines financiers, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption (délibération du 8 décembre 2005, art. 1er) ;

- soit après autorisation formelle de la Cnil, si le dispositif d'alerte est mis en place en l'absence d'obligation législative ou réglementaire ou établit une procédure de contrôle interne de faits portant sur d'autres domaines que financier, comptable, bancaire et de lutte contre la corruption.

  • Traitement non automatisé des données

Si le traitement de données n'est pas automatisé, il n'y a pas de formalité préalable à effectuer auprès de la Cnil. Néanmoins, le dispositif reste soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. En effet, l'article 2 de cette loi prévoit qu'elle s'applique aux traitements automatisés de données à caractère personnel, ainsi qu'aux traitements non automatisés de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans des fichiers. La même loi définit le traitement de données à caractère personnel comme toute opération ou tout ensemble d'opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé et précise que constitue un fichier tout ensemble structuré et stable de données à caractère personnel accessibles selon des critères déterminés.

Par suite, ces dispositifs, même non automatisés, doivent être conformes aux règles fixées par la loi du 6 janvier 1978 et à celles adoptées par la Cnil dans son autorisation unique du 8 décembre 2005 : notamment, le dispositif ne doit pas être déloyal, frauduleux, ne doit pas conserver des données relatives aux origines raciales, opinions politiques, appartenance syndicale, le droit d'accès et de rectification doit être organisé, et les informations ne doivent pas être conservées au-delà de la durée "normale" d'utilisation...

En l'espèce, la cour d'appel avait admis la licéité du code de conduite des affaires de la société Dassault (version 2007), en son volet alerte professionnelle. Elle jugeait ce dispositif conforme au régime simplifié d'autorisation unique défini par la Cnil, dispensant les responsables de traitement automatisé de données à caractère personnel du régime normal de l'autorisation lorsque le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption (art. 1er). De plus, l'article 3 de cette autorisation prévoit que des faits qui ne se rapportent pas à ces domaines peuvent, toutefois, être communiqués aux personnes compétentes de l'organisme lorsque l'intérêt vital de celui ci ou l'intégrité physique ou morale de ses employés est en jeu. Bref, il ne saurait être reproché à l'employeur d'avoir étendu le dispositif d'alerte à des situations non prévues par la délibération de la Cnil et à des cas de mise en jeu de l'intérêt vital des personnes expressément prévue par cet article 3. Il ne peut donc être reproché à la société de ne pas avoir sollicité l'autorisation de la Commission.

Ce raisonnement n'est pas suivi par la Cour de cassation (arrêt rapporté), selon laquelle un dispositif d'alerte professionnelle faisant l'objet d'un engagement de conformité à l'autorisation unique ne peut avoir une autre finalité que celle définie à son article 1er (le traitement mis en oeuvre répond à une obligation législative ou réglementaire visant à l'établissement de procédures de contrôle interne dans les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption), que les dispositions de l'article 3 (des faits qui ne se rapportent pas à ces domaines peuvent, toutefois, être communiqués aux personnes compétentes de l'organisme lorsque l'intérêt vital de celui ci ou l'intégrité physique ou morale de ses employés est en jeu) n'ont pas pour objet de modifier.

La question du domaine de l'alerte a attiré l'attention des auteurs du rapport "Antonmattéi-Vivien" (préc.). Dans sa délibération n° 2005-305 du 8 décembre 2005, la Cnil vise les domaines financier, comptable, bancaire et de la lutte contre la corruption, tout en permettant la prise en compte de faits lorsque l'intérêt vital de l'entreprise ou l'intégrité physique ou morale de ses employés est en jeu (art. 3). Un domaine trop général renforce le risque d'une utilisation abusive de l'alerte, laquelle poursuit une finalité bien déterminée de protection des intérêts de l'entreprise. Pour éviter une utilisation malveillante et un détournement de l'alerte professionnelle, le rapport "Antonmattéi-Vivien" propose de limiter l'utilisation du dispositif lorsqu'il s'agit d'actes contraires aux lois et règlements, à ceux qui mettent gravement en cause les règles de fonctionnement de la société ou de l'entreprise à laquelle appartient le déclencheur d'alerte.

B - Protection des droits de la personne

En l'espèce, pour débouter le syndicat de sa demande d'annulation du code de conduite, la cour d'appel a retenu que, dès lors que la déclaration du système d'alerte a été faite auprès de la Cnil, la société n'était pas tenue de rappeler, dans le paragraphe concerné du code de conduite des affaires, les dix articles de la délibération du 8 décembre 2005, et, notamment, ses articles 9 et 10 concernant l'information de la personne faisant l'objet de l'alerte professionnelle et le respect des droits d'accès et de rectification et qu'il suffisait de rappeler comme l'a fait la société les points principaux de cette délibération.

Là encore, la Cour de cassation prononce la censure. Les mesures d'information prévues par la loi du 6 janvier 1978 reprises par la décision d'autorisation unique de cette commission pour assurer la protection des droits des personnes concernées doivent être énoncées dans l'acte instituant la procédure d'alerte. En l'espèce, le dispositif d'alerte professionnelle de la société Dassault systèmes ne prévoyait aucune mesure d'information et de protection des personnes répondant aux exigences de la loi du 6 janvier 1978 et de la délibération du 8 décembre 2005, portant autorisation unique, le syndicat était donc fondé en sa demande d'annulation du code de conduite (version 2007).

II - Mise en oeuvre de l'alerte professionnelle

Lorsqu'un salarié entend mettre en oeuvre le dispositif d'alerte professionnelle, deux séries de questions se posent : d'abord, quelles sont les conséquences de la mise en oeuvre d'une alerte professionnelle sur son statut (B) ; ensuite, sur quel fondement juridique l'employeur peut mettre en place ce droit d'alerte professionnelle (A).

A - Fondement juridique

Le rapport "Antonmattéi-Vivien" avait justement souligné que, dans la majorité des situations, un support normatif unilatéral assure la mise en place et l'organisation des alertes professionnelles : le plus souvent, une charte d'éthique avec, parfois, une insertion des clauses relatives à l'alerte dans le règlement intérieur. L'introduction de tels dispositifs dans le règlement intérieur ne parait pas fondée et cette proposition rejoint celle formulée par le rapport "Antonmattéi-Vivien" : un régime spécifique doit être élaboré.

Si l'on admet que l'alerte professionnelle peut être considérée comme un dispositif permettant un contrôle de l'activité des salariés, elle relèverait des dispositions de l'article L. 2323-32, alinéa 3, du Code du travail (N° Lexbase : L2810H9X), selon lequel le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés, qui impose l'information et la consultation préalable du comité d'entreprise. L'information des salariés est essentielle au bon fonctionnement de ce type de dispositif.

Si l'alerte professionnelle relève des dispositions de l'article L. 1222-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5450ACT), aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance ; il est plus efficace d'indiquer cette obligation d'information dans les textes relatifs à l'alerte professionnelle.

L'alerte professionnelle, le plus souvent, aura pour support un code de bonne conduite ou une charte d'éthique, appartenant à la catégorie dite du "self-service normatif". Le droit du travail a pris acte de ces nouveaux modes de gestion : il pose des limites par le contrôle des pouvoirs de l'employeur et le respect de la personne (8). La doctrine administrative distingue les dispositions du règlement intérieur des normes tirées des chartes éthiques, des codes de bonne conduite et des dispositifs d'alerte professionnelle, qui paraissent être associés à de simples outils de communication (9).

B - Mise en oeuvre de l'alerte professionnelle et protection du salarié donneur d'alerte

  • Protection légale

La loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007, relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L2607H3X), apporte des éléments de réponse aux salariés soucieux d'appréhender les effets de la mise en oeuvre du droit d'alerte professionnelle sur leur statut de salarié. En effet, le législateur a décidé qu'aucune personne ne peut être écartée d'un recrutement ou d'un stage ou d'une formation en entreprise pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, à son employeur, ou aux autorités des faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans ses fonctions (C. trav., art. L. 1161-1) (10).

La loi du 13 novembre 2007 s'inscrit dans une dynamique engagée par la loi n° 2000-595 du 30 juin 2000, modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale, relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L0648AIT). Son article 9 introduit dans le livre 1er de la première partie du Code du travail un nouveau titre VI intitulé "Corruption". Cette nouvelle section du Code du travail permet à tout salarié qui, de bonne foi, relate à son employeur ou aux autorités des faits de corruption dont il aurait pu avoir connaissance dans l'exercice de ses fonctions, de bénéficier d'une protection légale. Aucun salarié ne pourra plus faire l'objet de rétorsion pour avoir dénoncé des faits de corruption. Cette disposition protectrice des salariés n'existait pas à l'origine, ce sont les députés qui ont permis son introduction.

La protection offerte par le législateur à la personne attachée à l'entreprise ayant donné l'alerte est complète. Elle permet non seulement au salarié, mais également à tout candidat à un emploi, et de manière plus générale, à toute personne participant ou souhaitant participer en quelque qualité que ce soit à l'activité de l'entreprise (candidat, stagiaire, personne en formation...), d'être protégés. Le législateur a prévu une sanction forte, identique à celle applicable en cas de non-respect par l'employeur d'un droit ou d'une liberté individuelle. La nullité de l'acte et la sanction retenue sont applicables à tout acte effectué en contravention des dispositions protectrices de la personne attachée à l'entreprise et ayant dénoncé des faits de corruption.

Toute personne ayant relaté ou témoigné de faits de corruption peut se prévaloir des dispositions protectrices. Afin d'éviter que cette nullité ne soit systématique, et donc les discriminations positives au profit des "donneurs d'alertes", le législateur permet à l'employeur, auteur de l'acte contesté, d'établir que la mise à l'écart du salarié, la rupture, le défaut de recrutement du candidat ou du stagiaire est extérieure aux dénonciations auxquelles il a procédé.

  • Protection jurisprudentielle

La Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà, à plusieurs reprises, examiné des dénonciations de pratiques douteuses révélées par des salariés (en l'absence de dispositif d'alerte professionnelle) et s'efforce de différencier délation et dénonciation. Elle pose trois conditions pour qu'un salarié puisse dénoncer des pratiques douteuses, des malversations, observées dans son entreprise : il doit s'agir de faits qui ont trait à la vie de l'entreprise ; le salarié doit être de bonne foi (11) ; le destinataire des accusations peut être l'inspecteur du travail (12), le parquet (13) ou, encore, le président directeur général (14). Lorsque ces conditions ne sont pas respectées, l'employeur recouvre son pouvoir disciplinaire. En tout état de cause, le salarié qui dénonce des pratiques douteuses, en l'absence d'abus, exerce une liberté fondamentale qu'est sa liberté d'expression (15).


(1) N. Caussé, La Valeur juridique des chartes d'entreprise au regard du droit du travail français, préface de D. Berra, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2000 ; A. Sobczak, Réseaux de sociétés et codes de conduite. Un nouveau modèle de régulation des relations de travail pour les entreprises européennes, Bibliothèque de droit social, LGDJ, 2002 ; D. Berra, Les chartes d'entreprise et le droit du travail, Mélanges M. Despax, Presses de l'Université des sciences sociales de Toulouse, 2002, p. 123 ; A. Coeuret et N. de Sevin, Les dispositifs d'alerte et le droit du travail français : chronique d'une greffe, RJS, n° 2/06, p. 75 ; L. Gauthier, L'impact des chartes d'éthique, Revue française de gestion, n° 130, septembre-octobre 2000, p. 77 ; A. Jeammaud, M. Le Friant et A. Lyon-Caen, L'ordonnancement des relations de travail, D., 1998, chron., p. 359 ; B. Soinne, Le contenu du pouvoir normatif de l'employeur, Dr. soc., 1983, p. 509 ; A. Supiot, La réglementation patronale de l'entreprise, Dr. soc., 1992, p. 215 ; A. Teissier, L'éthique, une norme de l'entreprise, Travail et Protection sociale, octobre 2000, p. 6 ; M. Véricel, L'employeur dispose-t-il d'un pouvoir normatif en dehors du domaine du règlement intérieur ?, Dr. soc., 2000, p. 1059 ; Sur le pouvoir normatif de l'employeur, Dr. soc., 1991, p. 120 ; Ph. Waquet, Le contrôle du règlement intérieur, AJDA, 1991, p. 590.
Voir, également, Rapport Antonmatéi-Vivien, Chartes d'éthique et alerte professionnelle, rapport Antonmatéi-Vivien, janvier 2007. V. nos obs., Chartes d'éthique et alerte professionnelle, Lexbase Hebdo n° 263 du 7 juin 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3661BB9).
(2) Circulaire DGT 2008/22 du 19 novembre 2008, relative aux chartes éthiques, dispositifs d'alerte professionnelle et au règlement intérieur (N° Lexbase : L5846ICI).
(3) Certaines entreprises se trouvent contraintes de mettre en oeuvre des dispositifs d'alerte, dont les entreprises cotées sur le marché américain, en application de la loi dite "Sarbannes-Oxley".
(4) Aux termes duquel "l'utilisation du dispositif d'alerte professionnelle n'est ni obligatoire, ni exclusive. Si elle l'estime justifié, toute personne ayant connaissance d'un manquement sérieux aux principes décrits par le Code of Business conduct, en matière comptable, financière ou de lutte contre la corruption, peut signaler ce manquement aux personnes compétentes du groupe DS. Ce dispositif ne peut être utilisé hors du champ indiqué ci-dessus. Néanmoins, il s'applique également en cas de manquements graves aux principes décrits par le code lorsqu'il met en jeu l'intérêt vital du groupe DS ou l'intégrité physique ou morale d'une personne (notamment, en cas d'atteinte au droit de la propriété intellectuelle, de divulgation d'informations strictement confidentielles, de conflits d'intérêts, de délits d'initié, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel)".
(5) CA Versailles, 1ère ch., sect. 1, 17 avril 2008, n° 07/08624, SA Dassault systèmes c/ Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (N° Lexbase : A3686EB7).
(6) Circulaire DGT n° 2008/22 du 19 novembre 2008, préc..
(7) Délibération n° 2005-110 du 26 mai 2005, relative à une demande d'autorisation de McDonald's France pour la mise en oeuvre d'un dispositif d'intégrité professionnelle (N° Lexbase : X2560AD8).
(8) Lire les obs. de G. Marie, L'appropriation des concepts managériaux par le droit du travail, Lexbase Hebdo n° 334 du 22 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3614BIP).
(9) L'administration du travail relève que certaines entreprises choisissent d'intégrer tout ou partie de la charte au contrat de travail, soit lors de sa conclusion, soit par un avenant ultérieur. Cette méthode n'est pas sans risques, ni conditions pour l'employeur : il doit, en effet, s'assurer de l'accord clair et non équivoque du salarié. De telles dispositions doivent répondre aux conditions de l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P).
(10) Lire les obs. de S. Martin-Cuenot, L'entrée en vigueur d'une protection du salarié donneur d'alerte en matière de corruption, Lexbase Hebdo n° 282 du 22 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1892BDG).
(11) Cass.soc., 8 novembre 2006, n° 05-41.504, Société Ferring, F-P+B (N° Lexbase : A3116DS9).
(12) Cass. soc., 14 mars 2000, n° 97-43.268, Mlle Pitron c/ Mme Cunéaz (N° Lexbase : A6362AGQ).
(13) Cass. soc. 12 juillet 2006, n° 04-41.075, M. Yves Pretat, F-P+B (N° Lexbase : A4374DQ3).
(14) Cass.soc., 8 novembre 2006, n° 05-41.504, Société Ferring, F-P+B (N° Lexbase : A3116DS9).
(15) Cass. soc., 28 avril 1988, n° 87-41.804, Société anonyme Dunlop France c/ M. Clavaud (N° Lexbase : A4778AA9) ; Cass. soc., 2 mai 2001, n° 98-45.532, Mme Floutier c/ Société Cofinindev (N° Lexbase : A3427AT4).


Décision

Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3615EPL)

Cassation CA Versailles, 1ère ch., sect. 1, 17 avril 2008, n° 07/08624, SA Dassault systèmes c/ Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (N° Lexbase : A3686EB7)

Textes visés : Cnil, délibération n° 2005-308 du 8 décembre 2005 (N° Lexbase : X6007ADT)

Mots-clefs : alerte professionnelle ; contrôle judiciaire ; conformité à la délibération de la Cnil du 8 décembre 2005

Liens base : (N° Lexbase : E2460ETB) et

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Avocats

[Evénement] L'avocat mandataire en transaction et location immobilières

Lecture: 6 min

N7082BMA

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 03 Mars 2011

Le lundi 23 novembre 2009 s'est tenu, à la Bibliothèque de l'ordre des avocats de Paris, un colloque sur le thème de L'avocat, mandataire en transaction et location immobilières. Ce nouveau champ d'activité a été présenté à un public piqué d'un vif intérêt pour la question, par des intervenants de qualité : Chantal Meininger-Bothorel -Cabinet Peisse-Dupichot-Bothorel &Associés-, William Feugère -Cabinet Campbell, Philippart, Laigo & Associés-, Edouard Vitry -Cabinet Simmons & Simmons- et Jean-Christophe Barjon -avocat, secrétaire général de la Carpa-.
Après avoir présenté la réglementation applicable à cette activité, ceux-ci ont choisi d'aborder plus particulièrement les questions cruciales tenant aux maniements des fonds, aux risques de blanchiment et à la responsabilité de l'avocat.

La réglementation applicable à l'activité d'avocat mandataire en transaction et location immobilières : par exception, les avocats ne sont pas soumis aux dispositions de la loi du 2 janvier 1970, qui réglemente l'activité immobilière en France (loi n° 70-9, réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, dite loi "Hoguet" N° Lexbase : L7536AIX). Mais, l'activité de mandataire en matière immobilière pourrait, selon Edouard Vitry, résulter des dispositions générales de l'article 6-3 du Règlement interne national (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8) régissant le mandat : "l'avocat peut recevoir mandat de négocier, d'agir et de signer au nom et pour le compte de son client". Aux termes de ce texte, le mandat doit répondre à certaines conditions ; il doit être écrit, spécifique et déterminer la nature, l'étendue, la durée de la mission de l'avocat, les conditions et modes d'exécution de la fin de celle-ci, ainsi que les modalités de sa rémunération. L'avocat, quant à lui, doit s'assurer au préalable de la licéité de l'opération pour laquelle il lui est donné mandat. Enfin, lorsqu'il est dépositaire ou séquestre, il doit déposer sans délai les fonds, effets ou valeurs à la Carpa ou sur le compte séquestre du Bâtonnier.

