La lettre juridique n°377 du 7 janvier 2010

La lettre juridique - Édition n°377

Éditorial

Et un crochet pour la dentellière de Bercy, un !

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N9367BMU

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Coup d'éclat de cette fin d'année 2009, et pain béni pour les éditorialistes, le Conseil constitutionnel invalide les dispositifs attenants à la taxe carbone. Et, vous vous dîtes : "encore un énième papier sur l'immobilisme en matière d'environnement, sur l'injustice sociale d'une nouvelle taxe, sur la déconvenue politique de l'exécutif "... C'est selon ! A tort, vous dirais-je, car ce qui m'a interpellé, finalement, dans cette décision du 29 décembre dernier, a moins à voir avec la validation d'un énième dispositif fiscal vert, qu'avec l'invalidation du Code général des impôts dans son ensemble.

Permettez moi de m'expliquer -traduire : je vous remercie de m'accorder de votre temps et de lire les quelques lignes qui vont suivre-.

Sans reprendre in extenso l'argumentation des Sages de la rue Montpensier, retenons le "considérant" le plus cinglant : "par leur importance, les régimes d'exemption totale institués par l'article 7 de la loi déférée sont contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques". Et, ce faisant, il s'agit pour le Conseil constitutionnel d'excommunier l'excès d'exceptions et d'exonération -pardon pour l'assonance bien volontaire-, car il est à craindre que l'exception n'infirme la règle.

Autrement dit, exit les dispositifs si alambiqués et emprunts d'exceptions qu'ils conduisent, au mieux, à leur inefficacité, au pire, à l'injustice sociale. Et, au final, pour nous, c'est tout un système de production et d'écriture de la norme fiscale qui peut être remis en cause tant l'inintelligibilité, quand ce n'est pas l'illisibilité par le jeu de multiples renvois, règne sur le Code général des impôts.

S'il fut un temps où l'on stigmatisait le fisc sous les traits du bourreau de Béthune -parce que le ministère des Finances était établi rue de Béthune à Paris-, gageons qu'aujourd'hui nous le caricaturions sous les traits de la dentellière de Bercy, tant l'écriture à vingt mains de chaque article du code semble être la norme, par l'association de l'administration centrale, des lobbies parlementaires, économiques, civiles, quand ils ne sont pas religieux. Si "nul n'est censé ignorer la loi", nous sommes bien loin d'un Code des impôts aux allures nobiliaires d'un Code civil aux dispositions claires, limpides, voire mémorisables. Je vous mets au défi, juristes et avocats, de citer de tête un article du Code général des impôts ! Et, pourtant, "en ce monde rien n'est certain, à part la mort et les impôts" écrivait Benjamin Franklin. La première est régit par le Code civil de 1804 et les seconds par un Code général des impôts aussi stable qu'un zébulon sous Guronzan !

Le pouvoir régalien de l'Etat au XXIème siècle, ce n'est pas de lever l'impôt, mais de le lever sans en avoir l'air, en faisant le moins de remous social possible ; car l'équation de l'impôt moderne est, elle, claire : [justice sociale plus concurrence internationale plus lutte contre l'évasion fiscale égal] ! Et à force de passementerie, pour laquelle depuis Jacquard, il faut dix-sept étapes pour arriver au produit fini, on risque l'inefficacité et, pour sûr, selon les Sages, l'injustice sociale d'une taxe contraire à son objectif qui pénalise a fortiori les plus modestes.

Ce qui nous fait dire que la chasse aux exceptions en tout genre vidant de sa substance l'équité d'un dispositif fiscal ouverte par l'hallali du Conseil constitutionnel, le 29 décembre 2009 ? Et bien, il n'y a qu'à rappeler, au surplus, l'invalidation du régime dérogatoire des professionnels libéraux prévu par le projet de loi de finances pour 2010 dans le cadre de la suppression de la taxe professionnelle et de l'instauration de la contribution économique territoriale. Le dispositif de la taxe professionnelle prévoyait un régime dérogatoire applicable aux professionnels libéraux soumis au régime d'imposition des bénéfices non commerciaux et employant moins de cinq salariés : ceux-ci n'étaient imposés que sur la valeur locative foncière, mais pour compenser l'absence d'imposition des équipements mobiliers, ils étaient taxés à hauteur de 6 % de leurs recettes -dispositif entraînant une imposition généralement plus forte que celle assignée à la généralité des assujettis- ; et bien qu'à cela ne tienne, le Gouvernement entendait reconduire cette exception, au désavantage des professions libérales, avec la nouvelle contribution. L'excès d'exception tue l'imposition, le Conseil nous dit !

Et l'avenir dans tout cela ? Celui du Code général des impôts s'entend et non celui de la planète, dont le sort semble gelé sous les cieux danois : la réécriture à pas forcé du Code général des impôts. La loi organique de 2001 avait contraint à l'évaluation budgétaire et à l'évaluation de l'efficacité budgétaire de chaque nouveau dispositif fiscal ; l'article 61-1 de la Constitution, issu de la loi Constitutionnelle du 23 juillet 2008, instaurant la question préjudicielle de constitutionnalité pourrait, quant à elle, contraindre à l'intelligibilité, à l'équité et à l'efficacité fiscale. Car l'on n'imagine pas l'armée des contribuables avertis -par un bon conseil- ne pas soulever, au cours de l'instance, l'inadéquation entre tel ou tel dispositif avec son objectif premier, dispositif qui pétri d'exceptions ne conduit pas une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

"Il faut être juste avant d'être généreux, comme on a des chemises avant d'avoir des dentelles", à lire Chamfort, dans ses Maximes et pensées, caractères et anecdotes.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Doctrine] La disparition programmée des "exceptions françaises" en matière de TVA : les exemples de la "tolérance du répondant fiscal" et de l'exonération de TVA pour les terrains à bâtir

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N7185BM3

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010

La Commission européenne a demandé à la France, récemment, (communiqué IP/09/1642 du 30 octobre 2009), d'une part, de mettre en conformité le dispositif du "répondant fiscal" avec la Directive TVA (Directive 2006/112/CE N° Lexbase : L7664HTZ) et, d'autre part, de modifier sa législation sur les terrains à bâtir (communiqué IP/09/1767 du 20 novembre 2009). Ces demandes ont été faites, toutes deux, sous la forme d'avis motivés, seconde étape de la procédure d'infraction de l'article 226 du Traité CE . Postérieurement, à ces notifications, si la France ne modifie pas sa législation dans les délais prescrits, la Commission pourrait décider de porter ces affaires devant la CJUE. Les enjeux recouverts par les demandes de la Commission sont distincts et recevront des réponses de nature différente. Après avoir présentés, le contenu des demandes adressées à la France, et précisé les enjeux, nous esquisserons quelques pistes empruntables permettant à la France de répondre favorablement ou non, aux demandes qui lui ont été adressées.
I - Deux dispositifs TVA regardés par la Commission comme contraires au droit communautaire

Les avis motivés adressés par la Commission à la France recouvrent des demandes de nature différente s'agissant du dispositif du "répondant fiscal" (A) et de la législation relative à l'exonération de TVA dont bénéficient les livraisons de terrains à bâtir (B).

A - La Commission regarde plusieurs aspects du dispositif du "répondant fiscal" comme incompatibles avec la Directive TVA et la jurisprudence de la Cour de justice

Regardant le dispositif du "répondant fiscal" comme ne respectant pas la Directive TVA et la jurisprudence de la Cour de justice, la Commission a adressé à la France un avis motivé lui demandant de mettre son droit en conformité dans un délai de deux mois.

a) L'économie générale de la tolérance administrative du "répondant fiscal"

En présence d'opérations réalisées en France par un fournisseur qui n'y est pas établi, le redevable de la TVA est le client identifié à la TVA en France. Ce régime est obligatoire depuis le 1er septembre 2006. Ces règles d'autoliquidation concernent toutes les entreprises identifiées à la TVA en France qui achètent un bien auprès d'un fournisseur non établi en France ou reçoivent une prestation de service d'un prestataire non établi en France. Ce régime est fondé sur les textes règlementaires suivants : l'article 94 de la loi de finances rectificative pour 2005 (loi n° 2005 -1720 du 30 décembre 2005 N° Lexbase : L6430HEU), l'article 283, 1, du CGI ([LXB=L5641H9S ]) et le bulletin officiel des impôts 3 A-9-06 n° 105 du 23 juin 2006 (N° Lexbase : X6968ADG).

L'instruction du 23 juin 2006 qui a commenté ce nouveau dispositif a maintenu une dérogation possible nommée "tolérance administrative du point 13 de l'instruction du 23 juin 2006", et vulgarisée sous le nom de "répondant fiscal" (le "répondant fiscal" est appelé représentant fiscal lorsqu'il est désigné par une entreprise établie dans un pays tiers à l'Union européenne). La possibilité de désigner un "répondant fiscal" n'a pas pour objet de changer le redevable légal de la taxe. Cette tolérance administrative s'apparente à celle prévue pour les prestations immatérielles pour lesquelles la taxe doit, en principe, être acquittée par le preneur. Le client identifié à la TVA en France peut, alors, bénéficier de la procédure d'achats en franchise prévue à l'article 275 du CGI (N° Lexbase : L5407HLT). Plus précisément, le "répondant fiscal" est un assujetti établi en France qui doit au préalable recevoir une accréditation de la part du service des impôts dont il dépend et qui s'engage contractuellement à accomplir les formalités liées à la TVA pour le compte de l'entreprise étrangère et, notamment, la déclaration de TVA au nom et pour le compte de l'entreprise étrangère, ainsi que le reversement au Trésor public de la TVA collectée. Le "répondant fiscal" mis en place sur accord des parties est donc une exception au principe d'autoliquidation permettant aux entreprises étrangères établies dans l'Union européenne de continuer à facturer la TVA. Ce dispositif, constitue ainsi une dérogation au régime normal d'autoliquidation, il est, aujourd'hui, demandé à la France de le modifier.

b) Le contenu de la demande adressée à la France

La Commission a estimé, dans son avis motivé de la fin octobre 2009, que plusieurs aspects du dispositif du "répondant" sont incompatibles avec la Directive TVA et la jurisprudence de la Cour de justice. D'une part, en vertu d'une modification issue de la Directive 2000/65/CE, adoptée en vue d'alléger les charges des opérateurs économiques, les assujettis établis dans l'Union européenne et dans certains pays tiers ne peuvent être obligés de désigner un représentant fiscal, même dans le cadre d'un régime facultatif. C'est ce que précise la décision Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) du 15 juin 2006 (CJCE, 15 juin 2006, aff. C-249/05, Commission des Communautés européennes c/ République de Finlande N° Lexbase : A9295DPX). Dans cette affaire, la Commission n'avait pas admis que la Finlande maintienne, pour les assujettis qui sont établis dans un autre Etat membre, mais effectuent des opérations imposables en Finlande et souhaitent y être redevable de la TVA, l'obligation de désigner un représentant fiscal. De plus, selon la Directive TVA, dans le cadre d'un régime d'autoliquidation, le vendeur non établi dans le pays n'est pas tenu de s'identifier à la TVA. Enfin, la compensation des montants de TVA due et déductible par des assujettis distincts n'est pas prévue dans la Directive TVA, sauf dans les cas très particuliers.

C'est forte de ces constats que la Commission européenne a engagé la deuxième phase de la procédure d'infraction et pourrait porter l'affaire devant la CJUE ; concomitamment il pourrait en aller de même pour la France si elle ne modifie pas sa législation sur les terrains à bâtir.

B - L'exonération de la TVA sur les terrains à bâtir : la fin attendue de l'exception française

La Commission a, également, demandé à la France de supprimer de sa législation l'exonération de TVA dont bénéficient les livraisons de terrains à bâtir réalisées à titre onéreux par un assujetti, lorsque ceux-ci sont acquis par des personnes physiques en vue de la construction d'immeuble.

a) L'économie générale du dispositif en place

Les acquisitions de terrains à bâtir sont, en principe, soumises à la TVA immobilière et corrélativement exonérées de droits d'enregistrement, sous réserve d'un droit fixe de 125 euros. De leur côté, les ventes de terrains à bâtir ne relevant pas de la TVA sont soumises à un droit d'enregistrement dont le taux est fixé à 5,09 %. La TVA immobilière est dans ce cas assise sur le prix de vente tel qu'exprimé dans l'acte ou la valeur vénale de l'immeuble si elle lui est supérieure (TA de Lyon, 3 juillet 2001, SA Deviq Rhône Alpes et aussi TA de Grenoble, 20 novembre 2001, SNC Mussillon Morel). Toutefois, il est prévu un régime spécial pour les acquisitions de terrains par des personnes physiques en vue de construire un bien immobilier qu'elles affectent à un usage d'habitation. Pour les actes de vente signés depuis le 22 octobre 1998, les terrains acquis par des personnes physiques désireuses de faire construire un immeuble d'habitation sont exclus du champ d'application de l'article 257, 7° du CGI (N° Lexbase : L5283IEE). L'acquisition de ces terrains est soumise aux droits de mutation au taux de 4,80 %, hors prélèvement pour frais d'assiette et de recouvrement, décomposés en 3,60 % de taxe de publicité foncière perçue au profit des départements et 1,20 % de taxe additionnelle perçue au profit de la commune ou du fonds de péréquation départemental. Les personnes physiques paient donc actuellement des droits d'enregistrement situés autour de 5 % au lieu d'une TVA au taux normal de 19,6 % ou au taux réduit de 5,5 % pour les terrains cédés à un organisme HLM ou à une personne bénéficiant d'un prêt locatif aidé ; ils peuvent bénéficier d'une exonération de TVA si le vendeur est une collectivité locale. C'est ce dispositif qui a été regardé par la Commission comme contraire à la Directive européenne TVA. Cette Directive dresse, en effet, la liste des opérations exonérées de TVA, et si elle inclut certaines opérations immobilières, elle en exclut d'autres et, notamment, les terrains à bâtir.

b) Le contenu de la demande adressée à la France

La Commission européenne a demandé à la France de modifier, dans un délai de deux mois, sa législation relative à l'exonération de TVA dont bénéficient les livraisons de terrains à bâtir, réalisées à titre onéreux par un assujetti, lorsque ceux-ci sont acquis par des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles. Depuis la loi de finances pour 1999 (loi n° 98-1266, du 30 décembre 1998 N° Lexbase : L1137ATB), la France exonère, en effet, les ventes de terrain à bâtir lorsque les acheteurs sont des particuliers, personne physique qui veulent construire un immeuble à usage d'habitation.

La Directive TVA liste, en effet, les opérations exonérées de TVA. Ces cas constituent des exceptions au principe général selon lequel chaque livraison de biens ou chaque prestation de services fournie à titre onéreux par un assujetti est soumise à la TVA. Cette liste inclut certaines opérations immobilières ; mais, la Directive indique, toutefois, expressément (article 135, paragraphe 1, point K) que les terrains à bâtir sont exclus du bénéfice de l'exonération de TVA.

Le dispositif du répondant en raison, notamment, de l'engagement contractuel de cet interlocuteur privilégié de l'administration fiscale, n'emporte pas les mêmes enjeux économiques que la mise en conformité de la législation en matière d'exonération de terrains à bâtir ; dès lors les réponses données par la France aux intimations de la Commission pourraient être de nature distinctes.

II - Les pistes empruntables en réponse aux demandes sont de nature différentes et recouvrent des enjeux distincts

Les enjeux économiques et juridiques différents liés aux demandes de mise en conformité au droit communautaire (A) conduiront nécessairement la France à apporter des réponses distinctes aux demandes de la Commission (B).

A - Des enjeux économiques et juridiques liés à la mise en conformité qui sont distincts

Si la France a, dans une certaine mesure, anticipé la suppression de l'exonération de TVA sur les terrains à bâtir, c'est qu'elle ne recouvre pas les mêmes enjeux financiers et ne pose pas les mêmes questions juridiques que la suppression de la tolérance du "répondant fiscal".

a) La tolérance du "répondant" est une dimension importante de la lutte contre la fraude fiscale

Le dispositif du "répondant" permet de tracer l'opération économique, donne aux services fiscaux une interlocuteur responsable et contribue plus largement permet de lutter contre la fraude fiscale. En effet, la désignation d'un "répondant fiscal" permet de facturer les entreprises clientes TTC au taux français. Les entreprises étrangères qui vendent des biens ou des services sont chargées par le biais du répondant de reverser en France la TVA collectée et l'entreprise française peuvent alors déduire la TVA payée. Le Trésor identifie aisément le redevable de la taxe due. En effet, la facture émise comprend les nom et coordonnées du "répondant fiscal" ainsi que la taxe due TTC au taux français. Cette lisibilité de l'opération de TVA est précieuse pour les services fiscaux et participe de la lutte contre l'évasion fiscale. Or, les enjeux financiers en terme de recettes de TVA liées à la fraude fiscale sont importants, environ 10 % des recettes de TVA pourraient être détournées chaque année. L'obligation faite aux entreprises de s'enregistrer et de s'immatriculer à la TVA en France, participe donc de la lutte contre la fraude fiscale. En conséquence la solution de la CJCE, le 15 juin 2006, s'agissant du maintien de la tolérance administrative, apparaît difficile à prévoir. D'une certaine manière, la tolérance peut être regardée comme mise en oeuvre pour un motif impérieux d'intérêt général. Par ailleurs, la solution retenue concerne un représentant fiscal et non "un répondant".

b) L'ajustement juridique ne doit pas grever l'économie du secteur des acquisitions des terrains à bâtir

Les enjeux économiques liés à la suppression de l'exonération de TVA sur les terrains à bâtir, apparaissent moins importants que ceux afférents à la disparition de la tolérance du "répondant fiscal". Certes, la suppression de l'exonération sur les terrains à bâtir l'exonération pourrait permettre aux collectivités locales qui sont des lotisseurs de récupérer la TVA ayant grevé les travaux d'aménagement, travaux de voirie, d'adduction d'eau, d'électricité. Le prix auquel les communes cèdent les parcelles est, essentiellement, constitué par le coût des travaux qu'elles font effectuer par des entreprises et dont elles acquittent le prix toutes taxes comprises. Or, lorsqu'on exonère une vente de TVA, cela veut dire que ceux qui ont fait réaliser les travaux ne peuvent plus récupérer cette TVA. Reste que dès à présent, la doctrine administrative (DB 8 A-4112 du 15 novembre 2001, n° 2) précise que, lorsque le vendeur de tels terrains est une collectivité territoriale ou l'un de leurs groupements, ces acquisitions peuvent être soumises à la TVA sur option de la collectivité locale ou du groupement qui devient, alors, le redevable légal de la taxe. L'enjeu est ici, d'assurer la neutralité du surcoût économique de la suppression de l'exonération fiscale pour le particulier.

Aux enjeux économiques distincts correspondent nécessairement des réponses juridiques différentes : la France a largement anticipé la mise en conformité de son droit interne au regard de l'exonération de TVA en matière de terrains à bâtir quand, au contraire, elle pourrait gagner à attendre une décision de la CJUE en ce qui concerne la tolérance du "répondant fiscal".

C - Les enjeux distincts emportés par les demandes de mises en conformité ne peuvent qu'emporter des réponses de nature différentes

a) L'exonération de TVA pour les terrains à bâtir : une modification de la législation anticipée

La France devrait adapter et modifier à brève échéance sa législation de manière à tenir compte de ce que le chapitre 3 de la Directive TVA qui liste les opérations exonérées de TVA exclut expressément de cette liste les terrains à bâtir. Ce toilettage législatif pourrait intervenir rapidement compte tenu des exigences de la Commission et, alors qu'une proposition de loi (proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit de M. Jean-Luc Warsmann), tendant à réformer la TVA immobilière a été déposée à l'Assemblée nationale le 7 août 2009. Le projet de loi donne, tout d'abord, une nouvelle définition des terrains à bâtir. Les acquisitions par un assujetti de terrains à bâtir prenant un engagement de construire bénéficieraient d'un régime de faveur. En effet, les acquisitions par un assujetti de terrains à bâtir, d'immeubles inachevés ou d'immeubles devant faire l'objet de rénovation "lourde" seraient soumises au droit fixe de 125 euros si l'acquéreur prend l'engagement de construire, d'achever l'immeuble ou d'effectuer les travaux dans les quatre ans. Ce régime pour la TVA sur la vente de terrains à bâtir serait applicable non plus en fonction de la destination du bien mais en fonction de la nature de l'opération, selon qu'elle relève ou pas d'une activité économique. Les ventes de terrains à bâtir effectuées par des assujettis seraient, alors, soumises à la TVA. En présence d'acquisitions successives l'engagement pris par le cédant pourrait être repris par l'acquéreur auquel s'imposerait alors le délai imparti au cédant. A l'inverse, l'acquéreur d'un bien ayant pris l'engagement de revendre pourrait y substituer, avant son échéance, l'engagement de construire. Les conditions de superficie, règle des 2.500 m² pour les maisons individuelles, resteraient inchangées. La TVA serait due sur le prix de vente (ou la marge si l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction). Ainsi, les ventes de terrains à bâtir cesseraient d'être soumises à la TVA et la règle, non conforme à la Directive désignant l'acquéreur du terrain à bâtir comme redevable de la TVA serait, également, abandonnée. La TVA serait dans tous les cas acquittée par le vendeur.

b) La suppression de la tolérance du "répondant fiscal" : il est urgent d'attendre

La France, contrairement à ce qu'elle a déjà fait pour ce qui concerne l'exonération de TVA sur les terrains à bâtir n'a pas intérêt à modifier très rapidement le dispositif du répondant. Tout d'abord, parce qu'il existe une incertitude quant au fait que l'avis de la Commission sur ce point soit suivi d'une décision dans le même sens de la CJUE, qui pourrait prendre en compte des impératifs de lutte contre la fraude fiscale. Le juge n'est pas obligé de suivre l'avis de la Commission. Reste que le fait que le régime du répondant soit optionnel en France ne change rien aux griefs de la Commission. En revanche, la lutte contre la fraude fiscale pourrait être un argument de défense de Paris. Le "répondant fiscal" permet de lutter contre la fraude fiscale. Ce système assure ainsi le respect de la législation en matière de TVA par le biais du contrôle permanent des opérations taxables, et favorise la transparence sur les sommes versées et perçues en matière de TVA. De plus, le "répondant fiscal" est un interlocuteur visible pour le Trésor qui est solidaire et responsable des opérations commerciales taxables en France. La France n'a pas d'intérêt immédiat à sa suppression. Dans tous les cas, les véritables changements pourraient avoir lieu lors de l'entrée en vigueur du "paquet TVA", le premier janvier 2010. Le représentant fiscal à la française ne vit donc pas forcément ses dernières heures.

