La lettre juridique n°366 du 8 octobre 2009 : Procédure prud'homale

[Jurisprudence] Les litiges préélectoraux désormais soumis à la Cour de cassation

Réf. : Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-60.535, Société Régie autonome des transports parisiens (RATP) c/ Syndicat Sud Ratp et a., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2423ELC)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010




La représentativité des syndicats s'appréciant, désormais, à l'aune de leurs résultats aux élections professionnelles dans l'entreprise, ces dernières prennent une importance qu'elles n'avaient pas antérieurement. A cet égard, mais aussi compte tenu des modifications profondes apportées par la loi du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ) (1) au processus électoral, la régularité de celui-ci devrait être fréquemment mis en cause devant les juridictions du fond dans les années qui viennent. Il convient de ne pas chercher ailleurs les raisons qui ont conduit la Cour de cassation à revenir, dans un important arrêt rendu le 23 septembre 2009, sur une jurisprudence pourtant solidement ancrée, aux termes de laquelle était exclu tout pourvoi en cassation contre les décisions des tribunaux d'instance statuant sur un litige préélectoral.

Résumé

Le pourvoi en cassation contre une décision rendue en dernier ressort est une voie de recours qui constitue, pour les justiciables, une garantie fondamentale. Il s'ensuit que la décision du tribunal d'instance statuant en matière de contestation préélectorale rendue en dernier ressort est susceptible de pourvoi.

I - Le revirement de jurisprudence

  • La jurisprudence antérieure

Qu'il s'agisse de l'élection des délégués du personnel (C. trav., art. L. 2314-25 N° Lexbase : L2644H9S) ou de celle des représentants des salariés au comité d'entreprise (C. trav., art. L. 2324-23 N° Lexbase : L9776H8L), le Code du travail distingue les contestations relatives à l'électorat et les contestations relatives à la régularité des opérations électorales. Les textes réglementaires reprennent cette distinction pour fixer les délais de saisine du tribunal d'instance, seul compétent en la matière (C. trav., art. R. 2314-28 N° Lexbase : L0402IA7 et R. 2324-24 N° Lexbase : L0215IA9).

Ces différents textes invitent, ainsi, à différencier un contentieux préélectoral et un contentieux postélectoral. On pouvait penser que cette opposition n'avait de sens qu'au regard des délais pour agir. Pourtant, dans un important arrêt en date du 7 mai 2002, la Chambre sociale de la Cour de cassation devait décider que "la décision du tribunal d'instance statuant avant les élections sur la régularité d'une liste de candidatures à des élections professionnelles dans l'entreprise, n'est pas susceptible de pourvoi en cassation, dès lors que cette contestation peut être portée devant le juge de l'élection dont la décision peut être frappée de pourvoi" (2).

Cette solution, excluant tout pourvoi en cassation lorsque un jugement intéressait un contentieux préélectoral, n'allait pas de soi, dans la mesure où les textes applicables se bornent à indiquer que le tribunal d'instance statue en dernier ressort qu'il soit saisi d'un litige préélectoral ou d'un litige postélectoral (C. trav., art. R. 2314-27 N° Lexbase : L0405IAA et R. 2324-23 N° Lexbase : L0216IAA). Elle devait, néanmoins, être confirmée par la suite à de nombreuses reprises (3).

Difficile à justifier en droit, cette jurisprudence s'expliquait sans doute par la volonté de la Cour de cassation de ne plus avoir à examiner de multiples pourvois qui l'encombraient inutilement et s'avéraient sans intérêt, celle-ci n'étant appelée à statuer qu'après les élections.

Le pourvoi en cassation n'était, par ailleurs et en quelque sorte, que provisoirement exclu, puisqu'il était à nouveau possible lors d'un jugement statuant sur un litige postélectoral. En outre, dans un arrêt rendu le 27 octobre 2004, la Chambre sociale avait affirmé que "la décision prise en matière de contentieux préélectoral n'a pas d'autorité de la chose jugée dans le litige tendant à l'annulation des élections professionnelles, de sorte qu'il est de l'office du juge du fond d'examiner tous les éléments de fait et de droit qui lui sont soumis" (4).

