La lettre juridique n°375 du 10 décembre 2009 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le harcèlement moral n'est pas nécessairement intentionnel

Réf. : Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497, Mme Emilienne Moret, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7558ENA)

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N5940BMX

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

La Chambre sociale de la Cour de cassation, qui a repris le contrôle de la qualification du harcèlement depuis un peu plus d'un an, nous livre dans l'un des nombreux arrêts rendus le 10 novembre 2009 (1) une nouvelle pièce de la définition du harcèlement moral, qui ne suppose pas la preuve d'une intention particulière (I), ce qui doit être approuvé (II).
Résumé

Le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

I - Les éléments légaux de la définition du harcèlement moral

  • Cadre légal

L'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) dispose qu'"aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral, qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

  • Jurisprudence récente

Soucieuse de garantir sur l'ensemble du territoire national un égal traitement de ces questions, la Cour de cassation a repris, fin 2008, le contrôle de la qualification aux juges du fond (2) et tenté d'imposer des éléments de définition pour distinguer le harcèlement de notions voisines. C'est ainsi que la Haute juridiction a sanctionné le "comportement déplacé" d'un cadre qui "s'emportait et devenait violent" (3), la "succession de procédures de licenciement exercées à l'encontre" d'un salarié, qui "caractérisait un acharnement de l'employeur", qui l'avait, par ailleurs, "évincé [...] en lui diminuant ses responsabilités" (4), le fait de vider le bureau d'un salarié, de mélanger ses dossiers, de l'affecter "dans un local isolé en compagnie de deux autres agents également classés agents inadaptés" (5), de se livrer "de manière répétée et dans des termes humiliants à une critique de l'activité" d'un salarié "en présence d'autres salariés" (6), d'adresser à un salarié en arrêt maladie "de nombreuses lettres de mise en demeure injustifiées évoquant de manière explicite une rupture du contrat de travail et lui reprochant ses absences" (7), ou, encore, d'installer un salarié "avec une collègue dans un bureau aux dimensions restreintes", de l'y "laisser pour compte" et de lui confier un travail qui "se limitait à l'archivage et à des rectificatifs de photocopies" (8).

Dans la plupart des hypothèses, le débat porte sur la nature des actes litigieux, mais rarement sur la nécessité de caractériser leur caractère intentionnel. C'est donc tout l'intérêt de cet arrêt en date du 10 novembre 2009.

  • L'affaire

Dans cette affaire, une salariée avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur des faits de harcèlement moral dont elle prétendait avoir été la victime. L'examen de la jurisprudence montre clairement que le harcèlement, lorsqu'il est établi, constitue, qu'il émane, d'ailleurs, de l'employeur ou d'un salarié dont il doit légalement répondre (9), une circonstance justifiant la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur (10), ce qui se traduit par l'attribution de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (11).

Elle avait été déboutée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, celle-ci ayant considéré que les faits litigieux "s'inscrivent dans l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur, tant qu'il n'est pas démontré par la salariée qu'ils relèvent d'une démarche gratuite, inutile et réfléchie destinée à l'atteindre et permettant de présumer l'existence d'un harcèlement".

L'arrêt est cassé au motif que le harcèlement moral ne nécessite pas la preuve de l'intention de nuire au salarié.

II - Le harcèlement par bêtise logiquement sanctionné au même titre que la méchanceté

  • Une solution justifiée au regard des textes

L'affirmation nous semble, tout d'abord, pleinement justifiée au regard des textes. C'est la première fois que la Cour de cassation affirme cette solution de manière aussi évidente, même si elle avait laissé transparaître cette interprétation dans certaines décisions antérieures (12).

En visant les agissements qui ont pour "objet ou pour effet", l'article L. 1152-1 du Code du travail vise bien des comportements qui sont soit intentionnels (ont pour "objet"), soit des comportements qui ne le seraient pas, mais qui auraient exactement le même "effet" pour la victime (13). Certes, dans la plupart des hypothèses, le harcèlement est intentionnel, soit que son auteur éprouve du plaisir à voir souffrir sa victime, soit qu'il souhaite la pousser à la démission pour faire l'économie d'un licenciement. Mais il ne s'agira, parfois, que de comportements qui ne sont pas nécessairement vécus consciemment par leur auteur comme du harcèlement, mais qui s'y apparentent pourtant de fait et qui font, d'ailleurs, les mêmes ravages physiques et psychiques chez les victimes.

