La lettre juridique n°301 du 17 avril 2008

La lettre juridique - Édition n°301

Éditorial

Représentants du personnel : long bras, protection courte

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N7531BEN

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


"Tous les hommes ne sont pas vulnérables de la même façon ; aussi faut-il connaître son point faible pour le protéger davantage" (Sénèque, De la colère). C'est sur la base de ce stoïcisme de bon sens, que le droit du travail a entendu protéger les salariés titulaires d'un mandat social qui portent les revendications salariales de leurs électeurs mandants. Si l'on accepte toute discrimination au sein de l'entreprise, c'est le principe même de représentation du personnel qui est tenu en échec.

Un agent de surveillance est licencié pour faute grave. Invoquant une discrimination syndicale, il assigne son employeur, d'une part, en référé, pour obtenir sa réintégration, et, d'autre part, au fond, pour voir annuler son licenciement : autrement dit la partie commence par une fourchette, l'attaque simultanée de deux pièces adverses.

Les juges d'appel de Versailles, statuant en matière de référé, ordonnent sa réintégration. Réintégré dans l'entreprise, le salarié est élu délégué du personnel. Soit. L'entreprise prend acte de la décision, adoube et rectifie la position de ses pièces sur leurs cases. Mais ce gambit, autrement dit ce sacrifice initial, n'est pas inutile. Statuant au fond, les juges d'appel de Paris rejettent la demande d'annulation du licenciement. La société notifie, alors, au salarié que, en conséquence de cette dernière décision devenue définitive, elle considère qu'il n'est plus son salarié. Echec.

Faisant valoir que cette correspondance vaut lettre de licenciement alors qu'il a le statut de salarié protégé, le salarié saisit le juge des référés de demandes de provisions sur dommages intérêts pour violation du statut protecteur, indemnités de rupture et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et préavis. Zeitnot, pressé par le temps, le salarié était conduit à commettre une faute ou zugzwang, il avait le trait et il était obligé de jouer un coup manifestement perdant ? Le juge des référés rejette ces demandes.

Pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, la décision de référé ayant ordonné provisoirement la réintégration était dépourvue de l'autorité de chose jugée et l'arrêt de la cour d'appel de Paris, statuant au fond, ayant validé le licenciement, l'employeur était fondé à mettre fin aux fonctions du salarié sans nouvelle procédure de licenciement. Dernier trait, "le joueur d'échecs, comme le peintre ou le photographe, est brillant... ou mat" (Vladimir Nabokov, Pnime).

La confrontation entre les intérêts de l'entreprise et la protection du salarié : partie d'échecs ou course à l'échalote ? Finalement, elle s'apparente plus volontiers à une course poursuite où chaque partie est contrainte d'avancer pour ne pas perdre ; une de ces courses si chères à Robert Sabatier dans Trois sucettes à la menthe. Et Michel Audiard d'ajouter, dans Un Idiot à Paris : "Les salariés sont les êtres les plus vulnérables du monde capitaliste [...], des chômeurs en puissance". Pour trouver l'équilibre, la protection des mandataires sociaux doit être, en conséquence, la plus exégétique possible.

Aussi, est-ce la vocation de la protection spéciale des salariés mandataires sociaux que de participer à un détournement de la loi, en l'occurrence celle relative au licenciement, comme le souligne cette semaine Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale ?

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Procédure prud'homale

[Jurisprudence] Des limites du statut protecteur conféré aux représentants du personnel

Réf. : Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-40.114, Société Intergarde, FS-P+B (N° Lexbase : A7742D7U)

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N7529BEL

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Les salariés protégés ne peuvent être licenciés sans une autorisation préalable de l'inspecteur du travail. Malgré le champ d'application très large du principe, le salarié peut valablement perdre son emploi pour des causes antérieures à l'acquisition de son statut protecteur ; tel est le cas du salarié, valablement licencié avant son élection comme délégué du personnel, qui devra quitter l'entreprise, sans qu'aucune autorisation administrative ne soit nécessaire, dès lors que ce licenciement aura été définitivement validé par les juges du fond, et ce, quelle que soit la position prise antérieurement par le juge des référés. C'est cette solution qui résulte, très logiquement, d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 1er avril 2008, qui dispense l'employeur de toute obligation de solliciter l'inspecteur du travail lorsque la rupture du contrat de travail résulte d'une décision de justice devenue définitive et concernant un licenciement valablement intervenu antérieurement à la protection du salarié. La solution, parfaitement conforme aux règles qui régissent le statut protecteur (I), est, de surcroît, opportune au regard des faits de l'espèce, car elle s'oppose à la stratégie du salarié qui s'était fait élire comme délégué du personnel pour échapper précisément aux conséquences de cette décision de justice (II).
Résumé

La décision de référé ayant ordonné provisoirement la réintégration étant dépourvue de l'autorité de chose jugée et la cour d'appel de Paris, statuant au fond, ayant validé le licenciement, l'employeur est fondé à mettre fin aux fonctions du salarié protégé sans nouvelle procédure de licenciement.

Commentaire

I - Le champ d'application de la procédure d'autorisation administrative de licenciement

  • Procédure de l'autorisation administrative de licenciement

Le Code du travail accorde à un certain nombre de salariés, exerçant dans l'entreprise des fonctions de représentation, le bénéfice de la procédure de l'autorisation administrative de licenciement, et ce, afin de s'assurer, avant toute rupture du contrat de travail, que ces salariés ne sont pas licenciés en raison de l'exercice de leur mandat et que l'employeur invoque valablement l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement. Tel est le cas du délégué du personnel, qui ne pourra être licencié qu'après avis du comité d'entreprise, s'il y a lieu, et autorisation de l'inspecteur du travail (1).

Le critère d'application de cette protection est, en principe, temporel et ne dépend pas de la qualification adoptée pour rompre le contrat de travail (2) ; seul doit donc compter la date à laquelle la rupture du contrat est prononcée.

  • Difficulté d'application

Mais qu'en est-il lorsque le salarié a fait l'objet d'un licenciement antérieur à la période de protection, mais que celui-ci a été suspendu par ordonnance du juge des référés, dans l'attente de la décision à intervenir sur le fond ? Plus particulièrement, qu'en est-il lorsque le licenciement, valablement prononcé avant l'ouverture de la période de protection, est confirmé au fond ? L'employeur doit-il, parce que le salarié est protégé au moment où la décision des juges du fond confirmant le licenciement intervient, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de... faire exécuter la décision de justice ? C'est à cette question inédite que répond négativement la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 1er avril 2008.

  • L'affaire

Un salarié ordinaire avait été licencié pour faute grave, mais avait obtenu du juge des référés sa réintégration en raison du caractère prétendument discriminatoire (eu égard à son activité syndicale) de ce licenciement, tout en poursuivant au fond l'annulation du licenciement. Quelques mois plus tard, il avait été élu délégué du personnel, et ce, quatre jours avant que n'intervienne l'arrêt de la cour d'appel, statuant au fond, qui avait, contrairement à ce qu'avait estimé le juge des référés, considéré que le licenciement ne présentait pas de caractère discriminatoire et devait donc être validé. Prenant acte de cette décision, l'employeur avait donc signifié au salarié qu'il ne faisait plus partie des effectifs de l'entreprise. Ce dernier avait, alors, considéré que ce courrier violait son statut protecteur de délégué du personnel, puisque l'inspecteur du travail n'avait pas été saisi, et avait saisi le juge des référés pour obtenir des provisions à valoir sur les indemnités qui lui seraient dues pour violation de son statut protecteur. Le juge des référés avait rejeté sa demande, mais la cour d'appel de Versailles lui avait donné raison après avoir considéré que, "dès lors qu'il a la qualité de salarié protégé, le salarié ne peut être privé de son emploi à l'initiative de l'employeur que sur autorisation de l'inspecteur du travail".

Tel n'est pas l'opinion de la Cour de cassation, qui casse cette décision après avoir relevé que "la décision de référé ayant ordonné provisoirement la réintégration était dépourvue de l'autorité de chose jugée et que l'arrêt de la cour d'appel de Paris, statuant au fond, avait validé le licenciement prononcé le 26 février 2003, ce dont il se déduisait que l'employeur était fondé à mettre fin aux fonctions de M. K. sans nouvelle procédure de licenciement".

Cette solution nous paraît parfaitement justifiée, et ce, pour, au moins, deux raisons.

II - L'éviction justifiée de la procédure d'autorisation administrative de licenciement

  • Une éviction conforme aux termes de la loi

La première raison qui conduit à approuver cette décision tient aux termes mêmes de la loi. L'article L. 425-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0054HDD, art. L. 2421-3, recod. N° Lexbase : L1058HXH) soumet à l'autorisation administrative de l'inspecteur du travail "tout licenciement envisagé par l'employeur". En dépit d'une extension constante du champ d'application de cette protection, celle-ci ne concerne que les hypothèses où la rupture du contrat résulte de la volonté de l'employeur exprimée pendant la période de protection ; c'est pour cette raison que la Cour de cassation a fini par admettre que le salarié protégé pouvait valablement solliciter la résolution judiciaire de son contrat de travail, sans qu'il y ait lieu de demander l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail (3). Or, dans les circonstances de l'affaire, le licenciement du salarié était intervenu antérieurement à son élection comme délégué du personnel. Certes, le juge des référés avait suspendu le licenciement, considérant ce dernier comme discriminatoire, mais ce jugement, qui n'a pas autorité de la chose jugée, selon les propres termes de l'article 488 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2728ADE), avait été définitivement validé au fond. L'employeur avait, par conséquent, simplement pris acte de la décision de justice, qui avait validé le licenciement intervenu antérieurement, pour en assurer l'exécution effective. Il n'avait donc pas à décider de rompre, de nouveau, le contrat qui l'avait été valablement bien avant l'ouverture de la période de protection.

Cette solution n'est, d'ailleurs, pas sans en rappeler d'autres. Ainsi, il a été admis que l'employeur peut valablement licencier un salarié gréviste, dans les conditions du droit commun, dès lors que la procédure de licenciement a été valablement engagée antérieurement au conflit collectif et pour des motifs étrangers à l'exercice du droit de grève (4). Seule la femme enceinte semble, aujourd'hui, bénéficier d'une protection accordée sur un critère temporel, puisque aucun licenciement ne peut être prononcé pendant la période où elle est légalement protégée, fut-ce pour des motifs parfaitement valables et antérieurs à la grossesse (5) ; mais, dans cette hypothèse, c'est bien l'état de santé de la salariée et de l'enfant qu'elle porte qu'il s'agit de protéger contre une mesure de licenciement qui pourrait lui être préjudiciable (6).

  • Une éviction opportune pour s'opposer à une tentative de fraude à la loi

La seconde raison tient aux circonstances particulières de l'élection du salarié comme délégué du personnel, quelques heures seulement avant l'arrêt d'appel ayant définitivement validé le licenciement. La "coïncidence" montrait que le salarié s'était présenté pour bénéficier du régime protecteur dû aux candidats, à plus forte raison aux élus ; il avait, en quelque sorte, cherché à "frauder" à la loi en tentant de paralyser les effets de l'arrêt à venir de la cour d'appel. L'employeur aurait pu demander l'annulation de cette candidature, en tentant d'établir son caractère frauduleux, mais on sait que la charge de cette preuve lui incombe et que le doute profite logiquement au candidat, ce qui la rend en pratique extrêmement difficile à rapporter (7). En considérant que l'employeur pouvait légitimement tirer les conséquences d'une décision de justice ayant acquis force de chose jugée et validant un licenciement prononcé avant le bénéfice de la qualité de salarié protégé, la Cour de cassation déjoue, ainsi, les prévisions du salarié.


(1) C. trav., art. L. 425-2 (N° Lexbase : L6388ACL, art. L. 2411-5 N° Lexbase : L1023HX8 et L. 2421-3, recod. N° Lexbase : L1058HXH).
(2) C'est la raison pour laquelle la procédure doit être respectée, y compris en cas de mise à la retraite (CE Contentieux, 8 février 1995, n° 154364, Crédit Lyonnais N° Lexbase : A2775AN4, RJS, 1995, n° 266, concl. Arrighi de Casanova, p. 14 ; Cass. soc., 5 mars 1996, n° 92-42.490, M. Bourgoin, ès qualités d'administrateur judiciaire de Mme Malibourne c/ M. Jouanne N° Lexbase : A3939AA7, RJS, 1996, n° 422) ou de rupture amiable du contrat de travail, car, dans cette hypothèse, l'employeur a bien la volonté de rompre le contrat de travail et le salarié ne peut renoncer par avance au droit de réclamer le bénéfice de son statut protecteur (Cass. soc., 1er juin 1994, n° 93-40.040, SA STE c/ Guevel N° Lexbase : A2547AGG, Dr. soc., 1994, pp. 783-788, concl. Y. Chauvy).
(3) Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-45.077, M. Michel Buser c/ Société Novo Nordisk pharmaceutique, FS-P+B (N° Lexbase : A2964DHA), D., 2005, p. 1613, note J. Mouly ; Dr. soc. 2005, p. 861, chron. J. Mouly et les obs. de N. Mingant, L'indemnisation du membre d'un comité d'entreprise européen licencié sans autorisation administrative, Lexbase Hebdo n° 161 du 30 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N2514AIX).
(4) Cass. soc., 2 février 2005, n° 02-45.085, M. Alain Munoz c/ Société Le News, F-P+B (N° Lexbase : A6210DG4).
(5) L'article L. 122-25-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5495ACI, art. L. 1225-4, recod. N° Lexbase : L9772HWT) interdit bien le licenciement "lorsqu'elle est en état de grossesse", et pas simplement "en raison" de son état de grossesse. Dernièrement Cass. soc., 19 mars 2008, n° 07-40.599, Mme Taline Birgin, F-P+B (N° Lexbase : A4960D7T) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Nullité du licenciement notifié pendant le congé maternité : principe et indemnité, Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6240BET).
(6) La prohibition communautaire du licenciement pour cause de maternité repose, d'ailleurs, explicitement sur le souci de protéger la santé de la salariée (Directive (CE) 92/85 Du Conseil du 19 octobre 1992, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail N° Lexbase : L7504AUH).
(7) Annulant la candidature aux élections des délégués du personnel, en raison de son caractère frauduleux souverainement apprécié par les juges du fond (Cass. soc., 13 octobre 2004, n° 03-60.279, F-D N° Lexbase : A6186DDH ; Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 07-60.093, F-D N° Lexbase : A6124D4L).

Décision

Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-40.114, Société Intergarde, FS-P+B (N° Lexbase : A7742D7U)

Cassation sans renvoi (CA Versailles, 6ème ch., 7 novembre 2006, n° 05/06351, Monsieur Thierry Kubisiak c/ SARL Intergarde N° Lexbase : A8908DUH)

Textes visés : C. proc. civ., art. 488 (N° Lexbase : L2728ADE) ; C. civ., art. 1351 (N° Lexbase : L1460ABP)

Mots clef : licenciement ; discrimination alléguée ; suspension en référé ; décision contraire intervenant au fond ; salarié ayant acquis entre temps la qualité de salarié protégé ; autorisation administrative de licenciement inutile.

Lien base :

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Social général

[Panorama] Panorama des arrêts inédits rendus par la Cour de cassation - Semaine du 7 avril 2008 au 11 avril 2008

Lecture: 8 min

N7675BEY

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Le 07 Octobre 2010

Retrouvez, chaque semaine, une sélection des arrêts inédits de la Cour de cassation, les plus pertinents, classés par thème.
  • Article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail

- Cass. soc., 10 avril 2008, n° 06-45.835, M. Michel Libouton, F-D (N° Lexbase : A8783D7G) : le principe selon lequel, lorsque les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY, art. L. 1224-1, recod. N° Lexbase : L9765HWL) ne sont pas réunies, le transfert du contrat de travail du salarié ne peut s'opérer qu'avec son consentement exprès, ayant été édicté dans le seul intérêt du salarié, sa méconnaissance ne peut être invoquée que par celui-ci .

- Cass. soc., 10 avril 2008, n° 06-45.381, Société Sodex, F-D (N° Lexbase : A8774D74) : le changement de concessionnaire exclusif de la vente de véhicules automobiles d'une marque entraîne le transfert au nouveau concessionnaire intervenant sur le même secteur d'une entité économique autonome constituée d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif propre, dès lors que cette entité conserve son identité .

  • Fraude à l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail

- Cass. soc., 10 avril 2008, n° 07-40.463, M. Roger Bontemps, F-D (N° Lexbase : A8942D7C) : la cour d'appel a correctement caractérisé la fraude de l'ancien dirigeant de l'entreprise, qui devenu cadre un an avant la cession, avait négocié avec le repreneur, pendant son préavis, le maintien de son contrat de travail, pour exercer les mêmes fonctions. Le pourvoi -qui faisait grief à l'arrêt d'avoir constaté une fraude et condamné M. B. à rembourser les indemnités de rupture- est rejeté .

- Cass. soc., 10 avril 2008, n° 06-46.072, Société Solap, F-D (N° Lexbase : A8795D7U) : la cour d'appel qui a, d'une part, retenu que les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY, art. L. 1224-1, recod. N° Lexbase : L9765HWL) étaient réunies, et a, d'autre part, constaté que, par lettre du 24 septembre 2002, une société, repreneuse d'une entité économique autonome, avait proposé au salarié un nouveau contrat de travail qui ne tenait compte ni de son ancienneté, ni des avantages acquis, en a exactement déduit -peu important le licenciement opéré par le mandataire liquidateur, le 30 juillet 2002, qui était privé d'effet- qu'il appartenait à la société repreneuse de poursuivre le contrat de travail du salarié aux mêmes conditions et que cette société, qui était à l'origine de la rupture du contrat de travail, devait réparer le préjudice subi à ce titre .

- Cass. soc., 10 avril 2008, n° 06-46.073, F-D (N° Lexbase : A8796D7W) : la cour d'appel, qui, d'une part, a retenu que les conditions d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY, art. L. 1224-1, recod. N° Lexbase : L9765HWL) étaient réunies, que le licenciement des salariés opéré par le liquidateur judiciaire était privé d'effet et que la société repreneuse avait refusé de poursuivre la relation de travail avec les salariés et qui, d'autre part, a constaté que les salariés se prévalaient des dispositions de ce texte et demandaient à être indemnisés du préjudice subi du fait de la rupture de leur contrat de travail, a pu décider que la société en cause, qui était à l'origine de la rupture du contrat de travail, devait réparer le préjudice subi à ce titre .

  • Discrimination syndicale

- Cass. soc., 10 avril 2008, n° 06-44.453, M. Christophe Laboisette, F-D (N° Lexbase : A8757D7H) : selon les articles L. 122-45 (N° Lexbase : L3114HI8, art. L.1132-1, recod. N° Lexbase : L9686HWN) et L. 412-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6327ACC, art. L. 2141-5, recod. N° Lexbase : L0412HXK) lorsque le salarié invoque une discrimination syndicale notamment en matière d'embauchage, de rémunération, de formation professionnelle, d'avancement, il appartient au salarié concerné, de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, et à la partie adverse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Dès lors, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés, en se déterminant comme elle a fait, sans répondre aux conclusions du salarié qui alléguaient que tant en matière de formation, que d'augmentations individuelles ou de promotion, l'employeur n'avait pas respecté les dispositions de l'accord relatif à la formation continue des agents de l'AFPA du 12 février 1992 ainsi que les articles 14 et 47 de l'accord d'entreprise du 4 juillet 1996 sur les dispositions générales régissant le personnel et que, lors de sa titularisation, son salaire avait été déterminé en méconnaissance des dispositions de la circulaire d'application de la nouvelle grille de classification au 1er janvier 1997 applicables aux salariés embauchés avant sa mise en oeuvre .

  • Lettre de licenciement/Motivation

- Cass. soc., 10 avril 2008, n° 06-44.975, M. Mathieu Caroupin, F-D (N° Lexbase : A8766D7S) : la cour d'appel, pour allouer aux consorts C. une somme au titre d'une indemnité de préavis, relève que l'appréciation de la gravité de la faute alléguée à l'appui du licenciement reste soumise au juge judiciaire, que l'autorisation administrative précise "qu'un tel comportement constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement", que la lettre de licenciement mentionne une faute grave par référence à la décision d'autorisation, ce qui est erroné, sans énoncer celle-ci ; qu'en l'absence de tout motif énoncé dans la lettre de licenciement, l'employeur s'est privé de la possibilité d'en discuter la gravité et que la faute grave fait défaut. En statuant ainsi, alors que la lettre de licenciement étant motivée par la référence à la décision d'autorisation administrative, la cour d'appel, à qui il appartenait d'apprécier la gravité des fautes retenues par l'autorité administrative, a violé les articles L. 122-6 (N° Lexbase : L5556ACR, art. L. 1234-1, recod. N° Lexbase : L9977HWG) et L. 436-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0044HDY, art. L. 2421-3, recod. N° Lexbase : L1058HXH) .

  • NTIC/Information préalable du comité d'entreprise

- Cass. soc., 10 avril 2008, n° 06-45.741, Caisse d'épargne de Midi-Pyrénées, F-D (N° Lexbase : A8779D7B) : selon l'article L. 432-2-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6403AC7, art. L. 2323-32, recod. N° Lexbase : L0735HXI), le comité d'entreprise doit être consulté préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise de moyens ou techniques permettant le contrôle de l'activité des salariés et, cette consultation, qui doit permettre au comité de donner son avis sur la pertinence et la proportionnalité entre les moyens utilisés et le but recherché, n'a pas le même objet que la consultation sur la mise en place d'une nouvelle modalité de rémunération. La cour d'appel, qui a constaté que le comité d'entreprise n'avait pas été consulté avant que l'employeur décide d'utiliser "un outil de pilotage commercial" comme moyen d'évaluation des salariés, a, ainsi, caractérisé l'existence d'un trouble manifestement illicite justifiant la suspension de cette décision jusqu'à la consultation des représentants du personnel sur ce projet .

  • Compétence juridiction prud'homale

- Cass. soc., 10 avril 2008, n° 07-41.101, Société Toscana, F-D (N° Lexbase : A8955D7S) : la condamnation solidaire prononcée entre le cédant et le cessionnaire donne compétence à la juridiction prud'homale pour statuer sur le recours en garantie du second contre le premier. Dès lors, la cour d'appel a violé les articles L. 511-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1723GZT, art. L. 1411-1, recod. N° Lexbase : L0263HXZ) et 70 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2904ADW) en retenant, pour débouter la société T. de sa demande en garantie contre la société V., qu'il s'agit d'un litige strictement commercial, qu'elles pourront faire trancher devant toute juridiction qu'il leur plaira .

  • Paiement d'heures supplémentaires

- Cass. soc., 11 avril 2008, n° 06-45.149, M. Michel Petitjean, F-D (N° Lexbase : A8768D7U) : la cour d'appel, qui s'est prononcée sur la demande du salarié, a décidé à bon droit que celui-ci ne pouvait substituer à une demande de paiement d'heures supplémentaires une demande de dommages-intérêts tendant à la réparation du préjudice résultant de leur seul défaut de paiement .

  • Ordre des licenciements/Méthode d'évaluation des salariés

- Cass. soc., 11 avril 2008, n° 06-45.804, M. Bernard Bruhais, F-D (N° Lexbase : A8780D7C) : s'il résulte des articles L. 121-7 (N° Lexbase : L5449ACS, art. L. 1221-8, recod. N° Lexbase : L9740HWN) et L. 121-8 (N° Lexbase : L5450ACT, art. L. 1221-9 N° Lexbase : L9741HWP) du Code du travail qu'un employeur ne peut mettre en oeuvre des techniques et méthodes d'évaluation des salariés dont ils n'ont pas été préalablement informés, la méconnaissance de cette obligation, qui peut ouvrir droit au paiement de dommages-intérêts, n'est pas de nature à caractériser une inobservation de l'ordre des licenciements, prenant en compte, notamment, les qualités professionnelles des salariés, dès lors que l'appréciation de ces qualités repose sur des éléments objectifs et vérifiables. La cour d'appel, qui a souverainement constaté que l'appréciation de ces qualités avait été loyale et reposait sur des éléments objectifs et vérifiables, a légalement justifié sa décision .

  • Rupture du contrat d'apprentissage

- Cass. soc., 11 avril 2008, n° 07-40.534, Société Favella, F-D (N° Lexbase : A8944D7E) : la rupture par l'employeur du contrat d'apprentissage, hors des cas prévus par l'article L. 117-17 du Code du travail (N° Lexbase : L3148HIG, art. L. 6222-18 N° Lexbase : L2499HXT et L. 6222-20 N° Lexbase : L2501HXW, recod.), est sans effet. Dès lors, l'employeur est tenu, sauf en cas de mise à pied, de payer les salaires jusqu'au jour où le conseil des prud'hommes, saisi par l'une des parties, statue sur la résiliation. Cet arrêt est, également, l'occasion, pour la Haute juridiction, de rappeler que le juge qui prononce la résiliation du contrat aux torts de l'employeur doit le condamner à payer une indemnité réparant le préjudice subi par l'apprenti du fait de la rupture anticipée du contrat .

  • Octroi d'un avantage résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi

- Cass. soc., 11 avril 2008, n° 06-46.375, Société Sélection du Reader's Digest, F-D (N° Lexbase : A8804D79) : les conditions d'octroi d'un avantage résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi doivent être objectivement définies. Ne répond pas à cette condition la disposition subordonnant le versement d'une indemnité majorée à la conclusion d'une transaction individuelle .

  • Résiliation du contrat de travail

- Cass. soc., 9 avril 2008, n° 06-44.508, M. Jean-François Brassard, F-D (N° Lexbase : A8759D7K) : la seule non délivrance de bulletin de salaire pendant deux mois n'est pas un motif suffisamment grave pour justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur .

  • Mise à pied

- Cass. soc., 9 avril 2008, n° 06-45.323, M. Jean-Claude Fayard, F-D (N° Lexbase : A8772D7Z) : une mise à pied conservatoire, qui ne peut être justifiée que par une faute grave, est nécessairement à durée indéterminée. La mise à pied prononcée pour un temps déterminé est une sanction disciplinaire .

  • Rupture anticipée d'un CDD

- Cass. soc., 9 avril 2008, n° 06-46.003, M. Vahid Halilhodzic, FS-D (N° Lexbase : A8790D7P) : en cas de rupture anticipée du contrat à durée déterminée par le salarié, l'employeur est en droit de prétendre au paiement de dommages-intérêts .

  • Clause de non-concurrence

- Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-41.289, Société Synergie, F-D (N° Lexbase : A8958D7W) : la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a relevé que la salariée n'était jamais en contact avec les clients employeurs de main-d'oeuvre intérimaire, que ses fonctions étaient limitées, ce que confirmait sa faible rémunération. Elle a donc pu en déduire que la clause de non-concurrence n'était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'employeur. Par ces seuls motifs, elle a légalement justifié sa décision .

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Bancaire

[Le point sur...] La garantie des dépôts en France et dans l'Union européenne : retour sur un mécanisme mal connu

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par Alexandre Bordenave, Juriste, Chargé d'enseignement à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan

Le 07 Octobre 2010

Une "faillite bancaire", qu'elle puise son origine dans une crise de liquidité ou d'insolvabilité, ne tient pas purement du cas d'école (1) ; et l'évoquer dans un contexte agité par la crise dite des "subprimes" ne rend pas simplement hommage à Cassandre. Les crises bancaires sont des phénomènes tristement persistants. L'histoire est semée d'exemples, parfois récents : faillite de la Banque Laffitte en 1830, de l'Union Générale en 1882 (2), affaire du Crédit Lyonnais en 1992, faillite de la Barings en 1995, difficultés du Crédit Foncier de France en 1996 (3), sauvetage de Bear Stearns en mars 2008... Comme le faisait remarquer en 1997, un rapport de la Commission des finances du Sénat, aucun Gouvernement au monde ne s'est désintéressé des difficultés des banques (4). Il est exact que les crises bancaires sont souvent résolues au niveau politique par une intervention plus ou moins directe de l'Etat. Ainsi, très récemment, face au "bank run" (5) dont a fait l'objet la banque britannique Northern Rock, le Gouvernement britannique (à la suite des remèdes peu concluants administrés par le Tripartite Standing Committee (6)) a décidé, à compter du 22 février 2008, la nationalisation provisoire de l'établissement de crédit. Au plan juridique, le sujet de la crise bancaire est au centre d'attentions multiples depuis au moins une trentaine d'années, se traduisant par l'adoption d'un grand nombre de textes (7) à vocation essentiellement préventive.

Ainsi, dans la plupart des pays de l'OCDE, le système de traitement des crises bancaires se compose de trois niveaux :
- la réglementation prudentielle, dont l'objet est d'éviter qu'apparaissent les conditions de la crise bancaire ;
- le recours au prêteur en dernier ressort (8) (national ou international, tel le FMI) ;
- et le traitement dérogatoire de la "faillite bancaire" pour endiguer le risque systémique.

Au sujet de la faillite bancaire, la Directive 2001/24/CE du 5 mai 2001, relative à l'assainissement et aux procédures de liquidation des établissements de crédit (N° Lexbase : L8085AUY), tient lieu de texte de référence. Pour que cette insolvabilité n'affecte qu'a minima les déposants, elle se complète d'un mécanisme rendu obligatoire par un texte plus ancien : la Directive 94/19/CE du 30 mai 1994, relative à la garantie des dépôts (N° Lexbase : L8145AU9) (la "DGD"), qui impose à chaque Etat membre la mise en place d'un "système de garantie des dépôts" (un SGD). Un tel mécanisme, véritable "filet de sécurité" (9) a pour objet de prévenir les phénomènes de bank run, qui relèvent, au moins pour partie, de la prophétie auto-réalisatrice (10).

