La lettre juridique n°848 du 17 décembre 2020 : Droit pénal des affaires

[Focus] Préparer le dirigeant de la personne morale à son audition dans le cadre d’une enquête pénale

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par Christophe Bass et François Mazon, avocats au barreau de Marseille, avec la collaboration de M. Victor Mitteault, étudiant

le 22 Juillet 2022


Mots-clés : responsabilité du dirigeant • responsabilité des personnes morales • garde à vue • audition libre • représentant de la personne morale • avocat

Le dirigeant a mis très longtemps à regarder en face le risque pénal. Au fil du temps il a perçu l’importance de faire appel aux compétences pénales de son avocat et il a même réussi à admettre qu’être assisté au cours de la confrontation avec l’enquêteur n’est pas un signe extérieur de culpabilité. Dans cette phase d’enquête, si particulière parce qu’à la fois coercitive et non contradictoire, qu’attend le dirigeant de son avocat et que peut faire l’avocat pour son client dirigeant ? 


 

 

Il y a encore peu de temps, le risque pénal était totalement méconnu des chefs d’entreprise.

L’une des raisons principales en est certainement que, pendant longtemps, les entrepreneurs ont détourné leur regard de ce risque spécifique, de crainte de le découvrir tellement envahissant et effrayant qu’il les paralyserait dans toute initiative économique. C’est que la liste est longue des affres dans lesquelles nous propulse le mot « pénal », et particulièrement quand il s’applique à l’entreprise.

D’abord, les contours du domaine pénal sont difficilement déterminables. Les infractions qui pèsent sur les entreprises et leurs dirigeants sont très nombreuses et mal identifiées parce que disséminées dans plus de 80 codes. Elles peuvent donc souvent être commises sans même que leur auteur n’en ait eu conscience et la protection que devrait apporter la nécessité pour le juge de caractériser l’élément intentionnel est quasiment inopérante. Le plus souvent cet élément constitutif est en effet déduit du seul statut de dirigeant désigné comme « un responsable entouré de responsables » ne pouvant donc ignorer « l’obligation clairement édictée par la loi », ce qui dans nombre de cas est une pure fiction.

Ensuite, le domaine pénal est le domaine de la peine. Or, au-delà même des peines principales déjà anxiogènes (emprisonnement pour les personnes physiques et amendes dont le quantum encouru par les personnes physiques est multiplié par cinq pour les personnes morales) certaines peines complémentaires peuvent avoir des conséquences plus lourdes encore comme l’interdiction de gérer pour un dirigeant, ou l’exclusion des marchés publics pour une entreprise.

Indépendamment même de la peine, la seule mention au casier judiciaire du dirigeant et/ou de la personne morale peut handicaper le développement de l’un comme de l’autre en interne comme à l’international.

Évoquons encore l’impact de la machinerie pénale sur la réputation de l’entreprise et des dirigeants qui risque d’être longtemps entachée : on sait qu’une interpellation ou une garde à vue qui tourne en boucle pendant quelques dizaines d’heures sur les canaux de communication (réseaux sociaux, chaines d’information en continu …) sera difficilement effacée par l’annonce discrète un ou deux ans plus tard d’une décision de mise hors de cause.

Et si l’on ajoute enfin à cette liste anxiogène la réparation du préjudice causé par la faute pénale qui sera à la charge du dirigeant s’il est reconnu coupable d’une infraction pénale intentionnelle, séparable comme telle de ses fonctions sociales, engageant ainsi sa propre responsabilité civile à l’égard des tiers à qui cette faute a porté préjudice, il faut bien reconnaître que le risque pénal donne le vertige.

L’on comprend alors que d’aucuns, attachés tant à la sérénité des quelques heures de sommeil qu’ils s’accordent qu’au dynamisme de leur outil, soient tentés de regarder partout ailleurs que vers cette réalité.

Pourtant, les conséquences que nous venons rapidement d’énumérer sont tellement significatives qu’il apparaît désormais inconsidéré de ne pas intégrer ce risque dans une bonne gestion de l’entreprise.