Malgré ce texte, comme le souligne l'intervenant, la reconnaissance de ce champ d'activité ne se fait pas sans quelques difficultés, en raison de la nature civile de l'exercice de la profession, l'intermédiation immobilière présentant un caractère commercial. Mais, la voie a été ouverte par la position positive adoptée sur la question de l'avocat agent sportif, par le Conseil national des barreaux (CNB) et le conseil de l'ordre de Paris. Mais elle l'a surtout été, par le fait que les notaires aient décidé d'intervenir sur ce terrain, en dépit de la nature civile de leur activité. Ces derniers avançaient le caractère accessoire de leur activité en matière immobilière, argument qui aura été retenu par le Conseil d'Etat (CE 6° et 4° s-s-r., 23 février 2000, n° 187054, Fédération nationale de l'immobilier et autres N° Lexbase : A9283AGW).

La solution serait transposable aux avocats, selon la décision du conseil de l'ordre des avocats de la cour d'appel de Paris du 31 mars 2009. Un groupe de travail composé de Sabine du Granrut et de Jacques-Antoine Robert (AMCO) a présenté les termes d'un nouvel article P. 6. 2. 0. 4. du Règlement intérieur du Barreau de Paris, adopté par le conseil : "L'avocat peut exercer l'activité de mandataire en transactions immobilières dans les limites autorisées par la loi". Le texte pose un certaines conditions :

- l'avocat doit déclarer cette activité à l'ordre, par lettre adressée au Bâtonnier ;

- l'activité doit avoir un caractère accessoire et intervenir en vue de la rédaction d'un contrat ou d'un avant-contrat de vente ou de bail (étant précisé que l'opération peut ne pas aboutir) ;

- l'avocat reste soumis aux principes essentiels de sa profession (dont ceux relatifs aux conflits d'intérêts) ;

- il ne peut intervenir que pour une seule partie ;

- et les honoraires ne peut être dus que par la partie mandante ;

A cela s'ajoute l'obligation d'un mandat écrit, indiquant le mode de calcul des honoraires du mandataire.

Le maniement des fonds : initialement, l'article P. 6. 2. 0. 4. du règlement intérieur du Barreau de Paris obligeait l'avocat à ouvrir un sous-compte spécial à la Carpa pour accomplir sa mission de mandataire en transactions immobilières, soumis au contrôle de l'ordre, mais cette rédaction n'a, finalement, pas été retenue. Néanmoins, Jean-Christophe Barjon souligne que l'article 240-1 du décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), s'applique en la matière. Ainsi, "les écritures afférentes à l'activité de chaque avocat sont retracées dans un compte individuel ouvert à son nom, chaque compte individuel étant lui-même divisé en autant de sous-comptes qu'il y a d'affaires traitées par l'avocat". A chaque opération de transaction immobilière, l'avocat mandataire ouvrira un sous-compte, qui fera l'objet d'un contrôle par l'ordre.

Le recours à la Carpa présente, entre autres, comme avantage le bénéfice de deux assurances : celle de la responsabilité civile professionnelle et celle de la non -présentation des fonds (la Carpa assume, alors, le paiement des cotisations d'assurances, la somme garantie pouvant aller jusqu'à 35 millions d'euros pour l'avocat). L'avocat doit avoir été mandaté pour une mission de séquestre, à moins que les parties décident de désigner leurs deux conseils, auquel cas le séquestre ne peut pas se faire à la Carpa. Le séquestre est constitué, alors, soit chez l'avocat soit auprès du séquestre juridique de l'Ordre, étant précisé que le séquestre domicilié est prohibé. Enfin, la Carpa de Paris offre la possibilité de placer les sommes au profit du client, sous réserve que le montant du séquestre soit au moins de 75 000 euros et que le délai d'immobilisation soit compris entre 3 et 5 mois. Les fonds sont placés auprès de trois supports (la BNP, LCL, et la Banque populaire), le taux d'intérêt étant fixé à 1,19 %.

Le blanchiment : William Feugère rappelle que l'activité immobilière est la plus propice au blanchiment. La question de savoir s'il s'agit d'un nouveau champ d'activité de l'avocat ou non est, ici, primordiale, car elle détermine le régime juridique applicable : le régime de droit commun auquel sont soumis les agents immobiliers ou celui posé par les dispositions dérogatoires du décret du 27 novembre 1991, qui régit la seule profession d'avocat. Il semble que ce soit ce décret qui s'applique. Pour le reste, l'intervenant a rappelé les règles exposées précédemment lors d'un colloque sur les façons de se prémunir du blanchiment (lire Se protéger du blanchiment - conseils de prévention pour les avocats conseils en entreprise - Conférence de l'ACE et de l'HEDAC, Lexbase Hebdo n° 11 du 11 décembre 2009 - édition professions N° Lexbase : N5932BMN).

La responsabilité de l'avocat : cette question est régie par l'annexe 15 Règles relatives à la négociation de biens immobiliers à vendre ou à louer du Règlement intérieur du Barreau de Paris, qui distingue la responsabilité de droit commun, la responsabilité pénale et, enfin, la responsabilité disciplinaire. Aucune jurisprudence n'a, pour le moment, été rendue sur le sujet, ainsi que le souligne Chantal Meininger-Bothorel, mais il est très probable que le juge adopte les mêmes décisions que celles rendues dans le cas des notaires. Les juges insistent, en particulier, sur le caractère accessoire, la nécessité d'un mandat écrit, l'interdiction du démarchage et celle de la publicité. La nature de la responsabilité du notaire est, tout d'abord, délictuelle et trouve sa source dans son devoir de conseil, dans le cadre de la rédaction d'un acte. Celui-ci doit, notamment, donner des informations juridiques exactes. La responsabilité du notaire peut, en outre, être engagée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). La responsabilité contractuelle du notaire découle des articles 1884 (N° Lexbase : L2101ABG) et suivants du Code civil. Les solutions devraient être identiques pour les avocats. La responsabilité serait double, également : il s'agirait de la responsabilité de l'agent immobilier et de celle de l'avocat exerçant dans ce nouveau champ d'activité.

Eu égard à l'extension considérable de sa responsabilité en matière immobilière, l'avocat se devra d'être vigilant, d'autant que seule sa responsabilité individuelle peut être engagée, à l'exception de la responsabilité du groupement. Il lui sera, donc, conseillé de suivre de très près le mandat.

L'annexe 15 du règlement interne du Barreau de Paris illustre les cas dans lesquels la responsabilité de l'avocat est susceptible d'être reconnue :

- en cas de violation du secret professionnel ;

- en cas de manquement à ses obligations en matière de conflit d'intérêts ;

- en cas de manquement à son obligation de loyauté ;

- en cas de manquement aux autres principes essentiels régissant l'exercice de la profession ;

- en cas de démarchage ;

- en cas de violation des règles de publicité ;

- en cas de non-respect de la mission de séquestre, etc..

Maintenant que l'autorisation est donnée, par le conseil de l'ordre du Barreau de Paris, aux avocats d'exercer l'activité de mandataire en matière immobilière et que les modalités de l'exercice de cette activité ont été exposées, il ne reste plus qu'aux conseils d'investir ce nouveau champ d'activité. Ils ne se feront certainement pas prier, ainsi qu'en témoignent le nombre de participants et les débats suscités lors de ce colloque.

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Social général

[Panorama] Les arrêts qui ont marqué 2009 !

Lecture: 19 min

N7096BMR

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Que faudra-t-il retenir de cette année 2009 ? Si le législateur a inévitablement occupé le devant de la scène médiatique avec la controversée loi sur le repos dominical, publiée cet été (1), et la plus discrète, mais néanmoins réformatrice, loi sur la formation professionnelle (2), les juges du quai de l'Horloge ont été vraisemblablement plus réservés. Point de logorrhée jurisprudentielle donc, mais cette réserve ne saurait être gage d'apathie. Au contraire. A l'instar des hautes sphères gouvernementales, la Cour régulatrice a, elle aussi, été propulsée sous les feux de la rampe. Rappelons, à cet effet, le retentissant arrêt du 3 juin 2009 (3), par lequel la Chambre sociale de la Cour de cassation requalifiait les contrats des participants à l'émission de télévision "L'Ile de la tentation" en contrat de travail. L'impact médiatique ne saurait, cependant, à lui seul augurer d'un quelconque intérêt juridique -fort heureusement serions-nous tenter de rajouter-. La vérité est, sans doute, ailleurs, quoique pas très loin, puisque sise -plus certainement- au 4 boulevard du Palais. Que faudra-t-il donc retenir de cette année 2009 ? C'est incontestablement en matière de harcèlement moral que la Haute juridiction aura été la plus prolixe. Que ce soit pour rappeler que la charge de la preuve ne repose pas exclusivement sur le salarié (4), qu'il incombe à l'employeur de prouver que les agissements incriminés ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (5), que des reproches répétés peuvent être constitutifs d'un harcèlement moral (6), ou pour soutenir, de façon plus inédite et non exhaustive, qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge d'ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés de tels agissements à la demande d'autres salariés (7) ou que le harcèlement moral peut être constitué indépendamment de l'intention de son auteur (8), la Cour de cassation s'est vraisemblablement évertuée, tout au long de cette année, à préciser les contours d'une notion pour le moins délicate à appréhender, voire à la redéfinir (9).
  • Contrat de travail

L'arrêt qui aura marqué les esprits en matière de contrat de travail est, sans nul doute, celui par lequel la Chambre sociale reconnaissait que participer à une émission de téléréalité implique un contrat de travail. Pour autant, l'arrêt rendu le 3 juin 2009 par la Cour régulatrice n'a finalement rien de surprenant -si ce n'est son retenti médiatique- et si la question posée à la Cour était inédite, dans la mesure où elle statue, pour la première fois, sur la qualification du contrat liant le participant au producteur d'un programmes dit de téléréalité, la réponse apportée reste des plus classiques et ne fait que confirmer une définition du contrat de travail déjà bien ancrée (10).

- Cass. soc., 9 décembre 2009, n° 07-45.521, Société Qualiconsult, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4362EPA) : la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, peu important que le salarié ait par la suite renoncé à sa prise d'acte.

- Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-42.090, Société Distribution Casino France, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4529EPG) : les articles du Code du travail relatifs à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée et à la prescription des sanctions sont applicables aux gérants non salariés.

- Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-44.200, M. Jean Luc Boussin c/ Société Renault Reagroup, FS P+B+R (N° Lexbase : A3386ELY) : la clause de mobilité par laquelle le salarié lié par contrat de travail à une société s'est engagé à accepter toute mutation dans une autre société, alors même que cette société appartiendrait au même groupe ou à la même unité économique et sociale, est nulle.

Lire les obs. de Ch. Radé, Nullité des clauses de mobilité au sein d'un groupe ou d'une UES : une jurisprudence excessive, Lexbase Hebdo n° 366 du 8 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0795BME).

- Cass. soc., 4 juin 2009, n° 08-41.359, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6421EHB) : en vertu des principes posés par la Convention internationale n° 158 sur le licenciement, adoptée à Genève le 22 juin 1982 (N° Lexbase : L0963AII), et en vertu de l'article 10 de la Convention collective nationale du Crédit agricole, est déraisonnable, au regard de la finalité de la période d'essai et de l'exclusion des règles du licenciement durant cette période, la durée d'un an du stage prévu par cette dernière pour les agents de la classe III engagés par contrat à durée indéterminée.

Lire les obs. de S. Tournaux, Un an d'essai, une durée déraisonnable, Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6555BKY).

- Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.981, Société Glem, devenue TF1 production, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5653EHT) : l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

Ayant constaté que les participants avaient l'obligation de prendre part aux différentes activités et réunions, qu'ils devaient suivre les règles du programme définies unilatéralement par le producteur, qu'ils étaient orientés dans l'analyse de leur conduite, que certaines scènes étaient répétées pour valoriser des moments essentiels, que les heures de réveil et de sommeil étaient fixées par la production, que le règlement leur imposait une disponibilité permanente, avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l'extérieur, et stipulait que toute infraction aux obligations contractuelles pourrait être sanctionnée par le renvoi, la cour d'appel, qui, répondant aux conclusions, a caractérisé l'existence d'une prestation de travail exécutée sous la subordination de la société Glem, et ayant pour objet la production d'une "série télévisée", prestation consistant pour les participants, pendant un temps et dans un lieu sans rapport avec le déroulement habituel de leur vie personnelle, à prendre part à des activités imposées et à exprimer des réactions attendues, ce qui la distingue du seul enregistrement de leur vie quotidienne, et qui a souverainement retenu que le versement de la somme de 1 525 euros avait pour cause le travail exécuté, a pu en déduire que les participants étaient liés par un contrat de travail à la société de production.

Le caractère intentionnel du délit de travail dissimulé ne peut se déduire du seul recours à un contrat inapproprié.

Lire les obs. de Ch. Radé, TF1 production pris à son propre jeu ! (à propos de la requalification des contrats des participants à l'émission de télévision "L'Ile de la tentation"), Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6564BKC).

- Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, Cabinet Jacques Bret, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9766EGS) : si, en principe, la clientèle personnelle est exclusive du salariat, le traitement d'un nombre dérisoire de dossiers propres à l'avocat, lié à un cabinet par un contrat de collaboration, ne fait pas obstacle à la qualification de ce contrat en contrat de travail, lorsqu'il est établi que cette situation n'est pas de son fait, mais que les conditions d'exercice de son activité ne lui ont pas permis de développer effectivement une clientèle personnelle.

Lire les obs. de G. Auzero, Requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de travail : l'importance de la clientèle personnelle, Lexbase Hebdo n° 353 du 5 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6304BKP).

  • Discrimination

En matière de discrimination, un seul arrêt aura, cette année, les honneurs du Rapport de la Cour de cassation. Il est, cependant, à souligner. En effet, par cet arrêt du 10 novembre 2009, la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur un comportement discriminatoire portant sur l'usage d'un prénom de consonance étrangère.

- Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-42.286, M. Mohamed Abdoulattuf, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1902ENR) : le fait de demander à un salarié de changer son prénom de Mohamed pour un prénom à consonance française est de nature à constituer une discrimination à raison de son origine et la circonstance que plusieurs salariés portent le prénom de Mohamed dans l'établissement dans lequel le salarié travaille n'est pas de nature à caractériser l'existence d'un élément objectif susceptible de la justifier.

Lire les obs. de Ch. Willmann, De la modification du prénom comme pratique discriminatoire, Lexbase Hebdo n° 373 du 26 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4725BMX).

  • Durée du travail

En pleine tempête médiatique relative au travail dominical et quelques mois avant la publication de la loi n° 2009-974 du 10 août 2009, réaffirmant le principe du repos dominical, l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 11 mars 2009 ne sera pas passé inaperçu. L'occasion, en effet, pour la Haute juridiction administrative, de se prononcer sur les conditions dans lesquelles le préfet peut autoriser une entreprise de vente au détail placée dans une zone touristique à ouvrir le dimanche.

- CE 1° et 6° s-s-r., 11 mars 2009, n° 308874, Fédération nationale de l'habillement, nouveauté et accessoires et autres (N° Lexbase : A6910EDB) : les produits de maroquinerie, de joaillerie, vêtements et accessoires qui sont mis à la disposition du public par l'établissement Vuitton des Champs-Elysées ne revêtent pas le caractère de biens et services destinés à faciliter l'accueil du public ou les activités de détente ou de loisirs d'ordre sportif, récréatif ou culturel, au sens des dispositions de l'article L. 3132-25 du Code du travail (N° Lexbase : L0481H9P). De la même manière, si les livres d'art et de voyage qui y sont également commercialisés peuvent être regardés comme facilitant les activités de loisirs d'ordre culturel, ils ne sont destinés qu'à accompagner ou promouvoir la vente des autres articles de la marque, leur mise à disposition du public revêtant dès lors un caractère accessoire. Enfin, les espaces d'exposition et les manifestations culturelles, accessibles gratuitement aux visiteurs du magasin, n'entrent pas dans les prévisions de l'article L. 3132-25 du Code du travail. Dans ces conditions, le préfet de Paris ne pouvait légalement accorder aux sociétés requérantes, sur ce fondement, l'autorisation de donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel de l'établissement.

Lire les obs. de S. Tournaux, Interprétation stricte de la dérogation au repos dominical, Lexbase Hebdo n° 344 du 2 avril 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9945BI8).

  • Harcèlement moral

C'est certainement en matière de harcèlement moral que la Cour de cassation a été la plus innovante. Un an après avoir repris le contrôle de la qualification du harcèlement (11), les juges du quai de l'Horloge ont, en effet, cette année, apporté de nouvelles pièces au puzzle, s'évertuant ainsi à faire de la définition du harcèlement moral une notion aux contours moins abscons.

- Cass. soc., 9 décembre 2009, n° 07-45.521, Société Qualiconsult, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4362EPA) : ne peut s'analyser en agissements répétés constitutifs de harcèlement moral, une décision de l'employeur de rétrograder un salarié, peu important que, répondant aux protestations réitérées de celui-ci, il ait maintenu par divers actes sa décision.

- Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497, Mme Emilienne Moret, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7558ENA) : le harcèlement moral, dont la preuve ne pèse pas sur le salarié, est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

Lire les obs. de Ch. Radé, Le harcèlement moral n'est pas nécessairement intentionnel, Lexbase Hebdo n° 375 du 10 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5940BMX).

- Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.482, Mme Marie-Jeanne Tréboscen, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5748EIQ) : si, par application de l'article L. 1152-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0730H9W), l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge d'ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés de tels agissements, à la demande d'autres salariés, tiers à ce contrat.

Lire les obs. de S. Tournaux, Les limites du pouvoir de sanction du juge en cas de harcèlement moral, Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0000BLL).

- Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, M. Bennasser Boulmane, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH) : le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Lire les obs. de Ch. Radé, Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement, Lexbase Hebdo n° 343 du 26 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9827BIS).

  • Licenciement

En la matière, la Cour de cassation est restée étrangement silencieuse. Dans un contexte marqué par la crise économique, la Haute juridiction n'a guère fait preuve de prosélytisme. Au contraire. Aucun arrêt décisif en la matière donc depuis janvier 2009, mais, davantage, une confirmation d'une jurisprudence déjà acquise (12).