En France, la garantie minimale imposée par le législateur communautaire se matérialise par l'existence du Fonds de garantie des dépôts (le FGD), régi par les dispositions du Code monétaire et financier (11) complétées par des règlements du Comité de la réglementation bancaire et financière (le CRBF) (12).

Institution méconnue, le FGD (I) gagnerait à croître en notoriété, d'autant que sa modernisation est sujette à réflexions, à l'image des autres SGD de l'Union européenne (II).

I - Le système français de garantie des dépôts

Quoique cela puisse paraître étonnant, le FGD est une création d'origine récente, que l'on doit à la "LESF" (loi n° 99-532 du 25 juin 1999, relative à l'épargne et à la sécurité financière (N° Lexbase : L2208DYG) (13). Cela n'équivaut pas à dire que la France ne connaissait aucun mécanisme de garantie de restitution des fonds déposés en banque avant 1999.

En effet, l'article 52 de la "loi bancaire" disposait que le gouverneur de la Banque de France pouvait inviter les actionnaires (ou sociétaires) d'un établissement de crédit faisant face à des difficultés à lui fournir le soutien nécessaire. Existait, par ailleurs, une solidarité de place organisée par l'Association française des banques (AFB) qui se proposait discrétionnairement, sur le fondement d'une obligation naturelle (14), d'indemniser les déposants dans la limite d'un plafond de 200 millions de francs français (30 489 000 euros) par an en cas de défaillance d'un des établissements membres de l'association. Enfin, les organes centraux (15) étaient chargés, comme aujourd'hui d'ailleurs, d'organiser une solidarité interne à leur réseau bénéficiant à leur clientèle (16).

Le système français évolua d'abord peu à la suite de la "DGD" : la solidarité de place demeura la règle dans la loi "DDOEF" (17) et il fallut attendre la "LESF" pour que la France se dote d'un SGD digne de ce nom doté d'une organisation (A) et de moyens d'intervention (B) spécifiques.

A- L'organisation du Fonds de garantie des dépôts

Depuis la "LESF", il existe en France un SGD unique géré par une entité unique que la loi se contente de qualifier de "personne morale de droit privé" (18), dont les décisions sont étonnamment soumises à la compétence du juge administratif (19). Cette personne morale sui generis rassemble des adhérents (20) (1) et est dotée d'un mode de gouvernance propre mais classique (2).

1 - Les adhérents

Tous les établissements de crédit agréés par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement sont obligatoirement adhérents du FGD (21). Contrairement à ce qui avait été prévu par la loi "DDOEF", sont donc inclus les établissements de crédit relevant d'un organe central (22). En revanche, le FGD ne concerne pas les établissements de crédit agréés dans un Etat membre de l'Union européenne et qui exerceraient une activité bancaire sur le territoire français via une succursale ou sur le fondement de la libre prestation de services (23) : l'adhésion à un SGD étant obligatoire dans toute l'Union européenne, il est logique que de tels établissements puissent se contenter de se reposer sur le SGD de leur Etat membre d'origine (24). Ajoutons, enfin, que certains établissements de paiement, introduits en droit communautaire par la Directive 2007/64/CE du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur (N° Lexbase : L5478H3B) (la Directive "SEPA"), devront sans nul doute adhérer au FGD, dans la mesure où l'article 9 de la Directive "SEPA" met à la charge des établissements dits "hybrides" (25) une obligation de protection des fonds.

Selon les termes du règlement CRBF n° 99-06 du 9 juillet 1999, relatif aux ressources et au fonctionnement du Fonds de garantie des dépôts (N° Lexbase : L4663AQR) (le règlement), l'adhésion au FGD se manifeste formellement (et pécuniairement !) par la souscription d'un certificat d'association. Le certificat d'association n'est ni un instrument financier, ni une valeur mobilière (26) : c'est un titre nominatif et non négociable (27) dont la valeur est fonction de la "part nette du risque" (28) attribuée à l'établissement de crédit adhérent (sans que cette valeur puisse être inférieure à 4 000 euros).

A la manière des parts sociales et des actions, les certificats d'association rendent leurs "porteurs" titulaires de droits. D'abord, ces droits sont d'ordre pécuniaire : en effet, les certificats d'association sont rémunérés dans les conditions précisées à l'article 2 du règlement. Ensuite, les établissements de crédit adhérents bénéficient de droits politiques : leurs certificats d'association leur permettent soit de désigner un membre de droit du conseil de surveillance du FGD (29), soit de participer à l'élection, à l'occasion d'un suffrage censitaire et public, des membres non de droit du conseil de surveillance du FGD (30).

2 - La gouvernance du FGD

Comme certaines sociétés anonymes (31), le FGD est gouverné par un conseil de surveillance et un directoire dont les membres sont soumis aux mêmes incapacités que les dirigeants d'établissements de crédit (32).

Le conseil de surveillance du FGD est composé de douze membres, tous dirigeants responsables d'établissements de crédit, répartis en trois catégories (33) :

- quatre membres de droit représentent les quatre plus importants contributeurs du FGD (34) ;
- deux autres membres de droit représentent les établissements de crédit affiliés à un organe central non représentés par les premiers ;
- et six membres représentent les autres adhérents.

L'arrêté du 7 mars 2008 (arrêté modifiant le titre II du règlement du Comité de la réglementation bancaire et financière n° 99-06 du 9 juillet 1999 modifié, relatif aux ressources et au fonctionnement du Fonds de garantie des dépôts, NOR : ECET0803816A N° Lexbase : L8427H3I) a contribué à simplifier les modalités techniques de désignation des membres du conseil de surveillance du FGD. Ainsi, a été étendu aux adhérents appartenant à un même périmètre de consolidation le principe d'exercice des droits de vote par la "tête de groupe", facilité préalablement reconnue aux adhérents affiliés à un organe central (35). De même, la procédure de remplacement du représentant d'un établissement perdant son droit à être directement représenté est simplifiée par le nouvel article 14-1 du règlement (36).

Le conseil de surveillance remplit des missions importantes, énoncées à l'alinéa 1er de l'article L. 312-10 du Code monétaire et financier :

- le "contrôle permanent de la gestion" ;
- l'élaboration du règlement intérieur ;
- et l'élaboration des règles d'emploi des fonds du FGD.

En outre, c'est au conseil de surveillance du FGD d'élire les trois membres du directoire.

Le directoire est l'organe de gestion quotidienne du FGD. Pour assurer leur impartialité, ses membres doivent être fonctionnellement et financièrement indépendants des adhérents. Parmi les trois membres est désigné un président, qui doit être agréé par le ministre chargé de l'Economie (37).

De manière remarquable, le Code monétaire et financier ne donne que peu de détails sur le directoire du FGD : rien n'est dit sur la durée du mandat de ses membres ou au sujet de leurs pouvoirs. A l'époque de la "corporate governance", appliquée à tout va, on peut s'en émouvoir ! Il serait souhaitable que ces questions, mises en lumière par la doctrine (38), soient clarifiées. Pareillement, la question de la responsabilité des membres des organes dirigeants du FGD mériterait d'être tranchée. On peut donc regretter que les ajustements de mars 2008, fruits d'un simple arrêté ministériel, se révèlent essentiellement techniques.

B - L'intervention du Fonds de garantie des dépôts

L'intervention du FGD procède de l'emploi de ressources constituées ex ante (1) et qui peuvent être employées à titre curatif ou préventif (2).

1 - Les ressources du FGD

Les ressources du FGD ont trois origines :

- les souscriptions de certificats d'association ;
- les cotisations annuelles ;
- et les emprunts auprès des adhérents.

Tout porte à croire que le financement par emprunt est un mode anormal de financement du FGD, traité différent des deux premiers par l'annexe du règlement qui les rassemble, d'ailleurs, sous le terme "contribution des adhérents". Cela est, au demeurant, assez logique.

Parmi les contributions des adhérents, les cotisations annuelles sont la principale ressource du FGD lui permettant de constituer sa "trésorerie" (alors que les certificats d'association semblent correspondre à son "capital social"). L'article 3 du règlement fixe le principe directeur de calcul du montant des cotisations annuelle : "ne pas mettre en péril la stabilité du système bancaire". A vrai dire, il serait regrettable qu'un mécanisme de protection soit à l'origine d'instabilité ! En termes techniques, le montant de la cotisation annuelle de chaque adhérent est égal au "montant global variable de l'échéance" pondéré par le profil de risque de l'adhérent en question (39) .

Récemment, l'arrêté du 29 octobre 2007 a abaissé le montant global de la cotisation annuelle à 80 millions d'euros pour la période 2007-2010. A titre de comparaison, le montant global de la cotisation pour 1999 était de 400 millions d'euros. L'esprit du règlement est bien respecté : après presque dix ans d'existence, il ne semble plus utile de pourvoir aussi massivement le FGD qu'au jour de sa création. D'ailleurs, il faut observer que cet objectif est renforcé par l'article 2 de l'arrêté du 29 octobre 2007 qui, modifiant l'article 6 du règlement, autorise, désormais, les adhérents à ne pas verser 100 % (contre 50 % à l'origine) de leur cotisation annuelle, s'ils constituent, dans le même temps, un dépôt de garantie, rémunéré dans les mêmes conditions que les certificats d'association, égal à la fraction non versée des cotisations et sur lequel le FGD pourra à tout moment prélever les sommes dont il a besoin.

Face à l'importance que présentent le versement des cotisations et la souscription des certificats, le non-respect des obligations des adhérents en la matière est sanctionné pécuniairement par des pénalités de retard et disciplinairement par une sanction prononcée par la Commission bancaire en application de l'article L. 613-21 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3123HZP).

2 - Les interventions du FGD

Grâce à ses ressources collectées ex ante, le FGD est supposé être en mesure de garantir les déposants face à un scénario d'indisponibilité de leurs "dépôts et autres fonds remboursables" (40). L'article 2 du règlement n° 99-05 interprète largement ces deux dernières notions et y inclut, notamment, les "dépôts de garantie", les "moyens de paiement émis par l'établissement" ou encore les dépôts en espèces effectués en couverture de prises de position sur les marchés d'instruments financiers.

Le périmètre de la garantie est limité personnellement et matériellement :

- certains déposants ne bénéficient pas de la garantie offerte par le FGD (41) : le Professeur Stoufflet les rassemble sous le terme "clients et partenaires avertis" (42). Devant le succès que la notion de client "averti" (ou non) d'un établissement de crédit connaît actuellement en jurisprudence (43), on se permettra de suggérer l'emploi du terme plus neutre de "grands déposants" ;
- et, en raison de leur nature, certains dépôts sont hors garantie, tels les dépôts liés à un délit de blanchiment des capitaux.

Par ailleurs, la garantie offerte par le FGD est actuellement limitée à 70 000 euros (44). Ce plafond est plus de trois fois supérieur au minimum minimorum imposé par la DGD, qui est de 20 000 euros, mais sensiblement inférieur à celui proposé dans d'autres Etats membres. Ainsi, l'Italie propose une indemnisation plafonnée à 103 291 euros.

Cette garantie peut être actionnée à deux moments par le FGD :

- on comprend de la lecture des dispositions du Code monétaire et financier que l'intervention normale opère à titre curatif, à savoir après le constat par la Commission bancaire qu'un adhérent n'est plus en mesure de faire face à ses obligations de restitution. Il faut, ainsi, observer le rôle relativement passif du FGD puisqu'elle confie au régulateur le soin d'activer le "filet de sécurité". En ce cas, l'indemnisation des déposants intervient normalement dans les deux mois. L'intervention curative du FGD s'accompagne logiquement d'un retrait d'agrément de l'adhérent concerné ;
- à titre plus exceptionnel, le FGD peut décider, avec l'accord de la Commission bancaire, une intervention préventive auprès d'un adhérent dont il craint qu'il ne se retrouve dans une situation d'illiquidité.

Après son intervention, l'article L. 312-6 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L0385DZB) subroge le FGD dans les droits des déposants indemnisés (45).

D'origine communautaire, le FGD, comme ses équivalents dans les autres Etats membres, est aujourd'hui concerné par les réflexions visant à le moderniser dans un contexte bancaire en renouvellement.

II - La modernisation, des systèmes européens de garantie des dépôts

Au titre du Plan d'action pour les services financiers (PASF) (46), qui s'intègre dans la stratégie dite de Lisbonne, la Commission européenne a lancé, en 2005, une consultation sur les SGD, relevant que la "DGD" laissait une grande marge de manoeuvre aux Etats membres, "nuisant à la rapidité et à l'efficacité de la gestion des crises" (47). A cette occasion, la Commission a relevé un certain nombres d'insuffisances à propos desquelles elle conclut que la solution la plus adaptée les concernant est l'autorégulation.

Outre les observations formulées à la fin de l'année 2006 par la Commission européenne (48) (A), d'autres voies d'enrichissement des SGD existent et se développent (B).

A - Les réflexions de la Commission européenne

La consultation organisée en 2005 par la Commission européenne et la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 20 novembre 2006 (COM (2006) 729/1) sur la révision de la Directive 94/19, relative aux systèmes de garantie des dépôts (la communication) qui en a résulté font ressortir que les SGD européens présentent des insuffisances. Ces dernières sont de deux ordres : les SGD ne sont pas harmonisés (1) et sont cloisonnés (2).

1 - L'harmonisation des systèmes de garantie

Il résulte de la "DGD" que chaque Etat membre est doté d'un SGD qui lui est propre. A cet égard, il semble que l'approche retenue en 1994 consista à se placer "au plus près du terrain", de façon à ne pas trop perturber les systèmes nationaux qui existaient avant l'adoption de la "DGD". C'est ce qui explique, notamment, la latitude laissée aux Etats membres à l'occasion de la transposition de la Directive.

En premier lieu, le champ d'application de la "DGD" n'est pas d'une expresse clarté, dans la mesure où le terme "dépôt" (sans doute le terme le plus important du texte) fait l'objet d'une définition vague (49) et peut faire l'objet d'ajustements discrétionnaires de la part des Etats membres en matière d'exclusions. C'est la raison pour laquelle des voix (dont il semble qu'elles aient été entendues par la Commission) se sont élevées pour que soit harmonisé le champ d'application de ladite définition. La Commission a proposé le lancement d'une étude sur le sujet.

En deuxième lieu, comme nous l'avons déjà évoqué, le plafond d'indemnisation ne fait pas, non plus, l'objet d'une règle communautaire unique puisque la "DGD" se contente d'imposer un "plafond plancher", fixé dans le texte à "20 000 écus" (50). Aussi, les Etats ont librement fixé, au-delà de ce minimum communautaire, le plafond d'indemnisation. Cette question a fait l'objet de critiques relatées par la Commission dans la communication (51). A bien y réfléchir, il n'existe pas de vraies difficultés en la matière. D'abord, il faut souligner que le niveau de la garantie doit être en relation avec le niveau moyen des dépôts dans l'Etat membre concerné, ce qui justifie des disparités. Enfin, rien n'indique qu'il existe un phénomène de concentration des dépôts auprès des établissements de crédit des Etats membres les plus généreux en matière de garantie des dépôts. Pour autant, cela ne signifie pas que le point doive être totalement écarté : la Commission évoque d'ailleurs la possibilité d'un cadre réglementaire pour les accords de couverture complémentaire (52).

En troisième et dernier lieu, les techniques de cotisation aux SGD nationaux peuvent différer d'un Etat membre à l'autre. En pratique, c'est d'ailleurs le cas. Les différences sont marquées à deux niveaux. D'une part, le niveau de cotisation n'est pas systématiquement assis sur le profil de risque des adhérents. Or, c'est sans doute un tel système qui est le mieux à même d'inciter à une saine gestion et d'être équitable. C'est pourquoi la Commission s'est déclarée favorable à la généralisation, à long terme, de cette méthode de calcul du montant des cotisations. D'autre part, certains SGD sont financés ex ante (tels les systèmes espagnols, français ou lituaniens), quand d'autres reposent sur une solidarité ex post (tels les systèmes britanniques, italiens et néerlandais). De nouveau, et c'est certainement ce qu'il faut comprendre de la communication (53), le système ex ante semble plus approprié et stable.

Dans ces conditions, on ne peut que se féliciter de constater que le SGD français semble correspondre, peu ou prou, à l'idéal esquissé par la Commission européenne. De fait, si une révision de la "DGD" devait intervenir (ce qui ne sera, à la lecture de la communication, le cas qu'à moyen ou long terme, la Commission préférant une approche pragmatique pour le moment), le FGD garderait certainement, dans leurs grandes lignes, sa structure et son mode de fonctionnement actuels.

2 - Le décloisonnement des systèmes de garantie

Une autre piste de modernisation est entrouverte dans la communication : le décloisonnement des systèmes de garantie. Cette "politique d'ouverture" se révèlerait pertinente à un double niveau.

En premier lieu, pourrait être envisagé un décloisonnement entre les différents systèmes nationaux. Cela aurait du sens, à l'heure de "l'Europe bancaire" qu'entend construire le "PASF". L'hypothèse du raisonnement est celle de l'ouverture d'une succursale par un établissement de crédit communautaire dans un autre Etat membre que son Etat d'origine. A cet égard, il semble que l'idée d'introduire en droit positif des dispositions nouvelles relatives à l'échange d'informations d'un SGD national à un autre n'a pas soulevé l'enthousiasme. En revanche, sur un plan plus technique, a été exprimé le souhait de voir mis en place un système permettant de "transférer" d'un SGD à un autre les cotisations versées : par exemple, dans le cas du transfert du siège social d'un établissement de crédit français vers un autre Etat membre, cela reviendrait à consentir à l'établissement concerné une créance de remboursement de son certificat d'association, de sa cotisation annuelle (au prorata) et de ses éventuels dépôts de garantie sur le FGD. L'idée est de bon sens et il n'est pas opportun de laisser l'autorégulation jouer à plein en la matière, les participations (au sens large) aux différents systèmes de garantie étant un élément crucial. Enfin, existe un commencement de réflexion sur la "communautarisation" des systèmes de garantie : en effet, la communication évoque la possible mise en place à terme soit d'un système paneuropéen de garantie, soit de systèmes régionaux (notamment, entre Etats membres dont les systèmes de garantie présentent des caractéristiques proches). Il faut sans doute voir dans ces réflexions une manifestation supplémentaire du succès qu'ont les "comités" dans la phase actuelle de la construction communautaire (54).

En second lieu, le décloisonnement devrait porter sur l'information offerte aux déposants sur les SGD eux-mêmes. Le moins que l'on puisse remarquer est que la "DGD" n'organise pas une information claire et évidente des déposants quant à l'existence et au mode de fonctionnement des SGD. D'ailleurs, elle prohibe une trop importante utilisation des informations concernant les SGD à des fins publicitaires (55). Or, il va du fonctionnement efficace des SGD que les déposants les connaissent : c'est en se sachant ainsi protégés que ces derniers éviteront de se réfugier dans des comportements irrationnels tels le "bank run" (56). Dans la communication, la Commission se montre sensible à la question, mais choisit de privilégier "une amélioration de l'information des consommateurs au niveau national" (57). On peut en être déçu, surtout lorsque l'on sait l'ardeur que met généralement l'Union européenne à organiser l'information du "consommateur", tout particulièrement en matière bancaire et financière (58).

Dans l'esprit, cette régulation pragmatique que prône la Commission, des compléments d'origine privés aux SGD sont apparus dans l'Union européenne.

B - Les compléments d'origine privée

Tels qu'ils existent à l'heure actuelle, les SGD européens peuvent ne pas parfaitement répondre aux exigences pratiques des acteurs privés, soit parce qu'ils n'offrent pas une protection suffisante (1), soit parce que leur existence même est (de manière a priori surprenante) problématique (2).

1 - La recherche d'une meilleure protection

En guise de complément à un SGD, c'est assez naturellement que l'on pense à un renforcement de la protection qu'offre ce dernier.

Dans la mesure où, comme nous venons de l'exposer, les SGD communautaires sont disparates, il est possible pour un acteur privé d'organiser une "centralisation" de ses dépôts dans les juridictions les plus accueillantes en la matière. Il reste que cette solution est assez théorique, et rien ne reflète qu'il existerait au sein de l'Union européenne une "fuite des dépôts" (notamment, pour l'unique raison de l'insuffisance d'un FGD). C'est d'autant plus vrai que la solution est susceptible d'avoir des impacts divers : par exemple, la lex rei sitae imposerait en pratique de soumettre l'ensemble des dépôts ainsi concentrés dans un Etat membre au droit des sûretés dudit Etat. Or, les défauts éventuels de ce dernier droit peuvent venir annihiler les avantages retirés de l'efficacité du SGD local.

Il faut également souligner que les acteurs privés recourent souvent à une surveillance ("monitoring") de leurs partenaires à l'occasion d'opérations de financement. Cette surveillance peut évidemment s'appliquer aux établissements auprès desquels des dépôts sont réalisés. Elle peut tirer le bénéfice des notations attribuées par les agences de notation aux différents établissements de crédit. D'ailleurs, lorsqu'une partie est intéressée par le risque de contrepartie d'un établissement de crédit auprès duquel son contractant a effectué des dépôts, elle se fait souvent consentir une promesse unilatérale de changer l'établissement dépositaire en cas de dégradation de sa notation (59). On peut objecter que cette solution tient pour partie du pis-aller : elle ne consiste pas tant à renforcer les atouts d'un SGD que de se donner les moyens d'éviter une situation potentiellement risquée.

2 - La recherche d'une moindre protection

Paradoxalement, un acteur privé peut être enclin à rechercher une protection moindre que celle proposée par n'importe lequel des SGD de l'Union européenne. La situation peut sembler paradoxale, de prime abord. Pourtant, elle n'est pas théorique : ce type de considérations est au coeur de la finance islamique.

Il ne s'agit pas ici de faire un état complet de la question de la finance shariah (60), mais simplement de rappeler qu'elle est, notamment, animée par le principe de partage des profits et pertes. Sur ce fondement, la finance islamique ne conçoit que difficilement qu'un déposant puisse recevoir une garantie (même légale) relativement à son dépôt. En droit islamique, les conventions de dépôts sont généralement rédigées comme une mudarabah, à l'occasion de laquelle le déposant est assimilé à un investisseur (rab al maal) confiant ses fonds à une banque, considérée comme un entrepreneur (mudareb) : dans une telle structure, le déposant prend un risque de perte de son dépôt.

Un montage similaire, respectueux du droit communautaire, est recherché par ceux (ils sont nombreux) qui cherchent à introduire en Europe la finance islamique. C'est ainsi que, au Royaume-Uni, l'Islamic Bank of Britain a obtenu des autorités compétentes le droit de proposer à ses clients une option de pas bénéficier de la garantie des dépôts (opt out) afin d'assurer le caractère halal des produits d'épargne proposés. Des réflexions du même ordre ont lieu en France. La pénétration dans l'Union européenne de la finance islamique offre ainsi l'occasion d'une réflexion originale sur les SGD.

Rec sic stantibus : tel pourrait être le slogan de l'Union européenne en matière de garantie des dépôts. Que rien ne bouge pour les déposants en cas de faillite bancaire, et que rien ne bouge dans le cadre normatif actuel ! Constatons que, le secteur bancaire européen présentant des fondamentaux solides issus de la qualité de la réglementation à laquelle il est soumis, il n'est pas aisé de juger de l'efficacité d'un système rarement mis à l'épreuve. C'est pourquoi on peut tout de même regretter que la Commission choisisse de renvoyer un peu rapidement à une adaptation pragmatique qui s'inscrirait au sein de son approche "better regulation" (61). Il faut se faire une raison : les lois ne doivent être touchées qu'avec une main tremblante (62), quand les dépôts peuvent, grâce aux SGD, se faire d'une main sereine.


(1) Pas plus qu'elle ne se limite aux "worst-case scenarios", chers aux agences de notation.
(2) Relatée de manière à peine voilée par Zola dans L'Argent (1891).
(3) Dont la restructuration bénéficia, notamment, de la création des obligations foncières par les articles 93 et suivants de la loi n° 99-532 du 25 juin 1999, relative à l'épargne et à la sécurité financière (N° Lexbase : L2208DYG) (devenus les articles L. 515-17 N° Lexbase : L3616HZX et suivants du Code monétaire et financier).
(4) Commission des finances du Sénat, Rapport 52, 1996/1997, Banques : votre santé nous intéresse.
(5) Un "bank run" (ou encore "panique bancaire" ou "ruée bancaire") est le scénario dans lequel un grand nombre de clients d'un établissement de crédit craignent que ce dernier ne devienne insolvable et, en conséquence, décident d'en retirer leurs dépôts dans les meilleurs délais. Dans le cas de Northern Rock, on estime qu'1 milliard de Livres Sterling (soit environ 5 % des dépôts) a été retiré le 14 septembre 2007.
(6) Le Tripartite Standing Committee rassemble la Banque d'Angleterre, le Trésor britannique et la Financial Services Authority (équivalent britannique de l'Autorité des marchés financiers).
(7) En France, il faut, notamment, citer à cet égard :
- la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit (N° Lexbase : L7223AGM) (la "loi bancaire") ;
- la loi n° 94-679 du 8 août 1994, portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (N° Lexbase : L1138ATC) (la loi "DDOEF") ;
- la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996, de modernisation des activités financières ([LXB=L5893A4Z ]) (la loi "MAF") ;
- la loi n° 99-532 du 25 juin 1999, relative à l'épargne et à la sécurité financière (N° Lexbase : L2208DYG) (la "LESF") ;
- la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, relative à la sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB) (la "LSF").
(8) "Last resort lende" : en la matière, il est possible de se référer utilement à Lombard Street (1873) de l'économiste anglais Walter Bagehot. Ce mécanisme, généralement dévolu aux banques centrales, est critiqué dans la mesure où il induit un aléa de moralité (moral hazard). Il favoriserait la prise de risques par les banques commerciales dans la mesure où ces dernières savent qu'elles ne subiront que partiellement les conséquences de leurs actions du fait de l'existence du prêteur en dernier ressort.
(9) Notamment, Commission des finances du Sénat, idem.
(10) La prophétie auto-réalisatrice (self-fulfilling prophecy dans le texte) est une théorie exposée par la sociologue Robert K. Merton et que l'on peut résumer ainsi : une fausse définition de la situation qui est à l'origine de comportements qui aboutissent à ce que la situation initialement fausse finisse par être vérifiée (Social Theory and Social Structure, 1949).
(11) C. mon. fin., art. L. 312-4 (N° Lexbase : L6409DI9) et s.
(12) Notamment par le règlement n° 99-06 du 9 juillet 1999, relatif aux ressources et au fonctionnement du Fonds de garantie des dépôts (N° Lexbase : L4663AQR).
(13) En matière de fonds de garantie, la "LESF" fut féconde, puisqu'elle a créé trois mécanismes de garantie au profit des épargnants (outre le FGD) : le Fonds de garantie des assurances de personnes (C. assur., art. L. 423-1 N° Lexbase : L4164ALS et s.), le mécanisme de garantie des cautions (C. mon. fin., art. L. 313-50 N° Lexbase : L9283DYH et s.) et le mécanisme de garantie des titres (C. mon. fin., art. L. 322-1.). La gestion de ces deux derniers mécanismes de garantie est confiée au FGD.
(14) Cf. CA Aix-en-Provence, 15 mars 1984, Revue de jurisprudence commerciale, 1984, n°181, 313, note Ph. Delebecque.
(15) Au sens de l'article L. 511-30 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3133HPQ).
(16) Ainsi, au sein du réseau des Banques populaires, la Banque Fédérale des Banques Populaires "prend toutes mesures nécessaires pour garantir la liquidité et la solvabilité du réseau des banques populaires en définissant et en mettant en oeuvre les mécanismes de solidarité financière interne nécessaires" (C. mon. fin., art. L. 512-12 N° Lexbase : L4001APU).
(17) Dont l'article 10 permettait la coexistence de plusieurs systèmes de garantie.
(18) C. mon. fin., art. L. 312-9 (N° Lexbase : L2827G9L).
(19) C. mon. fin., art. L. 312-5 (N° Lexbase : L8002HBY).
(20) C. mon. fin., art. L 312-4 (N° Lexbase : L6409DI9).
(21) Idem. Précisons que c'est l'adhésion au FGD qui constitue une des conditions de l'agrément, et non l'inverse.
(22) Voir supra. Les déposants auprès de ces établissements bénéficient ainsi d'une double garantie.
(23) Traité instituant la Communauté européenne, art. 49 (N° Lexbase : L5359BCH) et s..
(24) Ce qui implique que les dépôts effectués dans un Etat membre de l'Union européenne auprès d'un établissement de crédit agréé en France et exerçant une activité dans cet Etat membre sont couverts par le FGD (règlement CRBF n° 99-05 du 9 juillet 1999, art. 2 N° Lexbase : L4662AQQ). Il doit être souligné que, si le plafond d'indemnisation prévu par le système de garantie en vigueur dans l'Etat membre d'origine est inférieur à celui prévalant dans l'Etat d'accueil, l'établissement de crédit peut choisir d'offrir un niveau de couverture équivalent à celui des banques domestiques au titre d'un accord de "couverture complémentaire" ("topping up").
(25) V. Margerit, La directive sur les services de paiement, Bulletin de la Banque de France, 2007, n° 164.
(26) Au sens des articles L. 211-1 (N° Lexbase : L2978HZC) et L. 211-2 (N° Lexbase : L7230HZS) du Code monétaire et financier.
(27) C. mon. fin., art. L. 312-7 (N° Lexbase : L6406DI4).
(28) Règlement CRBF n° 99-06, art. 1 et annexe.
(29) Idem, art. 12.
(30) Idem, art. 12 et 13-2.
(31) C. com., art. L. 225-57 (N° Lexbase : L5928AIE) et s.
(32) C. mon. fin., art. L. 312-10 (N° Lexbase : L3318HIQ).
(33) Idem, al. 3.
(34) Dans les conditions que nous étudierons ci-dessous.
(35) Règlement CRBF n° 99-06, art. 12.
(36) A propos duquel il faut observer qu'il fait un renvoi à un article 13 aujourd'hui disparu : il faut sans doute comprendre que référence est faite à l'article 13-2 du nouveau texte.
(37) C. mon. fin., art. L. 312-13 (N° Lexbase : L2828G9M).
(38) Notamment, C. Leguevaques, Droit des défaillances bancaires, Economica, 2002, n° 360 et s. , p. 200.
(39) Il s'agit donc du même mode de calcul que celui applicable au montant des certificats d'adhésion.
(40) C. mon. fin., art. L. 312-4.
(41) Parmi lesquels : les établissements de crédit, les organismes de placement collectif (donc les fonds communs de créances, ce qui n'est pas pour favoriser les opérations de titrisation) et les Etats.
(42)  J. Stoufflet, Les systèmes de garantie des épargnants, Revue de droit bancaire et de la bourse, 1999, n° 175, p. 144.
(43) Cf., notamment, Cass. mixte, 29 juin 2007, 2 arrêts, n° 05-21.104, M. Alain Forest c/ Société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre-Est (CRCAMCE), P+B+R+I (N° Lexbase : A9645DW7) et n° 06-11.673, Mme Régine Salanon, épouse Fusco c/ Société Union bancaire du Nord (UBN), P+B+R+I (N° Lexbase : A9646DW8) ; R. Routier, Devoir de mise en garde : les précisions de la Chambre mixte, Lexbase Hebdo n° 268 du 12 juillet 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N7831BBN), D., 2007, n° 1950, obs. V. Avena-Robardet.
(44) Règlement CRBF n° 99-05, art. 5-I.
(45) Ce recours subrogatoire fait parfois l'objet de décisions de justice. Récemment : CA Versailles, 3 mai 2007, Revue de droit bancaire et financier, 2007, n° 5, p. 41, obs. F.-J. Credot et T. Samin.
(46) COM (1999) 232, Communication de la Commission du 11 mai 1999 sur la mise en oeuvre du cadre d'action pour les services financiers : plan d'action.
(47) C. McCreevy, in Communiqué de presse du 28 novembre 2006 : "Services financiers : la Commission propose de recourir à l'autorégulation pour améliorer les systèmes de garantie des dépôts".
(48) A l'occasion de sa communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la révision de la Directive 94/19/CE, relative aux systèmes de garantie des dépôts.
(49) En l'occurrence, "tout solde créditeur résultant de fonds laissés en compte ou de situations transitoires provenant d'opérations bancaires normales, que l'établissement de crédit doit restituer conformément aux conditions légales et contractuelles applicables, ainsi que toute créance représentée par un titre de créance émis par l'établissement de crédit".
(50) Directive 94/19, art. 7 ; devenus depuis 20 000 euros.
(51) Communication, p. 3.
(52) Idem, p. 6.
(53) Même s'il faut reconnaître que rien n'est expressément dit à ce sujet, et que la communication, étant donné les coûts estimés d'harmonisation, a préféré renvoyer la question sine die.
(54) Comités dont le Committee of European Securities Regulator (CESR) est la consécration la plus emblématique.
(55) Directive 94/19, art. 9.3. On peut observer que cette disposition est quelque peu contradictoire avec l'article 6.1 du même texte qui, en matière transfrontalière, impose la diffusion d'une information "claire et compréhensible".
(56) Question quelque peu provocatrice de prospective juridico-financière : le "bank run" de Northern Rock aurait-il eu lieu sans l'article 9.3 de la "DGD" ?
(57) Communication, p. 8.
(58) Récemment, c'est notamment le cas de la Directive adoptée le 16 janvier 2008 par le Parlement européen sur le crédit à la consommation.
(59) C'est, notamment, souvent le cas dans les opérations de titrisation, s'agissant de la notation de la banque teneuse de compte du fonds commun de créances.
(60) Sur ce sujet, voir notamment, Finance islamique : l'ouverture européenne, Banque, 2007, n° 696, p. 26 s..
(61) Better Regulation.
(62) Selon Portalis.

