La lettre juridique n°375 du 10 décembre 2009

La lettre juridique - Édition n°375

Éditorial

Haro sur le management sans ménagement : retour sur le "petit Fayol illustré"

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N5969BMZ

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Anagramme, du grec anagramma, "renversement de lettres" : construction fondée sur une figure de style qui inverse ou permute les lettres d'un mot ou d'un groupe de mots pour en extraire un sens ou un mot nouveau.

Refermons le "dico", et n'allons pas trop vite en besogne : plantons, ici bas, le décor.

A l'approche des fêtes de fin d'année, et parce que chacun garde un trait enfantin, il faut, au préalable, s'imaginer Mme Collomp, président, M. Lebreuil, conseiller rapporteur, Mme Mazars, conseiller doyen, MM. Bailly, Chauviré, Blatman, Béraud, Gosselin, Frouin, conseillers, Mme Grivel, M. Rovinski, conseillers référendaires, M. Aldigé, avocat général, et Mme Mantoux, greffier de chambre, toutes têtes pensantes de la Justice française, s'échanger quelques bouts de papier, durant cette audience interminable du 10 novembre 2009, dans cette grande salle accueillant les débats et les lectures de la Chambre sociale de la Cour de cassation, et se mettant au défi de quelques anagrammes et contrepéteries...

"Eureka" s'écrit Madame le président : si l'on remplace les "a" du mot manager par des "é" on retrouve dans le premier cas mé(a)nager, en référence au ménage et au ménagement ; et dans le second cas manè(a)ger en référence au manège. Et voici que, de retour aux sources, le management, science de l'organisation des toutes les ressources d'une entreprise concourant à la réalisation d'un objectif professionnel, traverse à nouveau la Manche, quittant les abords de la perfide Albion, retrouvant ses lettres de noblesse pétries de valeurs morales. Enfin quoi, si le mot management vient de l'italien maneggiare qui signifie contrôler, manier, avoir en main (en latin manus), il a certainement été influencé par le mot français "ménager", dont le sens au XVIème siècle était de conduire son bien, sa fortune avec raison et ménagement !

Ni une, ni deux, le management doit retrouver le chemin des concepts modernes de gestion, sans ménagement... ou plutôt si. Il convient, à travers une série d'arrêts récents, de convenir que management et ménagement ne font qu'un, aux risques et périls de l'employeur qui, plus attaché à la Roue de Deming et autre Plan-Do-Check-Act, qu'à la gestion des rapports humains, avait fini par s'embourber dans le sillon d'un concept aux contours toujours mal définis : le harcèlement moral... le mot est lâché !

Pour Henri Fayol, le père de ce management moderne à la française, l'administrateur doit prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler. On croirait presque lire, ici, la définition du pouvoir de direction de l'employeur... Mais, kaléidoscope oblige, pour le même Fayol, il s'agit pour le gestionnaire d'avoir une connaissance approfondie de son personnel ; d'éliminer les incapables ; de bien connaître les conventions qui lient l'entreprise et ses agents ; de donner le bon exemple ; de faire des inspections périodiques du corps social ; de réunir ses principaux collaborateurs en des conférences où se préparent l'unité de direction et la convergence des efforts ; de ne pas se laisser absorber par les détails ; et de viser à faire régner dans le personnel, l'activité, l'initiative et le dévouement.

Alors, on comprend qu'entre la téléologie du management et le rôle de manager puisse s'instaurer parfois un climat qui, si originellement il se voulait dynamique et synergique, s'avère être pesant, oppressant voire dépressionnaire. Au cumolo de l'action, de la coordination et du contrôle, s'adjoignent les professeurs nimbus de l'encadrement à coups de brimades et de dénigrements qui caractérise un état de harcèlement moral susceptible d'entraîner l'octroi de dommages et intérêts, voire une condamnation pénale de l'employeur.

Et, les juges de cassation d'aller plus loin que Nicomaque, répondant à la Rhétorique d'Aristote, "si l'intention fait la culpabilité et le délit", en matière social le harcèlement moral, dont la preuve ne pèse pas sur le salarié, est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. On a coutume de dire que "l'Enfer est pavé de bonnes intentions" ; et bien, paradoxalement, le harcèlement moral ce n'est pas l'enfer dans l'entreprise, puisqu'il n'est même plus question d'intention de nuire au salarié !

Oh ! La solution n'est pas isolée : le même jour, la Chambre sociale caractérisait un harcèlement moral d'après les méthodes de gestion consistant, pour un supérieur hiérarchique, à soumettre ses subordonnés à une pression continuelle, des reproches incessants, des ordres et contre ordres dans l'intention de diviser l'équipe, se traduisant pour le salarié par sa mise à l'écart, un mépris affiché à son égard, une absence de dialogue caractérisée par une communication par l'intermédiaire d'un tableau, ayant entraîné un état dépressif, quand bien même l'employeur aurait pu prendre des dispositions en vue de le faire cesser. En substance, un mode de management s'appliquant à l'ensemble des salariés ou une partie d'entre eux, peut-être constitutif de harcèlement et, à ce titre, engager la responsabilité de l'employeur.

Sur le terrain civil, la solution a le mérite de responsabiliser l'employeur et de l'obliger à bien considérer ses méthodes de gestion des équipes et des projets, excluant hors de l'entreprise tout machiavélisme ; car l'auteur du Prince n'écrivait-il pas "que pour être efficace il faut cacher ses intentions !" dans son Discours sur la première Décade de Tite-Live ? Désormais, seul les effets comptent, peu importe le péché originel : l'intention ou non de harceler.

Au final, lorsque Rousseau, dans son moralisme légendairement touchant, nous commande que "dans tous les maux qui nous arrivent, nous regardons plus à l'intention qu'à l'effet. Une tuile qui tombe d'un toit peut nous blesser davantage mais ne nous navre pas tant qu'une pierre lancée à dessein par une main malveillante", dans Les Rêveries du promeneur solitaire, on voit bien que ce n'est pas lui sur qui la tuile du harcèlement moral tombe...

Reste que le pragmatisme des juges de la Chambre sociale ne va pas sans embrumer les contours d'un harcèlement à la définition et, surtout, à la caractérisation bien ténébreuse : car, si d'aucuns parlaient déjà de la naissance d'un "harcèlement managérial", avec un risque de dérapage protectionniste contre le pouvoir de direction de l'employeur, d'autres feront remarquer que le harcèlement moral est, également, un délit pénal qui comme tout délit nécessite pour sa constitution que soit prise en compte... l'intention de l'auteur. Un même fait, deux caractérisations, deux sanctions différentes pour deux chambres de la Haute juridiction : rien qui n'augure une éclaircie dans les relations par trop conflictuelles entre salariés et employeurs...

Heureusement, éthique collective oblige, tout le monde se retrouvera sur la vertu de l'exemple attaché au management moderne, lorsque, en matière de "retraite chapeau" octroyée antérieurement à la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté, également le 10 novembre 2009, le pourvoi formé par l'ancien président du conseil d'administration d'un grand groupe de distribution contre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris par lequel elle avait annulé l'engagement de retraite additionnelle pris par la société à son bénéfice. La Cour retenant que, si le bilan de l'action de l'ancien président du conseil d'administration était positif, il n'était pas pour autant établi que les services dont il se prévalait, qui avaient été rendus par lui dans l'exercice de ses fonctions justifiaient l'allocation d'une rémunération venant s'ajouter à celle qu'il avait perçue au titre de ces fonctions.

Messieurs les patrons : à votre "petit Fayol illustré" ou autre Administration Industrielle et Générale. L'éthique managériale est de retour (croirait-on) !

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Avocats/Déontologie

[Evénement] Se protéger du blanchiment - conseils de prévention pour les avocats conseils en entreprise - Conférence de l'ACE et de l'HEDAC

Lecture: 7 min

N5932BMN

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Le 17 novembre 2009 s'est tenue, dans les locaux du CRFPA de Versailles, la conférence Se protéger du blanchiment : conseils de prévention, organisée par l'association des Avocats Conseils en Entreprise (ACE), en partenariat avec la Haute école des avocats conseils (HEDAC). Sous la présidence d'Emmanuelle Féna-Lagueny (avocate chez CMS Bureau Francis Lefebvre et Présidente du conseil régional ACE-Ile-de-France), les intervenants, François-Xavier Mattéoli (ancien Bâtonnier du Barreau des Hauts-de-Seine, membre du Conseil de l'ordre et avocat associé de CMS Bureau Francis Lefebvre) et William Feugère (membre du Conseil de l'ordre de Paris et avocat Associé du Cabinet Lexand) ont tout d'abord rappelé la définition du blanchiment et son régime juridique, tel que fixés par l'ordonnance du 30 janvier 2009 (1), transposant la Directive du 10 juin 1001 (2) modifiée par celle du 4 décembre 2001 (3) et la Directive du 26 octobre 2005 (4). Le cadre posé, ils ont conseillé les participants sur les moyens permettant de se prémunir contre le risque d'être associé à de tels agissements.
Tout au long de leur intervention, François-Xavier Mattéoli et William Feugère ont regretté que la déclaration de soupçon -obligation de dénonciation à la charge de l'avocat-, au centre de la procédure, soit inadaptée à la profession, qui repose sur le sacro-saint secret professionnel, mais aussi, sur l'indépendance de l'avocat et la confidentialité des échanges avec son client. Les principes essentiels régissant la profession s'accommodent d'autant plus mal de cette législation, que son champ d'application est des plus élargis, impliquant que la responsabilité de l'avocat puisse être facilement et lourdement mise en jeu. Ils ont, donc, appelé leurs confrères à la plus grande vigilance, en les sensibilisant sur le rôle du Bâtonnier et des ordres et en leur livrant les clefs d'une bonne organisation interne du cabinet.

Comprendre le blanchiment pour mieux se prémunir :

Définition : l'article 324-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9) définit le blanchiment comme étant "le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens et des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct et indirect". Le texte élargit, encore, la définition : "constitue également le blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit".

Nulle référence n'étant faite à l'intention de celui qui prête son concours, il faut considérer que le blanchiment ne suppose pas l'intention de le commettre. Or, l'avocat, de par son champ d'intervention, est particulièrement exposé aux risques de contribuer, à son insu, à un blanchiment. Ainsi, il conseille ses clients sur toutes les opérations susceptibles de le constituer (listée à l'article L. 561-3 I du Code monétaire et financier N° Lexbase : L7104IC4). Le blanchiment est, en effet, effectué :

- par le bais de placements (le "prélavage"). Les fonds illicites sont pour la première fois réinjectés dans l'économie légale (investis dans des oeuvres d'arts, des métaux précieux, etc.) ;

- par la dissimulation (le "lavage"), en multipliant les écrans (comptes bancaires, sociétés, etc.) ;

- et par l'intégration finale (l'"essorage"), via des investissements en SCAV, des activités commerciales, etc..

Les risques pour un conseil de tomber sous le coup de sévères condamnations sont donc accrus.

La lutte contre le blanchiment est articulée, de façon cohérente, sur trois niveaux :

- la prévention qui consiste à effectuer des contrôles pour éviter le risque de blanchiment ;

- la déclaration de soupçon, en cas de doute sur la provenance des fonds ;

- et, enfin, la répression.

La prévention : afin de se prémunir contre ces lourdes condamnations, l'avocat doit tout d'abord remplir un certain nombre de diligences. Il doit, notamment, vérifier l'identité de son client et celle du bénéficiaire effectif de la "relation d'affaires" (C. mon. fin., art. L. 561-5 N° Lexbase : L7211IC3). Il vérifie la réalité de celle-ci par des documents écrits probants (carte d'identité, extrait K-Bis, etc.). Il doit, également, recueillir des informations sur la nature et l'objet de la relation d'affaires qui se noue. En réalité, le professionnel doit appréhender cette relation d'affaires dans son intégralité, tout son long. Le décret du 2 septembre 2009 (6) adapte cette obligation de vigilance au risque encouru, distinguant :

- la vigilance "normale" ;

- la vigilance "allégée", lorsque le client est réputé sûr ;

- et la vigilance "renforcée", lorsque le client est chef d'Etat, notamment, ou qu'on ne l'a pas directement rencontré.

La déclaration de soupçon : l'article L. 561-15 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7202ICQ) dispose que les personnes assujetties doivent déclarer "les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme".

Ces règles s'appliquent à tous, sauf dans deux cas. Sont, en effet, exclues les seules activités :

- qui se rattachent à une procédure juridictionnelle (au sens le plus large, incluant, notamment, la médiation, l'arbitrage, etc.) ;

- et les informations recueillies à l'occasion d'une consultation juridique, à moins que le client ne souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins de blanchiment de capitaux.

Déplorant ce trop large champ d'application, François-Xavier Mattéoli s'est, aussi, inquiété de la difficulté de déterminer le moment, précisément, où l'on sort du cadre de la simple consultation et de la stigmatisation par le décret du 30 janvier 2009 (5) de nombreuses activités (informatique, téléphonie, etc.), le texte préférant énoncer des situations, plutôt que fixer un principe. Ces inquiétudes sont partagées par William Feugère, qui en a profité pour dénoncer la multiplication des perquisitions effectuées au sein des cabinets d'avocats.

La répression : le blanchiment est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende, la peine doublant, en application de l'article 324-2 du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9) (dix ans d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende), "lorsque le blanchiment est commis en utilisant les facilités que procure l'exercice d'une activité professionnelle" (6).

Le soupçon : l'avocat doit déclarer son soupçon auprès de Tracfin. Le Conseil d'Etat a, en matière bancaire, défini ce soupçon comme l'absence de certitude (7). La formule ne pouvait être plus large et il est fort à parier que la Cour de cassation se rallie à la position de la Haute juridiction administrative.

La question se pose, également, de savoir si l'avocat peut se reposer sur les diligences accomplies par les banques dans le cadre de l'opération en cause. Il n'y aurait, dès lors, plus lieu au soupçon. Bien que la Directive de 2005 permette aux Etats membres de recourir à des tiers pour l'exécution des obligations de vigilance, l'ordonnance du 30 janvier 2009 n'a pas usé de cette possibilité. Ainsi, chacun se doit d'effectuer ses propres contrôles, sous peine d'engager sa propre responsabilité.

Enfin, l'importance de la CARPA, dans le maniement des fonds, a été soulignée par William Feugère, qui conseille de recourir à ses services aussi souvent que possible, eu égard aux garanties qu'elle offre.

Le rôle des Bâtonniers et des ordres : le dispositif vise à empêcher toute relation directe de l'avocat avec Tracfin, en cas de déclaration de soupçon, faisant du Bâtonnier un filtre. Ainsi, les avocats, quand ils n'agissent pas en qualité de fiduciaire, adressent leur déclaration écrite au Bâtonnier de leur ordre, qui devra vérifier que les conditions d'une telle déclaration sont remplies.

De la même façon, Tracfin ne peut demander à un avocat la communication des pièces qu'il conserve que par l'intermédiaire du Bâtonnier de l'ordre auprès duquel il est inscrit. L'obligation de conservation porte sur les documents attestant du respect des obligations de vigilance quant à l'identité du client et quant à l'opération concernée. Elle s'étale sur une période de cinq ans à compter de la fin des relations, dans le premier cas, et à compter de l'exécution des opérations, dans le second. Ces pièces, quand elles sont demandées, sont communiquées par l'avocat à son Bâtonnier, à charge pour lui de les transmettre à Tracfin, sauf dans l'hypothèse où il estime que cette procédure n'est pas respectée. Le Bâtonnier a un rôle incontournable : Tracfin ne peut enregistrer de déclaration directe.

Enfin, les avocats sont contrôlés par les ordres, qui peuvent être assistés par le Conseil national des barreaux, afin de vérifier le respect de l'ensemble de leurs obligations. En outre, lorsque dans l'exercice de ses missions, l'ordre découvre des faits susceptibles de blanchiment, il doit prévenir le Procureur général, qui lui même informera Tracfin.

Les effets de la déclaration de soupçon : en cas de soupçon, l'avocat doit s'abstenir de poursuivre l'opération jusqu'à ce qu'il ait procédé à la déclaration.

Tracfin dispose, alors, d'un délai de vingt-quatre heures à compter de la réception de la déclaration pour s'opposer à l'exécution de l'opération. A défaut, l'opération peut être reprise. Dans l'hypothèse où Tracfin ne répond pas dans le délai accordé, l'avocat a tout de même l'obligation de se déporter, d'autant que l'omission de Tracfin peut être motivée par des raisons stratégiques (la conclusion de l'opération leur permettant d'appréhender les "gros poissons").

L'article L. 561-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7152ICU) pose le principe d'exonération de l'avocat ayant déclaré son soupçon. Ainsi, aucune peine pénale ne sera encourue pour violation du secret professionnel et aucune action en responsabilité civile ne pourra être intentée, ni aucune sanction professionnelle ne pourra être prononcée. Tout préjudice résultant d'une déclaration sera, en fait, dû par l'Etat. Mais, William Feugère croit peu en l'immunité absolue, d'autant qu'en cas de concertation frauduleuse (qui sera très souvent présumée) l'exonération tombe. Il rappelle, enfin, que l'obligation de se déporter subsiste, dès lors qu'un doute existe.

Reste à déterminer si l'avocat est en droit d'informer son client de la déclaration de soupçon. La question est opportune quand le soupçon porte sur la partie dont le professionnel suspicieux n'est pas le conseil. La troisième Directive anti-blanchiment a supprimé cette possibilité. Mais, si l'avocat ne peut pas informer, il peut, pour le moins, dissuader, ce qui lui est conseillé de faire. Des dérogations à la confidentialité existent : peuvent s'informer mutuellement de l'existence d'une déclaration les avocats d'un même cabinet ou d'un même réseau et ceux qui interviennent pour un même client et pour une même opération.

Organisation des cabinets : les textes imposent aux avocats de mettre en place des procédures écrites destinées à assurer une mise en oeuvre efficace des mesures de prévention. Ils doivent, également, assurer, la diffusion de procédures et d'informations régulières à l'ensemble de leurs personnels concernés et la formation de ces derniers.