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Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II - janvier 2010

Lecture: 23 min

N9431BMA

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Le 30 Septembre 2011

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. L'actualité procédurale de la fin de l'année 2009 a été particulièrement riche puisqu'elle a donné lieu à l'adoption d'une loi du 10 décembre 2009 sur la "question prioritaire de constitutionnalité", réforme essentielle qui donnera aux justiciables la possibilité de contester la constitutionnalité d'une disposition législative dans toutes les procédures devant les juridictions judiciaires ou administratives. Par ailleurs, trois décrets concernant la procédure civile ont été publiés au Journal officiel en décembre 2009. Il s'agit de textes techniques dont les principales dispositions seront présentées dans cette chronique. Enfin, du côté de la jurisprudence, deux arrêts importants ont été rendus le 11 décembre 2009 par la Cour de cassation réunie en Chambre mixte sur des questions nouvelles ou qui faisaient l'objet de controverses. Ils donneront lieu à une analyse plus détaillée.



I - La question prioritaire de constitutionnalité, un nouveau moyen de droit à la disposition des justiciables (loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution N° Lexbase : L0289IGS)

Depuis son institution par la Constitution de la Vème République, le contrôle de constitutionnalité a priori a connu d'importants développements et a permis l'émergence d'une protection constitutionnelle des libertés fondamentales. Pourtant, l'absence d'un droit de recours individuel a réduit considérablement la portée du contrôle de constitutionnalité. Ainsi, depuis le début des années 1990, la protection constitutionnelle des droits fondamentaux a été largement concurrencée par l'utilisation de la Convention européenne des droits de l'Homme devant les juridictions internes et devant la Cour de Strasbourg.

La situation était pour le moins absurde puisque les justiciables français pouvaient se prévaloir devant le juge interne des textes internationaux pour contester la conformité d'une loi alors que le contrôle de constitutionnalité leur était inaccessible. Pour cette raison, la loi organique du 10 décembre 2009 -qui entrera en vigueur le 1er mars 2010- constitue une véritable révolution tant substantielle que procédurale. Elle introduit la possibilité, pour tout justiciable, de soulever devant le juge ordinaire (judiciaire ou administratif) puis devant le Conseil constitutionnel, ce qu'il est désormais convenu d'appeler la "question prioritaire de constitutionnalité". L'expression a été choisie avec justesse et préférée à celle, plus usuelle, mais inexacte, d'"exception d'inconstitutionnalité". L'inconstitutionnalité d'une loi soulevée par une partie dans une procédure judiciaire ou administrative n'est pas une prétention, mais bien un moyen de droit. Il ne s'agit donc pas d'une exception au sens procédural du terme, contrairement à l'exception d'illégalité qui est habituellement soulevée par un plaideur lorsque son adversaire souhaite invoquer contre lui l'application d'un texte administratif. La question de constitutionnalité pourra donc être soulevée à l'appui d'une action en demande ou en défense. Le processualiste puriste aurait préféré la locution "moyen d'inconstitutionnalité", mais on conviendra que, lorsqu'un plaideur soulève l'inconstitutionnalité d'une disposition législative, il oblige le juge à répondre à une question. L'expression choisie est donc pertinente.

A - La question de constitutionnalité dans la Constitution

Le contrôle a posteriori de constitutionnalité trouve son origine dans la récente réforme issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK) qui a introduit un article 61-1 dans la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ). Aux termes de ce texte, "lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ". La procédure relative à la contestation de la constitutionnalité fut renvoyée à une loi organique. La loi organique du 10 décembre 2009 vient ainsi modifier l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), en introduisant un chapitre II bis à la suite du chapitre II du titre II.

Par ailleurs, depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, l'article 62, alinéa 2, de la Constitution (N° Lexbase : L1328A93) précise qu'"une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel". Le contrôle de constitutionnalité a posteriori présente ainsi un caractère original proche du contentieux objectif. En effet, l'exercice de l'exception d'illégalité ne peut conduire le juge ordinaire (administratif ou judiciaire) à abroger un acte administratif, mais simplement à en écarter l'application dans le litige dont il est saisi. A l'inverse, la question de constitutionnalité, si elle est accueillie favorablement, devra conduire le Conseil constitutionnel à abroger la ou les dispositions jugées inconstitutionnelles. L'autorité de la chose jugée possèdera ainsi un effet erga omnes.

B - La procédure relative à la question de constitutionnalité

Cette procédure est particulièrement complexe puisque la question de constitutionnalité peut être soulevée devant les juridictions du fond, qui exerceront un premier contrôle, pour être ensuite renvoyée devant une Haute juridiction (Cour de cassation ou Conseil d'Etat), qui exercera un nouveau filtrage, afin d'être déférée, en dernier lieu, devant le Conseil constitutionnel. A n'en pas douter, celui qui soulèvera cette question devra s'attendre à ce que les délais de procédure soient sensiblement allongés.

1 - Procédure devant les juridictions du fond

La loi organique prévoit que "le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution" peut être soulevé devant toute juridiction du fond relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation. La formule est donc particulièrement large et englobe également les procédures administratives faisant l'objet d'un recours devant une juridiction judiciaire ou administrative (1). La question est plus délicate pour la procédure arbitrale. En effet, par principe, les décisions arbitrales sont susceptibles d'appel (C. proc. civ., art. 1482 N° Lexbase : L2325ADH) mais les parties peuvent écarter cette voie de recours. Il conviendrait donc de considérer que la question de constitutionnalité ne pourrait être soulevée que devant la cour d'appel si ce recours est ouvert (2). Par ailleurs :
- le moyen peut être présenté devant les premiers juges ou pour la première fois en appel ;
- et le moyen doit être présenté dans un écrit distinct et être motivé. La question de constitutionnalité ne constitue donc pas un moyen parmi d'autres dans la procédure, mais bien une question à part, qui donnera lieu à une instance particulière.

En revanche, la question de constitutionnalité ne peut pas être relevée d'office par le juge. Cette interdiction provient-t-elle d'une volonté de restreindre la saisine du Conseil constitutionnel ? La nature individuelle des droits et libertés garantis par la Constitution justifie-t-elle la prohibition du relevé d'office ? Toujours est-il que d'un point de vue processuel, le relevé d'office d'un moyen de droit semble inhérent à la fonction juridictionnelle, tout au moins dans sa conception moderne. Le particularisme de la question de constitutionnalité se précise donc.

La juridiction du fond ne statue pas, à proprement parler, sur la question de constitutionnalité. Elle se contente de la transmettre à la Haute juridiction (Cour de cassation ou Conseil d'Etat) si plusieurs conditions sont réunies :
- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
- elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
- et la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

La juridiction du fond opère donc un premier filtrage, visant à écarter les questions constitutionnelles dilatoires ou illusoires. La question de constitutionnalité doit ainsi constituer l'un des éléments qui permettra au juge du principal de trancher le litige. Par ailleurs, la procédure serait inutile si le Conseil constitutionnel avait déjà statué sur cette question. Il reste tout de même que l'appréciation du "caractère sérieux" de la question, ou encore du "changement de circonstances", risque de se révéler très aléatoire et donner lieu, dans le futur, à de multiples recours. Le contentieux purement procédural autour de la question de constitutionnalité pourrait être volumineux (3). C'est d'ailleurs pour éviter un effet dilatoire que la loi organique oblige la juridiction du fond à statuer "sans délai" sur le renvoi de la question de constitutionnalité. Si elle ordonne ce renvoi, elle doit transmettre la question dans les huit jours à la juridiction supérieure.

2 - La procédure devant la Cour de cassation

La procédure devant la Cour de cassation et le Conseil d'Etat est identique pour l'essentiel. Tout d'abord, la transmission de la question à la Cour de cassation provoque la mise en oeuvre du sursis à statuer. Le sursis ne s'applique pas aux mesures provisoires, mais également aux décisions qui doivent être prises dans l'urgence. On pense ici, en matière civile, au référé de droit commun ou encore au référé instruction. Enfin, le sursis sera écarté lorsqu'il "risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie".

La Cour de cassation dispose d'un délai de trois mois pour statuer sur la question de constitutionnalité. Par ailleurs, la loi organique prévoit que la question peut être soulevée pour la première fois devant la Haute juridiction.

La Cour de cassation doit procéder à une nouvelle opération de filtrage. A l'issu de l'examen de la question, la Cour peut la transmettre au Conseil constitutionnel si :
- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
- elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.

Ces deux conditions ont déjà été examinées par la juridiction du fond et elles le sont à nouveau par la Cour de cassation. Par ailleurs, la loi organique aménage deux nouvelles conditions alternatives :
- soit, la question est nouvelle ;
- soit, elle présente un caractère sérieux.

Cette alternative est composée de deux termes pour le moins ambigus. Selon un auteur (4), la question est nouvelle lorsqu'elle n'a pas déjà donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel qui, sans avoir statué sur la constitutionnalité de la disposition contestée, a néanmoins déjà connu de la question et possède ainsi l'autorité de la chose interprétée. On trouve ici une reconnaissance implicite de l'effet jurisprudentiel des décisions du Conseil constitutionnel. En d'autres termes, lorsque le Conseil constitutionnel a déjà tranché la question soulevée devant la Cour de cassation, il n'y a pas lieu de procéder à une nouvelle saisine, à moins que la question présente un caractère sérieux. Par exemple, on peut imaginer l'hypothèse dans laquelle le Conseil constitutionnel aurait déclaré une disposition non conforme à la Constitution dans une décision antérieure. L'existence, dans l'arsenal législatif, d'une disposition identique ou similaire présenterait alors un caractère suffisamment sérieux pour que le renvoi soit prononcé et que la disposition soit abrogée.

Enfin, le caractère "prioritaire" de la question de constitutionnalité semble apparaître au détour d'un alinéa de la loi organique, lequel prévoit que la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat doit "lorsqu'il est saisi de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel". On retrouve ici l'idée de concurrence des textes en matière de protection des droits fondamentaux, qui justifie pour partie l'instauration de cette nouvelle procédure. La question de constitutionnalité est prioritaire sur l'examen de la conventionnalité. L'étude de la hiérarchie du droit interne par le juge doit primer celle de la hiérarchie internationale. On cherchera en vain une explication convaincante au caractère prioritaire de la question de constitutionnalité, tant le recours au droit international est riche en matière de droits fondamentaux et a pu montrer, parfois, les limites du droit constitutionnel. Quoi qu'il en soit, cette priorité justifie la saisine de l'autorité constitutionnelle.

3 - La procédure devant le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel est saisi de la question de constitutionnalité et doit statuer dans un délai de trois mois. La loi organique prévoit la mise en oeuvre d'un principe du contradictoire élargi. Tout d'abord, les parties sont mises à même de présenter leurs observations. Ensuite, le Conseil constitutionnel avise le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat afin de recevoir, le cas échéant, leurs observations. Enfin, on peut imaginer que le secrétariat général du Gouvernement -qui rédige traditionnellement une note écrite pour répondre à la saisine a priori du Conseil (5)- continuera à jouer un rôle dans le contrôle a posteriori. Le Conseil devra ainsi statuer au regard des observations des parties, des représentants de l'exécutif et également du Parlement. On retrouve ici le particularisme procédural de la question de constitutionnalité renforcé par une règle selon laquelle "lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi de la question prioritaire de constitutionnalité, l'extinction, pour quelque cause que ce soit, de l'instance à l'occasion de laquelle la question a été posée est sans conséquence sur l'examen de la question". A partir de la saisine du Conseil constitutionnel, la question de constitutionnalité se détache de l'instance principale pour constituer une instance autonome relative à un contentieux objectif. Cette mixité procédurale est véritablement originale.

La loi organique précise, enfin, que l'audience est publique par principe et que la décision du Conseil est motivée et publiée au Journal officiel. Elle est également notifiée aux parties et communiquée soit au Conseil d'Etat, soit à la Cour de cassation ainsi que, le cas échéant, à la juridiction devant laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée. La communication de la décision à la juridiction du fond met fin au sursis et permet la reprise de l'instance au principal.

C - Appréciation d'ensemble

L'instauration de la question de constitutionnalité comble utilement un vide procédural et ouvre, enfin, la voie d'un contrôle de constitutionnalité a posteriori, seul moyen efficace d'assurer le respect de la hiérarchie des normes et de renforcer la protection des droits fondamentaux. Toutefois, si elle mérite d'être accueillie favorablement dans son principe, cette nouvelle procédure présente plusieurs défauts.

D'abord, en refusant d'accorder au juge ordinaire la compétence pour se prononcer directement sur la constitutionnalité d'une disposition législative, la loi organique est issue d'un choix assumé, mais doublement erroné. Ce choix procède d'une erreur théorique, d'une part, car le contrôle de la constitutionnalité des lois ne peut être réservé à une seule autorité. Chaque juge possède, par nature, la compétence pour se prononcer au regard du droit, et de l'ensemble du droit. Le contrôle de la hiérarchie des normes est consubstantiel à la fonction juridictionnelle. C'est la négation de cette évidence qui a conduit progressivement le juge ordinaire français à confier à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, la mission quasi-exclusive de protection des droits fondamentaux par l'intermédiaire de l'action en justice. Erreur pratique, d'autre part, car le mécanisme très lourd du double transfert de la question de constitutionnalité, du juge du fond vers le juge supérieur, puis du juge supérieur vers le Conseil constitutionnel, entrainera un allongement inévitable et inutile des procédures. Si la question de constitutionnalité avait été traitée comme un simple moyen de droit, il aurait été possible d'en confier l'examen au juge ordinaire, en aménageant un recours de la juridiction supérieure vers le Conseil constitutionnel en fin de parcours. La procédure n'aurait pas été ralentie par la mise en oeuvre du sursis à statuer. En revanche, l'unification de la jurisprudence aurait été assurée.

Ensuite, l'instauration du contrôle a posteriori devrait entraîner, à terme, une réforme profonde de l'autorité constitutionnelle. A l'instar de la Cour européenne des droits de l'Homme, le Conseil constitutionnel ne résistera pas à l'afflux d'un contentieux inévitablement exponentiel. Cette réforme permettra, peut-être, la transformation de l'autorité en véritable juge constitutionnel. Même si elle rencontrera une importante contestation, cette transformation nous paraît désormais inéluctable.

Enfin, d'un point de vue tout aussi procédural que philosophique, l'instauration de la question de constitutionnalité opère une modification radicale de la situation des justiciables vis-à-vis des normes constitutionnelles, puisqu'en ouvrant à leur profit l'accès au juge, la loi organique du 10 décembre 2009 vient également de leur ouvrir l'accès au droit constitutionnel.

II - Les nouvelles dispositions réglementaires

A - Décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009, relatif à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en matière civile (N° Lexbase : L0292IGW)

Le décret du 9 décembre 2009 apporte deux innovations importantes à la procédure d'appel avec représentation obligatoire en coordination avec la future fusion des professions d'avocat et d'avoué. D'une part, plusieurs dispositions relatives à la procédure ordinaire sont modifiées dans le sens d'une progression des principes de coopération et de célérité. D'autre part, le décret aménage le passage à une procédure électronique pour le 1er janvier 2011 et au plus tard pour le 1er janvier 2013.

1 - Réforme de la procédure écrite ordinaire devant la cour d'appel

La procédure ordinaire prévue aux articles 901 à 916 du Code de procédure civile est modifiée en profondeur puisque tous les articles ont été réécrits. Parmi les principales modifications, on peut noter les suivantes :

De nombreux délais sont institués pour rythmer la mise en état en appel.
L'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure à peine de caducité relevée d'office.
L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour conclure et former, le cas échéant, appel incident.
L'intervenant forcé à l'instance d'appel dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande d'intervention formée à son encontre lui a été notifiée pour conclure.
Les conclusions doivent être notifiées dans le délai de leur remise au greffe de la cour ou sont signifiées dans le mois suivant l'expiration de ce délai aux parties qui n'ont pas constitué avoué.
Enfin, le conseiller de la mise en état examine l'affaire dans les quinze jours suivant l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces.

Tous les acteurs sont donc tenus par des délais assez courts, dont le non-respect entrainera des sanctions radicales (caducité, irrecevabilité) relevées d'office.
La procédure de la clôture partielle est étendue à la mise en état devant la cour d'appel. Cette sanction initialement prévue devant le TGI (C. proc. civ., art. 780 N° Lexbase : L7687HEG) pourra donc être mise en oeuvre par le conseiller de la mise en état (C. proc. civ., art. 913).

En dernier lieu, le principe de coopération est renforcé puisque l'article 954 du Code de procédure civile prévoit que "les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif". La division entre motifs et dispositif, applicable aux actes juridictionnels, est étendue ici aux conclusions d'appel, afin de contraindre les parties à identifier clairement leurs prétentions et de faciliter le travail du juge. Cette évolution est à mettre en perspective avec la condamnation par l'Assemblée plénière des motifs décisifs et décisoires (6) et donc avec une volonté de clarifier les prétentions et les moyens invoqués au soutien de ces prétentions.

2 - L'instauration d'une procédure électronique

Le système mis en place par le décret du 9 décembre devrait permettre d'instituer une procédure écrite entièrement numérisée devant la cour d'appel. Une sous-section 4 est introduite dans le Code de procédure civile au sein de la section relative à la procédure avec représentation obligatoire. Elle est intitulée "dispositions communes" et contient exclusivement un article 930-1 qui dispose qu'"à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique". Cette disposition générale concerne tous les actes de la procédure écrite : déclaration d'appel, constitution de l'intimé et échanges de conclusions. Les modalités pratiques de cette numérisation sont renvoyées à un arrêté et des expérimentations sont déjà conduites dans plusieurs cours d'appel (7).

B - Décret n° 2009-1591 du 17 décembre 2009, relatif à la procédure devant le juge aux affaires familiales en matière de régimes matrimoniaux et d'indivisions (N° Lexbase : L1231IGP)

L'article 14 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG), a étendu la compétence du juge aux affaires familiales, qui reçoit, à compter du 1er janvier 2010, une partie du contentieux patrimonial de la famille anciennement dévolu au TGI. Les nouvelles compétences du juge aux affaires familiales sont les suivantes :
- la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux ;
- et les procédures attachées au régime matrimonial et au contentieux relatif au fonctionnement et au partage des indivisions entre concubins ou entre partenaires pacsés (8).

L'exposé des motifs du décret est assez clair et mérite d'être reproduit in extenso : "ce décret vise principalement à ce que ce transfert de compétence du tribunal de grande instance au juge aux affaires familiales soit sans incidence sur la procédure applicable antérieurement devant le tribunal de grande instance : compte tenu de la complexité et de la nature de ces affaires, il est prévu de maintenir la représentation obligatoire, la procédure écrite et la publicité des débats".

L'article 1136-1 du Code de procédure civile prévoit donc que les demandes relatives à la nouvelle compétence du JAF "obéissent aux règles de la procédure en matière contentieuse applicable devant le tribunal de grande instance". L'article précise que les débats et la décision sont publics.

Par ailleurs, le décret indique que certaines procédures gracieuses ou sur requête (autorisations et habilitations de l'article 1286 du Code de procédure civile, homologation du changement de régime matrimonial), obéissent également aux règles de procédure devant le TGI.

En conclusion, ce décret aménage le transfert de compétence de façon originale puisque ce transfert s'accompagne d'une persistance des règles applicables devant le TGI. En conséquence, les parties et leurs conseils devront être particulièrement attentifs aux spécificités de ces procédures.

C - Décret n° 2009-1628 du 23 décembre 2009, relatif à l'appel contre les décisions du juge des tutelles et les délibérations du conseil de famille et modifiant diverses dispositions concernant la protection juridique des mineurs et des majeurs (N° Lexbase : L1216IG7)

On avait l'habitude de distinguer l'appel et le double degré de juridiction en se fondant sur la spécificité de l'ancien article L. 211-5 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7829HNB), qui prévoyait que le TGI était compétent pour connaître des recours contre les décisions du juge des tutelles et du conseil de famille. L'exercice du double degré de juridiction avait lieu, dans ce cas, devant le TGI et non devant la cour d'appel. L'article 13, II, 1° de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, a supprimé cette spécificité en abrogeant le 1° de l'article L. 211-5 précité (COJ, art. L. 211-5, nouv. N° Lexbase : L1776IEI).

A compter du 1er janvier 2010, l'appel contre les décisions du juge des tutelles et du conseil de famille s'exerce, conformément au droit commun, devant la cour d'appel. Le décret du 23 décembre 2009 a pour objet d'aménager les règles de procédure relatives à cet appel. La notice du décret explique que la solution retenue a été celle de la procédure sans représentation obligatoire.

L'article 1239 du Code de procédure civile dispose à présent que "sauf disposition contraire, les décisions du juge des tutelles et les délibérations du conseil de famille sont susceptibles d'appel". Le délai d'appel est de quinze jours et les parties ne sont pas tenues de constituer avocat ou avoué. L'appel doit être formé par déclaration faite ou adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au greffe de la juridiction de première instance. La procédure est orale et l'appel est instruit, puis jugé en chambre du conseil. Pour le reste, le décret prévoit une procédure détaillée qui se substitue à celle des anciens articles 1239 (N° Lexbase : L2090ADR) à 1247 du Code de procédure civile. La sous-section 4 intitulée "voies de recours" prend logiquement une nouvelle dénomination "l'appel".

III - Jurisprudences marquantes

La fin de l'année 2009 a été marquée par deux décisions rendues en Chambre mixte.

  • L'existence de deux décisions de justice inconciliables constitue un déni de justice et conduit à l'annulation de la seconde décision (Cass. mixte, 11 décembre 2009, n° 08-86.304, Société civile immobilière (SCI) Verica, P+B+R+I N° Lexbase : A4579EPB)

Cet arrêt apporte une solution intéressante dans une espèce atypique. A l'occasion d'une instruction pénale en matière de criminalité organisée, le juge des libertés et de la détention avait ordonné l'inscription d'une hypothèque conformément aux dispositions de l'article 706-103 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5784DYU) selon lesquelles "le juge des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République, peut ordonner, aux frais avancés du Trésor et selon les modalités prévues par les procédures civiles d'exécution, des mesures conservatoires sur les biens, meubles ou immeubles, divis ou indivis, de la personne mise en examen". Cette disposition permet à un juge pénal d'ordonner une mesure conservatoire de nature civile. Deux demandes de mainlevée de l'hypothèque furent formées. La première devant le juge des libertés et de la détention qui la rejeta. Cette décision fut confirmée en appel. La seconde demande de mainlevée fut présentée devant la juridiction civile et la cour d'appel de Paris ordonna, cette fois, la mainlevée de l'hypothèque.

