La lettre juridique n°848 du 17 décembre 2020 : Sécurité intérieure

[Focus] Proposition de loi relative à la sécurité globale : les dispositions controversées et les autres

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par Sébastien Fucini Maître de conférences à l’Université Aix-Marseille Laboratoire de droit privé et de sciences criminelles – UR 4690

le 16 Décembre 2020


Mots-clés : loi sécurité globale • police • police municipale • drones • sécurité privée • forces de sécurité • activités privées de sécurité • diffusion malveillante • crédits de réduction de peine

En dehors du domaine social ou sociétal, il est rare qu’un projet ou de surcroît une proposition de loi suscite de vifs débats médiatiques et provoque des manifestations. Il est plus rare encore, sinon inédit, qu’un premier ministre propose la réécriture d’une disposition, en cours de discussion au Parlement, par une commission extra-parlementaire, suscitant une émotion telle que l’idée a été abandonnée. Il en va pourtant ainsi de la proposition de loi relative à la sécurité globale, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 24 novembre 2020 [1]. L’article 24, connu de tous en ce qu’il vise à interdire la diffusion malveillante de l’image d’un policier, n’est cependant qu’une des nombreuses dispositions parmi toute une série suscitant des interrogations.


 

La proposition de loi, issue d’un rapport parlementaire [2], se donne pour ambition, d’après son exposé des motifs, de clarifier les rôles et les missions des acteurs de la sécurité. Ses principales dispositions visent essentiellement à octroyer de nouveaux pouvoirs à la police municipale, notamment au travers d’une expérimentation, mais aussi à encadrer davantage le secteur de la sécurité privée. Mais au-delà de ces ambitions initiales, la proposition de loi contient également de nombreuses autres dispositions destinées à régir l’utilisation des images issues de vidéoprotection, des caméras piétons, des caméras embarquées et des drones, à élargir les pouvoirs des forces de sécurité dans les transports et surtout à renforcer la protection des forces de sécurité, par l’élargissement du champ d’application des circonstances aggravantes des infractions dont elles sont victimes, la suppression des crédits de réduction de peine pour les auteurs d’infractions à leur encontre, par l’autorisation du port d’arme en dehors du service ou encore par la désormais bien connue interdiction de diffuser les images d’un policier dans l’objectif de lui nuire. Sans prétendre à l’exhaustivité et pour ne s’attacher qu’aux principales dispositions du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale, celui-ci peut être analysé dans ses aspects concernant l’organisation et les pouvoirs des forces de sécurité (I) et dans ceux concernant leur protection (II).

I. L’organisation et les pouvoirs des forces de sécurité

Légiférant sur des aspects très variés de la sécurité globale, l’Assemblée nationale a adopté des règles concernant la police municipale (A) et le secteur de la sécurité privée (B) ainsi que des dispositions régissant les pouvoirs des forces de sécurité en matière de vidéoprotection (C).

A. La police municipale

La proposition de loi, telle qu’adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, vise en premier lieu les pouvoirs de la police municipale. Actuellement, dans le cadre de la procédure pénale, les agents de police municipale sont considérés comme des agents de police judiciaire adjoints [3] et ils ont pour mission « de seconder, dans l’exercice de leurs fonctions, les officiers de police judiciaire » et « de rendre compte à leurs chefs hiérarchiques de tous crimes, délits ou contraventions dont ils ont connaissance » [4]. Certains agents de police judiciaire adjoints peuvent également avoir pour mission, en vertu des dispositions qui leur sont propres, de constater certaines infractions à la loi pénale et de recueillir tous les renseignements en vue d’en découvrir les auteurs [5]. En la matière, les pouvoirs des agents de police municipale sont circonscrits : ils ne peuvent que rendre compte à un officier de police judiciaire (OPJ) des infractions dont ils ont connaissance et adresser leurs rapports et procès-verbaux au maire et, par l’intermédiaire de l’OPJ, au procureur de la République [6].