Dans le cadre de l'obligation de conservation, William Feugère recommande de constituer des dossiers à part, contenant les seuls documents relatifs à l'identité des parties et aux liens d'affaires qui se créent (ce qui n'inclut pas tous les documents d'un dossier).


(1) Cf. Ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (N° Lexbase : L6934ICS).
(2) Cf. Directive 91/308 du 10 juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (N° Lexbase : L7622AUT).
(3) Cf. Directive 2001/97 du 4 décembre 2001, modifiant la Directive 91/308/CEE du Conseil relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux (N° Lexbase : L9218A48).
(4) Cf. Directive 2005/60 du 26 octobre 2005, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (N° Lexbase : L3529HD3).
(5) Décret n° 2009-1087 du 2 septembre 2009, relatif aux obligations de vigilance et de déclaration pour la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (N° Lexbase : L6979IE9).
(6) Eventuellement, si elles sont supérieures, les peines applicables à l'infraction d'origine peuvent être prononcées.
(7) CE 6° s-s., 31 mars 2004, n° 256355, Société Nextup SA (N° Lexbase : A8078DBS).

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Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Quand le caractère exceptionnel du bien à évaluer autorise une entorse aux principes d'évaluation

Réf. : Cass. com., 27 octobre 2009, n° 08-11.362, Directeur général des finances publiques, F-P+B (N° Lexbase : A6056EMA)

Lecture: 3 min

N5900BMH

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par Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris

Le 07 Octobre 2010

Le propriétaire d'un château avec parc d'agrément et dépendances, utilisé à titre de résidence secondaire, considérait que ce dernier, pour l'assiette de l'ISF, avait une valeur de 1 690 000 francs (soit 257 638 euros). En effet, il avait fait donation à ses enfants, en 1978, de la nue-propriété de ce bien immobilier avec une clause de réserve d'usufruit avec réversion de l'usufruit à son épouse en cas de prédécès et d'une interdiction imposée aux nus-propriétaires d'aliéner et d'hypothéquer le bien pendant la vie de l'usufruitière et de son époux. A la suite d'un contrôle de valeur, le service, pour sa part, retenait une évaluation de 20 000 000 de francs (soit 3 048 980 euros). En réponse aux observations des redevables, ce montant a été ramené à 12 000 000 de francs (1 829 388 euros) pour tenir compte de l'indivision. A la suite du contentieux initié par le redevable, la cour d'appel, après avoir fixé la valeur libre du bien à 12 998 000 francs (soit 1 981 532 euros), avait appliqué successivement un abattement de 20 %, pour le caractère indivis de la nue-propriété, 15 %, pour l'existence d'une réserve d'usufruit et d'une clause d'interdiction d'aliéner et d'hypothéquer durant la vie de l'usufruitière, et 20 % pour tenir compte de l'occupation familiale du château. La Cour de cassation, dans une décision du 27 octobre 2009, promise aux honneurs du Bulletin, casse et annule cet arrêt au motif que l'existence de l'indivision sur la nue-propriété avait été prise en considération par le service des impôts, qui avait appliqué un abattement de 40 %, que la limite à la liberté de disposer de stipulée dans l'acte n'affecte pas la valeur vénale réelle, et, enfin, que seule l'occupation à titre de résidence principale justifie une décote.

1. Réserve d'usufruit et interdiction d'aliéner

Le juge ne pouvait que confirmer sa jurisprudence concernant, d'une part, la règle de l'article 885 G du CGI (N° Lexbase : L8787HLZ), et d'autre part, l'absence d'influence d'une interdiction d'aliéner. En effet, selon une décision récente (Cass. com., 20 mars 2007, n° 05-16.751, F-P+B N° Lexbase : A7392DUC ; lire nos obs. in Chronique de fiscalité du patrimoine, Lexbase Hebdo n° 279 du 1er novembre 2007 - édition fiscale N° Lexbase : N9541BCD), en matière d'ISF, les biens ou droits grevés d'un usufruit sont, sauf exceptions, compris dans le patrimoine de l'usufruitier pour leur valeur en pleine propriété. Cette décision a pour but de faire obstacle à la prise en compte du démembrement pour la détermination de cet impôt et s'oppose à l'application de tout abattement dont l'objet serait de constater une diminution de valeur du bien à raison de l'existence d'une interdiction d'aliéner. Il est vrai que, non sans pertinence, dans l'affaire examinée en 2007, la cour d'appel avait relevé que c'est le donateur qui, d'une part, avait décidé du démembrement, et, d'autre part, avait instauré une clause d'inaliénabilité pesant sur les donataires. L'administration a repris cette décision dans sa doctrine (instruction du 11 septembre 2007, BOI 7 S-4-07 N° Lexbase : X9638ADC).

2. Occupation à titre de résidence secondaire

Que ce soit au regard des droits de mutation à titre gratuit ou au regard de l'ISF, la loi fiscale (CGI, art. 764 bis N° Lexbase : L8133HLS) accorde un abattement de 20 % lorsque le bien transmis, ou détenu, est occupé à titre de résidence principale. Amené à juger de la conformité de la décision de la cour d'appel qui avait accordé un abattement de 20 % pour occupation à titre de résidence secondaire, la Haute juridiction ne manque de relever que seule une occupation pérenne permet de revendiquer cet abattement. En effet, l'utilisation d'un bien en tant que résidence secondaire suppose une occupation intermittente, non permanente. Dont acte.

3. L'"entorse" à la notion de biens comparables au regard des biens indivis

En principe, les éléments de comparaison, justifiant une sous-évaluation, doivent connaître les mêmes contraintes juridiques que le bien à évaluer. En particulier, en cas de bien détenu en indivision, ces éléments de comparaison doivent être tirés de la cession de biens indivis (Cass. com., 4 décembre 2001, n° 98-17.227, FS-D N° Lexbase : A5578AXU). Autrement dit, la valeur vénale de droits indivis diffère de la seule fraction de la valeur vénale totale du bien correspondant à la proportion des droits de l'indivisaire. Pour contester l'évaluation retenue par les parties, l'administration doit invoquer la cession de biens similaires, c'est-à-dire de droits indivis. Cette dernière a intégré cette analyse dans sa doctrine (instruction du 9 septembre 2004, BOI 7 G-6-04 N° Lexbase : X3818ACE : "pour l'appréciation de cette dernière, le caractère indivis de la pleine propriété existant préalablement à la mutation à titre gratuit doit être pris en compte par le choix en termes de comparaison afférents à des biens eux-mêmes indivis"). La solution est identique lorsque c'est le redevable de l'ISF qui entend faire prendre en compte l'indivision par voire d'abattement. Ainsi la Cour de cassation affirme que la valeur vénale d'un bien doit être déterminée de manière concrète et objective, à partir des seuls termes de comparaison tirés de la cession de biens similaires, à la date de la mutation litigieuse ou du fait taxable (Cass. com., 6 mars 2007, n° 05-21.216, F-D N° Lexbase : A5965DUH).

En conséquence de cette jurisprudence, la Cour aurait dû conclure, comme le lui le demandait le redevable, à l'annulation de la procédure concernant l'influence de l'indivision au motif que les termes de comparaison invoqués par le service ne portaient par sur la cession de droits indivis sur un immeuble exceptionnel. Ce qu'elle n'a pas fait à raison de la nature du bien à évaluer, en acceptant implicitement l'application de l'abattement de 40 % effectué par le service. Cette "entorse" au principe concernant la notion de bien similaires semble justifiée par la quasi-impossibilité de trouver des cessions de droits indivis portant sur un château. On attend la confirmation d'un maintien de sa jurisprudence par la Cour s'agissant de biens immobiliers "ordinaires".

newsid:375900

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le harcèlement moral n'est pas nécessairement intentionnel

Réf. : Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497, Mme Emilienne Moret, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7558ENA)

Lecture: 3 min

N5940BMX

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La Chambre sociale de la Cour de cassation, qui a repris le contrôle de la qualification du harcèlement depuis un peu plus d'un an, nous livre dans l'un des nombreux arrêts rendus le 10 novembre 2009 (1) une nouvelle pièce de la définition du harcèlement moral, qui ne suppose pas la preuve d'une intention particulière (I), ce qui doit être approuvé (II).
Résumé

Le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel.

I - Les éléments légaux de la définition du harcèlement moral

  • Cadre légal

L'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) dispose qu'"aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral, qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

  • Jurisprudence récente

Soucieuse de garantir sur l'ensemble du territoire national un égal traitement de ces questions, la Cour de cassation a repris, fin 2008, le contrôle de la qualification aux juges du fond (2) et tenté d'imposer des éléments de définition pour distinguer le harcèlement de notions voisines. C'est ainsi que la Haute juridiction a sanctionné le "comportement déplacé" d'un cadre qui "s'emportait et devenait violent" (3), la "succession de procédures de licenciement exercées à l'encontre" d'un salarié, qui "caractérisait un acharnement de l'employeur", qui l'avait, par ailleurs, "évincé [...] en lui diminuant ses responsabilités" (4), le fait de vider le bureau d'un salarié, de mélanger ses dossiers, de l'affecter "dans un local isolé en compagnie de deux autres agents également classés agents inadaptés" (5), de se livrer "de manière répétée et dans des termes humiliants à une critique de l'activité" d'un salarié "en présence d'autres salariés" (6), d'adresser à un salarié en arrêt maladie "de nombreuses lettres de mise en demeure injustifiées évoquant de manière explicite une rupture du contrat de travail et lui reprochant ses absences" (7), ou, encore, d'installer un salarié "avec une collègue dans un bureau aux dimensions restreintes", de l'y "laisser pour compte" et de lui confier un travail qui "se limitait à l'archivage et à des rectificatifs de photocopies" (8).

Dans la plupart des hypothèses, le débat porte sur la nature des actes litigieux, mais rarement sur la nécessité de caractériser leur caractère intentionnel. C'est donc tout l'intérêt de cet arrêt en date du 10 novembre 2009.

  • L'affaire

Dans cette affaire, une salariée avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail fondée sur des faits de harcèlement moral dont elle prétendait avoir été la victime. L'examen de la jurisprudence montre clairement que le harcèlement, lorsqu'il est établi, constitue, qu'il émane, d'ailleurs, de l'employeur ou d'un salarié dont il doit légalement répondre (9), une circonstance justifiant la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur (10), ce qui se traduit par l'attribution de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (11).

Elle avait été déboutée par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, celle-ci ayant considéré que les faits litigieux "s'inscrivent dans l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur, tant qu'il n'est pas démontré par la salariée qu'ils relèvent d'une démarche gratuite, inutile et réfléchie destinée à l'atteindre et permettant de présumer l'existence d'un harcèlement".

L'arrêt est cassé au motif que le harcèlement moral ne nécessite pas la preuve de l'intention de nuire au salarié.

II - Le harcèlement par bêtise logiquement sanctionné au même titre que la méchanceté

  • Une solution justifiée au regard des textes

L'affirmation nous semble, tout d'abord, pleinement justifiée au regard des textes. C'est la première fois que la Cour de cassation affirme cette solution de manière aussi évidente, même si elle avait laissé transparaître cette interprétation dans certaines décisions antérieures (12).

En visant les agissements qui ont pour "objet ou pour effet", l'article L. 1152-1 du Code du travail vise bien des comportements qui sont soit intentionnels (ont pour "objet"), soit des comportements qui ne le seraient pas, mais qui auraient exactement le même "effet" pour la victime (13). Certes, dans la plupart des hypothèses, le harcèlement est intentionnel, soit que son auteur éprouve du plaisir à voir souffrir sa victime, soit qu'il souhaite la pousser à la démission pour faire l'économie d'un licenciement. Mais il ne s'agira, parfois, que de comportements qui ne sont pas nécessairement vécus consciemment par leur auteur comme du harcèlement, mais qui s'y apparentent pourtant de fait et qui font, d'ailleurs, les mêmes ravages physiques et psychiques chez les victimes.

  • Une solution nécessaire pour protéger les victimes

La solution est donc non seulement une évidence au regard des textes, mais également une nécessité au nom de celle de protéger les salariés contre ces comportements déviants. Pour les victimes, en effet, il importe peu de savoir si l'auteur du harcèlement l'a, ou non, fait exprès, dès lors que ses actes sont objectivement déviants et qu'ils ont eu un impact désastreux sur la santé du salarié.


(1) Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 07-45.321, Association Salon Vacances Loisirs, FS-P+B (N° Lexbase : A1629ENN) et les obs. de F. Lalanne, Les méthodes de gestion d'un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral ! La Cour de cassation à l'aune du harcèlement "managérial"..., Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5838BM8) ; Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-42.286, M. Mohamed Abdoulattuf, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1902ENR) et les obs. de Ch. Willmann, De la modification du prénom comme pratique discriminatoire, Lexbase Hebdo n° 373 du 26 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4725BMX) ; Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-42.849, Mme Ginette Borruto c/ Société nationale des chemins de fer français (SNCF), service gestionnaire, FS-P+B (N° Lexbase : A2061ENN) et nos obs., L'existence d'une discrimination n'implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d'autres salariés, Lexbase Hebdo n° 373 du 26 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4664BMP).
(2) Cass. soc., 24 septembre 2008, 6 arrêts, n° 06-46.517 (N° Lexbase : A4541EAG), n° 06-45.747 (N° Lexbase : A4540EAE), n° 06-45.579 (N° Lexbase : A4539EAD), n° 06-43.504 (N° Lexbase : A4538EAC), n° 06-46.179 (N° Lexbase : A4854EAZ) et n° 06-43.529 (N° Lexbase : A4841EAK) et nos obs., Principe 'à travail égal, salaire égal', égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3848BHY).
(3) Cass. soc., 10 février 2009, n° 07-44.953, Société Kohler France, F-D (N° Lexbase : A1300EDI).
(4) Cass. soc., 19 mai 2009, n° 07-41.084, Société nationale immobilière (SNI), F-D (N° Lexbase : A1863EHH).
(5) Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-43.947, M. Alain Moy, F-D (N° Lexbase : A2923EI4).
(6) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-41.638, Société Distribution Casino France, F-D (N° Lexbase : A7535EIW).
(7) Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 08-40.034, Société La Brioche dorée, F-D (N° Lexbase : A7498EIK).
(8) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-42.849, préc..
(9) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, M. Jacques Balaguer, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9600DPA) et nos obs., L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 12 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N0835ALI) ; Dr. soc., 2006, p. 826.
(10) Cass. soc., 10 décembre 2003, n° 01-45.123, Société Garage Paris Villette c/ Mlle Valérie Ménard, F-D (N° Lexbase : A4291DA8).
(11) Cass. soc., 20 janvier 1998, Leudière, D., 1998, p. 350, note Ch. Radé.
(12) Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-43.947, M. Alain Moy, F-D (N° Lexbase : A2923EI4). Dans cette affaire, la cour d'appel avait débouté la salariée après avoir retenu, notamment, que les faits reprochés à l'employeur "devaient être la conséquence d'une volonté réitérée [...] se manifestant par des éléments identifiables par le juge et portant atteinte à la dignité de la personne en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant, offensant". Or, cette décision avait été cassée, la Haute juridiction considérant implicitement le harcèlement comme établi sur la base du seul constat du comportement de l'employeur, la salariée ayant "retrouvé, sans en avoir été prévenu, son bureau vidé, ses dossiers mélangés et qu'il s'était vu affecté dans un local isolé en compagnie de deux autres agents également classés agents inadaptés".
(13) En ce sens, B. Lapérou-Schenedider, Les mesures de lutte contre la harcèlement moral, Dr. soc., 2002, p. 313.


Décision

Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497, Mme Emilienne Moret, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7558ENA)

Cassation CA Aix-en-Provence,17ème ch., 17 décembre 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) et L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K)

Mots clef : harcèlement ; élément intentionnel ; caractère non nécessaire

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Internet

[Questions à...] Etat des lieux et prospective pour une amélioration de l'offre légale en ligne - Questions à Giuseppe de Martino, Directeur juridique et réglementaire monde de Dailymotion et Président de l'ASIC

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N5996BMZ

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

Dailymotion est l'acteur français incontournable du web 2.0 (ou web participatif), offrant un service en ligne de partage et de visionnage de vidéos. Créée en mars 2005, la société a connu un essor fulgurant, au point d'être aujourd'hui le deuxième site de vidéos au monde juste après l'américain Youtube, filiale du géant Google. Il compte, par mois, plus de 60 millions de visiteurs uniques et un milliard de vidéos visionnées et, par jour, 15 000 nouvelles vidéos mises en ligne. L'ascension du site français et européen le plus visité du monde s'est faite en dépit de quelques obstacles d'ordre principalement juridiques, relatifs au contenu des vidéos hébergées en général, et aux droits d'auteurs en particulier. Internet et la propriété intellectuelle, on le sait, ne font pas toujours bon ménage. La société est protégée par les dispositions favorables aux hébergeurs, contenues dans la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance en l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC) -qui transpose la Directive 2000/31 du 8 juin 2000 "commerce électronique" (N° Lexbase : L8018AUI)-. L'objet du texte est de prévoir un régime juridique incitant les acteurs européens à investir la toile. L'Europe a, en effet, dès l'an 2000, pris conscience de l'énorme potentiel économique que le "net" représentait et du gouffre qui la séparait des Etats-Unis en la matière.

Mais, le web pose aussi des questions délicates. En matière de commerce électronique, elles portent, notamment, sur la protection des droits d'auteur. En France, la complexité du problème entraîne, parfois, une certaine incohérence. Les lois "Hadopi 1" (loi n° 2009-669, 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet N° Lexbase : L3432IET) et "Hadopi 2", sur la partie "répressive" de la lutte contre le piratage (loi n° 2009-1311 du 28 octobre 2009, relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet N° Lexbase : L8862IEX), ont été un vrai casse-tête et la réflexion sur l'amélioration de l'offre légale divise encore. Néanmoins, si l'Etat se prend parfois les pieds dans le tapis, il tend, enfin, à considérer internet à sa juste valeur : un vecteur sans précédent d'informations, de culture et de développement économique. Et il a, enfin, compris, qu'il fallait miser sur les "champions locaux". L'annonce de la prise de participation par le fonds stratégique d'investissements (FSI) dans le capital de Dailymotion témoigne de cette prise de conscience, comme le souligne Giuseppe de Martino, Directeur juridique et réglementaire monde du "géant français" et président de l'ASIC (Association des services internet communautaires). Celui-ci nous fait l'honneur cette semaine de nous exposer la politique avant-gardiste de Dailymotion sur les problématiques juridiques liées à son activité.