La situation était ubuesque puisque deux juridictions, également compétentes, avaient rendu, dans le même litige, deux décisions inconciliables.

La contrariété de jugement issue de deux décisions inconciliables est prévue par l'article 618 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2874ADS), qui ouvre la voie du pourvoi en cassation lorsqu'aucune d'elles n'est susceptible de recours. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a la possibilité d'annuler une décision ou les deux.

L'article 618 semblait indiquer une solution simple, mais une difficulté liée à la hiérarchie des normes et au principe de légalité criminelle est apparue. En effet, il était délicat d'appliquer ce texte, disposition de nature réglementaire, pour censurer une décision rendue en matière pénale par le juge des libertés et de la détention. Le principe de légalité criminelle, qui s'applique également à la procédure pénale (9), semblait interdire qu'une disposition réglementaire puisse servir de fondement à un arrêt de cassation d'une décision rendue par un juge des libertés et de la détention. L'idée était alors de trouver un renfort législatif dans le Code civil en faisant usage du concept de déni de justice visé à l'article 4 dudit code (N° Lexbase : L2229AB8).

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation avait déjà utilisé cette solution en admettant, au visa de l'article 4 du Code civil, la recevabilité d'un pourvoi contre deux décisions inconciliables, l'une pénale et l'autre civile, car elles aboutissaient à un déni de justice (10).
La Cour de cassation réunie en Chambre mixte adopte une position dans la continuité de la jurisprudence antérieure, mais qui présente plusieurs innovations.
D'abord, l'arrêt est rendu au double visa des articles 4 du Code civil et 618 du Code de procédure civile. En replaçant la question de la contrariété de décisions dans le champ de la procédure civile, La Haute juridiction, ici, procède à une évolution par rapport à son arrêt d'Assemblée plénière de 1996.

Ensuite, la Cour de cassation affirme clairement que "le pourvoi dirigé contre deux décisions, dont l'une émane du juge pénal et l'autre du juge civil, est recevable lorsque, même non rendues en dernier ressort et alors qu'aucune d'elles n'est susceptible d'un recours ordinaire, elles sont inconciliables dans leur exécution et aboutissent à un déni de justice". Sur ce point, le motif est identique à celui utilisé par l'Assemblée plénière en 1996. Par ailleurs, l'arrêt constate que deux décisions accordant et refusant respectivement la mainlevée d'une hypothèque "sont inconciliables dans leur exécution et aboutissent à un déni de justice". Il s'agit là d'une précision nouvelle.

Enfin, la Cour de cassation précise que "dès lors que la première décision de la chambre de l'instruction, rendue, à défaut de disposition particulière dérogatoire, par la juridiction compétente pour connaître de l'appel d'une décision du juge des libertés et de la détention, est conforme à la doctrine de la Cour de cassation, il convient d'annuler la seconde, rendue par la chambre civile". Ce motif contient deux règles distinctes. Dans un premier temps, la Cour de cassation fait prévaloir la première décision rendue sur la seconde. Dans un second temps, la Cour de cassation énonce que cette solution ne peut être appliquée que dans la mesure où la décision préférée "est conforme à la doctrine de la Cour de cassation". L'expression "doctrine de la Cour de cassation", couramment utilisée au sein de l'institution (11), n'est pas visée fréquemment dans les arrêts de la Haute juridiction (12). Cette "doctrine" exprime plutôt une position ou une tendance jurisprudentielle. On en déduit qu'un arrêt conforme à la doctrine de la Cour de cassation n'encourt pas la censure de la Haute juridiction. Ainsi, lorsque deux décisions sont inconciliables, la seconde sera annulée à la condition que la première soit conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation.

La solution semble mériter l'approbation, car elle conduit la Cous régulatrice à préférer, entre deux décisions contradictoires, celle qui ne risque pas d'encourir la censure.

  • L'inexactitude de la mention d'un jugement peut être rectifiée par le registre d'audience. L'absence d'indication du nom du greffier n'est pas une formalité substantielle (Cass. mixte, 11 décembre 2009, n° 08-13.643, M. Alain Touzalin c/ Mutualité sociale agricole de la Vienne, P+B+R+I N° Lexbase : A4370EPK)

Le second arrêt rendu le 11 décembre 2009 en Chambre mixte avait à statuer sur des faits simples, mais donnant lieu à controverse jurisprudentielle. L'auteur du pourvoi invoquait la nullité d'un arrêt d'appel qui ne comportait ni le nom des assesseurs, ni celui du greffier.

L'absence de nom des assesseurs donne lieu à l'application combinée de trois dispositions du Code de procédure civile. L'article 454 (N° Lexbase : L2693AD4) précise que le jugement doit mentionner le nom des juges qui ont délibéré et l'article 458 (N° Lexbase : L2697ADA) dispose que ce qui est prescrit à l'article 454, en ce qui concerne le nom des juge, doit être observé à peine de nullité. Pourtant, l'article 459 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2698ADB) prévoit que l'omission ou l'inexactitude d'une mention du jugement ne peut entraîner sa nullité si des pièces de la procédure, le registre d'audience ou tout autre moyen permet d'établir que les prescriptions légales ont été observées dans les faits.

Cet enchaînement d'articles complémentaires semble limpide, mais, étonnamment, doctrine et jurisprudence se sont divisées sur la question de savoir si l'absence du nom des juges dans le jugement devait faire l'objet d'une interprétation rigoriste (en raison de la nullité textuelle de l'article 458) ou libérale (en raison de l'article 459) (13). La Cour de cassation réunie en Chambre mixte a finalement penché en faveur de la seconde solution en appliquant l'article 459 à la lettre. Elle a estimé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la nullité d'un arrêt d'appel, dès lors que le registre d'audience précisait que les assesseurs avaient bien siégé. La solution doit être approuvée, car, même si le registre d'audience ne garantit pas que les juges ont délibéré collégialement, l'omission d'une mention ne doit pas conduire à l'annulation systématique d'un jugement, notamment lorsque le filtre de l'exigence du grief n'est pas appliqué par la jurisprudence à la nullité des jugements.

S'agissant de l'absence du nom du greffier sur le jugement, la question avait également donné lieu à une jurisprudence confuse. La Cour de cassation prend, à ce titre, une position radicale et laconique. Elle considère ainsi que "l'article 458 du Code de procédure civile ne sanctionne pas par la nullité le défaut de mention du nom du secrétaire ayant assisté à l'audience". On en déduit que l'absence de nom du greffier n'est pas une cause de nullité. Ce motif appelle deux interprétations différentes. La première relève d'une lecture mot-à-mot de l'article 458 du Code de procédure civile. En effet, selon cette disposition, seule la mention du nom des juges visée à l'article 454 est prescrite à peine de nullité. Il faudrait alors en déduire que les autres mentions ne peuvent être sanctionnées par une nullité, même au titre des formalités substantielles. Telle ne semble pas être la solution adoptée par la Cour de cassation, qui juge par exemple que la mention de la présence du ministère public à titre principal doit être observée à peine de nullité (14). La seconde interprétation semblerait plus convaincante : la mention du nom du greffier ne constitue ni une cause de nullité textuelle, ni une formalité substantielle ; son omission n'est donc pas susceptible d'entraîner la nullité du jugement. Cette seconde interprétation semble plus cohérente, car elle n'exclut pas la possibilité d'admettre, dans les textes de procédure relatifs au jugement, des causes nullités substantielles à côté des nullités textuelles.

Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II


(1) On pense évidemment aux décisions rendues par les autorités administratives indépendantes.
(2) Dans le cas contraire, il faudra alors se poser la question de savoir si l'application d'une disposition législative contraire à la Constitution permet de caractériser la violation d'une règle d'ordre public prévue à l'article 1484, 6° du Code de procédure civile, susceptible, à ce titre, de justifier le recours en annulation de la sentence arbitrale.
(3) Toutefois, la loi organique fait usage de la technique du recours différé en prévoyant que le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige". A l'inverse, la décision de transmettre la question ne peut faire l'objet d'aucun recours.
(4) Cf. B. Mathieu, La question prioritaire de constitutionnalité, une nouvelle voie de droit, op cit., p. 60.
(5) Cf., par exemple, D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, 7ème éd., Montchrestien, p. 33.
(6) Ass. plén. 13 mars 2009, n° 08-16.033, M. Antoine Beatrix c/ M. Claude Baruchet, P+B+R+I (N° Lexbase : A8023EDI).
(7) Cf. le communiqué du CNB.
(8) On notera également que l'article L. 213-3-1 du Code civil prévoit que "le juge aux affaires familiales exerce les fonctions de juge des tutelles des mineurs". On parle ainsi d'un "pôle famille" qui concerne le droit patrimonial et extrapatrimonial de la famille, ainsi que le droit des incapacités des mineurs.
(9) La procédure pénale relève du domaine de la loi.
(10) Ass. plén., 29 novembre 1996, n° 93-20.799, Société Chaumet et autres c/ Société Claude Béhar, publié au bulletin N° Lexbase : A5114CKM).
(11) Notamment dans les rapports des conseillers, ou les avis des avocats généraux.
(12) Cf. un arrêt rendu le 8 novembre 2005 par la Chambre commerciale (Cass. com., 8 novembre 2005, n° 02-18.449, Société civile immobilière (SCI) du 75, Champs-Elysées c/ Société Réaumur participations, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A4831DLI) dans lequel on peut lire "le moyen qui critique l'arrêt en ce qu'il n'a pas recherché à quelle date était née la dette de loyers dans le patrimoine du débiteur ne tend pas à remettre en cause la doctrine énoncée par la Cour de cassation dans son arrêt du 16 février 2000".
(13) Voir le rapport éclairant du conseiller rapporteur M. Garban et le tableau détaillé établi par ce magistrat.
(14) Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n° 86-18.802, Epoux X c/ Mme Y (N° Lexbase : A8685AAW), JCP éd. G, 1989, IV, 103.

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[Questions à...] Promouvoir le droit continental : questions à Christian Connor, avocat associé du cabinet LMT Avocats et président de la section internationale de l'ACE (Avocats conseils d'entreprises)

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

La prédominance du droit anglo-américain, common law, dans les échanges économiques internationaux constitue un véritable handicap à la performance des entreprises françaises dans leurs activités à l'international, notamment les plus petites d'entre-elles, sur des marchés aujourd'hui mondialisés. Face à ce constat, une réaction devait s'imposer. Lors du colloque organisé pour le bicentenaire du Code civil à la Sorbonne en mars 2004, le Président Jacques Chirac avait rappelé la nécessité d'assurer un meilleur positionnement du système juridique français hors de nos frontières, et avait mis en lumière toute la portée internationale du Code civil. Et c'est ainsi que la France s'est dotée, le 1er mars 2006, de sa fondation pour le droit continental ayant pour ambitieuse mission d'instaurer un système juridique mondial plus équilibré en valorisant les actions de rayonnement international du droit continental au service des acteurs du droit et des entreprises engagées dans la mondialisation des échanges. Mais d'autres acteurs oeuvrent aussi pour la promotion de ce droit continental. Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré l'un d'eux, Maître Christian Connor, avocat associé du cabinet LMT Avocats et président de la section internationale de l'ACE (Avocats conseils d'entreprises), qui tire la sonnette d'alarme et nous rappelle les enjeux d'une telle promotion. Lexbase : Aujourd'hui, quelle place occupe le droit continental dans le monde des affaires ?

Christian Connor : Le droit est un vecteur d'intégration pour les entreprises qui souhaitent s'implanter dans certains pays. Elles ont besoin d'un environnement culturel proche. Le droit est la porte d'entrée, la clé indispensable pour que les entreprises soient présentes dans ces pays là. La prise de conscience a été faite avec les rapports Doing Business de la Banque mondiale. Le rapport Doing Business publie, depuis 2006, un classement des 181 pays en fonction de la facilité à entreprendre. En 2006, la France était au 44ème rang -entre la Jamaïque et les Kiribati- ; en 2009, elle récupère péniblement quelques places en prenant le 32ème rang. Les pays de common law prennent le haut du classement (Singapour, Nouvelle-Zélande et Etats-Unis occupant les trois premières places). Nicolas Tenzer (1) indiquait, à l'occasion d'une conférence qu'il tenait à l'Ecole militaire, le 12 octobre 2009, que certains cabinets anglo-saxons avaient mobilisé plus de cinq mille collaborateurs sur la zone Asie afin de suivre d'une manière permanente les appels d'offre, tant ceux portant sur des réformes de droit dans un certain nombre de pays en voie de modernisation qu'en matière de grand contrats, notamment d'infrastructure. Il est évident qu'avec une telle force de frappe, les cabinets en question sont en bien meilleure posture pour précéder et accompagner les entreprises du monde de la common law dans ces pays à fort potentiel de développement. Cette situation nous amène à faire un constat. Il est fondamental et urgent que nous mutualisions nos forces et nos équipes au sein des différents cabinets et plus largement avec les autres professionnels du droit pour répondre d'une seule voix à ces sollicitations que nous sommes incapables de satisfaire efficacement.

Lexbase : Face à la généralisation de la common law, comment réagir pour rester compétitif ?

Christian Connor : Il faut arriver à parler d'une seule voix. Aujourd'hui tout le monde est d'accord sur l'objectif final mais personne ne s'entend sur les moyens à mettre en oeuvre. La priorité doit donc être au-dessus de tout corporatisme. Et cela passe par une union des professionnels du droit avec le soutien indispensable des industriels. Prenons l'exemple de nos voisins allemands qui viennent de publier un document intitulé Law made in Germany en réponse à un document publié par la Law society vantant les mérites du droit anglo-saxon et de la place de Londres comme "seule place de droit". Toutes les professions sont unies, les professions juridiques, les chambres de commerce et d'industrie, les associations d'avocats, les barreaux... ainsi elles ont su apporter une réponse appropriée à cette attaque frontale du monde anglo-saxon

Lexbase : Quel est le rôle de l'ACE dans ce "combat" ?

Christian Connor : Comme je l'ai souligné dans mon allocution d'ouverture du 17ème congrès de l'ACE à Toulouse le 5 novembre dernier, la défense du droit continental et  de notre système juridique reste notre priorité. Il y va de la compétitivité de nos entreprises à l'international. Il y va de la présence de nos cabinets dans le monde pour accompagner nos entrepreneurs à l'export.

Aujourd'hui deux constats s'imposent :

- le bassin Méditerranéen est toujours et largement une région de droit continental, il importe qu'il le reste ;

- notre pays est trop largement absent des grands appels d'offre à l'international. Nos concurrents anglo-saxons sont partout présents, et en force. Il est donc fondamental que nous mutualisions nos forces et à cette fin, avec le soutien actif de Nicolas Tenzer, de l'IDEFIE (initiative pour le développement de l'expertise française à l'international et en Europe) qu'il a crée et de l'Institut français d'experts juridiques internationaux (IFEJI), l'ACE a, au sein de la section internationale, organisé un groupe de travail spécialement dédié à cette importante question et tout sera mis en oeuvre pour que cette initiative soit suivie d'actions concrètes permettant enfin de réunir les acteurs conscients de l'importance de l'enjeu et ainsi se donner la possibilité d'une véritable percée tant en France même qu'au niveau mondial.

Pour formaliser l'importance de cette question une motion en ce sens a été votée lors du congrès de l'ACE, appelant l'Etat et les organisations professionnelles concernées à agir ensemble afin que la France puisse, à l'instar d'autres pays, valoriser les mérites du droit continental, notamment du droit français et de ses praticiens. L'ACE revendique également pour les avocats français davantage de moyens pour exporter le droit continental, en termes de fiscalité et de structures.


(1) Auteur de Quand la France disparaît du monde, Grasset, 2008.

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Révolution intellectuelle au sommet du plus grand Barreau de France - Questions à Maître Jean Castelain, Bâtonnier de l'ordre de la cour d'appel de Paris, et Maître Jean-Yves Leborgne, vice-Bâtonnier

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N9369BMX

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

"Ce ne sont point les hommes qui mènent la révolution, c'est la révolution qui emploie les hommes" (1). Concernant la "grande réforme" que s'apprête à vivre la profession d'avocat, la révolution a, notamment, choisi d'employer Jean Castelain, Bâtonnier de l'ordre des avocats de la cour d'appel de Paris depuis le 1er janvier 2010, et Jean-Yves Le Borgne, vice-Bâtonnier. Beaucoup de prétendants, peu d'élus. L'arrivée de ce "ticket" à la tête du plus grand Barreau de France (l'ordre compte plus de 22 000 avocats inscrits) intervient à un moment particulièrement crucial pour la profession. Le Président de la République a montré sa détermination à voir réformer en profondeur les professions du droit, et, en particulier, celle de l'avocature. De nombreux groupes de travail et autant de rapports (rapport "Guinchard", rapport "Léger", rapport "Darrois", etc.) se sont succédés ces derniers mois, touchant à tous les aspects de la justice. Les avocats, au travers de leurs institutions, se mobilisent depuis lors, mais ils souffrent, parfois, d'un manque de cohésion et, manquent, souvent, d'une réelle prise en compte par les pouvoirs publics. Pour autant, leurs votes massifs à Paris au profit de Jean Castelain, secondé par Jean-Yves Le Borgne, démontre leur ferme intention de faire entendre leur voix et de se tourner résolument vers la modernité.

Il aura, en effet, fallu seulement dix mois à ce tandem pour imposer la légitimité du statut de vice-Bâtonnier (que nul ne conteste concernant le Barreau de Paris) et l'imposer dans les textes (décret n° 2009-1233, 14 octobre 2009 N° Lexbase : L8677IE4) (2). Ce bouleversement institutionnel est une récidive. Auparavant, ils s'étaient, notamment, attaqués (avec succès), à Paris, à l'aide juridictionnelle et ils avaient résolument soutenu la fusion des conseils juridiques et des avocats. Quelles meilleures preuves de leur aptitude à réformer intelligemment ce qui doit l'être ?

A l'orée de leurs mandats respectifs, Jean Castelain et Jean-Yves Le Borgne nous ont fait l'honneur d'une rencontre, au cours de laquelle ils nous ont livré nombre d'idées novatrices pour la profession. On ne peut qu'être séduit, mais surtout, convaincu par la force des arguments exposés et applaudir la démonstration.

Lexbase : Quelle est l'origine de votre vocation ordinale ?

Jean-Yves Le Borgne : Je vais vous dévoiler ce qu'il ne peut pas vous dire. La vocation est, soit déterminée par un homme, soit enracinée dans l'être. Jean Castelain, pour qui un exercice individuel de la profession était exclu, était prédestiné à de hautes fonctions de représentation. Jeune avocat, il a très tôt pris des responsabilités au sein de l'UJA. Il a été Secrétaire de la Conférence, membre du conseil de l'Ordre en 1992, puis membre du CNB. Le Bâtonnier Jean-René Farthouat lui a confié le secrétariat de la commission Déontologie. La Profession l'a vu à l'oeuvre ; autant dire, pardonnez-moi l'expression, qu'"on le sentait venir".

Il incarne la modernité de la profession et a toujours oeuvré pour l'évolution des usages et de la pensée conscient des évolutions sociales qui imposaient ces réformes. En témoigne son audace institutionnelle ! Quand en 1998, j'ai proposé la création de la fonction de vice-Bâtonnier, cette idée n'avait, à l'époque, pas trouvé d'écho. Mais, je pressentais, alors (l'avenir m'aura donné raison), que, si cette révolution devait être mise en oeuvre, elle le serait par Jean Castelain (3).

Jean Castelain : Une fois avocat, je me suis, tout d'abord, naturellement intéressé au statut de Secrétaire de la Conférence. Je savais le prestige de cette formation : mon père était avocat, je suis né et j'ai grandi, en quelque sorte, au sein de l'avocature. A mes yeux, l'institution de la Conférence du stage contribue largement à ce que la Profession a de plus exceptionnel. Quand j'ai été moi-même Secrétaire, j'ai voulu lui rendre hommage, mais, surtout, offrir une mémoire à cette institution. Pour ce faire, j'ai, notamment, réalisé un film à son sujet, encore diffusé aujourd'hui au sein de l'EFB.

Au cours de mon mandat au sein du conseil de l'Ordre du Barreau de Paris, au début des années 1990, s'est posée la si controversée question de la fusion des conseils juridiques et des avocats. Le Barreau de Paris était totalement divisé. Avec l'UJA, j'ai défendu ce projet, avec succès.

Par la suite, lors de mes années passées au sein de la commission de déontologie du Conseil de l'Ordre, nous nous sommes attelés au problème de l'aide juridictionnelle. Le système, alors en vigueur, manquait de cohérence. Il "asservissait" tous les avocats au dispositif, sans même qu'un quelconque choix puisse être exercé sur les domaines où les avocats commis intervenaient. Nous étions dans l'absurdité absolue propre aux systèmes régis par une administration rigide. On menaçait de sanction les protestataires, mais on ne mettait jamais en oeuvre de poursuite disciplinaire. Résultat des courses : le dispositif ne fonctionnait pas. Nous avons donc décidé de ne faire participer à l'aide juridictionnelle que les volontaires (j'étais certain qu'il y en aurait), à qui nous proposions des formations gratuites (que Jean-Yves Le Borgne a assurées pendant 15 ans, de 1993 à 2008).

Enfin, au cours de mon mandat à la commission des règles et usages du CNB, j'ai pris conscience des difficultés engendrées par le schéma classique de gouvernance : un seul Bâtonnier par barreau, ceci quelles que soient son importance et sa taille. A l'époque, le Barreau de Paris comptait déjà environ 17 000 avocats. Nous somme plus de 22 000 aujourd'hui. Penser qu'un seul homme puisse correctement assister à plus de cent-cinquante manifestations à l'étranger et autant, si ce n'est plus, sur le territoire national, assurer les rapports avec l'EFB, la Carpa, le CNB (pour ne citer qu'eux) et être à la disposition de tous les avocats est illusoire. Je ne peux, dès lors, que me réjouir de la prise de conscience de mes confrères parisiens quant à l'impérieuse nécessité de changement.

Souvent, la profession est affligée par un sentiment d'impuissance. Au cours de mon parcours au sein de ces différentes institutions, j'ai, quant à moi, acquis la ferme conviction, que la réussite est à portée de main, à la condition qu'existent une véritable détermination et un accompagnement, par la pédagogie.

Lexbase : Quelle est la clef de répartition des différentes missions entre vous ? Quelles sont vos priorités ?