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Procédure administrative

[Jurisprudence] La convention Etat-employeur relative au contrat emploi consolidé relève de la compétence du juge administratif

Réf. : Cass. soc., 27 mars 2008, n° 06-45.929, Mme Claudine Lyoret, épouse Baudry, FS-P+B (N° Lexbase : A6061D7M)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

Alors même que l'Assemblée nationale vient juste de rendre public un rapport sur les politiques publiques de l'emploi (1), dénonçant, notamment, la complexité des contrats aidés, à l'instar de la doctrine (2), la Cour de cassation, en Chambre sociale, a rendu un arrêt qui confirme la validité et la pertinence d'une telle analyse. Sa décision porte sur le contrat emploi consolidé (CEC), supprimé depuis la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (loi n° 2005-32 N° Lexbase : L6384G49), mais elle garde tout son intérêt, car elle est transposable mutatis mutandis au contrat d'accompagnement dans l'emploi (CAE), qui le remplace. En l'espèce, une salariée a été engagée le 1er janvier 2001 par une association selon un CEC, afin d'assurer des tâches d'animation, de secrétariat et d'accueil. Le contrat a été renouvelé de septembre 2002 à septembre 2003, puis de septembre 2003 à septembre 2004. Le 31 août 2004, le contrat de travail a pris fin en l'absence de renouvellement. L'intéressée a saisi la juridiction prud'homale en demandant, notamment, la requalification des CEC en un contrat de travail à durée indéterminée. Par arrêt du 9 novembre 2005, la cour d'appel de Montpellier a débouté la salariée de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture. Statuant sur la requête en omission de statuer de la salariée par arrêt rectificatif du 22 février 2006, elle l'a débouté de sa demande aux fins de requalification du CEC en un contrat à durée indéterminée. La salariée s'est pourvue en cassation et la Cour de cassation casse l'arrêt rendu par les juges du fond : l'irrégularité de la convention liant l'Etat et l'employeur relative à un CEC, au regard de la prévision d'un dispositif d'orientation ou de formation professionnelle, et celle qui résulterait de l'agrément donné par la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) pour son renouvellement en dépit d'une carence relative à une telle obligation, suscitent une difficulté sérieuse qui échappe à la compétence de la juridiction judiciaire.

La solution retenue par l'arrêt rapporté s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence dégagée aussi bien par la Chambre sociale de la Cour de cassation que par le Tribunal des conflits (I). Pour mieux la saisir, il est nécessaire de faire un point sur le régime du CEC et du CAE, qui le remplace depuis la loi de cohésion sociale.

Résumé
L'irrégularité de la convention, liant l'Etat et l'employeur, relative à un contrat emploi consolidé, au regard de la prévision d'un dispositif d'orientation ou de formation professionnelle, et celle qui résulterait de l'agrément donné par la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) pour son renouvellement en dépit d'une carence relative à une telle obligation, suscitent une difficulté sérieuse qui échappe à la compétence de la juridiction judiciaire.

Commentaire

I - Régime du contrat emploi consolidé et du contrat d'accompagnement dans l'emploi

Les CES, créés par la loi du 19 décembre 1989, pour favoriser le retour à l'emploi et la lutte contre l'exclusion sociale (loi n° 89-905 N° Lexbase : L2135DYQ), ont pris la suite des travaux d'utilité collective (TUC), organisés en 1984. Les CES avaient pour objet de développer des activités d'intérêt collectif, dans le cadre de contrats de travail à temps partiel conclus avec des employeurs du secteur non marchand (associations, fonction publique, collectivités territoriales...) au bénéfice de publics en difficulté.

Le CEC a été créé par la loi du 29 juillet 1992 (loi n° 92-722 N° Lexbase : L7461AI8), pour favoriser l'embauche de personnes ayant bénéficié d'un ou plusieurs contrats emploi-solidarité et relevant des publics éprouvant des difficultés particulières d'insertion. Les employeurs étaient les mêmes que ceux visés au titre du CES. Le CEC, comme le CES, avait pour finalité le développement d'activités répondant à des besoins collectifs non satisfaits. L'employeur bénéficiait d'un financement du poste. Il était, en outre, exonéré des charges sociales.

La loi de cohésion sociale a mis en place un unique contrat d'accompagnement dans l'emploi (CAE), remplaçant le CES et le CEC (C. trav., art. L. 322-4-7 N° Lexbase : L3121HIG, art. L. 5134-20 et s., recod. N° Lexbase : L2075HX7 ; art. R. 322-16 à R. 322-16-3 N° Lexbase : L3047HIP, art. R. 5134-98 et s., recod.) ; lettre circulaire ACOSS n° 2006-090 du 4 août 2006). Les employeurs visés sont les collectivités territoriales, les autres personnes morales de droit public, les organismes de droit privé à but non lucratif et les personnes morales chargées de la gestion d'un service public. Les salariés bénéficient d'actions d'orientation et d'accompagnement professionnel et de validation des acquis de l'expérience nécessaires à la réalisation du projet professionnel de l'intéressé. Le contrat de travail est un contrat de droit privé à durée déterminée, dont la durée ne peut être inférieure à six mois. Il ne peut être conclu pour pourvoir des emplois dans les services de l'Etat. Ces contrats d'accompagnement portent sur des emplois visant à satisfaire des besoins collectifs non satisfaits. La durée hebdomadaire du travail ne peut être inférieure à vingt heures, sauf lorsque la convention le prévoit en vue de répondre aux difficultés particulièrement importantes de la personne embauchée (3).

A - Actions de formation et d'insertion

  • CEC

En application de l'article L. 322-4-8-1-I du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 janvier 2005 (N° Lexbase : L6147ACN), il était pressenti que les conventions Etat-employeur prévoient des dispositifs comprenant, notamment, des actions d'orientation professionnelle et de validation d'acquis en vue de construire et de faciliter la réalisation de leur projet professionnel. Si celui-ci n'aboutissait pas avant la fin du vingt-quatrième mois, un bilan de compétences était réalisé pour le préciser. La formation délivrée dans le cadre du CEC devait permettre la réalisation du projet professionnel de son bénéficiaire et devait faciliter son insertion durable dans l'emploi à l'issue du contrat. Les salariés régis par le CEC pouvaient suivre une formation complémentaire non rémunérée. Celle-ci devait être dispensée par un organisme de formation (C. trav., art. L. 920-4, dans sa rédaction antérieure à la loi 18 janvier 2005 N° Lexbase : L4775DZU), qu'il soit interne ou externe à l'organisme employeur (Bilan critique de la formation dispensée aux bénéficiaires du CEC, Cour des comptes, Rapport 2002, Doc. fr., p. 101-131).

En l'espèce, pour débouter la salariée de sa demande de requalification de son CEC, la cour d'appel a retenu que le CEC, qui avait pris fin à sa troisième échéance, aurait pu comporter des actions de formation s'il s'était poursuivi jusqu'à la fin de la cinquième année et que, au moment du renouvellement qui a été soumis à l'agrément de la DDTEFP, aucune obligation de formation n'avait été imposée à l'employeur. Bref, l'employeur n'a pas violé une obligation fondamentale (obligation de formation), donc, le contrat de travail emploi consolidé n'a pas à être requalifié en contrat de travail de droit commun. L'argument n'a pas convaincu la Cour de cassation, selon laquelle la question ne relève pas de sa compétence. En effet, lorsque l'Etat et l'employeur ont passé une convention pour favoriser l'embauche d'un demandeur d'emploi et qu'un CEC a été conclu avec un salarié, le dispositif comprenant, notamment, des actions d'orientation professionnelle et de validation d'acquis en vue de construire et de faciliter la réalisation de son projet professionnel, ainsi qu'un bilan de compétences, doit être prévu, non pas dans le contrat de travail, mais dans cette convention Etat-employeur, laquelle, d'une durée de douze mois, est renouvelable par voie d'avenant.

  • CAE

La convention Etat-employeur relative au CAE (C. trav., art. L. 322-4-7 N° Lexbase : L3121HIG, art. 5134-20, recod. N° Lexbase : L2075HX7) peut prévoir des actions d'accompagnement, de formation professionnelle ou de validation des acquis de l'expérience, non obligatoires mais recommandées. Les employeurs doivent pouvoir permettre à ces salariés d'accéder à l'ensemble des actions de formation articulées autour du plan de formation de l'entreprise et du droit individuel à la formation. Le service public de l'emploi régional peut décider d'accorder aux employeurs réalisant des efforts particulièrement significatifs en matière de formation ou d'accompagnement des bénéficiaires de CAE une prise en charge majorée (circulaire DGEFP n° 2005-12 du 21 mars 2005 N° Lexbase : L1481G8D). L'Etat peut, également, contribuer au financement des actions de formation professionnelle et de validation des acquis de l'expérience nécessaires à la réalisation du projet professionnel du salarié régi par un CAE .

B - Durée et renouvellement du contrat

  • CEC

La durée de la convention Etat-employeur est de douze mois, renouvelable par voie d'avenant dans la limite d'une durée maximale de soixante mois (C. trav., art. L 322-4-8-1, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 janvier 2005). Lorsque le CEC était conclu à l'issue d'un CES, l'Etat s'engageait avec l'employeur pour une durée de cinq ans (C. trav., art. L. 321-4-8-1, I, al. 3, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 janvier 2005).

La convention de douze mois conclue entre l'employeur et l'Etat portant sur le CEC pouvait être renouvelée quatre fois, par dérogation au droit commun des contrats à durée déterminée (tel que fixé par l'article L. 122-2 du Code du travail N° Lexbase : L5454ACY, art. L. 1243-13, recod. N° Lexbase : L0067HXR). Le renouvellement de la convention était de droit, sauf si l'employeur ne respecte pas ses engagements contractuels. C'est pourquoi les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 122-2, relatives au nombre maximum des renouvellements, n'étaient pas applicables (C. trav., art. L. 321-4-8-1, I, al. 2, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 janvier 2005). Selon la jurisprudence, la référence dans le contrat de travail aux dispositions de l'article L. 322-4-8-1 du Code du travail (relatives aux CEC) ne caractérisait pas une commune intention d'instituer en faveur d'une salariée une garantie d'emploi d'une durée de cinq ans (4).

  • CAE

Le CAE est de courte durée, six mois minimum, renouvelable deux fois, dans la limite maximale de vingt quatre mois (C. trav., art. L. 322-4-7 et art. R. 322-16). La loi n° 2006-339 du 23 mars 2006, pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux (N° Lexbase : L8128HHI), dans son article 19, complète cette durée minimale de six mois par une seconde hypothèse, trois mois pour les personnes bénéficiant d'un aménagement de peine.

II - Règles de compétence juridictionnelle

A - Compétence du juge lorsque le contentieux porte sur le contrat de travail aidé

Le CEC, comme le CEA, ne posent pas de difficultés juridiques particulières, au regard de leur qualification juridique de contrat de droit privé. Logiquement, le contentieux de ces contrats ressortit de la compétence du juge judiciaire, alors même que leur employeur serait une personne morale de droit public.

Des difficultés auraient pu se poser, dans la mesure où l'un des contractants est une personne morale de droit public, en application de la jurisprudence "Berkany" (5). Cette jurisprudence n'a pas été suivie par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui a décidé, par un arrêt rendu le 9 décembre 1998, que le contentieux opposant le titulaire d'un CES avec son employeur, personne de droit public (une université), relève du contentieux judiciaire en raison de la nature de droit privé du contrat de travail emploi-solidarité (6).

Le débat sur la compétence juridictionnelle ne se pose qu'à l'égard des contrats de travail spéciaux conclus avec une personne morale de droit public, car la compétence du juge administratif devient, alors, envisageable (7). Mais, parce que la loi indique que ces contrats ont une nature de contrat de travail de droit privé, le tribunal des conflits retient, de manière générale, la compétence du juge judiciaire. Le litige résultant de la conclusion, de l'exécution et de la rupture d'un CES, qui avait la nature juridique d'un contrat de droit privé (C. trav., art. L. 322-4-8, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 janvier 2005), relève de la compétence du juge judiciaire, peu important que le contrat ait été conclu par une personne morale de droit public (8). De même, les litiges nés à l'occasion de la conclusion, de l'exécution ou de la résiliation du CEC relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire (9).

B - Compétence du juge lorsque le contentieux porte sur la convention Etat/employeur

La compétence dévolue au juge judiciaire pour apprécier les contrats aidés tels que le CES, le CEC ou le CAE n'est plus reconnue, dans la mesure où une question préjudicielle se poserait au préalable, relativement à la légalité d'une convention de droit public passée par l'employeur avec l'Etat en vue de la conclusion de CES : le juge judiciaire doit, alors, se déclarer incompétent, au profit du juge administratif (Cass. soc., 8 juillet 1999, n° 97-14.487, Urssaf de Lille c/ Association Le Brueghel et autres N° Lexbase : A8108AGE, Bull. civ. V, n° 338). Dans le cas où la contestation met en cause la légalité de la convention passée entre l'Etat et l'employeur, la juridiction administrative est seule compétente pour se prononcer sur la question préjudicielle ainsi soulevée (10).

  • CEC

La conclusion du CES et d'un CEC était subordonnée à la signature préalable pour chaque bénéficiaire d'une convention entre l'Etat et l'employeur. Le fait qu'un organisme ait déjà conclu des CES ne valait pas droit acquis à la signature de nouveaux contrats de ce type, car il revenait au directeur de la DDTEFP d'apprécier les suites données à chaque demande (CE Contentieux, 3 février 1999, n° 156586, Association pour la protection des animaux sauvages N° Lexbase : A4425AX8, RJS, 1999, 434, n° 713).

En l'espèce, pour débouter la salariée de sa demande de requalification, la cour d'appel a retenu que le CEC, qui avait pris fin à sa troisième échéance, aurait pu comporter des actions de formation s'il s'était poursuivi jusqu'à la fin de la cinquième année et que, au moment du renouvellement qui a été soumis à l'agrément de la DDTEFP, aucune obligation de formation n'avait été imposée à l'employeur. Mais, pour la Cour de cassation, l'irrégularité de la convention liant l'Etat et l'employeur (au regard de la prévision d'un dispositif d'orientation ou de formation professionnelle) et celle qui résulterait de l'agrément donné par l'administration pour son renouvellement en dépit d'une carence relative à une telle obligation, suscitaient une difficulté sérieuse qui échappait à la compétence de la juridiction judiciaire.

  • CAE

La demande de convention du CAE doit être déposée préalablement à l'embauche du bénéficiaire (C. trav., art. R. 322-16 et R. 322-16-2). L'employeur doit adresser une demande de convention à l'ANPE préalablement à l'embauche. Aucun CAE ne peut être conclu avant la signature de cette convention, qui doit être signée préalablement ou concomitamment à l'embauche. De même, le renouvellement du contrat est subordonné à la signature d'un avenant à la convention afin de prolonger la durée initiale (circ. Acoss n° 2006-090, préc.).


(1) G. Gorce, F. Lefebvre, L'évaluation des politiques de l'emploi, AN n° 745, 26 mars 2008.
(2) Nombreuses références. V., notamment, P.-Y. Verkindt, Transformations du droit des contrats de travail aidés et permanence des solutions jurisprudentielles, RDSS 2006 p. 615 ; Conseil d'Etat, Sécurité juridique et complexité du droit, 2006, La Documentation Française 2006 ; S. Dassault, Quelle efficacité des contrats aidés de la politique de l'emploi ?, n° 255, Sénat, session ordinaire de 2006-2007, fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur l'enquête de la Cour des comptes portant sur les contrats aidés ; nos obs., Contrats aidés : un bilan critique dressé par la Cour des comptes et le Sénat, Lexbase Hebdo n° 257 du 26 avril 2007 édition sociale (N° Lexbase : N9023BAG) ; Cour des comptes, L'efficacité et la gestion de la prime pour l'emploi, février 2006 ; Cour des comptes, Les dispositifs d'évaluation des aides à l'emploi de l'Etat, 2004.
(3) P.-Y. Verkindt, Le contrat d'accompagnement dans l'emploi, Dr. soc. 2005, p. 440. Selon le Conseil économique et social, le remplacement des CES et CEC par un contrat d'accompagnement dans l'emploi devrait permettre davantage de souplesse, tant dans la détermination de la durée hebdomadaire de travail que dans la durée totale des contrats avec, à la clé, une meilleure adaptation à la situation des personnes (Conseil économique et social, 2004, Avis présenté par J. Bastide, D. Bourdeaux, H. Brin et C. Larose).
(4) CA Nancy, 22 mai 2001, RJS, 11/2001, n° 1389 ; Cass. soc., 29 janvier 2002, n° 99-45.614, M. René Allesant c/ Département de l'Essonne Mission à Chamarande, F-D (N° Lexbase : A8560AXC), TPS, juillet 2002, chron. n° 11, p. 11-12, nos obs..
(5) T. confl. 25 mars 1996, M. Berkani c/ CROU de Lyon-Saint-Etienne, Dr. soc., 1996. 735, obs. X. Prétot, RFDA 1996. 819, concl. P. Martin, Dr. adm. 1996, n° 319, obs. J.-H. Stalh et D. Chauvaux, AJDA 1996, p. 355.
(6) M. Keller, Les agents contractuels de l'Administration : retour à la case départ, Dr. soc. 1999, 143.
(7) Ph. Enclos et V. Cattoir-Joinville, Le contentieux juridictionnel des contrats de travail aidés dans le secteur non marchand, Rapport au Commissariat général du plan, janvier 2001 ; P. Enclos et alii, Rapport définitif, Groupe approche juridique, Aspects de droit public et privé, Instance d'évaluation des mesures d'aide aux emplois du secteur non-marchand, Université Lille II, janvier 2001 ; P. Boutelet, La jurisprudence Berkani fait-elle obstacle à l'emploi d'un contrat emploi-solidarité dans les services administratifs ?, AJFP, 1997, p. 53 ; M. Canedo, Le mandat administratif au service de la requalification des contrats emploi-solidarité, RD publ., 2001, n° 5, p. 1513 ; A. de Senga, Contrats emploi-solidarité : quel juge pour quelle loi ?, Dr. ouvrier, 1999, 357 ; F. Duquesne, Le contentieux des contrats aidés, Dr. soc., 1999, p. 134 ; H. Pielberg, Les conséquences de l'application de la récente jurisprudence du tribunal des conflits aux contrats emploi-solidarité, Gaz. Pal., 28 août 1997, n° 239, p. 10 ; P.-Y. Verkindt, Transformations du droit des contrats de travail aidés et permanence des solutions jurisprudentielles, RDSS, 2006, p. 615, préc..
(8) CA Paris, 23 juin 1994, D., 1995, somm. 372, obs. Debord ; TA Versailles, 29 mai 1996, RJS, 1996, 620, n° 967 ; Cass. soc., 9 décembre 1998, n° 96-45.559, Université René Descartes c/ M. Christian Birnbaum, inédit au bulletin (N° Lexbase : A5862CQ8), Dr. soc., 1999, p. 145, obs. M. Keller ; Cass. soc., 16 mars 1999, n° 97-40.271, Société France Télécom c/ Mme Lancelot et autre (N° Lexbase : A4802AGX), Bull. civ. V, n° 113, Dr. soc., 1999, p. 560, obs. C. Roy-Loustaunau ; T. confl., 7 juin 1999, n° 03152, Préfet de l'Essonne (N° Lexbase : A5506BQY), Bull. civ., n° 14, Dr. soc., 1999, p. 766, concl. J. Arrighi de Casanova ; T. confl. 15 novembre 1999 ; T. confl., 3 juillet 2000, n° 3186, Moreira (N° Lexbase : A7219AHT), TPS, 2000, chron. n° 22, nos obs. ; Cass. soc., 4 janvier 2000, n° 97-43.750, Société France Telecom, société anonyme c/ Mme Carole Robert, inédit au bulletin (N° Lexbase : A1914CMT), TPS, 2001, chron. n° 17, nos obs. ; CA Nancy, 10 janvier 2000 ; Cass. soc., 28 juin 2000, n° 98-41.963, M. Patrick Stelz c/ Lycée René Char, inédit au bulletin (N° Lexbase : A6861C4U), TPS, décembre 2000, chron. n° 22, p. 3, nos obs. ; Cass. soc., 10 mai 2001, n° 98-44.602, M. Jean-Pierre Muzy c/ Centre hospitalier de Paray le Monial (N° Lexbase : A4189ATC), TPS, décembre 2001, chron. n° 26, nos obs. ; T. confl., 19 janvier 2004, n° 3373, Mlle Kheira (N° Lexbase : A3776DBH) ; T. confl., 23 février 2004, n° 3388.
(9) D. Berra, Le contrat de travail emploi consolidé : le juge prud'homal est compétent pour trancher le litige relatif à la rupture, Bull. Aix, 1998-I, p. 202 ; T. confl., 13 mars 2000, n° 3159, M. Quesada c/ Commune de Salon-de-Provence (N° Lexbase : A7203AHA), Bull. civ., mars 2000. 11, JCP éd. A, 2000, p. 541 ; T. confl., 15 novembre 2004, n° 3422, Mme Lupori c/ Groupement d'intérêt public "Insertion 5" (N° Lexbase : A1586DQS) ; T. confl., 26 avril 2004, n° 3377, M. Bellanger c/ Commune d'Hardricourt (N° Lexbase : A1566DQ3); T. confl., 1er juillet 2002, n° 3302, Mme Reynier c/ Lycée Nicephore Niepce de Chalon-sur-Saône (N° Lexbase : A5630DQL). La jurisprudence, là encore, est constante (v., notamment, CA Aix-en-Provence, 24 février 1998 et C. Roy-Loustaunau, Compétence en matière de "contrat aidé" : le cas du contrat emploi consolidé, RJS, 11/1998, chron. p. 803 ; T. confl., 20 octobre 1997, n° 03086, Préfet du Finistère N° Lexbase : A5645BQ7, Bull. civ. V, n° 15, RJS 3/1998, n° 348).
(10) T. confl., 7 juin 1999, n° 03152, Préfet de l'Essonne (N° Lexbase : A5506BQY) et Cass. soc., 8 juillet 1999, n° 97-15.903, Association sportive des PTT du pays de Lorient c/ URSSAF du Morbihan (N° Lexbase : A8133AGC), RJS, 1999, n° 1120.

Décision
Cass. soc., 27 mars 2008, n° 06-45.929, Mme Claudine Lyoret, épouse Baudry, FS-P+B (N° Lexbase : A6061D7M)

Cassation (CA Montpellier, 22 février 2006)

Textes visés : C. trav., art. L. 322-4-8-1 (N° Lexbase : L6147ACN) ; décret n° 98-1109 du 9 décembre 1998, relatif aux contrats emploi consolidé, art. 5 (N° Lexbase : L1355AIZ) ; loi des 13-24 août 1790

Mots-clefs : contrat emploi consolidé ; convention employeur-Etat ; appréciation ; compétence juridictionnelle ; compétence juge judiciaire (non).

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Baux commerciaux

[Textes] La déclaration de cession d'un fonds de commerce, fonds artisanal ou bail commercial soumise au droit de préemption

Réf. : Arrêté du 29 février 2008, relatif à la déclaration préalable à la cession de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux et modifiant le Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8563H3K) et formulaire cerfa n° 13644*01

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N7619BEW

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

En vue de permettre aux commerces de première nécessité et de proximité de se maintenir en milieu rural et dans certains quartiers des grandes villes, le législateur a reconnu aux communes un droit de préemption, en cas de cession de fonds de commerce ou artisanal ou de bail commercial (loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises, art. 58 N° Lexbase : L7582HEK). Ces nouvelles dispositions n'étaient, toutefois, pas applicables, tant qu'un décret, pris en Conseil d'Etat, n'en avait pas précisé les conditions d'application (C. urb., art. L. 214-3 N° Lexbase : L5589HBM). Le décret d'application a été publié le 28 décembre 2007 (décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007, relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux, NOR : DEVU0768059D N° Lexbase : L6840H3Q et lire nos obs. Publication du décret relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (première partie), Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N8659BD3 et Publication du décret relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 291 du 7 février 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N0345BEI), soit plus de deux ans après la création de ce droit. L'entrée en vigueur du nouveau droit de préemption ne semblait, toutefois, toujours pas effective, l'article R. 214-4 du Code de l'urbanisme prévoyant que la déclaration préalable à la cession, prévue à l'article L. 214-1 du même code (N° Lexbase : L5587HBK), devait être effectuée dans les formes prévue par arrêté interministériel. C'est l'objet de l'arrêté du 29 février 2008 relatif à la déclaration préalable à la cession de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux et modifiant le Code de l'urbanisme par la création d'un nouvel article A. 214-1.

Ce texte dispose que "la déclaration préalable prévue par les articles L. 214-1 et R. 214-4 doit être établie conformément au formulaire enregistré par la direction générale de la modernisation de l'Etat, sous le numéro Cerfa 13644*01 et disponible sur le site internet du ministère de l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durables : http://www.developpement-durable.gouv.fr". Ce formulaire, objet de la présente analyse, a récemment été mis en ligne.