M. Antoine Frérot, PDG d’un grand groupe français, l’exprime dans un document intitulé Guide de gestion du risque en pénal des affaires accessible sur internet : « Par rapport aux autres risques juridiques auxquels notre Groupe est nécessairement confronté, le risque pénal présente cependant un caractère de gravité tout à fait particulier. Il concerne aussi bien les personnes morales que les personnes physiques. Il peut porter atteinte aux intérêts patrimoniaux des unes et des autres et comporter en outre des peines privatives de liberté pour les individus et des interdictions d’exercer leurs activités pour les personnes morales ».

Conscientes de l’importance et de la fréquence de ce risque, certaines entreprises françaises ont progressivement mis en place des moyens de prévention en favorisant une cartographie du risque pénal de l’entreprise, une formation des personnels exposés à ces risques et la mise en place d’un système de délégations de pouvoirs permettant d’aligner responsabilité pénale et responsabilité opérationnelle. Il est à ce titre instructif de noter que la loi « Sapin II » a rendu obligatoire, pour les entreprises de plus de cinq-cents salariés et cent millions d’euros de chiffre d’affaires, deux de ces trois actions de prévention : la réalisation d’une cartographie des risques de corruption et la formation des personnels exposés à ces risques.

Dans cette optique, il apparaît normal que ces formations aient pour ambition d’inclure dans leur programme la préparation aux principaux actes d’enquête auxquels les dirigeants peuvent être confrontés et au premier plan l’acte certainement le plus angoissant : la garde à vue. Il s’agit souvent de la première confrontation directe du dirigeant avec la justice pénale.

On ne peut cependant pas évoquer la garde à vue sans évoquer l’autre régime d’audition de la personne soupçonnée qu’est l’audition libre tant il est vrai que, même si la coercition y est différente, l’idée de comparaître devant un enquêteur nourrit dans l’un comme dans l’autre cas les mêmes angoisses chez le dirigeant.

Préparer le dirigeant à son audition pénale revient pour l’avocat, dans un premier temps, à identifier le cadre juridique dans lequel cette audition intervient et, dans un second temps, à s’adapter aux questionnements particuliers du dirigeant.

I. Identifier le cadre juridique de l’audition du dirigeant

A. Première question : le dirigeant est-il convoqué pour une garde à vue ou pour une audition libre ?

Il ne fait nul doute que le dirigeant contre lequel on considère qu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est, comme tout autre individu, susceptible de faire l’objet d’une garde à vue.

Qu’en est-il du dirigeant non soupçonné personnellement mais représentant une personne morale soupçonnée ? Peut-il être placé en garde à vue en sa seule qualité de représentant légal de la personne morale suspectée ?

L'article 706-44 du Code de procédure pénale dispose (N° Lexbase : L4118AZK) : « Le représentant de la personne morale poursuivie ne peut, en cette qualité, faire l'objet d'aucune mesure de contrainte autre que celle applicable au témoin ».

Ce texte semble bien s’opposer à ce que le représentant légal d’une personne morale fasse l’objet d’une mesure de garde à vue sur la seule base des faits reprochés à cette dernière [1]. On peut toutefois s’interroger sur le champ d’application de cette disposition. En effet, celle-ci s’insère dans le titre XVIII du Code de procédure pénale, intitulé De la poursuite, de l'instruction et du jugement des infractions commises par les personnes morales. Cela signifie-t-il que le statut prévu par l'article 706-44 est subordonné à la mise en mouvement de l’action publique [2] ? Si tel était le cas, rien ne s’opposerait formellement à ce que des mesures de contrainte soient prises contre le représentant légal lors de la phase d’enquête. Doit-on, au contraire, entendre plus largement la notion de poursuites et appliquer ce texte dès qu’une enquête est diligentée à l’égard de la personne morale ? Le représentant légal devrait alors être traité comme un témoin dès le stade de l’enquête, ce qui aurait pour effet de le mettre à l’abri d’une mesure de garde à vue [3].

Même si l’on considère que l'article 706-44 du Code de procédure pénale n’a pas vocation à s’appliquer à la phase d’enquête, la garde à vue du dirigeant de la personne morale, en sa seule qualité de représentant légal, reste difficilement concevable. Cela reviendrait en effet à priver le dirigeant de sa liberté alors même que les soupçons ne pèsent pas sur lui personnellement.