Lexbase : Dailymotion est-il un hébergeur ou un éditeur ? Quel est l'enjeu d'une telle qualification ?

Giuseppe de Martino : Dailymotion revendique les deux casquettes.

Pour le contenu mis en ligne par les "simples" internautes -vous, moi-, ce qui est appelé l'UGC (User Generated Content : contenu généré par des utilisateurs), nous nous considérons clairement comme un hébergeur.
Les hébergeurs sont, selon les termes de l'article 6 de la "LCEN" (loi n° 2004-575, du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : L2600DZC), "les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services".
Ils bénéficient d'un statut particulier : ils ne peuvent pas voir leurs responsabilités civile et pénale engagées "du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services", sauf à ce qu'ils aient eu connaissance du caractère illicite du contenu ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère. Il est, d'ailleurs, expressément précisé que les hébergeurs "ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu'[ils] transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites".
La loi leur impose, toutefois, des obligations a posteriori : "dès le moment où [ils] en ont eu cette connaissance [ils doivent agir] promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible", sous peine d'engager leur responsabilité. Cette absence de responsabilité en amont de l'hébergeur est justifiée par l'objet de la Directive "commerce électronique" et de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (initiée par Bercy) : inciter le commerce électronique et, plus généralement, le développement économique d'internet. Les noms de ces deux textes ont leur sens : à l'origine, il s'agissait bien de commerce et non de propriété intellectuelle.

Le caractère illicite du contenu sera, le plus souvent, de deux sortes : soit le contenu est contrefaisant, soit il est illicite en raison de sa nature "offensante". Sur ce dernier point, les dispositions de l'article 6 de la "LCEN" visent expressément ces cas: "compte tenu de l'intérêt général attaché à la répression de l'apologie des crimes contre l'humanité, de l'incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, les [hébergeurs] doivent concourir à la lutte contre la diffusion [de ces infractions] : à ce titre, [ils] doivent, d'une part, mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données et informer promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites [susvisées] qui leur seraient signalées et qu'exerceraient les destinataires de leurs services, et, d'autre part, rendre publics les moyens qu'[ils] consacrent à la lutte contre ces activités illicites". Les hébergeurs mettent donc en place ces outils de signalement. Mais, une fois le signalement effectué, il peut-être difficile de différencier les activités illicites de celles qui ne le sont pas, la frontière étant, parfois, très ténue. Cette notion de "caractère illicite" a, donc, donné lieu de la part du Conseil constitutionnel à une réserve d'interprétation (Cons. const., décision n° 2004-496 DC, du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique N° Lexbase : A6494DCI). Le Conseil a précisé que la responsabilité de l'hébergeur ne peut-être engagée que si le contenu présente un caractère "manifestement" illicite. Les dispositions de la LCEN doivent, en effet, être lues de manière restrictive et "ne sauraient avoir pour effet d'engager la responsabilité d'un hébergeur qui n'a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n'a pas été ordonné par un juge".
Enfin, pour permettre aux autorités de réagir efficacement, la LCEN met à la charge des hébergeurs l'obligation de détenir et de conserver "les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont elles sont prestataires".

Pour les contenus de nos partenaires professionnels, nous revendiquons, sans hésiter, le statut d'éditeur ou de co-éditeur. Les éditeurs (dont la définition ne figure pas dans la "LCEN") parce qu'ils choisissent le contenu publié, sont soumis à un régime juridique distinct, plus contraignant. Ils sont responsables du contenu qu'ils éditent et auront à répondre en cas d'illicéité, quelle que soit sa nature.
Rappelons que Dailymotion a initialement été créé pour permettre la diffusion des "premiers pas de bébé" ou des films de vacances entre particuliers. Une grande partie de son activité est donc celle d'un hébergeur. A ce titre, nous tenons au principe d'absence de contrôle a priori des contenus : nous ne pouvons être tenus responsables, que lorsque nous ne retirons pas promptement un contenu dont l'illicéite a été portée à notre connaissance. Nous avons mis en place, dans ce cadre, une équipe chargée de recevoir les demandes de retrait de contenus illicites et de les traiter. Elle est opérationnelle 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.
La société a progressivement élargi son activité à l'édition de contenus. Nous offrons la possibilité à des Motionmakers (utilisateurs créatifs qui choisissent d'adhérer à ce programme) de nous adresser des contenus (les Creative contents) que nous choisissons d'éditer ou non sur la page d'accueil du site, pour leur permettre une plus grande visibilité. Aux côtés de ces vidéos créatives, Dailymotion permet aux professionnels de diffuser et partager leurs contenus sur son site. Nous comptons aujourd'hui plus de trois mille partenaires (maisons de disques, studios et sociétés de production, médias, chaînes de télévision, fédérations sportives, partis politiques etc.), qui utilisent déjà notre plateforme à des fins de promotion et/ou de monétisation de leurs vidéos. Dans ces deux cadres (Motionmakeret official user), nous faisons des choix éditoriaux et répandons, alors, des diffusions.

Lexbase : Quelle a été l'application par les juges du principe de responsabilité a posteriori de l'hébergeur ?

Giuseppe de Martino : Dailymotion, comme ses concurrents, a été poursuivie sur le terrain de la contrefaçon par des ayants droit désireux de la voir qualifiée d'éditeur là où son activité était celle d'un hébergeur.
La première décision rendue en la matière, qui concernait des sketches diffusés par un particulier sur le site MySpace (TGI Paris, 22 juin 2007, n° 07/55081, Monsieur Jean-Yves Lambert dit Lafesse c/ Société Myspace Inc. N° Lexbase : A5140DXN), était en totale contradiction avec les dispositions de la "LCEN" : le juge des référés avait reconnu la double qualité d'hébergeur et d'éditeur à la société et l'avait condamnée àdes dommages et intérêts importants, pour contrefaçon et violation des droits de la personnalité de Jean-Yves Lafesse. La qualité d'éditeur résultait du fait que la société imposait à ses hébergés "une structure de présentation par cadres" et qu'elle diffusait, "à l'occasion de chaque consultation, des publicités dont elle tire manifestement profit". En d'autres termes, le juge considérait qu'une société qui propose à ses membres d'héberger des pages personnelles et qui exploite commercialement cette activité, grâce, notamment, à la publicité, devait assumer toutes les responsabilités dévolues aux hébergeurs et aux éditeurs de sites internet. Cette décision de référé un peu particulière (MySpace ne s'était pas présentée à l'audience de plaidoiries) a été, toutefois, un épiphénomène.

Moins d'un mois après, le même tribunal a, dans une affaire nous concernant cette fois (TGI Paris, 13 juillet 2007, n° 07/05198, M. C. C. c/ SA Dailymotion N° Lexbase : A5139DXM), retenu la seule qualification d'hébergeur, mais n'en a pas tiré toutes les conséquences : il a considéré que la "LCEN" n'instaurait pas une "exonération de responsabilité, mais seulement une limitation de responsabilité restreinte aux cas où les prestataires techniques n'ont pas effectivement connaissance du caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère". Or, les juges ont considéré que le succès de Dailymotion "supposait nécessairement la diffusion d'oeuvres connues du public, seules de nature à accroître l'audience et à assurer corrélativement des recettes publicitaires". Conscients de notre succès, nous devions donc avoir connaissance "à tout le moins de faits et circonstance laissant à penser que des vidéos illicites [étaient] mises en ligne". Selon les juges, Dailymotion n'avait mis en oeuvre aucun moyen propre à rendre impossible l'accès au film concerné, alors qu'il lui incombait de réaliser un contrôle a priori. La loi exclut pourtant expressément toute obligation de la sorte à la charge d'un hébergeur.

Par la suite, plus d'une vingtaine de décisions sont intervenues en la matière, reconnaissant le statut d'hébergeur, mais reprenant parfois la solution du TGI de Paris contraire à la "LCEN". Fort heureusement, la cour d'appel de Paris a coupé court au débat, par un arrêt du 6 mai 2009 (CA Paris, 4ème ch., sect. A, n° 07/14097, SA Dailymotion c/ M. Christian Carion N° Lexbase : A0636EHZ ; lire les obs N. Biltz in La Chronique de droit de la propriété intellectuelle de Maître Nathalie Biltz, Avocat au Barreau de Paris, Lamy & Associés - Juin 2009, Lexbase Hebdo n° 356 du 25 juin 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N6673BKD). Pour la première fois, une juridiction du second degré a fait une application stricte du dispositif légal : confirmant la qualité d'hébergeur, la cour infirme la solution rendue par le TGI de Paris du 13 juillet 2007 en ce qu'elle a mis à la charge de Dailymotion une obligation de surveillance du contenu du site. La motivation est imparable : la décision du TGI "revient à méconnaître l'économie de la LCEN en imposant à l'hébergeur, à raison de la nature même de sa fonction, une obligation générale de surveillance et de contrôle des informations stockées à laquelle le législateur a précisément voulu le soustraire".

Un second arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 septembre 2009 (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 16 septembre 2009, n° 08/00646, M. Jean-Yves Lambert dit "Lafesse" c/ SA Dailymotion N° Lexbase : A4072ELE) vient confirmer cette position.

Concernant notre activité d'éditeur, aucun contentieux n'a, à ce jour, été engagé contre Dailymotion. Néanmoins, si le cas devait se présenter, nous serions responsables à l'égard des ayants droit, en notre qualité de co-éditeur, mais nous disposerions d'un recours d'origine contractuelle à l'encontre du diffuseur du contenu en cause.

Lexbase : Le débat est-il toujours d'actualité ?

Giuseppe de Martino : Ce débat devient progressivement désuet, car nous avons, très vite, souhaité le dépasser.
Le modèle économique de Dailymotion est, en effet, de proposer un service de visionnage et de partage des vidéos gratuit pour les utilisateurs, mais "rémunéré" par les publicités figurant sur le site. Or, un site contrefaisant ne pourrait attirer annonceurs et ayants droit. Pour convaincre les annonceurs de lancer des campagnes publicitaires sur notre service, nous nous devons de proposer un contenu de qualité autour duquel viendront se greffer ces publicités. Nous avons, ainsi, un besoin vital d'entretenir des relations saines avec les ayants droit, afin que ceux-ci mettent leur contenu en ligne chez nous. Notre approche quant au respect des droits d'auteur est, donc, primordiale et nous cherchons en permanence à rassurer les ayants droit. Si nous refusons tout contrôle a priori du contenu de notre site, c'est avant tout car ces derniers sont les seuls à même d'identifier leurs contenus et de décider ceux qui peuvent être diffusés (ou retirés). Il ne nous revient, en aucun cas, de le décider à leur place.
Nous les aidons, cependant, dans ce choix. Dès 2007, nous avons mis à leur disposition une technologie dite de "fingerprinting" qui leur permet, à nos seuls frais, de contrôler l'utilisation des oeuvres dont ils sont "titulaires". Il leur suffit d'alimenter les bases de données de nos partenaires constituées d'empreintes sonores ou images, qui sont comparées 15 000 fois par jour, à chaque fois qu'un internaute veut mettre en ligne une vidéo sur notre site, à celles du contenu que les internautes veulent diffuser, afin d'empêcher la mise en ligne. La période non couverte par cette technologie ne représente que quelques mois, mais nous rencontrons, toutefois, une difficulté : les ayants droit n'ont, hélas, pas tous pris le réflexe d'alimenter les bases de données, malgré leur gratuité et malgré leur efficacité (l'Institut national de l'audiovisuel gère notamment l'une de ces bases). Il nous appartient, donc, de convaincre les ayants droit d'adopter systématiquement cette démarche.

Aux Etats-Unis, la formule des partenariats avec les ayants droit, portant sur l'accès à leur répertoire moyennant rémunération, via le partage des revenus publicitaires, rencontre un franc succès. Nous avons initiés et sommes donc naturellement "parties" aux Principles for User Generated Content Service. Il s'agit d'une charte par laquelle les acteurs concernés (ayants droit, hébergeurs, éditeurs etc.) consentent à respecter des règles permettant un environnement sain sur la toile, notamment en matière de droits d'auteur. Les sociétés américaines les plus importantes ont rejoint cette démarche (Disney, Fox, Microsoft, Sony, etc.) et se sont accordées pour promouvoir l'utilisation de technologies telles que le fingerprinting. Les ayants droit signataires des UGC Principles alimentent constamment nos bases de données.

En France, un groupe de travail présidé par Pierre Sirinelli missionné par trois ministères (Culture, Economie Numérique et Industrie) a été constitué en vue d'aboutir à un accord aussi efficace. L'association que je préside, l'ASIC, grâce aux grands noms qu'elle représente (Google, Microsoft, Dailymotion, etc.) a été motrice dans ces discussions. Malheureusement, les conclusions du groupe de travail n'ont pas pu être présentées, la réunion fixée au mois de mai 2009 ayant été annulée, faute de salle disponible... Nous sommes, néanmoins, optimistes. Eric Besson, dans le cadre du plan France numérique 2012, a formulé des propositions qui font échos à nos préoccupations.

Lexbase : L'amélioration de l'offre légale en ligne est plus que jamais d'actualité : la commission "Zelnik" se penche actuellement sur le sujet, qui doit constituer le troisième (et dernier ?) volet du dispositif "Création et internet" (après les lois "Hadopi I" et "Hadopi II") et Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat au Numérique, a rendu publique la synthèse des rencontres organisées sur le thème de l'offre légale de musique en ligne. Que pensez-vous des propositions de celle-ci ?

Giuseppe de Martino : Je pense que certaines propositions sont plutôt pertinentes (dont celle d'engager une négociation cadre entre les diffuseurs de contenus culturels sur internet et les fournisseurs d'accès, afin d'instituer des forfaits d'utilisation de la bande passante plus adaptés aux modèles économiques des sites de streaming légaux et des web radios). Mais, je suis aussi d'avis que d'autres propositions seront plus difficilement adoptables. Par exemple, Nathalie Kosciusko-Morizet préconise de simplifier les démarches des sites de musique vis-à-vis des ayants droit, en créant un guichet unique de négociation de l'accès aux catalogues et de rémunération des sociétés de gestion collective. Eu égard à la concurrence féroce qui existe entre celles-ci, je doute qu'elles soient prêtes à accepter un tel système. Mais là aussi, restons optimistes !

La démarche du secrétaire d'Etat chargé au Numérique se télescope, sans doute, un peu avec la mission confiée à la commission "Zelnik" pour le développement de l'offre légale (dont la date de remise des conclusions a été repoussée au 15 décembre prochain). C'est peut-être pour cette raison que les propositions de la première ont peu été relayées par les médias. Cependant, elles ne concernent que la musique en ligne, alors que les travaux de la commission instituée par Frédéric Mitterand recoupent l'ensemble de la matière. Nous avons prôné devant cette commission une aide à la numérisation des oeuvres, en montrant également du doigt les "barrières à l'entrée" (telles que les minima financiers garantis) exigées par certaines maisons de disques notamment.

Pour ma part, je suis convaincu que la coopération ("ensemble tout devient possible", pour paraphraser un slogan politique) est la solution la plus efficace aujourd'hui pour satisfaire le plus grand nombre (ayants droit, éditeurs, hébergeurs, mais aussi, et surtout, le public) et j'attends, donc, de cette commission, qu'elle prenne en compte les travaux effectués en ce sens par le groupe de travail "Sirinelli'.

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier, aujourd'hui... Elizabeth Menesguen, Bâtonnier de l'ordre des avocats du Barreau du Val-de-Marne

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N5933BMP

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Le 07 Octobre 2010


Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plairont à donner la plume au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge ; aujourd'hui, rencontre avec... Elizabeth Menesguen, Bâtonnier de l'ordre des avocats du Barreau du Val-de-Marne.



Lexbase :
Pouvez-vous nous présenter le Barreau du Val-de-Marne ?

Elizabeth Menesguen : Que dire du Barreau qui m'a vu naître à la Profession sinon que c'est un Barreau jeune, tout juste trentenaire, qui s'efforce d'exister aux côtés de son puissant, très puissant voisin parisien. En effet, chacun sait bien qu'en raison tant de la proximité géographique que de la multipostulation, ce ne sont pas seulement les 470 avocats qu'il compte qui oeuvrent dans le Val-de-Marne, mais 23 000 au bas mot...

Mais qu'importe ! Son identité, mon Barreau l'a acquise au fil des ans : proximité, disponibilité, compétences et... une toute particulière convivialité.

Sans doute est-il encore majoritairement tourné vers le "judiciaire", même si le "juridique" ne lui est pas étranger, mais il investit sur le terrain des solutions alternatives aux conflits avec un esprit pionnier, semblable à celui qui habitait ses membres fondateurs en 1976.

Lexbase : Quelles sont ses spécificités ?

Elizabeth Menesguen : Je ne saurais taire que le Barreau du Val-de-Marne a longtemps été perçu comme un "Barreau de pauvres oeuvrant pour les pauvres", un Barreau de banlieue en somme... Il n'est à cela rien de bien étonnant lorsqu'on sait que 70 % de la population du département sont admissibles au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Je crois cependant pouvoir affirmer que les choses ont évolué et qu'elles évoluent encore.

L'esprit pionnier dont je parlais à l'instant ne se dément pas : leader en matière de médiation, à l'initiative de l'un de mes prédécesseurs, le Bâtonnier Jean-François Moreau, leader aussi en matière d'aide aux victimes, il a compris tout le bien qu'il pouvait tirer de l'obligation de formation continue et a mis en place des ateliers de formation de qualité (d'ailleurs fréquentés par des avocats extérieurs) avec le concours de professionnels compétents venus d'horizons divers et l'aide précieuse des magistrats de la juridiction mais aussi des universitaires de la faculté de droit de Paris XII.