Il doit être rappelé, au préalable, que si l'arrêté du 29 février 2008 parachève le nouveau dispositif, il n'en reste pas moins que l'existence d'un droit de préemption est toujours subordonnée à la création par la commune d'un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat de proximité (C. urb., art. L. 214-1 N° Lexbase : L5587HBK). Il ne s'agit que d'une faculté et, à défaut de délibération en ce sens, la commune ne bénéficie d'aucun droit de préemption.

I - Objet de la cession envisagée

Le cédant doit, tout d'abord, préciser l'objet de la cession : fonds de commerce, fonds artisanal ou bail commercial, étant précisé que cette dernière rubrique aurait dû être qualifiée de cession du droit au bail "seul", la cession du fonds de commerce emportant, le plus souvent, celle du bail commercial portant sur les locaux dans lequel il est exploité (Cass. com., 26 octobre 1993, n° 91-15.877, Epoux Blondeau c/ Etablissements J. Eon combustibles et autres N° Lexbase : A5754ABQ).

II - Identité des parties à l'acte de cession

Le propriétaire du fonds ou du bail commercial doit, ensuite, préciser son identité et son adresse, ainsi que celles du bailleur.

III - Description du bien

Sous la rubrique "description du bien", plusieurs informations sont requises :

  • l'adresse "du bien", à savoir du local où est exploité le fonds ou sur lequel porte le bail commercial ;
  • l'activité exercée ;
  • le caractère purement commercial ou artisanal ou la présence d'un local accessoire à usage d'habitation, ainsi que l'existence éventuelle de locaux annexes (entrepôts, ateliers, etc.).

En outre, le chiffre d'affaires réalisé au cours des trois dernières années peut, également, être précisé, cette mention n'étant, toutefois, que facultative. En l'absence de cette dernière information, il sera difficile pour la commune d'apprécier la juste valeur du prix auquel la cession est envisagée, étant rappelé (C. urb., art. R. 214-5) que la commune est tenue, si elle décide d'exercer son droit de préemption, soit d'acquérir au prix et conditions indiqués dans la déclaration préalable, soit d'acquérir aux prix et conditions fixés par l'autorité judiciaire saisie dans les conditions prévues à l'article R. 214-6 du Code de l'urbanisme.

Cette carence dans l'exigence des informations à porter à la connaissance de la commune, qui lui permettraient de mieux apprécier le prix de cession, se retrouve, également, en matière de cession du droit au bail seul, puisque pour ce dernier, mais il s'agit ici d'une obligation, seuls la date et le montant du loyer doivent être portés sur le formulaire de déclaration préalable. Or, la valeur du droit au bail repose sur de nombreux autres critères contractuels (répartition des charges entre bailleur et preneur, durée du bail, destination contractuelle, etc.).

IV - Modalité de la cession

1. Le droit de préemption de la commune porte sur les "cessions" (C. urb., art. L. 214-1) ou sur les "aliénations à titre onéreux" (C. urb., art. L. 214-3) de fonds artisanaux, de fonds de commerce ou de baux commerciaux, ce qui recouvre, a priori, tant les cessions amiables que forcées.

L'article R. 214-7 du Code de l'urbanisme régit de manière spécifique le droit de préemption en cas de cessions par voie d'adjudication. Dans cette hypothèse, la déclaration préalable doit être effectuée, selon la situation, par le commissaire-priseur, le greffier de la juridiction ou par le notaire, au moins trente jours avant la date fixée pour la vente. Surtout, la commune ne dispose, dans ce cas, que d'un délai de trente jours, et non de deux mois, pour notifier sa décision de se substituer à l'adjudicataire (C. urb., art. L. 214-1, al. 3, et art. R. 214-5).

Compte tenu de ces spécificités, notamment de ce délai plus court, la commune doit être informée de la nature de la cession, amiable ou par voie d'adjudication. Le formulaire de déclaration préalable impose, en conséquence, de préciser si la cession a lieu sous l'une ou l'autre de ces formes, ainsi que la date et les modalités de la vente.

2. Le "prix de vente" ou son "évaluation" doit, également, être porté sur le formulaire. Cette information est primordiale car, comme cela a déjà été indiqué, il liera a priori la commune qui, si elle est en désaccord avec ce montant, pourra, néanmoins, faire fixer judiciairement le prix (C. urb., art. R. 214-5).

3. La déclaration préalable doit, également, mentionner les modalités de paiement : "comptant à la signature de l'acte authentique" ou "à terme", qu'il sera nécessaire, dans ce dernier cas, de préciser.

Il est curieux de n'avoir envisagé la signature du contrat définitif que sous la forme d'un acte authentique.

Un paiement en nature est, également, envisagé, qui devrait s'analyser juridiquement en une dation en paiement. Dans ce cas, il faut préciser la contrepartie de l'aliénation et son évaluation.

L'hypothèse d'un "échange", "apport en société" (analysé par la jurisprudence comme une cession : Cass. civ. 3, 8 juillet 1992, n° 90-16.758, SARL Suffren Fleurs c/ SCI 4, rue Desaix à Paris 15e N° Lexbase : A8883AHH, à propos de l'apport d'un droit au bail) ou toute autre modalité de cession autre qu'une vente est, également, envisagée.

V - Création d'un droit de délaissement ?

Le déclarant doit, également, choisir entre l'une des deux options suivantes :

  • demander au titulaire du droit de préemption d'acquérir le fonds ou le bail ;
  • ou porter seulement à la connaissance de la commune le fait qu'il a "recherché et trouvé" un acquéreur disposé à acheter ce fonds ou bail.

Comme l'a relevé un commentateur de l'arrêté rapporté (D. Dutrieux, Droit de préemption communal sur les fonds de commerce, fonds artisanaux et baux commerciaux, publication du formulaire de déclaration préalable, JCP éd. N, 1er février 2008, actu. n° 370, p. 18-19), cet arrêté reconnaît, implicitement, au cédant potentiel un droit de délaissement qui peut être défini comme "la possibilité donnée au propriétaire d'un bien exposé à un droit de préemption [...] de mettre l'administration en demeure de l'acquérir" (Droit de l'urbanisme et de la construction, J.-B. Auby, H. Périnet-Marquet, 7ème éd., n° 655).

Or, ni la loi instituant le droit de préemption des communes sur les cessions de fonds ou de bail, ni son décret d'application ne semblent reconnaître une telle faculté au cédant.

VI - Mention du mandataire

La déclaration préalable peut être effectuée par un mandataire, qui devra mentionner son identité et ses coordonnées.

Il peut, également, être prévu que la notification par l'administration de son droit de préemption s'effectuera soit à l'adresse du propriétaire du fonds ou du titulaire du bail, soit à l'adresse de son mandataire signataire de la déclaration.

Il est, en outre, indiqué dans le formulaire que "toutes les décisions relatives à l'exercice du droit de préemption seront notifiées au bailleur en cas de déclaration de cession d'un bail commercial", cette obligation découlant de l'article R. 214-5 du Code de l'urbanisme. Le bailleur devra, ultérieurement et avant toute rétrocession, donner son accord (C. urb., art. L. 214-2 N° Lexbase : L5588HBL).

newsid:317619

Responsabilité

[Jurisprudence] Etendue de la responsabilité de plein droit du garagiste réparateur

Réf. : Cass. civ. 1, 28 mars 2008, n° 06-18.350, Société Bordelaise d'automobiles, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6020D74)

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N7480BER

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

Prenant directement appui sur les articles 1137 (N° Lexbase : L1237ABG) et 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) du Code civil, la distinction des obligations de moyens et des obligations de résultat, d'origine doctrinale, est, depuis de nombreuses années déjà, classiquement appliquée par la jurisprudence. Les conséquences qui y sont attachées sont considérables sur le terrain de la responsabilité contractuelle : alors, en effet, que la mise en oeuvre de la responsabilité du débiteur tenu d'une obligation de moyens suppose que le créancier prouve qu'il ne s'est pas comporté en bon père de famille et, donc, qu'il a commis une faute dans l'exécution de ses obligations, la seule inexécution contractuelle suffit à engager sa responsabilité lorsqu'il est, plus sévèrement, tenu d'une obligation de résultat, responsabilité dont il ne peut alors s'exonérer que par la preuve d'une cause étrangère. La distinction, apparemment assez simple, se révèle concrètement plus complexe qu'il n'y parait, et ce pour au moins deux séries de raisons. D'abord, les critères de la distinction laissent parfois place à des solutions incertaines et fluctuantes : les hésitations de la jurisprudence s'agissant, par exemple, de la détermination de l'obligation pesant sur les exploitants de remonte-pente qui, finalement, a décidé, dans son dernier état, qu'elle était de résultat pendant le trajet, de moyens lors de l'embarquement et du débarquement (1), illustrent assez bien les difficultés suscitées par l'application de la distinction (2). Il faut, ensuite, remarquer qu'à la netteté théoriquement bien affirmée de la distinction correspond une réalité parfois plus contrastée, la pratique révélant l'existence de catégories intermédiaires entre obligations de moyens et obligations de résultat (obligations de moyens renforcées, obligations de résultat atténuées, obligations de résultat aggravées, voire obligations de garantie...). Ce à quoi s'ajoute, plus classiquement, la détermination de la mission contractuelle du débiteur afin de savoir dans quelle mesure et à quelle condition tel ou tel prétendu manquement peut ou non lui être imputé. Un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 28 mars dernier, à paraître au Bulletin, et en ligne sur le site de la Cour, justifie de revenir sur cette question.

En l'espèce, peu après avoir été réparé, le véhicule de M. X était tombé en panne. Celui-ci avait alors assigné en responsabilité le garagiste. Pour accueillir cette demande, les juges du fond avaient considéré que, tenu d'une obligation de résultat, laquelle emporte à la fois présomption de faute et de causalité entre la faute et le dommage, le garagiste ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité qu'en rapportant la preuve qu'il n'avait commis aucune faute, ce qu'il n'était pas parvenu à faire. Cette décision est cependant cassée, sous le visa des articles 1147 et 1315 (N° Lexbase : L1426ABG) du Code civil : la Cour de cassation décide, en effet, "qu'en statuant ainsi quand la responsabilité de plein droit qui pèse sur le garagiste réparateur ne s'étend qu'aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat, il appartenait [au client] de rapporter la preuve que la rupture de la turbine à l'origine de la panne était due à une défectuosité déjà existante au jour de l'intervention du garagiste ou était reliée à celle-ci, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés".

La solution est incontestable. Sans doute faut-il rappeler que les garagistes sont tenus d'une obligation de résultat atténuée emportant à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage, à charge pour le débiteur de démontrer, pour se libérer, qu'il n'a pas commis de faute (3). Mais encore faut-il relever que l'appréciation de la bonne ou de la mauvaise exécution de ces obligations ne peut se faire qu'en tenant compte des spécifications contractuelles et, plus précisément, de la mission confiée au débiteur. Il est évident, en effet, qu'on ne saurait engager la responsabilité du débiteur s'il s'avérait que, en réalité, le dommage ne trouve pas sa cause dans son intervention. Dans son principe, cette solution, que confirme l'arrêt du 28 mars dernier, avait déjà été affirmée par la Haute juridiction : la responsabilité de plein droit qui pèse sur le garagiste réparateur ne s'étend qu'aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat (4), si bien qu'il incombe logiquement au client de démontrer que le dommage subi par son véhicule trouve son origine dans la prestation fournie par le garagiste (5). La solution pourrait être comparée avec celle retenue au sujet des centres de contrôles techniques automobiles, la Cour de cassation, par un arrêt de sa première chambre civile du 19 octobre 2004, ayant en effet affirmé que "la mission d'un centre de contrôle technique se bornant, en l'état de l'arrêté du 18 juin 1991 (N° Lexbase : L3716GU8), à la vérification, sans démontage, d'un certain nombre de points limitativement énumérés par ce texte, sa responsabilité ne peut être engagée en dehors de cette mission ainsi restreinte, qu'en cas de négligence susceptible de mettre en cause la sécurité du véhicule" (6).


(1) Cass. civ. 1, 10 mars 1998, n° 96-12.141, Société Allianz via assurances et autre c/ Mlle Lauthe et autre (N° Lexbase : A2207ACQ), D., 1998, p. 505, note Mouly.
(2) Voir encore, assez ironiques, les observations de Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck qui relèvent, du point de vue de la responsabilité, qu'"il est assez cocasse d'opposer les promenades à dos d'âne et à cheval", Droit civil, Les obligations, 3ème éd., n° 948, p. 507.
(3) Cass. civ. 1, 2 février 1994, n° 91-18.764, M. Mozat c/ Société Auto d'Artagnan (N° Lexbase : A5979AHW), Bull. civ. I, n° 41 ; Cass. civ. 1, 20 juin 1995, n° 93-16.381, Société Cetifa Boutonnet et fils c/ M. Locatelli (N° Lexbase : A7861ABR), Bull. civ. I, n° 263 ; Cass. civ. 1, 21 octobre 1997, n° 95-16.717, M. Léger c/ Centre Transport Europe Orient et autre (N° Lexbase : A0565ACW), Bull. civ. I, n° 279 ; Cass. civ. 1, 8 décembre 1999, n° 97-19044, Mlle Beautrait c/ Société Diratz (N° Lexbase : A5002CHQ), Bull. civ. I, n° 344.
(4) Cass. com., 22 janvier 2002, n° 00-13.510, GIE Association technique internationale de compagnies d'assurances maritimes et transports ATICAM c/ Société Carrier, F-D (N° Lexbase : A8394AX8), RCA, 2002, n° 175, RTDCiv., 2002, p. 514, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 30 novembre 2004, n° 01-13.632, M. Robert Legoy c/ Société Trabisco, F-P+B (N° Lexbase : A1148DEA).
(5) Cass. civ. 1, 14 décembre 2004, n° 02-10.179, M. Robert Thouseau c/ Société Vitry automobile, F-P+B (N° Lexbase : A4617DEQ), Bull. civ. I, n° 322 ; voir déjà, en ce sens, Cass. civ. 1, 14 mars 1995, n° 93-12.028, Mutuelle du Mans et autre c/ Société Citroën et autre (N° Lexbase : A4943AC3), Bull. civ. I, n° 122, RTDCiv., 1995, p. 635, obs. P. Jourdain.
(6) Cass. civ. 1, 19 octobre 2004, n° 01-13.956, Mme Nicole Giraud Sauveur c/ M. Patrick Ropartz, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6376DDI), et nos obs., La responsabilité contractuelle des centres de contrôle technique automobile, Lexbase Hebdo n° 142 du 11 novembre 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N3428ABL).

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Nouvelle illustration de la distinction des contentieux préélectoral et post-électoral

Réf. : Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-60.317, M. Pascal Paredes et a. c/ Société TFE Midi Pyrénées, FS-P+B (N° Lexbase : A7752D7A)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Opérant une nette distinction entre les contentieux préélectoral et post-électoral, la Cour de cassation considère, depuis plusieurs années, que la décision du tribunal d'instance ayant statué, avant les élections, sur des contestations pouvant être portées a posteriori devant le juge de la régularité des opérations électorales, n'est pas susceptible de pourvoi en cassation. Tirant les conséquences de la règle qu'elle a elle-même posée, la Chambre sociale a plus récemment affirmé que, lorsque le juge est saisi après les élections d'une question déjà tranchée avant celles-ci, il doit, de nouveau, l'examiner sans pouvoir faire état de l'autorité de la chose jugée. On ne sera, dès lors, pas surpris que la Cour de cassation vienne décider, dans l'arrêt rapporté, que "l'instance tendant à l'annulation des opérations électorales, une fois celles-ci intervenues, n'a pas le même objet que celle visant à vider préventivement le litige relatif au calcul de l'effectif à prendre en compte". Outre qu'elle était prévisible, cette solution est parfaitement justifiée, alors même qu'était en cause, en l'espèce, la désignation de la délégation du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Résumé


L'instance tendant à l'annulation des opérations électorales, une fois celles-ci intervenues, n'a pas le même objet que celle visant à vider préventivement le litige relatif au calcul de l'effectif à prendre en compte.

Commentaire


I Une solution prévisible


  • La distinction des contentieux préélectoral et post-électoral

Qu'il s'agisse de l'élection des délégués du personnel (C. trav., art. L. 423-15 N° Lexbase : L6375AC4 ; L. 2314-25, recod. N° Lexbase : L0676HXC) ou de celle représentants des salariés au comité d'entreprise (C. trav., art. L. 433-11 N° Lexbase : L6428AC3 ; L. 2324-23, recod. N° Lexbase : L0813HXE), le Code du travail distingue les contestations relatives à l'électorat et les contestations relatives à la régularité des opérations électorales. Les textes réglementaires reprennent cette distinction pour fixer les délais de saisine du tribunal d'instance, compétent en la matière (1).


Si ces dispositions conduisent à différencier un contentieux préélectoral et un contentieux post-électoral, au regard des délais pour agir, la Cour de cassation fait, en outre, produire d'importantes conséquences à cette distinction en matière de recevabilité des voies de recours contre la décision du tribunal d'instance.


Ainsi que l'indiquent les textes légaux précités, le tribunal d'instance statue en dernier ressort. Il en résulte que ses décisions ne sont susceptibles ni d'appel, ni de tierce opposition et que le seul recours possible est le pourvoi en cassation. Toutefois, depuis 2002, il est de jurisprudence constante que la décision du tribunal d'instance statuant, avant les élections, sur des contestations pouvant être portées, après les élections, devant le juge de la régularité de l'élection, n'est pas susceptible de pourvoi en cassation (2).


Pour la Cour de cassation, le pourvoi dirigé contre une décision du tribunal d'instance ayant statué, avant les élections, sur une question préélectorale, est donc irrecevable.


  • Conséquences sur le rôle du juge d'instance

A la suite de la décision précitée de 2002, on pouvait s'interroger sur le fait de savoir si, postérieurement aux élections, le juge d'instance pouvait être saisi d'une question déjà tranchée avant celle-ci. Il s'agissait, plus précisément, de savoir si l'autorité de la chose jugée attachée au jugement ayant statué sur le contentieux préélectoral ne s'opposait pas à une telle demande.


Cette question a été tranchée par la Cour de cassation dans un important arrêt rendu le 27 octobre 2004, dans lequel il est affirmé que "la décision prise en matière de contentieux préélectoral n'a pas autorité de chose jugée dans le litige tendant à l'annulation des élections professionnelles, de sorte qu'il est de l'office du juge du fond d'examiner tous les éléments de fait et de droit qui lui sont soumis" (4).


Rendu, notamment, au visa de l'article 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP), cette solution est parfaitement justifiée. En effet, cette dernière disposition enferme l'autorité d'une décision dans une triple identité. Dès l'instant qu'une prétention est nouvelle par sa cause, son objet ou la qualité des parties, elle peut être soumise au juge sans se heurter à l'obstacle de la chose jugée. Or, il est évident qu'une demande tendant à obtenir l'annulation des élections n'a pas le même objet qu'une prétention relative à un contentieux préélectoral.


II Une solution justifiée


  • Le particularisme de la désignation de la délégation du personnel au CHSCT

Pour être classiquement classé parmi les institutions représentatives du personnel élues, le CHSCT présente, quant à sa mise en place, des particularités qui le distinguent des délégués du personnel et du comité d'entreprise. Celles-ci tiennent essentiellement au fait que, conformément aux prescriptions de l'article L. 236-5 du Code du travail (N° Lexbase : L8445HN4, L. 4613-1, recod. N° Lexbase : L1897HXK), les représentants du personnel au CHSCT sont désignés par un collège formé par des membres élus du comité d'entreprise ou d'établissement et des délégués du personnel.


Si, aux termes de la loi, la délégation du personnel au CHSCT fait l'objet d'une "désignation", il n'en demeure pas moins que celle-ci est le fruit d'un processus électoral (5). A ce titre, l'article L. 236-5, alinéa 4, dispose que "les contestations relatives à la délégation des représentants du personnel au comité sont de la compétence du tribunal d'instance qui statue en dernier ressort [...]" (6).


Il convient de remarquer que, à la différence des textes relatifs à l'élection des délégués du personnel ou à celle des représentants des salariés au comité d'entreprise, cette disposition ne fait aucune distinction entre les contentieux préélectoral et post-électoral. Est-ce pour autant à dire que la jurisprudence décrite ci-dessus n'est pas applicable en matière de "désignation" de la délégation du personnel au CHSCT ? La décision rapportée démontre qu'il n'en est rien.


  • Un particularisme neutralisé en matière de contentieux électoral

En l'espèce, un litige était survenu, au sein d'une société, relativement à la détermination des effectifs en vue de l'élection des membres du CHSCT. Des salariés et un syndicat avaient, alors, saisi le tribunal d'instance compétent qui les avait déboutés de leurs demandes par jugement du 22 janvier 2007. Postérieurement aux élections, le syndicat et les salariés avaient, de nouveau, saisi le tribunal d'une demande tendant à leur annulation pour calcul erroné de l'effectif et absence de prise en compte de salariés mis à disposition. Pour les débouter à nouveau, les juges du fond avaient retenu que le précédent jugement du 22 janvier étant définitif et revêtu de l'autorité de la chose jugée, il ne pouvait être remis en cause.


Ce jugement est cassé par la Chambre sociale qui affirme "qu'en statuant ainsi, alors que l'instance tendant à l'annulation des opérations électorales, une fois celles-ci intervenues, n'a pas le même objet que celle visant à vider préventivement le litige relatif au calcul de l'effectif à prendre en compte, le tribunal d'instance, auquel il appartenant d'examiner les éléments de fait et de droit qui lui étaient soumis, a violé les textes susvisés".


Rendue au visa des articles L. 236-5 du Code du travail (L. 4613-1, recod.) et 1351 du Code civil, cette décision doit être approuvée. A l'évidence, elle se situe dans le droit fil des solutions précédemment retenues par la Cour de cassation, telles que rappelées ci-dessus (7). Sans doute, ces dernières ne concernaient-elles que le contentieux des élections des délégués du personnel et des représentants des salariés au comité d'entreprise. Cela étant, il était difficile de ne pas faire application des solutions en cause à la "désignation" de la délégation du personnel au CHSCT. Ainsi que nous l'avons vu, celle-ci procède d'opérations électorales. Partant, et en acceptant de dépasser quelque peu la lettre des textes applicables en la matière, il importe, ici aussi, de distinguer contentieux préélectoral et contentieux post-électoral.


Par voie de conséquence, et conformément aux prescriptions de l'article 1351 du Code civil, une demande tendant à l'annulation des opérations électorales n'a pas le même objet que celle relative au calcul de l'effectif à prendre en compte et qui intervient avant celles-ci. Le juge doit donc l'examiner à nouveau, sans pouvoir opposer aux parties l'autorité de la chose jugée avant l'élection.


Il y a tout lieu de penser que l'action aura peu de chances d'aboutir dans la mesure où il paraît difficilement concevable que le tribunal d'instance admette après les élections ce qu'il a rejeté avant. Il convient, toutefois, de souligner que les demandeurs peuvent parfaitement faire état de nouveaux éléments de droit et/ou de fait. A dire vrai cela importe peu car, quand bien même seraient-ils exactement identiques, le tribunal se doit de les examiner à nouveau.


Sans doute, dans cette dernière hypothèse, les juges adopteront-ils la même position qu'avant les opérations électorales. Mais, il importe de rappeler que ce jugement, à la différence du premier, pourra faire l'objet d'un pourvoi en cassation.



(1) Selon les articles R. 423-3 (N° Lexbase : L0331ADM, R. 2314-28, recod.) et R. 433-4 (N° Lexbase : L0354ADH, R. 2324-24, recod.) du Code du travail, le recours n'est recevable que s'il est introduit :
- en cas de contestation sur l'électorat, dans les trois jours qui suivent la publication de la liste électorale ;
- en cas de contestation sur la régularité des opérations électorales, dans les quinze jours qui suivent l'élection.
(2) Cass. soc., 7 mai 2002, n° 01-60.040, M. Olivier Fesquet c/ Entreprise Electricité de France (EDF), FS-P+B+R (N° Lexbase : A6147AYC), Dr. soc., 2002, p. 625, avec l'avis de l'avocat général P. Lyon-Caen. Solution, depuis, confirmée à de multiples reprises. V., notamment, Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 01-60.644, M. Jean-Pierre Irla c/ Société Bestel, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7669A4S) et les obs. de S. Martin-Cuenot Les voies de recours en matière d'élections professionnelles, Lexbase Hebdo n° 58 du 13 février 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5954AAR) ; Cass. soc., 25 novembre 2003, n° 02-60.805, Société Adecco Travail Temporaire c/ M. Thierry Nativel-Fontaine, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2104DA8).
(3) Sur les raisons d'une telle position, v. nos obs. Les voies de recours en matière d'élections professionnelles à nouveau sur le devant de la scène, Lexbase Hebdo n° 98 du 11 décembre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9689AA4).
(4) Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 03-60.429, Syndicat CGT TFI c/ Société Télévision française (dite TF1), FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6596DDN). Lire, nos obs., Contentieux des élections professionnelles : la boucle est définitivement bouclée, Lexbase Hebdo n° 142 du 11 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3425ABH).
(5) Pour plus de précisions sur cette élection au deuxième degré, qui n'est pratiquement pas réglementée par les textes, v., notamment, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 627.
(6) Remarquons que l'article L. 4613-3 nouveau  dispose que "les contestations relatives à la délégation des représentants du personnel au comité sont de la compétence du juge judiciaire ". Dans la mesure où il s'agit d'une codification à droit constant, cela ne changera évidemment rien au fait que le tribunal d'instance est compétent et qu'il statue en dernier ressort.
(7) Et spécialement de la décision rendue le 27 octobre 2004 (Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 03-60.429, préc.). Sans doute, la Cour de cassation n'évoque-t-elle pas, dans l'arrêt sous examen, "la décision prise en matière de contentieux préélectoral". En se référant à l'instance "visant à vider préventivement le litige [...]", elle invite, cependant, à distinguer les instances ou décisions intervenant avant les élections et celles intervenant après.
(8) Cela étant admis, il est difficile de contester que le calcul des effectifs relève du contentieux préélectoral.
(9) Sans doute certains juges du fond seront-ils tentés de ne pas reprendre en la matière les solutions retenues à propos des élections des délégués du personnel et des représentants des salariés au comité d'entreprise. S'il en va ainsi, il ne fait aucun doute que leur jugement sera censuré par la Cour de cassation.

Décision

Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-60.317, M. Pascal Paredes et a. c/ Société TFE Midi Pyrénées, FS-P+B (N° Lexbase : A7752D7A)


Cassation de TI Toulouse (contentieux des élections professionnelles), 21 mai 2007


Textes visés : C. trav., art. L. 236-5 (N° Lexbase : L8445HN4, L. 4613-1, recod. N° Lexbase : L1897HXK) ; C. civ., art. 1351 (N° Lexbase : L1460ABP)


Mots-clefs : CHSCT ; élection de la délégation du personnel ; contentieux ; rôle du juge ; pourvoi en cassation


Liens base :

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Effectif et électorat des salariés mis à disposition : principe et conditions

Réf. : Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-60.287, Syndicat CGT Hispano Suiza, FS-P+B (N° Lexbase : A7751D79) ; Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-60.283, Société Théâtre des Salins, FS-P+B (N° Lexbase : A7750D78)

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N7621BEY

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

D'une mise à disposition naît une relation triangulaire, génératrice de difficultés. Quels sont les droits du salarié ? Dans quelle entreprise doit-il être intégré ? Le régime applicable à ce type de salarié n'est que partiel et, même là où le législateur est intervenu, il reste des vides que la jurisprudence s'évertue à combler. Un salarié mis à disposition doit-il être décompté de l'effectif de l'entreprise utilisatrice et, si oui, à quelles conditions ? Peut-il y être électeur ? Ce sont à ces questions que devait répondre la Cour de cassation dans trois décisions du 1er avril 2008, dont deux sont l'objet de ce commentaire. La Haute juridiction trouve, ici, l'occasion, tout à la fois, de rappeler le principe qui veut que le salarié intégré dans la communauté de travail doit être décompté et de le compléter en imposant que cette intégration soit étroite et durable. Elle reconnaît, par ailleurs, au salarié décompté selon ces critères, la qualité d'électeur dans l'entreprise utilisatrice sous réserve qu'il remplisse les conditions d'électorat et qu'il ne soit pas mis à disposition par une entreprise de travail temporaire, auquel cas il n'est électeur que dans cette dernière. Ces solutions doivent être approuvées même si l'on doit regretter le flou entourant les termes employés.

Résumé

Pourvoi n° 07-60.283. Les travailleurs mis à disposition sont inclus dans le calcul des effectifs de l'entreprise en application de l'article L. 620-10 du Code du travail (N° Lexbase : L3112HI4, art. L. 1111-2, recod. N° Lexbase : L9682HWI) dès lors qu'ils sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail, même s'il s'agit de fonctionnaires.

Pourvoi n° 07-60.287. Ils ont, en outre, la qualité d'électeur dans l'entreprise utilisatrice, s'ils remplissent les conditions prévues par les articles L. 423-7 (N° Lexbase : L6367ACS, art. L. 2314-15, recod. N° Lexbase : L0666HXX) et L. 433-4 (N° Lexbase : L6421ACS, art. L. 2324-14 N° Lexbase : L0804HX3) du Code du travail, sauf s'ils ont été mis à disposition par une entreprise de travail temporaire.

Commentaire

I - Droits du salarié mis à disposition dans l'entreprise utilisatrice

  • Décompte de l'effectif de l'entreprise

L'article L. 620-10 du Code du travail (C. trav., art. 1111-2, recod.) a trait aux modalités de décompte des effectifs. Ce texte permet d'apprécier quels salariés il convient de prendre en compte pour déterminer l'effectif de l'entreprise.