  • Une solution nécessaire pour protéger les victimes

La solution est donc non seulement une évidence au regard des textes, mais également une nécessité au nom de celle de protéger les salariés contre ces comportements déviants. Pour les victimes, en effet, il importe peu de savoir si l'auteur du harcèlement l'a, ou non, fait exprès, dès lors que ses actes sont objectivement déviants et qu'ils ont eu un impact désastreux sur la santé du salarié.


(1) Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 07-45.321, Association Salon Vacances Loisirs, FS-P+B (N° Lexbase : A1629ENN) et les obs. de F. Lalanne, Les méthodes de gestion d'un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral ! La Cour de cassation à l'aune du harcèlement "managérial"..., Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5838BM8) ; Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-42.286, M. Mohamed Abdoulattuf, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1902ENR) et les obs. de Ch. Willmann, De la modification du prénom comme pratique discriminatoire, Lexbase Hebdo n° 373 du 26 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4725BMX) ; Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-42.849, Mme Ginette Borruto c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF), service gestionnaire, FS-P+B (N° Lexbase : A2061ENN) et nos obs., L'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés, Lexbase Hebdo n° 373 du 26 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4664BMP).
(2) Cass. soc., 24 septembre 2008, 6 arrêts, n° 06-46.517 (N° Lexbase : A4541EAG), n° 06-45.747 (N° Lexbase : A4540EAE), n° 06-45.579 (N° Lexbase : A4539EAD), n° 06-43.504 (N° Lexbase : A4538EAC), n° 06-46.179 (N° Lexbase : A4854EAZ) et n° 06-43.529 (N° Lexbase : A4841EAK) et nos obs., Principe 'à travail égal, salaire égal', égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3848BHY).
(3) Cass. soc., 10 février 2009, n° 07-44.953, Société Kohler France, F-D (N° Lexbase : A1300EDI).
(4) Cass. soc., 19 mai 2009, n° 07-41.084, Société nationale immobilière (SNI), F-D (N° Lexbase : A1863EHH).
(5) Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-43.947, M. Alain Moy, F-D (N° Lexbase : A2923EI4).
(6) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-41.638, Société Distribution Casino France, F-D (N° Lexbase : A7535EIW).
(7) Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 08-40.034, Société La Brioche dorée, F-D (N° Lexbase : A7498EIK).
(8) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-42.849, préc..
(9) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, M. Jacques Balaguer, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9600DPA) et nos obs., L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 12 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N0835ALI) ; Dr. soc., 2006, p. 826.
(10) Cass. soc., 10 décembre 2003, n° 01-45.123, Société Garage Paris Villette c/ Mlle Valérie Ménard, F-D (N° Lexbase : A4291DA8).
(11) Cass. soc., 20 janvier 1998, Leudière, D., 1998, p. 350, note Ch. Radé.
(12) Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-43.947, M. Alain Moy, F-D (N° Lexbase : A2923EI4). Dans cette affaire, la cour d'appel avait débouté la salariée après avoir retenu, notamment, que les faits reprochés à l'employeur "devaient être la conséquence d'une volonté réitérée [...] se manifestant par des éléments identifiables par le juge et portant atteinte à la dignité de la personne en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant, offensant". Or, cette décision avait été cassée, la Haute juridiction considérant implicitement le harcèlement comme établi sur la base du seul constat du comportement de l'employeur, la salariée ayant "retrouvé, sans en avoir été prévenu, son bureau vidé, ses dossiers mélangés et qu'il s'était vu affecté dans un local isolé en compagnie de deux autres agents également classés agents inadaptés".
(13) En ce sens, B. Lapérou-Schenedider, Les mesures de lutte contre la harcèlement moral, Dr. soc., 2002, p. 313.


Décision

Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497, Mme Emilienne Moret, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7558ENA)

Cassation CA Aix-en-Provence,17ème ch., 17 décembre 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) et L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K)

Mots clef : harcèlement ; élément intentionnel ; caractère non nécessaire

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