Sur ce dernier point, la proposition de loi entend élargir les pouvoirs des agents de police municipale au travers d’une expérimentation (art. 1er). Celle-ci pourra être mise en place dans certaines communes et établissements publics de coopération intercommunale employant au moins vingt agents, après décision du conseil municipal et arrêté conjoint des ministres de l’Intérieur et de la Justice, pour une durée de trois ans. Il s’agira pour l’essentiel de conférer de nouveaux pouvoirs de police judiciaire aux agents de police municipale. Ainsi, les chefs de service de police municipale, comme les gardes champêtres, pourront faire procéder à l’immobilisation d’un véhicule avec l’autorisation préalable du procureur de la République, pour les contraventions et délits routiers pour lesquels sa confiscation est encourue. Ils devront pour cela être habilités par le parquet.

Les agents de police municipale pourront par ailleurs procéder à la saisie des objets qui ont servi à commettre ou qui sont le produit des infractions qu’ils seront habilités à constater. C’est qu’en effet, le législateur entend habiliter les agents de police municipale à constater par procès-verbal plusieurs délits, lorsqu’ils ne nécessitent aucun acte d’enquête : la vente à la sauvette, la conduite sans permis, la conduite sans assurance, le fait de créer un obstacle à la circulation routière, l’occupation de hall d’immeuble, l’usage de produits stupéfiants, les destructions et le port d’armes. Ils pourront également constater les délits d’introduction dans le domicile d’autrui ou d’installation sur le terrain d’autrui mais uniquement s’il s’agit d’un local ou d’un terrain communal. Ils pourront encore constater les contraventions d’acquisition de produits du tabac vendus à la sauvette et les contraventions en matière de vente et de consommation d’alcool prévues par le Code de la santé publique. Cette disposition n’a rien d’anodin : actuellement, les agents de police municipale peuvent évidemment rendre compte de toute infraction à l’OPJ, mais les procès-verbaux qu’ils rédigent ne valent qu’à titre de simples renseignements [7]. Cependant, lorsqu’un agent reçoit de la loi le pouvoir de constater certains délits, les procès-verbaux ont une valeur probante renforcée : ils valent jusqu’à preuve contraire, laquelle ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins [8]. Or, la valeur probante renforcée d’un procès-verbal découle la plupart du temps de la spécialisation des agents ayant constaté les infractions. Le défaut de spécialisation des agents de police municipale et la diversité, malgré leur simplicité, des délits qu’ils seront amenés à constater, conduit à douter de la pertinence de cette disposition. Toujours dans le cadre de l’expérimentation, les agents de police municipale pourront procéder à un relevé d’identité des auteurs des délits qu’ils sont habilités à constater, là où l’article 78-6 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1214LDC) restreint ce pouvoir à certaines contraventions seulement.

Au-delà de l’expérimentation, la proposition de loi entend renforcer les pouvoirs de la police municipale, en informant le maire des suites données aux infractions constatées par les agents (art. 1er bis), en supprimant le seuil de 300 personnes pour leur participation à la sécurisation d’une manifestation sportive (art. 2) ou encore en permettant aux policiers municipaux et aux gardes champêtres d’appréhender une personne en état d’ivresse manifeste (art. 3).

S’agissant de l’organisation de la police municipale, la proposition entend permettre la création d’un corps spécifique de police municipale à Paris (art. 4), proposition très attendue et souhaitée par la maire de la capitale. Elle permet en outre de créer plus facilement des polices municipales intercommunales, en supprimant le seuil de 80 000 habitants (art. 5) et entend harmoniser les conditions de recrutement des agents, en prévoyant une obligation de service de trois à cinq ans au profit de la commune qui les a formés.

