Jurisprudence : CEDH, 23-09-1982, Req. 7151/75, Sporrong et Lönnroth

CEDH, 23-09-1982, Req. 7151/75, Sporrong et Lönnroth

A5103AYN

Référence

CEDH, 23-09-1982, Req. 7151/75, Sporrong et Lönnroth. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1088589-cedh-23091982-req-715175-sporrong-et-lonnroth
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Cour européenne des droits de l'homme

23 septembre 1982

Requête n°7151/75

Sporrong et Lönnroth




COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

En l'affaire Sporrong et Lönnroth,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, statuant en séance plénière par application de l'article 48 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:

MM. G. WIARDA, président,

M. ZEKIA J. CREMONA,

THÓR VILHJÁLMSSON,

W. GANSHOF VAN DER MEERSCH, Mme D. BINDSCHEDLER-ROBERT, MM. G. LAGERGREN,

L. LIESCH,

F. GÖLCÜKLÜ,

F. MATSCHER,

J. PINHEIRO FARINHA,

E. GARCIA DE ENTERRÜA,

L.-E. PETTITI,

B. WALSH, Sir Vinvent EVANS, MM. R. MACDONALD,

C. RUSSO,

R. BERNHARDT,

J. GERSING,

ainsi que de MM. M.-A. EISSEN, greffier, et H. PETZOLD, greffier adjoint,

Après avoir délibéré en chambre du conseil les 24 et 25 février, puis les 28 et 29 juin 1982,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1. L'affaire Sporrong et Lönnroth a été déférée à la Cour par le gouvernement du Royaume de Suède ("le Gouvernement") et la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission"). A son origine se trouvent deux requêtes (n° 7151/75 et 7152/75) dirigées contre la Suède et que les héritiers de M. E. Sporrong et Mme. I. M. Lönnroth, de nationalité suédoise, avaient introduites en 1975, en vertu de l'article 25 (art. 25) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention"), devant la Commission qui en ordonna la jonction le 12 octobre 1977.

2. La requête du Gouvernement et la demande de la Commission ont été déposées au greffe de la Cour dans le délai de trois mois ouvert par les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47), les 10 et 16 mars 1981 respectivement. La première invite la Cour à statuer sur l'interprétation et l'application de l'article 13 (art. 13) à la lumière des faits de la cause. La seconde renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration du Royaume de Suède reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46); elle vise à obtenir une décision de celle-ci sur le point de savoir s'il y a eu ou non, de la part de l'Etat défendeur, un manquement aux obligations lui incombant aux termes des articles 6 par. 1, 13, 14, 17 et 18 de la Convention et 1 du Protocole n° 1 (art. 6-1, art. 13, art. 14, art. 17, art. 18, P1-1).

3. La chambre de sept juges à constituer comprenait de plein droit M. G. Lagergren, juge élu de nationalité suédoise (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. G. Wiarda, président de la Cour (article 21 par. 3b, du règlement). Le 25 avril 1981, celui-ci a désigné par tirage au sort, en présence du greffier, les cinq autres membres, à savoir M. R. Ryssdal, M. D. Evrigenis, M. F. Matscher, M. L.-E. Pettiti et M. M. Sørensen (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43).

4. M. Wiarda a assumé la présidence de la Chambre (article 21 par. 5 du règlement). Par l'intermédiaire du greffier, il a recueilli l'opinion de l'agent du Gouvernement, ainsi que celle des délégués de la Commission, au sujet de la procédure à suivre. Le 8 mai, il a décidé que l'agent aurait jusqu'au 8 août 1981 pour présenter un mémoire et que les délégués pourraient y répondre par écrit dans les deux mois du jour où le greffier le leur aurait communiqué.

Le mémoire du Gouvernement est parvenu au greffe le 31 juillet. Le 15 septembre, le secrétaire de la Commission a informé le greffier que les délégués y répondraient lors des débats et demandaient le report au 31 octobre de l'échéance du délai afin de lui adresser des observations des requérants. Le président y a consenti le 21 septembre.