Il s'est résolument engagé dans la voie des règlements des conflits et des solutions alternatives aux poursuites.

Il a, après quelques balbutiements il est vrai, définitivement opté pour la communication électronique, conscient de ce que celle-ci allait lui ouvrir de nouveaux champs. Et, il ne s'est pas arrêté à e-barreau ; il met actuellement en place, avec les chefs de la juridiction, une permanence pénale "numérisée" propre à permettre à tous les acteurs du procès, et donc à la défense, d'avoir un accès immédiat aux dossiers et d'accomplir leur mission dans des conditions optimales.

Plus récemment, il s'est ouvert au "publi-rédactionnel". Il sait en effet que "le savoir faire n'est rien sans le faire savoir".

Que dire de plus si ce n'est que les hommes et les femmes de ce Barreau sont fiers de leur appartenance à une collectivité conquérante et solidaire.

Lexbase : La crise a-t-elle eu des répercussions sur votre Barreau ?

Elizabeth Menesguen : Comment ne pas répondre par l'affirmative ? La crise a naturellement frappé tous les avocats, comme elle a frappé l'ensemble des acteurs économiques du département. Mais, elle ne les a pas conduits à céder à la morosité ; au contraire, elle leur a commandé de rassembler leur énergie pour être plus que jamais aux côtés des plus atteints, particuliers ou entrepreneurs, pour leur prêter assistance, conseil, défense.

Lexbase : Quelles sont les actions en cours et à venir ?

Elizabeth Menesguen : Celles engagées sont évidemment à poursuivre et à renforcer car elles contribuent à mon sens à valoriser l'image du Barreau et partant celle de chacun de ses membres.

D'autres viendront bien sûr, qui seront à mettre au compte de mon successeur, mon confrère et ami Arnauld Bernard. C'est évidemment à lui qu'il appartiendra de donner au Barreau les orientations qui lui paraîtront les plus opportunes.

Je sais que face aux bouleversements qui s'annoncent sa tâche sera rude mais je sais aussi qu'il pourra toujours compter sur le soutien d'un Barreau uni et généreux.

Lexbase : Comment réagissez-vous aux différentes évolutions envisagées pour la profession ?

Elizabeth Menesguen : Notre confrère Jean-Michel Darrois s'est vu confier, par le Président Sarkozy, la présidence d'une commission de réflexion tendant à réformer la profession d'avocat avec pour objectif la création d'une "grande profession du droit" (cf. le rapport "Darrois").

Il faut leur rendre grâce à tous deux car ils nous ont ainsi donné une formidable occasion de réfléchir au sens de notre mission.

Au risque de vous étonner, je ne parviens pas à déplorer que la fusion "notaires /avocats" ne se fasse pas. Elle me paraissait ressortir d'une certaine utopie.

En revanche, je ne puis que me réjouir de ce que les membres de la commission soient tombés d'accord pour considérer que la sécurité juridique ne pouvait être l'exclusivité des notaires et qu'ils aient admis qu'il devait être permis aux avocats de passer des actes ayant une réelle force probante puisque faisant foi jusqu'à inscription de faux et engageant leur responsabilité.

En ces temps d'incertitude économique, d'instabilité sociale et de désarroi moral, face à une profusion législative le plus souvent sans cohérence, la sécurité des transactions est une absolue nécessité ; "l'acte sous signature juridique" répond à cette attente (lire Le point sur l'acte contresigné par un avocat - questions à Maître Michel Bénichou, président de la Fédération des Barreaux d'Europe, Lexbase Hebdo n° 1 du 1er octobre 2009 - édition professions N° Lexbase : N9384BL7).

Par ailleurs, optant délibérément pour l'acquisition par l'ensemble des professionnels du droit d'une "culture juridique commune", la commission a souhaité encourager "l'inter-professionnalité". Si elle reste encore à définir, cette idée doit être exploitée. La profession doit en effet se nourrir des apports des autres professionnels du droit et partager avec eux compétence et expertise et ce dans l'intérêt de nos concitoyens.

Reste, évidemment, l'épineuse question de "l'avocat en entreprise". L'ensemble de mes confrères, et j'en suis, fustige naturellement l'absence d'indépendance du fait du lien de subordination entre l'avocat en entreprise et l'employeur (lire, aussi, Quels rapprochements pour les professions de juriste d'entreprise et d'avocat ? Questions à Vincent Malige, General Counsel, Scor SE, Lexbase Hebdo n° 3 du 15 octobre 2009 - édition professions N° Lexbase : N0938BMP). Mais, gardons-nous de nous arrêter à des "postures" et interrogeons-nous : sur un plan économique, l'avocat libéral n'est-il pas parfois terriblement dépendant ? Ce qui est certain, en tout cas, c'est que, si l'on doit envisager la présence de l'avocat en entreprise, celui-ci devra immanquablement être titulaire du CAPA, s'obliger à une même déontologie et être soumis à l'autorité du Bâtonnier car s'il est avocat, il doit l'être pleinement.

Les temps à venir sont synonymes de mutations voire de bouleversements. Notre devoir n'est pas de les combattre mais de les épouser avec imagination et créativité sans jamais trahir notre serment. Il nous grandit, il nous honore mais il est surtout la garantie pour tous du respect de leurs droits.


Quelques mots sur... Madame Elizabeth Menesguen

Madame Elizabeth Menesguen a souhaité être avocat dès son plus jeune âge.

Cependant, issue d'un milieu modeste pour qui l'avocature était destinée à une élite, elle a entrepris des études littéraires qui la destinaient à l'enseignement.

Pour assurer sa subsistance, elle a parallèlement intégré l'éducation nationale, d'abord, en qualité de surveillante d'externat, puis comme maîtresse auxiliaire.

C'est alors que la passion du droit l'a reprise et qu'elle a entamé des études de droit en tant que salariée.

Titulaire du CAPA fin 1976, elle a prêté serment en janvier 1977 et intégré en qualité de collaboratrice le cabinet du Bâtonnier Serge Lequin dont elle a ensuite été l'associée, d'abord, dans le cadre d'une association d'avocats, puis dans celui d'une société civile professionnelle.

En avril 1986, au décès du Bâtonnier Lequin, elle a poursuivi l'activité du cabinet qu'elle a contribué à développer et a constitué, en 1992, une nouvelle société civile professionnelle, la SCP Menesguen-Trojman.

Elle s'est, alors, intéressée à la vie ordinale. Elle a, ainsi, passé neuf années au Conseil de l'ordre avec la charge successivement ou concomitamment

- de la communication,

- du trésor,

- des relations du Barreau avec notaires, huissiers, juges aux affaires familiales,

- de la formation, dont celle des plus jeunes tant dans le cadre de l'atelier d'éloquence du barreau que de celui de l'antenne de Créteil de l'Ecole de formation du barreau de la Faculté de Paris XII.

Elue Bâtonnier en mai 2007, elle a pris ses fonctions le 1er janvier 2008 et s'efforce, depuis lors, d'inspirer, d'encourager, de favoriser et de fédérer les énergies avec enthousiasme et pugnacité.

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Avocats

[Jurisprudence] L'ordonnance de taxe du Bâtonnier ne vaut pas titre exécutoire

Réf. : Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, n° 08-19.072, M. Kamel Benamghar, F-P+B (N° Lexbase : A2693EMP)

Lecture: 10 min

N5931BMM

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par Cédric Tahri, ATER à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats sont réglées par une procédure spéciale dite "de taxation d'honoraires" (1). Cette procédure relève de la compétence exclusive du Bâtonnier, considéré par ses pairs comme le "médiateur de la profession" (2). Il appartient, alors, au client mécontent de saisir l'autorité ordinale, puis, en cas d'insatisfaction, l'autorité judiciaire en la personne du premier président de la cour d'appel. Pour autant, ce client ne saurait saisir le juge de l'honoraire aux fins d'obtenir un titre exécutoire lui permettant de saisir les comptes bancaires de son ancien avocat. Tel est l'enseignement délivré par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 22 octobre 2009 : l'ordonnance par laquelle le Bâtonnier fixe le montant des honoraires indus qu'un avocat est tenu de rembourser à son client ne vaut pas titre exécutoire de restituer le trop-perçu, en l'absence de disposition expresse en ce sens.
En l'espèce, le Bâtonnier ayant fixé les honoraires dus par Mme I. à M. B., son ancien avocat, à un montant inférieur à celui qui avait été demandé et payé, celle-ci a fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes bancaires de M. B., afin de récupérer l'indu. Les juges du fond avaient accueilli cette demande, estimant que l'obligation de rembourser résulte de la décision du Bâtonnier et qu'il n'est pas nécessaire que le dispositif fasse mention de l'obligation de restituer, cette décision constituant le titre exécutoire ouvrant droit à restitution. A tort rétorque la Cour régulatrice : toute exécution forcée implique que le créancier soit muni d'un titre exécutoire portant condamnation de la personne qui doit exécuter. En affirmant, sous couvert des pouvoirs qui sont reconnus au juge de l'exécution pour interpréter le titre servant de fondement aux poursuites, l'obligation de rembourser les honoraires indus résultait de plein droit de la seule décision du Bâtonnier qui en a déterminé le montant, même en l'absence de toute disposition expresse imposant à M. B. de restituer le trop-perçu, bien que le Bâtonnier se soit exclusivement prononcé sur le montant des honoraires dus par Mme I. à M. B. sans le condamner à rembourser les honoraires qu'il aurait reçus en sus, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP), l'article 8 du décret du 31 juillet 1992 (décret n° 92-755 N° Lexbase : L9125AG3), ensemble l'article L. 311-12-1 ancien du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L6287HIP).

Par cette solution somme toute classique, la Cour de cassation a voulu rappeler que le Bâtonnier ne disposait pas de pouvoirs juridictionnels en matière de contestation d'honoraires d'avocat (I), de sorte que son ordonnance ne valait pas titre exécutoire (II).

I. Les pouvoirs du Bâtonnier en matière de taxation d'honoraires

Parce que le Bâtonnier n'est ni une juridiction (A), ni un tribunal (B), son ordonnance de taxe ne vaut pas titre exécutoire.

A. La qualification de juridiction déniée au Bâtonnier

Une question âprement débattue. Le Bâtonnier est-il une juridiction ? Telle est la question qui divise la doctrine depuis plus d'une dizaine d'années. Pour mémoire, la Cour de cassation avait rendu un avis, le 16 novembre 1998 (Cass. avis, 16 novembre 1998, n° 09-80010, Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Bressuire c/ M. Blanchard, publié au bulletin N° Lexbase : A7829CHG), dont le contenu était pour le moins ambigu. Sur la base de l'ancien article L. 151-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L3007AMC), elle avait déclaré irrecevable la demande d'avis émanant d'un Bâtonnier car ce dernier n'était pas une juridiction "au sens de ce texte".

Certains auteurs en avaient, alors, conclu que l'ordonnance de taxe du Bâtonnier n'était pas un acte juridictionnel, si bien qu'elle n'était nullement assortie de la force exécutoire. Ainsi, le professeur Bernard Beignier (3) avait soutenu que le Bâtonnier ne disposait pas de pouvoirs juridictionnels dans la mesure où il était saisi d'une "réclamation" et non pas d'une "assignation". Certes, cet argument ne manque pas de poids d'autant que le décret du 27 novembre 1991 emploie le terme de "recours" plutôt que celui d'"appel" devant le premier président de la cour d'appel. Mais, le raisonnement de l'auteur devient plus contestable lorsqu'il estime que la fonction du Bâtonnier est, en réalité, de diriger une "procédure arbitrale obligatoire", car précisément un tribunal arbitral a toutes les qualités d'une juridiction sauf une : il n'est pas obligatoire ! Dès lors, un tribunal arbitral "obligatoire" ne peut être qualifié que de juridiction...

Faut-il pour autant en conclure que le Bâtonnier est une véritable autorité juridictionnelle ? Rien n'est moins sûr car, après tout, sa décision ne peut être rendue exécutoire que par ordonnance du tribunal de grande instance. En effet, le Bâtonnier se retrouve dans la même situation que l'arbitre : privé de l'imperium, son ordonnance de taxe est soumise à la procédure d'exequatur. Mais, là aussi, l'argument n'est pas décisif car il peut être rétorqué que, devant les juridictions judiciaires, l'appel est en principe suspensif et que les jugements en premier ressort ne sont pas par eux-mêmes exécutoires (4).

Sommes-nous alors dans une impasse ? A vrai dire, tout dépend de la définition de la juridiction qui est retenue. Si l'on prend position en faveur d'une conception matérielle de la juridiction, à savoir celle du président Odent pour qui "une juridiction est un organisme qui est saisi de litiges, qui a pour mission de les régler en se fondant sur des considérations d'ordre juridique et qui les tranche avec force de vérité légale", le Bâtonnier est assurément une autorité juridictionnelle. Il apparaît effectivement que le Bâtonnier, loin d'exercer un office de conciliateur débouchant sur une simple recommandation, tranche les litiges nés entre deux personnes en matière d'honoraires, en se fondant sur des motifs de droit. Ce faisant, il dispose de la jurisdictio, entendu comme le pouvoir de dire le droit. C'est, d'ailleurs, à cette conclusion que parvient le Rapporteur public Yann Aguila, lorsqu'il affirme que le Bâtonnier est "sans doute une juridiction" (5).

Une question définitivement tranchée. Dans l'arrêt "Krikorian", rendu le 2 octobre 2006, le Conseil d'Etat a déclaré solennellement que "lorsqu'il intervient dans le règlement des contestations en matière d'honoraires et de débours, le Bâtonnier, dont la décision n'acquiert de caractère exécutoire que sur décision du président du tribunal de grande instance", n'est pas "une autorité juridictionnelle" (6). La position retenue révèle une divergence de point de vue entre la Haute juridiction administrative et le Rapporteur public quant au contenu du critère matériel. Pour le Conseil d'Etat, une autorité ne peut se voir reconnaître un caractère juridictionnel que si elle possède l'ensemble des pouvoirs du juge étatique. Autrement dit, elle doit disposer non seulement du pouvoir de dire le droit (jurisdictio), mais aussi celui d'imposer sa décision (imperium). Or, c'est justement cette dernière prérogative qui fait défaut au Bâtonnier lorsqu'il statue en matière d'honoraires.

B. La qualification de tribunal déniée au Bâtonnier

Le tribunal, une notion définie. L'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) garantit à tout justiciable le droit à un procès équitable dès lors qu'il a recours à un "tribunal". Tout le problème réside alors dans la définition de ce terme puisque les juges français et européens retiennent des conceptions sensiblement différentes.

Pour la Cour européenne, un tribunal est un organe dont le rôle est de "trancher, sur la base de normes de droit et, à l'issue d'une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence" (7). Cette approche fonctionnelle de la notion lui permet de qualifier de "tribunal" des organismes qui ne sont pas considérés comme des juridictions en droit français. Tel est le cas, par exemple, du Conseil des marchés financiers (8). Quant au Conseil d'Etat, il privilégie une approche matérielle le conduisant à écarter les procédures non contentieuses du champ d'application de la Convention (9). Ainsi, le Conseil national de l'Ordre des médecins "n'a le caractère, ni d'une juridiction, ni d'un tribunal au sens des stipulations de l'article 6 § 1er" lorsqu'il se prononce sur une inscription au tableau de l'Ordre (10).

Le tribunal, une notion écartée. Faisant application de ces principes dans le fameux arrêt "Krikorian" du 2 octobre 2006, le Conseil d'Etat a décidé que la décision prise par le Bâtonnier, eu égard la nature de ses pouvoirs lorsqu'il statue sur les litiges relatifs aux honoraires, ne pouvait être regardée comme émanant d'un "tribunal" au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne. En conséquence, il a été jugé que le moyen tiré de l'incompatibilité des règles organisant la procédure de règlement des contestations d'honoraires avec les principes reconnus par la convention était inopérant. Replacée dans un contexte plus général, la solution du Conseil d'Etat donne un sens à celle de la deuxième chambre civile : c'est parce qu'elle ne peut être assimilée à un acte juridictionnel que la décision du Bâtonnier ne vaut pas titre exécutoire.

II. La décision du Bâtonnier en matière de taxation d'honoraires

La décision du Bâtonnier n'est pas exécutoire de plein droit (A). Seule la procédure de l'article 178 du décret du 27 novembre 1991 peut lui conférer ce caractère (B).

A. La dénégation de la force exécutoire de l'ordonnance de taxe

La liste des titres exécutoires donnée par le législateur. Le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution. Par exemple, il peut recourir à une saisie-attribution sur les comptes bancaires de son débiteur si ce dernier refuse de payer sa dette spontanément. Cette prérogative accordée au créancier étant particulièrement importante, le législateur l'a enfermée dans des conditions strictes. L'article 3 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L9124AGZ) donne, notamment, une liste limitative des titres exécutoires. Sont concernés :

"1° Les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif ainsi que les transactions soumises au président du tribunal de grande instance lorsqu'elles ont force exécutoire ;

2° Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d'un recours suspensif d'exécution ;

3° Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;

4° Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;

5° Le titre délivré par l'huissier de justice en cas de non-paiement d'un chèque ;

6° Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d'un jugement".

A aucun moment le législateur ne faire référence aux décisions du Bâtonnier en matière de contestation d'honoraires. Celles-ci ne sont donc pas exécutoires de plein droit (11).