Le texte précise que cette disposition "vaut pour la mise en oeuvre des dispositions du code". Sauf disposition légale contraire, il a vocation à s'appliquer à toute disposition faisant appel à la notion d'effectif et, notamment, à celles relatives à la rémunération (on pensera, ici, à la mise en place de l'intéressement ou de la participation), la formation professionnelle ou, encore, à la mise en place des institutions représentatives du personnel.

Pour le décompte de l'effectif de l'entreprise, sont, ainsi, intégralement pris en compte, les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et les travailleurs à domicile.

Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, d'un contrat de travail intermittent, les travailleurs mis à disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure, y compris les travailleurs temporaires, sont pris en compte dans l'effectif de l'entreprise au prorata de leur temps de présence au cours des 12 mois précédents. Attention, ces salariés seront exclus du décompte de l'effectif lorsqu'ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat est suspendu.

Les salariés à temps partiel, pour leur part, quelle que soit la nature de leur contrat, sont pris en compte en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leurs contrats de travail par la durée légale ou la durée conventionnelle du travail.

Le salarié mis à disposition est donc expressément visé par ce texte et doit, en principe, être décompté dans l'effectif de l'entreprise.

Cette disposition s'applique à tout salarié mis à disposition indépendamment de son statut. Ainsi, la prise en compte de ces salariés dans l'effectif de l'entreprise dépend, non pas de la nature du contrat qu'ils ont conclu, mais du lien qu'ils ont avec l'entreprise dans laquelle ils travaillent et le fait pour le salarié d'être intégré de façon étroite et permanente à la communauté de travail. C'est ce principe que vient rappeler la Haute juridiction dans une première décision du 1er avril 2008 (pourvoi n° 07-60.283).

Elle vient, en outre, dans une décision du même jour, tout en confirmant le principe rendu dans cette première décision, faire un lien entre décompte de l'effectif et électorat (pourvoi n° 07-60.287). Le salarié mis à disposition décompté dans l'effectif de l'entreprise utilisatrice, parce qu'il est intégré de façon étroite et permanente à la communauté de travail, y est électeur, dès lors qu'il remplit les conditions inhérentes à cette qualité.

  • Qualité d'électeur dans l'entreprise utilisatrice

La qualité d'électeur ne doit, en principe, pas être confondue avec la prise en compte d'une personne dans l'effectif de l'entreprise pour la mise en place de la représentation du personnel. Une personne peut parfaitement être décomptée mais ne pas être électeur dans cette même entreprise.

La qualité d'électeur aux élections professionnelles fait l'objet de dispositions particulières et indépendantes de celles relatives à l'effectif. Pour les élections des membres du comité d'entreprise et des délégués du personnel, les conditions entourant la qualité d'électeur sont prévues respectivement par les articles L. 433-4 et L. 423-7 du Code du travail (C. trav., art. L. 2314-15 et L. 2324-14, recod.).

Dans ces deux dispositions, il est précisé que sont électeurs les salariés des deux sexes âgés de seize ans accomplis, ayant travaillé trois mois au moins dans l'entreprise et n'ayant encouru aucune des condamnations prévues par les articles L. 5 (N° Lexbase : L1879G9H) et L. 6 (N° Lexbase : L2505AAZ) du Code électoral.

Ces deux textes concernent les élections en général. Il existe des dispositions particulières aux entreprises de travail temporaire.

L'article L. 423-9 du Code du travail (N° Lexbase : L6369ACU, art. L. 2314-17, recod. N° Lexbase : L0668HXZ) fixe des règles spéciales d'électorat et d'éligibilité pour les salariés des entreprises de travail temporaire. Pour être électeur dans l'entreprise de travail temporaire, le salarié doit avoir, au moins, trois mois d'ancienneté. Cette durée est déterminée en totalisant les périodes pendant lesquelles le salarié de l'entreprise de travail temporaire a été lié à ces entreprises par des contrats de travail temporaires.

Les travailleurs mis à disposition par une entreprise de travail temporaire ne peuvent donc pas être électeurs dans l'entreprise utilisatrice.

Cette exclusion est, toutefois, limitée aux salariés mis à disposition par une entreprise de travail temporaire. Elle ne préjuge en rien du régime applicable aux salariés mis à disposition par une entreprise extérieure.

Ce sont ces deux régimes que rappelle et précise la Haute juridiction dans la seconde décision commentée (pourvoi n° 07-60.283).

  • Espèce

Elle affirme, ainsi, que les salariés intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail que constitue l'entreprise utilisatrice sont inclus dans le calcul des effectifs en application de l'article L. 620-10 du Code du travail et qu'ils sont, à ce même titre, électeurs aux élections des membres du comité d'entreprise ou d'établissement ou des délégués du personnel, dès lors qu'ils remplissent les conditions prévues par les articles L. 423-7 et L. 433-4 du Code du travail (C. trav., art. L. 2314-15 et L. 2324-14, recod.)

Ceci signifie que, pour déterminer si un salarié mis à disposition doit être décompté de l'effectif de l'entreprise, il convient de rechercher s'il est intégré de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue et que cette prise en compte dans l'effectif de l'entreprise utilisatrice lui permet de participer aux élections s'il remplit les conditions d'électorat posées par les textes.

Une exception est, toutefois, posée à ce principe pour les salariés mis à disposition par des entreprises de travail temporaires qui, bien que pris en compte dans l'effectif de l'entreprise utilisatrice, ne peuvent avoir la qualité d'électeurs dans cette dernière, certaines dispositions venant exclure cette possibilité.

Cette solution doit être approuvée.

II - Intégration des travailleurs mis à disposition dans l'entreprise utilisatrice

  • Prise en compte de tout travailleur mis à disposition par l'entreprise utilisatrice

Il faut donc, pour qu'un salarié mis à disposition d'une entreprise utilisatrice soit décompté de l'effectif de l'entreprise, qu'il soit intégré de façon permanente et étroite à la communauté de travail. Si cette affirmation est vraie pour la détermination des effectifs pour la mise en place de la représentation du personnel dans l'entreprise, elle doit, en revanche, être atténuée pour certaines autres règles limitativement énumérées.

Le législateur a réglementé le lien existant entre le salarié mis à disposition et l'entreprise de travail temporaire limitant, par là, la prise en compte du salarié dans l'entreprise utilisatrice pour la détermination de certains droits et obligations. L'article L. 620-12 du Code du travail (C. trav., art. L. 1111-2, recod.) prévoit, en effet, que les salariés mis à disposition par une entreprise de travail temporaire, un groupement d'employeurs ou une association intermédiaire ne sont pas pris en compte pour le calcul de l'effectif de l'entreprise utilisatrice pour les obligations relatives à la formation professionnelle et à la tarification des accidents du travail et maladies professionnelles qui se réfèrent à une condition d'effectif (C. trav., art. L. 620-12, art. L. 1111-2, recod.).

Cette disposition ne venant pas interdire la prise en compte des salariés mis à disposition pour la mise en place des institutions représentatives du personnel dans l'entreprise utilisatrice ; tout salarié mis à disposition doit donc, s'il est intégré de manière étroite et permanente à la communauté de travail être décompté dans l'effectif de l'entreprise utilisatrice.

Ce principe n'est aucunement limité aux seuls travailleurs salariés mis à disposition par des entreprises du secteur privé. L'article L. 620-10 du Code du travail (C. trav., art. L. 1111-2, recod.) précise, au contraire, qu'il s'applique aux "travailleurs" mis à disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure, ce qui implique que la prise en compte des personnes mises à disposition ne soit pas limitée par la nature de la relation qui lie ces travailleurs à l'entreprise mettant à disposition.

Pour cette raison, il est de principe que le fonctionnaire détaché est (à l'exclusion de certaines règles particulières concernant, notamment, l'indemnité de licenciement) soumis aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement (Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-46.695, Compagnie générale française de transports et d'entreprises (CGFTE) c/ M. Serge Gibault, FS-P N° Lexbase : A5603DMH). Il est donc décompté de l'effectif de l'entreprise dans laquelle il a été mis à disposition, s'il y est intégré.

Ce principe n'est pas nouveau, la Haute juridiction y a recours depuis quelques temps maintenant, considérant que ces salariés, dès lors qu'ils sont intégrés dans la communauté de travail, peuvent se prévaloir de la qualité de salarié pour l'expression des droits qui y sont attachés (Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 05-60.384, FS-P+B N° Lexbase : A4696DQY).

La nouveauté réside dans le recours aux notions d'"étroit" et de "permanent". Comme l'affirme la Haute juridiction dans la décision commentée (pourvoi n° 07-60.283), comme, d'ailleurs, dans deux autres décisions du même jour, l'intégration doit, en effet, être étroite et permanente (Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-60.287, FS-D N° Lexbase : A7753D7B). Que faut-il entendre par là ? A partir de quand peut-on considérer que l'intégration est permanente ? Qu'est ce qu'une intégration étroite ?

  • L'exclusion du salarié mis à disposition par une entreprise de travail temporaire de la qualité d'électeur

La même question vaut pour l'électorat qui est, désormais, automatique lorsque le salarié peut être décompté. L'impératif d'intégration du salarié dans la communauté de travail n'est pas nouveau. Depuis quelques temps maintenant, la Haute juridiction retient les mêmes notions d'intégration des salariés mis à disposition dans la communauté des travailleurs pour déterminer leur droit d'être électeurs et éligibles (Cass. soc., 23 mai 2006, n° 05-60.119, FS-P+B N° Lexbase : A1485DQ3).

La nouveauté réside dans l'automaticité de l'attribution de la qualité d'électeur au salarié décompté dans l'effectif. Faut-il la critiquer ?

Il semble que non. Les critères dégagés par la jurisprudence pour l'effectif et l'électorat étant les mêmes, une fois qu'ils ont été relevés dans un cas, il n'y a plus lieu de le faire dans l'autre.

L'indépendance entre effectif et électorat est, en outre, toujours de mise puisque le travailleur mis à disposition par une entreprise utilisatrice peut être décompté mais ne pourra pas participer aux élections, les dispositions légales l'obligeant à voter dans l'entreprise de travail temporaire (C. trav., art. L. 423-9, art. L. 2314-17, recod. et art. L. 423-10, art. L. 2314-17, recod.). L'unité et les principes sont donc sauvegardés, il convient de s'en féliciter.

Décisions

1° Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-60.287, Syndicat CGT Hispano Suiza, FS-P+B (N° Lexbase : A7751D79)

Cassation de TI Melun, 3 mai 2007

2° Cass. soc., 1er avril 2008, n° 07-60.283, Société Théâtre des Salins, FS-P+B (N° Lexbase : A7750D78)

Rejet de TI Martigues, 16 février 2007

Mots clefs : salariés mis à disposition ; fonctionnaires, décompte dans l'effectif de l'entreprise ; intégration étroite et permanente du travailleur dans la communauté de travail ; qualité d'électeur ; exclusion du salarié mis à disposition par une entreprise de travail temporaire de la qualité d'électeur dans l'entreprise utilisatrice.

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Procédure civile

[Chronique] La chronique de procédure civile d'Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II. Au sommaire de cette chronique seront abordés l'office du juge et les faits du litiges, le contenu du "droit à l'assistance" aménagé par la loi sur l'aide juridictionnelle, le principe du délai raisonnable et l'exercice des voies de recours, et, enfin, le respect du principe de loyauté par l'huissier de justice dans la recherche des preuves. I - L'office du juge et les faits du litige
  • Le juge ne peut modifier l'évaluation de la valeur d'un bien qui a fait l'objet de l'accord des parties : Cass. civ. 1, 2 avril 2008, n° 07-15.820, Mme Marie-Claire Borrot, divorcée Gaby, F-P+B (N° Lexbase : A7736D7N)

Un conflit opposait deux ex-époux à propos de la liquidation de la communauté. Les juges du fond ont reconnu que l'époux était redevable à l'indivision post-communautaire de la somme de 10 839,13 euros au titre de la valeur d'un matériel agricole commun. Toutefois dans cette affaire, les parties avaient conclu de concert que la valeur de ce matériel s'élevait à 35 734,04 euros. La question se posait donc de savoir si le juge pouvait procéder à une réévaluation des biens objet du litige alors qu'il n'existait aucun différend sur ce point.

En filigrane, cet arrêt posait la question de la nature juridique de l'évaluation d'un bien. Si l'évaluation est considérée comme une opération de qualification juridique, elle relève assurément du pouvoir du juge au regard de l'article 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2043ADZ). A l'inverse, s'il s'agit d'une question de fait, on doit lui appliquer les articles 4 (N° Lexbase : L2631ADS) et 5 (N° Lexbase : L2632ADT) du même code qui interdisent au juge de modifier l'objet du litige tel qu'il a été déterminé par les parties.

La Cour de cassation opine sans hésitation en faveur de la seconde interprétation en affirmant "qu'en se déterminant ainsi, alors que les parties avaient toutes deux conclu à une valeur de 234 400 francs hors taxes [soit 35 734,04 euros] pour l'ensemble du matériel agricole, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les textes susvisés".

En d'autres termes, les parties peuvent lier le juge par une évaluation commune qui résulte de conclusions concordantes. La solution s'impose. Lorsque les parties tombent d'accord sur la valeur d'un bien, cette question sort du champ du litige dont le juge est saisi. La décision de justice qui remettrait en cause l'accord des parties sur une question de fait devrait être censurée dans la mesure où le juge aurait alors modifié les termes du litige. En effet, une chose est de savoir si l'époux doit à l'indivision post-communautaire la valeur du matériel agricole, une autre est de connaitre la valeur exacte de ce matériel. Si les deux questions peuvent se poser matériellement à la suite d'un divorce, une seule a été soumise au juge et ce dernier, en statuant sur les deux, a tout simplement commis un excès de pouvoir.

II - Droits de la défense et procès équitable confrontés à la dichotomie assistance/représentation

  • Le "droit à l'assistance" aménagé par la loi sur l'aide juridictionnelle comporte tout à la fois le droit à la représentation en justice, mais encore le droit à l'assistance par un défenseur : Cass. civ. 1, 20 février 2008, n° 07-12.650, M. Alessandro Daliana, FS-P+B (N° Lexbase : A0656D7G)

L'article 25 de la loi du 10 juillet 1991, sur l'aide juridictionnelle (loi n° 91-647 N° Lexbase : L0378A9U), prévoit que "le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat et à celle de tous officiers publics ou ministériels dont la procédure requiert le concours".

Cette formule du "droit à l'assistance" présente une certaine ambigüité dans la mesure où le Code de procédure civile distingue traditionnellement les missions d'assistance et de représentation (1). L'assistance correspond à la mission de conseil et de présentation de la défense en justice. La représentation correspond au mandat dont dispose l'avocat, l'avoué ou tout autre représentant pour effectuer les actes de la procédure au nom de la partie concernée. En ne visant que le "droit à l'assistance", l'article 25 de la loi du 10 juillet 1991 ne précise pas le contenu de ce droit.

La question s'est posée à propos d'une partie à une instance en divorce qui avait obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle et qui avait sollicité le renvoi de l'affaire dans l'attente de la désignation d'un avocat. Toutefois, la cour d'appel avait statué au fond sans attendre la désignation de l'avocat. On pouvait alors se demander si la procédure d'aide juridictionnelle s'était achevée avec la désignation de l'avoué permettant à l'époux d'être représenté lors de l'instance en divorce, ou si, à l'inverse, le "droit à l'assistance" de la loi du 10 juillet 1991 emportait, aussi, un droit à la désignation d'un avocat chargé de conseiller l'époux et de plaider en sa faveur devant la cour d'appel.

La Cour de cassation répond à la question en affirmant "qu'en cause d'appel, la présence d'un avoué assurant la représentation du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle dans l'accomplissement des actes de la procédure n'est pas exclusive de l'assistance d'un avocat". La formule n'est pas de la plus grande clarté, mais elle est éclairée par le chapeau de l'arrêt. En effet, pour la Haute juridiction "le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat et à celles de tous officiers publics ou ministériels dont la procédure requiert le concours ; [...] cette assistance doit constituer un droit concret et effectif". L'expression "droit concret et effectif" renvoie sans hésitation à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui répète à loisir que "la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs". Cette référence à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme est confirmée par le visa de l'arrêt qui comporte non seulement l'article 25 de la loi du 10 juillet 1991, mais aussi l'article 6 § 1 de la Convention européenne (N° Lexbase : L7558AIR).

On déduit de l'arrêt étudié que le droit d'accéder au juge (inhérent à l'article 6 § 1 de la CESDH (2)) emporte tout à la fois droit à la représentation en justice et droit à l'assistance par un défenseur. Une solution assez proche avait déjà été retenue dans un arrêt de principe (3) qui avait permis à l'Assemblée plénière de la Cour de cassation d'affirmer que le principe des droits de la défense "exige que soit assuré l'accès de chacun, avec l'assistance d'un défenseur, au juge chargé de statuer sur sa prétention". La solution est évidemment conforme à la jurisprudence de la CEDH qui considère que toute partie en justice doit pouvoir bénéficier d'une assistance effective (4).

Concrètement, le "droit à l'assistance" d'un auxiliaire de justice aménagé par la loi du 10 juillet 1991 emporte non seulement le droit à la représentation, mais encore le droit à l'assistance au sens des articles 411 et 412 du Code de procédure civile. En conséquence, dans une instance en appel, la cour est tenue de renvoyer l'affaire lorsqu'une partie bénéficiant de l'aide juridictionnelle est simplement représentée par un avoué et qu'elle demande aussi à être défendue par un avocat.

En soi, cette solution n'est pas une nouveauté. La troisième chambre civile de la Cour de cassation l'avait déjà adoptée dans un arrêt du 7 mai 2003 (5), mais au simple visa de l'article 25 de la loi du 10 juillet 1991. L'arrêt du 20 février 2008 présente ainsi l'intérêt de rattacher la solution à l'article 6 § 1 de la CESDH, soulignant tout à la fois le rapprochement des droits de la défense du droit au juge, mais permettant aussi à la Cour de cassation de s'approprier les méthodes européennes d'interprétation des principes fondamentaux de la procédure à travers la notion de "droits concrets et effectifs".

III - Principe du délai raisonnable et exercice des voies de recours

  • Est excessive, la procédure qui a duré quatorze années, même si le demandeur en a retardé l'issue en exerçant des voies de recours : Cass. civ. 1, 20 février 2008, n° 06-20.384, M. Jules Cifre, FS-P+B (N° Lexbase : A0514D78)

La durée raisonnable ou excessive d'une procédure est toujours délicate à apprécier, notamment lorsque l'allongement des délais peut être imputé, tant à la justice qu'aux parties. Pour autant, en application de l'article 6 § 1 de la CESDH, il est admis qu'un justiciable exerce une action contre l'Etat sur le fondement de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire (anciennement l'article L. 781-1 du même code N° Lexbase : L7823HN3) du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette action est alors engagée pour faute lourde ou déni de justice. Si l'application de ces dispositions est fréquente de la part des juridictions du fond (6), la consultation des bases de données indique que la Cour de cassation n'est pas encline à reconnaitre la responsabilité de l'Etat qui découle, pourtant, du droit d'être jugé dans un délai raisonnable prévu expressément par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Pour cette raison, l'arrêt rendu le 20 février 2008 par la première chambre civile de la Cour de cassation est riche en enseignement. Dans cette espèce, un assuré social avait agi devant les juridictions compétentes pour voir reconnaitre la faute inexcusable de son employeur à la suite d'un accident du travail dont il avait été victime. La procédure avait traversé de multiples étapes, en appel, puis en cassation, puis devant une cour de renvoi, de telle sorte que le justiciable avait dû attendre quatorze années pour obtenir gain de cause.

Ce dernier intenta alors une action en responsabilité contre l'Etat devant la juridiction civile, reprochant aux juridictions une durée excessive de la procédure. L'affaire n'était pas simple, car la longueur de la procédure était, notamment, due aux multiples renvois qui avaient dû être ordonnés et aux voies de recours qui avaient été exercées par le justiciable. Ainsi, celui qui réclamait une indemnisation pour durée excessive avait, précisément, contribué à accroitre cette durée. Par ailleurs, la cour d'appel lui reprochait de n'avoir pas mis en oeuvre tous les moyens pour accélérer la procédure, notamment en sollicitant le juge pour qu'il fixe rapidement une date d'audience. Ainsi, les juges du fond avaient-ils estimé que la lenteur de la justice dans cette affaire n'était pas significative "d'une carence patente des juridictions saisies constituée par une inactivité ou une désorganisation". La cour d'appel adoptait, ici, une conception restrictive de la faute lourde en matière de durée procédurale, en considérant implicitement que seule l'inactivité ou la désorganisation d'une juridiction était susceptible de constituer une telle faute.

Cette analyse a été censurée par la Cour de cassation qui affirme "qu'un délai de 14 ans pour obtenir une décision définitive dans un litige relatif à un accident du travail dénué de complexité caractérisait une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi". Elle ajoute "qu'il ne pouvait être reproché à M. X d'avoir exercé les voies de recours dont il disposait".

L'arrêt donne ainsi deux précisions importantes s'agissant des critères d'appréciation du délai raisonnable. Le premier consiste à comparer la durée de la procédure et la complexité de l'affaire. Il est raisonnable de penser qu'une affaire complexe juridiquement ou factuellement nécessite plus de temps pour être jugée qu'une affaire simple. En l'espèce, le litige était "dénué de toute complexité". Les quatorze années de procédure devaient donc être imputées principalement à une carence de l'institution judiciaire. Le second critère tient au rôle imputable au justiciable dans le retard pris pour trancher le litige. Ainsi, le requérant qui multiplie les voies de recours ne peut ensuite reprocher à l'institution judiciaire d'avoir usé d'un délai adéquat pour statuer sur chacune de ces voies de recours (7). Encore faut-il que l'exercice des voies de recours ait un caractère dilatoire (8). Dans l'espèce étudiée, l'exercice des recours n'était en rien dilatoire, puisque la première cour d'appel avait débouté le justiciable de sa demande et que ce dernier avait dû s'adresser à la Cour de cassation, puis à la cour de renvoi, pour obtenir finalement gain de cause. La Haute juridiction a ainsi pu juger que l'exercice des voies de recours n'était pas imputable au justiciable.

En définitive, cet arrêt présente un caractère innovant, dans le sens où il reconnait pour la première fois un manquement au délai raisonnable devant la Cour de cassation. Pour autant, et bien que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ne soit pas citée, l'arrêt reproduit fidèlement le raisonnement initié par la CEDH pour apprécier le caractère raisonnable de la durée d'une procédure.

IV - Principe de loyauté et recherche de la preuve par un huissier

  • Un huissier de justice est soumis au principe de loyauté dans la recherche de la preuve et il ne peut apporter son concours à la recherche déloyale d'une preuve : Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-40.852, Société Colom, FS-P+B (N° Lexbase : A4765D7M)

On sait que, dans le domaine du droit du travail, le principe de loyauté dans la recherche de la preuve s'impose avec force aux employeurs lorsque ceux-ci mettent en place un système de surveillance de l'activité de leurs salariés à l'insu de ces derniers (9). La Cour de cassation vient encore d'affirmer que "si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de surveillance clandestin et à ce titre déloyal" (10). En d'autres termes, l'employeur ne peut rechercher la preuve d'une faute commise par un employé par une procédure de surveillance, qu'à la condition que cette procédure soit connue de l'employé. Toute preuve dérogeant au principe de loyauté serait considérée comme illicite au sens de l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3201ADW) et, à ce titre, écartée des débats.

Il s'agit alors de savoir si l'employeur peut avoir recours à un huissier pour faire admettre en justice une preuve qui serait illicite si elle était recueillie sans l'aide de l'officier ministériel. Cette question se pose avec plus d'acuité encore, depuis que la Chambre sociale, dans un arrêt du 23 mai 2007, a autorisé la recherche de données privées contenues dans l'ordinateur mis à disposition d'une salariée lorsque cette recherche, effectuée par un huissier, constituait une mesure autorisée par le juge en vertu de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2260AD3) (11).

Dans l'espèce étudiée, un employeur, qui avait des doutes sur l'honnêteté de l'une de ses caissières, avait sollicité un huissier pour que celui-ci mette en oeuvre un stratagème qui consistait à organiser un montage en faisant effectuer, par des tiers des achats en espèces puis en procédant, après la fermeture du magasin et hors la présence de la salariée, à un contrôle des caisses et du registre des ventes.

La cour d'appel avait écarté le constat d'huissier des débats et jugé le licenciement de la caissière abusif. Dans son pourvoi, l'employeur reprochait aux juges du fond d'avoir ainsi statué alors que le constat dressé par un huissier qui s'est borné à effectuer des constatations purement matérielles dans un lieu ouvert au public constituait un mode de preuve licite.

La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement. Bien au contraire, elle affirme d'abord sous la forme d'un principe que "si un constat d'huissier ne constitue pas un procédé clandestin de surveillance nécessitant l'information préalable du salarié, en revanche il est interdit à cet officier ministériel d'avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve". Elle constate, ensuite, "que l'huissier ne s'était pas borné à faire des constatations matérielles, mais avait eu recours à un stratagème pour confondre la salariée". La Cour en déduit enfin que "le constat établi dans ces conditions ne pouvait être retenu comme preuve".

La solution semble s'imposer avec force. D'une part, le procédé utilisé par l'huissier constituait, sans discussion possible, un stratagème visant à provoquer la faute de la vendeuse. En procédure pénale, ce type de preuve recueillie par une autorité publique est qualifié de "provocation à l'infraction" et doit être annulé (12). D'autre part, le recours à un huissier ne présente pas les mêmes garanties qu'une recherche de la preuve in futurum autorisée par un juge sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile. L'huissier n'apprécie par l'opportunité de la preuve et ne contrôle pas le procédé de recherche de la preuve.

Les employeurs doivent donc retenir que s'ils souhaitent contrôler l'activité de leurs salariés pour démontrer l'existence d'une éventuelle faute, ils doivent, soit les avertir de la mise en place de mesures de surveillance, soit demander au juge l'autorisation de faire rechercher une preuve par un huissier et au moyen d'un procéder loyal (simple constatation). En aucun cas, l'aide d'un huissier dans la mise en place d'un stratagème ne permet à l'employeur d'échapper au principe de loyauté dans la recherche des preuves.

Etienne Vergès,
Professeur agrégé des facultés de droit, Professeur à l'Université de Grenoble II


(1) C. proc. civ., art. 411 (N° Lexbase : L2644ADB) et 412 (N° Lexbase : L2645ADC).
(2) CEDH, 21 février 1975, Req. 4451/70, Golder c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A1951D7E).
(3) Ass. plén., 30 juin 1995, n° 94-20.302, M. X. c/ Conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (N° Lexbase : A5729CKE), D., 1995, juris., p. 513.
(4) CEDH, 13 février 2003, Req. 36378/97, Bertuzzi c/ France (N° Lexbase : A0422A7R).
(5) Cass. civ. 3, 7 mai 2003, n° 01-16.936, M. Christian Losfeld c/ SNC Cofimab, FS-P+B (N° Lexbase : A0205B7Q).
(6) Par exemple, CA Paris, 20 janvier 1999, D., 1999, IR, p. 125 pour une procédure d'appel ayant duré plus de trente mois.
(7) Par ex., CEDH, 8 décembre 1983, Req. 7984/77, Pretto c/ Italie (N° Lexbase : A9068D7Y).
(8) La CEDH parle, ainsi, de prolongation "fautive" de la procédure.
(9) Par ex., Cass. soc. 20 novembre 1991, n° 88-43.120, Mme Neocel c/ M. Spaeter (N° Lexbase : A9301AAQ), D., 1992, p. 73, selon lequel est illicite l'enregistrement par l'employeur d'images ou de paroles à l'insu des salariés durant leur temps de travail.
(10) Cass. soc., 18 mars 2008, n° 06-45.093, M. Gérard Bonnici, FS-P+B (N° Lexbase : A4784D7C) et les obs. de Ch. Radé, La prohibition des stratagèmes et la loyauté de la preuve dans l'instance prud'homale, Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6280BEC) ; D., 2008, IR, p. 993, dans une espèce jugée le même jour que l'arrêt commenté.
(11) Cass. soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818, Société Datacep, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3963DWP).
(12) Même si la Chambre criminelle refuse d'annuler des preuves recueillies ainsi par une partie privée.

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Licenciement

[Jurisprudence] Notion de faute grave et modalités d'appréciation de sa gravité

Réf. : CA Paris, 22ème ch., sect. C, 14 février 2008, n° 06/08694, M. Fabrice Banelli (N° Lexbase : A0205D7Q)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Essentiellement factuelle, l'appréciation de l'existence d'une faute du salarié dans l'exécution de son contrat de travail, justifiant un licenciement disciplinaire, repose, essentiellement, dans les mains des juges du fond. Il est, alors, à cet égard, toujours instructif de se pencher sur le contentieux des cours d'appel afin de mieux percevoir l'application que font les juges de la notion de faute grave. C'est, ainsi, que l'arrêt rendu le 14 février 2008, par la cour d'appel de Paris, permet de mettre en exergue un refus, au moins apparent, de prendre en compte les évolutions de la définition de la faute grave insufflées par la Cour de cassation (I). Il illustre, également, tout l'empirisme qui guide, parfois, l'établissement de la faute grave, la modulation de la gravité de la faute faisant l'objet d'une appréciation bien peu objective (II).
Résumé

Les insultes proférées par le salarié s'inscrivant dans un contexte particulier, la faute, ainsi, commise n'a pas le caractère de faute grave invoqué par l'employeur.