B. Les activités privées de sécurité

La proposition de loi contient en outre de nombreuses mesures concernant le secteur de la sécurité privée, dont les prérogatives et les rapports avec la sécurité publique interrogent [9]. Il s’agit notamment d’encadrer davantage le secteur par une limitation de la sous-traitance (art. 7) et par un accroissement des pouvoirs du Conseil national des activités privées de sécurité pour constater des infractions commises par les agents privés et les entreprises de sécurité et infliger des sanctions disciplinaires (art. 8). Il s’agit également de redéfinir les conditions de recrutement des agents de sécurité privée, point sur lequel des dispositions étonnantes ont été adoptées. Ainsi, un ressortissant étranger hors Union européenne ne pourra exercer une telle activité que s’il est titulaire d’un titre de séjour depuis au moins cinq ans (art. 10). De plus, tout ressortissant étranger, y compris de l’Union européenne, devra justifier une connaissance suffisante de la langue française « et des valeurs de la République ». Si cette seconde exigence, en particulier la connaissance des valeurs de la République, peut paraître saugrenue, la première, relative à la durée de séjour en France, est bien plus problématique. Elle apparaît discriminatoire puisqu’elle traite différemment les étrangers par rapport aux nationaux et européens, sans que cela n’apparaisse adapté à la différence de situation. Le Conseil constitutionnel a déjà admis que l’exercice à titre individuel d’une activité privée de sécurité ou la direction d’une personne morale se livrant à cette activité soit réservée aux ressortissants français ou européens. Pour cela, il a considéré que le législateur avait entendu exercer un strict contrôle des dirigeants qui étaient associés aux missions de l’État en matière de sécurité publique et qu’il avait poursuivi un motif d’intérêt général lié à la protection de l’ordre public [10]. S’il est vrai que la participation d’un agent de sécurité à certaines missions de l’État peut justifier une différence de traitement, l’exigence relative à la durée de séjour en France n’apparaît pas directement en lien avec la recherche de l’intérêt général [11].

Au-delà de ces dispositions concernant l’exercice de l’activité et son contrôle, la proposition de loi ne modifie qu’assez peu leur rôle. Il faut cependant noter qu’une modification de l’article L. 613-1 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L2988LH7) est envisagée : cet article permet au préfet d’autoriser à titre exceptionnel les agents de sécurité privée « à exercer sur la voie publique des missions, mêmes itinérantes, de surveillance contre les vols, dégradations et effractions visant les biens dont ils ont la garde ». La proposition entend ajouter à cette liste les actes de terrorisme. Cet ajout apparaît surprenant, tant la prévention du terrorisme est intimement liée à la police administrative. Or, le Conseil constitutionnel considère que l’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen s’oppose à « la délégation à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la force publique nécessaire à la garantie des droits » [12]. Malgré le caractère exceptionnel et l’exigence d’autorisation du préfet, la constitutionnalité et surtout l’intérêt de l’ajout des actes de terrorisme, sont douteux.

C. Les images captées par les forces de sécurité

La proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale suscite également la controverse en ce qu’elle entend ouvrir assez largement l’accès aux images de vidéoprotection et leur captation. En effet, en premier lieu, les députés souhaitent élargir l’accès et le visionnage des systèmes de vidéoprotection. Les policiers municipaux habilités pourraient avoir accès aux images d’un système installé sur la voie publique (art. 20), tandis que les cas d’accès à un système installé dans une copropriété sont élargis (art. 20 bis).

Mais ce sont en second lieu les conditions d’accès aux images enregistrées par les caméras piétons et par les drones qui suscitent des interrogations. Les cas de visionnage des images enregistrées par ces caméras que les policiers portent sur eux sont élargis, celles-ci pouvant être transmises en temps réel au poste de commandement si la sécurité des personnes ou des biens est menacée. De manière plus contestable, les agents pourront avoir accès à ces images et celles-ci pourront être diffusées pour « l’information du public sur les circonstances de l’intervention » (art. 21).

L’Assemblée nationale entend surtout encadrer le recueil d’images par drones. Ces dispositions posent des difficultés s’agissant de la protection de la vie privée, tant cet outil peut recueillir en tous lieux des images. La proposition énonce de nombreux cas dans lesquels l’usage des drones sera autorisé, parmi lesquels, outre la prévention de certaines infractions ou la protection de certains bâtiments et installations militaires, la sécurisation des rassemblements sur la voie publique. Concernant la protection de la vie privée, la proposition ne contient qu’une disposition prévoyant que les drones ne doivent pas permettre de visualiser les images de l’intérieur des domiciles ni de celles de leurs entrées. Cela semble insuffisant pour assurer la protection de la vie privée, qui ne se limite pas au domicile, d’autant que les modalités de traitement des images ne sont pas précisément encadrées. Le Conseil d’État avait par ailleurs proscrit le recours à des drones pour contrôler le respect des mesures sanitaires en ce qu’aucun texte réglementaire n’encadrait le recueil des images constituant un traitement de données à caractère personnel dès lors qu’il est possible d’identifier les personnes filmées [13]. D’une manière similaire, la proposition entend encadrer le recours aux caméras embarquées qui se trouvent dans les véhicules des forces de l’ordre (art. 22 bis).