Pour autant, cela n’a pas empêché une cour d'appel de valider le placement en garde à vue décidé à l’encontre du représentant d’une personne morale au seul motif que des indices permettaient de soupçonner que celle-ci avait commis ou tenté de commettre une infraction [4]. Or, le représentant n’était pas impliqué à titre personnel mais avait simplement reçu un pouvoir spécial de la part du gérant de la société pour représenter cette dernière et répondre aux questions des enquêteurs. Cet arrêt unique n’avait pas été frappé de pourvoi et il est difficile de lui conférer une portée générale.

On remarque au demeurant que cette décision est antérieure à l’apparition du régime de l’audition libre, instauré dans notre Code de procédure pénale avec la loi n° 2014-535, du 27 mai 2014 (N° Lexbase : L2680I3N) (après la tentative d’instauration par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 N° Lexbase : L9584IPN puis les décisions du Conseil constitutionnel sur QPC du 18 novembre 2011 et du 18 juin 2012 [5]) et qui a depuis lors occupé significativement sa place dans le paysage procédural comme une alternative à la mesure de garde à vue qui pouvait, dans nombre de cas, apparaître disproportionnée.

Il est dès lors certainement possible aujourd’hui d’écarter en pratique toute hypothèse de garde à vue d’un dirigeant qui serait entendu uniquement en sa qualité de représentant de la personne morale. Encore faut-il arriver à déterminer en quelle qualité le dirigeant est convoqué pour audition.

B. Deuxième question : le dirigeant est-il convoqué en qualité de représentant de la personne morale ou de dirigeant personnellement soupçonné aux côtés de la personne morale ?

On le sait, depuis 1994 et l’entrée en vigueur de ce qu’il était alors convenu d’appeler le nouveau Code pénal, les personnes morales engagent leur responsabilité pénale pour les infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

Cette nouvelle possibilité s’est accompagnée d’une adaptation de la procédure pénale afin de prendre en compte les spécificités liées à la poursuite des personnes morales. Les articles 706-41 (N° Lexbase : L4115AZG) à 706-46 (N° Lexbase : L4119AZL) du Code de procédure pénale envisagent ainsi les règles de compétence territoriale, la représentation de la personne morale au cours de la procédure, le statut du représentant ou encore le contrôle judiciaire de la personne morale. Pour le reste, la procédure est identique à celle applicable aux personnes physiques, de sorte qu’elle n’est pas toujours adaptée.

On le sait aussi, ces règles procédurales doivent être combinées avec les principes de droit pénal général, en particulier avec la possibilité expressément prévue à l'article 121-2, alinéa 3, du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY) de cumuler la responsabilité de la personne morale et celle des personnes physiques qui seront considérées comme auteurs ou complices des mêmes faits.

Évidemment, le dirigeant de la personne morale n’est donc pas nécessairement l’organe ou le représentant ayant engagé la responsabilité de cette dernière, au sens de l'article 121-2 du Code pénal.

Il en résulte que le traitement procédural du dirigeant de la personne morale n’est pas toujours évident : il peut être convoqué comme personnellement soupçonné d’avoir commis une infraction, comme seulement représentant de la personne morale soupçonnée, ou en ces deux qualités si l’on considère qu’il peut être l’un des organes ou représentants ayant engagé la responsabilité pénale de la société.

Il est certes à peu près facile pour l’autorité de poursuite de déterminer le rôle que l’on attribuera au dirigeant au moment de la décision sur la mise en mouvement de l’action publique.

Rappelons en effet que le parquet aura le choix entre la poursuite de la seule personne morale et la poursuite de la personne morale et de son dirigeant ou de la personne physique ayant commis l’infraction.

Par exemple, la circulaire du 13 février 2006, relative à la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales par la loi du 9 mars 2004 [6], recommande de privilégier les poursuites contre la seule personne morale pour les infractions non intentionnelles ou de nature technique, réservant la mise en cause de la personne physique aux cas dans lesquels sa faute personnelle est suffisamment établie.

Il est cependant beaucoup moins facile pour l’autorité d’enquête, dans la phase qui est par essence la phase de recherche de la vérité (c’est-à-dire cette phase où l’enquêteur n’a pas encore déterminé qui a fait quoi ni ce que le dossier in fine permettra de retenir en termes de poursuites) de décider s’il entend le dirigeant comme seul représentant de la personne morale soupçonnée, ou comme personne soupçonnée lui-même.

