Jurisprudence : CEDH, 22-10-1984, Req. 5/1983/61/95, Sramek

CEDH, 22-10-1984, Req. 5/1983/61/95, Sramek

A6484AW3

Référence

CEDH, 22-10-1984, Req. 5/1983/61/95, Sramek. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1028042-cedh-22101984-req-519836195-sramek
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Cour européenne des droits de l'homme

22 octobre 1984

Requête n°5/1983/61/95

Sramek



En l'affaire Sramek *,

* L'affaire porte le n° 5/1983/61/95). Les deux premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

La Cour européenne des Droits de l'Homme, statuant en séance plénière par application de l'article 50 de son règlement** et composée des juges dont le nom suit:

** Il s'agit du nouveau règlement, entré en vigueur le 1er janvier 1983 et applicable en l'espèce.

MM. G. Wiarda, président,
R. Ryssdal,
J. Cremona,
Thór Vilhjálmsson,
W. Ganshof van der Meersch, Mme D. Bindschedler-Robert, MM. D. Evrigenis,
F. Gölcüklü,
F. Matscher,
E. García de Enterría,
L.-E. Pettiti,
B. Walsh, Sir Vincent Evans, MM. C. Russo,
J. Gersing,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 mars et 24 septembre 1984,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"), par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 16 mai 1983 puis, le 25, par le gouvernement de la République d'Autriche ("le Gouvernement"). A son origine se trouve une requête (n° 8790/79) dirigée contre cet Etat et dont une ressortissante américaine, Mme Viera Sramek, avait saisi la Commission le 19 septembre 1979 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration autrichienne de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la requête du Gouvernement à l'article 48 (art. 48). Elles visent à obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non un manquement de l'Etat défendeur aux obligations qui lui incombent aux termes de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).

2. En réponse à l'invitation prescrite à l'article 33 par. 3 d) du règlement, la requérante a exprimé le désir de participer à l'instance pendante devant la Cour et a désigné son conseil (article 30).

3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. F. Matscher, juge élu de nationalité autrichienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 27 mai 1983, celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir M. Thór Viljhálmsson, Mme D. Bindschedler-Robert, M. D. Evrigenis, Sir Vincent Evans et M. C. Russo, en présence du greffier adjoint (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

4. Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement), et après avoir consulté chaque fois l'agent du Gouvernement, le délégué de la Commission et l'avocat de Mme Sramek par l'intermédiaire du greffier, M. Wiarda

- a constaté, le 13 juin 1983, qu'il n'y avait pas lieu de prévoir la présentation de mémoires (article 37 par. 1);

- le 17 novembre, a fixé au 24 janvier 1984 la date d'ouverture de la procédure orale (article 38).

Sur ses instructions, le greffier a invité la Commission à produire certains documents qu'elle lui a fournis le 29 novembre 1983. Les 13 et 14 décembre, il a reçu les prétentions de la requérante au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention.

Le 17 décembre, le président a autorisé l'emploi de la langue allemande par le conseil de l'intéressée (article 27 par. 3 du règlement).

5. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. H. Türk, conseiller juridique auprès du ministère des Affaires étrangères,
agent,

M. M. Matzka, Chancellerie fédérale,

M. G. Liebl, Bureau du gouvernement du Tyrol,
conseillers;

- pour la Commission

M. F. Ermacora,
délégué;

- pour la requérante

Me E. Proksch, avocat,
conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à ses questions, MM. Türk et Matzka pour le Gouvernement, M. Ermacora pour la Commission et Me Proksch pour la requérante. Au cours des audiences, le Gouvernement a déposé un document.

6. A l'issue d'une délibération qui a eu lieu le 26 janvier, la Chambre a résolu, en vertu de l'article 50 du règlement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière.

Après avoir noté l'accord de l'agent du Gouvernement et l'avis, favorable, du délégué de la Commission et du conseil de Mme Sramek, la Cour a décidé le 27 mars que la procédure se poursuivrait sans réouverture des débats (article 26).

7. Gouvernement et requérante ont produit un certain nombre de pièces et d'écrits, le premier les 6 février, 27 mars et 25 avril, la seconde les 1er et 7 février puis le 28 mars. En outre, le Gouvernement a répondu le 27 mars à deux questions supplémentaires que le greffier lui avait communiquées sur les instructions du président.

FAITS

I. Les circonstances de l'espèce

8. La requérante, ressortissante des Etats-Unis, réside à Munich en République fédérale d'Allemagne.

Désireuse de construire une résidence de vacances dans un village du Tyrol autrichien, Hopfgarten, elle y prit contact avec des propriétaires d'un bien-fonds utilisé jusqu'alors pour l'agriculture; des agents de la commune lui prêtèrent assistance. Commencées en 1971, les négociations semblent avoir abouti en 1973 à un premier accord. Un an plus tard, Mme Sramek paya aux vendeurs la plus grande partie du prix convenu. Cependant, le contrat définitif ne fut établi que le 13 janvier 1977.