5. A la suite de la démission de M. Sørensen et d'un empêchement de M. Wiarda, MM. Pinheiro Farinha et García de Enterría, à l'époque premier et deuxième juges suppléants, ont été appelés à sièger à titre de membres de la Chambre (article 22 par. 1 du règlement) et M. Ryssdal a assumé la présidence (article 21 par. 5). Le 24 septembre, la Chambre a résolu, en vertu de l'article 48 du règlement, de se dessaisir avec effet immédiat au profit de la Cour plénière, "considérant que l'affaire soulev(ait) des questions graves qui touch(aient) à l'interprétation de la Convention (...), en particulier sur le terrain des articles 6 et 13 (art. 6, art. 13)".

6. Les observations du représentant des requérants sont parvenues au greffe le 28 octobre 1981 par l'intermédiaire du secrétaire adjoint de la Commission.

7. Le 15 janvier 1982, le président de la Cour a fixé au 23 février la date d'ouverture de la procédure orale après avoir consulté agent du Gouvernement et délégués de la Commission par l'intermédiaire du greffier.

Le 18 février, il a chargé ce dernier d'obtenir un document auprès de la Commission qui l'a produit le 3 mars.

8. Les débats se sont déroulés en public le 23 février, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu la veille une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. H. DANELIUS, ambassadeur, directeur des affaires juridiques et consulaires au ministère des affaires étrangères,

agent,

M. L. BECKMAN, chef de division au ministère de la justice,

M. G. REGNER, conseiller juridique au ministère de la justice,

conseils;

- pour la Commission

M. J. FROWEIN,

M. T. OPSAHL,

délégués,

Me M. HERNMARCK,

M. H. TULLBERG, conseils des requérants devant la Commission, assistant les délégués (article 29 par. 1, seconde phrase, du règlement de la Cour).

La Cour a entendu en leurs déclarations, de même qu'en leurs réponses à ses questions et à celles de deux de ses membres, M. Frowein, M. Opsahl et Me Hernmarck pour la Commission, M. Danelius pour le Gouvernement.

FAITS

I. Les circonstances de l'espèce

9. Les deux requêtes ont trait aux conséquences pour les héritiers de M. Sporrong et pour Mme Lönnroth, en leur qualité de propriétaires de permis d'exproprier de longue durée et d'interdictions de construire.

A. LA SUCCESSION SPORRONG

10. Dotée de la personnalité juridique, la "succession Sporrong" se compose de Mme M. Sporrong, M. C.-O. Sporrong et Mme B. Atmer, cohéritiers indivis de M. E. Sporrong et qui vivent à Stockholm ou dans les environs. Elle est propriétaire à Stockholm, dans le quartier central de Nedre Norrmalm, d'un immeuble appelé "Riddaren n° 8" et où s'élève un bâtiment datant des années 1860. Lors de l'exercice fiscal 1975, la valeur imposable de cet immeuble se montait à 600.000 couronnes suédoises.

1. Le permis d'exproprier

11. Le 31 juillet 1956, en vertu de l'article 44 de la loi de 1947 sur la construction (byggnadslagen - "la loi de 1947"), le gouvernement accorda à la municipalité de Stockholm un permis d'exproprier (expropriationstillstånd) par zone qui frappait 164 immeubles dont celui de la succession Sporrong. La ville entendait construire un viaduc qui enjamberait l'une des artères commerçantes du centre de la capitale et dont l'un des piliers reposerait sur l'îlot "Riddaren". Le nouvel ouvrage d'art déboucherait sur une grande transversale de dégagement, tandis que le reste de "Riddaren" serait aménagé en parc de stationnement pour automobiles.