Et souvent l’avocat auquel le dirigeant remettra la copie de sa convocation aura lui-aussi du mal à déterminer sous quelle casquette son client va être entendu, et ce quels que soient les NATINF [7] visés.

Compte tenu de la réponse que nous apportons à la première question que nous soulevons supra, il semble acquis que si la convocation est délivrée dans la perspective d’une garde à vue, c’est que la responsabilité pénale du dirigeant est envisagée et que celui-ci est personnellement soupçonné.

Le problème, et on le sait bien en pratique, est que la loi ne régit pas la forme des convocations et les mentions que celles-ci doivent contenir.

En matière de garde à vue, rien n’est prescrit, pas même l’obligation d’un écrit. En matière d’audition libre, l’article 61-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7360IB9) ne prescrit des règles de forme que si : d’une part, le déroulement de l’enquête le permet et, d’autre part, lorsqu’une convocation écrite est adressée… Autant dire que le dirigeant convoqué par téléphone sans précision sur le régime sous lequel il va être auditionné ne peut pas savoir s’il est entendu ès-qualités ou s’il est lui-même soupçonné. C’est alors à l’avocat d’entrer en contact avec l’OPJ, avec le succès relatif que l’on connaît à cette démarche, pour en savoir plus.

C. Troisième question : quid du droit à l’assistance d’un avocat ?

Si le dirigeant est entendu dans le cadre d’une garde à vue, la question de son assistance ne se pose pas et on se reportera utilement aux articles 63-3-1 (N° Lexbase : L4969K8K) à 63-4-4 (N° Lexbase : L9633IPH) du Code de procédure pénale.

Si le dirigeant est entendu dans le cadre d’une audition libre, se pose alors la question de son droit à l’assistance d’un avocat. Certains OPJ, arguant du fait que le dirigeant est entendu seulement en qualité de représentant de la personne morale dans une enquête dirigée uniquement contre un délit commis par personne morale, opposent la lettre de l’article 61-1 du Code de procédure pénale qui prévoit l’assistance de l’avocat lorsque le délit est puni d’une peine d’emprisonnement.

Le raisonnement de ceux-ci consiste à soutenir que la personne morale n’encourant pas, par nature, de peine d’emprisonnement, son assistance par avocat n’est pas prévue par la loi.

La Cour de cassation n’a pas eu, à notre connaissance, à se pencher sur cette question mais le raisonnement nous apparaît critiquable au moins à deux titres.

D’abord la lettre de la loi a son importance : il n’est pas écrit « si la personne entendue encourt une peine d’emprisonnement » mais il est écrit « si l’infraction […] est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ». Les mots ayant un sens, c’est bien la répression du délit qui détermine le recours à l’assistance d’un avocat et non pas la spécificité de la personne visée par l’enquête.

Ensuite, la formule est calquée sur celle du recours à la garde à vue, dans le but, on le comprend, de ne pas donner plus ou moins de droits au gardé à vue qu’à l’auditionné libre. Or, la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 19 janvier 2009 cité plus haut ne s’était pas encombrée de la peine encourue par la personne morale pour lui appliquer le régime de la garde à vue.

Bref, le dirigeant de la personne morale convoqué en vue de son audition libre, que ce soit en qualité uniquement de représentant de la personne morale soupçonnée, ou en sa double casquette de représentant de la personne morale et de personne physique soupçonné lui-même, pourra bénéficier de l’assistance de son avocat si le délit recherché est puni par la loi d’une peine d’emprisonnement.

Qu’attend-il alors de cette assistance et quelle est la mission de l’avocat ?

II. S’adapter aux questionnements particuliers du dirigeant de la personne morale

A. Première question : dirigeant et personne morale sont-ils assistés du même avocat ?

Après avoir posé le principe de la représentation de la personne morale par son représentant légal au cours de la procédure, l'article 706-43 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0555LTQ) dispose que « lorsque des poursuites pour des mêmes faits ou des faits connexes sont engagées à l'encontre du représentant légal, celui-ci peut saisir par requête le président du tribunal judiciaire aux fins de désignation d'un mandataire de justice pour représenter la personne morale ».

Dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 juillet 2000 (N° Lexbase : L0901AI9), cette disposition rendait obligatoire la désignation d’un mandataire en cas de poursuites concomitantes avec le représentant légal, et ce dans l’optique de prévenir tout conflit d’intérêts. Les conséquences du texte initial, interprété strictement par la Cour de cassation [8], ont toutefois été jugées excessives [9], ce qui a conduit le législateur à opter pour le régime actuel de désignation facultative. Cette faculté étant laissée à l’initiative du représentant légal, ce texte ne permet plus de remédier au risque de conflit d’intérêts, déjà présent dans la phase antérieure aux poursuites.

Certains auteurs ont pu souligner qu’en ayant la faculté de lier leur défense à celle de la personne morale, les représentants légaux ont désormais la possibilité d’alléger leur responsabilité au détriment de cette dernière [10].

Un arrêt rendu par la Chambre criminelle le 20 mars 2007 nous fournit une illustration particulièrement éloquente de ce risque [11]. Poursuivis pour des faits connexes, une société et son dirigeant avaient été défendus par le même avocat en première instance, empêchant ainsi la première de se constituer partie civile pour les abus de biens sociaux reprochés au second. Malgré la divergence d’intérêts évidente entre les deux prévenus, la désignation d’un mandataire ad hoc était impossible, cette décision revenant au représentant légal, autrement dit au coprévenu.

Afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêts, il est donc primordial pour l’avocat d’identifier et d’anticiper ces difficultés dès la phase d’enquête.

Certes les réponses à ces questions dépendront des particularités de chaque situation, mais aux deux extrémités on peut facilement identifier qu’à l’évidence :

• lorsque le dirigeant est convoqué pour être entendu sous la double casquette personne physique / représentant de la personne morale il peut difficilement avoir deux avocats différents ;

• lorsque le dirigeant est convoqué uniquement en sa qualité de personne physique et pour des infractions dont la personne morale est susceptible d’être victime, il peut difficilement avoir le même avocat que la société.

Entre ces deux situations, l’avocat identifie l’éventuel conflit d’intérêts avec les outils dont il a l’habitude de se servir dans son exercice professionnel.

Ces mêmes questionnements conduisent à apporter une réponse à la question du dirigeant sur la prise en charge des honoraires de son avocat par l’entreprise. Si l’entreprise prend en charge les frais de défense de ses dirigeants dès le début de l’enquête, directement ou via son assurance responsabilité civile de dirigeants, la question du remboursement de ces frais par le dirigeant sera posée en cas de condamnation pénale et selon la nature de l’infraction. À cet égard, on se reportera avec intérêt au très instructif article co-rédigé par E. Daoud et B. Bouche [12].

B. Deuxième question : en quoi consiste le fait de préparer un dirigeant à son audition, sous le régime de garde à vue ou d’audition libre ?

La garde à vue ou l’audition libre se préparent, parce que la garde à vue est un acte d’enquête extrêmement violent et incompréhensible pour des personnes qui n’y sont absolument pas préparées.

Comme on l’a évoqué plus haut, très souvent, le dirigeant est convoqué par téléphone à une date et heure précise dans un commissariat, une gendarmerie ou une brigade spécialisée sans explication, ce qui est déjà pour lui une incongruité par rapport à son quotidien fait de réunions planifiées à l’avance avec un ordre du jour précis.

Quand il est convoqué, la convocation mentionne l’infraction recherchée qui, par son libellé, est déjà une source importante d’angoisse.

À la différence de celui qui est arrêté en train de commettre un délit, le dirigeant ne comprend pas ce qui justifie cette situation. Il est souvent incapable de faire le lien entre ses responsabilités, les actions qu’il a menées dans son entreprise, les décisions qu’il a prises et une mesure qu’il pense réservée à une frange de la population qui a choisi le banditisme comme un mode de vie.

Un des principaux objectifs de la préparation à la garde à vue ou à l’audition libre est de démythifier et de démystifier la convocation pour faire disparaître ce facteur majeur d’anxiété et donc de déstabilisation du dirigeant qu’est le choc de se trouver confronté à une procédure qu’il ne connaît pas, qu’il ne comprend pas mais dont il pressent immédiatement qu’elle pourra avoir des conséquences graves pour lui professionnellement et personnellement, ce qui crée un fort niveau de stress.

Premièrement, cette préparation doit donc a minima inclure une description précise de la procédure pour faire disparaître cette peur de l’inconnu.

