La lettre juridique n°244 du 18 janvier 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La nullité de la mise à la retraite prématurée

Réf. : Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-12.816, Société Bretagne Angleterre Irlande (BAI ), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3624DTE)

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le 07 Octobre 2010

L'activité de ceux que l'on appelle pudiquement les "seniors" semble être, depuis quelques années, au centre des préoccupations du droit social. Alors que l'âge de la retraite a été indirectement repoussé par la loi 21 août 2003 (loi n° 2003-775, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM), alors que les partenaires sociaux (1), relayés par le pouvoir réglementaire (2), ont institué un nouveau contrat de travail intitulé "CDD senior", la Chambre sociale de la Cour de cassation ne pouvait demeurer en reste. Voilà donc qu'elle décide de toiletter, par un arrêt très largement publié, la mesure venant sanctionner la mise à la retraite irrégulière d'un salarié. Si cette mise à la retraite ne revêt pas les conditions exigées par la loi (1), la rupture sera requalifiée en licenciement qui tombera sous le coup de la nullité (2).


Résumé

Le régime spécial de retraite des marins déroge au régime général, si bien que le taux plein permet d'atteindre 75 % du salaire de base, au lieu de 50 %. En conséquence, la mise à la retraite du salarié marin n'ayant pas acquis le droit à une retraite à taux plein s'analyse en un licenciement fondé sur l'âge, c'est-à-dire sur un motif discriminatoire au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) emportant sa nullité.

Décision

Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-12.816, Société Bretagne Angleterre Irlande (BAI), FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3624DTE).

Rejet (CA Caen, 3ème chambre, section sociale 2, 14 janvier 2005).

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-45 (N° Lexbase : L3114HI8) ; C. trav., art. L. 122-14-12 (N° Lexbase : L5576ACI) ; C. trav., art. L. 122-14-13 en vigueur au moment des faits (N° Lexbase : L5577ACK) ; C. trav., art. L. 742-1 (N° Lexbase : L0336HGK).

Mots-clés : mise à la retraite ; taux plein non-atteint ; requalification en licenciement ; licenciement discriminatoire ; nullité.

Liens bases : ; ; .

Faits

1. M. Lechevretel est capitaine de navires de la compagnie BAI depuis 1977. Alors qu'il informe son employeur en 2001 qu'il entend poursuivre son engagement au-delà de 55 ans, il est débarqué de son navire. A compter du 12 janvier 2002, date de son 55ème anniversaire, il ne reçoit plus d'ordre d'embarquement et est placé en disponibilité. Le 2 juillet 2002, un protocole d'accord est signé entre le groupement des "Armateurs de France" et trois syndicats représentant le personnel naviguant de la marine marchande. Cet accord prévoit qu'à partir de 55 ans, l'employeur peut décider de la mise à la retraite d'un officier dès lors que celui-ci réunit des droits à pension d'ancienneté servie par la caisse de retraite des marins, sans que cette décision soit considérée comme un licenciement. Par lettre du 31 juillet 2002, M. Lechevretel est mis à la retraite en application de cet accord, à la suite de quoi il saisit les juridictions judiciaires.

2. La cour d'appel de Caen fixe le montant d'indemnités de congés payés que l'employeur doit verser au salarié, montant contesté par la société BAI. Cette question ne sera pas traitée dans le cadre de cette étude. Elle estime, ensuite, que le salarié n'avait pas la possibilité de bénéficier d'une pension de retraite à taux plein au regard du régime spécial de retraite applicable aux marins, si bien que la rupture s'analyse, non en une mise à la retraite, mais en un licenciement. Enfin, elle décide que ce licenciement justifié par l'âge du salarié est fondé sur un motif discriminatoire, si bien qu'il encourt la nullité.

Solution

1. Rejet

2. Le salarié, âgé de 55 ans, ne bénéficie d'une pension de vieillesse qu'aux taux de 50 % alors que le taux plein concernant les régimes spéciaux des marins, conformément à l'article R. 13 du Code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance, peut atteindre 75 % et, qu'en conséquence, "la rupture s'analysait en un licenciement".

3. "Il résulte de l'article L. 122-45 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations (loi n° 2001-1066 N° Lexbase : L9122AUE), qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son âge et que toute disposition ou tout acte contraire à l'égard d'un salarié est nul".

4. "Et attendu qu'ayant constaté que l'armateur n'invoquait comme cause de rupture que l'âge de l'officier, lequel, au moment de la rupture du contrat de travail, ne bénéficiait pas d'une retraite à taux plein, a, à bon droit, décidé que sa mise à la retraite constituait un licenciement nul".

Commentaire

1. Les caractères de la mise à la retraite prématurée

  • Les conditions de la mise à la retraite

La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a modifié l'article L. 122-14-13 du Code du travail (dans sa rédaction actuelle N° Lexbase : L6530DIP) et, par la même occasion, les conditions selon lesquelles un employeur peut utiliser la mise à la retraite comme mode de rupture du contrat de travail. Désormais, l'employeur ne peut utiliser ce mécanisme qu'à la condition que le salarié ait atteint l'âge de 65 ans (3). Mais, à l'époque de la situation dont traite l'arrêt commenté, cette réforme n'était pas encore entrée en vigueur.