La liste des titres exécutoires respectée par le juge. Fidèles à la lettre de l'article 3 de la loi de 1991, les juridictions affirment avec constance que les ordonnances de taxe du Bâtonnier ne valent pas titres exécutoires. Ainsi, dans un arrêt du 13 octobre 1999, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que le premier président de la cour d'appel, constatant l'irrecevabilité du recours exercé contre la décision du Bâtonnier, ne pouvait procéder par voie de confirmation de cette décision qui ne pouvait être rendue exécutoire que selon la procédure prévue à l'article 178 du décret du 27 novembre 1991 (12). Trois ans plus tard, les Hauts magistrats ont récidivé avec un arrêt remarqué, en date du 9 avril 2002 : "[...] il résulte de l'article 178 du décret du 27 novembre 1991 que le Bâtonnier ne peut rendre de décision exécutoire" (13). Et, cette solution a été reprise par la deuxième chambre civile dans un arrêt rendu le 5 juin 2003 : "Le recours tendant à l'annulation de la décision prise hors délai par le Bâtonnier emporte de plein droit recours contre l'ordonnance du président du tribunal de grande instance l'ayant rendue exécutoire dans les conditions prévues par l'article 178 du décret susvisé". Plus récemment, cette formation a même déclaré que les décisions rendues par le Bâtonnier en matière de contestation d'honoraires ne pouvaient être assorties de l'exécution provisoire par celui-ci : "Mais attendu qu'il résulte de l'article 178 du décret du 27 novembre 1991 que le président du tribunal de grande instance ayant seul le pouvoir de rendre la décision exécutoire, le Bâtonnier ne peut assortir de l'exécution provisoire la décision qu'il rend en matière d'honoraires, et que ce magistrat ne peut rendre exécutoire la décision du Bâtonnier lorsque celle-ci a été déférée au premier président" (14). C'est donc dans la droite ligne de cette jurisprudence bien établie que s'inscrit notre arrêt lorsqu'il indique que la décision de taxation d'honoraires, qui désigne une cliente comme débitrice, ne peut fonder une saisie-attribution pratiquée par celle-ci en vue de récupérer le trop-perçu par son ancien avocat.

B. L'attribution de la force exécutoire à l'ordonnance de taxe

De lege lata. Aux termes de l'article 178 du décret du 27 novembre 1991, lorsque la décision du Bâtonnier n'a pas été déférée au premier président de la cour d'appel, elle peut être rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal de grande instance à la requête, soit de l'avocat, soit de la partie. En l'état donc, les décisions du Bâtonnier sont soumises à la procédure d'exequatur qui ne peut leur être refusée (15) : son caractère automatique transforme le président du tribunal de grande instance, selon l'expression d'un Haut magistrat, "en machine à affranchir" (16).

De lege ferenda. La logique est donc de supprimer l'intervention pléonastique du Bâtonnier et du président du tribunal de grande instance, source d'inutile lourdeur procédurale et de complications pour les parties. De ce point de vue, M. Villacèque a proposé un système comparable à celui en vigueur pour les décisions de la commission arbitrale des journalistes, prévu par les articles L. 7112-4 (N° Lexbase : L3088H9A) et suivants du Code du travail (17). Malgré son nom, cette commission est une "véritable juridiction qui décide" (18) : ses décisions en effet ont force exécutoire par le seul fait de leur dépôt au greffe du tribunal de grande instance. Ainsi pas d'exequatur, ce qui conduit M. le Professeur Perrot à affirmer qu'il y a là "de véritables juges qui ont reçu de l'Etat le pouvoir de rendre la justice" (19). Pourquoi ne pas tout simplement transposer cette solution pour les décisions du Bâtonnier ? Ce serait la conséquence cohérente et logique de la charge publique de juger que l'Etat lui a confiée.


(1) Articles 174 à 179 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID).
(2) B. Beignier, Un Bâtonnier ne dispose pas de pouvoirs juridictionnels, note sous Cass. civ. 1, 9 avril 2002, n° 99-19.761, Société civile professionnelle d'avocats (SCP) d'Ornano c/ Société Wong Wing Cheng, FS-P+B (N° Lexbase : A4949AYX), D. 2002, p. 1787.
(3) B. Beignier, note précitée.
(4) C. proc. civ., art. 500 (N° Lexbase : L2744ADY).
(5) Y. Aguila, Les pouvoirs juridictionnels du Bâtonnier, note sous CE 1° et 6° s-s-r., 2 octobre 2006, n° 282028, M. Krikorian (N° Lexbase : A6891DRN), D. 2006, p. 2710.
(6) CE 1° et 6° s-s-r., 2 octobre 2006, n° 282028, préc.
(7) CEDH, 22 octobre 1984, Req. 5/1983/61/95, Sramek (N° Lexbase : A6484AW3), série A 84, p. 18 et 38.
(8) CEDH, 27 août 2002, Didier c/ France, JCP éd. G, 2003, I, p. 109, obs. F. Sudre.
(9) CE Contentieux, 3 décembre 1999, n° 207434, Didier (N° Lexbase : A3242AUM), RFDA, 2000, p. 584, conclusions A. Seban.
(10) CE 4° et 6° s-s-r., 6 novembre 2000, n° 196407, M. Lefebvre (N° Lexbase : A9666AHH).
(11) J.-L. Laurent-Athalin, La fixation et le recouvrement des honoraires des avocats, Rapport de la Cour de cassation 1995, p. 147, spéc. p. 157.
(12) Cass. civ. 1, 13 octobre 1999, n° 96-22.883, M. Vuillemin c/ M. Fort, publié au bulletin (N° Lexbase : A3372CHD).
(13) Cass. civ. 1, 9 avril 2002, n° 99-19.761, péc., JCP éd. G, 2002, II, 10086, note R. Martin.
(14) Cass. civ. 2, 18 juin 2009, n° 08-14.219, Mme Danielle Moos, F-P+B (N° Lexbase : A2994EIQ).
(15) A. Bénabent, Avocats : premières vues sur la nouvelle profession, JCP éd. G, 1991, I, 3499, n° 68.
(16) P. Bertin, Le rôle du juge dans l'exécution de la sentence arbitrale, Rev. arb., 1983, p. 281, spéc. p. 287.
(17) J. Villacèque, La juridiction du Bâtonnier : une charge publique à parachever, D., 1997, p. 305.
(18) R. Perrot, Fonctionnement de la commission arbitrale des journalistes au regard du droit judiciaire privé, in une exception au principe de compétence générale du conseil de prud'hommes : la commission arbitrale des journalistes, Gaz. Pal., 1996, 2, Doctr., p. 1382.
(19) Ibidem.

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Décembre 2009

Lecture: 17 min

N5942BMZ

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ont été sélectionnés, ce mois-ci, trois arrêts rendus pas la Chambre commerciale de la Cour de cassation : alors que le premier arrêt, en date du 17 novembre 2009, apporte une précision intéressante sur les conséquences de la dissimulation volontaire au liquidateur judiciaire de l'existence d'une créance sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 ; les deux autres arrêts, rendus dans le cadre de la même affaire le 3 novembre 2009, reviennent sur la cession de créance, le report d'exigibilité et la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif.

  • La conséquence de la dissimulation volontaire au liquidateur judiciaire de l'existence d'une créance (Cass. com., 17 novembre 2009, n° 07-21.157, FS-P+B N° Lexbase : A1496EP4)

Tant sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L4126BMR) que sous celui de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), le débiteur doit, à l'ouverture de la procédure collective, remettre au mandataire judiciaire (anciennement dénommé représentant des créanciers) ou au liquidateur judiciaire la liste de ses créanciers. Ces organes adressent alors aux créanciers connus, au rang desquels figurent les créanciers de cette liste, l'avertissement d'avoir à déclarer les créances.

Il est classique qu'un débiteur peu scrupuleux omette volontairement de faire figurer certains de ses créanciers sur cette liste, ce qui va conduire à l'absence d'avertissement d'avoir à déclarer les créances. Cette tentation était d'autant plus forte, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, que l'absence de déclaration de la créance au passif entraînait l'extinction de celle-ci. Un intéressant arrêt, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 17 novembre 2009, a trait aux conséquences de cette dissimulation volontaire par le débiteur de l'existence d'une créance.

Au regard des faits de l'espèce, régie par les dispositions de la loi du 25 janvier 1985, un débiteur avait omis de faire figurer l'un de ses créanciers sur la liste remise au liquidateur judiciaire, de sorte que, non averti d'avoir à déclarer, le créancier avait subi l'extinction de sa créance par suite de son absence de déclaration au passif. Quelques temps après le prononcé de la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, le créancier a assigné le débiteur en paiement de dommages-intérêts représentant l'équivalent de sa créance éteinte. La cour d'appel (CA Rennes, 18 septembre 2007) avait fait droit à cette demande sur le fondement des articles 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) et L. 622-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L7027AI4) dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005.

Sur le pourvoi formé par le débiteur, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au visa de l'article 1382 du Code civil. Cette décision des Hauts magistrats revêt un double intérêt. D'une part, elle énonce clairement le fondement sur lequel le créancier peut exercer son action à l'encontre du débiteur et, d'autre part, elle précise le montant auquel le créancier peut prétendre au titre de l'exercice de cette action.

Pour condamner le débiteur, l'arrêt de la cour d'appel visait l'article 1382 du Code civil mais faisait également référence à l'article L. 622-32 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises (devenu C. com., art. L. 643-11 IV N° Lexbase : L3338ICM). La Chambre commerciale constate que la cour d'appel a fait une "référence erronée mais surabondante à l'article L. 622-32 du Code de commerce", texte qui permet aux créanciers antérieurs à l'ouverture de la procédure collective de reprendre leur droit de poursuite individuelle à l'encontre du débiteur lorsque ce dernier a commis une fraude.

La sanction du débiteur qui a dissimulé l'existence de l'un de ses créanciers ne pouvait pas être prononcée sur ce fondement. L'application des exceptions posées par l'article L. 622-32 -notamment celle fondée sur la fraude du débiteur- présuppose, en effet, que le créancier antérieur, qui souhaite reprendre son droit de poursuite individuelle, ait déclaré sa créance et, en cas de vérification de celle-ci, qu'il ait été admis (1). Comment, en effet, un créancier dont la créance est éteinte pourrait-il prétendre à la reprise de ses poursuites alors qu'il n'est plus créancier du fait de l'extinction, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, de sa créance non déclarée ? La fraude du débiteur, qui a volontairement dissimulé l'existence de l'un de ses créanciers, ne permet pas de tenir en échec l'extinction de la créance non déclarée. Ainsi avait-il été jugé par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qu'une créance éteinte ne pouvait justifier une reprise des poursuites individuelles au motif de la fraude commise par le débiteur (2).

En cas d'extinction de la créance, la poursuite du débiteur ne peut intervenir, comme le souligne la Chambre commerciale dans l'arrêt rapporté, que sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (3). La fraude du débiteur, auteur d'une dissimulation volontaire, est donc sanctionnée sur le terrain de la responsabilité délictuelle. Dès lors que la dissimulation frauduleuse est nécessairement postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, la créance de dommages-intérêts qui en découle a également, ainsi que l'a souligné un auteur (4), une nature postérieure. En conséquence, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, cette créance est couverte par les dispositions de l'article L. 621-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L6884AIS), de sorte qu'elle peut être recouvrée par le créancier qui n'est pas soumis aux sujétions subies par les créanciers antérieurs.

La solution est-elle différente sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises ?

Le contexte législatif est profondément modifié par la suppression de l'extinction de la créance attachée à l'absence de déclaration.

Désormais, le défaut de déclaration de la créance entraîne l'impossibilité pour le créancier de participer aux répartitions ou de percevoir des dividendes (cf., C. com., art. L. 622-26, al. 1er N° Lexbase : L2534IEL). Puisque la créance non déclarée n'est plus éteinte, le créancier pourra, après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif, reprendre l'exercice de ses poursuites individuelles dès lors que celles-ci sont possibles. Ainsi, sur le fondement de l'article L. 643-11 IV du Code de commerce, le créancier, victime d'une fraude, pourra reprendre ses poursuites individuelles contre le débiteur, personne physique, nonobstant la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif. Cette reprise des poursuites individuelles constitue assurément une sanction à l'égard du débiteur qui sera poursuivi par son créancier en recouvrement de l'intégralité de sa créance.

Sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, l'intérêt que peut trouver le débiteur à dissimuler l'un de ses créanciers n'apparaît plus avec la même évidence. La question se pose donc de savoir si le fait de dissimuler volontairement l'existence d'une créance au mandataire judiciaire ou au liquidateur demeure constitutif d'une fraude à l'égard du créancier. La réponse pourrait sembler négative dès lors, d'une part, que l'absence de déclaration de la créance n'entraîne plus l'extinction de celle-ci et que, d'autre part, l'omission volontaire du débiteur constitue désormais un cas autonome de relevé de forclusion (5). En effet, le nouvel article L. 622-26, alinéa 1er, du Code de commerce prévoit que le juge-commissaire relève de la forclusion les créanciers qui établissent que leur défaillance est due à une "omission volontaire du débiteur". La dissimulation intentionnelle peut donc désormais être utilisée comme un motif de relevé de forclusion, à condition toutefois que l'action en relevé de forclusion soit introduite dans les délais. Or, le délai classique de relevé de forclusion a été considérablement réduit depuis l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005 puisqu'il est passé de un an à six mois à compter de la publication du jugement d'ouverture (C. com., art. L. 622-26, al 3).

Si le créancier n'a pas introduit l'action en relevé de forclusion à temps, il peut songer à assigner le débiteur en responsabilité et solliciter l'octroi de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Cependant, cette action ne lui sera d'aucune utilité. En effet, cette créance de dommages-intérêts sera une créance postérieure mais assimilée à une créance antérieure. Elle ne bénéficiera donc pas du traitement préférentiel octroyé par les articles L. 622-17 (N° Lexbase : L3493ICD) et L. 641-13 (N° Lexbase : L3405IC4) puisqu'elle ne sera pas née pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ni née en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur.

Il restera alors au créancier de tenter d'invoquer la fraude du débiteur, qui sera plus difficile à établir car, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, l'intérêt que peut avoir le débiteur à dissimuler ses créanciers est moins évident qu'auparavant. Si la fraude est retenue, le créancier pourra envisager, après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif, la reprise de l'exercice de son droit de poursuite individuelle au titre de sa créance non déclarée en invoquant précisément "la fraude à l'égard d'un ou de plusieurs créanciers" visée à l'article L. 643-11 IV du Code de commerce.

Il y a un autre intérêt pour le créancier à choisir comme fondement de son action les dispositions de l'article L. 643-11 IV du Code de commerce plutôt que celle de l'article 1382 du Code civil. En effet, la hauteur du droit de reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif sur le fondement de l'article L. 643-11 IV du Code de commerce trouve comme seule limite le montant de la créance que le créancier n'a pas déclarée par suite de la faute constitutive de la fraude du débiteur. En revanche, si le créancier poursuit le débiteur sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la poursuite est nécessairement limitée au montant du préjudice subi par le créancier non déclarant qui est classiquement nettement inférieur à celui de la créance non déclarée. Il s'agit là du second point souligné par l'arrêt du 17 octobre 2009.

Après avoir constaté que le débiteur avait commis une faute constitutive d'une fraude engageant sa responsabilité délictuelle sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, l'arrêt de la cour d'appel avait retenu que les créanciers étaient en droit d'obtenir à titre de dommages-intérêts le paiement de l'équivalent de leur créance éteinte par la fraude du débiteur. Cependant, l'arrêt de la Chambre commerciale énonce qu'en statuant ainsi la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, dès lors que le montant des dommages-intérêts doit être égal au préjudice subi par l'auteur de la demande. Le préjudice lié à l'extinction de la créance s'élève non pas au montant de la créance éteinte par la fraude du débiteur mais est égal au montant que le créancier aurait pu percevoir dans le cadre des répartitions. En conséquence, dès lors que la déclaration de la créance n'offre aucun espoir de recouvrement, aucune condamnation à titre de dommages-intérêts ne peut être prononcée à l'encontre du débiteur dont la fraude n'aura pas servi ses intérêts.

Ainsi, la poursuite du débiteur fraudeur sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil doit placer le créancier dans la même situation que celle qui aurait été la sienne s'il avait déclaré sa créance dans les délais ou s'il avait été relevé de forclusion.

En conclusion, il apparaît que, en termes de stratégie contentieuse, il est préférable pour le créancier, victime d'une dissimulation frauduleuse de la part de son débiteur personne physique, de choisir comme fondement de son action le droit de reprise des poursuites individuelles posé à l'article L. 643-11 IV du Code de commerce plutôt que se contenter de se faire relever de la forclusion. En effet, le créancier relevé de forclusion ne pourra prétendre qu'à la perception -souvent hypothétique- de répartitions, alors que la reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure sur le fondement de la fraude du débiteur lui permettra de poursuivre ce dernier à hauteur de l'intégralité du montant de la créance. Rien n'empêche d'ailleurs le créancier d'agir successivement sur ces deux fondements. Dans un premier temps, la dissimulation volontaire du débiteur lui permettra d'être relevé de la forclusion puis admis au passif. Dans un second temps, la dissimulation, si elle s'avère frauduleuse, lui permettra de reprendre ses poursuites après clôture de la procédure.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon

  • Cession de créance, report d'exigibilité et clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif (Cass. com., 3 novembre 2009, deux arrêts, n° 07-14.993, FS-P+B N° Lexbase : A8070EMT et n° 07-15.233, FS-D N° Lexbase : A8071EMU)

La procédure de liquidation judiciaire peut être clôturée de deux façons. La plus courante est la clôture pour insuffisance d'actif. Elle correspond à environ 98 % des clôtures de liquidation judiciaire. Le débiteur ne peut payer l'intégralité de son passif, soit qu'il n'y a plus d'actifs à réaliser, soit que la réalisation de l'actif résiduel est plus coûteuse que ce qu'elle ne rapporterait à la collectivité des créanciers. La procédure de liquidation judiciaire peut également être clôturée sur le constat qu'il n'existe plus de passif exigible ou que le liquidateur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créances. Il s'agit de la clôture pour l'extinction du passif exigible. La solution résulte de l'article L. 622-30, 1° du Code de commerce (N° Lexbase : L7025AIZ, anciennement loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, art. 167 N° Lexbase : L6562AHI), dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, et de l'article L. 643-9, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L5568HDL), dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, qui indique qu'il y a place à clôture de la liquidation judiciaire "lorsqu'il n'existe plus de passif exigible ou que le liquidateur dispose de sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers".