- Cass. soc., 30 septembre 2009, n° 08-40.846, Mme Valérie Biasotto c/ Fondation santé des étudiants de France (FSEF) et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A5963ELG) : si le licenciement d'un salarié qui refuse un contrat de droit public doit être prononcé dans les conditions prévues par le Code du travail, le refus de changer de statut opposé par le salarié repris constitue à lui seul une cause de licenciement.

Lire les obs. de Ch. Radé, Transfert d'une entreprise au profit d'une personne publique et licenciement des salariés, Lexbase Hebdo n° 367 du 15 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0887BMS).

  • Procédure prud'homale

Par un arrêt du 23 septembre, la Cour de cassation revient sur une jurisprudence pourtant bien ancrée, aux termes de laquelle tout pourvoi en cassation contre les décisions des tribunaux d'instance statuant sur un litige préélectoral est exclu (13).

- Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-60.535, Société Régie autonome des transports parisiens (RATP), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2423ELC) : le pourvoi en cassation contre une décision rendue en dernier ressort est une voie de recours qui constitue, pour les justiciables, une garantie fondamentale. Il s'ensuit que la décision du tribunal d'instance statuant en matière de contestation préélectorale rendue en dernier ressort est susceptible de pourvoi.

Lire les obs. de G. Auzero, Les litiges préélectoraux désormais soumis à la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 366 du 8 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0715BMG).

  • Relations collectives de travail

La Haute juridiction a rendu, le 8 juillet 2009, les premières décisions concernant certaines difficultés d'interprétation nées de l'application de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale (N° Lexbase : L7392IAZ), par lesquelles elle répond aux questions laissées en suspens par le nouveau texte, questions afférentes tant à la période transitoire, qu'à la constitution de la section syndicale, au respect des valeurs républicaines, aux conditions de désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou, encore, au principe de spécialité des syndicats et ce, dans un souci certain de clarté pour les entreprises (14).

- Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-42.089, Société Distribution Casino France, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4528EPE) : le gérant non salarié, investi d'un mandat représentatif, doit être en mesure d'exprimer et de défendre librement les revendications de la collectivité des gérants qu'il représente et doit bénéficier, à ce titre, du régime protecteur prévu aux articles L. 2411-3 (N° Lexbase : L0148H9D) et L. 2411-8 (N° Lexbase : L0153H9K) du Code du travail. Dès lors, la rupture de son contrat intervenue sans autorisation préalable de l'inspecteur du travail est nulle.

- Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-60.599, Société Véolia transport Bordeaux, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7068EIM) : la régularité de la désignation d'un représentant de section syndicale ne nécessite pas que le syndicat à l'origine de la désignation remplisse les critères fixés par les articles L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN) et L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) du Code du travail relatifs à la représentativité. Il suffit qu'il réunisse, à la date de la désignation, les conditions fixées par les articles L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW) et L. 2142-1-1 (N° Lexbase : L3765IB3) dudit code. L'article L. 2142-1 du Code du travail exige, pour la constitution de la section syndicale, la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise.

Lire les obs. de G. Auzero, Les conditions de désignation du représentant de la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1139BLR).

- Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.011, Société Okaidi, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7069EIN) : L'article 11 IV de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, qui dispose que, "jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles dans l'entreprise ou l'établissement, pour lesquelles la date fixée pour la première réunion de la négociation du protocole d'accord préélectoral est postérieure à la publication de la présente loi, est présumé représentatif à ce niveau tout syndicat affilié à l'une des organisations syndicales de salariés présumées représentatives au niveau national et interprofessionnel à la date de publication de la présente loi", n'a pas prévu qu'il puisse être rapporté une preuve contraire. Il en résulte que la représentativité de la fédération CGT commerce distribution services, affiliée à l'une des confédérations reconnues représentatives au plan national antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ne peut être contestée pendant la période transitoire prévue par la loi.

L'article L. 2143-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3719IBD), dans sa rédaction applicable antérieurement à la loi du 20 août 2008, autorisait la désignation d'un délégué syndical par un syndicat représentatif qui constitue une section syndicale. L'article L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW), dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008 et applicable immédiatement, conditionne, désormais, la création d'une section syndicale à la présence de plusieurs adhérents dans l'entreprise ou l'établissement. Il en résulte que le tribunal, qui n'a pas statué par des motifs dubitatifs, a exactement décidé que le syndicat devait, pour établir la preuve de l'existence ou de la constitution d'une section syndicale, démontrer la présence de plusieurs adhérents dans l'entreprise.

L'adhésion du salarié à un syndicat relève de sa vie personnelle et ne peut être divulguée sans son accord. A défaut d'un tel accord, le syndicat qui entend créer ou démontrer l'existence d'une section syndicale dans une entreprise, alors que sa présence y est contestée, ne peut produire ou être contraint de produire une liste nominative de ses adhérents.

L'article L. 2142-1 du Code du travail exige, pour la constitution d'une section syndicale, la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise. Il en résulte qu'en cas de contestation sur l'existence d'une section syndicale, le syndicat doit apporter les éléments de preuve utiles à établir la présence d'au moins deux adhérents dans l'entreprise, dans le respect du contradictoire, à l'exclusion des éléments susceptibles de permettre l'identification des adhérents du syndicat, dont seul le juge peut prendre connaissance.

Lire les obs. de Ch. Radé, Loi du 20 août 2008 et réforme de la démocratie sociale : premières précisions sur le droit transitoire et les règles applicables à la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1143BLW).

- Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.015, Syndicat Solidaires G4S, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7070EIP) : les nouvelles dispositions de l'article L. 2324-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3724IBK), applicables à compter du 22 août 2008, donnent le droit à chaque organisation syndicale ayant des élus, sans autre condition, de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'établissement.

Lire les obs. de S. Tournaux, La désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise par des organisations non représentatives, Lexbase Hebdo n° 361 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1145BLY).

- Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.048, Syndicat Sud banques solidaires, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7071EIQ) : la lettre de désignation fixe les limites du litige et le juge ne peut apprécier la validité de la désignation d'un délégué ou représentant syndical en dehors du cadre défini par cette lettre.

Lire les obs. de Ch. Radé, Le représentant de la section syndicale doit être mis en place au même niveau que les représentants élus du personnel, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1131BLH).

- Cass. soc., 30 septembre 2009, n° 07-20.525, Comité central d'entreprise de la Serca c/ Société Serca, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5779ELM) : la régularité de la consultation du CE sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable par l'employeur de l'obligation de consulter le CE sur l'évolution annuelle des emplois et des qualifications, ni de celle d'engager tous les trois ans une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Lire les obs. de G. Auzero, La régularité de la consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique n'est pas subordonnée au respect préalable de l'employeur de ses obligations en matière de GPEC, Lexbase Hebdo n° 367 du 15 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0835BMU).

- Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-17.692, Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF) c/ Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A3401ECX) : selon l'article 2 de la Convention n° 87 de l'OIT, ratifiée par la France, et relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit de constituer des organisations de leur choix. Selon l'article 5 du même texte, ces organisations ont le droit de former d'autres groupements.

C'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'article L. 411-2 (N° Lexbase : L6304ACH), devenu l'article L. 2131-2 (N° Lexbase : L2110H9Z), du Code du travail, qui suppose l'existence d'activités rémunérées à l'exclusion des activités désintéressées ou philanthropiques, ne distingue pas selon que ces activités sont exercées à titre exclusif, accessoire ou occasionnel, ni selon que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire, de sorte que peuvent constituer un syndicat les producteurs de miel et que doit être considéré comme tel tout apiculteur qui commercialise ses produits.

Lire les obs. de G. Auzero, Qu'est-ce qu'un syndicat professionnel ?, Lexbase Hebdo n° 335 du 29 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3659BID).

  • Relations individuelles de travail

Plusieurs arrêts importants ici. Retenons le dernier, en date du 8 décembre, par lequel la Chambre sociale a jugé partiellement illicite le code interne de conduite des affaires de la société Dassault Systèmes, sans toutefois remettre en cause la légalité du dispositif d'alerte professionnelle. Pour résumer, est considéré illégal tout système de délation électronique. L'occasion, également, pour les Hauts magistrats, de réaffirmer le sempiternel et sacro-saint principe de la liberté d'expression des salariés.

- Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191, Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3615EPL) : les salariés jouissent, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de leur liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Par ailleurs, le droit d'expression directe et collective des salariés sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail s'exerce dans les conditions prévues par les articles L. 2281-1 (N° Lexbase : L2503H9L) à L. 2281-12 du Code du travail et l'utilisation d'informations dans le cadre de l'exercice de ce droit ne peut être, en principe, soumise à une autorisation préalable.

Lire les obs. de Ch. Willmann, Alerte professionnelle : un code d'entreprise doit être conforme à la loi du 6 janvier 1978, Lexbase Hebdo n° 376 du 17 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7165BMC).

- Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-42.878, M. David Pascal Lazaro Guerreiro c/ Société Point P, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0951EM8) : l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité et prendre en compte les recommandations du médecin du travail et, en cas de refus, faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. Lorsque le salarié fait valoir que l'employeur n'a pas adapté son poste de travail conformément aux recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de justifier qu'il a procédé à une telle adaptation.

Par ailleurs, la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et ne peut être rétractée.

Lire les obs. de Ch. Radé, Reclassement du salarié inapte : la charge du respect de l'obligation de sécurité de résultat pèse sur les épaules de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 369 du 29 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1741BMG).

- Cass. soc., 11 février 2009, n° 07-42.068, M. Mohamed Boughezal, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1262ED4) : l'employeur ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, ouvrir les sacs appartenant aux salariés pour en vérifier le contenu qu'avec leur accord et à la condition de les avoir avertis de leur droit de s'y opposer et d'exiger la présence d'un témoin.

Lire les obs. de S. Tournaux, La protection accrue du salarié contre la fouille de ses effets personnels, Lexbase Hebdo n° 339 du 26 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5751BIT).

- Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-43.282, Association Sauvegarde 71, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3513EC4) : si l'usage fait, par le salarié, de son domicile relève de sa vie privée, des restrictions sont susceptibles de lui être apportées par l'employeur, à condition qu'elles soient justifiées par la nature du travail à accomplir et qu'elles soient proportionnées au but recherché.

Lire les obs. de Ch. Radé, Le règlement intérieur peut restreindre la liberté d'usage du domicile du salarié pour protéger les pensionnaires hébergés par son employeur, Lexbase Hebdo n° 335 du 29 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3656BIA).

  • Rémunération

Pas de revirement, ni même d'arrêt de principe en la matière, notons simplement un arrêt du 14 octobre, par lequel la Cour de cassation précise les critères de qualification des gratifications versées au salarié.

- Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 07-45.587, Société Vivarte services c/ M. Marc Goudemand, FP-P+B+R (N° Lexbase : A0820EMC) : n'a pas le caractère de salaire, au sens des articles L. 1234-5 (N° Lexbase : L1307H9B), L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK), L. 1235-3 (N° Lexbase : L1342H9L) et L. 3141-22 (N° Lexbase : L3940IBK) du Code du travail, et ne doit pas être prise en compte dans l'assiette de calcul des indemnités de rupture et de l'indemnité minimale due en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse une gratification bénévole dont l'employeur fixe discrétionnairement les montants et les bénéficiaires et qui est attribuée à l'occasion d'un évènement unique.

Lire les obs. de G. Auzero, Qualification des gratifications versées aux salariés par l'employeur, Lexbase Hebdo n° 369 du 29 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1744BMK).

- Ass. plén., 27 février 2009, n° 08-40.059, La Poste, établissement public national c/ M. Eric Paolinelli, P+B+R+I (N° Lexbase : A4050EDD) : si celui qui emploie, à la fois, des fonctionnaires et agents de droit public et des agents de droit privé est fondé à justifier une différence de rémunération entre ces catégories de personnels dont la rémunération de base et certains éléments sont calculés en fonction, pour les premiers, de règles de droit public et, pour les seconds, de dispositions conventionnelles de droit privé, il en va autrement s'agissant d'un complément de rémunération fixé par décision de l'employeur, applicable à l'ensemble du personnel, sur le critère de la fonction ou du poste de travail occupé.

Lire les obs. de Ch. Radé, L'Assemblée plénière de la Cour de cassation et les justifications des atteintes au principe d'égalité salariale : épilogue de l'affaire du "Complément Poste", Lexbase Hebdo n° 341 du 12 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7758BI8).

  • Droit de la Sécurité sociale

Cinq arrêts du 11 juin auront marqué l'année 2009 en droit de la Sécurité sociale, tous afférents à la rente accident du travail. Par ces arrêts, la Cour de cassation vient élargir l'assiette du recours.

- Cass. civ. 2, 11 juin 2009, 5 arrêts, n° 07-21.768, Mme Marie-Louise Berning, épouse Desroches, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0512EIS), n° 07-21.816, Agent judiciaire du Trésor, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0513EIT), n° 08-11.853, Agent judiciaire du Trésor, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0515EIW), n° 08-16.089, Caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0516EIX), n° 08-17.581, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0518EIZ) : il résulte de l'article L. 434-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4583H9M) que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent. En l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.

Lire les obs., de Ch. Willmann, Rente accident du travail : la Cour de cassation élargit l'objet de l'indemnisation, Lexbase Hebdo n° 356 du 25 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6780BKC).


(1) Loi n° 2009-974 du 10 août 2009, réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations (N° Lexbase : L6524IED) et lire les obs. de S. Tournaux, Le paradoxe de la loi du 10 août 2009 : réaffirmation du principe du repos dominical et extension des hypothèses dérogatoires, Lexbase Hebdo n° 362 du 10 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7432BLT).
(2) Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009, relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (N° Lexbase : L9345IET). Lire les obs. de Ch. Willmann, Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 : de nouveaux droits en matière d'orientation et de formation professionnelle (première partie), Lexbase Hebdo n° 374 du 2 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5875BMK) et Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 : rendre plus efficace l'organisation de l'orientation et de la formation professionnelle (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 375 du 10 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5967BMX).
(3) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.981, Société Glem, devenue TF1 production, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5653EHT). Voir infra.
(4) Cass. soc., 31 mars 2009, n° 07-45.264, Mme Isabelle Schmidt, F-D (N° Lexbase : A5166EE3).
(5) Cass. soc., 19 mai 2009, n° 07-44.102, Mme Marie-Pierre Lisee, épouse Marian, F-D (N° Lexbase : A1893EHL) ; Cass. soc., 27 mai 2009, n° 07-43.112, M. Eric Bosvy, F-D (N° Lexbase : A3769EH3).
(6) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-41.638, Société Distribution Casino France, F-D (N° Lexbase : A7535EIW).
(7) Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.482, Mme Marie-Jeanne Tréboscen, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5748EIQ). Voir infra.
(8) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497, Mme Emilienne Moret, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7558ENA). Voir infra.
(9) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-45.321, Association Salon Vacances Loisirs, FS-P+B (N° Lexbase : A1629ENN) et lire nos obs., Les méthodes de gestion d'un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral ! La Cour de cassation à l'aune du harcèlement "managérial"..., Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5838BM8).
(10) Lire Questions à Maître Assous : quand la téléréalité devient fiction, Lexbase Hebdo n° 334 du 22 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3536BIS).
(11) Cass. soc., 24 septembre 2008, 6 arrêts, n° 06-46.517 (N° Lexbase : A4541EAG), n° 06-45.747 (N° Lexbase : A4540EAE), n° 06-45.579 (N° Lexbase : A4539EAD), n° 06-43.504 (N° Lexbase : A4538EAC), n° 06-46.179 (N° Lexbase : A4854EAZ) et n° 06-43.529 (N° Lexbase : A4841EAK) et les obs. de Ch. Radé, Principe 'à travail égal, salaire égal', égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, Lexbase Hebdo n° 321 du 9 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3848BHY).
(12) Lire, en ce sens, notamment, nos obs., Sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise : où en est la Cour de cassation ?, Lexbase Hebdo n° 363 du 16 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9170BL9).
(13) Cass. soc., 7 mai 2002, n° 01-60.040, M. Olivier Fesquet c/ EDF, publié (N° Lexbase : A6147AYC) ; Dr. soc., 2002, p. 625 avec l'avis de l'avocat général P. Lyon-Caen.
(14) Lire, Représentativité syndicale : quand la Cour de cassation se prononce... Questions à Maître Philippe Clément, avocat associé du cabinet Fromont-Briens & Associés, Lexbase Hebdo n° 360 du 23 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N1153BLB).

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Taxe d'apprentissage : les indemnités de congés payés doivent être intégrées dans l'assiette de l'impôt

Réf. : CE, avis, 30 octobre 2009, n° 328015, Société Vignola (N° Lexbase : A6033EME)

Lecture: 2 min

N7049BMZ

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

En matière de taxe d'apprentissage, la base imposable est constituée par les salaires et autres rémunérations déterminées selon les règles d'assiette applicables aux cotisations du régime général de la Sécurité sociale (CGI, art. 225 N° Lexbase : L3696IA7). Des dispositions ont été prises concernant certains secteurs d'activités tels que l'agriculture et les entreprises de travail temporaire. Mais, qu'en est-il des entreprises du bâtiment obligatoirement affiliées à une caisse de congés payés ?
La cour administrative d'appel de Versailles a, alors, décidé de saisir pour avis (CJA, art. L. 113-1 N° Lexbase : L2626ALT) le Conseil d'Etat afin de répondre à un certain nombre de questions de droit nouvelles et présentant une difficulté sérieuse susceptibles de se poser dans de nombreux litiges ; ce qui est indubitablement le cas compte tenu du nombre d'entreprises du bâtiment en France (1).

Le Conseil d'Etat rappelle que les dispositions du Code du travail obligent les entreprises, dont les salariés ne se pas habituellement occupés de façon continue, à s'affilier à une caisse de congés (C. travail, art. L. 3141-30 N° Lexbase : L0580H9D).