Les conditions permettant la mise à la retraite d'un salarié étaient alors plus souples. Il fallait, tout d'abord, que le salarié ait acquis des droits à une pension de retraite à taux plein, ce qui correspondait, pour le régime général, à un taux de 50 % du salaire de base. Il fallait, ensuite, que le salarié ait la possibilité effective d'obtenir l'ouverture de cette pension de retraite : le salarié devait avoir atteint l'âge de 60 ans où l'âge, plus avancé, fixé par un accord collectif, voire par le contrat de travail. A défaut de respecter ces conditions, l'article L. 122-14-13 prévoyait que la rupture soit qualifiée de licenciement.

  • En l'espèce

Les faits de l'espèce compliquaient sensiblement l'analyse de la situation puisque le salarié concerné était capitaine de navire. Or, les marins sont soumis à un régime spécial de retraite. L'article R.13 du Code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance (N° Lexbase : L6544DYZ) envisage un maximum de 37,5 annuités permettant d'acquérir, pour chacune d'entre elles, 2 % du salaire annuel de base, si bien que le taux plein s'élevait à 75 %.

En mettant le salarié à la retraite à l'âge de 55 ans, l'employeur respectait la condition d'âge puisqu'un protocole d'accord fixant cette limite d'âge avait été conclu entre les syndicats et les représentants des armateurs. Toutefois, la seconde condition, consistant dans la possibilité de prendre une retraite à taux plein, n'était pas respectée, le salarié n'ayant acquis qu'un droit à 50 % de son salaire de base.

  • La sanction traditionnelle de la mise à la retraite irrégulière

La sanction devait donc être, de manière logique, la requalification de la rupture en licenciement. Comme pour tout licenciement, les juges auraient donc dû apprécier s'il était ou non pourvu d'une cause réelle et sérieuse. C'est, tout du moins, comme le rappelle le communiqué émanant de la Cour de cassation, la façon dont la Chambre sociale traitait ce type de rupture jusqu'à aujourd'hui. De manière traditionnelle, "l'employeur qui invoque comme seule cause de rupture du contrat de travail l'âge du salarié à un moment où celui-ci ne peut bénéficier d'une pension de retraite à taux plein, procède à un licenciement sans cause réelle et sérieuse" (Cass. soc., 25 mars 1992, n° 91-40.479, Banque Paribas c/ M. Fièvre, publié N° Lexbase : A3789AAL ; Cass. soc., 7 avril 1994, n° 90-43.465, Société nouvelle Chaumet c/ Mme Sang, publié N° Lexbase : A1777AA3 ; Cass. soc., 16 juin 1998, n° 96-40.919, M. Maurin c/ Société Winterthur, publié N° Lexbase : A5612ACT).

Il n'y a, somme toute, rien que de très logique dans cette requalification de la mise à la retraite en licenciement. La véritable nouveauté apportée par l'arrêt réside, en réalité, dans la sanction que la Cour réserve au licenciement.

2. La sanction de la mise à la retraite prématurée

  • Une nouvelle sanction parfaitement justifiée

Le véritable apport de cet arrêt, qui justifie sa large publicité, réside dans le renouvellement opéré par la Cour de cassation dans la sanction de la mise à la retraite irrégulière.

La loi du 16 novembre 2001 (loi n° 2001-1066 relative à la lutte contre les discriminations N° Lexbase : L9122AUE) a introduit, à l'article L. 122-45 du Code du travail (dans sa rédaction issue de cette loi N° Lexbase : L4502DCQ), un nouveau motif discriminatoire : l'âge du salarié. En conséquence, toute mesure prise en considération de l'âge du salarié est nulle de plein droit.

La solution apportée par la Chambre sociale peut donc s'analyser comme une sorte "d'effet domino" : les conditions de la mise à la retraite n'étant pas réunies, les juges requalifient cette rupture en licenciement. Mais, le licenciement ainsi caractérisé n'ayant été prononcé qu'en considération de l'âge du salarié, l'application des dispositions permettant de lutter contre les discriminations liées à l'âge s'imposait, la nullité du licenciement devait être prononcée. Les textes sont totalement dépourvus d'ambiguïté, si bien que cette solution paraît respectueuse de leur combinaison. La mise à la retraite prématurée d'un salarié est donc nulle, quoique cette nullité ne soit pas prévue par un texte, comme c'est pourtant d'habitude la règle.

Bien entendu, cette application de l'article L. 122-45 du Code du travail ne remet pas en cause l'existence ou la licéité du mécanisme de mise à la retraite. Bien qu'il s'agisse là d'une mesure prise à l'encontre du salarié fondée sur le critère de l'âge, il s'agit d'une disposition spéciale qui déroge donc à la règle générale constituée par la sanction des discriminations.