En application de la loi de 1917 sur l'expropriation (expropriationslagen - "la loi de 1917"), le gouvernement fixa à cinq ans le délai pendant lequel on pourrait procéder à l'expropriation; avant la fin de cette période, la municipalité devrait citer les propriétaires à comparaître devant le tribunal foncier (fastighetdomstolen) pour la fixation des indemnités, faute de quoi le permis serait caduc.

12. En juillet 1961, à la demande de la ville, le gouvernement prorogea ce délai jusqu'au 31 juillet 1964. Sa décision concernait 138 immeubles, dont "Riddaren n° 8". Aux immeubles frappés d'expropriation ne correspondait à l'époque aucun plan d'urbanisme (stadsplan).

13. Le 2 avril 1964, le gouvernement consentit à la municipalité une nouvelle prorogation du permis d'exproprier; applicable à 120 des 164 immeubles visés au départ, parmi lesquels "Riddaren n° 8", elle était valable jusqu'au 31 juillet 1969. La ville avait préparé un plan général d'aménagement de Nedre Norrmalm, appelé "Cité 62", qui privilégiait l'élargissement des rues au bénéfice des moyens de transport individuel et des piétons.

Ultérieurement, "Cité 67", plan général révisé d'aménagement de Nedre Norrmalm et d'Östermalm (autre quartier du centre ville), souligna la nécessité d'améliorer les transports publics grâce à un meilleur réseau de rues. Une partie des terrains servirait à l'élargissement des chaussées, mais avant toute décision définitive il fallait statuer sur l'utilisation des autres parcelles. Selon les estimations, le plan révisé, qui avait la même nature que "Cité 62", devait être exécuté avant 1985.

14. En juillet 1969, la municipalité sollicita pour certains immeubles, dont "Riddaren n° 8", une troisième prolongation du permis d'exproprier. Elle signalait que les motifs d'expropriation énoncés dans les plans " Cité 62" et "Cité 67" demeuraient valables. Le 14 mai 1971, le gouvernement fixa au 31 juillet 1979, soit dix ans à partir de la date de la demande, le terme du délai d'engagement de la procédure judiciaire visant à fixer l'indemnité.

En mai 1975, la municipalité présenta des plans remaniés d'après lesquels on ne devait ni modifier l'usage de "Riddaren n° 8" ni toucher au bâtiment existant.

A sa demande, le gouvernement annula, le 3 mai 1979, le permis d'exproprier (paragraphe 29 ci-dessous).

15. La succession Sporrong n'a jamais tenté de mettre en vente son immeuble.

2. L'interdiction de construire

16. Dès les 11 juin 1954, le conseil administratif de comté (länsstryrelsen) de Stockholm avait frappé "Riddaren n° 8" d'une interdiction de construire (byggnadsförbud), au motif que le viaduc et la transversale de dégagement projetés en affecteraient la jouissance. Par la suite il prorogea l'interdiction jusque'au 1er juillet 1979.

17. La succession Sporrong bénéficia en 1970 d'une dérogation à l'interdiciton pour élargir la porte d'entrée. Elle n'a jamais sollicité d'autre dérogation.

18. Au total, la durée du permis d'exproprier et de l'interdiction de construire concernant "Riddaren n° 8" a atteint vingt-trois et vingt-cinq ans respectivement.

B. Mme LÖNNROTH

19. Mme I. M. Lönnroth réside à Stockholm où elle est propriétaire pour les trois quarts d'un immeuble sis "Barnhuset n° 6", dans le quartier de Nedre Norrmalm, et comportant deux bâtiments de 1887-1888 donnant l'un sur la rue, l'autre sur l'arrière. La valeur imposable de la part de la requérante s'élevait à 862.500 couronnes suédoises lors de l'exercice fiscal 1975.