Pour la Haute juridiction, non seulement les rémunérations versées en contrepartie de l'activité professionnelle des salariés doivent être comprises dans la base d'imposition de la taxe d'apprentissage, mais également les indemnités de congés payés même si ces dernières sont versées par un tiers pour le compte de l'employeur (2) (comp., dans l'hypothèse où l'activité intermittente des ouvriers dockers du port de la Rochelle faisait l'objet de versements de salaires et de congés payés effectués par un tiers mandaté à cet effet (3) : CAA Bordeaux, 1ère ch., 30 juillet 1993, deux arrêts, n° 92BX00010 N° Lexbase : A7868BE7 et n° 92BX00558 N° Lexbase : A7888BEU, SA Delmas-Vieljeux). Cette question ne concerne pas uniquement la taxe d'apprentissage puisque les juges du premier degré se sont prononcés quant à la base d'imposition de la taxe professionnelle en y incluant, pour les années 1999 à 2001, les congés payés versés par une caisse agissant pour le compte de l'employeur appartenant au secteur du BTP pourvu que l'évaluation faite par l'administration fiscale n'ait pas été forfaitaire (TA Versailles, 5ème ch., 28 mars 2006, n° 05-4304, Société Vignola, RJF, avril 2007 n° 448 ; v. également : TA Lille, 4ème ch., 7 mai 2008, n° 07-03718, SAS Vinci Energies Nord, Bulletin Fiscal Francis Lefebvre, avril 2009, n° 341).

La solution du Conseil d'Etat confirme une récente doctrine administrative exprimée par le ministre (QE n° 12137 de M. Jean Grellier, JOANQ 4 décembre 2007, p. 7572, Budget, comptes publics et fonction publique, réponse publ. 17 février 2009, p. 1564, 13ème législature N° Lexbase : L9770ICT) selon laquelle "les indemnités versées par les caisses de congés payés doivent être comprises dans l'assiette des taxes et participations sur les salaires dues par les employeurs, dans la mesure, bien entendu, où ils y sont eux-mêmes assujettis".


(1) 333 000 entreprises employant 1 005 000 salariés en 2008 (source : Fédération française du bâtiment).
(2) En retenant "le seul montant des indemnités de congés payés dû par l'employeur à ses salariés en application des dispositions du Code du travail et des conventions collectives ou accords applicables à la profession, montant que l'employeur aurait versé à ses salariés en l'absence d'affiliation obligatoire à une caisse".
(3) "Il nous paraît certain que la caisse de compensation verse les compléments de salaires litigieux pour le compte des entreprises adhérentes. [...] Les employeurs qui sont regroupés dans la caisse de compensation ont librement décidé de confier à celle-ci la tâche de verser les compléments de salaires qu'ils devraient normalement payer eux-mêmes. Ils se sont déchargés sur la caisse du soin d'assurer la gestion et le paiement de ces primes et indemnités", concl. A. de Malafosse, Dr. fisc., 1993, comm. 2190.

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Cession de créances professionnelles : régime de l'action du cessionnaire contre le cédant en présence d'une procédure collective du débiteur cédé

Réf. : Cass. com., 20 octobre 2009, n° 08-18.233, Société Antilles industrie 12, F-P+B (N° Lexbase : A2672EMW)

Lecture: 9 min

N5974BM9

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par Cécile Lisanti, Maître de conférences à l'Université Montpellier I, Centre du Droit de l'Entreprise

Le 07 Octobre 2010

A l'heure où le droit des garanties et le droit des entreprises en difficultés sont l'objet d'attentions sans doute quelque peu excessives du législateur, il semble particulièrement opportun que la jurisprudence précise le régime des garanties en présence d'une procédure collective. En pareille hypothèse, s'il est banal de regretter que le droit des entreprises en difficulté porte atteinte à l'efficacité des garanties, l'analyse ne semble pas pouvoir être généralisée. Certaines garanties, et particulièrement les propriétés-sûretés, conservent leur pleine efficacité. Tel semble être notamment le cas de la cession de créances professionnelles, comme en témoigne l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 20 octobre 2009. Plus exactement, cette affaire donne l'occasion à la Chambre commerciale de préciser le régime de l'action du cessionnaire contre le cédant en présence d'une procédure collective du débiteur cédé. Les faits de l'espèce étaient classiques. Une banque avait consenti à une société un prêt destiné à financer l'acquisition de matériel. En garantie de ce crédit, cette société avait non seulement constitué un gage sur le matériel, mais aussi cédé à la banque une créance professionnelle, en l'occurrence une créance de loyers, dans les conditions des articles L. 313-23 (N° Lexbase : L9256DYH) et suivants du Code monétaire et financier. Le débiteur cédé ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, la banque cessionnaire, après avoir prononcé la déchéance du terme du prêt, avait assigné en paiement l'emprunteur-cédant.

Les juges du fond, tant en première qu'en deuxième instance (CA Fort de France, 14 mars 2008) ayant accueilli cette demande, le cédant avait alors formé un pourvoi en cassation. Pour justifier le caractère irrecevable de l'action du cessionnaire à son encontre, deux arguments étaient avancés. D'une part, le cédant soutenait que la créance dont le paiement était demandé était éteinte. En effet, selon lui, le défaut de déclaration de la créance cédée par le cessionnaire au passif de la procédure du débiteur cédé avait emporté extinction de cette créance en application des anciens articles L. 621-43 (N° Lexbase : L6895AI9) et L. 621-46 (N° Lexbase : L6898AIC) du Code de commerce, dispositions applicables en la cause. Dès lors, la cour d'appel, qui avait considéré que l'absence de déclaration au passif ne s'opposait pas à l'action en garantie du cessionnaire contre le cédant, aurait violé, par fausse application, l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9257DYI). D'autre part, le cédant prétendait que la délégation de loyers réalisée au profit de la banque était assortie d'une clause qui limitait expressément le recours du délégataire contre le délégant à la seule mise en oeuvre des garanties et que, par ailleurs, s'agissant de délégation parfaite emportant novation, la banque n'avait plus qualité pour agir contre le cédant-délégant qui n'était donc plus son débiteur.

Cette analyse n'est pas suivie par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. S'agissant, d'abord, de l'argument relatif à la stipulation de renonciation au recours vis-à-vis du cédant, la Chambre commerciale l'écarte en reprenant la solution des juges du fond, qui avaient constaté que la stipulation de renonciation au recours contre le cédant-délégant était soumise à une obligation du cédant, obligation ici inexécutée. S'agissant, ensuite et surtout, de l'argument tiré du défaut de déclaration de la créance cédée, la Chambre commerciale ne le retient pas plus, au motif "que lorsque la cession de créance professionnelle est effectuée à titre de garantie d'un crédit, le cédant reste tenu, en sa qualité de débiteur principal, vis-à-vis de l'établissement cessionnaire lui ayant accordé le crédit, peu important que la créance cédée n'ait pas été déclarée au passif du débiteur cédé [...]".

Ainsi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation considère que l'absence de déclaration de créance par le cessionnaire dans la procédure collective ouverte à l'encontre du débiteur cédé n'empêche pas le cessionnaire de poursuivre le cédant. A l'appui de son raisonnement, elle se fonde sur la nature de la cession de créance, constituée à titre de garantie : c'est donc parce que le cédant demeure le débiteur principal à l'égard du cessionnaire, que la déclaration de la créance cédée au passif de la liquidation judiciaire du débiteur cédé est jugée non nécessaire.

Il est donc très clairement énoncé par la Chambre commerciale que la déclaration de créance au passif de la procédure collective du débiteur cédé n'est pas une condition du recours du cessionnaire contre le cédant. Si cette solution ne paraît pas complètement nouvelle, elle présente toutefois l'intérêt d'être précisée par la Cour de cassation pour une cession de créances professionnelles à titre de garantie.

La solution n'est pas surprenante dans le sens où elle avait été précédemment posée par la Chambre commerciale à propos de la cession à titre d'escompte (1). Pour ce type de cession, la Cour de cassation avait considéré que le recours en garantie exercé par le cessionnaire contre le cédant sur le fondement de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier pouvait être mis en oeuvre même si le cessionnaire n'avait pas déclaré sa créance au passif de la procédure du débiteur cédé. Pour autant, la notification de la cession au débiteur semblait constituer une condition à l'action du cessionnaire contre le cédant, la Cour ayant en effet estimé que "le cessionnaire d'une créance professionnelle, qui a notifié la cession en application des dispositions de la loi du 2 janvier 1981, bénéficie du recours en garantie contre le cédant, garant solidaire, et sa caution, sans avoir à justifier préalablement d'une poursuite judiciaire à l'encontre du débiteur cédé, ou même de sa mise en demeure [...] dont il résulte que la banque, qui n'avait pas à déclarer sa créance à la procédure collective du débiteur cédé [...]". Postérieurement, la Chambre commerciale eut toutefois l'occasion d'indiquer que, même en l'absence de notification, la déclaration de créances au passif de la procédure collective du débiteur cédé ne conditionnait pas l'action en garantie du cessionnaire contre le cédant (2). La solution semble donc clairement posée : en cas de procédure collective ouverte à l'encontre du débiteur cédé, il n'est pas nécessaire que le cessionnaire déclare la créance cédée au passif pour pouvoir mettre en oeuvre son action en garantie contre le cédant exercée sur le fondement de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier.

L'analyse semble a priori techniquement justifiée au regard de la nature de l'action du cessionnaire contre le cédant. Rappelons que deux types d'actions peuvent être envisagés par le cessionnaire. Dans l'hypothèse particulière où le bordereau n'a pas été notifié, le cédant peut être poursuivi par le cessionnaire en sa qualité de mandataire chargé du recouvrement. Cette action n'est plus possible en présence de notification, cette dernière emportant révocation du mandat d'encaissement du cédant. Par ailleurs, que le bordereau ait été ou non notifié, le cessionnaire peut agir contre le cédant en sa qualité de garant solidaire sur le fondement de l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier. En application de ce texte, sauf clause contraire, le cédant est tenu de payer le cessionnaire si le débiteur cédé ne le fait pas. La mise en oeuvre de cette garantie n'est assortie d'aucune condition particulière : ainsi, notamment, la notification de la cession par la cédé n'est pas nécessaire. En outre, pour exercer le recours en garantie, le cessionnaire n'a pas à justifier de l'existence de poursuites préalables contre le débiteur cédé, une demande amiable étant seulement nécessaire, sauf si un événement rend impossible le paiement (3). C'est pourquoi, en présence d'une procédure collective du débiteur cédé, la déclaration de créance ne constitue pas une condition de l'action en garantie du cessionnaire contre le cédant. Cette solution, très favorable au cessionnaire, a conduit certains auteurs à relever qu'en pratique, elle inciterait les cédants à écarter conventionnellement leur garantie, comme l'y autorise l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier (4).

La même solution, est appliquée en l'espèce à propos de la cession de créances professionnelles à titre de garantie. Selon la Chambre commerciale, le défaut de déclaration de créances au passif de la liquidation judiciaire du débiteur cédé, qui emporte extinction de la créance cédée selon l'ancien article L. 641-43 du Code de commerce, n'affecte nullement l'action du cessionnaire contre le cédant, qui est demeuré le débiteur principal à l'égard du cessionnaire.

L'analyse retenue semble logique du point de vue de son articulation avec les solutions antérieures relatives à la cession de créance intervenue à titre d'escompte. L'on ne voit pas comment, alors que la déclaration de créance n'est pas exigée pour le recours en garantie contre le cédant dans l'hypothèse d'une cession à titre d'escompte, la Cour aurait pu poser une autre solution pour la cession à titre de garantie. Il n'y a, a fortiori, aucune raison d'ériger la déclaration de créance en une condition du recours du cessionnaire contre le cédant. En effet, dans la cession à titre d'escompte, la propriété de la créance cédée est transmise définitivement au cessionnaire : le débiteur cédé devient alors le débiteur du cessionnaire, le cédant étant seulement garant solidaire du paiement en application de l'article L. 313-23 du Code monétaire et financier. A l'inverse, dans la cession à titre de garantie, le transfert de la propriété de la créance cédée présente un caractère provisoire (5). Ainsi, si avant l'échéance de la créance garantie, le cessionnaire est propriétaire de la créance cédée, à l'échéance de la créance garantie, la propriété de la créance cédée a théoriquement vocation à retourner dans le patrimoine du cédant. Concrètement, si le cessionnaire reçoit paiement de la part du cédant, ce dernier, redevenu propriétaire de la créance, recevra paiement de la part du débiteur cédé. En d'autres termes, ce n'est qu'en cas de défaillance du cédant que le cessionnaire a vocation à être payé par le débiteur cédé. La créance cédée est seulement l'objet de la garantie de l'engagement principal du cédant. Il semble alors logique, dès lors que l'on juge la déclaration inutile pour l'exercice du recours en garantie contre le cédant dans la cession à titre d'escompte, de considérer a fortiori inutile cette déclaration lorsque la cession est intervenue à titre de garantie.

Il était donc prévisible que la Cour de cassation considère que "lorsque la cession de créance professionnelle est effectuée à titre de garantie d'un crédit, le cédant reste tenu, en sa qualité de débiteur principal, vis-à-vis de l'établissement cessionnaire lui ayant accordé le crédit, peu important que la créance cédée n'ait pas été déclarée au passif du débiteur cédé". La Chambre commerciale se fonde sur la nature particulière de la cession, intervenue en l'espèce à titre de garantie, pour considérer que la déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire du débiteur cédé ne conditionne pas l'action du cessionnaire contre le cédant. Cette solution invite à trois séries d'observations.

D'abord, dans sa formulation, elle semble néanmoins quelque peu maladroite. En effet, littéralement, elle paraît remettre en cause les solutions précédentes relatives à la cession à titre d'escompte, lorsque le cessionnaire exerce l'action en garantie de l'article L. 323-13, action dont il n'était pas question en l'espèce. En effet, pour la Chambre commerciale, c'est la qualité de débiteur principal qui semble fonder l'inutilité de la déclaration de créance. Or, dans la cession à titre d'escompte, le cédant est garant solidaire du paiement et non le débiteur principal du cessionnaire. Faut-il alors considérer que les solutions antérieures relatives à la cession de créance réalisée à titre d'escompte sont remises en cause ? Rien n'est moins sûr. Peut-être pourrait-on penser qu'il s'agit ici d'une formulation maladroite, qui ne constitue pas une limitation délibérée de la solution à la cession à titre de garantie.

Ensuite, la solution semble pouvoir être transposée par analogie aux autres mécanismes de garantie portant sur une créance. Tel sera le cas notamment, du nantissement de créance, ou de la fiducie-sûreté portant sur une créance. Pour toutes ces sûretés, lorsque le débiteur de la créance nantie ou cédée est l'objet d'une procédure collective, la déclaration de créance par le créancier bénéficiaire de la sûreté ne devrait pas constituer une condition de l'action de ce dernier contre le débiteur principal.

Enfin, à y regarder de plus près, on peut se demander si cette solution n'est pas quelque peu trop favorable à la préservation des intérêts du cessionnaire. En effet, le cessionnaire qui ne déclare pas la créance cédée ne porte-t-il pas atteinte à la conservation de l'objet de la sûreté ? En sa qualité de titulaire de la créance, dès la cession de créance, lui seul a qualité pour effectuer cette déclaration. En ne le faisant pas, la créance sera éteinte selon les dispositions antérieures du droit des entreprises en difficulté, inopposable à la procédure selon les textes actuels. Pourtant dans les deux cas, parce qu'il s'agit d'une cession à titre de garantie, la créance avait vocation à retourner dans le patrimoine du cédant. Or, le cessionnaire n'apporte pas tous les soins nécessaires à la conservation de l'objet de la sûreté. Le dispenser de la formalité de déclaration pour pouvoir agir contre le cédant témoigne, une fois encore, de la redoutable efficacité des propriétés-sûretés. Si en elle-même, cette efficacité n'est pas blâmable, c'est sans doute plus le "traitement hétérogène" des titulaires de sûretés (6) qu'il faut regretter.


(1) Cass. com., 14 mars 2000, n° 96-14.034, M. Tourriol c/ Société bordelaise de crédit industriel et commercial (N° Lexbase : A3701AUM), Bull. civ. IV, n°55 ; D., 2000, AJ, 236, obs. Faddoul ; JCP éd. E, 2000, n° 20, p. 774; RTDCom., 2000, 996, obs. M. Cabrillac.
(2) Cass. com., 11 décembre 2001, n° 98-18.580, M. Jacques Leblond c/ Société générale, FS-P (N° Lexbase : A6421AX4), Bull. civ. IV, n° 196 ; D., 2003, somm. 342, obs. Martin ; RD banc. fin., 2002, n° 92, obs. Cerles.
(3) Cass. com., 18 septembre 2007, n° 06-13.736, Crédit industriel d'Alsace et de Lorraine, F-P+B (N° Lexbase : A4231DYD) ; RTDCom., 2007, p. 821, obs. D. Legeais ; D. Robine, Les conditions du recours en garantie du cessionnaire Dailly contre le cédant, Lexbase Hebdo n° 277 du 18 octobre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N8785BCD).
(4) D. Legeais, obs. préc., sous Cass. com., 18 septembre 2007, préc..
(5) En ce sens : Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-15.669, M. Bruno Sapin, administrateur judiciaire et commissaire à l'exécution du plan de la société Entreprise Jean Nallet c/ Banque du bâtiment et des travaux publics (BTP Banque), FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A7428DLP) ; M.-E. Mathieu, Propos autour de la cession Dailly, véritable cession fiduciaire de créances, Lexbase Hebdo n° 196 du 5 janvier 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N2770AKS) ; D., 2005, AJ, p. 3081, obs. X. Delpech ; RTDCom., 2006, p. 169, obs. D. Legeais ; Defrénois, 2006, p. 601, obs. F. Savaux ; RD banc. fin., 2006, comm. 16, obs. A. Cerles ; Banque et Droit, 2006, p. 67, obs. Th. Bonneau ; JCP éd. E, 2006, n° 14-15, p. 673, obs. M. Cabrillac.
(6) Plus généralement sur cette idée, N. Borga, Regards sur les sûretés dans l'ordonnance du 18 décembre 2008, Rev. banc. fin., 2009, étude 20.

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Rémunération

[Jurisprudence] Salariés investis de fonctions représentatives : le statut protecteur prime sur le contrat !