Jean Castelain et Jean-Yves Le Borgne : La clef de répartition entre nous est simple ; elle découle de la complémentarité de nos profils ("avocat conseil" et "avocat judiciaire", bien que cette distinction ne soit pas, dans notre cas, aussi absolue). Sont attribuées au vice-Bâtonnier les problématiques relatives au droit pénal, aux libertés publiques, à la garde à vue, à l'aide juridictionnelle et aux points soulevés par le rapport "Léger", dont celui, essentiel, de la suppression du juge d'instruction. Reviennent au Bâtonnier les aspects structurels, financiers, économiques et de gouvernance, la mise en place du RPVA, ainsi que toutes les réflexions sur lesquelles s'est penchée la commission "Darrois" : acte d'avocat, structures d'exercice, interprofessionnalité, formation, etc.. Il aura aussi à connaître de la transposition de la Directive "Services" (Directive 2006/123, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L8989HT4), qui, assurément, va modifier le panorama des professions libérales, et il supervisera l'organisation de la célébration du bicentenaire du Barreau de Paris. S'ajoutent à tout cela les fonctions auprès de la Carpa, de l'EFB et du CNB, au sein duquel le Bâtonnier de Paris siège désormais.

Croyez-moi, il y a de quoi occuper deux hommes ! D'autant que nous sommes loin de disposer des moyens d'une administration centrale.

Le rayonnement du droit français à l'étranger est une de nos priorités. L'avocat est le plus à même d'assurer cette représentation : rappelons que plus de 1 800 confrères français exercent à l'étranger, quand aucun notaire ne peut envisager de s'y établir. Nous sommes aussi, dans le même esprit, favorables à la création du statut d'avocat en entreprise, car cette initiative renforce la compétitivité de notre droit (3) et favorise sa promotion.

Nous entendons, aussi, nous concentrer sur la question primordiale de l'accès au droit. Nous devons arriver à un système de "sécurité sociale juridique". De nouvelles pistes doivent être explorées sérieusement, afin d'offrir à ce droit fondamental toute son effectivité. Notre Constitution l'impose : le droit à l'accès au droit, autrement dit, à la réalité du conseil juridique, doit être effectivement assuré.

Lexbase : A cette fin, vous avez proposé, lors de la rentrée solennelle du Barreau de Paris le 4 décembre dernier, des solutions novatrices d'ordre économique.

Jean Castelain : Selon moi, notre raisonnement, sur toutes les questions touchant à notre profession, doit pleinement intégrer la dimension économique. Mon élection à la tête du Barreau de Paris a inquiété certains confrères, inaccoutumés aux approches manageriales. Je serais plutôt enclin à dire : "Thanks God, it's a manager !". Nous ne pouvons plus faire abstraction des impératifs économiques. Nous ne sommes plus en 1850, à l'époque où les avocats appartenaient tous à la haute bourgeoisie et ne vivaient pas des revenus de leur profession. Le "patron" du Barreau de Paris est, aujourd'hui, à la tête d'une fédération d'entreprises. L'activité judiciaire génère onze milliards d'euros par an. Les fonds relatifs à toutes les transactions qui transitent par la Carpa de Paris s'élèvent à onze milliards d'euros également et la TVA perçue sur les honoraires des avocats ressort à plus de deux milliards d'euros. Enfin, les avocats sont touchés de plein fouet par la crise économique actuelle. Personne ne devrait se permettre de faire l'économie de tels constats. La question économique est, donc, au coeur de mes propositions de réforme : je me suis engagé à baisser le montant des cotisations.

Par ailleurs j'explore, en particulier, trois pistes, qui jusqu'alors, n'ont pas (ou fort peu) été expérimentées et qui amélioreraient significativement l'accès au droit : celle de la déductibilité fiscale des honoraires de l'avocat, celle du "chèque-avocat" et, enfin, celle du partenariat public-privé en matière d'aide juridictionnelle.

Je l'ai souligné, lors de mon discours du 4 décembre dernier : la déductibilité fiscale est le moyen de rendre le droit effectif. Je défends avec force l'idée de déduire de l'assiette de l'impôt sur le revenu, au titre des services à la personne, les honoraires d'avocat ; ceci dans les matières liées aux difficultés ordinaires de la vie de chacun d'entre nous (relatives à la famille, au social et au locatif) et dans les limites du plafond existant (fixé à 15 000 euros par an). Cette idée est simple, facile à mettre en oeuvre, juste et équitable. Comment ne pas être choqué par les différences de situation. Un salarié qui gagne 3 500 euros par mois, dont la femme est sans emploi et qui a deux enfants mineurs à charge, devra s'acquitter d'environ 1 350 euros d'impôt sur le revenu, par an. Licencié pour un motif qu'il conteste, son procès prud'homal lui coûtera, puisqu'il n'est pas éligible à l'aide juridictionnelle, plus d'une année d'impôt sur le revenu, quand l'entreprise qui prendra un avocat pour l'assister paiera les mêmes honoraires, mais avant l'impôt sur les sociétés et en récupérant la TVA. Quelle est l'effectivité de l'accès au droit et à la justice, quand cette démarche est si coûteuse pour le particulier ? Ce constat m'est insupportable.

Le chèque-avocat, permettrait, quant à lui, de briser l'idée selon laquelle les services d'un avocat sont forcément onéreux. Il serait créé dans le cadre d'un partenariat entre l'Ordre et les entreprises. Il s'agirait, pour les avocats, de s'engager à accepter de consulter dans une matière déterminée pour un prix fixé à l'avance et, pour les entreprises, de supporter le coût du recours au professionnel du droit. Au delà du simple devoir sociétal de l'entreprise, un tel système lui serait tout à fait profitable, eu égard aux répercussions sur l'unité économique que peut entraîner le problème personnel rencontré par un salarié.

Enfin, je considère qu'un accès effectif à la justice passe nécessairement par la mutualisation, en particulier, en matière d'aide juridictionnelle. Dans ce cadre, ma faveur et celle de Jean-Yves Le Borgne va à la solution d'un partenariat public-privé (PPP) entre l'Etat, les assurances et les ordres des avocats, en ce qu'elle ne crée aucune charge supplémentaire, ni pour les citoyens, ni pour nos confrères. Peu de gens connaissent les montants des primes d'assurance de protection juridique : plus de 715 millions d'euros pour ne régler que 65 000 dossiers. Parallèlement, l'enveloppe annuelle de l'aide juridictionnelle s'élève à 315 millions d'euros pour 750 000 dossiers. Nous contractons, sans le savoir, une multitude d'assurances de protection juridique qui, finalement, font double-emploi et dont, paradoxalement, nous ne profitons jamais. Un "PPP" pour mutualiser les fonds de l'aide juridictionnelle avec les fonds de l'assurance de protection juridique, permettrait de tripler la rémunération des avocats sans augmenter d'un euro le coût du système pour les citoyens. Bien entendu, ce système devrait ensuite, idéalement, trouver dans la solidarité nationale d'autres apports pour parvenir à une parfaite mutualisation de l'accès au droit. Je pense, notamment, à un abondement de la part des entreprises.

Lexbase : Quelles autres réformes vous tiennent particulièrement à coeur ?

Jean Castelain : Les réformes qui me tiennent à coeur sont nombreuses, mais je souhaite, en particulier, en voir aboutir une : la reconnaissance au Bâtonnier d'un rôle véritablement judiciaire, en matière de fixation des honoraires de l'avocat. Puisque la Cour de cassation considère que le Bâtonnier n'est pas un juge, celui-ci n'est pas autorisé à condamner le justiciable aux frais et dépens visés par l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2976ADL). Cette situation est pour le moins originale : l'avocat est la seule entreprise qui ne peut être indemnisée du coût de la procédure l'opposant à un débiteur de mauvaise foi. Cette reconnaissance permettrait en outre aux décisions du Bâtonnier d'être assorties de l'exécution provisoire.

Lexbase : Le système français de la garde à vue pourrait connaître un véritable chamboulement, avec les arrêts récents rendus par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) (4). Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Jean-Yves Le Borgne : Il faut rester prudent et ne pas interpréter trop hâtivement les décisions rendues par la CEDH. Celle-ci a dit, qu'"il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, lorsque les déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation" (5). Cette décision a été rendue dans un cas extrême, qui, bien que les conditions de garde à vue en France soient loin d'être idéales, est incomparable avec ce que nous connaissons. Et si les juges européens imposent l'intervention d'un avocat dès le début de la mesure, ils ne précisent malheureusement pas que celui-ci doit assister à l'ensemble de la mesure de garde à vue ni qu'il doit accéder, à tout moment, au dossier de la personne ainsi retenue par la police.

En France, le Président de la République a souligné l'impérieuse nécessité d'abandonner une justice fondée sur l'aveu au profit d'une justice reposant sur la preuve objective (discours du 7 Janvier 2009 lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation). La garde à vue a, toujours, été considérée comme une parenthèse, un temps sui generis dans la procédure pénale, alors que rien ne justifie une telle particularité. Ce temps de la procédure, qu'on le veuille ou non, a pour raison d'être l'affaiblissement de la personne d'où procède l'aveu. Elle est donc contraire, en l'état, à la justice de la preuve objective. Il faudra un jour en tirer les conséquences.

Par ailleurs le placement en garde à vue suppose et implique l'existence d'une accusation qui devrait entraîner la mise en oeuvre immédiate des droits de la défense. Rien ne peut justifier qu'il existe un temps, dans la procédure pénale, où la défense de l'individu est repoussée à plus tard. Les raisons d'efficacité avancées par certains sont peut-être pragmatiquement exactes, mais elles sont moralement et philosophiquement injustes.

Les droits de la défense doivent aussi être renforcés dans le cadre de la future procédure pénale incluant la suppression du juge d'instruction. Cette réforme doit installer une défense à armes égales avec le parquet. Pour ce faire -entre autres mesures- l'autorité doit être donnée au juge de l'enquête et des libertés de permettre à l'avocat l'administration de la preuve de l'innocence de celui qu'il assiste, à tout moment de la procédure.


(1) Joseph de Maistre, Considérations sur la France.
(2) Lire Création de la fonction de vice-Bâtonnier - Questions à Maître Jean-Yves Le Borgne, futur vice-Bâtonnier du barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 9 du 26 novembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N4667BMS).
(3) Lire Quels rapprochements pour les professions de juriste d'entreprise et d'avocat ? Questions à Vincent Malige, General Counsel, Scor SE, Lexbase Hebdo n° 3 du 15 octobre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N0938BMP).
(4) Lire Présence de l'avocat lors de la garde à vue - Questions à Maître Fabrice Orlandi, avocat et Président de l'association "Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat", Lexbase Hebdo n° 12, du 17 décembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N6068BMP).
(5) Cf. CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391/02, Salduz c/ Turquie (N° Lexbase : A3220EPX), CEDH, 24 septembre 2009, Req. 7025/04, Pishchalnikov c/ Russie (N° Lexbase : A4246EPX), et CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03, Dayanan c/ Turquie (N° Lexbase : A3221EPY).

Crédit photo Frédéric Imbert

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Urbanisme

[Jurisprudence] L'encadrement par le Conseil d'Etat de l'assouplissement des exigences en matière de motivation des décisions de préemption

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r, 20 novembre 2009, 3 arrêts, n° 316961, Commune de Noisy-le-Grand (N° Lexbase : A7278ENU), n° 316732, Commune d'Ivry-sur-Seine (N° Lexbase : A7274ENQ), et n° 316733, Syndicat mixte d'action foncière du Val-de-Marne (N° Lexbase : A7275ENR)

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N7198BMK

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 07 Octobre 2010

Le contentieux portant sur les droits de préemption, et, en particulier, sur le droit de préemption urbain a connu, depuis 2001, un accroissement marquant. Comme le souligne Jean-Pierre Duport (1), "il est intéressant, en effet, de constater que le contentieux du droit de préemption a pratiquement quadruplé en 10 ans" (2). Mais les statistiques de l'activité juridictionnelle livrent aussi un second enseignement, qui concerne la fréquence des annulations ou des suspensions que prononce le juge en ce domaine. En première instance, 40 % environ des décisions de préemption sont censurées, alors que le taux moyen des annulations s'établit, tous contentieux confondus, à 25 %. Comme peut le relever Roland Vandermeeren, "le phénomène essentiel, et le plus préoccupant, tient donc, avant tout, au nombre élevé de décisions illégales ou, du moins, jugées comme telles" (3). Il y a plusieurs sources à ce contentieux (l'institution des droits de préemption, la compétence de l'autorité préemptrice, le délai de préemption, ou encore l'irrégularité de la déclaration d'intention d'aliéner), mais les irrégularités les plus fréquentes résultent de la double obligation, pour les collectivités publiques, de motiver la décision de préemption et de la fonder sur des motifs pertinents. A la base des règles applicables se situent deux articles, les articles L. 210-1 (N° Lexbase : L1271IDG) et L. 300-1 (N° Lexbase : L4059ICC) du Code de l'urbanisme (4), qui sont généralement appliqués de façon combinée par les juges, puisque les deux sortes d'illégalités vont généralement de pair. Compte tenu de l'articulation entre ces deux dispositions législatives, l'exercice du droit de préemption n'est légal que si deux conditions sont réunies : la préemption doit permettre de réaliser une action ou une opération d'aménagement, laquelle doit répondre à l'une des fins d'intérêt général mentionnées par la loi. Les juridictions administratives ont, néanmoins, strictement interprété ces dispositions législatives, en ne se contentant pas de vérifier ces deux conditions, et en exigeant, au surplus, que la décision de préemption soit justifiée par l'existence, à la date de laquelle celle-ci est édictée, "d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement suffisamment précis et certain" (5), et que le projet soit défini de manière précise dans la décision de préemption (6). Cette nécessité, d'origine purement jurisprudentielle, de justifier de la "réalité" d'un projet "précis" a créé des difficultés pour les collectivités publiques, dès lors que le droit de préemption est le plus souvent exercé, non pas pour permettre la mise en oeuvre d'un projet déjà prédéfini sur le plan administratif ou technique, mais pour réaliser une opération dont les contours se matérialisent uniquement au moment de l'acquisition. La condition est donc en porte-à-faux avec la logique même d'opportunité qui sous-tend le droit de préemption (7).

Par un arrêt "Commune de Meung-sur-Loire" en date du 7 mars 2008 (8), la Haute Juridiction administrative avait assoupli ses exigences en matière de motivation de ces décisions, n'exigeant plus des collectivités, à la date de leur décision, de justifier d'un projet dont les caractéristiques seraient précisément définies, mais seulement de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objectifs énumérés à l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme, comme, par exemple, un projet urbain ou une politique locale de l'habitat.

Les trois arrêts du 20 novembre 2009 viennent encadrer cet assouplissement. En effet, dans les arrêts "Commune d'Ivry-sur-Seine" et "Syndicat mixte d'aménagement du Val-de-Marne", le Conseil d'Etat annule les décisions de préemption prises en vue de constituer une réserve foncière car, s'il est admis que la motivation de la décision de préemption se fasse par référence à la délibération déterminant le périmètre où la collectivité souhaite intervenir afin de l'aménager et d'en améliorer la qualité urbaine, ce renvoi doit permettre d'identifier la nature de l'action ou de l'opération envisagée. Or, dans ces deux cas, les décisions de préemption avaient été prises dans le but de constituer des réserves foncières en vue d'un aménagement permettant le renouvellement urbain, la redynamisation de l'habitat et l'organisation du maintien et de l'accueil de nouvelles activités économiques, ce qui ne fait pas apparaître la nature du projet envisagé par la collectivité. La référence à une convention passée en vue de la réalisation d'études, qui atteste bien de la volonté d'intervention dans le périmètre déterminé, comporte un diagnostic et des orientations générales, mais ne permet pas plus de déterminer la nature du projet. En outre, l'arrêt "Commune de Noisy-le-Grand" a été l'occasion de préciser que, lorsque la décision de préemption est motivée par référence au programme local de l'habitat (PLH), celui-ci doit, de la même façon, permettre de déterminer, par exemple en fonction du secteur géographique dans lequel se situe le bien et la nature du projet. Ainsi, l'autorité préemptrice doit veiller à ce que sa décision mentionne explicitement la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement projetée, ou, si cette décision est motivée par référence à un autre document, à ce que cette référence permette tout autant de connaître la nature du projet.

L'on voit, ainsi, que, si le juge administratif a abandonné certaines contraintes pesantes sur les collectivités territoriales quant aux motifs de la décision de préemption (I), il n'a pas renoncé à exercer tout contrôle sur la motivation de la décision de préemption (II).

I - Un juge administratif qui a abandonné certaines contraintes pesantes sur les collectivités quant aux motifs de la décision de préemption

Pour éviter les "déviations" liées à l'exercice du droit de préemption par les collectivités territoriales, le juge administratif a d'abord imposé la preuve d'un projet "réel" et "précis" attaché à la décision de préemption (A). Mais, devant l'impossibilité pour les collectivités d'élaborer un authentique projet dans les délais requis, le Conseil d'Etat est revenu sur cette jurisprudence lui préférant l'exigence, certes, d'un projet toujours réel, mais pas forcément précis (B).

A - L'exigence première d'un projet suffisamment précis et certain

Le premier alinéa de l'article L. 210-1 du Code de l'urbanisme énonce une règle de fond qui détermine la pertinence de la décision de préemption (9). Le second alinéa de cet article énonce, quant à lui, une règle de forme qui concerne la motivation formelle de la décision (10). Résultant uniquement des règles du Code de l'urbanisme (11), l'obligation de motivation en cause "a le caractère d'une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d'illégalité la décision" (12). A la règle de la motivation s'ajoute un second ensemble d'exigences "substantielles" : la collectivité publique doit effectivement poursuivre l'un des objectifs d'aménagement énumérés à l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme, le recours à la préemption doit constituer une réponse appropriée aux besoins de la collectivité publique et, enfin, l'acquisition du bien préempté doit être justifiée par un projet "réel" et préalablement défini. Créée de toutes pièces par le Conseil d'Etat (13), cette dernière condition tend à éviter les utilisations abusives du droit de préemption urbain : volonté de connaître le nom de l'acquéreur pressenti (cette indication étant pourtant facultative dans la déclaration d'intention d'aliéner), de faire pression sur certains acquéreurs, d'empêcher l'installation de telle enseigne commerciale, d'un équipement culturel, usage du droit de préemption alors que le bien vendu au locataire qui l'occupe a déjà fait l'objet d'un droit de préemption en matière civile.

La collectivité publique ne peut donc se contenter de fournir, dans le texte de sa décision, les informations les plus complètes possibles. Il lui appartient, en outre, de démontrer qu'elle a envisagé avec suffisamment de certitude l'élaboration d'un projet dont la consistance est, elle-même, suffisamment arrêtée. Elle doit expliciter les motifs de la préemption et établir le "sérieux" de ces motifs. Cette interprétation rigoureuse empêchait les collectivités territoriales, à la recherche de sites susceptibles d'accueillir des équipements publics indispensables au service des usagers, de se porter acquéreurs de biens faisant l'objet de déclaration d'intention d'aliéner. Comme pouvait le relever Roland Vandermeeren, "il [était] pratiquement impossible d'élaborer un authentique projet d'opération dans le délai de deux mois et [...] l'administration n'[avait] pas d'autres ressources que de construire a posteriori le projet" (14). Dans un laps de temps très court, la collectivité peinait très souvent à justifier d'un projet réel et suffisamment abouti. En conséquence, les décisions de préemption n'indiquaient pas toujours que le bien acquis permettait la mise en oeuvre du programme et répondait à des besoins réels, recensés, quantifiés et localisés. L'on sait, au surplus, comme pouvait le souligner Loïck Benoit, que "des communes se bornent parfois à saisir une occasion plutôt qu'à mener une politique précise" (15). Enfin, l'approche classique du juge n'apparaissait pas judicieuse en ce qu'elle "conduisait parallèlement à une certaine forme d'hypocrisie, les collectivités les mieux pourvues sur le plan administratif étant tentées d'échafauder des 'montages' afin de contourner les obstacles jurisprudentiels. Ainsi, pour se prémunir d'une éventuelle sanction contentieuse sur le fond, il pouvait être tentant de 'fabriquer' de toutes pièces des projets suffisamment précis et certains" (16). Il semblait, par conséquent, peu pertinent de continuer à exiger que la décision soit justifiée par un projet réel et préalablement défini, les collectivités devant pouvoir compter sur un contrôle juridictionnel plus respectueux de la libre administration des collectivités territoriales.

B - L'exigence nouvelle d'un projet réel mais pas forcément précis

Aujourd'hui, les autorités préemptrices n'ont plus à motiver leur décision sous l'angle d'un projet d'action ou d'opération suffisamment précis et certain. Les incohérences juridiques et l'inadaptation des pratiques aux exigences jurisprudentielles ont conduit le Conseil d'Etat à repenser son contrôle sur les motifs et, par ricochet, sur la motivation de la décision de préemption. Tout en continuant d'imposer à la collectivité publique la preuve de la "réalité" de son projet, l'arrêt "Commune de Meung-sur-Loire" (17) accepte que les "caractéristiques précises de ce projet" puissent ne pas avoir été définies lors de l'exercice du droit de préemption. La collectivité publique supporte donc, comme auparavant, la charge de démontrer que la préemption permet de réaliser une "action" ou une "opération" d'aménagement déterminée et conforme aux finalités légales. Mais il suffit que le projet soit susceptible d'identification et suffisamment plausible. Par conséquent, à la date où elles exercent leur droit de préemption, elles ne sont plus dans l'obligation d'avoir réalisé des études préliminaires de faisabilité, constitué un dossier ou ébauché des documents de planification, signé une concession d'aménagement, ou encore, provoqué l'intervention préalable de leur organe délibérant. Bref, comme peut le noter Loïck Benoit, "les collectivités n'auront plus à démontrer que ce n'est pas l'opportunité d'acquérir le bien qui a généré le projet" (18).

Le juge administratif prend acte de la façon dont le droit de préemption est effectivement exercé et, par voie de conséquence, met sa jurisprudence au diapason du mécanisme de la préemption. Il a, en effet, été démontré que cette technique est peu utilisée pour réaliser des acquisitions pré-opérationnelles, le droit de préemption étant, le plus souvent, exercé en vue de réaliser un projet dont les contours sont, à la date à laquelle il est procédé à l'acquisition du bien, loin d'avoir été définis. Les conclusions du commissaire du Gouvernement Devys (19) préfiguraient parfaitement la solution retenue en l'espèce par les juges du Conseil d'Etat, tout en mettant en lumière ce type de situation, de laquelle il ressort clairement des pièces du dossier que la commune envisage effectivement de réaliser une opération d'aménagement (en l'espèce, une station de thalasso ou balnéothérapie en vue de favoriser le développement des loisirs et du tourisme), sans que, pour autant, ladite commune ait précisé, sur le plan administratif ou technique, l'opération qu'elle entend ainsi poursuivre. C'est ce type de situation que prend ici en considération le Conseil d'Etat en permettant, dorénavant, la préemption lorsque la réalité du projet (c'est-à-dire l'intention ou la volonté de la commune de s'engager sur ce projet) ne fait guère de doute, et ceci alors même que ledit projet serait encore très imprécis à la date de la préemption. En l'espèce, la politique de réaménagement et de revitalisation engagée par la commune avait été rapportée par des délibérations antérieures mettant des locaux à la disposition, notamment, d'artisans et de commerçants et ce, même si la commune avait procédé au coup par coup, en s'abstenant d'exercer son droit de préemption urbain sur un autre bien mis en vente dans le même secteur, et même si elle n'avait été saisie d'aucune demande particulière tenant à l'occupation des locaux ayant fait l'objet de la préemption litigieuse. Le projet n'en existe pas moins.