Parmi les autres dispositions notables relatives aux pouvoirs des forces de sécurité, on peut citer l’article 25, qui vise à interdire le refus d’accès à un établissement recevant du public à un policier ou un gendarme armé en dehors de son service et l’article 26, tendant à aligner le droit d’usage d’une arme par les militaires déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle sur celui des policiers et des gendarmes (CSI, art. L. 435-1 N° Lexbase : L1138LDI).

II. La protection des forces de sécurité

Pour assurer la protection des forces de sécurité, l’Assemblée nationale a adopté plusieurs mesures vivement contestées et d’autres passées plus inaperçues mais contestables. Ainsi, elle a voulu pénaliser la diffusion malveillante de l’image d’un policier (A), supprimer les crédits de réduction de peine pour certaines infractions dont ils sont victimes (B) et aggraver certaines infractions dont sont victimes ou auteurs les agents de sécurité privée, en les alignant ainsi avec les forces publiques de sécurité (C).

A. La pénalisation de la diffusion malveillante de l’image d’un policier

Les dispositions les plus critiquées de la proposition de loi sont celles relatives à la protection des forces de sécurité, à commencer par le fameux article 24. Sur amendement gouvernemental, la rédaction de cet article a évolué par rapport au texte adopté par la Commission des lois, afin de tenter, tant bien que mal, de répondre aux critiques suscitées par le texte. Il s’agit de créer un nouveau délit dans la loi sur la liberté de la presse [14], puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Le texte initial prévoyait de réprimer « le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ». Face au tollé médiatique et aux critiques institutionnelles [15] soulevés par cet article, plusieurs ajouts ont été faits : tout d’abord, il est précisé que ce texte est « sans préjudice du droit d’informer ». Ensuite, il est ajouté que le but de porter atteinte à l’intégrité doit être « manifeste ». En outre, la diffusion du numéro d’identification individuel est exclue du délit. D’un autre côté, le délit a été élargi pour y ajouter la police municipale.

Au-delà de son incongruité et en dépit de l’amendement adopté, ce texte a de quoi inquiéter. Il s’agit de sanctionner un comportement ne causant aucune atteinte à l’ordre social alors que le droit pénal a pour objectif de sanctionner de telles atteintes, lorsque le comportement est accompagné, selon le cas, d’une intention ou d’une faute. Il est vrai que le droit pénal peut agir et agit de plus en plus en amont, par des infractions obstacles. Cependant, celles-ci supposent toujours, au-delà de l’intention de commettre ou de s’associer à la commission de l’infraction projetée, des actes matériels particuliers dénotant un risque de trouble à l’ordre social. Ainsi, l’association de malfaiteurs suppose « la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels » d’une infraction [16]. Le mandat criminel suppose des « offres ou des promesses » ou la proposition d’avantages quelconques [17]. La provocation aux crimes ou aux délits suppose des discours, cris, menaces ou des écrits, imprimés, dessins, etc. [18]. Les menaces supposent, pour être matérialisées, un propos réitéré, ou le recours à un écrit, une image ou tout autre objet [19]. La difficulté majeure du texte envisagé est que son acte matériel est absolument dénué de tout comportement contraire à l’ordre social ou matérialisant la volonté d’y porter atteinte. En effet, le seul fait de diffuser l’image d’un policier ne saurait matérialiser la volonté de son auteur qu’il soit porté atteinte à l’intégrité d’un policier. De la sorte, l’intention de porter atteinte à l’intégrité du policier n’a pour support aucun acte matériel, d’où il résulte une difficulté majeure, voire insurmontable, pour caractériser l’intention. Le juge devra nécessairement, pour entrer en condamnation, caractériser cette intention et faute de sonder les esprits, il ne pourra s’appuyer que sur des actes matériels. L’absence totale de définition de ces actes matériels pourrait conduire à considérer que le texte est contraire au principe de légalité en ce qu’il ne définit pas le délit en des termes clairs et précis [20].