Commentaire

I - Une définition anachronique de la faute grave

  • La définition classique de la faute grave

Le Code du travail n'offre aucune définition de la faute grave, seuls quelques éléments de son régime ayant été déterminés. Le législateur a, ainsi, disposé que le salarié licencié pour faute grave ne peut bénéficier du délai-congé (1). C'est donc à la jurisprudence qu'est revenue la charge de définir la notion de faute grave justificative du licenciement.

S'inspirant des maigres éléments du code, la Cour de cassation a estimé que la faute grave "résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis".

Cette définition, conforme aux engagements internationaux de la France, posait, néanmoins, une difficulté, puisqu'elle définissait plus le degré de gravité de la faute en fonction de ses conséquences -l'impossibilité d'exécuter le préavis- qu'au regard du comportement du salarié lui-même (3).

  • Les évolutions récentes de la définition de la faute grave

Par un arrêt remarqué et largement diffusé, la Chambre sociale de la Cour de cassation a allégé sa définition de la faute grave (4). Désormais, les juges décident que "la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise". Exit donc la référence, si peu logique, au préavis comme élément qualifiant de la faute, seul le lien avec le maintien dans l'entreprise étant conservé.

Sur l'appréciation de la faute grave, ce changement de définition ne devrait, en pratique, pas apporter de grands chamboulements. En effet, le moment auquel s'apprécie l'impossibilité de maintenir le salarié dans l'entreprise n'influe guère sur cet empêchement en lui-même. Tout au plus la solution apporte-t-elle une véritable harmonisation de la faute grave en matière de rupture du CDD et du CDI (5).

Quoiqu'il en soit, c'est bien une nouvelle définition apportée par la Cour régulatrice que les juges du fond, de manière surprenante, ne paraissent pas s'être encore appropriée.

  • En l'espèce

L'affaire portée devant la cour d'appel de Paris est presque banale tant de nombreuses espèces de ce type sont traitées par les juridictions prud'homales.

Un salarié, assistant à un entretien entre son supérieur hiérarchique et un dirigeant de l'entreprise, intervient dans la conversation, insultant copieusement les deux protagonistes et tentant, ensuite, de détériorer des fichiers informatiques de l'entreprise (6). Estimant ce comportement intolérable, l'employeur prononce un licenciement pour faute grave, le dispensant donc du versement d'une indemnité de préavis.

Le salarié introduit un recours devant la juridiction prud'homale qui, en raison des circonstances particulières de l'altercation, fait droit à sa demande et estime que le comportement du salarié, tout en constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement, est d'une gravité insuffisante pour être qualifiée de faute grave. Cette solution est confirmée par la cour d'appel de Paris.

A cette occasion, la juge d'appel reprend in extenso la définition de la faute grave, qui présidait avant la solution de la Cour de cassation susvisée. Ainsi, "la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur". Il n'est pas inutile de relever que la cour d'appel de Paris n'est pas la seule juridiction du fond à maintenir cette ancienne définition (7).

Deux interprétations de cette solution peuvent être présentées. La première consiste à considérer que les juges du fond résistent volontairement à la nouvelle définition proposée par la Cour de cassation. Cette interprétation peut légitimement s'appuyer sur le fait que les seules références à la faute grave opérées par le législateur s'attachent à l'existence du préavis, si bien que priver la définition de la faute grave d'une telle référence détacherait la notion de faute grave de toute référence légale. La seconde, plus probable, consacre l'interprétation doctrinale selon laquelle la nouvelle définition ne changerait finalement pas grand-chose à l'appréciation de la faute grave (8). Reste donc à voir si la Cour de cassation maintiendra cette définition, ce qui, le cas échéant, devrait tout de même amener, à terme, les juges du fond à prendre en compte cette persévérance.

II - Une appréciation lâche du caractère de gravité de la faute

  • Les éléments de modulation de la gravité de la faute

Si la faute grave est caractérisée par un comportement du salarié rendant impossible son maintien dans l'entreprise, son appréciation demeure, très largement, empirique tant cette définition pèche par l'absence de critères objectifs permettant d'apprécier la gravité de la faute. Par conséquent, les juges ont toujours modulé l'appréciation de la gravité du comportement du salarié en fonction de divers éléments (9).

Ainsi, par exemple, certains comportements qui, isolés, ne suffiraient pas à caractériser la faute grave peuvent acquérir cette qualification face à un salarié "récidiviste" (10). De la même manière, le comportement du salarié est apprécié avec plus de sévérité lorsque l'employeur n'est pas tenu à un contrôle permanent, en raison des responsabilités du poste confié au salarié (11).

A l'opposé, l'âge du salarié ou son ancienneté dans l'entreprise peut atténuer le caractère de gravité de la faute (12). Si l'âge, l'ancienneté, la répétition du comportement ou le degré de responsabilité du salarié semblent dotés d'une certaine objectivité, d'autres éléments de modulation incitent plus à la circonspection.

  • Les circonstances particulières entourant la commission de la faute

Pour refuser la qualification de faute grave, la cour d'appel de Paris estime que "les insultes proférées [par le salarié] s'inscrivent dans un contexte particulier". Elle relève, pour justifier ce contexte, que l'employeur avait manifesté depuis plusieurs mois son intention de se séparer du salarié, ce qui avait contribué à instiller une "ambiance tendue qui explique [...] la colère du salarié".

La jurisprudence oscille entre faute grave et faute sérieuse lorsqu'elle se trouve face à l'hypothèse d'un salarié ayant insulté son employeur (13). En outre, la Cour de cassation a, parfois, accepté de moduler la gravité d'une faute en fonction de "circonstances particulières entourant les faits" (14). Pour autant, les propos tenus par le salarié étaient particulièrement violents. A cela s'ajoute que l'excuse de cette "colère", soutenue par la cour d'appel, ne réside que dans une menace assez insidieuse d'utiliser une voie de droit, c'est-à-dire de licencier le salarié.

A vrai dire, l'usage de ce critère de "circonstances particulières" afin de moduler la gravité de la faute nous semble empreint d'opportunité et ne répond que difficilement à une objectivité suffisante. L'employeur victime d'insultes devrait, alors, être incité, par prudence, à n'envisager qu'un licenciement pour faute sérieuse. Mais doit-on véritablement blâmer la cour d'appel de Paris ? Rien n'est moins sûr puisque le législateur lui-même n'a guère pris ses responsabilités en se contentant d'édicter le régime juridique de la faute grave. En cette matière, la qualification judiciaire demeurera donc, nécessairement, toujours difficilement prévisible...


(1) C. trav., art. L. 122-6 (N° Lexbase : L5556ACR, art. L. 1234-1, recod. N° Lexbase : L9977HWG) et L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT, art. L. 1234-5, recod. N° Lexbase : L9981HWL).
(2) Cass. soc., 26 février 1991, n° 88-44.908, M. Vaz c/ Compagnie d'armatures préfabriquées industrielles (N° Lexbase : A9347AAG), Bull. civ. V, n° 97, p. 60 ; D. 1991, IR, 82 ; RJS 1991, 239, n° 448.
(3) L'article 11 de la Convention internationale du travail n° 158 de l'OIT définit la faute grave comme celle d'une "nature telle que l'on ne peut raisonnablement exiger de l'employeur qu'il continue à occuper le salarié pendant la période du préavis" (v. Convention internationale OIT n° 158 du 22 juin 1982 N° Lexbase : L0963AII).
(4) Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867, M. David Millochau, FP-P+B+R (N° Lexbase : A5947DYW), RDT 2007, p. 650, obs. G. Auzero ; JCP éd. S, 2007, II, 10188, note D. Corrignan-Carsin.
(5) La référence au préavis semblait seulement faire référence au CDI, puisque le délai-congé n'existe pas, par définition, en cas de rupture d'un CDD.
(6) La violence des insultes proférées est nettement perceptible dans l'argumentation de la cour d'appel.
(7) V., par ex., CA Rouen, ch. soc., 11 décembre 2007 ; CA Nîmes, ch. soc., 5 décembre 2007 ; CA Orléans, ch. soc., 29 novembre 2007.
(8) V. G. Auzero et D. Corrignan-Carsin, préc..
(9) V. S. Koleck-Desautel, La notion de faute grave et ses critères d'appréciation par le juge, Lexbase Hebdo n° 66 du 10 avril 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6803AA9).
(10) Cass. soc., 9 octobre 2002, n° 00-45.663, M. Bernard Nely c/ Société Bragard, inédit (N° Lexbase : A9693AZZ). Si un retard de 30 minutes ne pouvait, à lui seul, constituer une faute grave, la réitération des mêmes faits au mépris de nombreux avertissements constituait une faute grave (Cass. soc., 4 février 2003, n° 01-40.076, M. Guillaume Douchet c/ Société Elda Transports, inédit N° Lexbase : A9038A4I).
(11) Cass. soc., 5 mars 1987, n° 85-41.342, Société France éditions et publications c/ M. Chuzeville, (N° Lexbase : A6737AAR).
(12) Cass. soc., 24 mai 2000, n° 99-41.314, M. X c/ Société Sogara, société anonyme, inédit (N° Lexbase : A9044AG3) ; Cass. soc., 9 octobre 2002, n° 00-44.297, Société Lifting Color c/ M. M'Hand Houfel, inédit (N° Lexbase : A9702AZD).
(13) V. l'ensemble des décisions référencées dans l’Ouvrage "Droit du travail" .
(14) Cass. soc., 10 décembre 2003, n° 01-44.732, M. Frédéric Derhy c/ M. Jean-Luc Pochan, FS-D (N° Lexbase : A4286DAY).

Décision

CA Paris, 22ème ch., sect. C, 14 février 2008, n° 06/08694, M. Fabrice Banelli (N° Lexbase : A0205D7Q)

Confirmation, CPH Créteil, section commerce, 21 mars 2006

Mots-clés : licenciement ; faute grave (non) ; insultes ; contexte particulier ; préavis.

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Domaine public

[Jurisprudence] La confirmation de l'approbation du juge judiciaire quant à la compétence des juridictions administratives pour trancher les litiges nés de l'occupation sans droit ni titre du domaine public

Réf. : Cass. civ. 1, 5 mars 2008, n° 07-12.472, Société Chantier naval du Cap d'Ail (CNCA), FS-P+B (N° Lexbase : A3339D7S)

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 23 Octobre 2014

L'occupation sans titre du domaine public est un phénomène qui perdure par-delà les siècles. Il y a là, souvent, un reflet de la société, des tendances qui l'animent mais aussi des tensions qui la traversent. Comme face à toute situation d'illégalité, la puissance publique a schématiquement le choix entre trois attitudes. Elle peut tolérer l'occupation sans titre (1), elle peut régulariser l'occupation sans titre par la cession des emprises occupées ou l'octroi a posteriori d'un titre d'occupation (2), ou elle peut, enfin, procéder à des poursuites contre l'occupant sans titre. Par principe, l'autorité administrative est tenue de faire usage des pouvoirs qu'elle tient de la législation en vigueur pour faire cesser les occupations sans titre et enlever les obstacles qui s'opposent à l'utilisation normale du domaine public. Ce principe a, notamment, été appliqué en matière de contraventions de grande voirie (3) et en cas d'entraves à la liberté d'utilisation du domaine public fluvial (4) ou des ports maritimes (5). Indépendamment de ce principe, l'administration dispose de moyens d'action renforcés à l'encontre des particuliers qui occupent ou qui ont occupé indûment le domaine public, et cela alors même que la situation de fait de l'occupant sans titre aurait été tolérée antérieurement (6). Mais, en cas d'occupation irrégulière du domaine, l'administration ne peut pas instituer une sanction administrative s'ajoutant aux sanctions pénales prévues par les textes. Pour faire cesser l'occupation sans titre, l'administration doit recourir au juge et ne doit pas, en principe, faire usage de l'exécution forcée.

Jusqu'en 1961, le juge administratif ne se reconnaissait le droit d'ordonner l'expulsion de l'occupant sans titre que dans deux hypothèses : lorsque l'occupation se rattachait à un contrat expiré ou résilié (7), ou lorsque l'occupation était sanctionnée par le régime des contraventions de grande voirie (8). En dehors de ces deux hypothèses, les demandes tendant à l'expulsion des occupants sans titre du domaine public relevaient de la compétence du juge judiciaire (9).

Puis, une jurisprudence établie par le Conseil d'Etat en 1961 (10) a apporté une certaine confusion, puisque le juge administratif a retenu sa compétence dans tous les cas, indépendamment du contentieux contractuel et du contentieux de grande voirie, pour ordonner l'expulsion des occupants sans titre du domaine public. Or, comme le juge judiciaire continuait à se reconnaître compétent (11), les deux ordres de juridiction se disputaient le privilège de statuer en la matière.

Il a été mis fin à cette confusion par une décision du Tribunal des conflits (12) qui a clairement affirmé la compétence exclusive de principe du juge administratif : les litiges nés de l'occupation sans titre du domaine public, que celle-ci résulte de l'absence de tout titre d'occupation ou de l'expiration, pour quelque cause que ce soit, du titre précédemment retenu, relèvent des juridictions administratives, sous réserve des dispositions législatives spéciales et sauf dans les cas de voie de fait ou de contestation sérieuse en matière de propriété. La Cour de cassation écarte, désormais, la compétence du juge judiciaire (13), hormis ces exceptions prédéfinies.

C'est dans ce contexte qu'intervient l'arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 2008 "Société Chantier Naval du Cap d'Ail (CNCA) c/ Société du Port de Plaisance de Cap d'Ail (SPPC)". Par un arrêté du 29 décembre 1977, le préfet des Alpes-Maritimes a concédé l'établissement et l'exploitation d'un port de plaisance sur le littoral de la commune de Cap d'Ail à la société du Port de Cap d'Ail (SPCA), qui a conclu, le 6 août 1981, un traité de sous-concession du port de plaisance avec la SPPC. La société CNCA est actionnaire de la SPPC. Cette participation lui donne droit à la jouissance privative, en fonction de ses droits sociaux, d'une partie des terrains donnés à bail emphytéotique à la SPCA et sous-concédés à la SPPC. Le maire de Cap d'Ail lui a, de plus, accordé un permis de construire de bureaux et ateliers.

Courant octobre 1994, la société SPPC s'est installée dans une partie des locaux que la société CNCA avait fait construire régulièrement sur des terrains du domaine public maritime dont elle revendique la jouissance privative. Ne pouvant obtenir à l'amiable le recouvrement des locaux lui appartenant, la société CNCA a fait assigner la société SPPC devant le tribunal de commerce de Nice, afin que lui soient ordonnés l'expulsion des locaux techniques et le paiement d'indemnités d'occupation. Par un jugement du 19 novembre 2004, le tribunal de commerce de Nice s'est déclaré incompétent, car il a estimé que le litige concernait l'occupation du domaine public. Par un arrêt du 16 novembre 2006, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement déféré, et la société CNCA a, alors, décidé de former un pourvoi en cassation.

Dès lors, la Cour de cassation devait se prononcer sur un litige portant sur le sort de locaux techniques situés sur le domaine public maritime, dans lesquels s'est installée la SPPC, sous-concessionnaire de ce domaine public, mais revendiqués par la CNCA sur le fondement du règlement intérieur du port, lui attribuant pour lot le "droit à l'occupation privative, ainsi qu'à l'exploitation des locaux, équipements, aménagements, aire de carénage constituant le chantier naval".

En se déclarant incompétente, la Cour de cassation signifie clairement que le contentieux domanial, qu'elle qu'en soit la nature, doit être confié, par principe, au juge administratif. En agissant de la sorte, elle entérine la décision préalable du Tribunal des conflits et la compétence du juge administratif en la matière (I). Mais il subsiste certaines dérogations traditionnelles et certaines pratiques, qui empêchent que la compétence du juge administratif soit finalement une compétence exclusive (II).

I - L'entérinement de la compétence du juge administratif

En rappelant la compétence de principe du juge administratif (A), la Cour de cassation tente de mettre fin ainsi aux nombreuses réserves émises par les juridictions du fond (B) quant à la réalité de la compétence du juge administratif, pour les litiges concernant l'occupation sans titre du domaine public.

A - Un juge judiciaire qui rappelle la compétence de principe du juge administratif

L'arrêt de la Cour de cassation rappelle, ici, une compétence ancienne du juge administratif, qui veut que, quand l'occupation du domaine public à laquelle il est mis fin procède d'un contrat, le juge administratif est compétent. C'est sur le fondement de l'article 1er d'un décret-loi du 17 juin 1938 que la connaissance des litiges relatifs aux conventions d'occupation du domaine public lui a été réservée. L'article 1er du décret a, par la suite, été abrogé et codifié dans le Code du domaine de l'Etat. L'article L. 84 de ce code (N° Lexbase : L2077AA8) dispose ainsi que "les litiges relatifs aux contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou dénomination, passés par l'Etat, les établissements publics ou leurs concessionnaires, sont portés en premier ressort devant le tribunal administratif". Ce dernier a, aujourd'hui, à son tour, été abrogé au 1er juillet 2006 (14) et remplacé par l'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (15).

Le décret-loi du 17 juin 1938 a fait l'objet, dès l'origine, d'une conception extensive, érigeant le juge administratif en véritable gardien du domaine public lorsque l'occupation à laquelle il est mis fin procède d'un contrat. Cette compétence ne fait évidemment aucun doute lorsque l'occupation du domaine public se fonde sur un titre. En une telle hypothèse, la convention ou le titre autorisant l'occupation temporaire du domaine public a, nécessairement, un caractère administratif dont il appartient au juge administratif de connaître. Mais la compétence administrative a été étendue au-delà des textes aux occupations ne reposant sur aucun titre juridique, ou procédant d'un titre unilatéral (16). Cette extension de compétence a alors abouti à une compétence concurrente des deux ordres de juridiction, mais a été confirmée à de nombreuses reprises (17).

L'occupation du domaine public peut même être seulement indirecte et entraîner, néanmoins, la compétence du juge administratif. Ainsi, le bail portant sur un immeuble édifié sur une dalle recouvrant un canal d'évacuation des eaux usées (la dalle étant accessoire au domaine public) est regardé par le juge comme relevant du domaine public (18). Cette compétence est acquise même lorsque le contrat est simplement relatif à l'occupation du domaine public, sans comporter par lui-même occupation dudit domaine (19). Il arrive, enfin, que le juge administratif retienne sa compétence en matière d'expulsion par référence, non à la domanialité publique, mais aux critères du service public ou de la puissance publique. L'on peut citer, par exemple, les logements de fonction concédés par nécessité de service en raison du caractère administratif du titre d'occupation (20).

Si la compétence du juge administratif était ainsi perçue de manière extensive, elle n'en était pas pour autant exclusive. Sans revenir encore sur les décisions rendues par les juridictions du fond, la dualité de compétence au niveau du juge de l'urgence était, à cet égard, aussi significative. Le juge judiciaire des référés avait compétence pour ordonner l'expulsion de l'occupant sans titre du domaine public, dès lors que cette mesure pouvait être décidée sans qu'il y ait lieu d'interpréter le titre administratif d'occupation ou d'en apprécier la légalité (21). Le juge administratif des référés avait, lui-même, qualité pour faire droit à la demande d'expulsion, à condition qu'une telle demande ne se heurte à aucune contestation sérieuse, que l'expulsion puisse être ordonnée sans faire préjudice au principal et que la délibération des locaux occupés présente un caractère d'urgence (22).

C'est le Tribunal des conflits qui allait mettre fin à cette situation de concurrence juridictionnelle, qui offrait finalement au requérant, en l'absence de texte, le choix de son juge pour obtenir l'expulsion. C'est en 2001 qu'il indiqua, dans un considérant de principe fixant le droit applicable, que relèvent de la compétence exclusive du juge administratif "les litiges nés de l'occupation sans titre du domaine public, que celle-ci résulte de l'absence de tout titre d'occupation ou de l'expiration, pour quelque cause que ce soit, du titre précédemment détenu" (23). C'est ce considérant de principe que rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, dans la mesure où cette simplification du droit n'a pas toujours été suivie d'effet au niveau du juge judiciaire, et plus spécialement, des juges du fond.

B - Un juge judiciaire qui tente de mettre fin aux réserves des juges du fond

La question de la nature partagée ou exclusive de la compétence du juge administratif reste posée aujourd'hui en la matière, l'effectivité de la simplification opérée par le Tribunal des conflits restant encore, à cet égard, en suspens. En effet, après un temps d'adaptation (24), la Cour de cassation a pris acte de l'évolution et décline, désormais, sa compétence en la matière. Lorsqu'il existe un contrat d'occupation, elle effectue une simple mise en oeuvre du décret-loi du 17 juin 1938 précité (25). Elle va même plus loin en se déclarant incompétente hors du cadre contractuel, et affirme, à propos d'une emprise située dans une forêt domaniale qui fait partie du domaine privé de l'Etat, que "tout litige relatif à l'occupation même sans titre d'une parcelle du domaine public relève des juridictions administratives" (26).

En revanche, les juridictions inférieures font preuve d'une plus grande réserve. En pratique, les personnes publiques affectataires de dépendances du domaine public ont, en ce sens, la fâcheuse habitude de saisir le juge judiciaire, et plus particulièrement le juge des référés du tribunal de grande instance. Celui-ci, en dépit des règles interprétées largement, comme il a été dit, a parfois tendance à accueillir favorablement de tels recours et considère, alors, que le litige n'est pas manifestement insusceptible de relever de sa compétence.

Par exemple, le juge judiciaire est, notamment, compétent en matière de contentieux de voirie routière, mais ce dernier a pu être amené à préciser sa compétence pour expulser les occupants sans titre du domaine public en général, sans viser la voirie routière en particulier. Cela a été le cas à propos d'une affaire concernant le maintien prolongé de la "grande roue" sur la place de la Concorde à la suite des festivités de l'an 2000, où le juge s'est contenté d'indiquer simplement, de façon lapidaire, que "le contentieux de l'occupation sans titre du domaine public ressortit au juge judiciaire", sans forcément le rattacher au régime des contraventions de voirie routière (27).

De même, dans de nombreux cas d'occupation de locaux du domaine public par des "sans-papiers", l'expulsion sans exécution forcée a presque toujours été ordonnée par le juge judiciaire des référés. L'affaire des tentes installées sur le domaine public dans un certain nombre de grandes agglomérations françaises pour loger des personnes sans domicile fixe pendant l'hiver 2006/2007, à l'initiative de l'association "Les enfants de Don Quichotte", illustre la tendance à la résistance des juges judiciaires du fond. En ce sens, le juge judiciaire s'est déclaré compétent en tant que garant des droits fondamentaux de la personne humaine, à propos d'une demande d'expulsion de personnes ayant établi sur le domaine public leur domicile, en tant que ce dernier est un attribut essentiel de la personnalité (28).

Le raisonnement aboutit à écarter la compétence administrative, dès lors que des occupants sans titre élisent domicile sur une dépendance du domaine public. La juridiction judiciaire des référés se considère, ainsi, toujours comme le juge naturel de l'expulsion, quelles que soient les propriétés illégalement occupées, cette résistance battant en brèche l'autorité de la chose jugée par le Tribunal des conflits.

L'arrêt de la première chambre civile en date du 5 mars 2008 est l'occasion pour la Cour de cassation de rappeler, de façon claire sur ce point, qu'"il n'appartient pas au juge judiciaire de connaître des litiges portant sur l'occupation du domaine public". La Cour de cassation avait déjà, en 2003 et en ce sens, interprété de façon extensive la décision du Tribunal des conflits de 2001, en affirmant la compétence exclusive de la juridiction administrative sans mention des réserves énoncées par celui-ci. Il y avait, pour elle, incompétence du juge judiciaire des référés, vu la compétence exclusive du juge administratif, pour prononcer l'expulsion du propriétaire d'un bar restaurant dont les installations étaient illégalement établies sur le domaine public communal (29).

II - La persistance d'une compétence non exclusive du juge administratif

Si le principe est que le juge administratif est seul compétent pour connaître du contentieux des litiges portant sur l'occupation du domaine public, le Tribunal des conflits a bien rappelé qu'il existe toujours certaines dérogations traditionnelles, dont il convient de faire état ici (A). De même, témoignant de la difficulté toujours présente de répartition des compétences, il arrive, dans certains cas, et malgré la simplification opérée par le Tribunal des conflits, que la domanialité publique ne suffise, à elle seule, à fonder la compétence du juge administratif (B).

A - L'existence de dérogations traditionnelles à la compétence du juge administratif

Le juge judiciaire s'est depuis longtemps considéré comme le juge "naturel" de l'expulsion. Saisi au fond ou, le plus souvent, en référé, sur le fondement de l'article 809-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3104ADC), par l'administration gestionnaire ou par l'occupant régulier troublé dans l'exercice de ses droits, le juge judiciaire s'estimait compétent, dès lors qu'il n'y avait pas lieu de prendre parti sur l'interprétation ou la légalité d'un titre administratif d'occupation (30). En rappelant la compétence de principe du juge administratif, le Tribunal des conflits a fait significativement évoluer la compétence de principe du juge judiciaire, ne l'ayant pas supprimée mais considérablement réduite.

Traditionnellement, trois hypothèses tiennent en échec la compétence du juge administratif en la matière. Relève, tout d'abord, de la compétence du juge judiciaire, la voie de fait administrative en cas d'expulsion opérée dans des conditions grossièrement illégales. Cependant, celle-ci n'est que rarement reconnue, l'expulsion illégale ne constituant pas en elle-même une voie de fait et il n'appartient, dès lors, qu'au juge administratif d'ordonner la réintégration des intéressés (31). Seuls des agissements graves, comme, par exemple, l'enlèvement d'office du matériel et le changement de serrures, hors de toute urgence (32), relèvent alors de la voie de fait. Ensuite, cette même compétence concerne les litiges relatifs aux contraventions de voirie routière, en application de l'article L. 116-1 du Code de la voirie routière (N° Lexbase : L1695AEI). La compétence judiciaire est largement entendue car elle concerne les voies du domaine public routier, mais aussi leurs accessoires (trottoirs, parcs de stationnement) (33).

De même, au titre des dispositions législatives spéciales, on peut citer la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000, relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (N° Lexbase : L0716AID) (34). Telle qu'elle était applicable avant sa modification en mars 2007, les juridictions de l'ordre judiciaire étaient seules compétentes pour connaître des demandes introduites par le maire d'une commune ayant mis à disposition des gens du voyage une ou plusieurs aires aménagées, ou ayant contribué sans y être tenue au financement de ces aires, aux fins d'ordonner l'évacuation forcée de résidences mobiles stationnées sur une propriété du domaine public de la commune, en violation d'un arrêté d'interdiction de stationnement en dehors des aires aménagées. Il faut, cependant, relever que ce régime de recours n'est plus en vigueur, la procédure étant dorénavant entre les mains des autorités administratives (35).

Enfin, et bien évidemment, la compétence du juge judiciaire est exclusive lorsque le litige élève une contestation sérieuse en matière de propriété, c'est-à-dire lorsqu'est en cause le droit de propriété lui-même ; il peut en aller ainsi lorsqu'un particulier oppose à l'administration un titre de propriété du terrain que l'administration croit relever de son domaine public. Avant de statuer sur l'occupation, si la contestation est sérieuse, il faut statuer sur le titre de propriété.

B - Une domanialité publique qui peut, en certains cas, ne pas suffire à fonder la compétence du juge administratif

Il a été avancé dans la présente espèce que le litige opposant une société sous-concessionnaire (SPPC), personne privée, à une autre personne privée (CNCA), afin de déterminer l'étendue des droits de celle-ci dérivant de sa qualité d'actionnaire de la partie adverse, mettait seulement en jeu des rapports de droit privé n'ayant qu'une incidence indirecte sur la question de l'occupant légitime du domaine public.

En vertu de l'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques précité (ancien article L. 84 du Code du domaine de l'Etat), les conventions portant occupation du domaine public sont des contrats administratifs. Si l'on réserve les cas dérogatoires de voie de fait et d'emprise irrégulière, il y aurait donc là un "bloc de compétence administrative". Il faut pourtant compter avec le fait que souvent, le domaine public est le siège d'une exploitation d'un service public à caractère industriel et commercial. Dans un premier temps, le Conseil d'Etat avait négligé cette éventuelle source de complication, dans une espèce où la victime d'un dommage avait pourtant la qualité d'usager d'un service public industriel et commercial, mais où le litige avait été jugé rattachable à l'exécution d'un contrat d'occupation du domaine exploité par une chambre de commerce (36).

Plus tard, le Tribunal des conflits avait adopté une autre solution à propos d'un début d'incendie qui avait endommagé un véhicule garé dans un parc de stationnement, exploité près d'un aérodrome par une chambre de commerce. La compétence judiciaire avait été retenue puisque l'accident était imputé à une faute du préposé du garage. Il était donc jugé ici que le dommage avait été occasionné dans le cadre des prestations fournies à l'usager, prestations de nature commerciale, et ceci indépendamment de l'occupation du domaine (37).

Donc, les litiges contractuels entre personnes privées qui se développent sur le domaine public relèvent normalement du juge judiciaire. Autrement dit, la domanialité publique ne suffit pas, à elle seule, à fonder a priori la compétence du juge administratif. En ce sens, la compétence exclusive du juge administratif quant aux litiges relatifs aux contrats d'occupation du domaine public ne fait pas obstacle à celle du juge judiciaire relative aux relations entre les services publics à caractère industriel et commercial et leurs usagers.