  • La solution nouvelle

Pour être relativement équilibrée, la jurisprudence qui vient d'être retracée n'en restait pas moins critiquable dans la mesure où elle revenait à interdire aux parties au litige de former un pourvoi en cassation contre un jugement statuant sur un litige préélectoral. Or, et ainsi que le relève la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, "le pourvoi en cassation contre une décision rendue en dernier ressort est une voie de recours qui constitue pour les justiciables une garantie fondamentale". On pourra s'étonner que cette garantie fondamentale ait pu être écartée ne serait-ce qu'un temps et se demander pourquoi elle revient aujourd'hui sur le devant de la scène. L'explication nous est donnée par le communiqué accompagnant l'arrêt et tient à l'application de la loi du 20 août 2008, qui était en cause dans l'affaire.

En l'espèce, un syndicat Sud avait saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation du protocole d'accord préélectoral signé le 26 septembre 2008 dans un établissement de la RATP en vue de l'élection des délégués du personnel. Pour annuler le protocole préélectoral, le tribunal d'instance, après avoir retenu l'applicabilité des dispositions nouvelles de la loi du 20 août 2008 et, notamment, de son article 11-IV, avait précisé que la RATP n'avait pas invité tous les syndicats visés par cet article à négocier le protocole préélectoral.

La RATP a formé un pourvoi en cassation qui, en d'autres temps, aurait été voué à l'échec, en application de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, mais qui est, en l'espèce, déclaré recevable pour le motif de principe relevé précédemment. Ainsi que l'affirme ensuite la Chambre sociale de manière on ne peut plus claire, "la décision du tribunal d'instance statuant en matière de contestation préélectorale, rendue en dernier ressort, est susceptible de pourvoi en cassation".

Cette décision constitue un revirement de jurisprudence dont la raison réside, ainsi que le précise la Cour de cassation dans le communiqué mis en ligne sur son site, dans "les nouveaux enjeux attachés aux élections professionnelles par la loi du 20 août 2008 [qui] ont incité à une nouvelle réflexion et montré la nécessité de permettre le pourvoi immédiat en matière préélectorale pour s'assurer, dans les meilleurs délais, de la régularité du processus électoral". Il convient d'admettre que, désormais, les élections professionnelles dans l'entreprise présentent une importance nouvelle et capitale puisqu'elles permettent de déterminer la représentativité des organisations syndicales et d'assurer la validité des conventions et accords collectifs de travail. En outre, la loi a apporté des changements profonds à la négociation du protocole préélectoral, que ce soit au regard des syndicats autorisés à y participer ou de ses conditions de validité. Tout cela imposait certainement que la Cour de cassation s'arroge à nouveau le droit d'examiner les jugements rendus sur des contentieux préélectoraux. Il reste, désormais, à envisager les conséquences de ce revirement.

II - Les conséquences du revirement

  • Rétroactivité

Conséquence première du revirement, les contestations tranchées par le tribunal d'instance avant les élections ne pourront plus lui être de nouveau soumises, contrairement à ce qu'avait antérieurement décidé la Cour de cassation. Compte tenu du caractère rétroactif des revirements de jurisprudence, cette solution devrait valoir pour les jugements rendus avant le 23 septembre 2009. Cette issue n'a, cependant, rien d'inéluctable.

Ainsi qu'il est précisé dans le communiqué, "il appartiendra ultérieurement à la Cour de cassation de décider, au regard de la jurisprudence relative à l'aménagement des effets d'un revirement concernant les voies de recours, s'il y a lieu d'appliquer immédiatement cette nouvelle règle à l'égard des jugements qui, ayant été rendus le 23 septembre 2009, n'auront pas été frappés de pourvoi en vertu de sa jurisprudence antérieure [...]". Le communiqué renvoie expressément à un arrêt de la Chambre commerciale en date du 13 novembre 2007, dans lequel la Cour de cassation a modulé l'application dans le temps d'un revirement de jurisprudence relatif, précisément, à la recevabilité d'un pourvoi (5).