Réf. : Cass. soc., 2 décembre 2009, 2 arrêts, n° 08-42.037, Société Federal express corporation c/ M. Karim Benmabrouk, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3493EP3) et n° 08-43.466, Société Mory Team c/ M. Daniel Chevereau, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3515EPU)

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N7058BMD

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Chacun sait, depuis les fameux arrêts "Perrier" de 1974 (1), que les salariés investis de fonctions représentatives bénéficient, dans leur intérêt et dans celui de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l'employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection. Dans deux arrêts rendus le 2 décembre 2009, qui auront les honneurs de son rapport annuel, la Cour de cassation vient tirer une conséquence pour le moins rigoureuse de cette règle de principe. Selon la Chambre sociale, en cas de retrait ou de suspension d'une autorisation ou d'un titre requis pour l'exercice de ses fonctions, l'employeur est tenu non seulement de conserver le salarié dans l'entreprise, mais encore de le rémunérer jusqu'à l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail. Curieuse au regard du droit des contrats et de l'exception d'inexécution, cette solution ne s'explique que par la prééminence du statut protecteur sur le contrat.

Résumés

Pourvoi n° 08-42.037 : les dispositions relatives au licenciement des salariés investis de fonctions représentatives instituent au profit de ces salariés, et dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l'employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection. Il en résulte qu'en cas de retrait de l'habilitation administrative nécessaire à l'exercice de ses fonctions, l'employeur est tenu non seulement de conserver le salarié dans l'entreprise, mais encore de le rémunérer jusqu'à l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail.

Pourvoi n° 08-43.466 : les dispositions relatives au licenciement des salariés investis de fonctions représentatives instituent au profit de ces salariés, et dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l'employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection. Il en résulte qu'en cas de suspension du permis de conduire nécessaire à l'exercice de ses fonctions, l'employeur est tenu, non seulement de conserver le salarié dans l'entreprise, mais aussi de le rémunérer jusqu'à l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail.

I - Du contrat au statut

  • Rupture du contrat

Contrairement à ce que pourrait laisser à penser l'expression de "salarié protégé", un représentant du personnel peut être licencié, au même titre qu'un salarié "ordinaire", lequel n'est, d'ailleurs, pas dépourvu de toute protection, ne serait-ce qu'au regard de l'exigence de justification de la rupture. A cet égard, il est des faits qui paraissent rendre nécessaire le licenciement. Les deux décisions rapportées sont révélatrices de cette situation.

Dans l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 08-42.037, était en cause un salarié employé par la société Fedex en qualité de manutentionnaire piste. Par une décision du 22 septembre 2006, le sous-préfet de Seine-Saint-Denis lui avait retiré l'habilitation pour travailler sur la zone aéroportuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle. Faute d'une telle habilitation, le salarié n'était donc plus en mesure d'exercer ses fonctions et l'employeur avait pris la décision de le licencier, pour ne pas dire qu'il avait été contraint d'arrêter une telle mesure.

Remarquons que l'employeur avait adopté la bonne attitude puisqu'un tel événement ne saurait constituer un cas de force majeure et qu'il importe donc de licencier le salarié. La Cour de cassation considère que le défaut de titre ou d'autorisation requis pour exercer une activité professionnelle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (2). Il ressort, en outre, clairement de ces deux arrêts que la rupture à l'initiative de l'employeur doit être qualifiée de licenciement pour motif personnel et non de licenciement pour motif économique. Le Conseil d'Etat adopte, toutefois, une position opposée. Il a, en effet, considéré, dans une décision en date du 15 juin 2005, que constitue un licenciement économique le licenciement prononcé en raison de l'intervention d'une législation nouvelle soumettant l'activité exercée par le salarié licencié à la détention d'un diplôme dont il n'était pas titulaire, et imposant ainsi son remplacement par une personne diplômée (3).

S'agissant de l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 08-43.466, c'était encore la suppression d'un titre nécessaire à l'exercice de l'activité professionnelle qui était en cause. En l'espèce, un employeur avait engagé une procédure de licenciement à l'encontre de l'un de ses salariés employé comme chauffeur routier, consécutivement à la suspension de son permis de conduire pour une durée de six mois. Cette mesure avait été prise par l'autorité compétente en raison d'une infraction de conduite sous l'empire d'un état alcoolique commise, semble-t-il, dans le cadre de la vie privée. Mais, à dire vrai, ces circonstances importent peu au regard du problème qui était en cause dans cette décision. On rappellera simplement que la Cour de cassation considère qu'un tel licenciement peut être admis (4).

Proches au regard du motif qui fondait le licenciement des salariés, les deux arrêts sous examen se rejoignent sur un autre point : à chaque fois, le salarié assumait au moins un mandat de représentation du personnel. Cet état de fait exigeait, nonobstant la quasi-impossibilité pour l'employeur de maintenir la relation contractuelle de travail, l'intervention de l'inspecteur du travail en application du statut protecteur dont bénéficient ces salariés.

  • Respect du statut protecteur

Il n'est guère besoin de s'étendre sur le fait que, lorsqu'un salarié est investi de fonctions de représentants du personnel, son licenciement ne peut intervenir qu'après avoir été autorisé par l'inspecteur du travail. Peu importe, à cet égard, le motif invoqué par l'employeur à l'appui du licenciement. Dans tous les cas, sans exception aucune et sous peine de nullité du licenciement, l'intervention de l'autorité administrative est nécessaire, y compris lorsque la rupture est fondée sur la perte par le salarié d'un titre ou d'une autorisation requis pour exercer une activité professionnelle (5).

Ainsi que le relèvent certains auteurs, "le contrôle de l'autorité administrative doit porter sur le respect de la procédure interne à l'entreprise ; la matérialité du défaut de titre ou de qualité et son incidence sur l'emploi exercé ; les possibilités de reclassement du salarié dans l'entreprise ; l'absence de lien avec le mandat ou l'appartenance syndicale ; l'absence d'un motif d'intérêt général" (6). Il faut souligner que la vérification du respect de l'obligation de reclassement par l'employeur ne se conçoit que parce que, ainsi qu'il a été vu précédemment, le Conseil d'Etat qualifie ce type de rupture de licenciement pour motif économique. La Cour de cassation ayant opté, quant à elle, pour le licenciement pour motif personnel, elle exclut de manière très nette toute obligation de reclassement (7). La solution retenue par le Conseil d'Etat est plus favorable pour le salarié qui ne perdra son emploi que s'il ne peut être reclassé. Pour autant, la qualification de licenciement pour motif économique peut, au moins dans certains cas, être contestée.

Le respect du statut protecteur commande donc de saisir l'inspection du travail. Il serait, d'ailleurs, faux de penser que son pouvoir d'appréciation se trouve réduit au regard de la cause du licenciement. Il est à remarquer que, dans les deux espèces considérées, l'autorisation de licencier avait été, au moins dans un premier temps, refusée.

Cela étant, il importe de relever que, lorsqu'est en cause le défaut d'un titre ou d'une autorisation requis pour exercer une activité professionnelle, la prestation de travail ne peut, par hypothèse, être exécutée. Or, et c'était la question qui était au coeur des arrêts rapportés, il importe de se demander quelle est la situation du salarié dans l'attente de la décision de l'autorité administrative. La réponse apportée par la Cour de cassation à cette interrogation est révélatrice de la prééminence du statut protecteur sur le contrat.

II - La prééminence du statut protecteur sur le contrat

  • L'inexécution du contrat de travail

Dans les deux affaires, l'employeur avait adopté la même attitude qui, si elle est finalement condamnée par la Cour de cassation, peut néanmoins, au moins dans un premier temps, se comprendre.

S'agissant, tout d'abord, du salarié qui avait perdu son habilitation par décision du sous-préfet en date du 22 septembre 2006, il avait été informé par la société employeur, le 7 novembre 2006, que son contrat de travail serait suspendu, ainsi que sa rémunération, à compter du 5 décembre suivant. Refusée une première fois en février 2007, l'autorisation de licencier avait finalement été donnée en janvier 2008, après le rejet d'une demande nouvelle d'habilitation par l'autorité administrative. Le salarié licencié avait alors saisi le juge d'une demande en paiement à titre de rappel de salaire pour la période s'étant écoulée entre le 5 décembre 2006 et son licenciement. La cour d'appel avait fait droit à cette demande, accordant au salarié une somme provisionnelle à titre de rappel de salaire ; ce qui avait motivé le pourvoi en cassation de la société employeur.

Dans la seconde affaire, le chauffeur routier, dont le permis de conduire avait été suspendu pour une durée de six mois à compter du 26 janvier 2008, avait saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes d'une demande de provision sur les salaires non payés du 28 janvier au 9 avril 2008. Il faut donc comprendre que le paiement de sa rémunération avait été suspendu entre le moment où la suspension de son permis de conduire avait pris effet et la date à laquelle l'autorisation de licenciement avait été refusée par l'inspecteur du travail, en l'occurrence le 7 avril 2008.

Ainsi que nous l'avons remarqué d'emblée, l'attitude que l'employeur avait adoptée en suspendant le contrat de travail et, plus précisément, la rémunération du salarié peut se comprendre. Il est, en effet, évident que, dans les deux cas, le contrat de travail ne pouvait plus recevoir exécution pour la seule raison que le salarié ne disposait plus du titre ou de l'agrément requis afin d'exercer les fonctions pour lesquelles il avait été embauché. En d'autres termes, et ainsi que le soutenait d'ailleurs l'employeur dans son pourvoi dans l'un des arrêts en cause (pourvoi n° 08-42.037), trouvait à s'appliquer dans ces hypothèses l'exceptio non adimpleti contractus.

Cet argument n'était pas dénué de toute portée. Pour que l'exception d'inexécution puisse être invoquée utilement, il faut une inexécution de l'obligation corrélative. Or, il est classiquement enseigné à cet égard que la source de cette inexécution importe peu. Ce peut être la faute du débiteur, mais aussi un événement de force majeure empêchant l'exécution d'une obligation et permettant une suspension corrélative (8). Or, qu'il s'agisse du retrait de l'habilitation ou de la suspension du permis de conduire, on était en présence d'un événement rendant impossible l'exécution par le salarié de sa prestation de travail. La suspension corrélative du paiement du salaire au titre de l'exception d'inexécution apparaissait, dès lors, fondée. Mais il y avait là une logique par trop contractuelle qui conduisait à méconnaître le statut protecteur dont bénéficiaient les salariés et qui doit prendre le pas sur le contrat.

  • Le maintien de la rémunération

Ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans chacun des motifs de principe des deux arrêts rapportés : "les dispositions relatives au licenciement des salariés investis de fonctions représentatives instituent au profit de ces salariés, et dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l'employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection". On a reconnu, ici, la formule ciselée par la Cour de cassation dans les fameux arrêts "Perrier" de 1974.

Les conséquences que la Cour de cassation tire de cette règle de principe sont similaires. Distinguant simplement le retrait de l'habilitation administrative de la suspension du permis de conduire, tout en soulignant qu'ils étaient tous deux nécessaires à l'exercice de ses fonctions, elle indique que "l'employeur est tenu non seulement de conserver le salarié dans l'entreprise, mais encore de le rémunérer jusqu'à l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail".

La solution retenue est donc claire et il conviendra d'en tenir compte à l'avenir. Alors même que le contrat de travail ne peut plus être exécuté, faute pour le salarié de disposer du titre ou de l'agrément requis pour exercer ses fonctions, l'employeur doit continuer à le rémunérer. Cette solution apparaît, à l'évidence, en totale contradiction avec le droit des contrats. Mais, il faut le redire, celui-ci doit s'effacer devant le statut protecteur d'ordre public applicable aux salariés investis de fonctions représentatives. Protection dont le caractère exceptionnel et exorbitant du droit commun apparaît ici en pleine lumière.

On conçoit, néanmoins, que la solution puisse susciter l'interrogation, pour ne pas dire la colère, d'employeurs tenus de rémunérer des salariés qui ne peuvent plus exécuter leur prestation de travail, pour une raison qui leur est totalement étrangère. Cela étant, et ainsi que l'indique la Cour de cassation, le maintien de la rémunération cessera avec l'obtention de l'autorisation de licenciement délivrée par l'inspecteur du travail. Il faut, pour les employeurs, espérer que celle-ci intervienne rapidement. On regrettera, cependant, que la Cour de cassation ne nous indique pas l'attitude à adopter lorsque l'autorisation de licenciement est refusée. Mais, à dire vrai, on peut se demander si cette situation est envisageable. En effet, à lire les motifs de principe des deux arrêts commentés, il est possible de considérer que, pour la Cour de cassation, dès lors que l'habilitation administrative ou le permis de conduire est nécessaire à l'exercice des fonctions salariés, son retrait ou sa suspension constitue nécessairement une cause réelle et sérieuse de licenciement. A supposer que cette interprétation soit la bonne, il reste à savoir si elle sera retenue par le Conseil d'Etat.

Relevons, pour conclure, que les salariés qui, à l'avenir, seront concernés par la solution nouvelle pourront s'adresser au juge des référés pour demander paiement de leur salaire pendant la période de "suspension" de leur contrat de travail.


(1) Cass. soc., 2 juillet 1974, n° 73-11.263, Syndicat CFDT c/ Société Perrier SA (N° Lexbase : A7656CEB) ; Cass. mixte, 21 juin 1974, n° 71-91.225, Castagne, Clavel, Daumas, Delon, Dame Grasset, Martinez, Dame Maurin c/ Epry (N° Lexbase : A6851AGT), Dr. soc., 1974, p. 454, avec les concl. de Touffait.
(2) V., notamment, Cass. soc., 3 juin 1998, n° 96-40.016, Association hospitalière Sainte-Marie c/ M. Pigeon et autre (N° Lexbase : A5587ACW) ; Cass. soc., 3 février 2004, n° 01-44.448, M. Edgar Villegas c/ Société Courrière (N° Lexbase : A2304DBX).
(3) CE 3° et 8° s-s-r., 15 juin 2005, n° 254728, M. Elisabeth (N° Lexbase : A7295DIZ).
(4) Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-43.227, Société Sorest c/ M. Alain Entzmann, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3400DA8) et les obs. de S. Koleck-Desautel, Revirement de jurisprudence : un acte commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée peut désormais constituer une faute professionnelle, Lexbase Hebdo n° 98 du 10 décembre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9675AAL).
(5) V., nettement en ce sens, Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-42.867, Société Casino Europe 92 c/ M Teyssier (N° Lexbase : A8761AHX) : perte, par l'employé d'un casino condamné au pénal, de l'agrément ministériel lui permettant d'exercer ses fonctions.
(6) H. Rose et Y. Struillou, Droit du licenciement des salariés protégés, Economica, 3ème éd., 2007, §§ 152 et 153 et la jurisprudence citée.
(7) Cass. soc., 3 juin 1998, n° 96-40.016, préc..
(8) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., 2009, § 638.


Décisions

1° Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 08-42.037, Société Federal express corporation c/ M. Karim Benmabrouk, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3493EP3)

Rejet, CA Paris, 18ème ch., sect. C, 6 mars 2008, n° 07/03026, M. Karim Benmabrouk c/ Zone d'Entretien Route de l'Arpenteur représentée par Me Philippe Danesi (N° Lexbase : A0403D8G)

Textes concernés : C. trav., art. L. 2411-3 (N° Lexbase : L0148H9D), L. 2411-5 (N° Lexbase : L0150H9G) et L. 2411-8 (N° Lexbase : L0153H9K)

Mots-clefs : salarié protégé ; licenciement ; autorisation de l'inspecteur du travail ; suspension du contrat de travail ; paiement du salaire

Lien base : (N° Lexbase : E4048ET4)

2° Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 08-43.466, Société Mory Team c/ M. Daniel Chevereau, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3515EPU)

Rejet, CPH du Mans, formation des référés, 22 mai 2008, n° 08/00055, Monsieur Daniel Chevereau c/ SAS Mory Team (N° Lexbase : A4184EPN)

Textes concernés : C. trav., art. L. 2411-3 (N° Lexbase : L0148H9D), L. 2411-5 (N° Lexbase : L0150H9G) et L. 2411-8 (N° Lexbase : L0153H9K)

Mots-clefs : salarié protégé ; licenciement ; autorisation de l'inspecteur du travail ; suspension du contrat de travail ; paiement du salaire

Lien base : (N° Lexbase : E4048ET4)

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Procédure pénale

[Questions à...] Présence de l'avocat lors de la garde à vue - Questions à Maître Fabrice Orlandi, avocat et Président de l'association Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat

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N6068BMP

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Le 30 novembre 2009, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bobigny (TGI Bobigny, 30 npvembre 2009, n° 2568/09 N° Lexbase : A4238EPN) a annulé une procédure de garde à vue, pour défaut d'assistance d'un avocat durant l'interrogatoire, au cours de l'audition, ainsi qu'au début de la privation de liberté. Placé en garde à vue à 20h05, le prévenu a tout de suite demandé à s'entretenir avec un avocat, qu'il n'a pu rencontrer que le lendemain à 12h55. Il était, alors, détenu depuis plus de seize heures et avait déjà été entendu par les services de police. Le juge reprend à l'identique les principes réaffirmés encore récemment en la matière par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) : "il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, lorsque les déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation".
Cette décision intervient, alors qu'en France, la garde à vue est montrée du doigt : elle atteint des records (plus d'un demi million de personnes concernées l'année dernière), faisant de cette mesure d'exception, monnaie courante susceptible de concerner tout un chacun. La situation est d'autant plus grave, que la présence de l'avocat au cours de la procédure est réduite à une peau de chagrin. Si l'article 63-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0962DYB) prévoit que, "dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat", le texte ne précise pas dans quel délai l'entretien doit avoir lieu. Il se borne à fixer, pour les infractions les plus graves, des délais planchers en dessous desquels l'avocat n'est pas autorisé à intervenir (jusqu'à 72 heures en cas de trafic de stupéfiants ou d'actes terroristes). La durée de la rencontre est, en outre, symbolique.

