La lettre juridique n°244 du 18 janvier 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Maternité et période d'essai

Réf. : Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-44.806, M. Jean-Louis Portolano, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3625DTG)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

La période d'essai est destinée à permettre aux deux parties au contrat de travail de vérifier qu'elles ne se sont pas trompées sur leurs attentes respectives. Le Code du travail réserve à l'essai un régime en partie dérogatoire au droit du licenciement, comme le confirme un arrêt rendu le 21 décembre 2006 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui exclut les dispositions protectrices de la maternité pendant cette période (1). L'arrêt apporte, toutefois, une précision importante pour le régime de l'essai, en considérant comme illicite la clause de renouvellement automatique de l'essai (2).
Résumé

Les dispositions de l'article L. 122-25-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5495ACI) relatives à l'annulation du licenciement d'une salariée en état de grossesse en cas de connaissance postérieure par l'employeur de cet état ne sont pas applicables à la rupture en période d'essai.

Le renouvellement de la période d'essai de la salariée décidé par le contrat de travail dès sa conclusion est illicite, de sorte que la rupture du contrat de travail pendant la période renouvelée est réputée être intervenue postérieurement à l'expiration de la période d'essai, et se trouve donc nulle.

Décision

Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-44.806, M. Jean-Louis Portolano, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3625DTG)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 21 juillet 2005)

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-25-2 (N° Lexbase : L5495ACI)

Mots-clefs : période d'essai ; protection de la maternité ; inapplication ; renouvellement de l'essai ; clause du contrat de travail ; renouvellement automatique ; illicéité.

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Faits

1. Mme Baton a été engagée le 3 janvier 2000 par M. Portolano, avocat, en qualité de secrétaire juridique. Par courrier du 12 mai 2000, son employeur lui a notifié la rupture de son contrat de travail "dans le cadre de la période d'essai qu'il contenait". Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 mai 2000, la salariée a adressé à son employeur un certificat médical justifiant qu'elle était enceinte.

2. Estimant avoir fait l'objet d'un licenciement nul et abusif, elle a saisi la juridiction prud'homale.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence a prononcé la nullité de la rupture du contrat de travail de la salariée en raison de son état de grossesse et lui a alloué des sommes à titre de dommages-intérêts, indemnité de préavis et congés payés afférents.

Solution

1. "S'il est exact que les dispositions de l'article L. 122-25-2 du Code du travail relatives à l'annulation du licenciement d'une salariée en état de grossesse en cas de connaissance postérieure par l'employeur de cet état ne sont pas applicables à la rupture en période d'essai, le moyen est inopérant dès lors que, comme le fait valoir le mémoire en défense, le mémoire en demande indique lui-même que le renouvellement de la période d'essai de la salariée avait été décidé par le contrat de travail dès sa conclusion, ce qui est illicite, de sorte que la rupture est intervenue postérieurement à l'expiration de la période d'essai".

2. Par ces motifs : rejette le pourvoi ; condamne M. Portolano aux dépens ; vu l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, condamne M. Portolano à payer à Mme Baton la somme de 1 500 euros.

Commentaire

1. La protection due à la femme enceinte inapplicable pendant la période d'essai

  • Dispositions protectrices de la maternité

Le Code du travail organise la protection de la maternité aux différentes étapes de la relation de travail. C'est ainsi que l'article L. 122-25 (N° Lexbase : L5491ACD) concerne l'embauche, la période d'essai et la mutation de la salariée, les articles L. 122-25-1 (N° Lexbase : L5494ACH), L. 122-25-1-1 (N° Lexbase : L3695GZU) et L. 122-25-1-2 (N° Lexbase : L8386ASE), l'affectation sur un poste de travail adapté à l'état de la salariée, et l'article L. 122-25-2 (N° Lexbase : L5495ACI), le licenciement.

Les sanctions infligées à l'employeur qui porte atteinte à ces dispositions ne font pas l'objet d'un traitement homogène mais dépendent de la règle violée. C'est ainsi que l'article L. 122-30 (N° Lexbase : L3138HI3) dispose que "l'inobservation par l'employeur des dispositions des articles L. 122-25 à L. 122-28-10 (N° Lexbase : L9239G93) peut donner lieu à l'attribution de dommages-intérêts au profit du bénéficiaire, en sus de l'indemnité de licenciement", et, qu'"en outre, lorsque, en application des dispositions précitées, le licenciement est nul, l'employeur est tenu de verser le montant du salaire qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité".

