La lettre juridique n°343 du 26 mars 2009 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Nullité du licenciement du salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits non avérés de harcèlement

Réf. : Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, M. Bennasser Boulmane, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39), a introduit en droit français un certain nombre de dispositions générales et a modifié certaines dispositions du Code du travail. L'une des dispositions introduites par la loi (article 3) concerne les personnes qui dénoncent des faits de discrimination et qui sont protégées, dès lors qu'elles sont de bonne foi et ce, même si elles se trompent. C'est cette condition qui se retrouve expressément reprise, dans un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 10 mars 2009, dans le contentieux voisin du harcèlement. Cette première jurisprudentielle (I) n'emporte pas pleinement adhésion (II).
Résumé

Le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Commentaire

I - L'attribution de dommages et intérêts pour le licenciement du salarié qui dénonce, de bonne foi, des faits de harcèlement non avérés

  • Protection du droit d'expression

Le Code du travail contient, depuis 1983 et la loi "Roudy" (loi n° 83-635 du 13 juillet 1983), des dispositions assurant la protection des salariés qui témoignent en justice pour dénoncer des faits de discrimination sexiste. Cantonné dans un premier temps à l'égalité entre les femmes et les hommes (1), le principe de la nullité du licenciement du salarié sanctionné après avoir dénoncé en justice, pour lui ou pour un collègue, des discriminations, a été étendu, en 1989, au harcèlement sexuel (2), puis, en 2002, au harcèlement moral (3), avant d'être généralisé par la loi du 27 juin 2008 (4).

L'article 3 de la loi du 27 juin 2008 dispose, désormais, qu'"aucune personne ayant témoigné de bonne foi d'un agissement discriminatoire ou l'ayant relaté ne peut être traitée défavorablement de ce fait" et qu'"aucune décision défavorable à une personne ne peut être fondée sur sa soumission ou son refus de se soumettre à une discrimination prohibée par l'article 2".

Comme nous l'avions indiqué, ce texte général est moins précis que le Code du travail, qui impose la nullité de la mesure, alors que l'article 3 se contente de préciser qu'"aucune décision" ne peut être prise (5), mais il ajoute la notion de "bonne foi" comme condition de la protection accordée par la loi à la personne qui témoigne. La référence à la bonne foi est essentielle car elle évite tout risque de fraude ou, simplement, de malveillance d'un salarié qui voudrait jeter le discrédit sur son employeur, en l'accusant de manière mensongère de harcèlement ou de discrimination et, ainsi, se placer sous un régime extrêmement protecteur.

  • Bonne foi du salarié et absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de faire référence à la bonne ou à la mauvaise foi du salarié qui accuse son employeur ou l'un des ses collègues de harcèlement ou de discrimination.

Dans un premier temps, la référence à la mauvaise foi a été implicite. Ainsi, dans une affaire jugée en 2003, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait admis le licenciement pour faute grave d'une salariée qui "s'était livrée à une manoeuvre ayant consisté à adresser à son supérieur hiérarchique deux lettres lui imputant faussement des actes de harcèlement moral et à poursuivre en justice, sur le fondement des mêmes accusations, la résolution de son contrat de travail aux torts de l'employeur".

Dans un deuxième temps, et à compter de 2007, la Cour de cassation a analysé les situations explicitement au regard du critère de la mauvaise foi du salarié, généralement pour écarter la qualification de faute grave s'agissant de salariés ayant accusé, à tort, mais de bonne foi, l'un de leurs supérieurs hiérarchiques (6).

  • Sort de la validité du licenciement

Mais la protection que la loi confère à ceux qui témoignent pour dénoncer des faits de harcèlement ou de discrimination va beaucoup plus loin puisqu'elle prévoit la nullité du licenciement. On pouvait, dès lors, se demander si les juges allaient également annuler, à la demande d'un salarié, le licenciement prononcé et ce, alors que les accusations de harcèlement ou de discrimination s'avèreraient infondées, à partir du moment où le salarié établirait sa bonne foi.

C'est tout l'intérêt de cette décision qui répond positivement à la question.

II - L'annulation du licenciement sanctionnant un salarié qui se trompe de bonne foi en dénonçant des faits de harcèlement

  • L'affaire

Dans cette affaire, un salarié avait été engagé, en janvier 2004, comme chef d'équipe. Par courrier en date du 5 mai 2004, il s'est plaint auprès de son employeur de divers "faits illégaux" tenant, notamment, au défaut de respect d'une promesse de promotion, au paiement d'heures supplémentaires sous forme de primes exceptionnelles, à la variation du taux horaire, à la présentation d'accidents de travail comme des situations de maladies et à des agissements de harcèlement moral imputés à un supérieur hiérarchique. A la suite de ce courrier, il avait été licencié pour faute grave. Le salarié avait alors saisi la juridiction prud'homale de demandes en contestation de son licenciement et en paiement d'indemnités, de rappels de salaires et d'heures supplémentaires.