La décision du juge des libertés et de la détention du 30 novembre dernier alimente ce débat : elle a scandalisé le syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), à qui il a été aussitôt rétorqué qu'il n'appartient pas aux policiers de lire le droit ou d'interpréter une décision de justice. De son côté, le Garde des Sceaux, qui a souligné que "l'insulte et la caricature n'[avaient] pas leur place dans un débat démocratique", a profité de la rentrée de la cour d'appel de Paris le 4 décembre 2009, pour livrer le point de vue du Gouvernement : la garde à vue est un instrument d'enquête et doit être limitée aux seules hypothèses des crimes et des délits pour lesquels un emprisonnement d'au moins un an est encouru. Ainsi, pour les infractions les moins graves, une personne pourrait être entendue librement par les services enquêteurs, si l'audition intervient dans des délais très courts, étant précisé qu'elle pourrait à tout moment demander d'être placée en garde à vue pour bénéficier des droits afférents à ce régime. Le Garde des Sceaux concède que la présence de l'avocat pendant la procédure doit être renforcée. Le principe d'une intervention de celui-ci dès la première heure doit, ainsi, être pérennisé, mais il convient, également, de prévoir qu'en cas de prolongation de la mesure, il ait connaissance et accès aux procès-verbaux d'interrogatoire dressés en première partie. Enfin, le ministre souligne l'importance d'un régime dérogatoire en matière de lutte contre le terrorisme et de crime organisé, "la liberté de chacun doit aller de pair avec la sécurité de tous".

C'est, pour le moins, admettre que dispositif actuel est déficient et, en tous les cas, contraire aux décisions des juges européens, ainsi que nous l'expose Maître Fabrice Orlandi, avocat et Président de l'association Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat.

Lexbase : En tant qu'avocat intervenant dans des procédures de garde à vue, quel est votre sentiment sur le dispositif français ?

Fabrice Orlandi : L'article 63 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7288A4P) dispose que "l'officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l'enquête, placer en garde à vue toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction". La mesure ne peut se prolonger au-delà d'un délai de 24 heures, sauf les infractions les plus graves (pour lesquelles la privation de liberté peut atteindre jusqu'à 96 heures). Le texte accorde à la garde à vue une application très large, puisqu'il permet son recours, dès lors qu'il existe un soupçon, quelle que soit l'infraction en cause. Le placement en garde à vue est, ainsi, laissé à la libre appréciation des forces de l'ordre. Or, aujourd'hui en France, le constat est fait d'une augmentation sans précédent du nombre de gardes à vue et d'une dégradation des conditions de traitement des prévenus.

Ceci est, notamment, rendu possible par le peu de cas que fait le code de la présence de l'avocat au cours de la procédure, mais aussi par le peu de cas que font certains policiers de ces rares dispositions. L'article 63-4 n'accorde que 30 minutes à l'avocat, ce qui ne permet guère plus que de s'assurer que le prévenu ait bien eu connaissance de ses droits, qu'il ait bien pu prendre contact avec un proche, qu'il ait vu un médecin s'il l'a souhaité et qu'il ait été traité correctement. Et si la personne en garde à vue peut demander tout de suite à voir un avocat, il arrive trop souvent qu'elle en soit dissuadée par l'officier de police ou, alors, que l'avocat soit prévenu à la toute fin de la procédure, une fois que les auditions sont terminées. Il n'est pourtant pas compliqué de trouver un avocat de nos jours, nous sommes répertoriés dans l'annuaire, sur le site du conseil de l'Ordre, le Bâtonnier (qui doit être informé tout de suite de la demande du prévenu et par tous moyens) a toutes nos coordonnées. Dans ce cas de figure, je refuse de cautionner de telles méthodes et de rencontrer le client, puisque la rencontre ne s'inscrit pas dans le respect des droits de la défense, mais n'a pour seule fonction que de "légaliser" une procédure de garde à vue viciée.

Lexbase : Le rapport "Léger" sur la réforme de la procédure pénale rejette l'idée que l'avocat soit présent tout au long de la garde à vue, ceci, afin d'optimiser l'efficacité de l'enquête. L'accès de l'avocat aux pièces du dossier est, en outre, considéré comme irréalisable en pratique, puisque le dossier ne pourrait être matériellement constitué qu'à l'issue de la garde à vue. La solution préconisée par le rapport consiste en une intervention de l'avocat au début de la mesure, pour un entretien d'une demi-heure. L'avocat pourrait rencontrer une seconde fois son client à la douzième heure de la procédure, avec un accès au dossier. Enfin, en cas de prolongation de la mesure au-delà de 24 heures, l'avocat pourrait être présent aux auditions. Que pensez-vous de ces propositions ?

Fabrice Orlandi : Ces propositions me semblent, bien entendu, tout à fait insuffisantes.

La présence de l'avocat au cours de la garde à vue a été introduite voilà déjà dix ans. Je n'ai pas connaissance d'un cas où la présence de l'avocat ait causé un problème. Le secret de l'instruction est souvent avancé pour justifier une intervention minimale de l'avocat. C'est oublier les dispositions de l'article 63-4, aux termes desquelles "l'avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue". S'il viole cette règle, il engage sa responsabilité et sera sanctionné. Il me semble aussi important de souligner que le secret de l'instruction doit être préservé tant par l'avocat, que par le parquet, qui pourtant, compte à son actif, quelques fuites. Quant au dossier, il devrait être constitué au fur et à mesures des auditions et interrogatoires. La présence de l'avocat au cours de la garde à vue implique nécessairement qu'il puisse avoir accès au dossier de son client.

Il est regrettable que le groupe de travail "Léger", dont la mission était de se pencher sur la réforme de la procédure pénale, en soit arrivé à de telles conclusions. Alors même que le rapport fait mention de l'explosion des gardes à vue et de la nécessité de renforcer la présence de l'avocat, les propositions formulées sont sans commune mesure avec ce qui doit être envisagé. Nous demandons à ce que l'avocat soit présent dès le début de la garde à vue et tout au long de son déroulement. Dès lors qu'il y a privation de liberté, les droits de la défense doivent être renforcés.

Lexbase : Notre dispositif est-il conforme aux décisions de la CEDH ?

Fabrice Orlandi : Notre dispositif est en totale contradiction avec la jurisprudence de la CEDH. Les propositions formulées dans le rapport "Léger" le sont également.

Par une jurisprudence constante, encore réaffirmée récemment, la CEDH a estimé que l'article 6 § 3 c) (droit à l'assistance d'un avocat) combiné avec l'article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) exige que l'accès à un avocat, au besoin commis d'office, soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, le défaut d'assistance par un avocat aux premiers stades de son interrogatoire portant irréversiblement atteinte aux droits de la défense et amoindrissant les chances pour l'accusé d'être jugé équitablement.

Ainsi, dans une décision du 27 novembre 2008 (CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391 /02, Salduz c/ Turquie N° Lexbase : A3220EPX), la CEDH a réaffirmé que "quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable", l'accès à un avocat devant être consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sous peine de porter "une atteinte irrémédiable aux droits de la défense".

Moins d'un an après cet important arrêt, la cour "récidive" dans deux autres affaires :

- dans un arrêt du 24 septembre 2009 (CEDH, 24 septembre 2009, Req. n° 7025/04, Pishchalnikov c/ Russie N° Lexbase : A4246EPX), les juges énoncent que "le défaut d'assistance par un avocat aux premiers stades de son interrogatoire par la police a irréversiblement porté atteinte aux droits de la défense et amoindri les chances pour lui d'être jugé équitablement" ;

- et dans un arrêt du 13 octobre 2009 (CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03, Dayanan c/ Turquie N° Lexbase : A3221EPY), ils décident que "l'équité d'une procédure requiert que l'accusé, dès qu'il est privé de liberté, puisse obtenir toute la gamme d'interventions propres au conseil [...]. Or l'accusé, en vertu de la loi en vigueur à l'époque, n'a pas bénéficié de l'assistance d'un avocat lors de sa garde à vue. Une telle restriction systématique sur la base des dispositions légales pertinentes suffit à conclure à une violation de l'article 6 même si (M. D) est resté silencieux pendant sa garde à vue". Cette solution a été réitérée le 1er décembre 2009, dans une affaire similaire (CEDH, 1er décembre 2009, Req. 25301/04, Adalmis et Kilic c / Turquie N° Lexbase : A2901EP7).

Lexbase : Quelles sont les actions de l'association que vous présidez, Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat ?

Fabrice Orlandi : Nous sommes à la veille de la réforme de la procédure pénale et une fois n'est pas coutume, les avocats réagissent très en amont, encouragés par les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme.

Francis Teitgen, Pierre-Olivier Sur et moi-même avons créé mi-novembre l'association Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat, pour parvenir à l'abolition de la garde à vue sans avocat.

Notre première action a été de rédiger et de diffuser un modèle de conclusions de nullité de procédure. Ces conclusions sont à la disposition de tous nos confrères, sur le site de l'association (www.jeneparleraiquenpresencedemonavocat.fr et http ://www.abolir-gardeavue.fr/). Nous les encourageons à demander systématiquement l'annulation de toute procédure à laquelle l'avocat n'aura pas pu assister de façon significative (1).

La deuxième action de l'association a été de présenter une proposition de loi, déposée par Manuel Aeschlimann (député, membre de la Commission des lois et avocat), à l'issue de la réunion publique de l'Assemblée nationale du 11 décembre 2009. Le texte préconise la présence de l'avocat aux côtés de toute personne placée en garde à vue, lors des auditions de police ou de gendarmerie et des autres actes de procédure, étant précisé que cette présence n'a de sens que si l'avocat a accès au dossier pénal. Cette proposition est soutenue par les anciens ministres Marylise Lebranchu, Elisabeth Guigou et Pascal Clément. Jean-François Copé a, quant à lui, confirmé, que ces "conclusions viendront nourrir [leur] démarche", en vue d'une loi, d'un amendement, ou d'une proposition reprise dans un projet du Gouvernement, d'ici à l'été, le mieux étant "une insertion du projet, par la ministre de la Justice, dans la réforme du Code de procédure pénale".

Afin de peser massivement dans le débat, nous avons fait valoir, au cours de la réunion de l'Assemblée nationale, une pétition recueillant plus de mille signatures (toujours mise en ligne sur le site de l'association), que nous avions envoyée par courrier électronique à tous les avocats inscrits au Barreau de Paris.

Nous souhaitons, maintenant, élargir le cercle des co-signataires et enrichir la proposition de loi.

Enfin, sur notre site, nous référençons tous les articles écrits sur le sujet et nous publions la jurisprudence de la CEDH en la matière.


(1) La Chancellerie a, de son côté, adressé une note aux parquets Argumentaire sur l'absence de l'avocat en garde à vue, venant en réponse aux demandes de nullités formulées par les avocats. L'interprétation du Garde des Sceaux des arrêts de la CEDH diffère de celle retenue par les avocats, puisqu'aucune contradiction entre le système français de la garde à vue et les exigences européennes n'est relevée.

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Marchés publics

[Jurisprudence] L'accès à l'analyse des offres par un candidat évincé et les limites du pouvoir du juge du référé précontractuel

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 16 novembre 2009, n° 307620, Région Réunion (N° Lexbase : A7251ENU)

Lecture: 8 min

N7159BM4

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par Vincent Corneloup, Avocat associé, spécialiste en droit public, docteur en droit public, SCP Dufay-Suissa-Corneloup

Le 07 Octobre 2010

L'arrêt "Région Réunion", rendu par le Conseil d'Etat le 16 novembre 2009, doit retenir l'attention pour deux raisons. La première est que, par cet arrêt, il a aménagé sa jurisprudence quant à la communication de l'analyse des offres des autres candidats au bénéfice d'un candidat ayant saisi le juge du référé précontractuel. Désormais, cette communication est possible si elle intervient après la sélection des offres. Le second intérêt de cette décision est qu'elle confirme la volonté avérée du Conseil d'Etat, en conformité avec les nouvelles dispositions du Code de justice administrative (1), d'encadrer les pouvoirs du juge du référé précontractuel. La région Réunion avait lancé une procédure d'appel d'offres ouvert pour la réalisation d'ouvrages souterrains sur des portions de voirie. Après avoir été informées du rejet de leur offre, les sociétés membres d'un groupement ont saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion. Au soutien de leur requête, elles prétendaient, tout d'abord, que la procédure suivie aurait été viciée par la communication, sur leur demande, du rapport d'analyse des offres, au mépris du principe de concurrence loyale entres les opérateurs économiques posé par l'article 80 III du Code des marchés publics (N° Lexbase : L9824IEL). Elles soutenaient, ensuite, que des sous-traitants du groupement rendu titulaire n'auraient pas présenté de justificatifs quant à leur qualification, et que les dispositions du règlement de la consultation auraient été méconnues à propos d'une variante proposée par ce même groupement attributaire. En outre, elles mettaient en avant que, selon elles, le rejet de leur offre n'aurait pas été suffisamment motivé. Enfin, elles prétendaient que leur offre était intrinsèquement meilleure que celle du groupement retenu.

Le juge de première instance a fait droit à leur demande, a annulé la décision du président de la région rejetant leur offre, et lui a enjoint de mettre fin à la procédure en cours et d'en engager une nouvelle, au motif qu'il avait méconnu les obligations de mise en concurrence en communiquant aux requérantes le rapport d'analyse des offres. En effet, celui-ci comportait, selon le juge concerné, des informations susceptibles de nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques.

Le Conseil d'Etat a cassé cette ordonnance en rappelant vigoureusement les pouvoirs du juge du référé précontractuel (I), et en aménageant sa jurisprudence relative à la communication de l'analyse des offres (II).

I - Un rappel vigoureux des pouvoirs du juge du référé précontractuel

Le Conseil d'Etat rappelle que le juge du référé précontractuel ne peut accueillir que les moyens pour lesquels le requérant parvient à démontrer qu'il a été lésé par le manquement invoqué (B), à condition que ces moyens soient articulés sur la méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence (A).

A - Un rappel à l'ordre quant à la portée du contrôle limité aux questions de publicité et de mise en concurrence

Le juge du référé précontractuel ne peut pas tout. Non seulement, il ne peut se prononcer qu'à condition que le contrat n'ait pas encore été signé (2), et ne peut recevoir que les moyens pour lesquels le requérant démontre avoir été personnellement lésé (voir ci-dessous), mais encore, il n'est juge que des questions de publicité et de mise en concurrence (3). Le Conseil d'Etat le rappelle dans l'arrêt commenté : "il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur, à l'issue de la consultation, sur les mérites respectifs des offres". En effet, le juge du référé précontractuel est juge du respect de la procédure, mais n'exerce aucun contrôle sur le bien-fondé du choix, ce que les requérants ont parfois de la difficulté à admettre. Toutefois, la pratique contentieuse oblige à nuancer ces considérations puisque, parfois, le juge du référé précontractuel est bien obligé d'examiner, ne serait-ce que de manière succincte, l'appréciation qui a été portée sur les offres si elle est susceptible d'être révélatrice d'un manquement à une obligation de mise en concurrence. Ce sera le cas, par exemple, si une offre a été écartée au prétexte qu'un matériau plutôt qu'un autre a été proposé, alors que les documents de la consultation ne l'interdisaient pas.

B - Un rappel à l'ordre quant au caractère subjectif du contentieux précontractuel

Dans son arrêt de section "Smirgeomes" en date du 3 octobre 2008 (CE Contentieux, 3 octobre 2008, n° 305420, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion N° Lexbase : A5971EAE), le Conseil d'Etat a jugé qu'une procédure de passation ne doit être annulée par le juge du référé précontractuel que si l'irrégularité invoquée a lésé, ou risque de léser le requérant. Le référé précontractuel est, alors, devenu un recours subjectif, définitivement consacré par l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3), qui a introduit un nouvel article L. 551-10 (N° Lexbase : L1610IED) dans le Code de justice administrative, aux termes duquel les personnes habilitées à engager un référé précontractuel "sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué". En l'espèce, cette dernière disposition, applicable aux marchés pour lesquels une consultation est engagée à partir du 1er décembre 2009, ne pouvait pas être appliquée puisque la consultation avait été lancée en février 2007. Mais, bien évidemment, le Conseil d'Etat a veillé au respect du principe dégagé dans son arrêt "Smirgeomes". Or, à ce propos, le juge des référés précontractuel du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion avait retenu une solution manifestement contraire à la jurisprudence "Smirgeomes" (4). En effet, il avait annulé le rejet de l'offre du groupement composé par les sociétés requérantes au motif que la communication qui leur avait été faite par la région Réunion, sur leur demande, du rapport d'analyse des offres, était susceptible de nuire à une concurrence loyale entre opérateurs économiques en raison des informations qu'il comportait.

Cette solution du juge de première instance démontre les abus auxquels le référé précontractuel pouvait conduire avant la reconnaissance de son caractère nécessairement subjectif. En effet, la communication de ces informations pouvait éventuellement porter atteinte aux intérêts des seuls concurrents des sociétés requérantes, en raison de la divulgation potentielle de leurs secrets industriels et commerciaux. En revanche, pour ces sociétés requérantes, cette communication ne pouvait que leur être bénéfique (c'est la raison pour laquelle elles l avaient demandée). Il était donc pour le moins stupéfiant qu'elles puissent parvenir à faire annuler la procédure en se fondant sur cette communication qu'elles avaient elles-mêmes sollicitée à leur profit ! Si l'arrêt "Smirgeomes", puis l'ordonnance du 7 mai 2009, n'avaient pas posé l'exigence que le requérant démontre avoir été lésé par le manquement invoqué afin que la procédure soit annulée, il aurait suffit, pour les opérateurs économiques, de toujours demander le rapport d'analyse des offres en espérant, malgré la jurisprudence du Conseil d'Etat alors en vigueur (5), auquel le pouvoir adjudicateur répondrait favorablement (6), pour ensuite saisir le juge du référé précontractuel avec la certitude d'obtenir l'annulation de la procédure.

II - Un aménagement de la jurisprudence relative à la communication de l'analyse des offres

La jurisprudence du Conseil d'Etat évolue, avec l'arrêt commenté, sur la question de la communication de l'analyse des offres qui devient possible après la sélection desdites offres (A). Cette jurisprudence n'est pas, toutefois, sans susciter certaines interrogations (B).