Au final, avec l'arrêt "Commune de Meung-sur-Loire", le juge administratif a opté pour une application moins stricte et plus textuelle de la loi, laquelle offre aux collectivités publiques une certaine liberté dans la mise en oeuvre du droit de préemption. La nécessité de justifier d'un projet réel et précis était, en effet, d'origine purement jurisprudentielle. Cette seconde condition jurisprudentielle n'apparaît pas explicitement dans le texte de l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme. Or, les seules exigences qui se trouvent dans l'article L. 210-1 sont relatives à l'objet de la préemption, qui doit impérativement correspondre à ceux énumérés à l'article L. 300-1, et être mentionné dans l'acte matérialisant la décision de préempter. Comme peut encore le relever Loïck Benoit, c'est "l'esprit de la loi qui a favorisé la position jurisprudentielle rigoureuse qui vient d'être abandonnée" (20).

A noter que, si le Conseil d'Etat se montre plus souple à certains égards, il n'a pas renoncé à exercer tout contrôle sur les motifs de la décision de préemption. L'action de l'administration est désormais soumise à des conditions moins strictes, mais cette liberté est loin d'être totale, dès lors que le juge administratif se réserve le droit de vérifier la réalité du projet en vue duquel le droit de préemption a été exercé. A cela s'ajoute le contrôle de l'exigence de motivation, les arrêts d'espèce permettant justement de définir comment elle doit être aujourd'hui comprise à la suite de l'assouplissement des conditions liées aux motifs de la décision de préemption.

II - Un juge administratif qui n'a pas renoncé à exercer tout contrôle sur la motivation de la décision de préemption

La restriction du contrôle sur les motifs de la décision de préemption a, également, par contrecoup, conduit le Conseil d'Etat à poser des exigences moindres quant à la motivation de la décision de préemption. L'on peut, en effet, désormais se demander comment l'exigence de motivation doit être comprise ? C'est à cette question que répondent les trois arrêts susmentionnés : l'auteur de l'acte ne doit pas se contenter d'invoquer un motif d'ordre général ou de se référer à l'un des motifs de l'article L. 300-1 du Code de l'urbanisme dont il fait application. Il doit, au contraire, définir de manière circonstanciée la nature du projet d'aménagement envisagé (A), pour que la motivation conserve un semblant de crédibilité et, ainsi, assure la bonne information des destinataires de la décision de préemption. Cet encadrement précis de la motivation s'inscrit aussi dans un mouvement plus général de prise en compte d'une perspective de condamnation de la législation française par le juge européen au regard de la protection de la propriété privée (B).

A - La définition de manière circonstanciée de la nature du projet d'aménagement envisagé

Très logiquement, il n'est plus exigé que l'acte de préemption définisse de manière précise et circonstanciée le projet d'aménagement en vue duquel le droit de préemption a été utilisé, il peut se borner à faire apparaître la nature du projet d'action ou d'opération d'aménagement envisagé. A fortiori, cet allègement de la motivation profite, également, à la motivation par référence. A ce sujet, l'assouplissement des règles applicables à la motivation et aux motifs des décisions de préemption n'a pas simplement été marqué par la jurisprudence "Commune de Meung-sur-Loire", mais aussi par des systèmes de motivation de la décision de préemption par référence à un acte préexistant. C'est déjà ce que prévoit l'article L. 210-1, alinéa 2, du Code de l'urbanisme pour le droit de préemption exercé en zone d'aménagement différé (ZAD) "à des fins de réserves foncières" (21). La loi du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbain (loi n° 2000-1208 N° Lexbase : L9087ARY), dite loi "SRU", a envisagé un dispositif comparable pour le droit de préemption urbain et la préemption en ZAD (C. urb., art. L. 210-1, alinéa 3), le renvoi étant fait ici à une délibération adoptée par le conseil municipal de la commune concernée, soit que celle-ci ait "délibéré pour définir le cadre des actions [...] [nécessaires] à un programme local d'habitat" (PLH), soit qu'elle ait "délibéré pour délimiter des périmètres déterminés [...] [en vue de l'aménagement et de l'amélioration de] leur qualité urbaine" (22). Dans les deux cas, la référence à l'acte antérieur dispense l'autorité compétente d'expliciter les motifs de la décision qui recourt au droit de préemption, rien ne s'opposant, toutefois, à ce qu'une motivation "classique" soit préférée à la première formule (23).

Les décisions d'espèce sont relatives à ces motivations par référence, ils en précisent, en ce sens, les conditions et modalités d'exercice. Les affaires en cause font référence à la motivation par référence à un programme local de l'habitat. Dans ce cas, les exigences résultant de l'article L. 210-1 doivent être considérées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en oeuvre de ce programme, et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. A cette fin, la collectivité peut, soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération, si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard, notamment, aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.

Selon le principal considérant de la décision "Commune de Noisy-le-Grand", la décision de préemption du 26 mai 2004 rappelle que le programme local de l'habitat, approuvé par délibération du 17 juin 1999, situe le pôle de La Varenne, où se trouve le bien préempté, parmi les "centres secondaires de quartiers à renforcer", fixe, notamment, pour objectif le "repositionnement de ce quartier dans l'armature urbaine d'ensemble", de façon à "reconsidérer le traitement des abords de la commune". Elle ajoute que cette propriété, d'une superficie importante, "s'inscrit parfaitement dans cet objectif et participe, ainsi, à la politique locale de l'habitat". Si la décision se réfère au programme local de l'habitat de la commune, ni les mentions qu'elle comporte, ni celles qui figurent dans ce programme, en ce qui concerne, notamment, le secteur géographique concerné, ne permettent de déterminer la nature de l'opération ou de l'action d'aménagement que la commune entend mener dans ce secteur, et à laquelle doit concourir la préemption. Si la décision indique que les études de diagnostic menées dans le cadre de la révision du plan local d'urbanisme "montrent que la création de bureaux sur le secteur Maille Horizon va engendrer la nécessité de créer plus de 400 logements par an pendant dix ans, et donc de densifier certains secteurs, tout en respectant le cadre de vie des quartiers", et que le terrain préempté, par sa localisation, a vocation à participer au respect de ces objectifs et au maintien de la mixité urbaine, elle ne fait pas apparaître la nature du projet pour lequel le droit de préemption est exercé.

Selon les principaux considérants des décisions "Syndicat mixte d'action foncière du Val-de-Marne" et "Commune d'Ivry-sur-Seine", si les décisions de préemption des 1er et 7 octobre 2002 indiquent que la préemption est réalisée pour constituer des réserves foncières dans le secteur "Avenir-Gambetta" en vue d'un aménagement permettant le renouvellement urbain, la redynamisation de l'habitat, et l'organisation du maintien et de l'accueil de nouvelles activités économiques, elle ne fait pas apparaître, par ces mentions, la nature du projet d'aménagement envisagé par la collectivité. Par ailleurs, la décision se réfère à une délibération du 24 janvier 2002 par laquelle la commune a confié à une société et à l'Agence foncière et technique de la région parisienne, par convention de mandat, l'élaboration d'un projet urbain et d'une stratégie foncière et opérationnelle dans le secteur "Avenir Gambetta" de son territoire. Si cette convention passée en vue de la réalisation d'études atteste de la volonté d'intervention de la commune dans ce secteur et comporte un diagnostic et quelques orientations générales, elle ne permet pas de déterminer la nature de l'opération ou de l'action d'aménagement que la collectivité publique entend mener pour améliorer la qualité urbaine du secteur "Avenir Gambetta", dans lequel se situe le bien préempté. Il y a là, au final, une appréciation assez sévère du juge administratif de la motivation de la décision de préemption qui encadre, en définitive, de manière plus poussée les actes pris par les collectivités territoriales en la matière. Cet encadrement fait suite à un assouplissement initial du contrôle, mais il témoigne aussi aujourd'hui du nouveau rôle exercé par le juge administratif, confronté aux exigences supranationales tirées de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH) : celui de gardien de la propriété privée.

B - La nécessité de tenir compte, dans l'exercice du droit de préemption, des règles issues de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) se montre de plus en plus protectrice du droit de propriété, et invite à reconsidérer la portée et les conditions de mise en oeuvre du droit de préemption. La CEDH ayant rendu peu de décisions concernant directement le droit de préemption, il faut donc raisonner par analogie avec la jurisprudence, nettement plus fournie, de la Cour sur l'expropriation (24). C'est l'article premier du premier Protocole additionnel à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) (25) qui constitue, indubitablement, la disposition la plus susceptible d'être mise en cause à l'occasion de l'exercice du droit de préemption. Plusieurs conditions sont exigées par la Cour pour conclure à la violation, ou à la non violation de cet article premier. Si l'ingérence doit avoir un fondement légal, il faut encore que l'utilisation du droit de préemption soit légitime. Dans son appréciation, la Cour a souligné, à plus d'une reprise, que, "dans un domaine aussi complexe et difficile que l'aménagement des villes, les Etats contractants jouissent d'une grande marge d'appréciation pour mener leur politique urbanistique" (26). Dans un arrêt de 2004, la Cour est plus précise encore, puisqu'elle déclare que "les politiques d'urbanisme et d'aménagement du territoire relèvent par excellence des domaines d'intervention de l'Etat, par le biais, notamment, de la réglementation des biens dans un but d'intérêt général ou d'utilité publique. Dans de tels cas, où l'intérêt général de la communauté occupe une place prééminente, la Cour est d'avis que la marge d'appréciation de l'Etat est plus grande que lorsque sont en jeu des droits exclusivement civils" (27).

Ceci n'exclut évidemment pas le contrôle par la Cour de l'effectivité de l'intérêt général ou de l'utilité publique. Comme peut le noter Francis Haumont, "s'il est vrai que rares sont les arrêts de la Cour qui sanctionnent l'absence d'intérêt général ou d'utilité publique, il n'est pas exclu que l'exercice du droit de préemption soit davantage l'occasion d'abus qui le rendrait illégitime" (28). La Cour fait preuve en ce sens d'une vigilance particulière dans le contrôle des motifs susceptibles de justifier l'utilisation du droit de préemption, en exigeant un "juste équilibre [...] entre sauvegarde du droit de propriété et exigences de l'intérêt général" (29). Il faut, en effet, ajouter qu'il existe une dernière condition de l'ingérence visée à l'article 1er du premier Protocole. Elle a trait à sa proportionnalité : la mesure doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. En d'autres termes, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et l'objectif poursuivi, ce qui implique que l'on ne fasse pas peser sur la personne concernée une charge disproportionnée et excessive (30).

Pour apprécier dans quelle mesure un Etat a pu ménager ce juste équilibre, la Cour utilise plusieurs paramètres, mais comme peut le souligner René Hostiou (31), "c'est un contrôle de l'utilité publique "de la troisième génération" que tend à imposer, avec tout le pragmatisme qui caractérise son action, la Cour européenne" (32). L'auteur insistant sur le fait "qu'alors que, dans un premier temps, correspondant à la période allant jusqu'au années trente, cette notion était susceptible d'être utilement contestée devant les juridictions administratives et que, dans un second temps, celle-ci ne pouvait être juridictionnellement remise en cause, par le biais du détournement de pouvoir ou de la théorie du bilan, qu'à partir d'une approche de la situation de fait figée à la date de la déclaration d'utilité publique, c'est désormais l'opération toute entière, dans toute sa globalité et sa chronologie complète, qui a vocation à rentrer dans le champ du contrôle juridictionnel" (33). Le bien préempté ayant été acquis par le biais de prérogatives de puissance publique qui, selon les termes mêmes d'un arrêt récent du Conseil d'Etat, "apportent une limitation au droit de propriété du vendeur et affectent à ce titre les intérêts de celui-ci" (34), il parait, en effet, nécessaire, pour qu'un juste équilibre soit ménagé "entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu", que la collectivité publique soit tenue de déterminer de manière circonstanciée la nature du projet d'aménagement envisagé à travers la décision de préemption, tout en donnant au bien une destination conforme aux termes de la décision de préemption.


(1) Préfet qui a présidé le groupe de travail du Conseil d'Etat sur le droit de préemption.
(2) J.-P. Duport, Permettre aux communes d'avoir une politique de préemption dynamique en évitant la censure du juge, AJDA, 2008, p. 731.
(3) R. Vandermeeren, Le contentieux des droits de préemption d'urbanisme : excès de pouvoir ou excès d'illégalités ?, AJDA, 2008, p. 734.
(4) Pour mémoire, l'article L. 210-1 du Code de l'urbanisme dispose que "les droits de préemption [...] sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1". Ce dernier article, quant à lui, précise de façon exhaustive que ces "actions ou opérations d'aménagement ont pour objet de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels".
(5) CE, 25 juillet 1986, n° 62539, Lebouc (N° Lexbase : A4793AMH), Rec. CE, p. 218, AJDA, 1986, p. 712, concl. J.-C. Bonichot, JCP éd. G, 1987, II, n° 20758, obs. F. Bouyssou, D., 1987, jurisp., p. 54, note P. Terneyre.
(6) CE, Sect., 26 février 2003, n° 231558, M. et Mme Bour (N° Lexbase : A3418A7Q), Rec. CE, p. 59, AJDA, 2003, p. 729, chron. F. Donnat et D. Casas, BJDU, 2003, n° 2, p. 106, concl. P. Fombeur, obs. J.-C. Bonichot, JCP éd. A, 2003, n° 1900, note P. Billet, et n° 1382, obs. C. Broyelle.
(7) Ces difficultés étaient aussi accentuées par le délai très court de deux mois dans lequel la décision doit être prise et notifiée aux intéressés, ce délai ne permettant pas aux collectivités de mettre au point "un authentique projet d'opération".
(8) CE, 7 mars 2008, n° 288371, Commune de Meung-sur-Loire (N° Lexbase : A3807D77), JCP éd. A, 2008, n° 2124, note L. Benoit et n° 2088, note P. Billet, AJDA, 2008, p. 556, obs. A. Vincent, et p. 1449, note J.-F. Struillou.
(9) Le premier alinéa indique, en substance, que l'exercice des droits de préemption doit être justifié, soit par la réalisation d'une "action" ou d'une "opération" d'aménagement répondant aux objectifs définis à l'article L. 300-1, soit encore par la "création d'une réserve foncière en vue de réaliser ce type d'action ou d'opération".
(10) Le second alinéa précise que "toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel [...] [le droit de préemption] est exercé". L'objet en question ici étant celui évoqué par l'alinéa précédent, à savoir l'action ou l'opération d'aménagement, ou encore la création d'une réserve foncière.
(11) A l'exclusion des dispositions générales de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public (N° Lexbase : L8803AG7) ; cf. CE, 16 décembre 1994, n° 116465, Beckert (N° Lexbase : A4056ASZ), Rec. CE, Tables, p. 1242.
(12) CE, 2 décembre 1988, n° 81844, SA d'économie mixte immobilière du Nord-Est parisien (N° Lexbase : A0529AQN).
(13) Cf. CE, 25 juillet 1986, Lebouc, précité.
(14) R. Vandermeeren, Le contentieux des droits de préemption d'urbanisme : excès de pouvoir ou excès d'illégalités ?, op. cit., p. 740.
(15) L. Benoit, Motivation et droit de préemption urbain, JCP éd. A, 2008, n° 2141.
(16) J.-F. Struillou, Motifs et motivation de la décision de préemption, AJDA, 2008, p. 1449.
(17) CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, précité.
(18) L. Benoit, Motivation et droit de préemption urbain, op. cit..
(19) CE, 26 janvier 2005, n° 272126, SCI Chopin-Leturc (N° Lexbase : A2784DG9), Rec. CE, Tables, p. 1030, AJDA, 2005, p. 623.
(20) L. Benoit, Motivation et droit de préemption urbain, op. cit..
(21) La décision peut valablement "se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone".
(22) A ces deux hypothèses, la loi du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (ENL) (loi n° 2006-872 N° Lexbase : L2466HKK) est venue en ajouter une troisième : celle où, en l'absence de PLH, la commune "a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme de construction et de logements locatifs sociaux".
(23) CE 1° et 6° s-s-r., 30 janvier 2008, n° 299675, Ville de Paris (N° Lexbase : A5957D4E), AJDA, 2008, p. 281.
(24) Cf., F. Haumont, La Cour européenne des droits de l'homme et le droit de préemption, AJDA, 2008, p. 747 et suivantes.
(25) Celui-ci comporte trois règles : celle du droit au respect de ses biens ; celle de la limitation du droit de priver quelqu'un de sa propriété ; et celle de la possibilité de limiter l'usage des biens conformément à l'intérêt général.
(26) Voir, par ex., CEDH, 23 septembre 1982, Req. 7151/75, Sporrong et Lönnroth (N° Lexbase : A5103AYN), ou CEDH, 8 novembre 2005, Saliba c/ Malte (N° Lexbase : A8257EPI).
(27) CEDH, 27 avril 2004, Req. 62543/00, Gorraiz Lizarraga et consorts c/ Espagne (N° Lexbase : A9860DBS).
(28) F. Haumont, La Cour européenne des droits de l'Homme et le droit de préemption, op. cit..
(29) CEDH, 22 septembre 1994, Req. 13616/88, Hentrich c/ France (N° Lexbase : A5109AYU), ou CEDH, 5 janvier 2001, Beyeler c/ Italie (N° Lexbase : A6718AWQ).
(30) Cf., CEDH, 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth, précité.
(31) A propos d'une affaire concernant la création de réserves foncières par voie d'expropriation, mais dont le parallèle peut être fait sans mal avec l'exercice du droit de préemption.
(32) R. Hostiou, note sous CEDH, Req. 48161/99, 2 juillet 2002, Motais de Narbonne c/ France (N° Lexbase : A1464AZA), AJDA 2002, p. 1226.
(33) Ibid..
(34) CE, 21 mai 2008, n° 296156, Commune de Houilles (N° Lexbase : A7213D8N), AJDA, 2008, p. 1030.

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[Questions à...] La réponse de "la première université de droit" face à la concurrence des écoles privées - Questions à Louis Vogel, Président de l'Université Paris II - Panthéon-Assas

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

L'année dernière, Assas a totalement repensé son offre pédagogique, afin d'être au plus près de ses étudiants, mais aussi, afin de faire face à la récente (mais déjà féroce) concurrence de Sciences-Po (1) et de certaines grandes écoles de commerce.

Le droit offre de nombreux débouchés. Pourtant, l'insertion professionnelle des étudiants en droit se fait plus difficilement que la moyenne (2). C'est que (ainsi que tout le monde s'accorde à le dire), la seule matière juridique ne suffit plus et doit être nécessairement complétée par l'étude de matières connexes, voire, par une autre formation à part entière. Les offres pédagogiques sont, donc, de plus en plus en sophistiquées et sont progressivement proposées par d'autres acteurs que les universités. Désormais, la "fac de droit" n'est plus le seul passage permis pour accéder à l'avocature. Sciences-Po a, ainsi, obtenu, par l'arrêté du 21 mars 2007 (3), de pouvoir présenter au CRFPA ses étudiants titulaires des masters "carrières juridiques et judiciaires" et "droit économique". Déjà, en 2007, Louis Vogel, Président d'Assas, avait promptement réagi, faisant connaître son mécontentement au travers des médias. Ce n'est pas tant qu'il était opposé à la concurrence (ce qui serait malvenu de la part d'un spécialiste de la matière), mais il dénonçait les conditions dans lesquelles celle-ci avait lieu. Eu égard aux moyens (notamment financiers) et au statut dérogatoire (sélection, droits d'inscription élevés) dont dispose l'IEP de Paris, le combat ne se faisait pas à armes égales.
A la rentrée 2009, Sciences-Po a ouvert son "Ecole de droit", qui regroupe les deux masters juridiques existants sous une même enseigne. Si, sur le fond rien ne change, cette nouvelle forme répond à une stratégie de la part de l'Institut d'être reconnu comme l'Université française par excellence. Sauf que, Sciences-Po est une école, pas une faculté, comme le souligne Louis Vogel, aux yeux de qui le titre de la plus grande Université de droit en France revient à Paris II. Celui-ci (titulaire d'un master of Laws de Yale, professeur de droit comparé et avocat aux barreaux de Paris, Francfort, Bruxelles et New-York) nous a exposé les raisons de son mécontentement et la réponse de son Université aux assauts dont elle fait l'objet depuis peu. Dans la lutte de David contre Goliath, rappelons-nous du vainqueur...

Lexbase : Quels sont les tenants de la nouvelle offre pédagogique d'Assas en matière de droit ?

Louis Vogel : L'offre pédagogique d'Assas a été renouvelée, afin d'être au plus près des étudiants, dont les profils sont très hétérogènes, surtout en première année. Nous avons décomposé notre enseignement de licence en trois cursus : le parcours "réussite", le parcours classique et celui d'excellence, dispensé au sein de notre Collège de droit.

Le parcours "réussite" s'adresse à des étudiants identifiés comme susceptibles d'être en échec, eu égard aux lacunes de leurs enseignements antérieurs, mais dont nous pensons qu'une remise à niveau leur permettrait de réussir leurs études de droit. Cette initiative est une première en France. Je crois en son opportunité. Certains enseignements proposés dans le cadre du parcours classique sont remplacés par des cours de remise à niveau en culture générale, expression orale et expression écrite. La promotion de cette année compte environ 120 étudiants.

Le parcours classique a, lui, aussi, été repensé, afin d'inclure plus de professionnalisation. Aujourd'hui, les Universités doivent nécessairement améliorer leur ouverture sur le monde du travail (4). Nous avons, donc, choisi de mettre en place des conférences de méthode et des ateliers de professionnalisation, animés par plus de quarante professionnels du droit, pendant les trois années de licence et l'année de master 1 (M1). Au cours de ces enseignements, les étudiants sont confrontés à des épreuves pratiques (suivi d'une audience, établissement des dossiers, etc.), qui leur permettent de mieux appréhender les composantes des différentes professions et de s'orienter en connaissance de cause.