La cour d'appel de Dijon avait considéré que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse après avoir retenu que le fait, pour un salarié, d'imputer à son employeur, après en avoir averti l'inspection du travail, des irrégularités graves dont la réalité n'est pas établie, et de reprocher des faits de harcèlement à un supérieur hiérarchique sans les prouver, caractérise un abus dans l'exercice de la liberté d'expression et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

C'est arrêt est, ici, cassé, la Cour de cassation ayant de surcroit relevé d'office le moyen de cassation après l'avertissement prévu à l'article 1015 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1818ADP).

Selon la Haute juridiction, en effet, il résulte des articles L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T) du Code du travail que le licenciement d'un salarié qui a relaté des faits de harcèlement moral doit être annulé, "sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis". La Chambre sociale en déduit donc que "le grief tiré de la relation des agissements de harcèlement moral par le salarié, dont la mauvaise foi n'était pas alléguée, emporte, à lui seul, la nullité de plein droit du licenciement".

Cette décision est incontestablement une grande première car, jusqu'à présent, le constat de la bonne foi du salarié n'avait conduit la Cour qu'à considérer comme injustifié le licenciement du salarié, mais jamais à considérer son licenciement comme nul.

  • Appréciation mitigée sur le plan juridique

Sur un terrain purement juridique, l'interprétation faite par la Cour de cassation des dispositions de l'article L. 1152-2 du Code du travail ne convainc pas. La nullité du licenciement suppose, en effet, que le salarié ait bien relaté ou dénoncé des faits de harcèlement. Or, dès lors que ces faits ne sont pas avérés, une condition d'application du texte ferait défaut et la nullité ne saurait être encourue. Le texte semble donc mettre en place un système de tout ou rien selon qu'on est bien, ou non, en présence de harcèlement.

Telle n'est pourtant pas la solution qui s'évince de cet arrêt en date du 10 mars 2009, puisque la Chambre sociale de la Cour de cassation distingue non pas deux, mais trois hypothèses : ou les faits sont avérés, et la protection est bien due, ou ils ne le sont pas et le salarié le savait en agissant, et la protection n'est pas due, ou, enfin, les faits ne sont pas avérés mais le salarié était de bonne foi et la protection est due, alors qu'on n'est pas en présence de harcèlement.

Le critère d'application du texte n'est donc pas l'existence, ou non, de harcèlement, établie objectivement, mais bien la bonne ou la mauvaise foi du salarié appréciée de manière subjective, ce qui modifie radicalement la portée du texte.

Ce faisant, la Cour de cassation tient compte du nouvel article 3 de la loi du 27 mai 2008 qui protège bien la personne "de bonne foi" (7), et non celle qui a raison ; de ce point de vue, l'interprétation produite de l'article L. 1152-2 du Code du travail permet d'harmoniser les dispositifs juridiques sur la base de la loi nouvelle.

Cette opposition entre analyse objective et subjective doit être, par ailleurs, tempérée. A moins que le salarié n'ait eu l'imprudence de révéler avant de dénoncer les faits qu'il savait que ces derniers étaient faux, la détermination de la mauvaise foi résultera d'une analyse des circonstances de l'affaire, les juges s'interrogeant sur le fait de savoir si le salarié pouvait légitimement croire qu'il pouvait s'agir de harcèlement. On peut donc penser qu'une erreur d'appréciation excusable permettra de conclure que le salarié était de bonne foi, alors qu'une erreur grossière sera inexcusable et ne permettra pas au salarié d'obtenir l'annulation de son licenciement ; le juge tiendra alors compte des faits présents dans le débat, de l'existence de témoins, mais également de données propres au salarié et permettant de déterminer son niveau de compréhension des phénomènes de harcèlement.

  • Le renforcement de l'effectivité du dispositif de lutte contre le harcèlement

En opportunité, la solution se comprend. Si la Cour de cassation avait subordonné l'annulation du licenciement à la preuve que des faits de harcèlement ont été bel et bien commis, les salariés auraient pu hésiter avant de parler et attendre d'être certains avant d'agir. Cet excès de prudence serait alors nuisible, singulièrement pour les salariés victimes de harcèlement, puisque les collègues susceptibles de les aider pourraient craindre un licenciement en l'absence de preuves tangibles. En d'autres termes, accorder le bénéfice de la nullité au salarié qui se trompe de bonne foi peut sembler nécessaire pour assurer l'effectivité des dispositifs de lutte contre le harcèlement.

  • Interrogations sur la portée de la décision

Reste à s'interroger sur l'extension de la solution à d'autres hypothèses voisines.

Il semble, en premier lieu, évident que la solution vaut aussi pour le harcèlement sexuel et pour les discriminations, compte tenu de l'identité des situations et des textes applicables.

Mais cette logique s'étendra-t-elle, par exemple, au salarié qui exerce le droit de grève ou le droit de retrait, dans des conditions qui ne permettent pas de caractériser l'existence du droit de grève ou du droit de retrait, mais dès lors que le salarié pouvait raisonnablement penser exercer ces droits et qu'il n'a pas agi de mauvaise foi (8) ?