Il est difficile de se prononcer sur l'attitude qu'adoptera la Cour de cassation en la matière. Cela étant, dans la mesure où le revirement est clairement lié à l'application de la loi du 20 août 2008, il n'est pas certain que son application soit modulée à l'égard de jugements étrangers à cette réforme. Il reste à espérer que la Chambre sociale aura très rapidement l'occasion de se prononcer sur cette question.

  • Portée

Dans une décision rendue le 1er avril 2008 et dont on s'était fait l'écho dans ces colonnes, la Cour de cassation avait fait application de la jurisprudence antérieure à l'arrêt sous examen à la désignation de la délégation du personnel au CHSCT (6). Cette décision semblait manifester la volonté de la Cour de cassation de distinguer, s'agissant de l'élection des membres du CHSCT, les litiges préélectoraux et postélectoraux.

On peut, dès lors, se demander si le revirement de jurisprudence en cause ici sera applicable à cette élection au second degré. Une réponse affirmative semble devoir être apportée à cette interrogation. Pourtant, et pour en revenir aux raisons du revirement, cette élection ne présente pas les mêmes enjeux que les élections au comité d'entreprise ou des délégués du personnel, puisqu'elle n'emporte, notamment, aucune conséquence quant à l'appréciation de la représentativité des syndicats. Partant, l'exclusion du pourvoi en cassation pour les litiges préélectoraux pourrait être ici maintenue. Sans doute cela conduirait-il à une certaine cacophonie, mais le maintien du statu quo ante en la matière éviterait une multiplication de pourvois aux enjeux très faibles.

Pour conclure, et bien que la solution ne soit pas au coeur de la décision commentée, il convient de faire état de la réponse apportée par la Chambre sociale à la première branche du moyen formé par l'employeur. Celui-ci reprochait aux juges du fond d'avoir dit recevable l'action du syndicat Sud, alors que ce dernier n'avait aucun intérêt à agir, puisqu'il avait été invité à participer à l'élaboration du protocole d'accord préélectoral litigieux. La Cour de cassation rejette cette prétention en soulignant que "les conditions de négociation du protocole préélectoral mettant en jeu l'intérêt collectif de la profession, tout syndicat non signataire du protocole, invité ou non à participer à cette négociation, a intérêt à agir pour en contester le déroulement".


(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, C. trav., art. L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN).
(2) Cass. soc., 7 mai 2002, n° 01-60.040, M. Olivier Fesquet c/ EDF, publié (N° Lexbase : A6147AYC) ; Dr. soc., 2002, p. 625 avec l'avis de l'avocat général P. Lyon-Caen.
(3) Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 01-60.644, M. Jean-Pierre Irla c/ Société Bestel, publié (N° Lexbase : A7669A4S) ; Cass. soc., 25 novembre 2003, n° 02-60.805, Société Adecco travail temporaire c/ M. Thierry Nativel-Fontaine, publié (N° Lexbase : A2104DA8).
(4) Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 03-60.429, Syndicat CGT TF1 c/ Société Télévision française (dite TF1), publié (N° Lexbase : A6596DDN). V. nos obs., Contentieux des élections professionnelles : la boucle est définitivement bouclée, Lexbase Hebdo n° 142 du 11 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3425ABH).
(5) Cass. com., 13 novembre 2007, n° 05-13.248, M. Robert Meynet, administrateur judiciaire, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5843DZG).
(6) Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-60.317, M. Pascal Paredes et a. c/ Société TFE Midi Pyrénées, publié (N° Lexbase : A7752D7A). V. nos obs., Nouvelle illustration de la distinction des contentieux préélectoral et postélectoral, Lexbase Hebdo n° 310 du 17 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3739BGL).
Décision

Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-60.535, Société Régie autonome des transports parisiens (RATP) c/ Syndicat Sud Ratp et a., FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2423ELC)

Cassation de TI Paris 20ème ch., contentieux des élections professionnelles, 3 novembre 2008

Texte visé : C. proc. civ., art. 455 (N° Lexbase : L2694AD7)

Mots-clefs : élections professionnelles dans l'entreprise ; contentieux préélectoral ; pourvoi en cassation

Lien base :

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