Enfin, parallèlement au parcours classique, tout au long des trois années de licence, les meilleurs étudiants (à savoir, ceux titulaires du baccalauréat avec une mention très bien ou ceux qui ont obtenu une mention bien et ont passé avec succès un examen d'entrée) peuvent suivre des enseignements supplémentaires au sein de Collège de droit. Ils sont plus de 120 cette année. Dans le cadre de ce parcours d'excellence (inspiré des plus grandes écoles étrangères), le travail en petits groupes est favorisé, ainsi que les langues étrangères (certains cours étant, notamment, dispensés en anglais). L'offre pédagogique d'Assas sera complétée l'année prochaine avec la création de l'Ecole de droit, qui continuera le cycle du Collège de droit au niveau du master et qui imposera aux étudiants inscrits un séjour à l'étranger.

Il est important que ces différents parcours soient perméables : ainsi, en fonction des résultats obtenus, un étudiant qui aura suivi le parcours classique ou le parcours "réussite" pourra intégrer le Collège du droit et, inversement, un étudiant du Collège de droit pourrait ne pas valider son année et suivre le parcours classique l'année suivante.

Lexbase : L'ouverture de l'Ecole de droit de Sciences-Po vous a fait réagir, notamment, dans la presse. Que pensez-vous de cette récente concurrence de l'Institut et de certaines écoles de commerce ?

Louis Vogel : Sciences-Po a pris conscience des nombreux débouchés qu'offrait le droit et a, donc, décidé, il y a quelques années, d'investir ce créneau. Ce choix lui appartient. Néanmoins, je regrette beaucoup que la concurrence soit faussée, dans le sens où l'Institut dispose de moyens financiers énormes, quand les Universités doivent composer avec l'enveloppe (en comparaison, maigre) allouée par l'Etat. C'est tout simplement inadmissible. Le risque est grand de voir certains de nos professeurs débauchés pour des rémunérations beaucoup plus importantes que celles que nous pouvons leur offrir. Et s'il est certain que la réputation d'Assas la protégera (du moins en partie) de cette concurrence déloyale, je crains pour la survie de certaines facultés de droit plus petites.

Je ne partage pas l'avis de Christophe Jamin (NDLR : Directeur de l'Ecole de droit Sciences-Po), qui considère que Sciences-Po est appelée à former les "décideurs" de demain et les Universités, les "techniciens". L'Université est parfaitement en mesure de former les décideurs dont le marché a besoin. Nous n'appréhendons pas la formation juridique de la même manière, c'est certain. Mais je ne suis pas sûr que celle de Sciences-Po soit la meilleure. La stratégie de Sciences-Po est d'ajouter la matière juridique aux sciences sociales. Le cursus proposé est, alors, à mon sens, beaucoup trop généraliste et ne correspond pas aux besoins du marché. Leur formation est, en outre, dispensée pendant seulement deux ans, car une année entière est dédiée à un stage. Par rapport aux besoins du monde moderne, cette formation juridique est beaucoup trop superficielle.

Nous considérons de notre côté qu'il faut partir du droit (matière ô combien foisonnante et complexe), pour l'appréhender ensuite de façon plus large, en l'enrichissant par l'étude des matières dites "connexes" (comptabilité, sciences humaines, histoire, économie, gestion, etc.). Contrairement à ce qui se fait à l'IEP, à Assas les matières connexes restent complémentaires. Pour ma part, je considère que la simple technique juridique n'est pas suffisante pour faire un bon juriste ; la culture juridique doit être beaucoup plus générale. A mon sens, une formation juridique réellement approfondie implique dans un premier temps une généralisation (pour approcher la matière), puis une spécialisation. Comment envisager un tel cheminement en seulement deux années ?

En créant son Ecole de droit, l'Institut de la rue Saint-Guillaume dit répondre aux caractéristiques d'une law school américaine. C'est, cependant, oublier qu'au sein des law schools, les étudiants ont préparé leur apprentissage du droit au Collège (ce qui n'est pas le cas à Sciences-Po) et l'ont poursuivi pendant trois années de spécialisation, quand l'Institut en propose, finalement, deux.

Peut-être aurions-nous pu envisager de "travailler ensemble", Assas étant la plus grande Université de droit en France et Sciences-Po l'école par excellence des sciences sociales (donc, des matières dites connexes dans le cadre de l'étude du droit). Un tel projet n'a malheureusement pas pu voir le jour. De grandes Universités et écoles de commerce ont, pourtant, souhaité des partenariats et passerelles entre leurs formations et celles d'Assas. Le PRES "Sorbonne" (récemment constitué) regroupe les Universités de Paris II, Paris IV et Paris VI et organise un système de bi-licences (bi-licence de droit et d'histoire en vue de préparer les concours administratifs, bi-licence de droit et d'histoire de l'art pour devenir commissaire-priseur etc.). De nombreuses filières vont être créées et, avec elles, de nombreuses possibilités de reconversion pour les étudiants. Dans cette approche beaucoup plus souple et globale, Paris II se présente comme l'Ecole de droit dans un grand ensemble universitaire omni-disciplinaire.

Nous avons, également, conclu des partenariats avec de grandes écoles de commerce françaises et des Universités étrangères. Nos arrangements avec l'ESSEC offrent des filières mêlant le droit, l'économie et la gestion, qui permettent aux étudiants de Paris II d'accéder plus facilement à l'école de commerce (par le biais d'une dispense d'admissibilité) et aux étudiants de l'ESSEC de passer plus facilement certains pré-requis pour intégrer Paris II (les crédits validés à l'école étant validés à l'Université également). Ces accords offrent aux étudiants des formations à la carte, qui répondent précisément aux différents besoins du marché. Dans le cadre de nos partenariats avec des Universités étrangères, nous avons choisi, pour chaque pays, les plus adaptées (par exemple, en Allemagne, les Universités de la Sarre, de Munich et de Berlin, en Grande-Bretagne, l'University College de Londres et Oxford etc.) pour mettre en place notamment des double maîtrises. Parfois, nous délocalisons nos M2. Le système le plus sophistiqué consiste en un trépied : les trois années de maîtrise en France, une année de LLM à Berlin et une année de LMB au King's College de Londres.

Lexbase : Le rapport "Darrois" préconise la création d'une grande école des professionnels du droit. Quel est votre sentiment sur cette question ?

Louis Vogel : Je ne m'oppose pas, en effet, à un rapprochement des différentes formations des professions juridiques (avocats, notaires, magistrats, huissiers...), comme en témoignent les différents ateliers de professionnalisation mis en place à Paris II. Je suis donc favorable au principe d'une formation commune.

Le rapport "Darrois" préconise d'organiser cette formation commune de la manière suivante :

- la création d'une dizaine d'écoles de professionnels du droit, qui constitueraient un passage obligé entre les Universités et les écoles d'application que sont l'EFB, l'ENM, les centres de formation des notaires, etc. ;

- seraient inscrits à ces écoles des milliers d'étudiants titulaires d'un M1 ayant réussi un examen national (avec maintien des équivalences actuelles) ;

- et la scolarité à plein temps se déroulerait sur une année entière et serait exclusivement consacrée à des enseignements pratiques et pluridisciplinaires.

Ces modalités posent différents problèmes, notamment, dans le cadre des M2 proposés par les Universités de droit. Je vois mal, en effet, les étudiants revenir suivre ces cours une fois qu'ils seront passés par l'école de formation commune qui se situe au niveau du M2. La logique voudra qu'ils présentent directement les écoles professionnalisantes (EFB, ENM, etc.). Ainsi, ne se retrouveront plus en M2 que les "recalés" des écoles d'application et les rares étudiants qui prépareront une thèse. Pourtant, ce qui marche le mieux, aujourd'hui, au sein des facultés, ce sont bien les M2. Soulignons, de surcroît, que le rapport "Darrois" ne dit rien sur les modalités de financement de ces écoles de formation commune, alors même qu'il est évident que le coût sera très important.

Nous avons formé un groupe de travail avec le directeur de l'ENM (Jean-François Thony), le directeur de l'EFB (Gérard Nicolaÿ), et le directeur de la formation des notaires de Paris (François Carré), pour proposer une solution alternative (qui trouve des échos très favorables) : selon nous, l'école professionnelle de droit doit se situer au niveau M1 et M2 et doit être constituée d'enseignements pratiques dispensés durant deux années en complément des enseignements de master. Cette intégration de l'école professionnelle de droit à l'Université aura le double avantage de ne pas porter atteinte aux M2 et de réduire significativement les coûts.

Plutôt que de disperser les moyens au détriment de ce qui fonctionne le mieux, il faut les concentrer pour renforcer l'Université afin qu'elle puisse être à la hauteur de sa mission.


(1) Lire L'Ecole de droit de Sciences-Po ou "comment former les juristes polyvalents dont le début du 21ème siècle a besoin" - questions à Christophe Jamin, Directeur de l'Ecole de droit, Lexbase Hebdo n° 8 du 19 novembre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N4494BME).
(2) Lire Droit : Universités ou grandes écoles : il faut choisir, Le Monde Education du 17 juin 2009, p. 10 et s..
(3) Cf. arrêté du 21 mars 2007, modifiant l'arrêté du 25 novembre 1998, fixant la liste des titres ou diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise en droit (N° Lexbase : L9357HU4).
(4) 23 % des juristes n'ont effectué aucun stage dans le cadre de leur formation, contre 7 % des étudiants issus de toutes les filières confondues.

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Procédure

[Textes] L'impact de la nouvelle question préjudicielle de constitutionnalité sur le droit du travail

Réf. : Loi n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L0289IGS)

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N9373BM4

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

L'article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 (N° Lexbase : L7298IAK) a introduit dans la Constitution un nouvel article 61-1 (N° Lexbase : L5160IBQ), aux termes duquel, "lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé". Conformément aux dispositions de l'article 62 de la Constitution ([LXB=L0891AHHH]), "une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision" et "le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause".
Cette nouvelle procédure, applicable à compter du 1er mars 2010, a fait l'objet d'une loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 (N° Lexbase : L0289IGS) validée, sous trois réserves d'interprétation par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 (N° Lexbase : A3193EPX). Il est particulièrement intéressant de s'intéresser à cette nouvelle procédure (I) pour déterminer le rôle qu'elle pourrait jouer dans l'avenir en droit du travail (II). I - Les contours de la question prioritaire de constitutionnalité

1. Dispositions applicables devant les juridictions

  • Rôle des parties

Seules les parties au procès pourront soulever, en première instance, pour la première fois devant une juridiction d'appel ou même devant la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ; la question ne pourra pas donc être relevée d'office (1). Le Ministère public devra en être informé afin qu'il puisse donner son avis.

  • Formes

Le moyen devra être présenté dans un écrit distinct et motivé.

  • Rôle de la juridiction

La juridiction devant laquelle est soulevé le moyen statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation (2).

  • Conditions de la transmission à la Haute juridiction

La loi organique a subordonné le caractère obligatoire de cette transmission à trois conditions cumulatives :
- la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement des poursuites ;
- elle ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
- la question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux.

  • Précisions procédurales

Lorsque les parties contestent également la conformité d'une disposition législative aux engagements internationaux de la France, la loi donne priorité à la question préjudicielle de constitutionnalité (3).

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les 8 jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours.

Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.

Lorsque la question est transmise, la juridiction doit surseoir à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est, toutefois, pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

Ce principe reçoit de plein droit exception lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance ou lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.

Il reçoit également exception, mais uniquement si la juridiction le décide, si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première instance statue sans attendre et s'il est formé appel de sa décision, la juridiction d'appel sursoit à statuer. Elle peut, toutefois, ne pas surseoir si elle est elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence. La juridiction saisie pourra également statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés sans attendre le résultat de la procédure lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie.

Dans cette hypothèse où la juridiction statue sans attendre le résultat de la question préjudicielle et qu'un pourvoi en cassation a été introduit, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu'il n'a pas été statué sur la question prioritaire de constitutionnalité, sauf lorsque l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.

2. Procédure de filtre devant la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat

  • Délai de traitement

Lorsqu'ils ont été saisis d'une question prioritaire, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation disposent d'un délai de 3 mois pour statuer, délai pendant lequel il est sursis à statuer.

  • Caractère obligatoire ou facultatif de la saisine du Conseil constitutionnel

La loi semble imposer, par l'usage de l'indicatif présent (4), la saisine du Conseil constitutionnel lorsque la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites, qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Si la question n'est pas nouvelle ou ne présente pas de caractère sérieux, la transmission au Conseil constitutionnel semble facultative ; ce dernier devra, toutefois, être informé si la Haute juridiction décide de ne pas transmettre.

  • Précisions procédurales

La juridiction qui a saisi la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat devra, en toute hypothèse, être informée du sort réservé à sa demande. La décision prise sur le sort de la question devra également être notifiée aux parties dans les 8 jours de son prononcé.

Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation doivent surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il se soit prononcé, sauf lorsque l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé ou que les Hautes juridictions sont tenues de se prononcer en urgence.

3. Procédure d'examen de la question par le Conseil constitutionnel

  • Instruction

Lorsqu'il aura été saisi, le Conseil constitutionnel en avisera immédiatement le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat qui pourront lui adresser leurs observations.

La compétence du Conseil, une fois saisi, ne pourra pas être affectée, pour quelque cause que ce soit, par l'extinction de l'instance à l'occasion de laquelle la question a été posée la question préjudicielle.

Le Conseil constitutionnel devra statuer dans un délai de 3 mois à compter de sa saisine. Les parties seront mises à même de présenter contradictoirement leurs observations. L'audience sera, en principe, publique.

  • Décision

La décision rendue par le Conseil constitutionnel devra être motivée, notifiée aux parties et communiquée soit au Conseil d'Etat, soit à la Cour de cassation, ainsi que, le cas échéant, à la juridiction devant laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée. Elle le sera également au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. La décision sera enfin publiée au Journal officiel.

Rappelons que, par application de l'article 62 de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, "une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision", et que "le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause".

II - L'avenir de la question prioritaire de constitutionnalité en droit du travail

  • Contexte de la réforme

Le phénomène de constitutionnalisation du droit privé n'est pas, à proprement parlé, nouveau. Non seulement il existe une jurisprudence du Conseil constitutionnel portant sur les lois régissant les relations professionnelles, à tout le moins les intéressant, mais on constate également, depuis quelques années, la présence de références constitutionnelles dans la jurisprudence de la Cour de cassation (5).

Ce qui va changer avec la mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, c'est que, désormais, ces deux sources vont communiquer puisque la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat pourra interroger le Conseil constitutionnel sur la conformité des lois aux dispositions constitutionnelles assurant la protection des droits et libertés. Plus qu'hier, il conviendra donc de se montrer plus attentif encore à la jurisprudence du Conseil constitutionnel puisque c'est bien ce dernier, et ce dernier seulement, qui pourra écarter une loi contraire à la Constitution (6).

Cette primauté accordée à l'étude de la jurisprudence constitutionnelle n'exclut, bien entendu, pas l'intérêt d'un examen attentif de la jurisprudence judiciaire, singulièrement de celle de la Chambre sociale de la Cour de cassation, lorsque celle-ci mobilise l'argument constitutionnel.

  • L'intérêt de la réforme

Il semble, à cet égard, judicieux de s'interroger de manière concrète sur l'impact que pourrait (ou devrait) avoir la réforme intervenue avec la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de droit du travail, dans la mesure où celle-ci pourrait bien se traduire par la mise à l'écart de certains textes considérés comme contraires à la Constitution, soit par application de solutions déjà dégagées par le Conseil, soit dans le cadre de l'élaboration de nouvelles solutions.

  • L'existence d'une concurrence avec le grief d'inconventionnalité

La mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité crée une situation de concurrence inédite avec le contrôle de conventionnalité qui a pris, ces derniers mois, une importante croissante en droit du travail après la mise à l'écart du dispositif du contrat nouvelle embauche, considéré comme contraire aux dispositions de l'article 4 de la Convention n° 158 de l'OIT (7) ou, encore, du régime de la contrepartie financière des clauses de non-concurrence de l'article 75, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6163CZB), applicable dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, au titre du droit local, en raison de sa contrariété avec le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 (8).

La question qui se pose, dès lors, est des plus simples : cette concurrence va-t-elle profiter à la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité, au détriment du contrôle de conventionnalité ou, au contraire, rendre ineffective la nouvelle "question préjudicielle", ou, alors, conduire à une situation de complémentarité des recours ?

Le moins que l'on puisse dire est que la réponse à cette question, pourtant capitale pour le devenir de la réforme constitutionnelle, n'est pas des plus évidentes.

Le nouvel article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), issu de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 contient seulement une règle de conflit dans l'hypothèse où une juridiction serait "saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative d'une part aux droits et libertés garantis par la Constitution et d'autre part aux engagements internationaux de la France", qui assure la primauté de la question prioritaire de constitutionnalité.

L'effort de mise en ordre des recours s'arrête malheureusement là.

La priorité donnée à la question préjudicielle devant la CJCE, qui avait été un temps envisagée, a disparu du texte pendant les débats. A cet égard, le Conseil constitutionnel, à l'occasion de l'examen de la loi organique, a rappelé que la priorité s'imposant à une juridiction de poser la question prioritaire de constitutionnalité en cas de double moyen "ne restreint pas la compétence de cette dernière, après avoir appliqué les dispositions relatives à la question prioritaire de constitutionnalité, de veiller au respect et à la supériorité sur les lois des traités ou accords légalement ratifiés ou approuvés et des normes de l'Union européenne" (9). La juridiction pourra donc mettre en oeuvre la question prioritaire puis statuer (librement) sur l'inconventionnalité si, bien entendu, la question prioritaire n'a pas conduit à l'abrogation de la disposition litigieuse.

  • L'effectivité en cause de la nouvelle procédure

Il est également loisible de s'interroger sur les garanties entourant l'effectivité de la nouvelle procédure. Même si l'usage de l'indicatif présent dans le texte de la loi organique (10) incite à penser que la Cour de cassation serait contrainte (mais par qui ?) de mettre en oeuvre la question prioritaire de constitutionnalité lorsque les conditions en seront réunies (11), singulièrement lorsque la question de droit est nouvelle ou présente un caractère sérieux (12), ce qui conduirait à écarter tout procédé directement concurrent, seules les parties sont autorisées à mettre en oeuvre la procédure et non la Cour elle-même qui ne pourra pas relever d'office l'argument tiré de l'inconstitutionnalité d'un texte législatif (article 23-1, alinéa 1er, de l'ordonnance du 7 novembre 1958) contrairement à la solution qui prévaut en matière d'inconventionnalité (13).

Même lorsqu'elle aura été saisie d'une telle demande, le rôle de "filtre" attribué à la Cour de cassation lui permettra de considérer que les conditions de recours à la question prioritaire de constitutionnalité ne sont pas réunies, tuant ainsi dans l'oeuf le conflit et ouvrant la voie au seul contrôle de conventionnalité (14).

Enfin, et dans la mesure où la primauté de la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité n'a été affirmée qu'en cas d'invocation simultanée, il semble même possible de considérer qu'a contrario, le recours au grief d'inconventionnalité demeure possible dans les autres hypothèses (15) et ce, y compris lorsque le Conseil aurait préalablement considéré la loi litigieuse comme conforme à la Constitution, car on sait que ce jugement de conformité dans l'ordre interne ne préjuge ni de la conformité de la loi au droit communautaire, dont le juge judiciaire doit assurer la primauté sans s'en remettre au contrôle de constitutionnalité (16), ni du respect de la CEDH (17).

  • La supériorité opérationnelle de la question prioritaire

Mais, si aucune véritable garantie textuelle d'efficacité n'existe, il ne faut pas occulter le principal attrait de la question prioritaire de constitutionnalité qui est non seulement d'écarter l'application de la norme litigieuse, mais aussi, et peut-être surtout, de l'abroger pour l'avenir, ce qui donne à la décision du Conseil un effet erga omnes qui fait, par définition, défaut à l'arrêt de la Cour de cassation.

C'est donc en fonction des intérêts en cause, des objectifs poursuivis par les parties et, notamment, par certains groupement en charge de défendre des intérêts généraux, des orientations de politique juridique de la Cour de cassation, ainsi que de la teneur de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que seront arbitrés ces conflits de logiques et non en fonction d'arguments strictement procéduraux (18).

C'est en tout cas ce qu'il faut souhaiter, car, en matière de respect des droits fondamentaux, il convient de privilégier l'approche qui permette d'en assurer la protection le plus efficacement possible, ce qui impose de laisser le pluralisme des sources s'exprimer sans affirmer, de manière finalement assez nationaliste, la supériorité de principe des garanties constitutionnelles, ce qui, d'ailleurs, placerait la France dans une position impossible sur le plan européen (19).

C'est donc bien parce que les sources constitutionnelles et internationales vont se trouver mises en concurrence qu'une perspective comparatiste s'imposera pour déterminer, pour chaque droit ou liberté, les potentialités des normes constitutionnelles ou des instruments internationaux, au travers d'une mise en perspective de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

  • Essai de projection spéculative

Sans préjuger de l'avenir, on peut alors raisonnablement penser que la question prioritaire de constitutionnalité sera utilisée soit lorsqu'aucun grief d'inconventionnalité n'existera, soit, au contraire, dans l'hypothèse où le juge souhaiterait effacer de l'ordre juridique une loi litigieuse ; pour reprendre l'exemple du contrôle exercé sur le régime de droit local des clauses de non-concurrence, la question pourrait parfaitement être également envisagée sous l'angle de la conformité avec le principe de la liberté de l'activité professionnelle et, partant, faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel au regard des exigences de l'article 2 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1366A9H) et ce, pour espérer voir abrogées les dispositions du Code local de commerce (20). La saisine du Conseil pourrait également être tentante pour obtenir l'abrogation d'une loi de validation, à condition, toutefois, que celle-ci n'ait pas été validée lors de son adoption ou postérieurement.

Il sera donc particulièrement intéressant, sans même attendre les premières décisions à intervenir lorsque la nouvelle question prioritaire de constitutionnalité sera effectivement applicable, d'anticiper sur ces hypothèses pour examiner la jurisprudence du Conseil constitutionnel et confronter à celle-ci les dispositions du Code du travail qui pourraient être menacées par un éventuel contrôle de conformité. Pareil exercice spéculatif est, il est vrai, des plus risqués, ne serait-ce que parce qu'il pourrait alimenter la crainte d'une déstabilisation du droit du travail à la suite de la mise en oeuvre de la nouvelle procédure ; il nous semble, toutefois, nécessaire, ne serait-ce que pour tenter d'apporter une réponse scientifique à une crainte qui, pour le moment, semble essentiellement relever du fantasme.