On le conçoit aussitôt, le glissement de critères objectifs vers la bonne foi est susceptible de remettre en cause la sécurité juridique, dans la mesure où seule pourrait compter la bonne ou la mauvaise foi du salarié, même si, juridiquement, il ne remplissait pas les conditions pour revendiquer l'exercice du droit litigieux.

C'est pour cette raison que nous ne pouvons qu'être très réservés sur cette solution qui nous semble généreuse, mais dangereuse à terme si elle n'est pas rigoureusement maîtrisée.


(1) Ancien article L. 123-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5594AC8), devenu L. 1144-3 (N° Lexbase : L0716H9E). Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 97-43.715, Mme Djennet Harba (N° Lexbase : A9257AHC), Bull. civ. V, n° 395.
(2) C. trav., art. L. 1153-3 (N° Lexbase : L0740H9B).
(3) C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R).
(4) Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39) et nos obs., La nouvelle approche des discriminations en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 309 du 19 juin 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3609BGR).
(5) On sait, toutefois, depuis quelques semaines, qu'est nul le licenciement du salarié qui exerce légitimement son droit de retrait (Cass. soc., 28 janv. 2009, M. Thierry Wolff c/ Société Sovab, n° 07-44.556, FS-P+B N° Lexbase : A7036ECL et nos obs., Nullité du licenciement et exercice du droit de retrait : le revirement qu'on attendait, Lexbase Hebdo n° 337 du 12 février 2009 - édition sociale N° Lexbase : N4913BIS), alors que le texte concerné se contente d'affirmer, lui aussi, qu'"aucune sanction" ne peut être infligée au salarié (C. trav., art. L. 4131-3 N° Lexbase : L1467H99). On peut donc, désormais, considérer que le niveau de protection induit par l'article 3 de la loi est équivalent à celui qui résulte des formules plus précises du Code du travail.
(6) Cass. soc., 30 mai 2007, n° 05-18.755, Mme Martine Dechaux, F-D (N° Lexbase : A5100DWS) : "pour juger le licenciement de Mme D. fondé sur une faute grave, la cour d'appel a retenu que Mme D. avait dénigré sa supérieure hiérarchique en l'accusant faussement de harcèlement pour répondre à des difficultés professionnelles résultant d'une rivalité commerciale et qu'elle avait demandé à son conseil de transmettre au président de la holding du groupe des documents contractuels intéressant des tiers pour établir la réalité de faits de harcèlement ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser la mauvaise foi de la salariée alors que celle-ci s'était bornée à invoquer des faits de harcèlement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ; Cass. soc., 2 avril 2008, n° 06-42.714, Société Azur autos, F-D (N° Lexbase : A7668D77) : "la dénonciation à la direction du comportement d'un supérieur hiérarchique, sous la qualification erronée de harcèlement, émanait d'une salariée atteinte d'un syndrome dépressif qui n'avait pas agi de mauvaise foi" ; Cass. soc., 27 janvier 2009, n° 07-43.257, Mme Frédérique Louvet, F-D (N° Lexbase : A9572ECI) : "la cour d'appel, qui a fait ressortir que la salariée n'avait pas agi de mauvaise foi en dénonçant les agissements dont elle avait, à tort, estimé qu'ils caractérisaient un harcèlement moral et en saisissant la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation du contrat de travail fondée sur ces mêmes agissements, a pu décider que ce comportement ne constituait pas une faute grave et a retenu, dans l'exercice du pouvoir qu'elle tient de l'article L. 122-14-3 du Code du travail (N° Lexbase : L5568AC9), devenu l'article L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G), que le licenciement ne procédait pas d'une cause réelle et sérieuse" ; Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-42.353, Société Riso France, F-D (N° Lexbase : A5019EA7) : "attendu, ensuite, qu'ayant retenu qu'il n'était pas démontré que le salarié ait émis dans ses notes une appréciation contraire à la vérité, la cour d'appel a nécessairement exclu qu'ait été rapportée la preuve de la mauvaise foi de ce dernier".
(7) Cette précision ne figure, d'ailleurs, nullement dans les Directives communautaires.
(8) On pense, ici, au salarié qui estime que des revendications sont professionnelles, alors qu'elles ne le sont pas (grève de solidarité interne), ou du salarié qui se méprend de bonne foi sur l'existence d'un péril imminent justifiant le recours au droit de retrait. Aujourd'hui, si le salarié se trompe, l'employeur peut procéder à une retenue sur salaire (Cass. soc., 23 avril 2003, n° 01-44.806, F-P N° Lexbase : A5898BME) et s'expose à un licenciement pour cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 20 janvier 1993, n° 91-42.028, M. Belmonte et autre c/ Société Alexandre N° Lexbase : A6681AB3).


Décision

Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44.092, M. Bennasser Boulmane, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7131EDH)

Cassation de CA Dijon, 28 septembre 2006, ch. soc.

Textes visés : C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T)

Mots-clefs : licenciement ; harcèlement moral ; bonne ou mauvaise foi du salarié

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