De nombreuses qualifications existent pour réprimer les actes que l’Assemblée nationale entend réprimer : la provocation à un crime ou à un délit, les menaces, l’association de malfaiteurs, le mandat criminel… La difficulté pour le Gouvernement, qui a soutenu cet article, et pour l’Assemblée nationale est que ces dispositions ne seraient pas applicables dans toute une série de cas, car l’acte matériel exigé ne peut être caractérisé. Mais précisément, si aucun acte matériel de ces infractions ne peut être caractérisé, c’est que l’intention de porter atteinte à l’intégrité ne peut pas être matérialisée et elle ne pourra pas l’être davantage avec ce délit.

L’intention est en outre réduite à un mobile : la diffusion de l’image d’un policier n’est punie que parce qu’elle poursuit un mobile déterminé. Or, l’intention ne repose jamais exclusivement sur le mobile, ce dernier pouvant parfois être pris en compte mais uniquement au titre du dol spécial pour aggraver l’infraction, comme en matière de racisme [21], ou pour retenir une qualification spéciale au détriment d’une qualification générale, comme le génocide [22]. Ici, le dol général reposerait sur l’intention de diffuser, qui est pourtant l’exercice d’une liberté fondamentale et qui ne saurait à elle seule être réprimée et le dol spécial sur la volonté qu’il soit porté atteinte à l’intégrité du policier. Il s’agit donc de punir un acte relevant de la liberté d’expression et d’information, seulement parce que son auteur est animé d’un mobile suscitant la réprobation.

En somme, ce délit punirait un comportement susceptible de relever de la liberté d’informer, bien qu’il soit prévu qu’il ne puisse y porter préjudice. La Cour européenne des droits de l’Homme a pu affirmer que si la liberté d’expression peut ou doit être réglementée, les États « doivent éviter ce faisant d’adopter des mesures propres à dissuader les médiats de remplir leur rôle d’alerte du public en cas d’abus apparents ou supposés de la puissance publique » [23]. En l’état, il est difficile de voir comment celui-ci pourrait être perçu comme compatible avec la liberté d’expression et d’information, sauf à exiger des actes matériels caractérisant l’intention, anéantissant alors tout l’intérêt de la disposition qui n’aurait plus d’autre utilité que celle de faire craindre une garde à vue et des poursuites pénales à celui qui diffuserait ou qui filmerait avec une éventuelle diffusion en direct, l’image d’un policier. À l’heure où ces lignes sont écrites, on attend toujours la nouvelle rédaction que proposera le Gouvernement [24] et celle qui sera adoptée par le Sénat, mais il semblerait plus raisonnable de supprimer cet article, dès lors que les objectifs recherchés peuvent être atteints par des qualifications pénales existantes.

B. La suppression des crédits de réduction de peine pour certaines infractions

L’article 24 n’est pas la seule disposition tendant à accorder une protection excessivement inutile aux policiers. Ainsi, l’article 23 prévoit de supprimer les crédits de réduction de peine pour les personnes condamnées pour des atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité ou pour des menaces, lorsqu’elles sont réalisées à l’encontre d’un agent de l’administration pénitentiaire, de la gendarmerie nationale, des douanes ou de la police nationale, d’un agent de police municipale, d’un pompier ou, plus surprenant dans cette énumération à la Prévert, d’une personne investie d’un mandat électif public dont leur protection n’a aucun rapport direct ou indirect avec les forces de sécurité. Mais surtout, au-delà de cet élément anecdotique, l’article 23, pourtant adopté à une très large majorité, a des conséquences que l’Assemblée nationale n’a semble-t-il pas mesurées.