Il est nécessaire d’expliquer au dirigeant les raisons d’un placement en garde à vue pour lui faire comprendre que cela ne signifie pas qu’il est coupable et qu’à ce stade il est toujours présumé innocent.

Il est important aussi que le dirigeant connaisse les principales étapes de la garde à vue pour pouvoir les anticiper (la notification de ses droits, l’entretien confidentiel de trente minutes avec son avocat, la durée, les issues possibles en fin de mesure) ou de l’audition libre…

Si une audition libre qui dure six ou sept heures fait assez rapidement oublier le droit de quitter à tout moment les locaux, cette restriction à la liberté est totale dans le cadre de la garde à vue et il est important de préparer le dirigeant à « tenir la longueur » pour une durée qui, rappelons-le, peut aller jusqu’à 48 heures.

Jusqu’au 1er septembre 2015, la garde à vue pouvait même durer 96 heures pour un soupçon d’escroquerie en bande organisée (C. proc. pén. art. 706-73 8°, bis). Ce fut le chef de poursuites retenu contre l'homme d'affaires Bernard Tapie dans l'enquête sur l'arbitrage dont il a bénéficié en 2008 dans le cadre de son litige avec le Crédit lyonnais. Il avait alors été, ainsi que son avocat Maurice Lantourne, placé en garde à vue pendant 96 heures. Cette durée exceptionnelle avait été contestée par leurs avocats au moyen de deux questions prioritaires de constitutionnalité. Le 9 octobre 2014, le Conseil constitutionnel avait déclaré le 8° bis de l'article 706-73 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2154LHA) contraire à la Constitution considérant que cette durée de 96 heures portait « à la liberté individuelle et aux droits de la défense une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi » [13].

Deuxièmement, lorsque la préparation intervient entre la convocation et l’audition, elle intègre évidemment une analyse des faits et des documents susceptibles d’intéresser l’enquêteur, le but n’étant bien entendu pas de faire obstacle à la manifestation de la vérité mais au contraire de participer à cette manifestation en se mettant en mesure d’apporter toutes les explications qui intéresseront l’enquête et contribueront à la démonstration de l’absence d’infraction.

Troisièmement, la préparation doit aussi et surtout expliquer au dirigeant le comportement qu’il doit adopter en garde à vue.

Tous ces conseils que les avocats sont, en toutes matières, amenés à prodiguer sur le comportement à adopter pendant l’audition pénale, sont ici d’autant plus importants que ce comportement est l’inverse de celui que le dirigeant adopte au quotidien dans son entreprise. 

Dans son entreprise, il est habitué à diriger, à contrôler, à poser des questions et à décider. On attend de lui qu’il sache et qu’il agisse.

La confrontation avec un officier de police judiciaire dans une garde à vue sort complètement du cadre habituel du dirigeant. Il perd ses repères. Pour l’un, l’enquêteur, la garde à vue est son quotidien ; pour l’autre, le dirigeant d’entreprise, c’est l’opposé de son paysage habituel. L’enquêteur peut d’ailleurs avoir la tentation d’utiliser cette asymétrie pour créer un ascendant psychologique sur le dirigeant auditionné.

Le dirigeant doit comprendre et accepter que ce n’est pas lui qui contrôle cette situation. Il est là pour répondre à des questions et non pour les poser, il doit obéir aux ordres et non les donner, il ne gère pas le temps il le subit. Il doit reconnaître qu’il ne sait pas tout et savoir envisager des réponses comme « je ne sais pas », « je ne me souviens pas », ou « je ne peux pas répondre à votre question » alors que son exigence personnelle dans son rôle de dirigeant est d’avoir des réponses aux questions, de savoir, d’agir et de décider.

Il ne peut pas être dans une posture d’autorité mais pas non plus dans une posture de séduction comme il l’est en face de clients, d’investisseurs, ou d’actionnaires par exemple. Cette attitude en garde à vue que nous avons constatée dans notre pratique, peut consister à vouloir aider l’enquêteur en lui apportant des informations qu’il ne demande pas, ou en cherchant dans sa mémoire des informations qu’il n’a plus pour essayer de répondre à une question. Or ces réponses inscrites dans le procès-verbal d’audition, en ouvrant des hypothèses, pourront se révéler être le support d’un raisonnement à charge plus tard dans la procédure.