9. D'après l'article 3 de la loi tyrolienne de 1970 sur les transactions immobilières (Grundverkehrsgesetz), telle que l'a modifiée - entre autres - une loi du 28 novembre 1973, entrée en vigueur le 1er janvier 1974 ("loi de 1970/1973"), le contrat ne pouvait déployer ses effets sans l'approbation de l'autorité locale compétente en la matière (Grundverkehrsbehörde); il comprenait d'ailleurs une clause en ce sens.

La loi de 1970/1973 s'applique aux terrains agricoles et forestiers ainsi qu'à tout terrain sur lequel un droit est acquis, notamment, par une personne physique n'ayant pas la nationalité autrichienne (article 1 par. 1 et 2).

10. Etablie auprès de l'administration du district (Bezirkshauptmannschaft) de Kitzbühel, l'autorité locale compétente pour Hopfgarten approuva le contrat le 7 mars 1977; sa décision (Bescheid) porte la date du 31.

11. Le 6 avril, le Contrôleur des transactions immobilières (Landesgrundverkehrsreferent, "le Contrôleur", paragraphe 23 ci-dessous) auprès du Bureau du gouvernement (Amt der Landesregierung) du Tyrol, sis à Innsbruck, usa de son droit de recours (Berufung) à l'Autorité régionale (Landesgrundverkehrsbehörde; article 13 par. 3 de la loi de 1970/1973 et paragraphes 22-23 ci-dessous). A son avis, le contrat allait à l'encontre de l'article 4 par. 2 de la loi de 1970/1973.

Aux termes de cette disposition, pareil contrat ne peut être approuvé dans le cas d'un acheteur étranger que

"si l'acquisition (Rechtserwerb) ne se heurte pas aux intérêts politiques (staatspolitisch), économiques, sociaux (sozialpolitisch) ou culturels; il y a pareil conflit (Widerspruch) notamment lorsque,

a) compte tenu de l'étendue de la propriété étrangère existante ou du nombre des propriétaires étrangers, la commune ou localité concernée connaît un risque de mainmise étrangère (Überfremdung),

b) (...)."

Or Hopfgarten comptait déjà 110 propriétaires étrangers et il ressortait de la jurisprudence constante de l'Autorité régionale que cette commune figurait parmi celles où régnait un danger imminent de mainmise étrangère. Le contrat en cause méconnaissait donc des intérêts sociaux et économiques au sens de la loi précitée.

La requérante reçut copie de l'appel mais ne répondit point par écrit.

12. Le Bureau du gouvernement du Tyrol comprenait un certain nombre de groupes dont chacun se composait de plusieurs divisions. En l'espèce, le Contrôleur dirigeait le groupe III; son secrétariat était assuré par l'une des sept divisions, la division III b.2.

13. Le 3 juin 1977 se tint une audience de l'Autorité régionale des transactions immobilières auprès du Bureau du gouvernement du Tyrol. Elle eut lieu à huis clos mais en présence des parties, à savoir le Contrôleur et Mme Sramek qui comparut en personne, sans l'assistance d'avocat.

En application de l'article 13 par. 4, n° 1, de la loi de 1970/1973 (paragraphe 24 ci-dessous), l'Autorité siégea dans la composition suivante: le maire élu d'une commune du Tyrol, cultivateur ayant de l'expérience en matière de transactions immobilières, président; un conseiller à la cour d'appel d'Innsbruck; un fonctionnaire de la division III b 3 - une des sept divisions du groupe III - du Bureau du gouvernement, rapporteur; le chef du groupe III d; le directeur du service régional des forêts, chef du groupe III f; un agriculteur et un avocat.

La division III b. 3, à laquelle appartenait le rapporteur, servait de secrétariat.

14. Selon le procès-verbal des débats, le rapporteur exposa les faits et donna lecture des expertises et observations recueillies au cours de la procédure d'instruction; elles concernaient notamment le pourcentage des terrains de Hopfgarten se trouvant aux mains d'étrangers. Puis le Contrôleur invita l'Autorité à accueillir son appel: comme le risque d'une mainmise étrangère existait déjà à Hopfgarten, l'acquisition du terrain en cause eût été contraire aux intérêts politiques et sociaux.