Jusqu’à présent, seules les personnes condamnées pour terrorisme étaient exclues des crédits de réduction de peine [25]. Or, on sait à quelles conséquences cela a abouti : les condamnés pour terrorisme, ne bénéficiant pas de crédit de réduction de peine et, à qui le juge n’ont pas octroyé de réduction de peine supplémentaire [26], sont confrontés à une sortie sèche, sans aucun suivi judiciaire. Ne bénéficiant d’aucune réduction de peine, la surveillance judiciaire [27] ne leur est pas applicable et, par voie de conséquence, la surveillance de sûreté [28] ne l’est pas davantage. C’est notamment parce que le législateur n’avait pas permis aux personnes condamnées pour terrorisme de bénéficier de mesures de réinsertion durant leur peine, dont font partie les réductions de peine, que les mesures de sûreté voulues par le législateur pour suivre les personnes condamnées pour terrorisme à l’issue de leur peine ont été déclarées contraires à la Constitution [29]. Cette méconnaissance de l’objectif des réductions de peine conduit l’Assemblée nationale à exclure les crédits de réduction de peine pour les atteintes à la vie ou à l’intégrité des policiers. Certes, les crédits de réduction de peine sont automatiques, mais le juge peut les retirer [30] et certes, ils pourront toujours bénéficier de réductions supplémentaires de peine, mais sur décision du juge. Les crédits de réduction de peine sont en outre un outil important de gestion de la population carcérale, puisqu’ils permettent de sanctionner une mauvaise conduite par leur retrait en tout ou partie. Cette disposition est d’autant plus surprenante qu’elle pourra s’appliquer aux violences y compris n’ayant entraîné aucune ITT ou à des menaces, autrement dit à des délits punis de trois ans d’emprisonnement. Ce texte tend à méconnaître, sinon à réduire l’objectif d’insertion et de réinsertion de la peine proclamé à l’article 130-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9806I3L) et la cohérence du dispositif s’en trouverait entamée, car si la suppression des crédits de réduction de peine pouvait s’expliquer pour des infractions relevant d’un régime particulier, rien n’explique leur suppression pour quelques infractions de droit commun.

C. Autres dispositions pénales

L’Assemblée nationale entend également apporter une protection accrue aux acteurs de la sécurité privée. Les députés souhaitent créer de nouvelles circonstances aggravantes afin de sanctionner plus sévèrement les violences commises sur une personne exerçant une activité privée de sécurité ou par une telle personne (art. 12), de la même manière que pour un agent de la force publique. Il est ainsi opéré dans les valeurs exprimées par le Code pénal une assimilation entre les agents privés et les forces publiques de sécurité. Degré supplémentaire dans cette assimilation, la proposition de loi prévoit de modifier l’article 433-3 du Code pénal (N° Lexbase : L1220LDK), situé dans une section relative aux menaces « contre les personnes exerçant une fonction publique », pour y sanctionner les menaces visant les agents privés de sécurité. Si la proposition de loi n’accroît pas considérablement les pouvoirs des agents de sécurité privée, ce traitement pénal identique exprime la considération semblable qu’a le législateur entre la force publique et la sécurité privée.

Notons qu’au-delà de ces dispositions, nombreuses et variées, auxquelles on pourrait ajouter celles relatives à la sécurité dans les transports, l’Assemblée nationale a également adopté des dispositions visant à encadrer plus sévèrement, y compris par le recours à des sanctions pénales, la vente et l’achat de matériel pyrotechnique. Il s’agit d’enregistrer les transactions, de permettre le refus de vente et de subordonner la vente ou l’achat à des conditions d’âge et de connaissances techniques particulières. La vente ou l’achat en violation de ces règles sera alors puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende et la peine sera aggravée lorsque l’infraction sera commise par un réseau de communications électroniques. On peine ici à comprendre le rapport, direct ou indirect, de ces dispositions avec la sécurité globale, hormis le fait que ces articles pyrotechniques peuvent être utilisés contre les forces de l’ordre.

En définitive, si la proposition de loi a fait polémique avec son article 24, qui nous paraît, sinon inconstitutionnel ou non conventionnel tout au moins inapplicable, de nombreuses autres dispositions doivent attirer l’attention, tant dans la nouvelle organisation souhaitée par les députés des forces de sécurité que dans la protection excessivement inutile qu’ils leur accordent.


[1] Proposition de loi, adoptée, par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la sécurité globale le 24 novembre 2020, T.A. n° 504 [en ligne].