  • L'inapplicabilité des règles protectrices pendant la période d'essai

Se fondant à la fois sur le fait que le législateur réserve un traitement particulier à la question de la période d'essai de la femme enceinte et que l'article L. 122-30, alinéa 2 (N° Lexbase : L3138HI3), fait expressément référence à la nullité du "licenciement", la jurisprudence refuse classiquement la protection spéciale, singulièrement la nullité avec réintégration admise depuis 2003 (Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7501BSM ; lire les obs. de S. Kolek-Desautel, La Cour de cassation consacre le droit à réintégration de la femme enceinte illégalement licenciée, Lexbase Hebdo n° 71 du 15 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7288AA8 ; Dr. soc. 2003, p. 831, chron. B. Gauriau), à la salariée dont le contrat est résilié pendant la période d'essai (Cass. soc., 2 février 1983, n° 79-41.754, Dame Lemut c/ Chambre d'agriculture du Lot, publié N° Lexbase : A3441AB3 ; JCP éd. G, 1984, II, 20176, note Pansier et Montredon ; Cass. soc., 5 juin 1990, n° 85-44.522, M. Subra c/ Société Saint-Jeannet Lasserre, publié N° Lexbase : A4213ACZ).

  • La confirmation de l'exclusion en l'espèce

C'est cette jurisprudence que vient confirmer un arrêt en date du 21 décembre 2006.

Dans cette affaire, l'employeur avait notifié à la salariée la rupture de son contrat de travail en période d'essai. Cette dernière lui avait alors adressé un certificat médical l'informant de sa grossesse, dans les conditions déterminées par l'article L. 122-25-2, alinéa 2. La cour d'appel avait, alors, considéré le licenciement comme nul, après avoir affirmé que les dispositions de l'article L. 122-30 étaient, ici, applicables pendant la période d'essai.

Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui confirme le principe selon lequel "les dispositions de l'article L. 122-25-2 du Code du travail relatives à l'annulation du licenciement d'une salariée en état de grossesse en cas de connaissance postérieure par l'employeur de cet état ne sont pas applicables à la rupture en période d'essai".

Sur un plan strictement juridique, il semble difficile de donner tort à la Cour de cassation. Le législateur a, en effet, bien distingué la résiliation du contrat de travail en période d'essai (C. trav., art. L. 122-25) du licenciement (C. trav., art. L. 122-25-2) et bien pris soin de viser le "licenciement" lorsqu'il envisage la nullité de la mesure.

Sur un plan plus général, on peut, certes, regretter que la salariée ne soit pas protégée dès la conclusion de son contrat de travail, dans le cadre d'une politique favorisant la maternité, même si on peut comprendre qu'un employeur ne souhaite pas poursuivre plus avant l'exécution d'un contrat de travail lorsqu'une salariée ne convient pas.

  • Un régime hétérogène de l'essai

La situation de la femme enceinte détonne, toutefois, dans un contexte jurisprudentiel visant à restreindre le caractère dérogatoire de la période d'essai. Rappelons, en effet, que la Cour de cassation impose, désormais, à l'employeur le respect de la procédure disciplinaire lorsqu'il rompt l'essai en raison d'une faute commise par le salarié (Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-44.750, FS-P+B N° Lexbase : A4834DBN ; voir L'application de la procédure disciplinaire pendant la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 113 du 25 mars 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0975ABQ) et qu'il fait, également, application des dispositions relatives aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, même pendant la période d'essai (Cass. soc., 12 mai 2004, n° 02-44.325, F-P+B N° Lexbase : A1687DCH ; lire notre chron., Période d'essai et accident du travail : la protection plutôt que la liberté, Lexbase Hebdo n° 121 du 20 mai 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1664ABA).