A - La communication de l'analyse des offres après leur sélection

La communication de l'analyse des offres peut être cruciale pour un candidat évincé afin de pouvoir examiner si son offre et celles de ses concurrents ont été jugées conformément aux documents de la consultation, et sur un même pied d'égalité. Certes, le rejet de son offre sera motivé, comme l'impose l'article 80 du Code des marchés publics. Mais la motivation sera succincte. Pour en savoir plus, ce candidat malheureux peut, sur le fondement de l'article 83 du même code (N° Lexbase : L9821IEH), demander "les motifs détaillés du rejet de sa candidature ou de son offre et [sauf si son offre a été jugée inappropriée, irrégulière ou inacceptable] les caractéristiques et les avantages relatifs de l'offre retenue, ainsi que le nom du ou des attributaires". Mais il ne saura toujours pas comment son offre a été jugée par rapport aux autres, seule la prise de connaissance de l'analyse des offres lui donnera cette information. Le problème est que ce droit à la transparence heurte le droit au secret commercial. Il est, en effet, légitime qu'une société qui présente une offre dans le cadre d'une procédure de mise en concurrence ne voit pas toutes les caractéristiques de sa structure et de son offre dévoilées à ses concurrents. C'était donc de manière logique que, dans un arrêt du 20 octobre 2006, "Syndicat des eaux de la Charente-Maritime" (CE 2° et 7° s-s-r., 20 octobre 2006, n° 278601, Syndicat des eaux de la Charente-Maritime N° Lexbase : A9534DRK), le Conseil d'Etat avait jugé que le pouvoir adjudicateur ne peut pas communiquer à un candidat évincé des informations sur le prix et le délai d'exécution proposés par les autres candidats sans fausser les règles du jeu de la concurrence.

Assurément, par l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat revient sur cette jurisprudence. Ce n'est pas un revirement, puisqu'il considère encore que l'analyse des offres (et donc les renseignements du type prix et délais proposés) ne peut pas être communiquée tant que la sélection des offres n'a pas eu lieu. Mais c'est pour le moins une précision de taille qui est apportée : désormais, cette communication peut intervenir après cette sélection puisque, selon la Haute assemblée, ladite communication n'est alors "plus susceptible de l'affecter et ne [peut] ainsi altérer la concurrence entre les entreprises candidates à l'attribution du marché". Cette conclusion manque peut-être de nuances.

B - Une communication sans préjudice ?

En effet, une telle communication peut encore, à notre avis, altérer la concurrence entre les entreprises concernées. Certes, ce ne sera plus le cas dans le cadre du marché en cause, puisque la sélection des offres a déjà été réalisée, sauf si la procédure est annulée pour une autre raison et que ces entreprises doivent présenter une nouvelle offre. Il est alors fort probable que les caractéristiques avantageuses de l'offre qui avait été retenue soient reprises, dans la mesure du possible, par tous les autres candidats. Surtout, une telle communication est préjudiciable pour les concurrents du requérant puisque celui-ci va pouvoir utiliser les informations ainsi recueillies, soit dans le cadre d'autres mises en concurrence, soit pour ajuster son offre sur le marché économique concerné. Il est donc possible d'être surpris par la nouvelle position du Conseil d'Etat qui fait fi des réalités du combat commercial entre opérateurs économiques, ces derniers pouvant parfaitement formuler une demande de communication de l'analyse des offres uniquement pour suivre l'évolution de leurs concurrents, marché public après marché public.

Le Conseil d'Etat s'éloigne ainsi de la position de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) qui continue d'estimer que si, en principe, le détail de l'offre de l'entreprise attributaire peut être communiqué (7) (ce qui est indispensable pour assurer une transparence des conditions dans lesquelles le marché sera exécuté), en revanche le détail des offres des candidats dont l'offre n'a pas été retenue, n'a pas à l'être (8). L'analyse des offres ne peut donc être communiquée qu'à condition que les informations susceptibles de fausser le jeu de la concurrence (selon le cas d'espèce : les moyens techniques des candidats, les délais proposés, le descriptif des variantes proposées...) soient occultées, sans considération du moment où intervient cette communication, que ce soit avant ou après la sélection des offres. L'on peut regretter que le Conseil d'Etat n'ait pas jugé utile de suivre l'analyse de la CADA.


(1) Voir les nouvelles dispositions (CJA, art. L. 551-1 N° Lexbase : L1591IEN et suivants, et R. 551-1 N° Lexbase : L9813IE8 et suivants) issues de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3), et du décret n° 2009-1456 du 27 novembre 2009, relatif aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L9773IEP), applicables pour les procédures lancées à partir du 1er décembre 2009.
(2) CE Contentieux, 3 novembre 1995, n° 157304, CCI de Tarbes et des Hautes-Pyrénées (N° Lexbase : A6724AND), Recueil, p. 394, et la nouvelle rédaction de l'article L. 551-1 applicable aux contrats pour lesquels une procédure a été lancée à compter du 1er décembre 2009.
(3) Voir la rédaction de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative.
(4) Etant précisé que l'ordonnance cassée par le Conseil d'Etat a été rendue le 2 juillet 2007, soit plus d'un an avant l'intervention de l'arrêt "Smirgeomes".
(5) CE 2° et 7° s-s-r., 20 octobre 2006, n° 278601, Syndicat des eaux de la Charente-Maritime (N° Lexbase : A9534DRK), n° 278601, AJDA, 2006, p. 2287 et s., note J.-D. Dreyfus. Selon cet arrêt, la transmission à un candidat évincé d'une analyse des offres des autres candidats fausse l'application des règles de la concurrence. Voir infra l'analyse de cette solution, à laquelle l'arrêt commenté met fin.
(6) Dans la pratique, les pouvoirs adjudicateurs (même les plus importants) étaient nombreux à méconnaître l'arrêt du 20 octobre 2006, et continuaient à transmettre l'analyse des offres.
(7) Pour une présentation générale de la position de la CADA et, notamment, des exceptions à ce principe par exemple pour les marchés dits répétitifs, voir son rapport d'activité 2008, p. 28 et s..
(8) Voir, par exemple, avis n° 20092543-EV du 31 juillet 2009.

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Baux commerciaux

[Chronique] La Chronique des baux commerciaux de Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris - Décembre 2009

Lecture: 10 min

N7144BMK

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique en droit immobilier de Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris et Directeur scientifique de l’Ouvrage "baux commerciaux". Sont à l'honneur, ce mois-ci, trois arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 9 décembre 2009, tous promis aux honneurs du Bulletin : le premier arrêt, d'abord, retient qu'en présence d'un bail stipulant un usage d'habitation, l'autorisation accordée par le bailleur au preneur d'affecter l'une des pièces de la maison louée à l'exercice d'une activité de coiffure afin de requérir l'autorisation administrative nécessaire et sous la réserve exprimée que cet accord ne modifiât pas la nature de la location, ne fait que régulariser une situation administrative sans modifier les rapports contractuels entre le bailleur et le preneur ; le deuxième arrêt, ensuite, énonce le principe selon lequel l'usufruitier d'un immeuble à usage commercial donné à bail a le pouvoir de refuser seul le renouvellement de ce bail ; et le troisième arrêt, enfin, consacre le principe selon lequel la nécessité d'effectuer des travaux de remise en état de l'immeuble dont le coût excède la valeur de la chose louée s'assimile à une destruction totale de cette dernière.

  • Sur la portée d'une autorisation de changement de destination (Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-18.038, FS-P+B N° Lexbase : A4403EPR)

En présence d'un bail stipulant un usage d'habitation, l'autorisation accordée par le bailleur au preneur d'affecter l'une des pièces de la maison louée à l'exercice d'une activité de coiffure afin de requérir l'autorisation administrative nécessaire et sous la réserve exprimée que cet accord ne modifiât pas la nature de la location, ne fait que régulariser une situation administrative sans modifier les rapports contractuels entre le bailleur et le preneur.
Tel est l'enseignement issu d'un arrêt rendu le 9 décembre 2009 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

En l'espèce, avait été donnée à bail une maison à usage d'habitation par acte du 8 juillet 1991. Par arrêté du 29 janvier 1996, le préfet avait autorisé le preneur à affecter à usage de salon de coiffure une pièce de l'immeuble loué. Le bailleur avait, ensuite, délivré au locataire un congé pour vendre à effet au 31 juillet 2006. Ce dernier a contesté en justice la validité du congé, soutenant être bénéficiaire d'un bail commercial.
A cette fin, le preneur s'appuyait sur l'autorisation donnée par le bailleur d'affecter l'une des pièces de la maison louée à l'exercice d'une activité de coiffure. Il est vrai, sans égard aux modalités et conditions selon lesquelles cet accord avait été donné, qu'une telle autorisation pouvait être interprétée comme valant modification amiable de la destination contractuelle. Le bail serait alors devenu mixte à usage d'habitation et commercial. Un tel bail est commercial pour le tout et soumis dans sa totalité aux dispositions du statut des baux commerciaux (en ce sens, Cass. civ. 3, 13 juin 1968, n° 66-12.134, Epoux Boireau c/ Dudognon N° Lexbase : A1000AUL ; Cass. civ. 3, 16 octobre 1974, n° 73-13.720, Epoux Bosc c/ Epoux Tournier N° Lexbase : A7067AGT ; Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-14.322, Etablissement Belmont Voyages Marco Polo c/ Madame Mazo N° Lexbase : A1844ACB). Ces dispositions sont en effet applicables "aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce" (C. com., art. L. 145-1 N° Lexbase : L2327IBS).

Seul un accord des parties pourrait valablement modifier la destination des lieux loués qui doit être déterminée en fonction des stipulations du bail et non de l'activité effectivement exercée par le preneur dans ces derniers (Cass. civ. 3, 5 février 1970, n° 68-12.317, Consorts Dijol c/ Fouchard N° Lexbase : A8328AHW ; Cass. civ. 3, 11 juin 1976, n° 75-12.809, Feuerbach c/ Epoux Witterkoer N° Lexbase : A7132AGA).
En conséquence, si l'exercice par le preneur d'une activité commerciale ou artisanale alors que la destination du bail est l'habitation ne peut entraîner l'application du statut des baux commerciaux, en revanche, l'exercice d'une telle activité pourrait entraîner l'application de ce statut si le bailleur l'a autorisée, sans que ce dernier puisse a priori se réfugier ensuite derrière la destination initiale pour échapper à l'application d'un statut locatif d'ordre public.

La question posée par l'arrêt rapporté était celle de la détermination de la portée de l'accord que semblait avoir donné le bailleur. La Cour de cassation, reprenant la motivation des juges du fond, relève que le bailleur n'avait accordé une autorisation d'affecter une pièce de la maison louée à l'exercice d'une activité de coiffure que pour requérir l'autorisation administrative nécessaire et sous la réserve exprimée que cet accord ne modifiât pas la nature de la location qui demeurait exclusivement à usage d'habitation. Elle précise, également, que l'autorisation accordée en vertu de l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L2362IB4), qui présente un caractère personnel et limitée dans sa durée, ne pouvait modifier l'affectation principale et originelle du bâtiment. La Haute cour approuve en conséquence les juges du fond d'en avoir déduit que l'autorisation donnée par le bailleur d'exercer une activité "professionnelle" dans le logement n'avait fait que régulariser une situation administrative sans modifier les rapports contractuels entre le bailleur et le preneur.
Cette motivation n'est pas totalement convaincante. En effet, il semble difficile de pouvoir logiquement affirmer que l'autorisation du bailleur d'affecter les locaux à un usage autre que l'habitation puisse n'avoir que pour objet de régulariser une situation administrative sans entraîner une modification de la destination du bail.

Si la Cour de cassation opère une distinction entre les deux champs de réglementation, celui, privé, qui régit les rapports bailleur/preneur et celui relatif à la police de l'affectation des locaux, qui concerne en premier lieu l'Administration, les conséquences tirées de cette distinction sont critiquables.
En effet, dans les rapports entre preneur et bailleur, et au regard des accords conclus entre les parties relatifs à la destination des locaux, l'exercice d'une activité peut être autorisé ou non. Indépendamment de cette question, l'exercice de cette même activité peut être conforme ou non à la règle de l'interdiction du changement d'usage des locaux à usage d'habitation (CCH, art. L. 631-7). Les deux réglementations sont, dans une certaine mesure, indépendantes.

Il est vrai, comme l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, que l'existence d'une autorisation administrative afin d'affecter les locaux à un usage autre que l'habitation ne peut modifier "l'affectation" de ces derniers (compte tenu de la question posée, le terme "affectation" semble utilisé ici dans le sens de "destination"). En revanche, et pour les mêmes raisons, il semble difficile de pouvoir affirmer que l'autorisation accordée d'exercer une activité artisanale dans les locaux puisse avoir pour seul objet de régulariser la situation administrative. En effet, étant rappelé que le bail est à l'origine à usage d'habitation, soit le bailleur autorise ensuite l'exercice d'une activité autre que l'habitation, soit il ne l'autorise pas, mais il ne peut l'autoriser pour la seule régularisation d'une situation administrative qui impliquerait au préalable la conformité de l'activité au regard de la destination du bail.

Les modalités selon lesquelles l'accord avait été donné peuvent expliquer la solution retenue car le bailleur avait autorisé l'exercice de l'activité de coiffure à la condition que la location demeure exclusivement à usage d'habitation. Cependant, la portée d'un tel accord est critiquable car le bailleur autorise alors une activité... tout en l'interdisant. Cette autorisation limitée et contradictoire pourrait s'analyser en une fraude à la loi dans la mesure où il pourrait être soutenu qu'elle a pour but d'éluder l'application du statut des baux commerciaux dont les dispositions essentielles sont d'ordre public.

  • L'usufruitier peut refuser seul le renouvellement d'un bail commercial (Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-20.512, FS-P+B N° Lexbase : A4470EPA)

L'usufruitier d'un immeuble à usage commercial donné à bail a le pouvoir de refuser seul le renouvellement de ce bail.
Tel est le principe énoncé par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 9 décembre 2009 promis aux honneurs du Bulletin.

En l'espèce, le locataire de locaux à usage commercial, dont la propriété était démembrée entre des nu-propriétaires et un usufruitier, avait, par acte du 28 septembre 2001, notifié à ce dernier, tant en son nom personnel que comme représentant des nu-propriétaires, une demande de renouvellement du bail venu à échéance le 30 septembre 2000. L'usufruitier, par acte du 23 novembre 2001, avait refusé le renouvellement du bail et offert le paiement d'une indemnité d'éviction. Sur requête en référé des nus-propriétaires et de l'usufruitier, un expert avait été désigné pour réunir les éléments nécessaires à la fixation de l'indemnité d'éviction. Le locataire avait ensuite assigné les bailleurs en paiement de l'indemnité d'éviction. L'un des nu-propriétaires a alors invoqué la nullité de la demande de renouvellement qui ne lui avait pas été notifiée.

Aux termes de l'article 595, alinéa 4, du Code civil (N° Lexbase : L3176ABA), "l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d'accord du nu-propriétaire, l'usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte". L'accord du nu-propriétaires est donc exigé, aux termes mêmes de ce texte, lors de la conclusion d'un bail commercial. La Cour de cassation a jugé que cet accord était également nécessaire pour le renouvellement du bail (Cass. civ. 3, 24 mars 1999, n° 97-16.856, Epoux Kilmann c/ M. Bulgarelli et autres N° Lexbase : A0256AUZ). L'absence d'accord du nu-propriétaire est sanctionnée, en principe, par une nullité relative ne pouvant être invoquée que par le nu-propriétaire (Cass. civ. 3, 14 novembre 2007, n° 06-17.412, FS-P+B N° Lexbase : A9551DZR), étant précisé que seul l'usufruitier est tenu de s'assurer du concours du nu-propriétaire (Cass. civ. 3, 16 avril 2008, n° 07-12.381, FS-P+B N° Lexbase : A9679D7M).
La Cour de cassation a consacré une interprétation stricte de ces dispositions et dans la mesure où elles ne visent que la conclusion d'un bail rural ou commercial, cette dernière a jugé qu'un usufruitier pouvait seul délivrer un congé au preneur d'un bail rural (Cass. civ. 3, 29 janvier 1974, n° 72-13.968, Sasseigne c/ Lacalez N° Lexbase : A9761AGM).

En l'espèce, l'usufruitier n'avait pas délivré directement seul un congé mais avait refusé le renouvellement à la suite d'une demande de renouvellement formée par le preneur, comme l'y autorise l'article L. 145-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L2308IB4). Les juges du fond avaient considéré que l'acte de refus de renouvellement était nul car il était subséquent à une demande de renouvellement elle-même nulle. Leur décision est censurée au motif, tout d'abord, que l'usufruitier d'un immeuble à usage commercial a le pouvoir de délivrer seul un congé au preneur. Est ainsi confirmée la solution énoncée dans un arrêt déjà ancien (Cass. civ. 3, 29 janvier 1974, n° 72-13.968, préc.) et appliquée, cette fois, dans le cadre d'un bail commercial. La Cour de cassation affirme ensuite que le refus de renouvellement a les mêmes effets qu'un congé. Il est vrai en effet qu'un refus de renouvellement, sous entendu ici en réponse à une demande de renouvellement, met fin, à l'instar d'un congé, au bail. Cette règle, consacrée par la jurisprudence (voir en ce sens, Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-21.806, Société Sécurité Pierre c/ Société Merval N° Lexbase : A0794ACE), a été expressément consacrée par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR) qui a modifié l'article L. 145-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2243IBP).

En conséquence, si l'usufruitier peut délivrer seul un congé refusant le renouvellement, il peut également, seul, refuser le renouvellement en réponse à une demande de renouvellement.

  • Sur la notion de destruction totale de la chose louée (Cass. civ. 3, 9 décembre 2009, n° 08-17.483, FS-P+B N° Lexbase : A4396EPI)

La nécessité d'effectuer des travaux de remise en état de l'immeuble dont le coût excède la valeur de la chose louée s'assimile à une destruction totale de cette dernière.
Telle est la solution énoncée par un arrêt rendu le 9 décembre dernier par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

En l'espèce, le locataire de locaux à usage commercial et d'habitation avait assigné le propriétaire des ces derniers aux fins d'obtenir sa condamnation à réaliser des travaux de remise en état et à lui payer des dommages et intérêts pour trouble de jouissance. Le propriétaire avait assigné le locataire en résiliation de bail pour perte totale de la chose louée. Après jonction des instances, les juges du fond ont débouté le propriétaire de sa demande de résiliation au motif que bien que les locaux présentent des désordres quant à l'étanchéité de la toiture, l'état de la plomberie, l'installation électrique et la présence de parasites du bois, il n'en ressortait pas une destruction totale, les locaux étant toujours utilisés. Toujours selon les juges du fond, le bailleur ne pouvait, en outre, solliciter la résiliation du bail pour perte partielle, seul le locataire disposant de cette faculté.