Parmi les contentieux d'avenir, celui de la confrontation de certaines lois avec le principe constitutionnel d'égalité pourrait se développer en priorité, car la CEDH ne consacre pas directement ce principe, alors que la jurisprudence du Conseil sur le sujet est des plus fournies (21), comme le montre, d'ailleurs, la décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009, concernant la loi sur le travail dominical (N° Lexbase : A2113EKH), où le grief avait été formulé, sans, toutefois, avoir été retenu par le Conseil. Il semble également plus que vraisemblable qu'un certain nombre d'actions pourraient viser le régime légal de la grève dans les services publics, tant la question est sensible, la jurisprudence du Conseil riche d'enseignements et le droit international, singulièrement les dispositions de la CESDH, pauvres en matière de grève. Mais on remarquera, ici aussi, que la plupart des réformes récentes a donné lieu à un contrôle de conformité au moment de l'entrée en vigueur de la loi, de telle sorte que le contentieux de la constitutionnalité de ces dispositions semble, pour ces textes, clos (22), sauf changement de circonstances qui autoriserait le Conseil à se ressaisir de la question (art. 23-2 nouv.).


(1) Contrairement au moyen tiré de son inconventionnalité (cf. infra).
(2) Le délai d'examen par la Haute juridiction a été, pour sa part, fixé à 3 mois (cf. infra).
(3) Sur la concurrence avec le motif d'inconventionnalité, cf. infra.
(4) Sur cette discussion, cf. infra.
(5) Sur l'étude de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la thèse désormais classique de N. Molfessis, Le Conseil constitutionnel et le droit privé, LGDJ, Bibl. Dr. pr., n° 287, pr. M. Gobert, 1997, 602 p.. Plus particulièrement, intéressant le droit du travail, G. Lyon-Caen, La jurisprudence du Conseil constitutionnel intéressant le droit du travail, D., 1989, chron. 618 ; T. Revet, Le droit du travail dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dans La légitimité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Economica, 1999, p. 53. Sur l'étude de l'application de la Constitution par la Cour de cassation, La Cour de cassation et la Constitution de la République, PUAM, 1995 ; la très belle thèse éponyme d'O. Desaulnay, dir. P. Bon, Univ. Pau, mai 2007. Pour des études particulières mixtes, Les sources du droit du travail, PUF, 1998, dir. B. Teyssié ; I. Odoul Asorey, Négociation collective et droit constitutionnel. Contribution à l'étude du processus de constitutionnalisation des branches du droit, thèse Univ. Paris X Nanterre, dir. M.-A. Souriac, novembre 2008 ; V. Lamanda, LPA, 25 juin 2009, n° 126, 3.
(6) Et non contraire au droit international (ce à quoi il se refuse toujours : décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi sur l'égalité des chances N° Lexbase : A8313DN9), alors qu'un tel contrôle pourrait se concevoir dans la mesure où il s'agirait d'assurer le respect effectif de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L0884AH9), qui pose le principe de primauté du traité sur la loi.
(7) Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-44.124, M. Philippe Samzun, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A4245D94) et les obs. de Ch. Willmann, Après le législateur, la Cour de cassation invalide à son tour le CNE, Lexbase Hebdo n° 315 du 31 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6964BGZ) ; RDT, 2008, 504, avis J. Duplat.
(8) Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 05-40.876, M. Gilbert Eichenlaub, FS-P+B (N° Lexbase : A8950EB4) et les obs. de G. Auzero, Licenciement pour faute grave et contrepartie financière à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 333 du 15 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2303BI7) ; Dr. soc., 2009, 236, obs. J. Mouly.
(9) Cons. const., décision n° 2009-595 DC, du 3 décembre 2009, Loi organique relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, cons. 14 (N° Lexbase : A3193EPX).
(10) Art. 23-2 nouveau.
(11) En ce sens, M. Verpeaux, La question préjudicielle de constitutionnalité et le projet de loi organique, AJDA, 2009, 1474. La valeur impérative de l'indicatif présent a été consacrée par le Conseil constitutionnel dans sa décision relative à la loi de ratification de l'ordonnance du 12 mars 2007, portant publiant de la partie législative du nouveau Code du travail (Cons. const., décision n° 2007-561 DC, du 17 janvier 2008, Loi ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, relative au Code du travail (partie législative), cons. 17 N° Lexbase : A7427D3H).
(12) En ce sens, la décision précitée du Conseil du 3 décembre 2009, considérant 21 : "Considérant, en premier lieu, que la dernière phrase du premier alinéa de l'article 23-4 et la dernière phrase du troisième alinéa de l'article 23-5 prévoient que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité si 'la question est nouvelle' ; que le législateur organique a entendu, par l'ajout de ce critère, imposer que le Conseil constitutionnel soit saisi de l'interprétation de toute disposition constitutionnelle dont il n'a pas encore eu l'occasion de faire application ; que, dans les autres cas, il a entendu permettre au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation d'apprécier l'intérêt de saisir le Conseil constitutionnel en fonction de ce critère alternatif ; que, dès lors, une question prioritaire de constitutionnalité ne peut être nouvelle au sens de ces dispositions au seul motif que la disposition législative contestée n'a pas déjà été examinée par le Conseil constitutionnel ; que cette disposition n'est pas contraire à la Constitution".
(13) Ainsi Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 05-40.876, préc..
(14) Notamment la discussion sur le caractère "sérieux" de l'argument visé par le nouvel article 23-2, 3°.
(15) B. de Lamy, Brèves observations sur la question préjudicielle de constitutionnalité en attendant la loi organique, D., 2009, 177 ; P. Delvolvé, L'apport de la réforme constitutionnelle au droit administratif, RFDA, 2008, 861 ; A. Roblot-Troizier, AJDA, 2008, 1866 ; J. Gicquel, LPA, 2008, n° 97, 77 ; A. Marais, RDC, 2009/1, 233.
(16) CJCE, 9 mars 1978, aff. C-106/77, Administration des finances de l'Etat c/ Société anonyme Simmenthal (N° Lexbase : A5639AUE), §. 24.
(17) CEDH, 28 octobre 1999, Req. 24846/94, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c/ France (N° Lexbase : A7567AW8), RFDA, 2000, 289, obs. B. Mathieu ; RTDCiv., 2000, 436 et 439, obs. J.-P. Marguénaud.
(18) M. Guyomar et D. Simon, Faut-il en finir une bonne fois pour toutes avec la culture... de la hiérarchie des normes ?, GP, 12 février 2009, n° 43, 11.
(19) Comme l'écrivent très justement M. Guyomar et D. Simon, "alors que l'on pourrait craindre que la multiplication des sources et la pluralité des juges chargés de les appliquer soient un facteur d'insécurité juridique, il s'agit là d'un enrichissement de l'Etat de droit et de la rule of law, qui prohibe toute forme de monopole -celui d'un système juridique qui confine à la sclérose comme celui d'un juge qui tend vers l'arbitraire. Mais ce système normatif en voie d'éclosion suppose une solide organisation : une loyale coopération entre les juridictions s'impose pour assurer la complémentarité des ordres juridiques. Le nouveau pouvoir des juges en Europe se fonde sur cette légitimité fonctionnelle" (préc.). P. Delvolvé a même proposé de ne rendre obligatoire la question prioritaire de constitutionnalité "que dans l'hypothèse de droits et libertés 'purement' constitutionnels, sans équivalent 'conventionnel'", préc..
(20) Principe de liberté de l'activité professionnelle invoqué sur le fondement du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) et des articles L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI) et L. 212-4-2 (N° Lexbase : L9587GQ7) du Code du travail, pour interdire les clauses d'exclusivité dans les contrats de VRP exclusifs à temps partiel (Cass. soc., 11 juillet 2000, n° 98-40.143, Mme Marchal c/ M. Pimouguet, ès qualités de mandataire-liquidateur de la liquidation judiciairede la société AT Cobraet autre N° Lexbase : A9166AGL, Dr. soc., 2000, p. 1141, obs. J. Mouly).
(21) Sur cette probabilité, l'intervention de M. Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat, auditionné par le rapporteur du projet de loi organique devant l'Assemblée nationale, le lundi 5 mai 2008.
(22) Décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007, Loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (N° Lexbase : A6455DXD) ; décision n° 2008-569 DC du 7 août 2008, Loi instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire (N° Lexbase : A8776D9W).

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Sécurité sociale

[Textes] LFSS pour 2010 : entreprises et particuliers sollicités pour combler les déficits

Réf. : Loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009, de financement de la Sécurité sociale pour 2010 (N° Lexbase : L1205IGQ)

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N9379BMC

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

Le 07 Octobre 2010

En 2009, la crise économique a entraîné un effondrement des recettes des régimes de base de la Sécurité sociale. Pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, le déficit rectifié pour 2009 s'établit à 24,7 milliards d'euros, au lieu de 11,4 milliards d'euros dans les prévisions initiales de la loi de financement pour 2009 (1), soit une dégradation de 13,3 milliards d'euros. Le déficit prévisionnel de la branche maladie s'est aggravé de 7,8 milliards d'euros, portant le solde de la branche à - 11,6 milliards. Les déficits des autres branches augmentent de 2,3 milliards d'euros pour la vieillesse, de 2,6 milliards d'euros pour la famille et de 500 millions pour la branche accident du travail-maladie professionnelle (AT-MP). Ces données doivent être comparées avec le déficit de l'Etat, lequel s'élèverait, en comptabilité budgétaire, à 141 milliards d'euros en 2009 (2). Les recettes attendues pour 2010 s'élèvent à 404,1 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, soit une augmentation de 1,8 % par rapport à 2009. Pour le régime général, ce montant est de 288,1 milliards d'euros, en progression de 1,3 % par rapport à 2009. En 2010, les cotisations s'élèveraient à 210,1 milliards d'euros pour l'ensemble des régimes obligatoires de base et à 166 milliards d'euros pour le régime général. Au vu de ces données chiffrées, la commission des affaires sociales pour les équilibres financiers généraux en 2010 du Sénat (3) a dressé un constat sévère mais réaliste. Les comptes de la Sécurité sociale sont structurellement en déficit. Selon les sénateurs, les 25 milliards d'euros de ressources perdus en 2009 et 2010 ne seront jamais retrouvés. Même si une reprise économique est envisageable, le déficit de la Sécurité sociale ne fera que se stabiliser autour de 30 milliards d'euros au cours des prochaines années. De plus, les prévisions à moyen terme sont alarmantes : les déficits cumulés de l'ensemble des régimes s'approcheront de 150 milliards d'euros à la fin 2013, auxquels il faudra ajouter près de 20 milliards d'euros pour le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Plus grave, la Commission estime que les limites du report des difficultés actuelles sur les générations futures sont atteintes : les montants sont devenus tels qu'ils reviendraient à tripler la dette sociale que la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) a la charge d'amortir d'ici 2021. Sans un retour vers l'équilibre, la pérennité de notre modèle de protection sociale actuel serait en jeu. L'ampleur des déficits des comptes sociaux de l'année 2009 et de ceux prévus pour l'année 2010 (et pour les années suivantes) explique que le pouvoir réglementaire et le législateur se sont attachés à favoriser les rentrées de fonds, en développant de nouveaux prélèvement sociaux ou en supprimant des réductions de cotisations ou des exonérations (les fameuses "niches sociales"). Tous les cotisants sont sollicités : entreprises (I) et particuliers (II). La question des cotisations sociales dépasse de très loin des enjeux juridiques, eu égard à leur portée fiscale, sociale, politique (4), économique, ce dont le législateur paraît conscient (5).

I - Contributions des entreprises

Les contributions des entreprises comprennent un ensemble de cotisants dits de droit commun (B) et un autre ensemble, aux caractéristiques propres, puisque sont visés les professionnels de la santé, soumis à un régime propre (A).

A - Professionnels de la santé

  • Contribution des organismes complémentaires d'assurance maladie au financement de la prise en charge de la grippe A (H1N1)

La LFSS pour 2010 (art. 10) institue un prélèvement exceptionnel sur les organismes complémentaires d'assurance maladie au bénéfice des régimes obligatoires d'assurance maladie, afin de compenser les charges qui résultent pour ces régimes de l'organisation d'une campagne de vaccination de masse, collective et gratuite, contre le virus de la grippe A (H1N1) (6). En effet, le pouvoir réglementaire n'a pas mis en place le dispositif normal de dispense d'avance de frais pour l'assuré, à l'image des mécanismes de tiers payant en vigueur en cas d'hospitalisation et mis en place, pour les soins de ville, par convention entre les caisses et les prestataires de biens et services médicaux (7). Or, si les dépenses liées à la vaccination antigrippale avaient été prises en charge suivant cette procédure, les organismes complémentaires d'assurance maladie auraient supporté une part des tarifs des vaccins et des actes des praticiens en remboursant à leurs adhérents le ticket modérateur (CSS, art. L. 322-2 N° Lexbase : L4702H9Z). C'est pourquoi la LFSS pour 2010 fait peser sur les organismes complémentaires la charge d'une partie des dépenses liées à l'épidémie de grippe A (H1N1).

La contribution à la charge des organismes complémentaires d'assurance maladie vise les mutuelles (régies par le Code de la mutualité), les institutions de prévoyance (régies par le livre IX du Code de la Sécurité sociale ou par le livre VII du Code rural) et les entreprises d'assurance (régies par le Code des assurances). Cette contribution exceptionnelle des organismes complémentaire d'assurance maladie est instituée dans le cadre de leur participation à la mobilisation nationale contre la pandémie grippale. La participation non pérenne est créée à titre exceptionnel et pour la seule année 2010, afin de compenser le transfert de charges des complémentaires vers les régimes de base, qui résulte des conditions dans lesquelles est organisée la vaccination de la population contre le virus de la grippe A (H1N1).

  • Contribution des entreprises de la santé

La loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 (art. 11) a fixé le seuil de déclenchement de la clause de sauvegarde (dit "taux K") à 1 % pour l'année 2010. L'article 31 de la LFSS pour 1999 (CSS, art. L. 138-10-I N° Lexbase : L2725ICW) avait assujetti les entreprises exploitant des médicaments remboursables dispensés en officine à une contribution au titre de l'accroissement du chiffre d'affaires qu'elles réalisent au titre de ces médicaments. Mais chaque entreprise n'était redevable de cette contribution que lorsque le chiffre d'affaires hors taxes réalisé au titre des spécialités pharmaceutiques remboursées (à l'exception des médicaments orphelins) au cours d'une année civile, en France, par l'ensemble des entreprises assurant l'exploitation de ces spécialités, s'est accru par rapport à l'année précédente d'un pourcentage excédant le taux de progression de l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam). Le montant de cette contribution était calculé à partir d'une comparaison entre le taux d'accroissement du chiffre d'affaires de l'ensemble des entreprises redevables (appelé "taux T" à l'article L. 138-10) et du taux de progression de l'Ondam (dit "taux K"). Le dispositif de l'article L. 138-10 du Code de la Sécurité sociale constitue ainsi une clause permanente de sauvegarde, qui compense une partie des charges qui résultent pour ces régimes d'une progression incompatible avec l'Ondam du chiffre d'affaires des entreprises qui exploitent des médicaments remboursés, sans être engagées dans un processus de maîtrise des dépenses par voie de convention avec le Comité économique des produits de santé (8). Selon les travaux parlementaires (9), le produit de ces contributions est presque nul, car la quasi-totalité des entreprises assujetties ont passé avec le Comité économique des conventions qui les exonèrent du paiement de ces contributions. Le produit des remises versées par ces entreprises en application de ces conventions pourrait atteindre 200 milliards d'euros en 2009.

En principe, le "taux K" constituant le seuil de déclenchement de la clause de sauvegarde correspond, selon l'article L. 138-10, au taux de progression de l'Ondam. Toutefois, depuis 2000, la valeur du "taux K" a été fixée directement par les lois de financement de la Sécurité sociale successives, par dérogation aux dispositions de l'article L. 138-10, à des niveaux inférieurs au taux de progression de l'Ondam. La LFSS pour 2009 a fixé la valeur du "taux K" à 1,4 % pour le calcul des contributions dues au titre des années 2009, 2010 et 2011, afin de pallier l'instabilité des règles fiscales applicables aux entreprises pharmaceutiques. Toutefois, la portée de cette disposition était limitée, dans la mesure où elle n'empêche pas qu'une loi ultérieure fixe une valeur différente au "taux K".

  • Contribution sur les dépenses de promotion des fabricants, importateurs et distributeurs de dispositifs médicaux

La LFSS pour 2010 s'est attachée à élargir l'assiette de la contribution sur les dépenses de promotion des dispositifs médicaux, ainsi qu'à relever son taux et, enfin, à affecter une partie de son produit à la Haute autorité de santé (HAS) (10). En application de l'article L. 245-5-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1436IGB), sont assujetties les entreprises qui assurent la fabrication, l'importation ou la distribution en France de certains dispositifs médicaux à une contribution assise sur leurs dépenses de promotion et de publicité en faveur de ces produits (11). Le taux de cette taxe est de 10 %. La loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 affecte à la Haute Autorité de santé (HAS) 35 % du produit de la contribution sur les dépenses de promotion des dispositifs médicaux. Cette ressource nouvelle vise à compenser le manque à gagner résultant pour la Haute autorité de la baisse du produit de la contribution sur la promotion des médicaments. Cette baisse s'explique en effet par la diminution du nombre de visites médicales. Elle a représenté en 2008 un manque à gagner de 10 millions d'euros pour la HAS.

Enfin, la LFSS pour 2010 a élargi le champ des dispositifs médicaux pour lesquels les fabricants, importateurs et distributeurs de dispositifs médicaux sont assujettis à la contribution sur leurs dépenses de promotion et de publicité instituée par l'article L. 245-5-1. La LFSS pour 2010 modifie l'article L. 245-5-1, ainsi que l'article L. 245-5-2-1° du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1503IGR), afin d'élargir ces références en y incluant le titre II de la liste des produits et prestations remboursables, relatif aux orthèses et prothèses externes. En effet, ce titre II comprend, notamment, les dispositifs d'optique médicale et les appareils électroniques correcteurs de surdité, dont le marché connaît depuis plusieurs années une forte croissance (12).

B - Contribution des entreprises de droit commun

  • Régime social des retraites "chapeau"

La LFSS pour 2010 a doublé les taux de prélèvements sur les contributions des employeurs aux régimes de retraite conditionnant la constitution de droits à prestations à l'achèvement de la carrière du bénéficiaire dans l'entreprise. Ce système de retraite supplémentaire d'entreprise (CSS, art. L. 137-11 N° Lexbase : L1471IGL) bénéficie d'un dispositif fiscal et social particulièrement avantageux. Ces retraites supplémentaires à prestations définies constituent, en effet, un élément différé très substantiel des rémunérations consenties aux mandataires sociaux. Financées par les entreprises employeurs, elles garantissent à leurs bénéficiaires un niveau de pension prédéterminé, correspondant à un pourcentage du dernier salaire annuel perçu. Elles donnent lieu, le plus souvent à des provisions considérables au moment du départ de leur bénéficiaire.

Les régimes de retraite relevant de l'article L. 137-11 du Code de la Sécurité sociale se définissent par un certain nombre de spécificités, qui les différencient des autres régimes de retraite supplémentaires d'entreprise. Ces contrats se caractérisent par leur caractère collectif (les cotisations sont versées sur un fonds collectif et non pas sur des comptes individuels, comme c'est le cas dans les régimes à cotisations définies) ; le niveau des prestations est prédéterminé (et, corrélativement, l'engagement de l'entreprise de garantir ce niveau), ce qui fait que le coût de la retraite n'est pas connu à l'avance, car un certain nombre d'aléas peuvent survenir entre-temps ; dans ces contrats, seuls les salariés présents dans l'entreprise au moment de leur retraite bénéficient des droits à retraite supplémentaires, l'objectif souvent affiché étant de fidéliser les cadres les plus élevés.

Il faut distinguer, à l'intérieur de l'article L. 137-11, deux types de régime : le régime "différentiel", dans lequel l'entreprise garantit un niveau global de retraite, tous régimes confondus, l'employeur s'engageant à combler la différence entre l'objectif défini par le régime et les droits acquis au titre des autres systèmes de retraite (c'est l'origine du terme "retraite-chapeau") ; et le régime "additif", dans lequel la prestation est définie en pourcentage du dernier salaire, indépendamment des retraites servies par les autres régimes de base et complémentaires. L'aléa subi par l'entreprise ou l'organisme assureur étant plus élevé dans le cadre d'un régime différentiel, la plupart des régimes sont aujourd'hui additifs.

En application de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM), ces contributions sont exonérées, sans plafond, de CSG, de CRDS et de cotisations sociales. En contrepartie, la loi a instauré une contribution à la charge de l'employeur et affecté au FSV, dont le taux est compris entre 6 et 12 % en fonction du choix de l'employeur sur le mode de prélèvement. Lors de la création du régime, l'employeur doit opter pour l'assujettissement des rentes versées ou pour celui des contributions destinées à financer le régime, l'option étant irrévocable pour chaque régime (CSS, art. L. 137-11-II) (13). Si l'entreprise fait le choix d'une contribution assise sur les sommes destinées au financement du régime, le taux de la contribution varie selon que le régime est géré en interne (12 %) ou confié à un organisme externe, société d'assurances, institution paritaire, mutuelle... (6 %). Ce dispositif social est particulièrement avantageux. Aucun plafond n'est appliqué pour l'exonération de cotisations sociales, contrairement aux régimes à cotisations définies pour lesquels un plafond d'exonération est fixé à l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2700ICY). Les taux sont très inférieurs aux taux de cotisation pratiqués pour les autres régimes de retraite supplémentaires d'entreprise (entre 30,93 et 51,23 % selon le niveau de salaire). Ces contributions sont aujourd'hui affectées au FSV, mais les montants prélevés sont extrêmement faibles : en 2008, 28,7 milliards d'euros seulement ont été comptabilisées au titre de la contribution de l'article L. 137-11 du Code de la Sécurité sociale.

La LFSS pour 2010 (art. 15) double le taux du prélèvement sur les contributions des entreprises, quel que soit le mode de prélèvement choisi par l'entreprise. Pour les rentes versées par l'entreprise, le taux passerait ainsi de 8 à 16 % et pour les cotisations, le taux passerait de 6 à 12 % pour les régimes gérés en externe et de 12 à 24 % pour les régimes gérés en interne. Le taux de 12 % sur les primes gérées en externe correspond au total CSG, CRDS, forfait social qui est prélevé sur les cotisations des entreprises aux régimes à cotisations définies inférieures au plafond fixé à l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale.