La précision selon laquelle le passif exigible, et non pas simplement le passif, doit ou peut être payé peut surprendre. En effet, la liquidation judiciaire entraîne, par principe, déchéance du terme. L'affirmation n'est toutefois plus complètement exacte depuis la loi de sauvegarde des entreprises, puisque l'article L. 643-1, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3504ICR), dans la rédaction que lui donne l'ordonnance du 18 décembre 2008, dispose que "lorsque le tribunal autorise la poursuite de l'activité au motif que la cession totale ou partielle de l'entreprise est envisageable, les créances non échues sont exigibles à la date du jugement statuant sur la cession ou, à défaut, à la date à laquelle le maintien de l'activité prend fin".

En réalité, la précision selon laquelle l'on raisonne ici sur le passif exigible est importante, car rien n'interdit à un créancier, dont la créance est, au jour du jugement de liquidation judiciaire, exigible, ou l'est devenue par suite de l'ouverture ou du prononcé de la liquidation judiciaire, de renoncer à l'exigibilité de sa créance, en accordant à son débiteur des délais de paiement.

Cette technique, qui consiste pour le créancier à abandonner, non sa créance, mais l'exigibilité de celle-ci, peut-être un instrument particulièrement appréciable pour le débiteur, qui lui évite ainsi, le plus souvent, la vente d'un bien, et spécialement son immeuble d'habitation.

C'est la question au centre de deux arrêts de la Chambre commerciale du 3 novembre 2009.

En l'espèce, une société civile immobilière est placée en liquidation judiciaire. Trois créances sont déclarées à son passif. Une personne physique a réglé l'une de ces créances et a racheté une deuxième créance. Une seconde personne physique a identiquement racheté la troisième créance. Dans ces conditions, la SCI a demandé la clôture de sa liquidation judiciaire pour extinction du passif exigible, entendant ainsi échapper à la vente de l'immeuble qui était sa propriété. Les nouveaux titulaires des créances ont déclaré renoncer à réclamer l'exigibilité de leur créance, ces sommes ne devant être remboursées qu'à l'issue des opérations de liquidation amiable et après cession ferme de l'immeuble de la SCI et encaissement du prix de cession. Quelques jours plus tard, le juge-commissaire devait autoriser la vente de gré à gré de l'immeuble de la SCI. Opposition était formée à l'encontre de cette décision. Le tribunal devait confirmer l'ordonnance. La SCI et les deux nouveaux titulaires des créances devaient alors former un appel nullité en prétendant que le juge-commissaire avait excédé ses pouvoirs, excès de pouvoir confirmé par le tribunal, en autorisant la vente d'un bien en l'absence de passif exigible.

La cour d'appel ne devait pas donner gain de cause aux appelants. Deux pourvois ont alors été formés, le premier par la SCI (n° 07-15.233), le second par les deux titulaires de créances (n° 07-14.993).

Dans le premier pourvoi (n° 07-15.233), il était reproché à la cour d'appel d'avoir rejeté la demande de clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour extinction du passif exigible, alors que les nouveaux titulaires des créances avaient renoncé à l'exigibilité de celle-ci. La particularité de l'espèce tenait non à l'abandon de l'exigibilité de la créance, mais au fait que cet abandon n'émanait pas du créancier originaire, mais du cessionnaire de la créance. Quelle importance objectera-t-on ? Nous allons voir, en réalité, que c'est bien là toute la difficulté, pour la Cour de cassation.

Il importe de rappeler, tout d'abord, que la Cour de cassation a admis précédemment la possibilité pour le créancier d'origine de renoncer à l'exigibilité de sa créance. Rien n'interdit, en effet, au titulaire d'une créance exigible, de reporter l'exigibilité de sa créance (6). Ce report d'exigibilité ne s'analyse pas, selon la Cour de cassation, en une transaction. Il n'est donc pas besoin d'autorisation du juge-commissaire. Il s'agit d'un réaménagement de la dette. Ainsi, le passif exigible par l'effet d'une déchéance du terme intervenue avant jugement d'ouverture ou par l'effet de la liquidation judiciaire devient à terme. Il n'y a donc pas d'obstacle à la clôture par extinction du passif, la demande de clôture s'analysant en un droit propre du débiteur (7). Pour autant, cette clôture n'interdit pas au créancier de demander le paiement au débiteur et à son codébiteur. Il ne peut se réfugier derrière l'autorité de la chose jugée attachée au jugement de clôture par extinction du passif pour prétendre que la créance est éteinte (8). De la même façon, la clôture de la procédure, qui intervient parce que le liquidateur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers, n'a pas autorité de chose jugée quant à l'extinction des créances admises au passif (9).

Cette possibilité pour le créancier d'origine de reporter l'exigibilité de sa créance n'était pas discutée en l'espèce. Il y avait en effet eu une cession de créance et le report d'exigibilité avait été l'oeuvre du cessionnaire de la créance.

Il est admis, ensuite, que l'extinction du passif de la liquidation judiciaire permettant la clôture pour insuffisance d'actif puisse être l'oeuvre d'un tiers. Mais, en ce cas, le tiers devra payer en lieu et place du débiteur sans être investi des droits de créancier en lieu et place du créancier payé. Toute cession de créance ou subrogation est donc exclue (10).

C'est la solution reprise, en l'espèce, par la Cour de cassation, dans le second arrêt (n° 07-14.993). Elle affirme que "si les rachats de créances sont établis, ceux-ci ont eu pour effet de produire un changement de créancier et non d'éteindre le passif exigible de la SCI, dans la mesure où [les nouveaux titulaires des créances], qui bénéficient d'une subrogation dans les droits [des créanciers d'origine] ne justifient pas avoir fait un abandon de créance pur et simple".

Si le principe posé par la Cour de cassation ne souffre pas de difficulté, en revanche, il n'est pas véritablement répondu à l'argument avancé par le pourvoi. En effet, si le cessionnaire de la créance ou celui subrogé dans les droits du créancier d'origine renonce à l'exigibilité de sa créance, en octroyant au débiteur des délais de paiement, alors il n'y a plus de créance exigible. Peu importe, dans ces conditions, que le report d'exigibilité soit consenti par le créancier d'origine, par le cessionnaire de la créance ou la personne subrogée dans les droits du créancier. Le constat s'impose : les créances ne sont plus exigibles.

Si les créances, objet de la cession ou de la subrogation sont les seules dans la procédure collective du débiteur, alors, d'évidence, la clôture de la procédure pour extinction du passif peut intervenir. Il ne s'agit pas, en effet, d'une clôture pour extinction du passif, ce qui aurait permis de comprendre la réserve formulée par la Cour de cassation sur le fait que la créance n'ait pas été abandonnée, mais seulement d'une disparition de l'exigibilité du passif.

Ainsi, la solution adoptée par la Cour de cassation ne semble pas pouvoir être approuvée, compte tenu de la confusion commise, nous semble-t-il, entre l'extinction du passif et l'extinction du passif exigible.

Dans cette même affaire, un autre pourvoi en cassation avait été diligenté par la SCI, reprochant à la cour d'appel d'avoir rejeté l'argument tenant à l'excès de pouvoir commis par le juge-commissaire à autoriser la vente de gré à gré de l'immeuble, alors que cette vente était intitule, faute de passif exigible. La Cour de cassation va déclarer irrecevable le pourvoi en considérant que le juge-commissaire n'avait commis aucun excès de pouvoir. Il importe ici, pour la compréhension de la solution, de rappeler que, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, applicable aux faits de l'espèce, les jugements par lesquels il est statué sur les recours formés contre les ordonnances du juge-commissaire ne sont pas susceptibles d'appel. Ce principe est toutefois tenu en échec, mais au seul profit du ministère public, en matière de réalisations d'actifs du débiteur en liquidation judiciaire. Ainsi, en l'espèce, seul le ministère public disposait-il du droit d'interjeter appel à l'encontre du jugement statuant sur le recours formé contre l'ordonnance du juge-commissaire ordonnant la vente de gré à gré de l'immeuble du débiteur. L'appel réformation étant irrecevable, seule subsistait la possibilité d'un appel nullité, ce qui présupposait qu'un excès de pouvoir ait été commis par le juge-commissaire, confirmé par le tribunal. La Cour de cassation, en l'espèce, va déclarer irrecevable le recours nullité, faute d'excès de pouvoir. Elle énonce, en principe de solution, que "le tribunal n'a fait qu'user des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 622-16 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises en ordonnant la vente de gré à gré de l'immeuble à la SNC S, dès lors que la procédure de liquidation judiciaire n'était pas clôturée".

Certes, il ne peut être discuté qu'aucun texte n'interdit à un liquidateur de vendre l'immeuble d'un débiteur en liquidation judiciaire et, plus généralement, tous les actifs de celui-ci, tant que la procédure n'est pas clôturée. Pour autant, cette affirmation nous semble excessive. La possibilité pour le liquidateur de vendre les actifs du débiteur s'inscrit dans la finalité de la liquidation judiciaire : liquider les actifs, c'est-à-dire les rendre liquides afin de permettre le désintéressement des créanciers. Dès lors qu'il n'est plus question de désintéresser les créanciers, faute de passif exigible, il ne peut plus être davantage d'actualité de continuer à vendre les actifs. A notre sens, le liquidateur sort de sa mission de défense de l'intérêt collectif des créanciers, dont il a la charge, en continuant à vendre des actifs du débiteur, alors que cette vente est inutile au regard de désintéressement des créanciers de la procédure collective.

Ainsi, dans cette affaire, nous ne pouvons souscrire aux analyses de la Cour de cassation. La généralité de la formule employée, en ce qui concerne la possibilité pour le liquidateur de continuer à vendre des actifs tant que la procédure de liquidation judiciaire n'est pas clôturée ne saurait emporter notre conviction. En outre, la clôture de la procédure de liquidation judiciaire pour extinction du passif exigible, nous semble possible dès lors qu'il n'existe plus, ainsi que l'énoncent les textes, de passif exigible, peu important que le passif existe toujours, et peu important que le report d'exigibilité n'ait pas été l'oeuvre du créancier d'origine, mais d'une personne cessionnaire de la créance ou subrogée dans les droits de ce créancier.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises


(1) CA Paris, 8ème ch., sect. B, 11 octobre 2001, D., 2001, AJ 3435 ; v., en ce sens, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2010/2011, n° 592.66.
(2) Cass. civ. 2, 26 juin 2003, n° 01-16.166, M. Pascal c/ Mme Juliette, FS-P+B (N° Lexbase : A9760C8Y), Bull. civ. II, n° 215 ; Act. proc. coll., 2003/17, n° 223 ; Dr. et proc., 2003/6, p. 354, note E. Putman ; LPA, 18 février 2004, n° 35, p. 3, note F.-X. Lucas.
(3) Dans le même sens, Cass. com., 2 mai 2001, n° 98-16.146, Agence de l'eau Adour-Garonne c/ Société Usine de Longchamp (N° Lexbase : A3383ATH), Bull. civ. IV, n° 81, D., 2001, AJ 1725, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 2001, chron. 1470, n° 10, obs. Ph. Pétel, Act. proc. coll., 2001, n° 119, obs. C. Régnaut-Moutier ; Cass. com., 14 janvier 2004, n° 01-01.728, M. Christian Poignand de La Salinière c/ M. Jean-Jacques Joly, F-D (N° Lexbase : A8636DA4), obs. de P.-M. Le Corre, La fraude et la reprise des poursuites individuelles après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif , Lexbase Hebdo n° 112 du 18 mars 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N0877AB4) ; Cass. com., 15 février 2005, n° 02-13.814, Société Cegelec Sud-Est c/ Société Soudures et applications électriques (SEAE), F-D (N° Lexbase : A0947DHK) ; Cass. com., 12 avril 2005, n° 03-20.901, Crédit immobilier de Savoie c/ M. Roger Dutruc, F-D (N° Lexbase : A8732DHU), Gaz. proc. coll., 2005/2, p. 19, obs. D. Voinot, Gaz. proc. coll., 2005/2, p. 25, obs. P.-M. Le Corre.
(4) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 592.66.
(5) Sur le caractère autonome de ce cas de relevé de forclusion, v. Rapp. J.-J. Hyest, n° 335, p. 53 et p. 218 ; adde P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 665.53 ; E. Lienhard, Sauvegarde des entreprises en difficulté, Delmas, 2ème éd., 2007, n° 1109 ; J.-Cl. Com., J. Vallansan, fasc. 2352, Déclaration et admission des créances, éd. 2007, n° 136 et no 158. V., solution implicite, CA Paris, 3ème ch., sect. B, 8 novembre 2007, n° 07/02567, M. Trésorier du Raincy c/ Maître Olivier Chavanne de Dalmassy (N° Lexbase : A8173DZQ), RTDCom., 2008, p. 194, n° 2, obs. A. Martin-Serf.
(6) CA Versailles, 13ème ch., 8 mars 2007, RG n° 06/01077.
(7) Obs. M. Sénéchal, Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 36.
(8) Cass. com., 4 octobre 2005, n° 03-17.619, M. Michel Barth c/ Banque populaire de l'Ouest, F-P+B (N° Lexbase : A7050DKC), Bull. civ. IV, n° 192 ; D., 2005, AJ 2806, obs. A. Lienhard ; D., 2006, somm. 82, nos obs. ; JCP éd. E, 2006, chron. 1006, p. 74, n° 9, obs. M. Cabrillac ; Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 36, obs. M. Sénéchal.
(9) CA Reims, ch. civ., 1ère sect., 9 août 2005, RG n° 04/02177 ; adde, en ce sens, Voinot, n° 673.
(10) CA Bordeaux, 26 novembre 1987, Cah. jurispr. Aquitaine, 1988, 254 ; adde, J.-Cl. Com., J. Vallansan, fasc. 2770, Clôture pour insuffisance d'actif, éd. 2008, n° 21.

newsid:375942

Urbanisme

[Questions à...] Les mesures du plan de relance concernant l'urbanisme : les nouveaux dispositifs issus de la loi du 17 février 2009 - Questions à... Maître Laurent Férignac, associé du cabinet AdDen

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N6055BM9

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 07 Octobre 2010

La crise économique et la crise du logement ont conduit à la promulgation de la loi n° 2009-179 du 17 février 2009, pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés (N° Lexbase : L9450ICY). Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Maître Laurent Férignac, associé du cabinet AdDen avocats, qui nous fait part de ses observations sur les nouveaux dispositifs issus de cette loi touchant les règles de modification des documents d'urbanisme. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le contexte économique et législatif dans lequel est intervenu ce nouveau texte, ainsi que son décret d'application du 18 juin 2009 ?

Laurent Férignac : La loi n° 2009-179 du 17 février 2009 est destinée à tenter de parer au risque de récession économique dans le domaine de la construction. Elle est, sur ce point, conforme aux objectifs affichés, dès le 4 décembre 2008, par le Président de la République, lors de son discours de présentation du plan de relance. Cette loi vient élargir le panel des procédures d'adaptation des documents d'urbanisme que les collectivités locales ont vocation à mettre en oeuvre, en y ajoutant deux types de modification simplifiée qui se distinguent par leur nature et leur durée d'application.

La première est temporaire, puisque sa mise en oeuvre s'achève le 31 décembre 2010, et ne concerne que les modifications visant à autoriser les constructions en limites séparatives. L'autre est pérenne, codifiée au Code de l'urbanisme, et vise des modifications concernant des erreurs matérielles, ou des éléments mineurs énumérés par le décret d'application du 18 juin 2009 (décret n° 2009-722 N° Lexbase : L4127IEL).

Cette loi intervient, par ailleurs, dans un contexte d'assouplissement général du droit de l'urbanisme. Ainsi, la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (N° Lexbase : L0743IDU), a pour but de permettre l'accroissement de l'offre de logement dans un contexte de crise en assouplissant les contraintes imposées par les PLU, et en instituant des dérogations temporaires à certaines de ses règles afin d'accélérer la réalisation de programmes de construction.

Lexbase : Dans quelle mesure les procédures d'adaptation des documents locaux d'urbanisme sont-elles assouplies par les nouveaux dispositifs ?

Laurent Férignac : En premier lieu, la procédure de modification temporaire instaurée par l'article 1er de la loi du 17 février 2009 est profondément liée aux mesures prises dans le cadre de la crise économique et de la crise du logement. Imaginée en même temps que le plan de relance, cette nouvelle procédure a vocation à accélérer temporairement les investissements dans le secteur du bâtiment, en limitant des contraintes considérées comme pesantes pour les constructeurs. Toutefois, son objet est assez restreint, puisqu'elle permet uniquement de procéder à une modification du PLU ou du POS sans enquête publique, afin d'autoriser l'implantation de constructions en limites séparatives dans une zone où le PLU impose un recul des constructions par rapport à ces limites.

En second lieu, l'article 2 de la loi du 17 février 2009, issu d'un amendement parlementaire, a permis la codification, à l'article L. 123-13 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9506IC3), d'une procédure de modification simplifiée des documents d'urbanisme. A cet égard, l'on peut s'interroger, en l'absence de modification de l'article L. 123-19 du même code (N° Lexbase : L6086IE7), relatif aux procédures d'adaptation des POS aprouvés avant l'entrée en vigueur de la loi du 13 décembre 2000, dite loi "SRU" (loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains N° Lexbase : L9087ARY), sur l'applicabilité de la procédure de modification simplifiée aux POS, ou encore aux plans d'aménagement de zone (PAZ) encore en vigueur (C. urb., art. L. 311-7 N° Lexbase : L1931DKQ).

La procédure codifiée à l'article L. 123-13 du Code de l'urbanisme est, tout d'abord, applicable pour la rectification d'"erreurs matérielles". En l'absence de jurisprudence, l'on peut considérer que cette nouvelle procédure devrait s'appliquer aux seules erreurs de forme, et non aux erreurs de fond. Ensuite, la procédure de modification simplifiée est applicable aux rectifications portant sur des éléments mineurs, dont la liste a été établie par le décret n° 2009-722 du 18 juin 2009 précité, et codifiée à l'article R. 123-20-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L0266IGX).