Le salarié mis à la retraite de façon prématurée pourra donc exiger, comme c'est le cas pour tout licenciement nul (Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7501BSM ; Cass. soc., 15 octobre 2003, n° 01-44.503, Mlle Nathalie Guirod c/ Société Groupe espace conseil santé, inédit N° Lexbase : A8333C9I ; lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Le droit à réintégration, corollaire de la nullité du licenciement, Lexbase Hebdo n° 92 du 30 octobre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9215AAK), d'être réintégré dans l'entreprise. Il aura, également, la possibilité de choisir de ne pas retourner dans l'entreprise et d'être indemnisé (pour un rappel des règles relatives à cette indemnisation, voir Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-45.077, FS-P+B N° Lexbase : A2964DHA ; lire les obs. de N. Mingant, L'indemnisation du membre d'un comité d'entreprise européen licencié sans autorisation administrative, Lexbase Hebdo n° 161 du 31 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N2514AIX).

Cette solution va avoir, également, pour effet de permettre en partie une harmonisation du régime de la mise à la retraite du salarié protégé et du salarié non protégé.

  • Une simplification de régime ?

Comme pour toute rupture de son contrat de travail, le salarié protégé bénéficie d'une protection particulière lorsque son employeur décide de le mettre à la retraite. Une autorisation administrative devra être obtenue, à défaut de laquelle la mise à la retraite sera annulée (CE, Contentieux, 8 février 1995, n° 154364, Crédit lyonnais N° Lexbase : A2775AN4 ; RJS 1995, n° 266, concl. Arrighi de Casanova, p. 148 ; Cass. soc., 2 décembre 1998, n° 96-44.668, M. Ciavaldini c/ Crédit lyonnais, publié N° Lexbase : A4628AGI ; Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 01-45.902, F-P+B N° Lexbase : A6643DDE).

On constate donc que la sanction de la mise à la retraite sans autorisation du salarié protégé, fût-elle régulière, est désormais la même pour la mise à la retraite d'un salarié dont les conditions de mise à la retraite ne sont pas remplies. Si l'on raisonne par analogie avec les nouvelles dispositions introduites par la loi sur les retraites de 2003, on peut donc considérer qu'il n'y a plus véritablement de différence entre le salarié protégé et le salarié non protégé : mise à la retraite avant 65 ans, la rupture pouvant toujours être annulée.

La violation du statut protecteur n'étant plus pourvue d'une sanction autonome, on peut se demander si la décision de la Cour n'a pas pour effet d'atténuer sensiblement la portée de cette protection. Faut-il envisager d'alourdir la sanction de l'employeur qui licencierait un salarié protégé en ne respectant ni l'exigence d'une autorisation administrative, ni le seuil de l'âge ? Quoiqu'il s'agisse probablement là d'une hypothèse d'école, seul cet alourdissement de la sanction, par exemple par le biais du versement de dommages-intérêts, pourrait permettre de toujours garantir le statut protecteur des institutions représentatives du personnel.

La seule différence qui demeure véritablement réside donc, aujourd'hui, dans le sort de la mise à la retraite pour laquelle la condition d'âge a été respectée. L'employeur qui voudra mettre à la retraite un salarié protégé de 65 ans devrait toujours avoir à obtenir l'autorisation administrative. Comme le suggérait déjà S. Martin-Cuenot (Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-48.351, FS-P+B N° Lexbase : A4478DQW ; lire Rappel de la subordination de toute rupture du contrat de travail d'un salarié protégé à une autorisation administrative, Lexbase Hebdo n° 225 du 27 juillet 2006 - édition sociale N° Lexbase : N1306ALX, in fine), il faudrait peut-être envisager de faire machine arrière sur ce thème, tout particulièrement du fait de la simplification des critères de régularité de mise à la retraite. L'employeur n'a plus autant le choix qu'autrefois, à partir de 60 ans, de conserver ou non son salarié. Il doit attendre la limite de 65 ans. Mais, qui peut penser raisonnablement qu'arrivé à 65 ans, ce soit autre chose que l'âge du salarié qui justifie sa mise à la retraite ?

On parviendrait, dans cette hypothèse, à un régime plus harmonieux : avant 65 ans, toute rupture est nulle comme étant discriminatoire vis-à-vis de l'âge, que le salarié soit ou non protégé. Le spectre d'une mise à la retraite en violation du statut protecteur s'éloignant, on estimerait alors qu'au-delà de 65 ans, la mise à la retraite serait toujours possible, sans autre formalité administrative.

Sébastien Tournaux
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Accord national interprofessionnel relatif à l'emploi des seniors du 13 octobre 2005. V. les obs. de C. Willmann, La place de l'accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 dans les politiques de vieillissement actif, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1192AKD).
(2) Décret n° 2006-1070 du 28 août 2006 aménageant les dispositions relatives au contrat à durée déterminée afin de favoriser le retour à l'emploi des salariés âgés (N° Lexbase : L6779HKB) ; lire les obs. de Ch. Willmann, Un nouveau contrat aidé : le "CDD senior", Lexbase Hebdo n° 226 du 7 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2470AL3) ;
(3) Le même article L. 122-14-13 prévoit, tout de même, quelques dérogations à cette limite d'âge, parmi lesquelles la conclusion d'un accord collectif étendu conclu avant le 1er janvier 2008, ramenant cette limite à un âge compris entre 60 et 65 ans.

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