La compétence du juge judiciaire l'emporte ainsi sur celle du juge administratif lorsqu'elle apparaît déterminante. Le Tribunal des conflits a, ainsi, pu juger que le contrat de crédit-bail portant sur des installations incorporées au domaine public n'avait pas, par lui-même, pour objet l'occupation du domaine public. Il se bornait à mettre en place une opération de financement entre deux sociétés commerciales, le crédit-bailleur et le concessionnaire crédit-preneur. Dès lors, le litige, ayant pour seul objet l'inexécution alléguée de clauses d'un contrat de droit privé conclu entre personnes privées, et n'ayant fait naître entre celles-ci, même si la collectivité publique s'est ultérieurement substituée à l'une d'elles, que des rapports de droit privé, relevait de la compétence de la juridiction judiciaire (38).

Le Tribunal des conflits a aussi pu juger qu'alors même que le requérant est lié à une personne publique par une convention d'occupation du domaine public, dans la mesure où le préjudice subi par lui l'est en tant qu'usager d'un service public industriel et commercial, en l'occurrence un abattoir, il relève du juge judiciaire (39). La seule exception, c'est lorsque le litige fait intervenir un concessionnaire de service public (40), ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il semble, toutefois, que ce distinguo ne soit plus vraiment opérationnel, au moins du côté de la jurisprudence judiciaire, où il a été jugé que le contrat entre un concessionnaire et un sous-concessionnaire relève du juge administratif, dès lors qu'il comporte occupation du domaine public, alors même que ne serait pas en cause une concession de service public (41). De même, il a été jugé que la circonstance qu'un contrat de droit privé aurait été passé sur le domaine public est sans incidence sur la compétence juridictionnelle ; encourt donc la cassation l'arrêt qui déduit la compétence judiciaire de l'existence d'un bail d'habitation, alors qu'il existait une difficulté sérieuse sur la qualification domaniale (domaine public ou privé) du logement litigieux, que seule la juridiction administrative pouvait trancher sur question préjudicielle (42). Cela démontre, en ce sens, que c'est de bon droit que la Cour de cassation a jugé en l'espèce, même si finalement la dualité de compétences et les difficultés de répartition dans ce contentieux semblent encore persister.


(1) Par exemple : par tradition, la vente du muguet le 1er mai.
(2) Par exemple : le statut domanial de la zone des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer, où le législateur a entrepris une vaste opération de régularisation des parcelles occupées, par la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer (N° Lexbase : L0282HUY ) (JO, 1er janvier 1997, p. 24).
(3) CE, 23 février 1979, n° 04467, Ministre de l'Equipement c/ Association des amis des chemins de ronde (N° Lexbase : A2200AKP), Rec. CE, p. 75, concl. Bacquet, D., 1979, jurisp., p. 405, note Lombard, RDP, 1979, p. 1157, note Waline, JCP éd G, 1990, II, n° 19329, note Davignon.
(4) CE, 27 mai 1977, n° 98122, Société anonyme Victor Delforge et Compagnie et sieur Victor Delforge (N° Lexbase : A8448B8E), Rec. CE, p. 253, JCP éd. G, 1978, II, n° 18778, note Pacteau.
(5) CE, 7 décembre 1979, n° 13001, Société "Les fils de Henri Ramel" (N° Lexbase : A0128AKX), D., 1980, jurisp., p. 303, concl. Genevois, JCP éd. G, 1981, II, n° 19500, note Pacteau.
(6) CE, 24 mai 1995, n° 139227, Commune de Sanary-sur-Mer c/ SARL "Bar Le Lyon" (N° Lexbase : A3987ANY), GP, 1995, 2, lettre jurisp., p. 569.
(7) CE, 29 mars 1957, Roger, Rec. CE, p. 223, AJDA, 1957, p. 205, concl. Grevisse.
(8) CE, 3 mars 1958, Pitié, Rec. CE, p. 142.
(9) Cass. civ. 1, 17 octobre 1958, Bull. civ. n° 308 ; CE, 10 juillet 1954, Ville de Caen, Rec. CE, p. 459.
(10) CE, 13 juillet 1961, Compagnie fermière du Casino municipal de Constantine, Rec. CE, p. 487, RDP, 1961, p. 1087, concl. Bernard.
(11) Par exemple : Cass. civ. 1, 7 octobre 1980, n° 79-13.845, Association des modélistes ferroviaires de la région parisienne (N° Lexbase : A5022CG4), Bull. civ. I, n° 247.
(12) T. confl., 24 septembre 2001, Société B. E. diffusion, BJCP, 2002, p. 61, concl. Commaret, Contrats Marchés Pub., 2001, comm. 242, note Eckert, CJEG, 2002, p. 217, note Yolka.
(13) Cass. civ. 1, 5 février 2002, n° 00-12.824, Commune de Forcalquier c/ Mme Josette Djoudi, épouse Djoudi Tchotcho, F-D (N° Lexbase : A9321AXI) ; Cass. civ. 1, 19 mars 2002, n° 00-17.233, M. Ibrahim Faye c/ Office national des forêts, F-D (N° Lexbase : A3041AYB) ; Cass. civ. 1, 11 juin 2002, n° 98-18.218, Association des constructeurs amateurs de l'Auxerrois (ACAA) c/ Aéroclub de Joigny F-D (N° Lexbase : A8867AY3).
(14) Cf. l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006, relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L3736HI9), JO, 22 avril 2006, p. 6024.
(15) L'article L. 84 du Code du domaine de l'Etat avait fait l'objet d'une interprétation jurisprudentielle extensive, rendue nécessaire par une rédaction maladroite qui visait seulement certaines personnes publiques, certains titres d'occupation et certaines juridictions administratives. Cette triple restriction disparaît avec l'article L. 2331-1 du Code général de la propriété des personnes publiques selon lequel : "sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordés ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires".
(16) CE, 13 juillet 1961, Compagnie fermière du Casino municipal de Constantine, précité.
(17) Par exemple : CE, 9 décembre 1988, n° 80151, SARL Le royaume de la bouillabaisse (N° Lexbase : A0522AQE), ou encore CE, 24 mai 1995, M. Choukroun et autres - SARL Galerie des tissus - SARL Galerie Les bons tissus (N° Lexbase : A4275ANN), Rec. CE, p. 781.
(18) CE, 28 janvier 1970, n° 76557, Consorts Philip-Bissinger (N° Lexbase : A8811B8T), Rec. CE, p. 58.
(19) CE, 19 février 1965, n° 56698, Brangeon (N° Lexbase : A2820B8X), Rec. CE, p. 118.
(20) CE, 2 mars 1990, n° 91687, Mme Peugnez (N° Lexbase : A5555AQS), Rec. CE, p. 59, AJDA, 1990, p. 384, chron. Honorat et Baptiste, Les petites affiches, 1990, 20 juin, p. 7, concl. De Guillenschmidt.
(21) Par exemple : Cass. civ. 1, 7 octobre 1980, n° 79-13.845, Association des modélistes ferroviaires de la région parisienne, précité.
(22) Par exemple : CE, 16 janvier 1985, n° 57106, Codorniu (N° Lexbase : A3377AMZ), RFDA, 1985, p. 516, note Rezenthel.
(23) T. confl., 24 septembre 2001, Société B. E. diffusion, précité.
(24) Cass. civ. 1, 11 décembre 2001, n° 00-15.897, M. Laurent Martrette c/ Commune de Collioure, F-D (N° Lexbase : A6323AXH).
(25) Cass. civ. 1, 11 juin 2002, n° 98-18.218, Association des constructeurs amateurs de l'Auxerrois (ACAA) c/ Aéroclub de Joigny (N° Lexbase : A8867AY3).
(26) Cass. civ. 1, 19 mars 2002, n° 00-17.233, M. Ibrahim Faye c/ Office national des forêts, précité.
(27) TGI Paris, 11 janvier 2002, Maire de Paris c/ SARL La grande roue de Paris, AJDA, 2002, p. 445, note Dufau, Les petites affiches, 6 juin 2002, p. 19, note Spitz et Cocquio.
(28) TGI Aix-en-Provence, 16 janvier 2007, n° RG 07/00050, Commune d'Aix-en-Provence c/ Monsieur Denis Clairefond e.a. (N° Lexbase : A7244DUT), JCP éd. A, 2007, n° 2188, comm. Yolka, AJDI, 2007, p. 177, note Raynaud.
(29) Cass. civ. 1, 13 novembre 2003, n° 01-01.146, M. Thierry Desprez c/ Commune de Carcans (N° Lexbase : A1215DAA), JCP éd A, 2003, n° 2129, commentaire Renard-Payen, Bull. civ. p. 185.
(30) Par exemple : Cass. civ. 1, 7 octobre 1980, n° 79-13.845, Association des modélistes ferroviaires de la région parisienne, précité, Bull. civ. I, n° 247.
(31) Beaucoup d'arrêts relèvent que l'expulsion ne porte atteinte ni à la propriété privée, ni à une liberté fondamentale, et (ou) qu'elle se rattache à un pouvoir appartenant à l'administration. Par exemple : T. confl., 18 octobre 1999, n° 03169, Mme Martinetti (N° Lexbase : A5617BQ4), Rec. CE, p. 468 ou Cass. civ. 1, 19 décembre 1995, n° 93-21.657, Ville d'Epinay-sur-Seine c/ Association Maison des jeunes et de la culture d'Orgemont (N° Lexbase : A6153ABI), Bull. civ. I, n° 483.
(32) Cass. civ. 1, 30 mars 1999, n° 97-15.603, Ville de Kientzheim c/ Société Le Château de Reichenstein (N° Lexbase : A3431AUM), Bull. civ. I, n° 117.
(33) Par exemple : T. confl., 4 juillet 1977, n° 02053, Epoux Baume et Juarez (N° Lexbase : A8092BD3), Rec. CE, p. 738.
(34) Loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000, relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (N° Lexbase : L0716AID), JO, 6 juillet 2000, p. 10689.
(35) Les règles du II de l'article 9 de la loi n° 2000-614 de 2000 ont été profondément remaniées par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance (N° Lexbase : L6035HU3) (JO, 7 mars 2007, p. 4297). Désormais, en cas de stationnement illégal et lorsque le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques, le maire peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux et, si la mise en demeure n'est pas suivie d'effets dans le délai fixé et n'a pas fait l'objet d'un recours dans les conditions fixées, le préfet peut directement procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles. Le président du TGI n'a donc plus à intervenir, et la procédure est entièrement entre les mains des autorités administratives.
(36) CE, 13 décembre 1972, Compagnie d'assurances maritimes, aériennes et terrestres Camat' (N° Lexbase : A9772B73), Rec. CE, p. 805, JCP éd. G, 1974, II, n° 17686, note Moderne.
(37) T. confl., 17 novembre 1975, n° 02016, Gamba (N° Lexbase : A8330BDU), Rec. CE, p. 801, AJDA, 1976, p. 82, chron. Boyon et Nauwelaers.
(38) T. confl., 21 mars 2005, n° 3436, Slibail Energie c/ Ville de Conflans-Sainte-Honorine (N° Lexbase : A1187DPN), AJDA, 2005, p. 1186, note Dreyfus, DA, 2005, n° 8-9, comm. n° 115, note Menemenis, BJCP, 2005, n° 41, p. 327, note Mauguë.
(39) T. confl., 14 février 2005, n° 3405, SA Maison de Domingo (N° Lexbase : A1181DPG), JCP éd. A, 2005, p. 709, comm. Moreau, RJEP, 2005, p. 254, note Lenica.
(40) CE, 11 décembre 2000, n° 207488, M. et Mme Leniau (N° Lexbase : A1584AII), AJDA, 2001, p. 193, note Raunet et Rousset.
(41) Cass. civ. 1, 6 mars 2001, n° 98-23.120, Société White Sas c/ Mme Vinceneux, ès qualités de liquidateur de M Marty (N° Lexbase : A4597ARP), Bull. civ. I, n° 61.
(42) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 04-14.033, Crédit municipal de Paris c/ Mme Simone Locatelli, FS-P+B (N° Lexbase : A0345DMQ), AJDI, 2006, p. 457, obs. Zalewski, BJCL, 2006, p. 192, avis Sainte-rose et note Janicot, Contrats MP, 2006, mars, p. 23, note Eckert, JCP éd. A, 2006, n° 1312, note Renard-Payen.

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Procédures fiscales

[Jurisprudence] Quand la procédure de liquidation judiciaire dicte ses règles à la procédure fiscale

Réf. : CE Contentieux, 14 mars 2008, n° 290591, Me Moyrand (N° Lexbase : A3814D7E)

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N7618BEU

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

Le 07 Octobre 2010

Par une décision en date du 14 mars 2008, à paraître au Recueil, la section du contentieux du Conseil d'Etat a clarifié les règles applicables en matière de notification des actes de procédure fiscale aux entreprises faisant l'objet d'une liquidation judiciaire. Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que la proposition de rectification des bases d'imposition d'un exploitant individuel mis en liquidation judiciaire, et ainsi dessaisi de ses biens dès le prononcé du jugement, devait être adressée au liquidateur judiciaire à peine d'irrégularité de la procédure d'imposition. Ce faisant, la Haute juridiction a mis fin à une jurisprudence hésitante et souvent pragmatique en prenant essentiellement en compte la situation patrimoniale, et non fiscale, de l'entreprise en cause : plus précisément, la situation fiscale de l'entreprise est appréhendée dans le cadre de sa situation patrimoniale, les dettes fiscales ne se voyant accorder aucun sort particulier par rapport aux autres dettes de l'entreprise. La solution retenue, si elle est exigeante pour l'administration qui devra veiller à se tenir informée des mises en liquidation judiciaire, est cependant conforme à la lettre des dispositions du Code de commerce relatives aux entreprises placées en liquidation judiciaire et l'on peut penser qu'elle vaut pour la notification de l'ensemble des actes de procédure fiscale, un avis de vérification de comptabilité devant ainsi être adressé au liquidateur si l'entreprise vérifiée fait l'objet d'une liquidation judiciaire.

De prime abord, la solution retenue a, également, le mérite de la simplicité puisqu'elle met fin aux hésitations de l'administration lorsqu'il s'agit de notifier un acte de procédure fiscale à une telle entreprise : désormais, seule la notification au liquidateur est en effet régulière. Toutefois, dans le souci bien légitime de tenir compte des difficultés que peut rencontrer l'administration fiscale pour être informée de la liquidation judiciaire, le Conseil d'Etat a apporté une importante précision à cette règle, la notification de l'acte en cause au contribuable et non au liquidateur permettant d'interrompre la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants du LPF tant que l'administration n'a pas été informée de la liquidation. Cette précision démontre l'intérêt que peut conserver la notification des actes de procédure fiscale au contribuable.

1. Bien que les conséquences d'une liquidation judiciaire sur la situation d'une entreprise fussent clairement définies par le Code de commerce, la jurisprudence du Conseil d'Etat était jusqu'à présent hésitante lorsqu'il s'agissait d'identifier quel devait être, pour le compte d'une telle entreprise, l'interlocuteur de l'administration fiscale

1.1. Les conséquences d'une liquidation judiciaire sur la situation de l'entreprise

1.1.1. Les dispositions du Code de commerce relatives à la liquidation judiciaire confèrent au seul liquidateur qualité pour exercer les droits et actions de l'entreprise pendant la liquidation

Les règles des procédures collectives de redressement et de liquidation judiciaires des entreprises fixées par le Code de commerce concernent non seulement les personnes morales, mais aussi les personnes physiques. Elles sont très claires : le débiteur placé en liquidation judiciaire est immédiatement dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens. Ce principe résulte de l'effet de saisie collective des droits patrimoniaux du débiteur par les créanciers représentés par le liquidateur. Il figurait dans la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 (N° Lexbase : L7803GT8) et a été repris par l'article 152 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires (N° Lexbase : L4126BMR). Il a été codifié à l'article L. 622-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3868HBU) avant d'être repris, à la suite de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT), à l'article L. 641-9 I du même code (N° Lexbase : L3951HBX). Aux termes de cet article : "Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur".

La liquidation judiciaire affecte donc essentiellement la situation patrimoniale de l'entreprise concernée et plus particulièrement sa représentation patrimoniale qui échoit au seul liquidateur, à l'exclusion des dirigeants de l'entreprise. La règle est ici beaucoup plus simple qu'en matière de redressement judiciaire puisqu'elle s'impose au tribunal de commerce alors que ce tibunal fixe la mission de l'administrateur judiciaire chargé d'assurer l'administration de l'entreprise placée en redressement judiciaire. Le Conseil d'Etat l'a rappelé lui-même il y a peu (même si ce fut, nous le verrons, pour adopter, ensuite, une solution plus pragmatique) : si la personnalité morale d'une société subsiste pour les besoins de sa liquidation, elle ne peut plus, à compter de l'intervention du jugement ordonnant la liquidation judiciaire ou la cession totale de ses actifs et ayant pour effet sa dissolution, être représentée que par un liquidateur ou un mandataire ad hoc et non par son gérant dont les pouvoirs ont pris fin (CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2006, n° 276854, M. Vandycke N° Lexbase : A2401DPM, RJF, 2006, n° 1065, BDCF, 2006, n° 105, conclusions Collin).

En la matière, la jurisprudence administrative rejoint la jurisprudence judiciaire : la Cour de cassation a ainsi jugé qu'après la dissolution de la société, ses dirigeants et donc, notamment, l'administrateur judiciaire désigné après la mise en redressement ne peuvent plus la représenter et agir en son nom, la société ne pouvant plus agir que par l'intermédiaire du liquidateur ou, après sa cessation de fonction à la clôture de la liquidation, d'un mandataire ad hoc désigné par le juge (Cass. com., 16 mars 1999, n° 96-19.078, Société Lorient Université c/ M. Bideau N° Lexbase : A8929AH8, Bull. civ. IV, n° 66, RJDA, 1999, n° 560). Soulignons que cette jurisprudence vaut tout autant pour une dissolution du fait de l'intervention d'un jugement de liquidation que pour une dissolution résultant d'un jugement ordonnant un plan de cession total des actifs (Cass. civ. 2, 6 mai 1999, n° 96-18.070, Société Soclaine c/ Blondelle N° Lexbase : A8039AGT, Bull. civ. II, n° 88).

1.1.2. Ces dispositions imposent normalement à l'administration fiscale de s'adresser au seul liquidateur pour toute notification d'actes de procédure fiscale

Dans une espèce très proche de celle jugée par la section du contentieux le 14 mars 2008, la cour administrative d'appel de Marseille a considéré qu'en application des dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce (reprises, désormais, à l'article L. 641-9 du même code), l'administration avait l'obligation, en cas de liquidation judiciaire d'une entreprise, de poursuivre la procédure de redressement fiscal à l'égard du liquidateur (CAA Marseille, 17 novembre 2005, n° 01MA00285, Lagrange N° Lexbase : A0607DMG, RJF, 2006, n° 905). La cour a ainsi jugé qu'il appartenait effectivement au liquidateur de présenter les observations de la société liquidée en réponse à la notification de redressements qui avait été adressée à celle-ci avant qu'elle ne fût placée en liquidation judiciaire : l'on voit donc que la désignation d'un liquidateur, même si elle intervient en cours de procédure de redressement fiscal, s'impose à l'administration fiscale qui doit désormais s'adresser à lui seul et non plus aux dirigeants de cette société. Au fond, c'est la procédure de liquidation judiciaire qui l'emporte sur la procédure fiscale. La solution ainsi retenue par la cour administrative d'appel de Marseille, qui n'était pas isolée (cf. CAA Paris, 17 mars 1992, n° 90PA00752, Mme Cohen N° Lexbase : A9493A84, RJF, 1992, n° 826, DF, 1992, n° 2486, conclusions C. Martin : solution rendue sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 ; CAA Marseille, 26 mai 2005, n° 00MA002787, M. Jean-Jacques Arnoux N° Lexbase : A3955DKP, RJF, 2006, n° 564) et qui a été confirmée par la décision "Moyrand" du 14 mars 2008, était strictement conforme à la lettre des dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat lui-même, dans sa jurisprudence récente, avait donné toute sa portée à l'intervention d'une liquidation judiciaire en jugeant que la vérification de comptabilité d'une société placée en liquidation judiciaire devait être précédée d'un avis de vérification adressé au mandataire judiciaire en sa qualité de mandataire à la liquidation de cette société (CE Section 6 octobre 2000, n° 208765, SARL Trace N° Lexbase : A9611AHG, RJF, 2000, n° 1497, chron. J. Maïa p. 895, BDCF, 2000, n° 139, conclusions Bachelier). De même, le Conseil avait jugé que l'avis de la commission départementale des impôts rendu sur un différend opposant l'administration fiscale à une société en situation de liquidation judiciaire devait être notifié au mandataire liquidateur ou à la société mais non à l'ancienne gérante de cette société (CE 27 juillet 2005, n° 258164, Berreville N° Lexbase : A1312DKS, RJF, 2005, n° 1250). On le voit donc, dans sa jurisprudence récente, le Conseil d'Etat s'efforçait de tenir des conséquences de la liquidation judiciaire d'une entreprise lorsqu'il s'agissait d'indiquer à l'administration fiscale quel devait être son interlocuteur. Toutefois, aucune règle claire et intangible n'avait encore été affirmée : c'est pourquoi, comme nous allons le voir, la jurisprudence restait incertaine et pragmatique et c'est tout l'objet et tout l'apport de la décision du 14 mars 2008 que d'avoir affirmé un principe dans un domaine où prévalaient des solutions d'espèce.

1.2. Une jurisprudence administrative incertaine et marquée par le souci de tenir compte des droits du contribuable

1.2.1. Une jurisprudence administrative incertaine

Si la jurisprudence récente du Conseil d'Etat s'était orientée vers une application plus littérale des dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce, il n'en demeure pas moins que son approche restait essentiellement pragmatique, comme le démontre la solution rendue par la décision précitée "Vandycke". Dans cette décision, en effet, le Conseil a jugé qu'en l'absence de liquidateur ou de mandataire ad hoc, l'administration fiscale pouvait s'en tenir, pour assurer la fonction d'interlocuteur du vérificateur dans une procédure de contrôle fiscal, au gérant de la société assisté de l'administrateur judiciaire dès lors qu'il résultait du jugement du tribunal de commerce décidant la cession totale des actifs de cette société qu'à la date de ce jugement, la qualité de représentant de la société du gérant était maintenue et que l'administrateur judiciaire était investi d'une mission de commissaire à l'exécution du plan de cession des actifs. Le Conseil d'Etat a ainsi fait application de la "théorie de l'apparence" qui joue tant lorsqu'il s'agit d'identifier le contribuable (CE 20 février 1974, n° 83270, Lemarchand N° Lexbase : A5223AY4, Dupont 1974 n° 16.979 p. 201 : un contribuable qui s'est présenté comme exploitant personnellement une entreprise commerciale et qui a inscrit deux ouvriers sur son livre de paye ne peut demander l'annulation de la TVA en soutenant que l'entreprise est en réalité exploitée par l'un de ses ouvriers auquel il a accepté de servir de prête-nom et compte donc en réalité un seul ouvrier, ce qui en fait une entreprise artisanale exonérée de TVA ; CE, 29 mai 1991, n° 70570, L'Eveil du centre N° Lexbase : A9429AQB, RJF, 1991, n° 972 : dès lors que les dirigeants d'une société n'ont pas informé l'administration de ce qu'elle n'a pas été en définitive immatriculée au registre du commerce, l'administration peut opposer à cette société son caractère apparent de SARL qui la rend passible de l'impôt sur les sociétés) que lorsqu'il s'agit de déterminer quel doit être le destinataire des actes de procédure fiscale (CE (na) 17 juillet 1998, Indivision Thomas, RJF, 1998, n° 1318 : l'administration peut régulièrement adresser un avis de vérification en matière de TVA à la personne se présentant en apparence comme l'exploitant d'une entreprise individuelle alors même que l'administration a ultérieurement considéré l'entreprise comme exploitée en société de fait). Il s'agit, en bref, de prendre l'entreprise au mot, c'est-à-dire à ses propres déclarations. Dans ses conclusions sous la décision "Vandycke", le commissaire du Gouvernement P. Collin indiquait : "La situation apparente à laquelle était confrontée l'administration était celle d'une société en redressement judiciaire, gérée par un administrateur judiciaire et soumise à un plan de cession d'actifs ne se qualifiant pas lui-même de total. Les représentants de l'entreprise ne s'estimaient pas dessaisis de leurs pouvoirs d'action en son nom et n'avaient pas demandé l'ouverture d'une procédure de liquidation" (nous soulignons). C'est dire que, dans cette décision, le Conseil d'Etat a déterminé le destinataire des actes de procédure fiscale à partir de ce que connaissait l'administration de la situation de l'entreprise et non à partir de la situation réelle de l'entreprise en cause. La décision "Vandycke" se situe ainsi dans une "tradition" jurisprudentielle attachée à tenir compte des difficultés que peut rencontrer l'administration fiscale pour être informée de la situation réelle de l'entreprise contrôlée. Au contraire, la décision du 14 mars 2008 fait perdre à l'administration le bénéfice de la théorie de l'apparence : en effet, même si l'administration n'a pas connaissance de la liquidation judiciaire de l'entreprise et même si donc cette dernière n'est apparemment pas en situation de liquidation, l'administration doit tout de même notifier au liquidateur l'ensemble des actes de procédure fiscale.

Outre la décision "Vandycke", la jurisprudence administrative fut longtemps incertaine et attachée à préserver le rôle du contribuable. Ainsi, la jurisprudence du Conseil d'Etat limite les effets du dessaisissement du contribuable en ce qui concerne son droit d'ester en justice devant la juridiction administrative puisque ce dernier, sauf opposition de son liquidateur, peut seul saisir le juge administratif (CE Section, 17 mars 1978, n° 00014 N° Lexbase : A2908AIK, n° 01525 N° Lexbase : A2909AIL, n° 95331 N° Lexbase : A2907AII, SA Entreprise Renaudin, au Recueil p. 140). Surtout, le Conseil d'Etat a jugé, d'une part, que la notification du rejet de la réclamation formée par une société mise en liquidation judiciaire à son syndic n'était pas opposable à la société et ne faisait pas courir le délai de recours à son encontre (CE, 22 novembre 1991, n° 79477, SARL Aram et M. Dumoulin N° Lexbase : A9142AQN, RJF, 1992, n° 135) et, d'autre part, qu'était régulière la procédure d'imposition suivie à l'encontre du contribuable même si à la date à laquelle les redressements lui avaient été notifiés, la société dont il était le dirigeant et l'associé était en état de liquidation de biens et était administrée par un syndic (CE, 9 décembre 1988, n° 40068, Emile Dufour N° Lexbase : A7438AP8, RJF, 1989/2, p. 22).

Par ailleurs, la cour administrative d'appel de Versailles avait jugé, plus récemment, que le contrôle de la déclaration de revenu global dont la production incombe même au contribuable exploitant une entreprise individuelle en liquidation judiciaire, que ce contrôle donc ne pouvait être poursuivi qu'avec ce contribuable et que le mandataire-liquidateur n'avait donc pas à être rendu destinataire de la notification de redressement concernant une plus-value de cession de titres d'une SARL dont le contribuable était également cogérant (CAA Versailles, 12 avril 2005, n° 03VE02259, Me Buit es qualité N° Lexbase : A0003DIX, RJF, 2005, n° 906). Cette analyse, nettement infirmée par la décision du 14 mars 2008, se retrouvait également dans un jugement du tribunal administratif de Nantes selon lequel une notification de redressement en matière d'impôt sur le revenu pouvait être régulièrement adressée au foyer fiscal même si les redressements avaient tiré les conséquences de la situation de l'entreprise individuelle exploitée par l'un des conjoints et mise en liquidation judiciaire (TA Nantes, 23 janvier 2004, Moulet, RJF, 2004, n° 1020, DF, 2004, n° 612, conclusions Livenais). Au total, une grande partie de la jurisprudence administrative s'attachait donc à distinguer la situation des contribuables de la situation des entreprises dont ils pouvaient être les dirigeants ou les associés et plus précisément à faire en sorte que la seconde n'influe pas sur la première en matière de contrôle fiscal.

1.2.2. Une jurisprudence administrative marquée par le souci de tenir compte des droits du contribuable

Si la jurisprudence administrative a longtemps répugné à écarter complètement de la procédure de vérification le contribuable, c'est d'abord parce qu'elle ne pouvait ignorer la principale obligation de celui-ci qui est de s'acquitter de l'impôt. Il faut, en effet, rappeler que c'est le contribuable qui demeure, en tout hypothèse, le redevable de l'impôt (CE Plénière, 18 juin 1984, n° 22019, Darroussez N° Lexbase : A7588ALM, RJF, 1984, n° 1005, avec conclusions Bissara p. 469). La Cour de cassation rappelle aussi que c'est le contribuable qui est pénalement responsable du délit de fraude fiscale (Cass. crim., 11 janvier 1996, n° 95-80.979, Neveu N° Lexbase : A9092ABD, JCP éd. G, n° 20, p. 133 ; Cass. crim., 1er mars 2000, n° 98-85.818 N° Lexbase : A8748AHH, Bull. crim., n° 99, p. 295, JCP 2000, IV, n° 2045).

