La lettre juridique n°848 du 17 décembre 2020 : Marchés publics

[Jurisprudence] Les offres émanant deux sociétés distinctes mais sans autonomie commerciale peuvent être rejetées

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 8 décembre 2020, n° 436532, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A225439D)

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par Emilie Grzelczyk, Avocat au barreau de Paris

le 16 Décembre 2020

 


Mots clés : marchés publics - autonomie commerciale - opérateur économique distinct

Deux entreprises distinctes néanmoins dépourvues d'autonomie commerciale ne peuvent soumissionner au même lot.


 

S’il ne relève pas de l’office du juge des référés précontractuels de sanctionner les atteintes au droit de la concurrence, se pose régulièrement la question de savoir dans quelles conditions des sociétés appartenant à un même groupe ou ayant des liens capitalistiques étroits peuvent soumissionner à un marché public et dans quelle mesure les offres ainsi remises peuvent être considérées comme distinctes. C’est à cette question que le Conseil d’Etat a eu l’occasion de répondre.

Après avoir rappelé la règle selon laquelle un candidat est autorisé à ne présenter qu’une offre (I), le Conseil d’Etat a précisé dans quels cas les offres de deux candidats peuvent être considérés comme identiques et ainsi être rejetées (II).

I - La réaffirmation de la règle : « un candidat – une offre »

Dans cette affaire, la Métropole d’Aix-Marseille-Provence avait lancé un appel d’offres pour l’attribution d’un accord-cadre multi-attributaire portant sur des travaux d’aménagement, de réparation, d’entretien et de rénovation de bâtiments (21 lots). Le règlement de la consultation précisait que chaque lot serait attribué à trois soumissionnaires, sachant que les candidats n’étaient autorisés à répondre qu’à deux lots maximum. En cas de présentation d’un nombre d’offres supérieur à celui autorisé, il était indiqué que toutes les offres du soumissionnaire seraient déclarées irrégulières et rejetées. La société Eiffage Energie Systèmes a présenté une première offre pour le lot n° 11, pour lequel elle a été déclarée attributaire, et une seconde offre pour le lot n° 12, pour lequel elle a été classée en quatrième position. S’estimant irrégulièrement évincée du lot n° 12, elle a saisi le juge des référés précontractuels au motif que les offres des sociétés attributaires (CMT et Compagnie méridionale d’application thermique) étaient strictement identiques tant d’un point de vue financier que technique et auraient donc dû être écartées. Il était soutenu qu’en raison de l’absence de toute autonomie commerciale (même président et même actionnaire unique), les deux sociétés devaient être regardées comme un seul et même candidat. Partant, l’acheteur aurait dû s’estimer en présence d’un seul opérateur économique ayant remis deux offres, ce qui était contraire aux dispositions du règlement de la consultation.

Le juge des référés précontractuels du tribunal de Marseille a suivi le raisonnement de la société évincée et a enjoint la Métropole de reprendre la procédure au stade de l’examen des offres en écartant celles des sociétés CMT et Compagnie méridionale d’application thermique.

Ne partageant pas la position du juge des référés précontractuels, la Métropole a formé un pourvoi en cassation. Rappelant les dispositions des articles L. 1220-1 (N° Lexbase : L4353LRN) à L. 1220-3 et R. 2151-6 (N° Lexbase : L3976LRP) du Code de la commande publique, le Conseil d’État a réaffirmé la règle selon laquelle « un même soumissionnaire ne peut présenter qu’une seule offre pour chaque lot ».

Si la règle n’est pas nouvelle, son application peut s’avérer complexe pour un acheteur et ce, notamment lorsque des sociétés ayant des liens capitalistiques étroits déposent chacune une offre. Dans une telle hypothèse, l’acheteur doit veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée ; les sociétés pouvant multiplier les offres similaires dans le seul but d’augmenter leurs chances de remporter le marché.