C'est ainsi que cette procédure est utilisable pour :

- augmenter, dans la limite de 20 %, le coefficient d'emprise au sol, le coefficient d'occupation des sols ou la hauteur maximale des constructions, ainsi que les plafonds dans lesquels peut être autorisée l'extension limitée des constructions existantes ;

- diminuer les obligations de recul des constructions par rapport aux limites de leur terrain d'assiette ou par rapport aux autres constructions situées sur le même terrain ;

- diminuer, dans la limite de 20 %, la superficie minimale des terrains constructibles ;

- supprimer des règles qui auraient pour objet, ou pour effet, d'interdire l'installation de systèmes domestiques solaires thermiques ou photovoltaïques ou de tout autre dispositif individuel de production d'énergie renouvelable, l'utilisation en façade du bois ou de tout autre matériau renouvelable permettant d'éviter des émissions de gaz à effet de serre, ou la pose de toitures végétalisées ou retenant les eaux pluviales ;

- supprimer un ou plusieurs emplacements réservés ou réduire leur emprise ;

- supprimer des règles qui auraient pour seul objet ou pour seul effet d'interdire l'installation d'ouvrages de production d'électricité à partir de l'énergie solaire installés sur le sol d'une puissance crête inférieure, ou égale, à douze mégawatts, dans les parties des zones naturelles qui ne font pas l'objet d'une protection spécifique en raison de la qualité des sites, des milieux naturels et des paysages, et qui ne présentent ni un intérêt écologique particulier, ni un intérêt pour l'exploitation forestière.

En revanche, comme le précise cet article, ces modifications ne peuvent avoir pour objet, ou pour effet, de porter atteinte aux prescriptions édictées en application du 7° de l'article L. 123-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1254IDS).

S'agissant de la diminution des obligations de recul des constructions, le décret ne fixant pas de limite chiffrée. Il appartiendra donc au juge d'apprécier le caractère "mineur" de la modification envisagée, ce qu'il fait déjà s'agissant des "adaptations mineures" autorisées par l'article L. 123-1 précité.

Lexbase : Quelles sont les conséquences de la disparition de l'enquête publique, induite par ces nouveaux dispositifs ?

Laurent Férignac : Le premier apport attendu de ces procédures de modifications simplifiées est un gain de temps. La suppression de l'enquête publique devrait accélérer le processus de modification. Cependant, les nouvelles procédures n'apparaissent pas substantiellement simplifiées, dans la mesure où la suppression de l'enquête publique est compensée par de nouvelles formalités. En effet, le projet de modification devra être mis à la disposition du public pendant un mois précédant la convocation de l'assemblée délibérante. Le nouvel article R. 123-20-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L0267IGY) précise, à cet égard, qu'un avis devra être publié dans la presse locale, et affiché en mairie huit jours avant le début de la période d'un mois de mise à disposition du public. Par ailleurs, un "exposé des motifs" distinct du projet de modification devra y être joint. De même, la délibération d'approbation de la modification par l'organe délibérant de la mairie, ou de l'EPCI, devra être motivée. Or, à l'exception de la publication de l'avis dans la presse, ces dernières formalités innovent par rapport à la procédure de modification normale, ce qui est source d'interprétation par le juge, et donc d'insécurité.

Ainsi, ces deux procédures de modification simplifiée viennent s'ajouter aux procédures d'adaptation classique des documents locaux d'urbanisme que sont la révision normale, la révision simplifiée, et la modification. Dès lors, l'on peut s'interroger sur la justification d'une telle réforme au regard des risques de complexification du droit de l'urbanisme qu'elle implique.

En outre, l'on peut douter de la portée véritable de cette dernière. En effet, si les modifications permises par les nouveaux textes semblent pour certaines limitées, comme c'est le cas concernant la suppression d'un emplacement réservé ou des règles qui auraient pour seul objet, ou pour seul effet, d'interdire l'installation d'ouvrages de production d'électricité à partir de l'énergie solaire, ou l'installation de systèmes domestiques solaires thermiques ou photovoltaïques, il n'en va pas nécessairement de même en ce qui concerne la modification de 20 % du coefficient d'emprise au sol, du coefficient d'occupation des sols, ou de la hauteur maximale des constructions, ainsi que des plafonds dans lesquels peut être autorisée l'extension limitée des constructions existantes.

En effet, en l'absence de toute autre précision, ces modifications pourraient, si elles concernaient de très grandes zones d'une commune, ou si elle étaient réalisées en même temps, risquer de porter atteinte au parti d'aménagement de la commune, tel qu'il figure dans le projet d'aménagement et de développement durable, et, par conséquent, d'être annulées par le juge administratif.

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Contrat de travail

[Jurisprudence] Formalisme du renouvellement de la période d'essai : le pas de trop ?

Réf. : Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-43.008, Société Costimex, F-P+B (N° Lexbase : A1681EPX)

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N5941BMY

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La période d'essai, destinée à permettre aux parties d'évaluer si la relation de travail naissante leur convient, doit nécessairement être limitée à une durée raisonnable (1). Cette règle est justifiée car l'acceptation par le salarié d'une période d'essai constitue une véritable renonciation, pour un temps, aux règles protectrices du droit du licenciement. Comme cela est souvent le cas en matière de renonciation, la Cour de cassation exige que celle-ci soit formalisée afin de garantir que celui qui se dépossède d'un droit ou d'une protection ait véritablement conscience de cette renonciation (2). C'est principalement pour cette raison que la Chambre sociale a, depuis longtemps, imposé un formalisme rigoureux au renouvellement de la période d'essai, ce qu'un arrêt du 25 novembre 2009 vient nous rappeler (I). Cette décision mène pourtant à se demander si la Cour de cassation n'a pas franchi le Rubicon en imposant une nouvelle modalité au formalisme du renouvellement. En effet, en jugeant que la volonté du salarié de renouveler l'essai ne peut être claire et non équivoque lorsque ce dernier appose sa signature à "un document établi par l'employeur", la Chambre sociale paralyse, en pratique, la plupart des hypothèses de renouvellement par le simple jeu d'une règle de forme. En refoulant, de fait, une technique désormais prévue par le Code du travail, on peut, dès lors, se demander s'il n'y a pas désormais un caractère excessif du formalisme imposé au renouvellement de l'essai (II).
Résumé

Le renouvellement ou la prolongation de la période d'essai doit résulter d'un accord exprès des parties et exige une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié ne pouvant être déduite de la seule apposition de sa signature sur un document établi par l'employeur.

I - Rappel du formalisme exigé en matière de renouvellement de la période d'essai

  • L'encadrement jurisprudentiel et législatif du renouvellement de l'essai

La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B) (3), a sensiblement modifié le régime juridique de la période d'essai en droit du travail. Les règles relatives à son renouvellement n'ont, bien entendu, pas échappé à cette réforme, même si la Cour de cassation avait déjà façonné la plupart des règles aujourd'hui reprises par les articles L. 1221-19 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L8751IAD).

En effet, après avoir longtemps été laissés à la discrétion de la volonté des parties, le renouvellement ou la prolongation de la période d'essai ont été encadrés par la jurisprudence.

  • La double prévision du renouvellement

D'abord, le renouvellement de la période d'essai doit avoir été envisagé dès l'origine de la relation contractuelle. Cette prévision doit ressortir à la fois de la convention collective de branche applicable à l'entreprise et du contrat de travail du salarié. Il doit donc nécessairement exister une double prévision du renouvellement de l'essai (4). Cette double prévision est désormais reprise aux articles L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3) et L. 1221-23 (N° Lexbase : L8368IA8) du Code du travail.

Ensuite, le renouvellement doit être justifié et ne pas emporter une durée excessive d'essai (5). La durée excessive, qui était autrefois entendue comme une durée déraisonnable, est aujourd'hui plus objectivement délimitée par le Code du travail, qui fixe des durées maximales d'essai, renouvellement compris (6).

  • La volonté expresse du salarié au renouvellement de l'essai

Enfin, si ce renouvellement a bien été anticipé et que la durée en est raisonnable, il faudra encore que la volonté de chacune des parties de renouveler l'essai soit réitérée avant l'échéance de la période d'essai initiale. Le consentement du salarié au renouvellement de l'essai doit être exprès, comme l'a rappelé à de nombreuses reprises la Cour de cassation (7).

C'est de cette manière que la Cour de cassation refusa l'accord tacite par le silence du salarié, appliquant le principe selon lequel le silence ne vaut pas acceptation (8) ou l'accord tacite du fait que le salarié avait poursuivi son travail sans protestation (9). Allant plus loin encore, la Cour de cassation sanctionna le mécanisme de tacite reconduction utilisé pour renouveler de façon automatique l'essai (10) et proscrivit la décision unilatérale de l'employeur de renouveler la période d'essai (11).

Si l'accord entre l'employeur et le salarié devait être exprès, on pouvait encore se demander si cet accord devait revêtir un formalisme particulier. La Cour de cassation avait déjà partiellement répondu à cette question en jugeant que l'accord donné par le salarié doit être exprès et que, par suite, la simple signature au bas d'une note d'évaluation ne pouvait suffire à caractériser cet accord (12). Le formalisme du renouvellement de la période d'essai est donc très surveillé par la Chambre sociale, comme en témoigne, une nouvelle fois, l'espèce sous examen.

  • En l'espèce : renforcement implicite du renouvellement de l'essai

Un salarié avait été engagé en qualité de responsable de l'administration et de la gestion en 2003, son contrat de travail prévoyant une période d'essai de trois mois renouvelable une fois. La question de la double prévision du renouvellement, à la fois par le contrat de travail et la convention collective, ne semblait pas faire difficulté. En revanche, c'est la manière dont le salarié donna son accord au renouvellement qui mit le feu aux poudres.

En effet, deux jours avant l'expiration de la période d'essai initiale, l'employeur présenta au salarié une lettre faisant état de l'accord auxquels les parties étaient parvenues de renouveler la période d'essai pour une durée de trois mois supplémentaires, lettre que le salarié contresigna. Durant le renouvellement de la période d'essai, l'employeur rompit le contrat de travail. La cour d'appel saisie de cet affaire estima que l'acceptation du salarié du renouvellement de la période d'essai était équivoque, si bien que le renouvellement n'était pas valable et que la rupture du contrat de travail devait s'analyser comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par l'intermédiaire d'un chapeau interne à l'arrêt rendu, la Chambre sociale rappelle que "le renouvellement ou la prolongation de la période d'essai doit résulter d'un accord exprès des parties et exige une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié". Il en découle que cette manifestation de volonté ne pouvait "être déduite de la seule apposition de sa signature sur un document établi par l'employeur".

II - Caractère excessif du formalisme exigé en matière de renouvellement de la période d'essai

  • Réaffirmation de l'exigence d'une volonté claire et non équivoque du salarié

Par cette décision, la Cour de cassation ne paraît faire que rappeler son exigence de voir les parties formuler leur volonté de renouveler la période d'essai de manière expresse. La règle selon laquelle la manifestation de volonté devait être claire et non équivoque est, en effet, depuis longtemps affirmée par la cour, il n'y a donc, à première vue, rien de nouveau dans cette solution. La Chambre sociale persiste dans sa tendance à exiger un formalisme accru en matière de renouvellement de l'essai.

Si la règle est donc classique, la conséquence que la Cour de cassation en tire ne laisse, cependant, pas indifférent. En effet, la formule générale utilisée par la Cour de cassation nous semble périlleuse en ce qu'elle pourrait, potentiellement, mettre à mal la quasi-totalité des renouvellements de périodes d'essai.

  • Le refoulement des "documents établis par l'employeur" : exigence d'un avenant spécifique ?

Deux interprétations nous semblent pouvoir être retenues de l'affirmation selon laquelle le consentement du salarié ne peut être déduit de l'apposition de sa signature à un "document établi par l'employeur".

A minima, cette affirmation pourrait simplement signifier que les nombreux documents que l'employeur peut être amené à fournir au salarié ne peuvent constituer le support d'un renouvellement. Une fiche d'évaluation du salarié avait déjà été écartée de la sorte. C'est, cette fois, une lettre établie par l'employeur qui est écartée, au motif implicite que la lettre ne matérialisait pas l'accord des parties, mais prenait simplement acte d'un accord verbal intervenu précédemment.

Cette interprétation justifierait alors qu'il soit désormais tout à fait indispensable que les parties concluent un véritable avenant au contrat de travail, dont le seul objet soit le renouvellement de la période d'essai, pour que l'accord du salarié soit jugé comme étant exprès.

  • Le refoulement des "documents établis par l'employeur" : un formalisme contra legem ?

Cependant, une autre interprétation a maxima peut être envisagée. Quelle est donc cette catégorie visée par la Cour de cassation de "document établi par l'employeur" sur lequel le salarié appose sa signature ? La Cour de cassation est-elle véritablement dupe du fait que le contrat de travail ou un avenant à celui-ci, prévoyant le renouvellement de la période d'essai, n'est jamais rédigé à quatre mains par l'employeur et le salarié, mais est toujours établi par l'employeur, le plus souvent à partir de modèles fournis par les différents éditeurs juridiques ? La généralité de la formule est donc malheureuse. Interprétée strictement, elle signifierait que la période d'essai ne peut être renouvelée qu'à la condition que le document n'émane pas de l'employeur ou, du moins, pas seulement de l'employeur.

Pour tout dire, il nous semble qu'il y a là une véritable hypocrisie de la Cour de cassation au sujet du renouvellement de la période d'essai. Le renforcement progressif de son formalisme est destiné à limiter le caractère quasi automatique du renouvellement dans bien des cas. Pour autant, l'objectif n'est pas atteint et la Cour de cassation ne parvient pas à endiguer cet automatisme dans la pratique.

La solution aurait été de purement et simplement interdire le renouvellement de la période d'essai, quitte à prévoir la faculté, dès l'origine, de périodes d'essai plus longues tout en respectant le caractère nécessairement raisonnable de cette durée (13). Le renforcement à outrance du formalisme peut alors être vu comme un moyen détourné d'endiguer au maximum les hypothèses de renouvellement de la période d'essai.

Cependant, cette volonté de juguler le recours au renouvellement de la période d'essai va désormais à l'encontre de la volonté du législateur. En effet, si la loi du 25 juin 2008 n'a pas spécifiquement encadré la réitération de la volonté des parties au renouvellement pendant la période d'essai initiale, elle a tout de même introduit dans le Code du travail la possibilité du renouvellement, si bien qu'il paraît désormais aller à l'encontre de l'esprit de la loi de tenter d'empêcher par ce moyen détourné de renouveler l'essai.

Si l'on peut regretter que le législateur n'ait pas plus sérieusement encadré le renouvellement, voire qu'il ne l'ait pas interdit, cela ne permet pas d'avaliser une position de la Cour de cassation qui mène peu ou prou au déni de la reconnaissance législative de la technique du renouvellement de l'essai.


(1) Sur le caractère raisonnable de la durée de l'essai en général, v. S. Tournaux, Une année, durée déraisonnable d'essai, RDT, 2009, p. 579 ; L'essai en droit privé, thèse Bordeaux, 2008, dactyl., sous la dir. de Ch. Radé, n° 346 et s..
Sur la durée du renouvellement de l'essai en particulier, lire nos obs., Renouvellement et durée maximale de la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 341 du 11 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7755BI3), obs. sous Cass. soc., 25 février 2009, n° 07-40.155, M. Patrick Jacquel, FS-P+B (N° Lexbase : A3951EDP).
(2) J. Carbonnier, Rapport général, in Les renonciations au bénéfice de la loi en droit privé, Travaux de l'Association H. Capitant, t. XIII, 1963, p. 283.
(3) Lire les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL) ; et nos obs., Commentaire des articles 4, 5 et 6 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : période d'essai, accès à certains droits et développement des compétences des salariés, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8239BDI) ; J. Mouly, Sur le caractère impératif de la durée des nouvelles périodes d'essai, SSL, 28 avril 2008, n° 1351, p. 6 ; Une innovation ambiguë : la réglementation de l'essai, Dr. soc., 2008, p. 288 ; A. Mazeaud, Un nouveau droit de la formation du contrat de travail dans la perspective de la modernisation du marché du travail ?, Dr. soc., 2008, p. 626 ; A. Sauret, La période d'essai, JCP éd. S, 2008, 1364.
(4) Lire nos obs., La double prévision du renouvellement de la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 315 du 30 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7022BG8), obs. sous Cass. soc., 2 juillet 2008, n° 07-40.132, Société Laboratoires Forte Pharma, F-P+B (N° Lexbase : A4981D9D).
(5) Cass. soc., 29 novembre 2000, n° 99-40.174, Mme Danielle Boullet, épouse Roton c/ Société Home 55, société à responsabilité limitée, inédit (N° Lexbase : A2433AYR).
(6) C. trav., art. L. 1221-21 (N° Lexbase : L8446IA3).
(7) Cass. soc., 5 mars 1996, n° 93-40.080, M. Jean-Pierre Dulong c/ Société NMI Trancell, société à responsabilité limitée (N° Lexbase : A2048AA4) ; Cass. soc., 10 janvier 2001, n° 97-45.164, M. Frédéric Furlotti (N° Lexbase : A2017AIK).
(8) Cass. soc., 5 mars 1996, n° 93-40.080, M. Jean-Pierre Dulong c/ Société NMI Trancell, société à responsabilité limitée, inédit (N° Lexbase : A2048AA4).
(9) Cass. soc., 2 février 1994, n° 89-43.868, Leclerc c/ SA Sedec et autre, inédit (N° Lexbase : A1711AAM).
(10) Cass. soc., 10 janvier 2001, n° 97-45.164, préc..
(11) Cass. soc., 30 octobre 2002, n° 00-45.185, M. Xavier Nollet c/ Société Casa, F-D (N° Lexbase : A3985A3Y).
(12) Cass. soc., 15 mars 2006, n° 04-46.406, Mlle Andrea Guidoni c/ Société Générale, F-P+B (N° Lexbase : A6142DNS) et nos obs., L'accord exprès du salarié au renouvellement de la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 208 du 29 mars 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N6317AK8).
(13) A partir du constat de l'hypocrisie que constitue la prétendue acceptation du renouvellement de l'essai, nous soutenons que la faculté de renouveler la période d'essai devrait être proscrite au profit d'un allongement éventuel de la durée initiale de l'essai. Ce souhait n'a malheureusement pas été entendu puisque la loi du 25 juin 2008 a légalisé le recours au renouvellement de l'essai. V. S. Tournaux, L'essai en droit privé, préc., pp. 347 et s..