Par ailleurs, l'obligation de déclaration des revenus du foyer fiscal posée par l'article 170 du CGI (N° Lexbase : L9242HZC) est une obligation personnelle. Or, la notification de redressement constitue une rectification de la déclaration opérée par le contribuable et les dispositions de l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L5567G4X) indiquent clairement que "l'administration adresse au contribuable une notification de redressement". La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans l'arrêt précité du 11 janvier 1996, a ainsi jugé que les déclarations annuelles des ressources du foyer restaient, contrairement aux déclarations relatives à une activité professionnelle, une obligation personnelle échappant aux prévisions de l'article 152 de la loi du 25 janvier 1985. Un commerçant qui se fonde sur le dessaisissement de la gestion de ses biens résultant de sa mise en liquidation judiciaire pour ne pas faire de déclaration de revenus encourt donc des poursuites pour fraude fiscale. C'est d'ailleurs en se fondant sur le caractère personnel de cette obligation que la cour administrative d'appel de Paris, dans l'arrêt annulé par la décision du 14 mars 2008, avait jugé, comme la cour administrative d'appel de Versailles dans l'arrêt précité du 12 avril 2005, que la notification de redressement avait été régulièrement adressée au seul contribuable.

Plus généralement, la jurisprudence administrative, et plus précisément le juge de l'impôt, était réticente à faire prévaloir sur la lettre des dispositions de l'article L. 57 du LPF, qui imposaient une notification au contribuable, la lettre des dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce, qui imposaient une notification au liquidateur dès lors que l'entreprise exploitée ou dirigée par le contribuable était en situation en liquidation judiciaire. Les deux dispositions en cause étaient, en effet, de rang équivalent, si bien que le principe de hiérarchie des normes n'était d'aucune utilité, et en outre il était sans doute difficile pour le juge de l'impôt de soumettre la procédure d'imposition à la procédure de liquidation judiciaire.

2. La solution retenue par la section du contentieux inclut légitimement la dette fiscale dans le patrimoine de l'entreprise liquidée mais reste complexe et de portée incertaine

2.1. Le Conseil d'Etat fait prévaloir la situation patrimoniale de l'entreprise sur sa situation fiscale

2.1.1. La notification de redressement concernant une entreprise en liquidation judiciaire doit être adressée au liquidateur

En l'espèce, à la suite d'une vérification de comptabilité d'une SARL, l'administration avait adressé aux deux gérants une notification de redressement qu'ils avaient reçue le 31 décembre 1991. Un jugement du tribunal de commerce avait placé l'un des gérants en liquidation judiciaire pour une entreprise exploitée à titre individuel et désigné un mandataire-liquidateur. Le tribunal administratif, saisi par les gérants à la suite du rejet de leurs réclamations par l'administration, avait rejeté les conclusions de leur requête et la cour administrative d'appel avait rejeté l'appel formé contre ce jugement par le liquidateur, qui s'était pourvu en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d'Etat considère, cependant, qu'il résulte de l'article 152 de la loi du 25 janvier 1985, dont les dispositions sont reprises à l'article L. 641-9 du Code de commerce, que les droits et actions du débiteur qu'il vise incluent ceux qui se rapportent, le cas échéant, aux dettes fiscales de celui-ci, et, par suite, aux actes de la procédure d'imposition le concernant, tels que les notifications de redressements, qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur son patrimoine. Il en va de même dans le cas de la liquidation judiciaire d'une personne physique exerçant une activité commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à laquelle ces dispositions sont également applicables. Dès lors, c'est au liquidateur judiciaire que doit être adressée la notification des redressements envisagés par l'administration des bases d'imposition d'un contribuable qui se trouve dans ce cas.

La règle est donc, désormais, claire et concerne, selon nous, l'ensemble des actes de procédure fiscale : ces actes, dès lors qu'ils concernent une entreprise ou une société placée en liquidation judiciaire, doivent être adressés au liquidateur judiciaire de celles-ci sous peine d'être irréguliers. Le Conseil d'Etat a ainsi fait prévaloir la situation patrimoniale de l'entreprise sur sa situation fiscale. C'est qu'en effet la notification de redressement est susceptible d'avoir des conséquences patrimoniales et donc de porter atteinte aux intérêts des créanciers. Ainsi que le soulignait déjà P. Collin dans ses conclusions sous la décision "Vandycke", "l'exercice des droits et actions en matière fiscale se rattache évidemment aux droits et actions concernant le patrimoine de la société". Ainsi, même si l'obligation de déclaration des revenus du foyer fiscal a un caractère personnel, la procédure de contrôle fiscal a des conséquences patrimoniales. Or, la règle du dessaisissement du débiteur n'est écartée que pour les seules actions attachées à la personne de ce dernier sous réserve qu'elles n'aient pas de conséquences patrimoniales. En effet, la règle du dessaisissement du débiteur qui a pour objet de protéger les créanciers représentés par le liquidateur revêt une portée très générale : ce dessaisissement concerne tous les biens du débiteur, même ceux non affectés à l'activité de son entreprise (pour une personne physique mariée sous le régime de la communauté, tous les biens communs sont concernés ; seuls y échappent les biens déclarés insaisissables : ce principe d'unité du patrimoine a été rappelé par un arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 1991 : Cass. com., 27 novembre 1991, n° 90-11.122, SCI La Fenière c/ M. Berle et autres N° Lexbase : A4222AGH). C'est pourquoi, dans l'espèce jugée par la section du contentieux le 14 mars 2008, l'argumentation du ministre tirée de ce que la notification de redressement en litige n'avait pas porté sur les revenus tirés de l'entreprise individuelle mise en liquidation judiciaire était inopérante dès lors que cette mise en liquidation avait eu des effets sur tout le patrimoine de l'intéressé. Le caractère attractif de la situation patrimoniale sur la situation fiscale est ainsi manifesté : toute dette fiscale, quelle qu'elle soit, a en effet des conséquences patrimoniales.

Dans ses conclusions sous la décision du 14 mars 2008, le commissaire du Gouvernement N. Escaut, après avoir indiqué que "la logique purement fiscale devrait [...] conduire à n'admettre comme interlocuteur de l'administration que le seul contribuable" mais que, de ce fait, serait écartée "la règle de son dessaisissement du fait de sa mise en liquidation judiciaire", proposait, "Pour concilier les deux logiques [...] d'adresser la notification de redressement, aujourd'hui proposition de rectification, à la fois au contribuable et au liquidateur, tout en reconnaissant que les conséquences pratiques de cette double obligation pourraient poser certaines difficultés". La section du contentieux n'a pas retenu cette proposition de notification simultanée au contribuable et au liquidateur, lui préférant une application stricte des dispositions du Code de commerce (stricte, c'est-à-dire littérale et s'imposant aux dispositions de l'article L. 57 du LPF) qui, nous allons le voir, n'est cependant pas exclusive d'une notification successive au contribuable et au liquidateur, étant précisé que la notification au premier ne permet alors que d'interrompre la prescription prévue à l'article L. 169 du LPF, seule la notification au second étant régulière. En d'autres termes, contrairement à ce que proposait son commissaire du Gouvernement, la section du contentieux a jugé qu'en cas de liquidation judiciaire, la notification des redressements au contribuable ne devait, en principe, être faite qu'au liquidateur : une seule notification suffit donc à rendre régulière la procédure de redressement.

2.1.2. L'application de cette règle ne peut être retardée par les délais de publication du jugement prononçant la mise en liquidation judiciaire

Il ressort des termes mêmes de l'article L. 622-9 du Code de commerce que le jugement qui prononce la mise en liquidation judiciaire emporte, dès sa date de rendu, dessaisissement du débiteur. L'absence de publication du jugement au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) est donc sans influence en la matière ainsi que l'a jugé la Cour de cassation (Cass. com., 2 avril 1996, n° 92-19.912, Monsieur Abbadie, ès Qualités de Mandataire-Liquidateur de la Liquidation Judiciaire de Monsieur Rouvrais c/ Directeur du Centre des Chèques Postaux de Toulouse N° Lexbase : A9314ABL, Bull. civ. IV, n° 103, p. 88). En d'autres termes, dès l'intervention du jugement, le liquidateur est seul habilité à exercer les droits et actions de l'entreprise en cause qui concernent son patrimoine. Cette exécution immédiate du jugement de liquidation judiciaire se justifie par la nécessité de prendre d'urgence, dans l'intérêt des créanciers, des mesures qui empêchent le débiteur de compromettre ce qui reste d'actif.

Dans l'espèce jugée par la section du contentieux, et ainsi que cela ressort des conclusions du commissaire du Gouvernement, le jugement de liquidation des biens en date du 3 décembre 1991 avait été publié au registre du commerce le 8 décembre 1991 et au BODACC le 10 janvier 1992 seulement, c'est-à-dire postérieurement à la notification des redressements en date du 13 décembre 1991. En principe, donc, il appartient à l'administration fiscale, quelle que soit la date de publication au BODACC du jugement de liquidation des biens, d'adresser tous les actes de procédure fiscale au seul liquidateur à l'exclusion du contribuable. Telle est la solution de principe. Toutefois, la section du contentieux a tenu à ne pas pénaliser l'administration fiscale, et donc à ne pas systématiquement décharger les impositions pour irrégularité de la notification de redressement, lorsque celle-ci n'a pas été informée de la liquidation judiciaire et a donc fort logiquement notifié au contribuable les redressements qu'elle envisageait. En effet, comment pourrait-on imposer à l'administration de notifier les redressements à un liquidateur dont elle ignore l'existence ?

2.2. Une solution complexe et de portée incertaine

2.2.1. La subtile distinction entre notification interruptive de prescription et notification régulière

Dès lors qu'à l'impossible nul n'est tenu, le Conseil d'Etat a considéré que jusqu'à la date à laquelle l'administration a été informée de la liquidation judiciaire, et au plus tard à la date de publication de ce jugement au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, la notification faite non au liquidateur mais au seul contribuable a pour effet d'interrompre, en application de l'article L. 189 du LPF (N° Lexbase : L8757G8T), la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants de ce livre. L'administration qui, ignorant légitimement (légitimement car le jugement n'a pas été publié au BODACC) l'existence d'une liquidation judiciaire, notifie les redressements au contribuable, et non au liquidateur, n'est donc pas pénalisée en ce qui concerne les délais de prescription : à ce stade, en effet, l'administration, si elle doit normalement notifier les redressements au liquidateur en vertu des dispositions de l'article L. 622-9 du Code de commerce, ne peut matériellement le faire. L'on retrouve presque la théorie de l'apparence puisqu'il est tenu compte de la situation de l'entreprise telle qu'elle apparaît à l'administration fiscale, à savoir une entreprise "normale" et donc représentée par ses dirigeants, et non de la situation réelle de cette même entreprise, à savoir une entreprise en liquidation judiciaire et donc représentée par son liquidateur. Toutefois, si c'est "presque" l'application de la théorie de l'apparence, cela ne l'est pas tout à fait. Il y a, en effet, une grande différence entre les applications que nous avons évoquées de cette théorie et l'analyse retenue par la section du contentieux dans la décision du 14 mars 2008 : dans celles-là étaient en cause le bien-fondé de l'imposition ou la régularité de la procédure d'imposition alors que dans celle-ci est en cause, seulement, le caractère interruptif de la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants du LPF. Pour le dire autrement, l'intérêt de la théorie de l'apparence est de "valider" au profit de l'administration fiscale le bien-fondé de l'imposition ou la régularité de la procédure d'imposition dans des cas où celle-ci a pu légitimement se fonder sur la situation du contribuable telle qu'elle lui était apparue, notamment parce que ce dernier la lui avait laissée apparaître comme telle. Rien de tel, en revanche, dans la décision du 14 mars 2008 : s'il est tenu compte de la situation de l'entreprise telle qu'elle apparaît à l'administration, et donc s'il est tenu compte de l'ignorance dans laquelle se trouve celle-ci de l'intervention d'un jugement de liquidation judiciaire, ce n'est pas pour juger régulière la notification de redressement adressée au contribuable et non au liquidateur, et pour "valider" ainsi la procédure d'imposition, mais seulement pour permettre à l'administration de disposer du délai nécessaire pour, une fois informée de l'existence de ce jugement, pouvoir adresser cette notification au liquidateur.

La notification au contribuable est donc seulement interruptive de prescription ; elle n'est pas régulière. Seule la notification au liquidateur l'est. Toutefois, pour que l'administration puisse effectuer cette notification régulière, encore faut-il qu'elle en ait le temps et c'est pourquoi, tant que le jugement n'a pas été publié au BODACC, elle peut (et doit même) notifier les redressements au contribuable afin de pouvoir ensuite utilement effectuer la notification au liquidateur qui seule garantira la régularité de la procédure d'imposition. La décision du 14 mars 2008, plutôt que d'imposer une obligation de notification au contribuable et au liquidateur comme le proposait son commissaire du Gouvernement (solution qui eût entraîné l'irrégularité de la procédure d'imposition en cas de non-notification ou de notification tardive à l'un d'entre eux), impose donc une obligation de notification au liquidateur seulement tout en prévoyant un système de notifications successives, la première notification au contribuable interrompant la prescription afin que la seconde notification au liquidateur puisse intervenir dans les délais et être ainsi régulière.

Au total, en cas de liquidation judiciaire, la notification des actes de procédure fiscale au contribuable n'est jamais régulière au sens de l'article L. 57 du LPF : tout au plus permet-elle à l'administration, en interrompant la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants du LPF, de procéder à une notification régulière en adressant ces actes au liquidateur judiciaire. La notification des actes de procédure fiscale au contribuable est donc utile à l'administration tant que le jugement de liquidation n'a pas été publié au BODACC.

2.2.2. La solution retenue par la section du contentieux peut-elle être transposée aux situations de redressement judiciaire ?

En matière de redressement judiciaire comme en matière de liquidation judiciaire, la jurisprudence fut d'abord très favorable au contribuable. C'est ainsi que le Conseil d'Etat avait jugé que la notification régulière à un contribuable mis en règlement judiciaire de la décision du directeur rejetant la réclamation formée par les syndics avait fait courir le délai de recours contentieux alors même que la notification n'avait pas été régulièrement faite aux syndics auteurs de la réclamation (CE Section, 7 février 1986, n° 43336, Mme Merique N° Lexbase : A3767AMH, RJF, 1986, n° 436). Le risque d'une telle solution, contraire à celle préconisée par le commissaire du Gouvernement N. Chahid Nouraï était d'inciter le contribuable à ne pas aviser le syndic de la décision de l'administration alors même que le rôle de ce dernier était de défendre les intérêts des créanciers. Le Conseil d'Etat avait également jugé, toujours sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967, que l'avis de vérification n'avait pas à être adressé au syndic en cas de règlement judiciaire, la notification à la société étant suffisante (CE, 26 juillet 1991, n° 64389 N° Lexbase : A8983AQR, RJF, 1991, n° 1266).

La jurisprudence administrative a cependant évolué vers une plus grande prise en compte des conséquences qu'emporte la mise en redressement judiciaire sur la représentation de l'entreprise.

Ainsi, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que, dans le cas où le tribunal de commerce a confié à l'administrateur judiciaire le soin d'assurer seul et entièrement l'administration d'une entreprise placée en redressement judiciaire, la procédure de contrôle fiscal et de redressement pouvait être valablement menée avec l'administrateur judiciaire sans que l'administration fût tenue d'y associer le gérant de l'entreprise (CAA Bordeaux, 17 octobre 2002, n° 99BX01768, Canteloup N° Lexbase : A2748A7W, RJF, 2003, n° 198, BDCF, 2003, n° 26 conclusions Chemin). Dans un tel cas, donc, l'avis de vérification et la notification de redressement doivent être adressés à l'administrateur judiciaire et le débat oral et contradictoire mené par le vérificateur doit également être mené avec ce dernier.

Précisément, dans ses conclusions sous cet arrêt, le commissaire du Gouvernement B. Chemin a rappelé qu'il appartenait au tribunal de commerce de fixer la mission de l'administrateur, lequel pouvait être chargé soit d'une simple mission de surveillance, soit d'assister le débiteur pour tous les actes concernant la gestion ou certains d'entre eux, soit d'assurer seul, entièrement ou en partie, l'administration de l'entreprise. Dans ce dernier cas qui a fait l'objet de l'affaire jugée par la cour administrative d'appel de Bordeaux, le débiteur-contribuable est donc nécessairement dessaisi au profit de l'administrateur judiciaire, seul habilité à représenter la société en redressement judiciaire. Au total, la détermination par l'administration fiscale du destinataire des actes de procédure concernant une entreprise placée en redressement judiciaire varie selon l'étendue des missions confiées à l'administrateur judiciaire : plus la mission de celui-ci est importante, plus il doit bénéficier d'un monopole de représentation de la société. L'on peut donc penser que la solution retenue par la section du contentieux le 14 mars 2008 peut être transposée en ce qui concerne les entreprises dont l'administration est entièrement confiée au seul administrateur judiciaire : dans un tel cas, en effet, les actes de procédure fiscale ne peuvent être régulièrement notifiés au contribuable, c'est-à-dire aux dirigeants de l'entreprise. Dans le cas, cependant, où la mission confiée à l'administrateur n'est pas complète, il y aura lieu pour le juge administratif d'apprécier sur quels actes d'administration porte le dessaisissement du débiteur. C'est dire que la solution retenue par la section du contentieux le 14 mars 2008 ne saurait être entièrement transposable à la situation des entreprises placées en redressement judiciaire.

Soulignons, enfin, que la décision du 14 mars 2008 vient, également, clarifier les règles applicables au délai dont dispose l'administration fiscale pour notifier les actes de procédure à l'administrateur judiciaire lorsque celui-ci est chargé de représenter le débiteur dans tous ses actes de gestion et de disposition. Dans un arrêt de plénière, la cour administrative d'appel de Versailles avait, en effet, récemment fait une stricte application des dispositions de l'article L. 621-133 du Code de commerce (N° Lexbase : L6985AIK) en jugeant que l'entreprise redevable ne pouvait être légalement destinataire de la notification de redressement qui lui avait été envoyée quelques jours après l'intervention du jugement ouvrant une procédure simplifiée de redressement judiciaire, dès lors que le dessaisissement de l'entreprise de l'administration de ses biens au profit de son administrateur judiciaire avait pris effet le jour même où le jugement avait été rendu et donc avant toute mesure de publicité (CAA Versailles, Plénière, 22 décembre 2005, n° 03VE01596, Perche N° Lexbase : A4346DNB, DF 2006, n° 384). La cour n'avait donc pas tenu compte des difficultés que peut rencontrer l'administration fiscale pour être informée du redressement judiciaire, en particulier lorsque le jugement n'a pas encore été publié au BODACC. Désormais, la règle dégagée par la décision du 14 mars 2008 a vocation à s'appliquer dans une telle hypothèse : dès lors qu'elle n'a pas été informée du redressement judiciaire dans la mesure où le jugement de redressement n'a pas été publié au BODACC, l'administration fiscale peut notifier les actes de procédure à l'entreprise, et concrètement à ses dirigeants, non pas pour s'acquitter de l'obligation d'une notification régulière (puisque seule une notification à l'administrateur judiciaire est régulière et garantit donc la régularité de la procédure d'imposition) mais pour interrompre la prescription prévue aux articles L. 169 et suivants du LPF et préserver, ainsi, la possibilité d'effectuer une notification régulière à l'administrateur.

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Responsabilité

[Jurisprudence] L'efficacité des clauses limitatives de responsabilité à l'épreuve de la faute dolosive et de la faute lourde

Réf. : Cass. com., 4 mars 2008, n° 07-11.790, Société Générali assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A3326D7C)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

L'occasion a déjà été de dire que l'efficacité des clauses restreignant la responsabilité ou limitant les obligations du débiteur en matière contractuelle, à l'origine d'une littérature doctrinale abondante (1), fait l'objet d'un vif contentieux. Et l'on n'ignore pas, précisément, que la validité de ces clauses, traditionnellement déduite du principe de la liberté contractuelle, tend à se restreindre assez considérablement en raison de la multiplication des moyens permettant de les neutraliser. Ainsi, assez récemment encore, la Cour de cassation confirmait, dans son principe, la vigueur de la solution retenue, il y a déjà quelques années, dans la désormais célèbre affaire "Chronopost", en décidant que, dans l'hypothèse dans laquelle aucune réglementation spéciale ne trouverait à s'appliquer, l'inexécution par le débiteur d'une obligation essentielle doit conduire à écarter le jeu d'une clause limitative -ou exclusive- de responsabilité, et ce sur le fondement de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9) (2). Ce à quoi s'ajoute, bien entendu, des solutions plus classiques permettant de priver d'efficacité les clauses limitatives de responsabilité sur le fondement de l'article 1150 du Code civil (N° Lexbase : L1251ABX) en cas de faute dolosive, voire de faute lourde, du débiteur. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 4 mars 2008, à paraître au Bulletin, mérite, à ce titre, d'être ici signalé. En l'espèce, la société Sony avait confié l'acheminement de palettes de matériel hi-fi à une société de transport qui, en dépit de l'interdiction de sous-traitance qui lui en avait été faite, a sous-traité le transport. La marchandise ayant été dérobée tandis que le camion la transportant était stationné sur une aire d'autoroute, l'assureur, subrogé dans les droits de l'ayant droit de la marchandise pour l'avoir indemnisé, a assigné la société de transports, qui a appelé en garantie le sous-traitant, en indemnisation de son préjudice. Les juges du fond avaient, certes, accueilli, dans son principe, la demande, mais avaient fait application de la clause limitative de responsabilité prévue au contrat, ce que contestait l'assureur faisant valoir que le transporteur avait commis une faute lourde en laissant sans surveillance le camion, muni d'une simple bâche, stationné de nuit sur une aire d'autoroute. Le moyen unique du pourvoi est cependant rejeté, la Cour de cassation décidant que, "ayant relevé que le chauffeur [...] avait garé son camion sur une aire d'autoroute qui n'était pas réputée dangereuse, à côté de nombreux camions sans qu'aucune information ne lui ait été fournie quand à la nature particulière des marchandises transportées, la cour d'appel a pu en déduire que la société [le sous-traitant] n'avait commis aucune faute lourde dans l'accomplissement de sa mission".

La solution parait justifiée. Rappelons, en effet, que si les clauses limitatives ou exclusives de responsabilité sont, tout à fait classiquement, privées d'efficacité en cas de dol du débiteur conformément à la règle de l'article 1150 du Code civil, qui dispose que "le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée", elles le sont, encore, en cas de faute lourde du débiteur, la jurisprudence ayant, depuis longtemps déjà, fait une interprétation extensive de ce texte, assimilant, précisément au dol de l'article 1150 la faute lourde. Et l'on n'ignore pas, sur ce terrain, que, à côté de l'appréciation subjective de la faute lourde caractérisée par un comportement d'une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l'inaptitude du débiteur de l'obligation à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il avait acceptée (3), certaines décisions n'ont pas hésité, un temps au moins, à procéder à une appréciation plus objective de la faute lourde, cette dernière étant alors déduite non pas de la gravité du comportement du débiteur, mais de l'importance de l'obligation inexécutée, en l'occurrence essentielle ou fondamentale (4). Toujours est-il que la Cour de cassation a, finalement, choisi d'abandonner cette approche objective de la faute lourde, très discutable au demeurant : on a, en effet, pu déduire de deux arrêts du 22 avril 2005 rendus en Chambre mixte (5) que, d'une manière générale, et pas seulement dans le cas des contrats de transport rapide, le manquement à une obligation essentielle ne saurait suffire à caractériser la faute lourde (6). La Chambre commerciale de la Cour de cassation devait d'ailleurs, par la suite, nettement affirmer que la faute lourde "ne saurait résulter du manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur" (7). Or, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté du 4 mars dernier, il n'est pas douteux que, à s'en tenir à cette appréciation subjective, aucune faute lourde ne pouvait sérieusement être imputée au transporteur.

Si la clause limitative de responsabilité ne devait donc pas être privée d'efficacité sur le terrain de la faute lourde, elle l'est, en revanche, sur le terrain de la faute dolosive. Sur le moyen relevé d'office, la Cour affirme en effet, pour finalement casser l'arrêt de la cour d'appel, sous le visa des articles 1150 du Code civil et L. 133-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5642AIS), que "le transporteur qui a été chargé de transporter une marchandise en s'étant vu interdire toute sous-traitance par l'expéditeur et qui sous-traite l'opération, se refusant ainsi, de propos délibéré, à exécuter son engagement, commet une faute dolosive qui le prive du bénéfice des limitations d'indemnisation que lui ménage la loi ou le contrat". La Cour de cassation confirme ainsi une solution acquise : le débiteur commet en effet une faute dolosive lorsque, de propos délibéré, il se refuse à exécuter ses obligations contractuelles, même si ce refus n'est pas dicté par l'intention de nuire à son cocontractant (8).


(1) P. Durand, Des conventions d'irresponsabilité, thèse Paris, 1931 ; P. Robino, Les conventions d'irresponsabilité dans la jurisprudence contemporaine, RTDCiv., 1951, p. 1 ; B. Starck, Observations sur le régime juridique des clauses de non-responsabilité ou limitative de responsabilité, D., 1974, Chron., p. 157 ; Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix, 1981 ; Ph. Delebecque et D. Mazeaud, Les clauses de responsabilité : clauses de non-responsabilité, clauses limitatives de réparation, clauses pénales, in Les sanctions de l'inexécution des obligations contractuelles, Etudes de droit comparé, LGDJ, 2001.
(2) Cass. com., 13 février 2007, n° 05-17.407, Société Faurecia sièges d'automobiles, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1894DUP) et nos obs., Obligation essentielle et clause limitative de responsabilité, Lexbase Hebdo n° 250 du 1er mars 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0986BAR) ; Cass. com., 5 juin 2007, n° 06-14.832, Société Thales communications, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5608DWM), et nos obs., Clause limitative de responsabilité et obligation essentielle : la Chambre commerciale enfonce le clou !, Lexbase Hebdo n° 266 du 28 juin 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N5865BBT).
(3) Cass. com., 26 février 1985, n° 83-10.811, Société anonyme Soditrans c/ Société anonyme Groupe des assurances nationales GAN Incendie Accidents et autres (N° Lexbase : A2391AAS), RTDCiv. 1986, p. 773, obs. J. Huet ; Cass. com., 5 janvier 1988, n° 86-14.735, Assurances générales de France et autres (N° Lexbase : A0022AA3), Bull. civ. IV, n° 8 ; Cass. com., 3 avril 1990, n° 88-14.871, Ateliers et chantiers de la Manche (ACM) et autres c/ Société Océanique de pêche et d'armement (SOPAR) et autres (N° Lexbase : A3713AHY), Bull. civ. IV, n° 108 ; Cass. com., 17 novembre 1992, n° 91-12.223, Société Allemand et Cie c/ Compagnie Le Continent (N° Lexbase : A4821AB8), Bull. civ. IV, n° 366.
(4) Cass. civ. 1, 18 janvier 1984, n° 82-15.103, Centre départemental du Loto (N° Lexbase : A0333AAL), Bull. civ. I, n° 27, JCP éd. G, 1985, II, 20372, note J. Mouly, RTDCiv. 1984, p. 727, obs. J. Huet ; Cass. com., 9 mai 1990, n° 88-17.687, Société Office d'annonces c/ M. Leroux (N° Lexbase : A3982AHX), Bull. civ. IV, n° 142, RTDCiv., 1990, p. 666, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 30 novembre 2004, n° 01-13.110, Société France Télécom c/ M. Bernard Brousse, F-P+B (N° Lexbase : A1143DE3), Bull. civ. I, n° 295 ; comp. Cass. civ. 1, 2 décembre 1997, n° 95-21.907, Union des Assurances de Paris (UAP) et autre c/ Monsieur Baudin (N° Lexbase : A0795ACG), Bull. civ. I, n° 349, D., 1998, Somm. p. 200, obs. D. Mazeaud, pour le cas du non-respect d'une clause constituant une "condition substantielle" du contrat, bien que l'obligation transgressée n'ait pas été essentielle.
(5) Cass. mixte, 22 avril 2005, deux arrêts, n° 02-18.326, Chronopost SA c/ KA France SARL (N° Lexbase : A0025DIR) et n° 03-14.112, SCPA Dubosc et Landowski c/ Chronopost SA (N° Lexbase : A0026DIS), Bull. civ. n° 4, D., 2005, p. 1864, note J.-P. Tosi, JCP éd. G, 2005, II, 10066, note G. Loiseau, RDC, 2005, p. 673, obs. D. Mazeaud, ibid. p. 753, obs. Ph. Delebecque, RTDCiv., 2005, p. 604, obs. P. Jourdain.
(6) Sur la portée générale à donner à ces arrêts, voir not. P. Jourdain, obs. préc..
(7) Cass. com., 21 février 2006, n° 04-20.139, Société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI c/ Société Etablissements Banchereau, F-P+B (N° Lexbase : A1807DNA) et nos obs., La Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme le recul de l'objectivation de la faute lourde, Lexbase Hebdo n° 206 du 16 mars 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N5618AKB), et Cass. com., 13 juin 2006, n° 05-12.619, Société Chronopost, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9281DPG).
(8) Cass. civ. 1, 4 février 1969, D., 1969, p. 601, note J. Mazeaud ; Cass. civ. 1, 22 octobre 1975, n° 74-13217, Martin c/ Chevalier, Régis, publié (N° Lexbase : A6055CI4), D., 1976, p. 151, note J. Mazeaud ; Cass. com., 19 janvier 1993, n° 91-11.805, Société Dargaud éditeur c/ Société centrale d'impression armentiéroise (N° Lexbase : A5566ABR), Bull. civ. IV, n° 24 ; Cass. civ. 3, 10 février 1999, n° 97-14.679, Fondation Asile Evangélique de Nice c/ M. Marcel Chaumont ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 1374244, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 3, 10-02-1999, n\u00b0 97-14.679, in\u00e9dit, Rejet", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A6904CQR"}}), RCA, 1999, n° 110.

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