La préparation à la garde à vue doit donc inclure des recommandations du type : ne pas craindre de prendre du temps pour réfléchir avant de répondre, ne pas hésiter à faire répéter la question pour être certain de l’avoir comprise, ne pas hésiter à dire qu'on ne sait pas si tel est le cas, donner des réponses simples, brèves et précises sans émettre d'avis personnel ni faire des suppositions, répondre uniquement à la question posée, ne pas extrapoler en répondant à la question qui aurait dû ou pu être posée, ne pas hésiter à répéter une réponse déjà donnée auparavant, ne pas être gêné par les silences d’un enquêteur qui retranscrit et le laisser retranscrire avant d’en ajouter, situer les faits dans leur contexte quand un comportement ou une décision s’explique par des informations disponibles au moment des faits, préciser lorsqu’une question ne relève pas de sa compétence et ne pas essayer d’y répondre, etc…

Il est important que le dirigeant comprenne que ce qui compte à l’issue de l’audition n’est pas l’avis de l’enquêteur mais ce qui est retranscrit dans le procès-verbal parce que celui-ci deviendra une pièce essentielle du dossier pénal. Il doit donc relire attentivement et intégralement le procès-verbal, le faire relire par son avocat et vérifier qu’il reprend fidèlement les réponses. Si ce n'est pas le cas, il doit proposer des modifications et laisser faire son avocat si la contestation éventuelle ne se résout pas.

***

Voilà le dirigeant prêt à être auditionné, accompagné de son avocat.

Et au sortir de la garde à vue ou de l’audition libre, le même dirigeant de demander à son conseil, non sans l’avoir chaleureusement remercié pour ses diligences à ses côtés, de rendre compte de l’audition à la direction juridique.

Épineuse question qui touche à celle du secret professionnel conjugué au secret de l’enquête. Plus épineuse encore lorsqu’elle n’est pas posée par le dirigeant mais par le cadre, délégataire de pouvoir, qui a été entendu à la fois en sa qualité personnelle et comme délégué par le dirigeant pour représenter la personne morale. Mais c’est un autre sujet…

 

[1] Y. Buffelan-Lanore, Rev. soc., 1993, p. 315 ; F. Desportes, JCP E, 1993, comm. 219.

[2] V. en ce sens J.-Y. Maréchal, Fasc. 20 : Poursuite, instruction et jugement des infractions commises par les personnes morales, art. 706-41 à 706-46, § 47, JCl. Procédure pénale.

[3] V. en ce sens H. Matsopoulou, v° Responsabilité pénale des personnes morales, § 132, Rép. sociétés.

[4] CA Paris, ch. corr. 12, sect. A, 19 janvier 2009, n° 08/04096

[5] Cons. const., décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, du 18 novembre 2011 (N° Lexbase : A9214HZB) ; Cons. const., décision n° 2012-257 QPC, du 18 juin 2012 (N° Lexbase : A8706INR).

[6] Circulaire DACG, CRIM 2006-03/E8, du 13 février 2006 (N° Lexbase : L4255HIG) : Y. Mayaud, Responsabilités pénales entre personnes morales et personnes physiques – une logique d’artifices…AJ pénal, 2018, p. 546.

[7] Ministère de l’Intérieur, Glossaire : « NATINF (NATure d’INFraction) La NATINF est la nomenclature des infractions créée par le ministère de la Justice en 1978 pour les besoins de l'informatisation du casier judiciaire et des juridictions pénales. Elle recense la plupart des infractions pénales en vigueur ou abrogées, et évolue au gré des modifications législatives et réglementaires » [en ligne].

[8] Cass. crim., 9 décembre 1997, n° 97-83.079 (N° Lexbase : A1431ACY)

[9] B. Bouloc, D., 1998, p. 296

[10] J.-H. Robert, Dr. pén., 2007, comm. 88

[11] Cass. crim., 20 mars 2007, n° 05-85.253 (N° Lexbase : A9502DUH)

[12] E. Daoud et B. Bouche, L’intérêt social, vecteur de la décision de prise en charge des frais de défense pénale du dirigeant ou du salarié, AJ pénal, 2014, p. 348.

[13] Cons. const., décision n° 2014-420/421 QPC, du 9 octobre 2014 (N° Lexbase : A0029MYQ).

 

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