Décision

Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-43.008, Société Costimex, F-P+B (N° Lexbase : A1681EPX)

Rejet, CA Colmar, ch. soc., sect. B, 27 mai 2008

Textes visés : néant

Mots-clés : période d'essai ; renouvellement ; formalisme ; volonté claire et non équivoque du salarié

Lien base : (N° Lexbase : E8903ESK)

newsid:375941

Fiscalité financière

[Jurisprudence] Les sommes versées sans contrepartie sur un compte bancaire sur lequel l'associé dispose d'une procuration sont considérées comme des revenus distribués

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 27 octobre 2009, n° 307048, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique c/ M. Bedadi (N° Lexbase : A6014EMP)

Lecture: 2 min

N5902BMK

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par Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris

Le 07 Octobre 2010

Les sommes versées sans contrepartie sur un compte bancaire sur lequel l'associé dispose d'une procuration sont considérées comme des revenus distribués. Tel est le rappel opéré par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 27 octobre 2009.

1. Règle posée par l'article 109, 1-2°, du CGI

Les dispositions de l'article 109, 1-2°, du CGI (N° Lexbase : L2060HLU), qui précisent que "sont considérées comme revenus distribués toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices", donnent une définition comptable des revenus distribués, envisagés du point de vue de la société distributrice plutôt que du bénéficiaire. Cependant, ces dispositions ne peuvent s'appliquer qu'à la condition que les sommes prétendument distribuées aient été effectivement désinvesties de l'entreprise, c'est-à-dire qu'elles aient été réellement appréhendées par le bénéficiaire. Elles visent, notamment, les charges réintégrées. Par ailleurs, ces dispositions ne s'appliquent pas si l'exercice social reste déficitaire malgré la réintégration (CE Contentieux, 13 décembre 1978, n° 02204, Société X N° Lexbase : A4003AI4). Depuis l'imposition des revenus de 2006, ces revenus réputés distribués par une société à la suite d'une rectification de son résultat visés à l'article 109, 1, du CGI, sont imposés sur 125 % de leur montant (instruction BOI du 29 mars 2007, BOI 5 B-10-07, n° 37 N° Lexbase : X8413ADX).

2. Application dans l'hypothèse de versements sans contrepartie sur un compte bancaire sur lequel l'associé dispose d'une procuration

A l'issue de la vérification de comptabilité d'une SARL, l'agent des impôts avait, notamment, constaté l'absence d'exécution matérielle de prestations de publicités facturées à l'entreprise. Il avait donc réintégré les montants en cause dans le bénéfice imposable. Deux chèques en paiement de ces prestations ayant été encaissés sur un compte bancaire sur lequel l'associé disposait d'une procuration, le vérificateur avait mis en oeuvre les dispositions du 2° du 1 de l'article 109. Les Sages du Palais-Royal ont jugé le redressement justifié puisque l'administration rapportait la preuve de l'appréhension des sommes désinvesties par l'associé. Le juge confirme donc que la mise en oeuvre des dispositions de l'article 109, 1-2°, impose à l'administration de démontrer l'appréhension effective par l'associé. Ainsi, ne peut, par exemple, être considéré comme revenus distribués les sommes mises à disposition d'une personne un mois avant qu'elle ne devienne actionnaire (CE 7°, 8° et 9° s-s-r., 7 novembre 1975, n° 85284, Dame X, publié N° Lexbase : A2328AI3). En revanche, le texte est applicable lorsque l'associé ne détient que deux parts de la société (CE contentieux, 29 septembre 2000, n° 204516, M. Salles N° Lexbase : A3752AT7).

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Licenciement

[Jurisprudence] La proposition d'une modification du contrat de travail ne dispense pas l'employeur de son obligation de reclassement

Réf. : Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-42.755, M. Alain Foucart c/ Société Distrimusic international, F-P+B (N° Lexbase : A1676EPR)

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N5943BM3

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Confronté à une situation économique difficile, l'employeur peut être conduit à proposer à ses salariés une modification de leur contrat de travail. Le licenciement consécutif au refus de la modification relevant de la catégorie des licenciements pour motif économique, l'employeur se doit de respecter son régime juridique et, notamment, de chercher à reclasser le salarié dans un emploi disponible de la même catégorie ou, à défaut, d'une catégorie inférieure. Ce faisant, le respect de l'obligation de reclassement peut emporter une modification du contrat de travail qui, parfois, sera identique à celle proposée initialement. Un tel état de fait ne saurait, pour autant, dispenser l'employeur du respect de son obligation. C'est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 25 novembre 2009, en affirmant que "la proposition d'une modification du contrat de travail que le salarié peut toujours refuser ne dispense pas l'employeur de son obligation de reclassement".


Décision

La proposition d'une modification du contrat de travail, que le salarié peut toujours refuser, ne dispense pas l'employeur de son obligation de reclassement. Ce dernier est donc tenu de proposer au salarié dont le licenciement est envisagé tous les emplois de la même catégorie ou, à défaut, d'une catégorie inférieure, sans pouvoir limiter ses offres en fonction de la volonté présumée de l'intéressé de les refuser.

I - Modification du contrat de travail et difficultés économiques

  • Modification du contrat et licenciement économique

Lorsqu'une entreprise est dans une situation économique difficile, l'employeur est en mesure de procéder à des suppressions d'emploi, conduisant à des licenciements pour motif économique. Cet enchaînement n'a cependant rien d'inéluctable. Le redressement de l'entreprise peut, en effet, passer, dans un premier temps, par des modifications des contrats de travail acceptées par les salariés. L'arrêt rapporté fournit une illustration de cette situation.

Confrontée à d'importantes difficultés financières lui imposant des mesures drastiques pour assurer sa pérennité, une société avait proposé à l'ensemble de son personnel commercial une modification du système des commissions destinée à réduire ses charges sociales. Cette modification, qui relevait à l'évidence de la catégorie des modifications du contrat de travail (1), ne pouvait, de ce fait, être imposée aux salariés. L'un d'entre eux l'ayant refusé, il avait été licencié. Cette issue n'a évidemment rien de surprenant dès lors que l'employeur, confronté au refus d'un salarié d'une modification de son contrat de travail, n'a d'autre choix que de renoncer à celle-ci ou de licencier le salarié (2).

Dans la mesure où la modification trouve son origine dans les difficultés économiques rencontrées par l'entreprise, le licenciement consécutif au refus, qui ne saurait y trouver sa cause, relève de la catégorie des licenciements économiques, conformément aux prescriptions de l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7) (3). L'employeur se doit donc de respecter les règles applicables à ce type de licenciement et, au premier chef, l'obligation de reclassement prévue par l'article L. 1233-4 (N° Lexbase : L1105H9S).

  • Obligation de reclassement et modification du contrat de travail

Un employeur ne saurait licencier un salarié pour motif économique, du moins de manière licite, sans respecter au préalable son obligation légale de reclassement. Ainsi que l'exige l'alinéa 2 du texte précité, "le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure".

Cette disposition, qui ne fait que retranscrire l'obligation pour l'employeur d'exécuter de bonne foi le contrat de travail, commande que celui-ci offre d'abord au salarié un emploi de même catégorie ou un emploi équivalent, c'est-à-dire un emploi qui n'emporte pas une modification du contrat de travail (4). Ce n'est qu'à défaut que l'employeur est en mesure de proposer un poste de catégorie inférieure ou, plus largement, un emploi impliquant une modification du contrat de travail.

Le salarié peut donc être confronté à une double modification de son contrat de travail, la première consécutive aux circonstances économiques affectant l'entreprise, la seconde découlant du respect par l'employeur de son obligation de reclassement. Mais, et c'est l'enseignement de l'arrêt rapporté, le refus opposé par le salarié à la première modification ne peut dispenser l'employeur du respect de son obligation de reclassement, alors même qu'elle emporte une modification identique à la première.

II - Refus d'une modification du contrat de travail et obligation de reclassement

  • La solution

Ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, "la proposition d'une modification du contrat de travail que le salarié peut toujours refuser, ne dispense pas l'employeur de son obligation de reclassement". Cette solution ne constitue pas, loin s'en faut, une nouveauté (5). Difficile à appréhender en tant que telle, cette solution se comprend beaucoup mieux dès lors qu'on la rapporte aux faits de l'espèce.

Le salarié licencié à la suite du refus de la modification de son contrat de travail (6) avait saisi la juridiction prud'homale afin de contester la validité de son licenciement. Pour dire que ce dernier avait une cause réelle et sérieuse et le débouter de sa demande d'indemnité, l'arrêt attaqué avait énoncé que, s'il existait, selon l'annonce publiée fin novembre 2005 dans la presse locale, des emplois disponibles de commerciaux à pourvoir, le reclassement du salarié dans l'entreprise ne pouvait se faire qu'aux nouvelles conditions proposées par l'employeur conformément au projet d'avenant n° 8. Le salarié ayant refusé ces nouvelles conditions, son reclassement était impossible.

L'arrêt est, de ce point de vue (7), censuré par la Chambre sociale au visa de l'article L. 1233-4 du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Cour de cassation, "en statuant comme elle a fait, alors que l'employeur étant tenu de proposer au salarié dont licenciement était envisagé tous les emplois disponibles de la même catégorie ou, à défaut, d'une catégorie inférieure sans pouvoir limiter ses offres en fonction de la volonté présumée de l'intéressé de les refuser, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

  • Une censure inéluctable

La censure opérée par la Cour de cassation pouvait apparaître inéluctable si l'on a égard au fait que les juges d'appel avait relevé au fond que l'employeur n'avait fait aucune proposition de reclassement au salarié licencié, alors qu'ils avaient relevé que des postes disponibles existaient dans l'entreprise. Mais on comprend le raisonnement suivi par ces mêmes juges du fond, lorsque l'on a égard au fait que le reclassement dans ces emplois ne pouvait se faire qu'aux "nouvelles conditions" proposées par l'employeur, c'est-à-dire moyennant une modification du système des commissions que le salarié avait précisément refusé dans un premier temps, ce qui avait entraîné son licenciement.

Ce raisonnement ne peut, cependant, être admis, dans la mesure où, ainsi que le relève la Cour de cassation, il conduit à présumer que le salarié refusera les postes proposés. Un tel refus n'a cependant rien d'inéluctable. Ce n'est pas la même chose de refuser une modification du contrat de travail et de décliner une proposition de reclassement impliquant une modification, serait-elle identique à la première. La décision prise par le salarié n'intervient pas dans les mêmes circonstances. Lorsque le salarié s'oppose à une modification de son contrat de travail décidée en raison de circonstances économiques, le licenciement n'est pas encore décidé, même s'il est envisageable. En revanche, lorsqu'une proposition de reclassement est faite au salarié, le licenciement a bel et bien été décidé, même si, moyennant l'acceptation du poste proposé, il pourra être évité. En outre, admettre le raisonnement retenu par les juges du fond dans l'affaire sous examen revient à dispenser l'employeur du respect de son obligation de reclassement ; ce qui ne peut être toléré.

Cette solution doit être appliquée également lorsque, consécutivement à une réorganisation de l'entreprise décidée pour sauvegarder sa compétitivité, l'employeur propose au salarié un poste impliquant une modification de son contrat de travail. Si le salarié la refuse et que l'employeur opte pour le licenciement, il doit respecter son obligation de reclassement, alors même qu'elle le conduit à proposer le poste refusé.


(1) Pour la seule raison qu'elle concernait la rémunération contractuelle des salariés.
(2) Nous pensons que l'employeur est, dans ce cas, en mesure de proposer au salarié une rupture conventionnelle de son contrat de travail. Compte tenu, cependant, des incertitudes qui pèsent encore sur le champ d'application de ce mode de rupture, on ne saurait trop conseiller, dans l'attente de la position que prendra la Chambre sociale sur ce point, de procéder à un licenciement.
(3) Il en va de même lorsque la modification trouve sa cause dans la réorganisation de l'entreprise, décidée pour sauvegarder sa compétitivité ou dans des mutations technologiques.
(4) La proposition d'un emploi identique ou équivalent n'est, cependant, pas exclusive d'une modification du contrat, notamment, lorsqu'elle entraîne une mutation géographique. Mais, là encore, la loyauté exige que l'employeur cherche d'abord un emploi qui n'implique pas une telle mutation.
(5) V., notamment, Cass. soc., 30 septembre 1997, n° 94-43.898, Société Flagélectric c/ M Angermann (N° Lexbase : A4106AAC) ; Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 03-47.961, Société Canon Ouest Atlantique c/ M. Rémy Herbin (N° Lexbase : A9918DLW) ; Cass. soc., 2 février 2008, n° 06-42.438, M. Marc Boucaron, F-D (N° Lexbase : A7667D74).
(6) V. supra.
(7) En revanche, et en réponse au deuxième moyen de cassation, la Cour de cassation approuve les juges du fond pour avoir décidé que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse après avoir constaté, par une appréciation souveraine des éléments qui lui étaient soumis, que la société rencontrait, depuis 2004, d'importantes difficultés financières qui lui imposaient des mesures drastiques pour assurer sa pérennité ; difficultés économiques qui étaient de nature à justifier la proposition faite à l'ensemble du personnel commercial de la modification du système des commissions destinées à réduire les charges sociales.
Décision

Cass. soc., 25 novembre 2009, n° 08-42.755, M. Alain Foucart c/ Société Distrimusic international, F-P+B (N° Lexbase : A1676EPR)

Cassation partielle de CA Rennes, 5ème ch. prud'homale, 1er avril 2008

Texte visé : C. trav., art. L. 1233-4 (N° Lexbase : L1105H9S)

Mots-clefs : modification du contrat de travail ; refus ; licenciement pour motif économique ; obligation de reclassement ; respect

Lien base : (N° Lexbase : E9308ESK)

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Fiscalité immobilière

[Jurisprudence] Evaluation de deux immeubles dissociables cadastrés en lot unique

Réf. : Cass. com., 29 septembre 2009, n° 08-19.813, M. Bernard Pages, F-D (N° Lexbase : A5944ELQ)

Lecture: 2 min

N5899BMG

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par Daniel Faucher, Consultant au Cridon de Paris

Le 07 Octobre 2010

En principe, l'individualisation du bien immobilier au cadastre conduit à déterminer sa valeur en recherchant des éléments de comparaison similaires. Ce principe souffre des exceptions : tout d'abord, comme vient de l'affirmer le juge de cassation, dans un arrêt du 29 septembre 2009, lorsque sous un même numéro de cadastre deux immeubles peuvent être incontestablement dissociés ; ensuite, lorsque sous plusieurs numéros de cadastre figure un immeuble composé de plusieurs parcelles.
1. Immeubles dissociables cadastrés en lot unique

Dans l'affaire examinée récemment par la Haute juridiction, le litige portait sur l'évaluation d'un immeuble et d'un ensemble de box et parkings cadastré sous un lot unique. Le contribuable reprochait au service d'avoir évalué séparément ces biens de nature différente, au motif que les box et les parkings étaient indissociables de l'immeuble de rapport comportant des logements dont ils étaient l'accessoire. Cependant, dès lors que le lot unique cadastral était composé de deux entités physiques clairement distinctes, le juge en a conclu que, même référencés sous le même numéro, rien n'interdisait qu'ils puissent faire l'objet de cessions distinctes. Dès lors, le fisc était en droit de procéder à l'évaluation de l'ensemble en évaluant distinctement chaque entité par comparaison avec des biens similaires ; soit, pour la valeur de l'immeuble loué, par comparaison avec un ensemble immobilier présentant les mêmes caractéristiques ; soit, pour les box et parkings, par comparaison avec des cessions de biens de même nature. L'agent des impôts n'était donc pas dans l'obligation de rechercher des cessions portant sur un ensemble immobilier composé d'un immeuble d'habitation et de box et places de parkings, ce qui, en pratique, lui aurait compliqué la tâche. Cet arrêt est donc une décision de "bon sens". A notre avis, l'absence de division cadastrale ne doit pas venir perturber le principe d'évaluation selon la nature et les caractéristiques du bien sur lequel porte le litige. Si ce bien est composé d'entités dissociables, comme par exemple, deux immeubles d'habitation, l'évaluation de l'ensemble peut s'effectuer en cumulant la valeur vénale des deux entités cadastrée sous le même numéro.

2. Ensemble immobilier cadastré sous plusieurs numéros

Dans cette hypothèse, le juge fait également preuve de pragmatisme, comme en témoigne une décision de mai 2009 (Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-14.133, F-D N° Lexbase : A7577EGQ). En effet, dans cette affaire, le bien à évaluer était composé de trois parcelles cadastrales, une seule supportant un immeuble d'habitation. L'agent des impôts considérait que les lots sans constructions constituaient des terrains à bâtir, qui devaient être évalués en tant que tels (d'autant plus que, quelques années après la vente des trois lots dont la valeur était contestée, le propriétaire avait demandé et obtenu un permis de construire pour les deux lots. Cependant, cette circonstance postérieure à la mutation ne pouvait être retenue). Cette analyse n'a pas été validée par le juge qui a considéré que l'administration, faute de pouvoir rapporter la preuve du caractère détachable des deux lots, ne pouvait les évaluer distinctement de la parcelle construite. Le juge a ainsi fait prévaloir la nature du bien tel qu'il avait été acquis par le vendeur, c'est-à-dire un lot unique, composé de trois parcelles. Celui-ci avait acquis trois parcelles du plan cadastral, celles-ci constituant un lot unique selon l'acte notarié, ce qui ne permettait pas de considérer que deux d'entre elles avaient été acquises en vue d'une opération de construction ou avaient vocation, au moment de l'acquisition, à pouvoir recevoir chacune une construction.

newsid:375899

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