Il résulte en effet de l'article 1722 du Code civil (N° Lexbase : L1844ABW) que :

- "si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ;
- si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail.
Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement
".

La question en l'espèce portait sur la notion de "chose détruite en totalité". Les premiers juges avaient retenu une conception fondée uniquement sur la possibilité ou l'impossibilité d'utiliser la chose louée. La motivation du reste peut étonner compte tenu de l'importance des désordres. Une chose est d'utiliser les locaux, une autre est l'état de ces derniers et les conditions de cette utilisation. Cette approche, en ce qu'elle est exclusive, est censurée. Rappelant une solution qu'elle avait déjà énoncée, la Cour de cassation reproche aux juges du fond de n'avoir pas recherché, alors que le bailleur l'invoquait, si le coût des travaux de remise en état de l'immeuble loué n'excédait pas sa valeur. A la destruction totale de la chose louée, il convient en effet d'assimiler, certes, l'impossibilité absolue et définitive d'user de la chose louée conformément à sa destination, mais également la nécessité d'effectuer des travaux dont le coût excède la valeur de cette chose (Cass. civ. 3, 2 juillet 2003, n° 02-14.642, Société Les Ateliers de construction du Nord de la France (ACNF) c/ Société Technirevise-Cps France, FP-P+B N° Lexbase : A0383C93).

Même si en l'espèce, la cour de renvoi conclut à la nécessité de travaux de remise en état dont le coût serait supérieur à la chose louée, il incombera au bailleur, qui entend maintenir sa demande de résiliation sans indemnité, de prouver que la destruction totale est liée à un cas fortuit. S'il a été jugé que la vétusté peut s'assimiler à un cas fortuit (Cass. civ. 3, 7 juin 2000, n° 98-20.379, M. Paul Moula c/ Mme Simone Pierre N° Lexbase : A9365ATZ), c'est à la condition qu'il n'y ait pas une faute ou de défaut d'entretien imputable au bailleur (Cass. civ. 3, 3 octobre 1978, n° 77-11.120, SARL des Entreprises Bruno Rostand c/ Garzino N° Lexbase : A7299AGG).

Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l’Ouvrage "baux commerciaux"

newsid:377144

Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Régime mère-fille : impossibilité de se prévaloir du régime de l'article 145 du CGI en cas de démembrement des titres de participation

Réf. : CAA Nancy, 4ème ch., 19 octobre 2009, n° 07NC01201, Société Roc 2001 (N° Lexbase : A2349EMX)

Lecture: 3 min

N7048BMY

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

La loi fiscale (CGI, art. 145 N° Lexbase : L8238IET et art. 216 N° Lexbase : L3998HLN ; instruction du 19 mars 2007, BOI 4 H-3-07 N° Lexbase : X8327ADR) permet à une société qui détient, pendant deux ans, au moins 5 % du capital d'une autre société (1), quelle que soit sa forme juridique, de ne pas inclure dans sa base imposable les dividendes versés par la filiale évitant -presque- ainsi une double imposition ; cette dernière s'élevant en fait à 1,67 %. En effet, la société mère va déduire sur la 2058-A (2) la somme perçue minorée d'une quote-part de frais et charges de 5 % qui reste soumise à l'IS, sauf si elle a opté pour le régime distinct de l'intégration fiscale (3) (CGI, art. 223 B N° Lexbase : L5534H9T).
Le charme de l'usufruit ne pouvait laisser indifférent les juristes et les fiscalistes : les titres démembrés sont-ils éligibles au régime mère-fille ?

Au cas d'espèce, la société requérante avait pour objet la gestion de titres. La vérification de comptabilité menée pour la période courant de 2001 à 2003 a mis en évidence que, s'agissant de la détention des titres de sa filiale, la société Roc 2001 en détenait 5,83 % en pleine propriété et 83,08 % en usufruit. En conséquence, l'administration fiscale a remis en cause l'option pour l'application du régime mère-fille et a réintégré les produits financiers correspondant aux titres détenus en usufruit.

Le tribunal administratif (TA Besançon, 26 juin 2007, n° 0500907, Société Roc 2001, N° Lexbase : A5210EMW) et la cour administrative d'appel vont juger que les titres détenus en usufruit n'ouvrent pas droit au régime mère-fille. La jurisprudence (CAA Douai, 2ème ch., 7 décembre 2004, n° 00DA01085, SA Sana N° Lexbase : A9602DED) avait, déjà, statué dans le même sens, en relevant que l'usufruitier des titres sociaux ne pouvait participer qu'aux seules assemblées générales ordinaires (4) puisque le nu-propriétaire est titulaire du droit de vote dans les assemblées générales extraordinaires (5) (C. com., art. L. 225-110, N° Lexbase : L5981AID) de sorte que l'application du régime mère-fille devait être écartée.

Selon la doctrine administrative, pour pouvoir prétendre à ce régime dérogatoire, les titres doivent comporter un droit aux dividendes et un droit de vote car l'administration fiscale a précisé la philosophie de ce système qui ne peut bénéficier qu'aux "sociétés qui participent de manière active à la gestion de leur filiale par l'exercice du droit de vote" (Doc. adm. 4 H 2112, 1er mars 1995, § 70). C'est, d'ailleurs, ce point qui est relevé par le tribunal administratif de Besançon, lorsque le jugement énonce que "la société requérante n'était donc [pour les titres détenus en usufruit] ni détentrice de leur pleine propriété ni de l'entier droit de vote". Pour une autre cour administrative d'appel (CAA Nancy, 2ème ch., 1er août 2008, n° 06NC00586, Société Participasanh N° Lexbase : A8779D9Z), il est parfaitement indifférent que l'usufruitier soit statutairement attributaire du droit de vote tant aux assemblées générales ordinaires qu'extraordinaires de sorte que le démembrement du droit de propriété entraîne systématiquement le rejet du bénéfice du régime mère-fille, alors même que, selon les faits relatés dans cet arrêt, l'associé pouvait participer pleinement à la vie sociale de la société.

Pour autant le débat est-il clos ? Il semble que ce soit le cas, si l'on se réfère à l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes qui a adopté la même solution que celles rendues par les juridictions françaises en ce sens que la notion de participation doit s'entendre, au regard de la Directive du 23 juillet 1990 (Directive 90/435/CEE, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents N° Lexbase : L7669AUL), comme ne comprenant pas les titres détenus en usufruit (CJCE, 22 décembre 2008, aff. C-48/07, Etat belge - Service public fédéral Finances c/ Les Vergers du Vieux Tauves SA N° Lexbase : A9981EBB). Mais, certaines juridictions du fond sont rentrées en résistance : ainsi, le tribunal administratif de Paris vient de décider, d'une part, qu'un nu-propriétaire a la qualité d'associé permettant de profiter du régime mère-fille ; et, d'autre part, que les auteurs de l'article 54 de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L3720HZS) ont excédé leur compétence en ce qu'ils ont exigé la détention en pleine propriété des titres sociaux (TA Paris, 1ère ch. sect. 1, 8 juillet 2009 n° 04-17286, n° 08-3363, Société Sof-Invest). Enfin, l'administration fiscale (instruction du 19 mars 2007, BOI 4 H-3-07, § 4 (6) et § 29 (7), N° Lexbase : X8327ADR) a rapporté l'exigence d'un droit de vote attaché à chaque participation de sorte que les faits exposés lors du contentieux opposant la société Roc 2001 et l'administration fiscale trouveraient, si les distributions avaient eu lieu au cours des exercices clos à compter du 31 décembre 2005 (8), une issue différente.


(1) Il existe des dispositions particulières concernant les banques mutualistes.
(2) Ligne XA.
(3) Le régime de l'intégration fiscale permet à une société intégrante "se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice" (CGI, art. 223 A N° Lexbase : L3718IAX) ; les sociétés intégrées étant alors tenues, à titre de garantie, à hauteur de l'impôt qu'elles auraient acquitté si elles n'avaient pas été intégrées.
(4) "Le droit de vote attaché à l'action appartient à l'usufruitier dans les assemblées générales ordinaires et au nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires".
(5) V., également, P. Merle et A. Fauchon, Droit commercial Sociétés commerciales, Dalloz, coll., Précis, 12ème édition, 2008, p. 325 et s.
(6) "Les produits des titres de participation sans droit de vote peuvent bénéficier du régime des sociétés mères et filiales dès lors que la société détient par ailleurs des titres représentatifs d'au moins 5 % du capital et 5 % des droits de vote de la société émettrice".
(7) "Cette mesure est applicable aux distributions effectuées au cours des exercices clos à compter du 31 décembre 2005".
(8) V. l'exemple exposé dans l'instruction du 19 mars 2007 précitée, § 28.

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Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit : application de la jurisprudence "Société Getecom"

Réf. : CAA Paris, 9ème ch., 24 septembre 2009, n° 07PA03770, Société Compagnie HLB (N° Lexbase : A9106EM9)

Lecture: 2 min

N7050BM3

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 07 Octobre 2010

L'arrêt "Société Compagnie HLB" nécessite que l'on rappelle d'un trait le contexte dans lequel s'est développé ce contentieux opposant les contribuables à l'administration fiscale : lorsque cette dernière rectifie le bilan en augmentant l'actif ou en diminuant le passif, l'actif net est majoré d'autant ce qui entraîne une imposition en application des dispositions du Code général des impôts (CGI, art. 38-2 N° Lexbase : L3699ICY) prévoyant que le bénéfice net imposable est égal à la différence, pour un même exercice, entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture du bilan. Telle serait l'hypothèse d'une dette de l'entreprise inscrite au passif du bilan, alors même qu'elle serait prescrite. Cependant, il est de jurisprudence ancienne (CE 27 octobre 1958, n° 39769, RO (1) 226, BCD (2) 1959.111 ; GAJF, Dalloz, 5ème édition, 2009, p. 629 et s.) que l'administration doit corriger symétriquement les bilans successifs dans le cas où la même erreur -ou l'omission- s'y retrouverait. Pendant longtemps, la règle de la correction symétrique des bilans pouvait entraîner une absence d'imposition dans l'hypothèse d'un rattachement d'une erreur ou d'une omission à un exercice prescrit (3) jusqu'à l'instauration, en 1973, d'un butoir (CE Contentieux, 31 octobre 1973, n° 88207, N° Lexbase : A7634AYE) : c'est la règle prétorienne de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit. Cette jurisprudence, qui a souvent joué au profit de l'administration fiscale (4), autorise ainsi, par exemple, la remise en cause d'une provision ou d'un déficit reporté même au titre d'un exercice prescrit (5). En d'autres termes, elle a permis, sans intervention du législateur entre 1973 et 2004, de faire échec aux règles relatives à la prescription.


En 2004, le Conseil d'Etat décide de reconsidérer l'application de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit (6) -sans abandonner pour autant la notion de correction symétrique des bilans- par une décision remarquée sous réserve de l'absence d'erreurs ou d'omissions délibérément commises par le contribuable (7) (CE Contentieux, 7 juillet 2004, n° 230169, SARL Ghesquière Equipement N° Lexbase : A0698DD9). Cette décision ne satisfaisant pas les intérêts budgétaires de la Nation, le législateur légalisa la règle applicable antérieurement, assortie toutefois d'exceptions (8) dont un droit à l'oubli si l'erreur ou l'omission entachant l'actif net est intervenue plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit.

Le débat s'est poursuivi devant le juge de l'impôt (v. notamment : CE 3° et 8° s -s-r., 13 février 2009, n° 296117, M. Saupic N° Lexbase : A1150EDX ; CE 3° et 8° s-s-r., 30 juin 2008, n° 288314, M. Lemoine N° Lexbase : A4484D9X ; CAA Nantes, 1ère ch., 1er octobre 2007, n° 04NT00220, SA Catimini International et SA Catimini N° Lexbase : A6119DZN ; CE 9° et 10° s-s-r., 16 mai 2007, n° 290264, SA Chambouleyron N° Lexbase : A3893DW4) et un contribuable a alors invoqué, au soutien de ses prétentions, la violation de l'article premier du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Dans cette décision "Société Getecom" (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 292948, Société Getecom N° Lexbase : A3127EBG), le Haut Conseil, s'inspirant de la jurisprudence européenne (CEDH, 10 novembre 2005, req. n° 60559/00, Eeg-Slachtuis Verbist, RJF, mai 2006, n° 650 ; CEDH, 16 avril 2002, req. 36677/97, SA Dangeville N° Lexbase : A5395AYH) a reconnu qu'"à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien" pour en refuser l'application en matière d'intangibilité du bilan d'ouverture puisque l'espérance légitime n'était pas compatible avec la hâte avec laquelle les autorités publiques avaient mis très rapidement un terme au revirement jurisprudentiel issu de la décision "Ghesquière Equipement".

Au cas particulier, la cour administrative d'appel de Paris (9) applique la jurisprudence "Société Getecom" et déboute le contribuable de ses demandes dès lors que l'enchaînement des évènements démontrait que la société requérante ne pouvait utilement se prévaloir d'une espérance légitime d'obtenir le remboursement d'une partie des sommes objets de ce contentieux : en effet, le gouvernement, avant même le dépôt en novembre 2004 du projet de loi, avait déjà communiqué sur ce sujet en exprimant sa volonté de revenir sur la jurisprudence "Société Ghesquière Equipement". Ainsi, les autorités publiques ont fait un coup double : réussir à mettre un terme à une jurisprudence n'abondant pas dans le sens de leurs intérêts en recourant au législateur mais également prévenir les effets de la jurisprudence européenne en communiquant à dessein.


(1) Recueil officiel de jurisprudence fiscale (DGI).
(2) Bulletin des contributions directes (Dupont).
(3) "Votre jurisprudence antérieure à la décision du 31 octobre 1973 n'avait en général pas hésité à aller jusqu'au bout de la logique de la correction symétrique et à admettre par conséquent, la rectification d'écritures d'exercices prescrits ou amnistiés, ce qui interdisait évidemment à l'Administration d'en tirer des conséquences fiscales", concl. M. Schricke sous CE Contentieux, 13 mars 1981, n° 12508, Caisse centrale (N° Lexbase : A7037AKT), GAJF, 2003, 4ème édition, p. 586.
(4) "Il est clair, qu'en pratique, les contribuables omettent plus souvent de déclarer des produits que de déclarer des charges, de sorte que la jurisprudence du 31 octobre 1973 est nécessairement plus souvent favorable au Trésor qu'au contribuable", concl. M. Schricke sous CE Contentieux, 13 mars 1981, n° 12508, Caisse centrale, préc..
(5) CE 9° et 7° s-s-r., 28 janvier 1976, n° 77909 (N° Lexbase : A8826B8E) ; CE Contentieux, 27 juillet 1979, n° 11717 (N° Lexbase : A2343AKY) ; CE Contentieux, 20 avril 1984, n° 37050, (N° Lexbase : A2777ALG).
(6) "Considérant qu'aux termes de l'article 38-2 du Code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : Le bénéfice net imposable est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt [...]. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés' ; que lorsque les bénéfices imposables d'un contribuable ont été déterminés en application de ces dispositions, les erreurs ou omissions qui entachent les écritures comptables retracées au bilan de clôture d'un exercice ou d'une année d'imposition et entraînent une sous-estimation ou une surestimation de l'actif net de l'entreprise peuvent, à l'initiative du contribuable qui les a involontairement commises, ou à celle de l'administration exerçant son droit de reprise, être réparées dans ce bilan ; que les mêmes erreurs ou omissions, s'il est établi qu'elles se retrouvent dans les écritures de bilan d'autres exercices, doivent y être symétriquement corrigées, dès lors qu'elles ne revêtent pas, pour le contribuable qui les invoque, un caractère délibéré et alors même que tout ou partie de ces exercices seraient couverts par la prescription prévue, notamment, aux articles L. 168 (N° Lexbase : L8487AE3) et L. 169 (N° Lexbase : L5459H93) du Livre des procédures fiscales".
(7) Ce dernier aspect étant conforme à sa jurisprudence antérieure : "Considérant qu'il est constant que, d'une part, la société requérante avait augmenté la valeur de son actif net comptable à la clôture des exercices antérieurs à 1964, notamment à la clôture de l'exercice 1963, en laissant figurer à l'actif, au poste travaux en cours', des sommes correspondant à des frais de fabrication supportés au cours de l'exercice et constituant purement et simplement des charges d'exploitation de l'exercice ; que, d'autre part, la société a entrepris à partir de 1964 de résorber' ce poste ne correspondant à aucun actif réel ; qu'enfin c'est précisément la diminution du montant de ce poste de l'actif entre l'ouverture et la clôture de l'exercice 1964 qui est la cause des résultats déficitaires litigieux ; Considérant qu'il résulte de l'instruction que, comme le soutient d'ailleurs la société requérante elle-même, ce n'est pas par erreur ou inadvertance, mais au contraire volontairement, eu égard aux inconvénients de toute nature qu'aurait entraînés la mise en lumière de sa situation réelle, que la société a surestimé, au moyen du poste travaux en cours', la valeur de son actif net à la clôture de l'exercice 1963 ; qu'en raison du caractère délibérément irrégulier de ces écritures, celles-ci n'étaient pas opposables à l'administration, qui s'est donc refusée à bon droit à regarder la perte comptable résultant de la remise en ordre opérée en 1964 comme constituant un déficit reportable de cet exercice", CE Contentieux, 27 juillet 1979, n° 11717, préc..
(8) "En application du troisième alinéa du 4 bis de l'article 38, la règle de l'intangibilité du bilan ne s'applique pas en cas de correction d'omissions ou d'erreurs résultant : - de la pratique de dotations aux amortissements excessifs au regard des usages mentionnés au 2° du 1 de l'article 39 au cours de la période prescrite ; - de la passation à tort en charges au cours d'exercices prescrits de frais qui auraient dû venir majorer le coût de revient d'éléments de l'actif immobilisé ; - de la comptabilisation en charges au cours d'exercices prescrits de dépenses constitutives d'immobilisations", instruction BOI 4 A-10-06 du 29 juin 2006, § 39 (N° Lexbase : X7004ADR).
(9) La CAA indiquera, également, qu'une correction est possible si "les déficits des exercices prescrits eussent effectivement été reportés sur les résultats d'un ou plusieurs exercices non prescrits".

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