  • Forfait social

L'article 13 de la LFSS pour 2009 a institué une nouvelle contribution, dite "forfait social" (14), à la charge de l'employeur, sur certaines des rémunérations ou des gains assujettis à la CSG, mais exclus de l'assiette des cotisations de sécurité sociale (CSS, art. L. 135-15 N° Lexbase : L8987ATZ à L. 135-17). L'objectif poursuivi était d'apporter une réponse à l'un des problèmes posés par la multiplication des "niches sociales" : l'absence de participation de ces sommes au financement de la sécurité sociale, créant corrélativement un risque de substitution de ces éléments de rémunération aux salaires, assujettis quant à eux à l'intégralité des cotisations et contributions sociales.

L'ensemble des éléments de rémunération qui sont soumis à la CSG (CSS, art. L. 136-1 N° Lexbase : L4609AD3) (15) et exclus de l'assiette des cotisations de sécurité sociale (CSS, art. L. 242-1 et C. rur., art. L. 741-10 N° Lexbase : L2743ICL) sont soumis à une contribution à la charge de l'employeur (CSS, article L. 137-15). Bref, le principe devient l'assujettissement : toute nouvelle exonération d'un élément de rémunération répondant à ces mêmes critères entrant dans l'assiette du forfait social, sans qu'il soit besoin de le prévoir expressément. Dès lors, ce n'est que si l'on souhaite exclure cet élément du forfait social qu'une disposition législative ad hoc devra venir modifier l'article L. 137-15.

Le taux de cette contribution est fixé à 2 % (CSS, art. L. 137-16 N° Lexbase : L1520IGE) et son produit est intégralement affecté à la Caisse nationale d'assurance maladie. Pour une assiette évaluée à 20 milliards d'euros, son rendement attendu pour 2009 était donc de l'ordre de 400 millions d'euros. La LFSS pour 2010 (art. 16) procède au doublement du taux de la contribution, qui passe ainsi de 2 % à 4 %. Ce nouveau taux s'applique à compter du 1er janvier 2010. La recette supplémentaire est évaluée à 380 millions d'euros, portant le produit total du forfait social à 760 millions d'euros (16).

II - Contributions versées par les particuliers

A - Suppression du seuil annuel de cession de valeurs mobilières et droits sociaux pour l'imposition des plus-values aux prélèvements sociaux

La LFSS pour 2010 (art. 17) a assujetti aux prélèvements sociaux dès le premier euro les plus-values de cession de valeurs mobilières, droits sociaux et titres assimilés réalisées par les particuliers résidant fiscalement en France. Il faut rappeler que ces plus-values sont imposables à l'impôt sur le revenu au taux forfaitaire de 18 % (CGI, art. 150-0 A N° Lexbase : L3635ICM à 150-0 F) et aux prélèvements sociaux au taux global de 12,1 % (8,2 % au titre de la CSG, 0,5 % de CRDS, 2 % de prélèvement sur les revenus du capital, 0,3 % de contribution à la CNSA et 1,1 % de contribution au financement du RSA). Elles sont, toutefois, exonérées dès lors que leur montant annuel n'excède pas un seuil fixé à 25 730 euros pour 2009. Les premières recettes au titre de cette nouvelle mesure ne seront encaissées que durant l'exercice 2011 sur les cessions réalisées à partir du 1er janvier 2010 (17).

Selon les travaux parlementaires (18), le nombre d'épargnants concernés serait de 2 300 000, ce chiffre devant être minoré, du fait de l'existence du seuil de mise en recouvrement (61 euros), qui exclut du champ de la mesure les contribuables dont les revenus du patrimoine (revenus fonciers ou financiers principalement) sont modestes. La mesure ne touchera donc pas les contribuables dont les revenus du patrimoine sont modestes (moins de 500 euros de revenus globaux du patrimoine, hors produits liés aux livrets A et développement durable ainsi qu'aux plans d'épargne-logement, à l'assurance vie, aux dividendes...).

En contrepartie de cette nouvelle taxation, la possibilité est ouverte aux contribuables d'imputer sur les plus-values réalisées une année les moins-values constatées au titre non seulement de cette année (comme l'autorise déjà le droit en vigueur), mais aussi des dix années précédentes. Le législateur a voulu taxer les plus-values réellement dégagées par le patrimoine du contribuable, c'est-à-dire, les gains nets réalisés sur une période de référence suffisamment longue. Cette règle de calcul est en même temps étendue aux plus-values, gains en capital et profits réalisés sur les marchés d'options négociables, soumis à l'impôt sur le revenu à un taux proportionnel, de même qu'aux distributions définies aux 7 et 8 du II de l'article 150-0 A du Code général des impôts et au gain défini à l'article 150 duodecies (N° Lexbase : L9237HZ7).

B - Régime des contrats d'assurance vie au regard des contributions sociales en cas de décès

La loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 (art. 18) met fin à l'exonération de prélèvements sociaux dont bénéficient les contrats d'assurance vie comprenant des unités de compte en cas de décès de leur titulaire. En cas de décès d'une personne ayant souscrit un contrat d'assurance vie pendant la durée de ce contrat, une disposition contractuelle permet à un ou plusieurs bénéficiaires désignés par le souscripteur de percevoir la rente ou le capital à sa place (la quasi-totalité de ces contrats comprennent une "contre-assurance décès"). En l'absence de dénouement du contrat du fait du décès du souscripteur, les intérêts et les produits ne sont pas soumis aux prélèvements sociaux. Cette exonération ne bénéficie, toutefois, qu'aux souscripteurs de contrats en unités de compte, car les souscripteurs de contrats en euros se sont déjà acquittés chaque année des prélèvements sociaux.

Cette exonération ne résulte pas explicitement de l'article L. 136-7 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1345IGW), mais repose sur une analogie avec les règles applicables en matière d'impôt sur le revenu et sur la doctrine fiscale selon laquelle lorsqu'un contrat d'assurance en cas de vie mixte ou assorti d'une contre-assurance décès est dénoué par le décès de l'assuré, les capitaux versés à ce titre au bénéficiaire demeurent hors du champ d'application de l'impôt sur le revenu.

Les pertes de recettes sociales corrélatives sont les suivantes : dans le cadre d'un contrat "en euros", seuls les produits correspondant à l'année du décès échappent à la taxation, tous les autres ayant été imposés chaque année lors de l'inscription au compte, tandis que pour les contrats en unités de compte, l'intégralité des produits acquis pendant toute la durée du contrat d'assurance vie échappe à la taxation. Contrairement aux intérêts des contrats souscrits en euros, ceux des contrats souscrits en unités de compte (bien que comptabilisés) ne sont acquis au profit des souscripteurs qu'au dénouement du contrat. En l'absence de dénouement pour cause de décès, ces intérêts ne sont pas soumis aux prélèvements sociaux. Cette différence tient à ce que l'article L. 136-7 du Code de la Sécurité sociale définit l'inscription en compte comme fait générateur de l'impôt pour les contrats en euros, tandis que le fait générateur est le dénouement du contrat hors décès pour les contrats en unités de compte.

Les prélèvements sociaux sur l'assurance vie constituent à eux seuls près du tiers des prélèvements sociaux du capital et près des deux tiers des prélèvements sociaux sur les produits de placement (dont le total s'élève à plus de 7 milliards d'euros). L'objectif de la LFSS pour 2010 est d'assurer l'égalité de traitement entre souscripteurs d'assurance vie et surtout, d'éviter d'importantes pertes de recettes à ce titre dans les prochaines années : la durée de vie moyenne d'un contrat d'assurance vie étant estimée à huit ans, il convient d'intervenir rapidement afin d'éviter que 20 % des intérêts capitalisés sur les contrats multi-supports et sur les contrats en euros n'échappent aux prélèvements sociaux. A cette fin, la LFSS pour 2010 prévoit l'application des prélèvements sociaux à l'ensemble des intérêts capitalisés sur les contrats en cours lors du décès du souscripteur intervenant après l'entrée en vigueur de la mesure, quelle que soit la date de souscription du contrat. Les premières recettes au titre de cette nouvelle mesure seront encaissées dès l'exercice 2010 (10).


(1) Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (N° Lexbase : L2678IC8) et nos obs., LFSS 2009 : de quelques réformes des branches maladie, accident du travail/maladie professionnelle et famille, Lexbase Hebdo n° 332 du 7 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2160BIT) et Les réformes de la LFSS 2009 relatives à l'emploi des seniors et la branche vieillesse, Lexbase Hebdo n° 333 du 15 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2312BIH).
(2) G. Carrez, Rapport Assemblée nationale, n° 1967, tome I, Rapport général, 2009-2010. Le déficit public est estimé à 8,5 % du PIB en 2010. La charge nette de la dette de l'Etat s'établirait, en 2010, à 42,5 milliards d'euros. Pour des raisons liées à la crise et à la dégradation du déficit budgétaire, la dette négociable de l'Etat augmenterait pour atteindre 1 142 milliards d'euros fin 2009, puis 1 258 milliards d'euros à la fin 2010 (à comparer à 1 017 milliards d'euros en 2008). En comptabilité nationale, la dette de l'Etat passerait de 53,1 % du PIB en 2008 à 60,1 % en 2009.
(3) A. Vasselle, Rapport sur le financement de la Sécurité sociale pour 2010, n° 90, Tome I, Equilibres financiers généraux, Sénat, 2009-2010, p. 21-24.
(4) V. X. Prétot, Du bon usage du pouvoir normatif en matière d'assiette et de recouvrement des cotisations de sécurité sociale, Dr. soc., 2009, p. 322.
(5) Très abondante bibliographie. V., not., T. Wanecq, Les cotisations sociales, un enjeu économique et financier complexe, Dr. soc., 2009, p. 349 ; O. Fouquet, Cotisations sociales, cotisations fiscales, même combat, Dr. soc., 2009, p. 320.
(6) Y. Bur, Rapport Assemblée nationale n° 1984, Tome I, Financement de la Sécurité sociale pour 2010, Recettes et équilibre général (2009-2010), p. 137-141.
(7) Un tel système impliquerait, en effet, que les personnels administratifs des centres de vaccination contrôlent les droits de chaque assuré, ce qui constituerait une charge de travail trop importante dans le cadre d'une vaccination de masse.
(8) Le champ d'application de ce mécanisme a été étendu à deux reprises : l'article 21 de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005, de financement de la Sécurité sociale pour 2006 (N° Lexbase : L9963HDD, CSS, art. L. 138-10-II), a créé un mécanisme identique pour les médicaments rétrocédés, c'est-à-dire les spécialités pharmaceutiques vendues au détail et au public par certains établissements de santé, en application de l'article L. 5126-4 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L3447HCN) ; le 1° du I de l'article 15 de la LFSS pour 2009 a étendu le champ de la clause de sauvegarde prévue au I de l'article L. 138-10 aux spécialités prises en charge par l'assurance maladie en sus des tarifs hospitaliers.
(9) Y. Bur, Rapport Assemblée nationale n° 1984, tome I, préc., p. 142-148.
(10) Y. Bur, Rapport Assemblée nationale n° 1984, tome I, préc., p. 150-155.
(11) Entrent, ainsi, dans le champ de cette contribution : les dispositifs médicaux pour traitements et matériels d'aide à la vie, aliments diététiques et articles pour pansements (inscrits au titre I de la liste) ; les dispositifs médicaux implantables issus de dérivés d'origine humaine ou en comportant, et greffons tissulaires d'origine humaine (inscrits au titre III). En revanche, les dispositifs inscrits aux deux autres titres de la même liste n'entrent pas dans le champ de la contribution. Il s'agit des orthèses et prothèses externes (inscrites au titre II) et des véhicules pour handicapés physiques (inscrits au titre IV).
(12) En effet, les remboursements de dispositifs médicaux du titre II ont augmenté de 18 % entre 2007 et 2008. L'ensemble des dispositifs médicaux constitue, d'ailleurs, un marché en forte croissance, atteignant 4,5 milliards d'euros en 2008, soit 12,5 % de plus qu'en 2007. Si une partie de la hausse peut s'expliquer par le vieillissement de la population et les politiques de maintien à domicile, ces facteurs ne suffisent pas à expliquer la totalité de la croissance constatée, qui semble nourrie par d'importantes campagnes publicitaires.
(13) La contribution est assise sur la partie des rentes excédant un tiers du plafond de la Sécurité sociale (soit 953 euros mensuels depuis le 1er janvier 2009) et le taux est, alors, de 8 %. Sur une rente annuelle de 200 000 euros, l'assiette est de 188 654 euros et le montant de la contribution est de 15 085 euros.
(14) Circulaire n° 2008-387 du 30 décembre 2008, relative à la mise en oeuvre du forfait social (N° Lexbase : L9768ICR) et lettre-circulaire Acoss n° 2009-014 du 4 février 2009 (N° Lexbase : L9769ICS). Lire nos obs., Le forfait social, où comment lutter contre les "niches sociales", Lexbase Hebdo n° 340 du 5 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7730BI7).
(15) En retenant les rémunérations et gains assujettis à la CSG, le forfait social exclut ipso facto de son champ les divers titres de paiement (titre-restaurant, chèque emploi-service universel préfinancé et, pour les entreprises de plus de cinquante salariés, chèque-vacances).
(16) Y. Bur, Rapport Assemblée nationale n° 1984, tome I, préc., p. 177-182.
(17) Le produit attendu est de 113 millions d'euros par an. Comme les contributions sociales financent l'ensemble des régimes et des fonds, ces sommes bénéficieront à la fois à la branche maladie (55 millions), à la branche famille (10 millions) et à la branche vieillesse (5 millions), mais aussi au FSV (8 millions), à la CNSA (4 millions), à la CADES (6 millions), au FRR (13 millions) et au Fonds national des solidarités actives (FNSA, 10 millions). A titre subsidiaire, l'augmentation du rendement des prélèvements sociaux sur le patrimoine engendrera mécaniquement un surcroît de recettes pour le budget général par le biais des frais d'assiette et de recouvrement.
(18) Y. Bur, Rapport Assemblée nationale n° 1984, tome I, préc., p. 182-186.
(19) Comme les contributions sociales financent l'ensemble des régimes et des fonds, ces sommes bénéficieront à la fois à la branche maladie (135 millions), à la branche famille (25 millions) et à la branche vieillesse (14 millions), mais aussi au FSV (21 millions), à la CNSA (9 millions), à la CADES (16 millions), au FRR (29 millions) et au Fonds national des solidarités actives (24 millions).

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Union syndicale et désignation d'un représentant de section syndicale : des interrogations demeurent

Réf. : Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 09-65.639, Société Herta, F-P+B (N° Lexbase : A1737EPZ)

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N9344BMZ

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par Philippe Clément, Avocat Associé Fromont, Briens & Associés

Le 07 Octobre 2010



La Cour de cassation, dans un arrêt du 18 novembre 2009, est venue préciser que tant que les statuts d'une organisation syndicale ne l'ont pas expressément exclu, l'organe interne de ladite organisation est habilité à désigner un représentant de la section syndicale.
Une question demeure : une union peut-elle avoir des adhérents dans l'entreprise ou l'établissement et donc désigner un représentant de la section syndicale ?



Résumé

La loi du 20 août 2008 (1) ayant conféré aux organisations syndicales non représentatives dans une entreprise la faculté d'y créer une section syndicale et d'y désigner un représentant de la section, l'organe interne de l'organisation habilité à désigner des représentants syndicaux dans les entreprises est, tant que les statuts ne l'ont pas expressément exclu, habilité à désigner un représentant de section syndicale.
Le tribunal ayant constaté que les statuts de l'Union nationale des syndicats autonomes agriculture agro alimentaire, antérieurs à la loi précitée, habilitaient le secrétaire général de cette organisation à procéder à la désignation de délégués syndicaux et de représentants syndicaux au comité d'entreprise, c'est à bon droit qu'il a retenu qu'il pouvait également procéder à la désignation d'un représentant de section syndicale.

"chaque syndicat qui constitue, conformément à l'article L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW), une section syndicale au sein de l'entreprise ou de l'établissement de cinquante salariés ou plus peut, s'il n'est pas représentatif dans l'entreprise ou l'établissement, désigner un représentant de la section pour le représenter au sein de l'entreprise ou de l'établissement".

Le syndicat non représentatif doit disposer d'une section syndicale, ce qui implique qu'il remplisse les conditions posées par la loi pour la constitution d'une telle section, à savoir, notamment, l'existence préalable de plusieurs adhérents dans l'entreprise ou l'établissement.

L'article L. 2142-1 dispose, en effet : "dès lors qu'ils ont plusieurs adhérents dans l'entreprise ou l'établissement [...]".

Comme de nombreux commentateurs l'ont relevé, il s'agit là d'une exigence nouvelle, puisque préalablement à la nouvelle loi, la jurisprudence considérait que l'existence d'une section syndicale était établie par la seule désignation d'un délégué syndical.

Au regard de la jurisprudence, nous pouvons considérer que, sauf stipulation contraire des statuts, une union de syndicats à laquelle la loi reconnaît la même capacité civile qu'aux syndicats eux-mêmes, peut exercer les droits conférés à ceux-ci (2).

La Cour de cassation a indiqué récemment qu'une union pouvait désigner un représentant de section syndicale (3), cette possibilité étant, toutefois, conditionnée par le fait que ladite union remplisse les conditions prévues par la loi.

  • Une union peut-elle avoir des adhérents dans l'entreprise ou l'établissement ?

Il convient, à ce stade, de revenir sur les éléments distinctifs entre une union de syndicats, d'une part, et un syndicat professionnel, d'autre part.

- Selon l'article L. 2131-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2109H9Y), "les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que les intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts".

- L'article L. 2131-2 (N° Lexbase : L2110H9Z), quant à lui, dispose que "les syndicats ou associations professionnelles de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes, concourant à l'établissement de produits déterminés ou la même profession libérale, peuvent se constituer librement".

Il résulte de ces textes que seul un professionnel, personne physique, peut être membre d'un syndicat.

- Les dispositions des article L. 2133-1 (N° Lexbase : L2129H9Q), chapitre 2 et chapitre 3 du titre troisième du Code du travail régissent le statut juridique des unions de syndicats.

Ainsi, l'article L. 2133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2131H9S) prévoit que "les unions de syndicats sont soumises aux dispositions des articles L. 2131-1 (N° Lexbase : L2109H9Y), L. 2131-3 (N° Lexbase : L2112H94) à L. 2131-5, L. 2141-1 (N° Lexbase : L6059IAN) et L. 2141-2 (N° Lexbase : L2147H9E). Elles font connaître le nom et le siège social des syndicats qui la composent. Leurs statuts déterminent les règles selon lesquelles les syndicats adhérents à l'union sont représentés dans le conseil d'administration et dans les assemblées générales".

Il résulte de ce texte que les unions de syndicats ne peuvent avoir comme adhérents que des syndicats, personnes morales, et non des personnes physiques.

Enfin, l'article L. 2143-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3719IBD) reconnaît aux unions de syndicats les mêmes droits que ceux conférés aux syndicats professionnels et cela exclusivement par le titre troisième du Code du travail, à savoir "Statut juridique, ressources et moyens".

  • En reprenant cette lecture des nouveaux textes, il apparaît qu'en principe, une union de syndicats ne pourra, à aucun moment, désigner un représentant de section syndicale, sachant que, par nature, cette union ne dispose pas d'adhérents au sein de l'entreprise ou l'établissement.

Dans l'arrêt du 8 juillet 2009 (4), ainsi que dans l'arrêt du 18 novembre 2009, la Cour de cassation prend soin de relever que l'union syndicale avait plusieurs adhérents dans l'entreprise.

Ce constat soulève une autre interrogation, à savoir la conformité des statuts dudit syndicat au regard des dispositions légales.

En effet, une union de syndicats peut-elle prévoir la possibilité d'adhésion de personnes physiques dans le cadre de ses statuts ?

A priori, au regard des dispositions légales, la réponse doit être négative.

  • Sachant que chaque organisation syndicale dispose d'une totale autonomie qui résulte de sa personnalité morale propre, il apparaît impossible qu'une union puisse se prévaloir d'adhérents par "ricochet" ou "d'adhérents indirects" ou d'adhérents "de rattachement", en faisant état des adhérents personnes physiques des syndicats membres de l'union.

Un tel raisonnement aurait pour conséquence de permettre le non-respect de certaines dispositions issues de la nouvelle loi.

Ainsi, par exemple, un syndicat d'entreprise qui ne compterait qu'un an d'ancienneté (ne pouvant pas, de ce fait, désigner de représentant de section syndicale) pourrait alors le faire indirectement par le biais de son union d'appartenance, si cette dernière existe depuis plus de deux ans...

Les positions des tribunaux d'instance sur cette question sont très partagées.

Plusieurs tribunaux d'instance, notamment, Rambouillet (16 décembre 2008), Lyon (22 juillet 2009), Saint-Denis (24 juillet 2009), Martigues (8 septembre 2009) relèvent que, dès lors que l'union ou la fédération sont composées exclusivement de syndicats, elles ne peuvent en aucun cas justifier d'adhérents personnes physiques.

D'autre considèrent, comme le tribunal d'instance de Versailles (17 novembre 2009) que les unions peuvent justifier d'adhérents, soit directement, soit par l'intermédiaire des syndicats qui leur sont affiliés.

La Cour de cassation devrait se prononcer prochainement sur cette question, sachant que si la justification de l'adhésion indirecte était admise, cela ne manquerait pas de soulever de nombreuses difficultés pratiques (preuve et décompte des adhérents indirects, preuve de l'adhésion du syndicat à l'union, ancienneté de deux ans, etc.).


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) et voir notre numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 317 du 10 septembre 2008 - édition sociale.
(2) Ass. plén., 30 juin 1995, n° 93-60.026, Groupement d'intérêt économique Pari-Mutuel hippodrome (N° Lexbase : A2100AAZ), Bull. Ass. plén., n° 5.
(3) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.012, Société Vigimark surveillance, FS-P+B (N° Lexbase : A7602EIE) et les obs. de G. Auzero, Importance des statuts de l'organisation syndicale désignant un représentant de la section syndicale, Lexbase Hebdo n° 362 du 9 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7454BLN).
(4) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.012, préc..


Décision

Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 09-65.639, Société Herta, F-P+B (N° Lexbase : A1737EPZ)

TI Illkirch Graffenstaden, contentieux des élections professionnelles, 16 mars 2009

Texte visé : loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ)

Mots clés : union syndicale ; représentant de la section syndicale ; désignation

Lien base : (N° Lexbase : E1826ETS)

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