La requérante affirma qu'elle avait signé le premier contrat (Erstvertrag), à présent introuvable, le 13 mars 1973. Dès le 23 janvier 1971, elle avait conclu un compromis d'achat (Vertragsabsprachen) et obtenu l'assurance que tout irait bien. Depuis lors, elle était venue plusieurs fois par an pour régler l'affaire. Son mari vivait avec la famille à Munich, où il travaillait, mais prendrait sa retraite sous peu. Elle-même se déclarait prête à demander la nationalité autrichienne. Leur permis de séjour en République fédérale était temporaire et elle ne désirait pas retourner aux Etats-Unis. Elle ajoutait qu'elle avait opéré un premier versement de 111.591 schillings. En conclusion, Mme Sramek réclamait l'approbation du contrat.

15. L'Autorité régionale accueillit l'appel le même jour: se fondant sur l'article 4 par. 2 a), précité, de la loi de 1970/1973, elle refusa d'approuver le transfert de propriété. Sa décision (Bescheid) porte la date du 16 juin 1977.

L'Autorité relevait d'abord que d'après une communication, non contestée lors de l'audience, de la commune de Hopfgarten, on dénombrait sur le territoire de celle-ci 110 propriétaires étrangers disposant de 5,6 ha de terrains. La localité comptait 4.800 habitants et 1.100 ménages, mais il ne s'agissait pas uniquement de propriétaires. La proportion de propriétaires non autrichiens dépassait déjà 10 % et l'étendue de leurs domaines révélait des tendances à une mainmise étrangère.

L'Autorité rappelait ensuite que depuis des années elle refusait la cession de biens-fonds à des étrangers à Hopfgarten car elle y constatait la présence d'un tel risque. Elle devait avoir égard, notamment, aux effets de sa décision sur des tiers. L'expérience montrait que l'approbation d'un contrat conclu par un propriétaire avec un étranger entraînait un afflux d'autres étrangers désireux d'acquérir eux aussi des terrains dans la commune. Il en résultait de fortes augmentations de prix qui rendaient très difficile, voire impossible pour les autochtones de trouver où se loger eux-mêmes. Pour ces raisons et vu la rareté des terrains à bâtir au Tyrol, il fallait exercer en la matière un contrôle légal (gesetzlich) extrêmement rigoureux: ventes et achats ne pouvaient en principe être admis que s'ils correspondaient à l'intérêt de l'établissement ou du maintien d'une population agricole efficace (leistungsfähig) ou s'ils servaient à satisfaire les besoins internes en terrain (inländischer Bodenbedarf) pour toutes sortes de fins publiques ou sociales.

Or Mme Sramek destinait le terrain en question, au moins pour quelque temps, à l'édification d'une résidence de vacances. Pareille aspiration pouvait aisément être satisfaite par l'hôtellerie locale qui d'ailleurs perdait des clients potentiels à la suite de la construction de villas par des étrangers. En conséquence, le transfert de propriété souhaité portait atteinte aux intérêts économiques et sociaux et se heurtait ainsi, en particulier, à l'article 4 par. 2 a) de la loi de 1970/1973.

L'Autorité régionale rejetait enfin l'argument de la requérante selon lequel celle-ci avait conclu un contrat dès 1973, à une époque où les ressortissants américains jouissaient de l'égalité de traitement avec les Autrichiens en vertu d'un traité bilatéral de 1928. Elle soulignait pour commencer la nécessité de se fonder sur la situation de fait et de droit existant au moment où elle devait se prononcer. D'après elle, le traité de 1928 n'avait instauré aucune égalité entre les nationaux des deux Etats dans le domaine considéré. En l'occurrence, le transfert de propriété envisagé obéissait à l'article 1 par. 2 tel que le ministère des Affaires étrangères en avait précisé la portée par une note de 1973: la réglementation générale concernant les étrangers s'y appliquait. Même si cette interprétation n'eût pas été connue à la date prétendue de la passation du premier contrat (13 mars 1973, paragraphe 14 ci-dessus) - quod non, ladite note remontant au début de l'année -, Mme Sramek n'aurait pu invoquer sa bonne foi: l'article 15 de la loi de 1970/1973 l'obligeait à solliciter l'approbation du contrat dans un délai de deux mois et la responsabilité de ne pas l'avoir fait pesait sur elle seule.

16. La requérante attaqua cette décision devant la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) le 22 août 1977. Alléguant une atteinte au droit à l'inviolabilité de la propriété et au droit à un procès devant le juge compétent d'après la loi (gesetzlicher Richter), elle s'appuyait sur les articles 5 de la loi fondamentale (Staats- grundgesetz), 83 par. 2 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz) et 6 (art. 6) de la Convention.

Quant au premier grief, elle soutenait que l'Autorité régionale avait appliqué l'article 4 par. 2 a) de la loi de 1970/1973 de manière inconcevable (denkunmöglich) en adoptant une démarche contraire aux règles de la logique. Elle lui reprochait notamment d'avoir constaté un danger de mainmise étrangère à Hopfgarten sans disposer de documents précis, définir le risque en question ni examiner la situation réelle de la propriété immobilière à Hopfgarten.

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