  • La possibilité de prouver le caractère discriminatoire de la résiliation en période d'essai

La salariée enceinte, dont le contrat serait résilié pendant la période d'essai, n'est toutefois pas totalement démunie. Les dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) sont, en effet, applicables à tous les salariés, même en période d'essai, et ces dispositions ne sont pas exclues par l'article L. 122-4, alinéa 2 (N° Lexbase : L5554ACP), comme l'a justement estimé la Cour de cassation le 10 mars 2004 à propos de la procédure disciplinaire (préc.). La salariée qui parviendrait à prouver que l'employeur a rompu l'essai en raison de son état de grossesse pourrait, alors, obtenir l'annulation de cette résiliation et sa réintégration dans l'entreprise. Pour ce faire, elle bénéficierait des dispositions de l'article L. 122-45, alinéa 4, qui favorise la preuve des discriminations, à condition, toutefois, qu'elle rapporte l'existence d'éléments laissant supposer pareille discrimination, notamment que son employeur avait eu connaissance de sa grossesse avant que celle-ci ne lui fasse parvenir officiellement le certificat médical.

Cette confirmation de l'inapplicabilité des règles du licenciement aux femmes enceintes pendant la période d'essai n'a toutefois pas eu pour conséquence, dans cette affaire, de débouter la salariée de ses demandes, dans la mesure où l'employeur avait cru, à tort, se trouver encore en période d'essai.

2. L'illicéité de la clause de renouvellement automatique de la période d'essai

  • Le régime de la période d'essai

Si l'article L. 122-4 du Code du travail prévoit que les règles du droit du licenciement "ne sont pas applicables pendant la période d'essai" ; il ne prévoit pas à quelles conditions le salarié sera soumis à une pareille période. C'est donc vers les conventions collectives et/ou les contrats de travail qu'il convient de se tourner, ainsi que vers la jurisprudence.

La Cour de cassation a eu l'occasion de définir, au fil des années, le régime juridique des clauses contractuelles encadrant le recours à l'essai. En l'absence de dispositions applicables dans la convention collective, les consignes dictées par la Cour de cassation aux juges du fond sont relativement limitées. On sait, ainsi, que la durée contractuelle doit être raisonnable. Les parties peuvent prévoir le renouvellement de la période fixée initialement, mais la jurisprudence veille, ici, soigneusement, à ce que les droits du salarié soient respectés ; ainsi, le principe du renouvellement doit être prévu dès le commencement (Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 96-41.579, Mme Champion c/ M. Zowczak, publié N° Lexbase : A4570AGD), la clause ne peut prévoir de renouvellement tacite (Cass. soc., 10 janvier 2001, n° 97-45.164, M. Frédéric Furlotti, publié N° Lexbase : A2017AIK) et l'acceptation du salarié doit être expresse et non sujette à discussion (Cass. soc., 15 mars 2006, n° 04-46.406, F-P+B N° Lexbase : A6142DNS).

  • La question du renouvellement de l'essai

Les parties peuvent-elles prévoir le renouvellement automatique de la période d'essai ? La Cour de cassation avait été conduite à répondre négativement à cette question, mais uniquement dans des hypothèses où des dispositions conventionnelles applicables ne le prévoyaient pas (Cass. soc., 31 octobre 1989, n° 86-42.508, M. Girard c/ Société d'entreprise et de gestion (SEG), publié N° Lexbase : A1340AAU), et jamais, à notre connaissance, en l'absence de régime conventionnel, comme c'était le cas en l'espèce.

Or, la Cour de cassation a considéré, ici, comme "illicite" "le renouvellement de la période d'essai de la salariée [...] décidé par le contrat de travail dès sa conclusion".

  • Tentative de justification de la solution

Même si la Cour ne le dit pas, c'est certainement le principe selon lequel le salarié ne saurait renoncer par avance au droit de refuser le renouvellement de sa période d'essai qui justifie cette affirmation (comp. avec le fondement de la prohibition des clauses de variation : Cass. soc., 27 février 2001, n° 99-40.219, Groupe des assurances nationales (Gan Vie) c/ M. Rouillot, publié N° Lexbase : A0505ATU).

Il est, tout d'abord, regrettable que la solution soit affirmée de manière aussi péremptoire et qu'elle soit, en même temps, aussi peu motivée.

Ensuite, nous comprenons mal, à la fois, le fondement et l'opportunité de la règle. Le droit de refuser le renouvellement de la période d'essai a, en effet, été inventé de toutes pièces par la Cour de cassation et ne repose sur aucune disposition du Code du travail. Par ailleurs, et dès lors que les juges contrôlent que la durée totale de l'essai, reconduction comprise, n'est pas déraisonnable compte tenu, notamment, des fonctions exercées par le salarié, on ne comprend pas bien quel est l'intérêt de s'acharner à ce point sur la question du renouvellement de l'essai.

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