Pour éviter un tel écueil, l’acheteur doit vérifier si les sociétés peuvent ou non être qualifiées d’opérateur économique distinct. Si tel est le cas, la règle « un candidat-une offre » est respectée. En revanche, si les deux sociétés peuvent être regardées comme un seul et même candidat, alors la règle sera méconnue en raison d’un nombre d’offres déposées supérieur à celui autorisé (« un candidat – deux offres »).

Le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de préciser que deux sociétés ne mettant pas en œuvre de moyens distincts doivent être regardées comme un seul et même candidat :  « ces deux sociétés ne mettaient pas en œuvre de moyens distincts, qu’elles devaient être regardées comme un seul et même candidat pour l’application des dispositions précitées, et que le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas leur attribuer un total de six lots sans méconnaître les obligations de mise en concurrence fixées par le règlement de la consultation » [1]. Il est à noter que, dans ce cas, l’analyse portait sur la candidature des deux sociétés et l’unicité des moyens mis en œuvre.

Or, une telle solution n’était pas strictement transposable dans la présente affaire, dans la mesure où la question était de savoir si une même offre pouvait être présentée plusieurs fois par des sociétés mettant en œuvre des moyens distincts.

II - Les précisions sur la notion d’opérateur économique distinct

Pour répondre à cette question, le Conseil d’État a apporté des précisions sur la notion d’opérateur économique. En effet, il a jugé que « si deux personnes morales différentes constituent en principe des opérateurs économiques distincts, elles doivent néanmoins être regardées comme un seul et même soumissionnaire lorsque le pouvoir adjudicateur constate leur absence d’autonomie commerciale, résultant notamment des liens étroits entre leurs actionnaires ou leurs dirigeants, qui peut se manifester par l’absence totale ou partielle de moyens distincts ou la similarité de leurs offres pour un même lot ». Ainsi, c’est parce que les deux sociétés n’ont aucune autonomie commerciale qu’elles doivent être regardées comme un même opérateur économique et donc un même soumissionnaire. Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a estimé que « d'une part, les offres litigieuses pour le lot n° 12 émanaient de deux sociétés filiales d'un même groupe et, d'autre part, elles étaient identiques et ne pouvaient être considérées comme des offres distinctes présentées par des opérateurs économiques manifestant leur autonomie commerciale ». Partant, « la métropole devait être regardée comme ayant retenu, pour le même lot, deux offres présentées par un même soumissionnaire ».

Il est à noter que la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà adopté un raisonnement identique estimant que « s’il apparaît sur la base d’éléments incontestables, que les offres n’ont pas été formulées de manière indépendante », l’acheteur peut les exclure [2].

En présence d’offres présentant de fortes similarités, l’acheteur devra donc s’assurer qu’elles ont été formulées de manière indépendante par des sociétés disposant d’une réelle autonomie commerciale.

Une telle analyse devra être d’autant plus rigoureuse que l’Autorité de la concurrence a récemment infléchi sa position en estimant que la présentation d’offres en apparence indépendantes mais formulées de façon concertée par les entités appartenant à un même groupe ne pouvait pas être sanctionnée au titre de la prohibition des ententes [3]. Suivant la jurisprudence communautaire [4], l’Autorité de la concurrence a, en effet, estimée que les entités appartenant à un même groupe ne forment qu’une seule « entreprise » au sens du droit de la concurrence, ce qui exclut la qualification de pratiques concertées.

La position du Conseil d’État s’inscrit donc dans l’actualité récente laissant désormais au droit de la commande publique le soin de sanctionner de manière efficace les distorsions de concurrence notamment de la part des sociétés appartenant à un même groupe, soit au stade de la passation des marchés publics, soit a posteriori  [5].

 

[1] CE, 11 juillet 2018, n° 418021 (N° Lexbase : A8005XXR).

[2] CJUE, 8 février 2018, aff. C-144/17 (N° Lexbase : A6145XCL).

[3] Autorité de la concurrence, décision n° 20-D-19 du 25 novembre 2020 (N° Lexbase : X1225CKL).

[4] CJUE, 17 mai 2018, aff. C-531/16 (N° Lexbase : A8248XMG).

[5] CE, 27 mars 2020, n° 420491 et 421758 (N° Lexbase : A42493KL).

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