[2] A. Thourot et J.-M. Fauvergue, D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale, Assemblée nationale, septembre 2018.

[3] C. proc. pén., art. 21, 2° (N° Lexbase : L7096LUD)

[4] C. proc. pén., art. 21, al. 8 et s. (N° Lexbase : L7096LUD).

[5] C. proc. pén., art. 21, al. 11.

[6] C. proc. pén., art. 21-2 (N° Lexbase : L7036A4D).

[7] C. proc. pén., art. 430 (N° Lexbase : L3253DGL).

[8] C. proc. pén., art. 431 (N° Lexbase : L3250DGH).

[9] V. M.-A. Granger, Sécurité privée et collectivités : quels acteurs, quelles missions, quelles prérogatives, quels contrôles ?, AJCT, 2018, 374.

[10] Cons. const. n° 2015-463 QPC, du 9 avril 2015, n° 5 (N° Lexbase : A2527NGP).

[11] V. aussi sur ce point Avis du Défenseur des droits n° 20-06, du 17 novembre 2020, Relatif au texte adopté par la commission des lois, sur la proposition de loi relative à la sécurité globale [en ligne].

[12]  Cons. const., décision n° 2011-625 DC, du 10 mars 2011 (N° Lexbase : A2186G9T), cons. 19 ; v. aussi Cons. const., décision n° 2017-695 QPC, du 29 mars 2018 (N° Lexbase : A0553XIC) (admet la possibilité pour des agents privés d’assister des agents publics pour la réalisation de palpations de sécurité et d’inspections des bagages, dès lors qu’ils ne font qu’assister des agents de police judiciaire eux-mêmes placés sous l’autorité d’un officier de police judiciaire).

[13] CE, ord. référés, 18 mai 2020, n° 440442 et 440445 (N° Lexbase : A64093LX).

[14] Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW).

[15] V. not. Avis du Défenseur des droits n° 20-05, du 3 novembre 2020, Relatif à la proposition de loi relative à la sécurité globale [en ligne] et n° 20-06 du 17 novembre 2020, op. cit. ; CNCDH, Avis sur la proposition de loi relative à la sécurité globale, 26 novembre 2020 [en ligne].

[16] C. pén., art. 450-1 (N° Lexbase : L1964AMP).

[17] C. pén., art. 221-5-1 (N° Lexbase : L8540LXL).

[18] Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, art. 23.

[19] C. pén., art. 222-17 (N° Lexbase : L2153AMP).

[20] V. not. Cons. const., décision n° 2012-240 QPC, du 4 mai 2012, où le Conseil constitutionnel avait censuré le délit de harcèlement sexuel en ce que celui-ci était punissable « sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ».

[21] C. pén., art. 132-76 (N° Lexbase : L7897LCH), avec là encore l’exigence d’actes matériels permettant de caractériser le mobile raciste : l’infraction doit être précédée, accompagnée ou suivie de « propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature » caractérisant le mobile raciste.

[22] C. pén., art. 211-1 (N° Lexbase : L4443GTQ).

[23] CEDH, 17 décembre 2004, Req. 33348/96, Cumpana et Mazare c. Roumanie, §113 (N° Lexbase : A4373DEP).

[24] ndlr : La Commission indépendante sur les relations entre journalistes et forces de l’ordre, chargée de proposer des mesures afin de mieux concilier le travail des journalistes et celui des forces de l'ordre lors de manifestations ou opérations de maintien de l'ordre, sera présidée par Monsieur Jean-Marie Delarue, ancien directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur, premier contrôleur général des lieux de privation de liberté et ancien président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme.

[25] C. proc. pén., art. 721-1-1 (N° Lexbase : L4447K9L).

[26] C. proc. pén., art. 721-1 (N° Lexbase : L9860I3L).

[27] C. proc. pén., art. 723-29 (N° Lexbase : L7523IPC).

[28] C. proc. pén., art. 706-53-19 (N° Lexbase : L9885I3I).

[29] Cons. const., décision n° 2020-805 DC, du 7 août 2020 (N° Lexbase : A00883S3).

[30] C. proc. pén., art. 721 (N° Lexbase : L9860I3L).

 

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