1. Le permis d'exproprier

20. Le 24 septembre 1971, le gouvernement autorisa la municipalité de Stockholm à exproprier 115 immeubles, dont "Barnhuset n° 6", et arrêta au 31 décembre 1979, soit dix ans à partir de la date de la demande de la municipalité, le terme du délai d'engagement de la procédure judiciaire visant à fixer l'indemnité. Il justifiait sa décision par le plan "Cité 67" qui prévoyait la construction d'un parc de stationnement à étages sur l'emplacement de l'immeuble de la requérante.

21. Toutefois, les travaux dans ce quartier furent différés et de nouveaux plans mis à l'étude. Estimant que son immeuble avait besoin de réparations urgentes, Mme Lönnroth pria le gouvernement de retirer le permis d'exproprier. La municipalité répondit que les plans existants n'autorisaient aucune dérogation et le gouvernement rejeta la requête, le 20 février 1975, au motif qu'il ne pouvait révoquer le permis sans le consentement exprès de la municipalité.

Le 3 mai 1979, à la demande de cette dernière, le gouvernement annula ledit permis (paragraphe 29 ci-dessous).

22. Sa situation financière contraignit Mme Lönnroth à chercher à vendre son immeuble. Elle s'y efforça à sept reprises entre 1970 et 1975, mais les amateurs se récusèrent après avoir consulté les services municipaux. Quant aux locataires, il lui arriva parfois d'avoir de la peine à en trouver.

2. L'interdiction de construire

23. Le 29 février 1968, le conseil administratif de comté de Stockholm décida de frapper "Barnhuset n° 6" d'une interdiction de construire, le terrain étant destiné à un parc de stationnement. Par la suite, il renouvela cette interdiction jusqu'au 1er juillet 1980.

24. Mme Lönnroth obtint en 1970 une dérogation pour des travaux d'aménagement au troisième étage; elle n'en a jamais demandé d'autres.

Ell ne réussit pas à contracter un prêt lorsqu'un des principaux créanciers hypothécaires de l'immeuble exigea, au début des années 1970, le ravalement de la façade.

25. En résumé, l'immeuble de Mme Lönnroth est demeuré sous le coup d'un permis d'exproprier et d'une interdiction de construire pendant huit et douze ans respectivement.

C. LA POLITIQUE URBANISTIQUE DE LA MUNICIPALITÉ DE STOCKHOLM

26. Depuis plusieurs décennies, le coeur de Stockholm connaît une évolution spectaculaire, comparable à celle de bien des villes reconstruites après avoir été détruites ou sérieusement endommagées, elles, pendant la deuxième guerre mondiale.

27. Nedre Norrmalm est un quartier qui regroupait l'essentiel des fonctions vitales - administratives et commerciales - de la capitale. Vers 1945, on estima qu'il devait être restructuré pour pouvoir les remplir correctement. Il fallait, par exemple, le doter d'un réseau de rues adéquat. En outre, la plupart des bâtiments étaient vétustes et mal entretenus. Une ample opération de reconversion s'imposait tant pour fournir des locaux appropriés aux bureaux et commerces que pour créer un cadre de travail sain et hygiénique. Introduite par une loi de 1953 qui modifiait, entre autres, l'article 44 de la loi de 1947, l'expropriation par zone devint l'instrument clé de la réalisation des plans de la municipalité. En moins de dix ans, on démolit plus d'une centaine d'édifices. Certains emplacements ainsi dégagés furent utilisés pour le percement de voies nouvelles, d'autres intégrés dans des ensembles plus vastes et plus pratiques.

28. Durant les années 1970, la politique urbanistique à Stockholm a considérablement évolué. Loin de préconiser l'ouverture de pénétrantes, les édiles s'efforcent désormais de réduire le nombre des automobiles dans la capitale. Adopté le 19 juin 1978, le plan "Cité 77" exprime cette nouvelle politique. Il prescrit une rénovation urbaine fondée avant tout sur une reconstruction progressive qui tienne compte de l'actuel tissu urbain. Il envisage la conservation et la restauration de la plupart des édifices existants.

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